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Le ciel, l’un des espaces de la « fantasy » Le ciel, l’un des espaces de la « fantasy »
Le ciel, territoire des utopies à l’époque moderneLe ciel, territoire des utopies à l’époque moderne
Rodica Gabriela Chira
Université 1 Decembrie 1819, Alba Iulia, Roumanie
rogabchira@yahoo.fr
Le ciel, territoire des utopies à l’époque moderne /
The Sky: A Space of Utopia in Modern Times
Abstract: The perception of the landscape that cannot be seen outside of its cultural dimension, of the encounter of man with nature through culture, applies in equal measure to various areas of science. The theory of relativity, quantum mechanics and the string theory – the latter constituting the binding of the other two as in the case of the culture – tell us that space and time are not only influenced by the state of motion of the observer, but can also deform and bend in response to the presence of matter and energy creating incredible landscapes. Thus, more or less utopian landscapes, be they literary or scientific, relating to space dimensions meet via the intermediary of several texts by Edwin A. Abbott (1884), Brian Greene (1999), Leonard Susskind (2006), or Horia-Roman Patapievici (2004).
Keywords: Edwin A. Abbott; Culture Dimensions Landscape; Quantum Physics; Utopia.
« Le paysage est un carrefour où se rencontrent des éléments venus de la culture, de la géographie et de l’histoire, de l’intérieur et de l’extérieur, de l’individu et de la collectivité, du réel et du symbolique[1]. » En littérature, associée à la critique thématique, la notion de paysage, « intimement liée à la sensibilité de l’écrivain », désigne « une certaine image du monde », aussi bien qu’une « image du moi et une construction de mots[2] ». Le paysage se présente comme une configuration du « pays », le suffixe –age connotant « l’appréhension globale d’un ensemble[3] ». Ce premier devient ainsi une certaine mise en forme du pays qui permet de le saisir comme un ensemble. Il devient non pas le pays réel mais le pays perçu du point de vue d’un sujet. Il n’appartient pas à la réalité objective, mais à une perception irréductiblement subjective. En tant qu’espace perçu, le paysage est toujours une construction de la réalité, unissant indissociablement des données objectives et le point de vue d’un sujet. Une description réaliste s’attachera à détailler les composantes objectives d’un paysage tandis que la description subjective aura tendance à les embellir ou à les enlaidir en fonction de la personnalité du sujet[4].
Pour le physicien Leonard Susskind[5], « le paysage » est un terme inventé dans le but de décrire tout le domaine des espaces théoriques. Il est l’espace des possibilités – la représentation schématique de toutes les ambiances, de toutes les possibilités envisagées par la théorie. En dépit de la rigueur extrême supposée par les sciences exactes, cette théorie est toujours en rapport avec l’époque historique qui la lance et la développe ; il peut donc s’ensuivre que chaque époque historique a son degré de subjectivité. De même, les lois de la physique peuvent être comparées à la météo : elles sont contrôlées par des influences invisibles de l’espace presque de la même manière dont la température, l’humidité, la pression de l’air et la vitesse du vent contrôlent la manière dans laquelle se forment la pluie, la neige ou la grêle. En physique, les influences invisibles sont appelées champs. Quelques-uns, comme le champ magnétique, sont bien connus ; d’autres sont moins familiers, même pour les physiciens. Mais ils existent, ils remplissent l’espace et contrôlent le comportement des particules élémentaires.
Tout comme le pays-age littéraire, celui de la physique, et surtout de la physique théorique, n’est pas exempt du sens du beau, de l’élégance, de l’unicité, il est même vu par L. Susskind comme le plus beau, le plus élégant de tous les domaines des sciences[6] : « Ce qui n’est pas absolument nécessaire n’est pas élégant[7]. » Une théorie élégante doit être exprimée en un nombre réduit d’équations, chacune d’entre elles étant représentée de manière très simple par écrit. Ainsi, la théorie de la relativité générale est élégante car elle prédit beaucoup partant de très peu.
Le paysage idéal en physique est le résultat d’une combinaison d’élégance, d’unicité et la capacité de répondre à toutes les questions qui peuvent avoir une réponse. C’est ce qui constitue la beauté d’une théorie. Pour être unique, une théorie doit répondre à deux exigences majeures : ne pas présenter des incertitudes quant à ses conséquences d’une part, créer le sentiment que c’est la seule possible pour tout d’autre part. Aucune théorie conçue jusqu’à présent ne se situe au niveau de ces critères. À l’exception de la théorie finale de la nature, il n’y a pas de théorie qui puisse être parfaite comme beauté[8].
Cette introduction très succinte nous permet d’inférer que, même dans le domaine des sciences exactes, les spécialistes sont à la recherche d’un modèle idéal qui est deviné mais non pas atteint ou bien, s’il donne une illusion temporaire, il peut s’enfuir vite après comme une image morganatique. En ceci, les desseins des physiciens peuvent être assimilés à ceux des écrivains qui, plongés dans le présent avec un esprit critique et mécontents de telle ou telle organisation politique ou sociale, envisagent un non lieu, un non espace théoriques, où le temps même pourrait s’écouler différemment. Parfois, les idéaux des scientifiques peuvent rencontrer ceux des écrivains et vice versa. C’est le cas des auteurs à penchant interdisciplinaire, les plus avisés à faire les connexions entre les différents domaines de la connaissance. C’est vers quelques uns d’entre eux que cette démarche se dirige, notamment vers Edwin A. Abbott avec son Flatland (1884) et vers trois autres livres dont deux ont comme auteurs des physiciens théoriciens consacrés qui s’adressent au lecteurs non spécialistes – Leonard Susskind, déjà cité, avec Le paysage cosmique . La théorie des cordes et l’illusion d’un plan intelligent (2006) et Edward Greene avec L’univers élégant. Supercordes, dimensions cachées et la recherche de la théorie finale (1999, 2003). Le troisième livre, Les yeux de Béatrice. Comment était en réalité le monde de Dante (2004), appartenant à Horia Roman Patapievici, physicien à l’origine, qui se déclare chercheur privé dans l’histoire des idées, nous « plonge » dans un autre texte, la Divine Comédie de Dante, plus exactement dans le « Paradis ».
Par la confrontation de plusieurs types d’espaces nous sommes à la recherche de l’espace idéal, du « pays-age » idéal, celui capable de donner la réponse à toutes les questions essentielles qui visent la découverte de la vérité, porteuse, comme il s’ensuit, de bonheur.
Du pays-age bidimensionnel
Même s’il n’a pas été ignoré, A Romance of Many Dimensions – Flatland. Fantaisie en plusieurs dimensions (1884) d’Edwin A. Abbott n’a pas obtenu un grand succès immédiatement après sa publication. Si bien que, dans le Dictionary on National Biography, dans l’entrée réservée à l’auteur en question, le roman n’est même pas mentionné. Longtemps ignoré en France, ce « classique inclassable »[9] a connu sa première traduction en 1968, il a été réédité en 1984 cent ans à peine après son apparition en Angleterre, date qui coïncide avec la « première révolution des supercordes »[10]. Le roman est catalogué comme nouvelle satirique, allégorie, uchronie scientifique (« en quelque sorte »), conte philosophique et scientifique. Ses dimensions contre-utopique et utopique sont également présentes.
Le livre a une structure complexe. La première partie, une description approfondie du Pays Plat, avec son organisation politique et sociale, ses institutions, sa religion, son fonctionnement, se constitue en contre-utopie seulement au moment où nous arrivons à la deuxième partie qui va à la découverte de Spaceland, réalisée de manière progressive, le personnage principal y étant préparé progressivement. Il prend ainsi contact en rêve avec le Pays de la Ligne, avec le Pays du Point ensuite. Deux sociétés au moins, situées dans un univers non localisé, ayant comme encadrement temporel l’an 1999, au passage d’un millénaire à l’autre, sont décrites dans Flatland. L’une est supérieure à l’autre, cependant elle aussi imparfaite et idéale en même temps pour notre voyageur. Les traits d’une narration utopique et contre-utopique s’y retrouvent entre autres en cela que le livre est sous forme de mémoires. Dans la préface révisée de la deuxième édition anglaise (1884), l’éditeur, habitant de l’espace à trois dimensions se fait le porte-parole de l’auteur, habitant de l’espace à deux dimensions : il transmet le texte à la postérité. Par un concours de circonstances, notre personnage-auteur, le Carré, a accès à des mondes différents du sien. Il voyage dans ces espaces soit en rêve – comme dans le cas de l’espace à une seule dimension – soit par le biais de la Sphère qui l’entraîne dans l’espace à trois dimensions, si bien qu’il parvient à voir, à étudier son propre monde de l’extérieur pour y revenir comme un étranger car ses idées sont devenues révolutionnaires. L’idée d’altérité, de morale, de beauté, de valeur des théories scientifiques sont mises en parallèle avec un certain type d’organisation sociale. L’invitation de Ray Bradbury figurant sur l’édition française de Flatland (2012) en est édifiante : « Faites-vous aussi plat qu’une crêpe et glissez-vous dans ce livre, vous en ressortirez avec une fabuleuse conceptualisation de nos mœurs, de nos faiblesses et de nos chauvinismes, réalisés toutefois par le biais d’une métaphore indolore et par conséquent stimulante. “Flatland vous attend”, la fête commencera, ami lecteur, dès que vous aurez tourné la première page du livre »[11]. Cette métaphore est présente dès la dédicace :
Aux / Habitants de l’ESPACE EN GÉNÉRAL /Et à H.C. EN PARTICULIER /Cet Ouvrage est Dédié /Par un Humble Natif de Flatland /Dans l’Espoir que /Comme lui-même fut initié aux Mystères /DES TROIS Dimensions /N’en ayant jusqu’alors connues /QUE DEUX /De même les Citoyens de cette Céleste Région /Puissent s’élever encore plus haut /Jusqu’aux Arcanes des QUATRE, CINQ /ou même SIX Dimensions /Contribuant ainsi /À repousser les frontières de L’IMAGINATION, /Et peut-être à Développer /Parmi les Races Supérieures /DE L’HUMANITE À TROIS Dimensions /Le très rare et très excellent don de MODESTIE[12].
Tout y est contenu, en effet. C’est la force de l’imagination qui nous pousse vers la connaissance, mais cette connaissance, jamais complète, toujours tendant vers un idéal, doit nous rendre encore plus modestes ayant toujours en vue le rapport entre le microcosme que nous représentons et le macrocosme qui nous comprend.
Par le biais de Flatland, nous sommes en pleine géométrie euclidienne, dans une société – avec ses mœurs, sa religion, ses classes sociales – d’un univers à deux dimensions peuplé de figures géométriques. La hiérarchie sociale est affaire de segmentation. Les formes les plus segmentées se rapprochent toujours plus du cercle, modèle inaccessible de perfection : les Soldats et les Ouvriers des Classes Inférieures sont des Triangles à deux côtés égaux et une base si courte « qu’ils forment au sommet un angle très aigu et très redoutable »[13]. Ils se distinguent difficilement des Femmes qui, étant des Lignes, sont les plus dangereuses. La Classe Moyenne se compose de Triangles Équilatéraux, et ainsi de suite, en montant sur l’échelle on passe des Carrés aux Nobles, avec les Hexagones, etc. ; les Polygones qui augmentent leurs côtés de génération en génération deviennent des Cercles, dans la classe Circulaire ou Ecclésiastiques.
Les quatre controverses qui concernent l’époque victorienne, l’évolution, l’industrialisation, ce qui a été appelé « The Woman Question » et l’identité de la Grande Bretagne en tant que pouvoir impérial se retrouvent dans le livre d’Edwin A. Abbott. La femme, par exemple a la forme d’une ligne et son implication quotidienne ne vise que la sphère privée, tandis que l’homme s’engage dans la sphère publique, celle des affaires, de beaucoup plus agitée. Le sentiment cède la place à la raison. L’émancipation de la femme est vue sous l’angle de la révolte provoquée par les couleurs. La division des classes et l’exploitation sous l’industrialisation sont elles aussi présentes. Nous ne faisons référence à ces aspects que pour souligner le fait que cette époque mouvementée a permis une plus grande audace et liberté au niveau de la réflexion et que le développement des sciences pouvait être envisagé -même de manière voilée-, sous la forme d’une satire, ou même d’une contre-utopie qui projette la perfection dans un ailleurs. Et ce n’est pas par hasard si, à la fin du livre, l’auteur nous laisse sur notre faim en imaginant le Pays de la Pensée, celui de la Quatrième Dimension[14].
Chaque dimension spatiale implique un certain nombre de sens dont l’existence est censée aider les personnages à se retrouver. Ainsi, les Flatlandais disposent de la vue, de l’ouïe et du toucher. Ces sens servent avant tout à l’identification : les femmes sont surtout distinguées par la voix (chap. 5). Quant à la vue, elle doit être soigneusement éduquée : il s’agit de la subtilité du pouvoir d’observation entraîné de sorte à distinguer, grâce au Brouillard, les objets qui se trouvent à distances différentes (chapitre 6).
Supposons que je voie approcher deux individus dont je désire déterminer le rang. Ce sont, par exemple, un Marchand et un Médecin, ou, autrement dit, un Triangle Équilatéral et un Pentagone (…) si je parviens à placer mon œil dans une position telle que mon regard puisse couper en deux parties égales l’un des angles (A) de l’étranger qui s’approche, mon rayon visuel passera, si je puis m’exprimer ainsi, exactement entre les deux côtés les plus proches de moi (CA et BA), de sorte que je les contemplerai tous deux impartialement et qu’ils m’apparaîtront de la même dimension. Mais que verrai-je dans le cas (1) du Marchand ? Je verrai une ligne droite DAE, dont le point médian (A), étant le plus proche de moi, sera le plus brillant ; toutefois, de part et d’autre de ce point, la ligne disparaîtra rapidement dans l’obscurité, parce que les côtés AC et AB disparaissent rapidement dans le brouillard et les points D et E qui sont à mes yeux les extrémités du Marchand seront très obscurs.
En revanche, dans le cas (2) du Médecin, quoique là aussi je voie une ligne D’A’E’) avec un point médian (A’) d’une grande brillance, cette ligne disparaîtra moins rapidement dans l’obscurité, par ce que les côtés (A’C’A’B’) disparaîtront moins rapidement dans le brouillard ; et les points D’E’ qui sont à mes yeux les extrémités du Médecin seront moins obscurs que les extrémités du Marchand[15]. (p. 37-39)
Nous nous trouvons devant une véritable leçon de géométrie euclidienne. Cette démonstration nous conduit vers le véritable but du « conteur », celui de nous familiariser au monde à trois dimensions. La Sphère explique au Carré : « Vous ne savez même pas ce que c’est que l’Espace. Vous le croyez formé de Deux Dimensions seulement ; mais je suis venu vous en annoncer une troisième : hauteur, largeur et longueur » [16].
…aux pays-ages à autres dimensions
La Sphère, qui est nommée L’Étranger dans la relation de cette conversation, peut tout voir dans l’espace à deux dimensions, même les entrailles des habitants, ce qui détermine le Carré à l’assimiler à une divinité. Il est bien normal, quand on explique des choses nouvelles, d’avoir comme point de départ les repères du monde d’origine, avec certaines de ses particularités. L’Étranger essaie d’expliquer la notion de hauteur à partir de la constitution d’une Ligne, à savoir d’une femme qui doit avoir, elle aussi, une certaine épaisseur. Il parle de Flatland comme d’une surface liquide sur laquelle bougent des habitants sans s’élever ou s’abaisser. Il explique également que dans sa constitution de sphère entre un nombre infini de cercles superposés[17].
Dans ses explications, la Sphère opère par la méthode de l’Analogie, tout comme le neveu du Carré dont l’intuition est dirigée vers cette troisième dimension. Les choses que les bidimensionnels appellent solides « sont en réalité superficielles » ce qu’ils nomment Espace n’est qu’une « Surface Plane ».
Une fois arrivée dans le monde à trois dimensions, la Sphère est appelée Guide, Compagnon, Maître, Prêtre, Philosophe, Ami, comme dans un texte utopique. Le Carré peut ensuite voir tout son monde, sa maison même, sa famille : « Voyez, je suis devenu semblable à Dieu. Car les sages de notre pays disent que voir toutes choses ou plutôt, pour reprendre leurs propres termes, être doué de visions est l’attribut de Dieu et de Lui seul »[18], constate notre Carré. La Sphère le détrompe : « […] le pire coupe-jarret ou le voleur à la tire de mon pays doit être adoré par vos sages à l’égal de Dieu ; car il en voit tout autant que vous à présent. Mais croyez-moi, vos sages se trompent »[19]. Par rapport au développement des sens, dans l’espace à trois dimensions la vue a besoin de lumière, d’ombre et de perspective.
On opère avec des raisonnements similaires en décrivant l’espace à une seule dimension, toujours sous forme de royaume, où l’ouïe est la plus importante, vu les possibilités réduites de déplacement de ses habitants (en avant et en arrière). Intéressante s’avère l’assimilation du monde du Pays de la Ligne à une Femme. Pour les habitants de ce pays, le monde bidimensionnel peut paraître utopique « “Je ne suis pas une Femme” […] Je suis le Monarque du monde. Mais d’où viens-tu, toi qui fais irruption à Lineland, mon royaume ? »[20]. Sortir de la Ligne signifie pour eux sortir de l’espace. Leur mouvement est en avant et en arrière, du Nord vers le Sud et vice-versa, le mouvement de droite à gauche ou de gauche à droite est inconcevable.
Par contre, le Monarque du non espace, le Pays du Point, débouche dans un soliloque quasi permanent et incontournable : « “Il remplit tout l’Espace, et ce qu’Il Remplit, Il est. Ce qu’Il pense, Il l’exprime ; et ce qu’Il exprime, Il l’entend. C’est Lui-même qui pense, qui exprime, qui entend, Lui qui est la Pensée, le Verbe, l’Ouïe ; Il est l’Unique, et cependant le Tout à l’intérieur du Tout. Ah, quelle joie, ah, quelle joie d’Être !” »[21].
Cette discussion sur les dimensions peut avoir une double signification. Il y a d’un côté l’organisation sociale, la tentative d’expliquer la manière de penser de la population sous l’influence du pays-age, tandis que de l’autre côté on reconnaît dans l’organisation de l’univers les règles de la relativité universelle. Dans ces conditions la réalité est tout à fait relative, elle est créée par l’espace et le temps du moment.
Implications
Par la réflexion de l’Hexagone, Petit-Fils du Carré qui imagine la géométrie à trois dimensions : « […] Si un Point, en parcourant trois pouces, forme une Ligne de trois pouces représentée par 3 ; si une Ligne droite de trois pouces, en se déplaçant parallèlement à elle-même, forme un Carré ayant trois pouces de côté, et représenté par 32 ; il s’ensuit qu’un Carré ayant trois pouces de côté, en se mouvant parallèlement à lui-même (mais je ne vois pas comment) doit former quelque chose d’autre (mais je ne vois pas quoi) qui aura trois pouces de côté… et sera représenté par 33. » nous pouvons passer aux trois autres livres.
Dans sa tentative d’expliquer l’existence de plusieurs dimensions telles qu’elles ressortent de son huitième chapitre, Brian Greene[22] l’auteur de l’Univers élégant exemplifie par le livre d’Edwin A. Abbott qu’il qualifie de merveilleux classique de la vulgarisation. Car les physiciens entrainent bien souvent leur imagination en analysant la possibilité de vivre dans un univers à moins de trois dimensions ce qui peut les aider par le suite à comprendre l’univers à plusieurs dimensions.
Brian Greene nous invite donc à imaginer un Pays Linéaire appelé Filterre, où même pas la fourmi n’aurait de place, même pas le ver qui devrait renoncer à son épaisseur pour se transformer en simple ligne n’ayant que longueur. Les possibilités de déplacement dans le monde linéaire sont en avant et en arrière, nos yeux se dirigeraient dans un espace unidimensionnel. On ne pourrait voir que l’œil du voisin (un œil étant placé à chaque extrémité du corps), celui-là encore sous forme de point. L’ordre des créatures linéaires est fixe, elles restent en permanence sur place. Cet « esclavage spatial », pourrait être dépassé par la découverte de la deuxième dimension qui permettrait la liberté de déplacement de ces lignes, etc. L’acception de l’existence d’un espace à plus de quatre dimensions vient, en 1984, une centaine d’années après la première édition de Flatland, avec la découverte de la théorie des cordes.
Il s’agit d’une théorie mathématique qui unifie de manière consistante la gravitation à la mécanique quantique[23]. La physique des particules dans la mécanique quantique n’accordait pas d’importance à la gravitation, la force la plus familière de la vie quotidienne, ce qui résout le problème incompatible entre la mécanique quantique et la théorie générale de la relativité à condition que l’univers soit constitué de dimensions supplémentaires[24]. Sur une surface plane, une corde vibre en deux directions ; en la quittant, elle prendra une troisième direction… pour arriver à la conclusion qu’il y aurait six autres directions enroulées sur elles-mêmes, donc neuf dimensions spatiales ; ou bien « neuf dimensions spatiales et une dimension temporelle, soit dix dimensions en tout » ; ou même « dix dimensions spatiales et une de temps, soit onze dimensions en tout »[25].
Cette découverte n’est pas sans rapport avec la découverte-démonstration faite par Horia-Patapievici dans Les yeux de Béatrice. Comment était en réalité le monde de Dante. Ainsi, le monde de Dante, tel qu’il apparaît aux confins du XIIIe siècle avec le XIVe est en grande mesure l’image de l’univers d’aujourd’hui. Dans sa Divine Comédie, en toute honnêteté, Dante essaie de concilier la conception grecque de l’univers avec la conception chrétienne. Pour les Grecs, la figure géométrique parfaite était la sphère, l’univers se présentant comme une succession de sphères concentriques, avec la Terre au milieu[26]. Il y a d’après, cette catégorisation, le Ciel de la Lune, de Mercure, de Vénus, du Soleil, de Mars, de Jupiter, de Saturne, le Primum Mobile (le Ciel cristallin) et l’Empirée donc 10 ou 11 sphères concentriques en tout. À côté de la césure cosmologique des Grecs, celle entre le monde sublunaire et le monde céleste (tout le monde grec était visible et corporel), le monde chrétien introduit deux autres césures, celles entre le visible et l’invisible (corporel et incorporel), respectivement entre le créé et l’incréé (créature et Créateur)[27].
Par Dante, on passe de la géométrie plane à la géométrie sphérique l’explication de l’univers apparaissant dans les chants XXVII-XXVIII du Paradis. On apprend que l’Empirée, à savoir le monde invisible et incorporel a une structure de cercles concentriques comparable du point de vue de la configuration géométrique avec la structure des neuf cercles qui constituent le monde visible et corporel. Mais cette correspondance de configuration est inversée du point de vue du centre et de la cinétique si bien que les dimensions du monde visible représentent le renversement des dimensions du monde invisible : la concavité de l’un passe dans la convexité de l’autre.
L’image que H.-R. Patapievici présente pour nous aider à mieux comprendre est la suivante : imaginons que nous vivons dans un monde de la forme d’une petite bulle qui voudrait dire que l’espace est courbe. Si je tendais la main en avant et la sphère était toute petite, ma main toucherait ma nuque. Dans un monde pareil, un homme me tournerait toujours le dos et cet homme ne serait autre que moi-même. Peu importe si l’espace est sphérique ou pas, si je regarde devant moi, la situation que je vois ne m’est pas contemporaine, elle aura eu lieu dans le passé ; si l’espace est suffisamment courbé, je verrais, par exemple, ma nuque de ce matin, non pas celle de ce moment ; ce qui veut dire que lorsque nous regardons le ciel, nous ne voyons pas le présent mais le passé des situations des étoiles. À la rigueur, la limite de visibilité du ciel devrait être l’origine de l’univers[28]. Le paysage, le monde, est le créé tandis que le Créateur est la source de la création, l’incréé, l’absolu[29]. Toute création contient son créateur. Par les traces qu’il laisse, sa présence est de la nature de l’évidence mais on ne sait pas avec précision comment, de quelle manière il est présent dans sa création, ce qui nous renvoie au principe anthropique dont parle L. Susskind, cette fois avec des arguments scientifiques. La vision du monde médiéval était en même temps religieuse, donc cohérente, et scientifique[30]. Pour nous, l’univers est étranger et scientifique[31]. Cependant, les scientifiques ont des moments d’enthousiasme, comme dans le cas de la théorie des cordes qui s’applique tant aux grands objets qu’aux petits objets ; elle incorpore la gravitation et la mécanique quantique[32]. Elle peut se constituer en principe suprême de l’élégance car le nombre d’équations trouvées pour elle est zéro jusqu’à présent remarque L. Susskind pour rigoler[33]. Ce qui veut dire qu’il s’agit de problèmes qui dépassent notre capacité d’expérimentation directe et qui intéressent avant tout les physiciens théoriciens[34]. Mais par la théorie des cordes et son évolution vers la théorie M est finalement apparu un cadre convaincant qui allie la mécanique quantique, la théorie générale de la relativité, les forces fortes, faibles et électromagnétiques. Le paysage envisagé est fantastique ou utopique : des boucles de cordes et des boucles oscillantes qui unifient toute la création par des modalités de vibration dans un univers qui peut subir des déformations violentes où la texture spatiale se rompt pour se réparer toute seule ensuite. La notion d’espace et de temps pourrait perdre sa place. « […] notre Univers n’était peut-être qu’une des innombrables bulles d’écume de la surface d’un vaste océan cosmique, houleux, baptisé du nom de multiunivers »[35]. Ceci représente une des dernières spéculations qui pourraient présager « la prochaine avancée de notre compréhension de l’Univers »[36] et que nous pourrions envisager à partir des espaces ou formes nommés Calabi-Yau d’après les noms de deux mathématiciens dont les recherches ont contribué à leur compréhension[37]. Toute forme Calabi-Yau peut se transformer en une autre forme. Notre univers serait finalement une forme Calabi-Yau résultée du big-bang, après le refroidissement de l’univers et l’extension des dimensions spatiales possibles. De toutes ces dimensions, trois sont plus étendues tandis que les autres sont minuscules et enroulées. Dans une perspective cosmique, toutes les dimensions[38] ont pour point de départ une étape initiale quand elles sont étroitement enroulées ; après une explosion comme le big-bang trois s’étendent aux dimensions actuelles tandis que les autres restent toutes petites. La géométrie des dimensions supplémentaires appelée, géométrie non commutative[39] « détermine des attributs physiques fondamentaux, comme les masses et les charges des particules que l’on observe dans les trois dimensions habituelles de notre expérience quotidienne[40]. Nous reproduisons en bas deux espaces ou formes Calabi-Yau découvertes sur Internet.
Ces quelques exemples venant de plusieurs domaines de la connaissance peuvent illustrer cette permanente utopie dans laquelle nous vivons à l’époque moderne. Elle s’explique par le besoin de l’être humain d’inventer ou de découvrir de nouveaux pays-ages dans sa permanente quête de la perfection… il est vrai que l’oubli s’installe parfois, comme il arrive à notre personnage flatlandais, emprisonné et vieilli dans un milieu hostile, de plus en plus habité par l’incertitude. Dans le cas des scientifiques, conscients de l’évolution permanente des idées[41], l’incertitude devient le moteur de la découverte.
Laissons le Carré, Einstein et Basarab Nicolescu donner leur avis :
« Je vois là […] l’application d’une grande loi commune à tout l’univers : tandis que la sagesse de l’homme croit œuvrer à un objectif, la sagesse de la Nature le contraint à travailler dans un autre but, très différent et meilleur »[42].
« […] la chose la plus compréhensible au sujet de l’Univers c’est qu’il est incompréhensible »[43].
« La différence entre l’homme terrestre et l’homme cosmique est aussi grande que celle entre le singe et l’homme. C’est pourquoi chaque pays devrait créer un ministère des Affaires cosmiques dirigé par des poètes »[44].
Repères bibliographiques :
Abbott, Edwin A., Flatland, Etext version transcribed by Aloysius West, 1884, 2001, http://www.alcyone.com/max/lit/flatland/.
Version en français, Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits », http://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits, mai 2005.
Collot, Michel (dir.), Les enjeux du paysage, Ousia, « Recueil », 1997.
Greene, Brian, L’Univers élégant. Une révolution scientifique de l’infiniment grand à l’infinimnt petit, l’unification de toutes les théories de la physique, traduit de l’américain par Céline Laroche, Préface de Trinh Xuan Thuan, Editions Robert Laffont, 2000, Gallimard, 2006, coll. Folio Essais.
Universul elegant. Supercorzi, dimensiuni ascunse şi căutarea teoriei ultime. Traduction de l’anglais par Dragoș Anghel şi Anamirela-Paula Anghel, (The Elegant Universe, 1999, 2003), Bucureşti, Humanitas, 2011.
Nicolescu, Basarab, Théorèmes poétiques, Préface de Michel Camus, Editions du Rocher, Jean-Paul Bertrand Editeur, 1994.
Patapievici, Horia-Roman, Ochii Beatricei. Cum arăta cu adevărat lumea lui Dante?, Humanitas, 2004.
Susskind, Leonard, Peisajul cosmic. Teoria corzilor şi iluzia unui plan inteligent. Traduction de l’anglais par Irinel Caprini (The Cosmic Landscape. String Theory and the Illusion of Intelligent Design, 2006), Bucureşti, Humanitas, 2012.
Notes
[1] Michel Collot, « Présentation », in Les enjeux du paysage, Michel Collot, Éd., Ousia, « Recueil », 1997, p. 3.
[2] Michel Collot, « La notion de paysage dans la critique thématique », in M. Collot (dir.), Les enjeux du paysage, fabyanaa.chez.com/Paysage_Carole.doc, résumé du livre p. 11.
[3] Ibid., p. 11.
[4] Ibid., p. 11.
[5] Susskind, Leonard, Peisajul cosmic. Teoria corzilor şi iluzia unui plan inteligent. Traducere din limba engleză de Irinel Caprini, Bucureşti, Humanitas, 2012, p. 21-22.
[6] Ibid., p. 133.
[7] Ibid., p. 135.
[8] Ibid., p. 136.
[9] Cf. http://www.noosfere.org/icarus/livres/niourf.asp?numlivre=-319677, consulté le 22.03.2013.
[10] La traduction d’Elisabeth Gille, en 1968, chez Denoël, dans la collection « Présence du futur », a été suivie par deux rééditions, en 1984 et 1998. Une autre édition, celle d’Anatolia, en 1996, est suivie par celle de l’UGE (Union Générale d’Éditions), coll. 10/18 – Domaine étranger n° 3134, 1999 dans la traduction de Philippe Blanchard. La dernière édition, toujours dans la traduction de Philippe Blanchard date de 2012, chez Zones sensibles. Pour ce qui est de la période de 1984 à 1986, qualifiée de « première révolution des supercordes », c’est Brian Greene qui en parle dans L’Univers élégant, tout en soulignant le fait que, dans l’intervalle mentionné, « des physiciens du monde entier ont publié, en tout, plus d’un millier d’articles de recherche sur la théorie des cordes ».
[11] Edwin A. Abbott, Flatland, Zones sensibles, 2012, p. 3.
[12] Edwin A. Abbott, Flatland, Version en français, Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits », http://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits, mai 2005, p. 4. C’est la version utilisée pour notre analyse.
[13] Ibid., p. 18.
[14] La section intitulée « Victorian Issues » in The Norton Anthology of English Literature (NAEL 8, 2.1538–1606), http://www.wwnorton.com/college/english/nael/victorian/, consulté le 24.03.2013.
[15] Edwin A. Abbott, Flatland, p. 37-39. Le figures sont elles aussi reproduites, elles appartiennent à l’auteur.
[16] Ibid., Chap. 15, p. 96, la rencontre avec le représentant de Spaceland qui introduit la notion de hauteur et de solidité, de masse en termes de physique.
[17] Ibid., le dessin de l’auteur, p. 98.
[18] Ibid., p. 108-109.
[19] Ibid., p. 109.
[20] Ibid., p. 75, de même que pour le dessin (chap. 13-14).
[21]\ Ibid., p. 123.
[22] Brian Greene, L’Univers élégant. Une révolution scientifique de l’infiniment grand à l’infiniment petit, l’unification de toutes les théories de la physique, traduit de l’américain par Céline Laroche, Préface de Trinh Xuan Thuan, Robert Laffont, 2000, Gallimard, 2006, coll. Folio Essais, p. 307 et suivantes.
[23] Leonard Susskind, Peisajul cosmic. Teoria corzilor şi iluzia unui plan inteligent. Traduction de l’anglais par Irinel Caprini (The Cosmic Landscape. String Theory and the Illusion of Intelligent Design, 2006), Bucureşti, Humanitas, 2012, p. 21-22, 148.
[24] Brian Greene, L’Univers, op. cit., p. 321.
[25] Ibid., p. 323, 324.
[26] Horia-Roman Patapievici, Ochii Beatricei. Cum arăta cu adevărat lumea lui Dante?, Humanitas, 2004, p. 19.
[27] Ibid., p. 26.
[28] Ibid., p. 93.
[29] Ibid., p. 7.
[30] Parallèle avec l’utopie, cet idéal d’un monde parfait nous dirige vers la hiérarchisation des figures géométriques dans Flatland, hiérarchisation qui, en quelque sorte, peut être rapprochée de la vision de St. Augustin sur la construction géométrique du monde. Depuis St Augustin et son De Trinitate, la nature est considérée comme un ensemble de signes interprétables, comme un livre ou un miroir qui permettent d’entrer dans le mystère divin. La littérature est parcourue par la célébration de la beauté du monde, signe implicite de la perfection divine. La fonction du Beau n’est pas tant d’émouvoir que de retrouver en l’homme, grâce aux arts, l’harmonie fondamentale de l’univers. Il s’agit d’un ordre musical, les choses devant s’accorder entre elles selon des justes proportions. La représentation idéale du monde terrestre et divin se retrouve dans des formes géométriques simples, telles le cercle et le carré chaque forme géométrique ayant un correspondant au niveau des Nombres. Ainsi, le 1 est le chiffre parfait ayant comme correspondant le cercle ou le demi-cercle qui représente un « simple ondoiement pour le passage de la terre au ciel ». Le 3, figuré par le triangle, symbolise la Trinité tandis que le 4, figuré par le carré, est le chiffre de la terre. Le premier paysage, celui du cloître, est carré avec une fontaine circulaire ou un puits au milieu. (Françoise Ferrand, « Le paysage dans la littérature médiévale des XII et XIIIe siècles », in Les enjeux du paysage, op. cit., résumé, fabyanaa.chez.com/Paysage_Carole.doc, p. 3-4.
[31] Les Grecs ne faisaient pas de distinction entre mathématiques et physique. Ils croyaient que le ciel était conçu d’un ensemble de couches élégantes en cristal, parfaitement transparentes, parfaitement rondes qui bougent avec la précision d’une montre. La géométrie euclidienne était parfaite : la somme des angles d’un triangle comporte 180 degrés et le cercle est la figure parfaite, une totale symétrie, chaque point du cercle étant situé à distance égale du centre (L. Susskind, Peisajul, op. cit. p. 142)
[32] B. Greene, L’Univers, op. cit., p. 334.
[33] L. Susskind, Peisajul, op. cit., p. 148.
[34] B. Greene, L’Univers, op. cit., p. 339-340.
[35] Ibid., p. 601.
[36] Ibid., p. 601.
[37] Ibid., p. 330.
[38] Explication de la validité des trois dimensions, Ibid., p. 557-558.
[39] Développée par le Français Alain Connes ; cf. Ibid., p. 589.
[40] Ibid., p. 328.
[41] Comme Edward Witten, considéré le successeur d’Einstein, le plus grand physicien en vie (Ibid., p. 292).
[42] Edwin A. Abbott, op. cit., p. 9.
[43] B. Greene, op. cit., p. 598, reproduit cette réflexion citée par par Banesh Hoffman et Helen Dukas, in Albert Einstein, Creator and Rebel, New York, Viking, 1972, p. 18.
[44] Basarab Nicolescu, VI, « La poétique quantique », 59, in Théorèmes poétiques, Préface de Michel Camus, Editions du Rocher, Jean-Paul Bertrand Editeur, 1994, p. 144.
Rodica Gabriela Chira
Université 1 Decembrie 1819, Alba Iulia, Roumanie
rogabchira@yahoo.fr
Le ciel, territoire des utopies à l’époque moderne /
The Sky: A Space of Utopia in Modern Times
Abstract: The perception of the landscape that cannot be seen outside of its cultural dimension, of the encounter of man with nature through culture, applies in equal measure to various areas of science. The theory of relativity, quantum mechanics and the string theory – the latter constituting the binding of the other two as in the case of the culture – tell us that space and time are not only influenced by the state of motion of the observer, but can also deform and bend in response to the presence of matter and energy creating incredible landscapes. Thus, more or less utopian landscapes, be they literary or scientific, relating to space dimensions meet via the intermediary of several texts by Edwin A. Abbott (1884), Brian Greene (1999), Leonard Susskind (2006), or Horia-Roman Patapievici (2004).
Keywords: Edwin A. Abbott; Culture Dimensions Landscape; Quantum Physics; Utopia.
« Le paysage est un carrefour où se rencontrent des éléments venus de la culture, de la géographie et de l’histoire, de l’intérieur et de l’extérieur, de l’individu et de la collectivité, du réel et du symbolique[1]. » En littérature, associée à la critique thématique, la notion de paysage, « intimement liée à la sensibilité de l’écrivain », désigne « une certaine image du monde », aussi bien qu’une « image du moi et une construction de mots[2] ». Le paysage se présente comme une configuration du « pays », le suffixe –age connotant « l’appréhension globale d’un ensemble[3] ». Ce premier devient ainsi une certaine mise en forme du pays qui permet de le saisir comme un ensemble. Il devient non pas le pays réel mais le pays perçu du point de vue d’un sujet. Il n’appartient pas à la réalité objective, mais à une perception irréductiblement subjective. En tant qu’espace perçu, le paysage est toujours une construction de la réalité, unissant indissociablement des données objectives et le point de vue d’un sujet. Une description réaliste s’attachera à détailler les composantes objectives d’un paysage tandis que la description subjective aura tendance à les embellir ou à les enlaidir en fonction de la personnalité du sujet[4].
Pour le physicien Leonard Susskind[5], « le paysage » est un terme inventé dans le but de décrire tout le domaine des espaces théoriques. Il est l’espace des possibilités – la représentation schématique de toutes les ambiances, de toutes les possibilités envisagées par la théorie. En dépit de la rigueur extrême supposée par les sciences exactes, cette théorie est toujours en rapport avec l’époque historique qui la lance et la développe ; il peut donc s’ensuivre que chaque époque historique a son degré de subjectivité. De même, les lois de la physique peuvent être comparées à la météo : elles sont contrôlées par des influences invisibles de l’espace presque de la même manière dont la température, l’humidité, la pression de l’air et la vitesse du vent contrôlent la manière dans laquelle se forment la pluie, la neige ou la grêle. En physique, les influences invisibles sont appelées champs. Quelques-uns, comme le champ magnétique, sont bien connus ; d’autres sont moins familiers, même pour les physiciens. Mais ils existent, ils remplissent l’espace et contrôlent le comportement des particules élémentaires.
Tout comme le pays-age littéraire, celui de la physique, et surtout de la physique théorique, n’est pas exempt du sens du beau, de l’élégance, de l’unicité, il est même vu par L. Susskind comme le plus beau, le plus élégant de tous les domaines des sciences[6] : « Ce qui n’est pas absolument nécessaire n’est pas élégant[7]. » Une théorie élégante doit être exprimée en un nombre réduit d’équations, chacune d’entre elles étant représentée de manière très simple par écrit. Ainsi, la théorie de la relativité générale est élégante car elle prédit beaucoup partant de très peu.
Le paysage idéal en physique est le résultat d’une combinaison d’élégance, d’unicité et la capacité de répondre à toutes les questions qui peuvent avoir une réponse. C’est ce qui constitue la beauté d’une théorie. Pour être unique, une théorie doit répondre à deux exigences majeures : ne pas présenter des incertitudes quant à ses conséquences d’une part, créer le sentiment que c’est la seule possible pour tout d’autre part. Aucune théorie conçue jusqu’à présent ne se situe au niveau de ces critères. À l’exception de la théorie finale de la nature, il n’y a pas de théorie qui puisse être parfaite comme beauté[8].
Cette introduction très succinte nous permet d’inférer que, même dans le domaine des sciences exactes, les spécialistes sont à la recherche d’un modèle idéal qui est deviné mais non pas atteint ou bien, s’il donne une illusion temporaire, il peut s’enfuir vite après comme une image morganatique. En ceci, les desseins des physiciens peuvent être assimilés à ceux des écrivains qui, plongés dans le présent avec un esprit critique et mécontents de telle ou telle organisation politique ou sociale, envisagent un non lieu, un non espace théoriques, où le temps même pourrait s’écouler différemment. Parfois, les idéaux des scientifiques peuvent rencontrer ceux des écrivains et vice versa. C’est le cas des auteurs à penchant interdisciplinaire, les plus avisés à faire les connexions entre les différents domaines de la connaissance. C’est vers quelques uns d’entre eux que cette démarche se dirige, notamment vers Edwin A. Abbott avec son Flatland (1884) et vers trois autres livres dont deux ont comme auteurs des physiciens théoriciens consacrés qui s’adressent au lecteurs non spécialistes – Leonard Susskind, déjà cité, avec Le paysage cosmique . La théorie des cordes et l’illusion d’un plan intelligent (2006) et Edward Greene avec L’univers élégant. Supercordes, dimensions cachées et la recherche de la théorie finale (1999, 2003). Le troisième livre, Les yeux de Béatrice. Comment était en réalité le monde de Dante (2004), appartenant à Horia Roman Patapievici, physicien à l’origine, qui se déclare chercheur privé dans l’histoire des idées, nous « plonge » dans un autre texte, la Divine Comédie de Dante, plus exactement dans le « Paradis ».
Par la confrontation de plusieurs types d’espaces nous sommes à la recherche de l’espace idéal, du « pays-age » idéal, celui capable de donner la réponse à toutes les questions essentielles qui visent la découverte de la vérité, porteuse, comme il s’ensuit, de bonheur.
Du pays-age bidimensionnel
Même s’il n’a pas été ignoré, A Romance of Many Dimensions – Flatland. Fantaisie en plusieurs dimensions (1884) d’Edwin A. Abbott n’a pas obtenu un grand succès immédiatement après sa publication. Si bien que, dans le Dictionary on National Biography, dans l’entrée réservée à l’auteur en question, le roman n’est même pas mentionné. Longtemps ignoré en France, ce « classique inclassable »[9] a connu sa première traduction en 1968, il a été réédité en 1984 cent ans à peine après son apparition en Angleterre, date qui coïncide avec la « première révolution des supercordes »[10]. Le roman est catalogué comme nouvelle satirique, allégorie, uchronie scientifique (« en quelque sorte »), conte philosophique et scientifique. Ses dimensions contre-utopique et utopique sont également présentes.
Le livre a une structure complexe. La première partie, une description approfondie du Pays Plat, avec son organisation politique et sociale, ses institutions, sa religion, son fonctionnement, se constitue en contre-utopie seulement au moment où nous arrivons à la deuxième partie qui va à la découverte de Spaceland, réalisée de manière progressive, le personnage principal y étant préparé progressivement. Il prend ainsi contact en rêve avec le Pays de la Ligne, avec le Pays du Point ensuite. Deux sociétés au moins, situées dans un univers non localisé, ayant comme encadrement temporel l’an 1999, au passage d’un millénaire à l’autre, sont décrites dans Flatland. L’une est supérieure à l’autre, cependant elle aussi imparfaite et idéale en même temps pour notre voyageur. Les traits d’une narration utopique et contre-utopique s’y retrouvent entre autres en cela que le livre est sous forme de mémoires. Dans la préface révisée de la deuxième édition anglaise (1884), l’éditeur, habitant de l’espace à trois dimensions se fait le porte-parole de l’auteur, habitant de l’espace à deux dimensions : il transmet le texte à la postérité. Par un concours de circonstances, notre personnage-auteur, le Carré, a accès à des mondes différents du sien. Il voyage dans ces espaces soit en rêve – comme dans le cas de l’espace à une seule dimension – soit par le biais de la Sphère qui l’entraîne dans l’espace à trois dimensions, si bien qu’il parvient à voir, à étudier son propre monde de l’extérieur pour y revenir comme un étranger car ses idées sont devenues révolutionnaires. L’idée d’altérité, de morale, de beauté, de valeur des théories scientifiques sont mises en parallèle avec un certain type d’organisation sociale. L’invitation de Ray Bradbury figurant sur l’édition française de Flatland (2012) en est édifiante : « Faites-vous aussi plat qu’une crêpe et glissez-vous dans ce livre, vous en ressortirez avec une fabuleuse conceptualisation de nos mœurs, de nos faiblesses et de nos chauvinismes, réalisés toutefois par le biais d’une métaphore indolore et par conséquent stimulante. “Flatland vous attend”, la fête commencera, ami lecteur, dès que vous aurez tourné la première page du livre »[11]. Cette métaphore est présente dès la dédicace :
Aux / Habitants de l’ESPACE EN GÉNÉRAL /Et à H.C. EN PARTICULIER /Cet Ouvrage est Dédié /Par un Humble Natif de Flatland /Dans l’Espoir que /Comme lui-même fut initié aux Mystères /DES TROIS Dimensions /N’en ayant jusqu’alors connues /QUE DEUX /De même les Citoyens de cette Céleste Région /Puissent s’élever encore plus haut /Jusqu’aux Arcanes des QUATRE, CINQ /ou même SIX Dimensions /Contribuant ainsi /À repousser les frontières de L’IMAGINATION, /Et peut-être à Développer /Parmi les Races Supérieures /DE L’HUMANITE À TROIS Dimensions /Le très rare et très excellent don de MODESTIE[12].
Tout y est contenu, en effet. C’est la force de l’imagination qui nous pousse vers la connaissance, mais cette connaissance, jamais complète, toujours tendant vers un idéal, doit nous rendre encore plus modestes ayant toujours en vue le rapport entre le microcosme que nous représentons et le macrocosme qui nous comprend.
Par le biais de Flatland, nous sommes en pleine géométrie euclidienne, dans une société – avec ses mœurs, sa religion, ses classes sociales – d’un univers à deux dimensions peuplé de figures géométriques. La hiérarchie sociale est affaire de segmentation. Les formes les plus segmentées se rapprochent toujours plus du cercle, modèle inaccessible de perfection : les Soldats et les Ouvriers des Classes Inférieures sont des Triangles à deux côtés égaux et une base si courte « qu’ils forment au sommet un angle très aigu et très redoutable »[13]. Ils se distinguent difficilement des Femmes qui, étant des Lignes, sont les plus dangereuses. La Classe Moyenne se compose de Triangles Équilatéraux, et ainsi de suite, en montant sur l’échelle on passe des Carrés aux Nobles, avec les Hexagones, etc. ; les Polygones qui augmentent leurs côtés de génération en génération deviennent des Cercles, dans la classe Circulaire ou Ecclésiastiques.
Les quatre controverses qui concernent l’époque victorienne, l’évolution, l’industrialisation, ce qui a été appelé « The Woman Question » et l’identité de la Grande Bretagne en tant que pouvoir impérial se retrouvent dans le livre d’Edwin A. Abbott. La femme, par exemple a la forme d’une ligne et son implication quotidienne ne vise que la sphère privée, tandis que l’homme s’engage dans la sphère publique, celle des affaires, de beaucoup plus agitée. Le sentiment cède la place à la raison. L’émancipation de la femme est vue sous l’angle de la révolte provoquée par les couleurs. La division des classes et l’exploitation sous l’industrialisation sont elles aussi présentes. Nous ne faisons référence à ces aspects que pour souligner le fait que cette époque mouvementée a permis une plus grande audace et liberté au niveau de la réflexion et que le développement des sciences pouvait être envisagé -même de manière voilée-, sous la forme d’une satire, ou même d’une contre-utopie qui projette la perfection dans un ailleurs. Et ce n’est pas par hasard si, à la fin du livre, l’auteur nous laisse sur notre faim en imaginant le Pays de la Pensée, celui de la Quatrième Dimension[14].
Chaque dimension spatiale implique un certain nombre de sens dont l’existence est censée aider les personnages à se retrouver. Ainsi, les Flatlandais disposent de la vue, de l’ouïe et du toucher. Ces sens servent avant tout à l’identification : les femmes sont surtout distinguées par la voix (chap. 5). Quant à la vue, elle doit être soigneusement éduquée : il s’agit de la subtilité du pouvoir d’observation entraîné de sorte à distinguer, grâce au Brouillard, les objets qui se trouvent à distances différentes (chapitre 6).
Supposons que je voie approcher deux individus dont je désire déterminer le rang. Ce sont, par exemple, un Marchand et un Médecin, ou, autrement dit, un Triangle Équilatéral et un Pentagone (…) si je parviens à placer mon œil dans une position telle que mon regard puisse couper en deux parties égales l’un des angles (A) de l’étranger qui s’approche, mon rayon visuel passera, si je puis m’exprimer ainsi, exactement entre les deux côtés les plus proches de moi (CA et BA), de sorte que je les contemplerai tous deux impartialement et qu’ils m’apparaîtront de la même dimension. Mais que verrai-je dans le cas (1) du Marchand ? Je verrai une ligne droite DAE, dont le point médian (A), étant le plus proche de moi, sera le plus brillant ; toutefois, de part et d’autre de ce point, la ligne disparaîtra rapidement dans l’obscurité, parce que les côtés AC et AB disparaissent rapidement dans le brouillard et les points D et E qui sont à mes yeux les extrémités du Marchand seront très obscurs.
En revanche, dans le cas (2) du Médecin, quoique là aussi je voie une ligne D’A’E’) avec un point médian (A’) d’une grande brillance, cette ligne disparaîtra moins rapidement dans l’obscurité, par ce que les côtés (A’C’A’B’) disparaîtront moins rapidement dans le brouillard ; et les points D’E’ qui sont à mes yeux les extrémités du Médecin seront moins obscurs que les extrémités du Marchand[15]. (p. 37-39)
Nous nous trouvons devant une véritable leçon de géométrie euclidienne. Cette démonstration nous conduit vers le véritable but du « conteur », celui de nous familiariser au monde à trois dimensions. La Sphère explique au Carré : « Vous ne savez même pas ce que c’est que l’Espace. Vous le croyez formé de Deux Dimensions seulement ; mais je suis venu vous en annoncer une troisième : hauteur, largeur et longueur » [16].
…aux pays-ages à autres dimensions
La Sphère, qui est nommée L’Étranger dans la relation de cette conversation, peut tout voir dans l’espace à deux dimensions, même les entrailles des habitants, ce qui détermine le Carré à l’assimiler à une divinité. Il est bien normal, quand on explique des choses nouvelles, d’avoir comme point de départ les repères du monde d’origine, avec certaines de ses particularités. L’Étranger essaie d’expliquer la notion de hauteur à partir de la constitution d’une Ligne, à savoir d’une femme qui doit avoir, elle aussi, une certaine épaisseur. Il parle de Flatland comme d’une surface liquide sur laquelle bougent des habitants sans s’élever ou s’abaisser. Il explique également que dans sa constitution de sphère entre un nombre infini de cercles superposés[17].
Dans ses explications, la Sphère opère par la méthode de l’Analogie, tout comme le neveu du Carré dont l’intuition est dirigée vers cette troisième dimension. Les choses que les bidimensionnels appellent solides « sont en réalité superficielles » ce qu’ils nomment Espace n’est qu’une « Surface Plane ».
Une fois arrivée dans le monde à trois dimensions, la Sphère est appelée Guide, Compagnon, Maître, Prêtre, Philosophe, Ami, comme dans un texte utopique. Le Carré peut ensuite voir tout son monde, sa maison même, sa famille : « Voyez, je suis devenu semblable à Dieu. Car les sages de notre pays disent que voir toutes choses ou plutôt, pour reprendre leurs propres termes, être doué de visions est l’attribut de Dieu et de Lui seul »[18], constate notre Carré. La Sphère le détrompe : « […] le pire coupe-jarret ou le voleur à la tire de mon pays doit être adoré par vos sages à l’égal de Dieu ; car il en voit tout autant que vous à présent. Mais croyez-moi, vos sages se trompent »[19]. Par rapport au développement des sens, dans l’espace à trois dimensions la vue a besoin de lumière, d’ombre et de perspective.
On opère avec des raisonnements similaires en décrivant l’espace à une seule dimension, toujours sous forme de royaume, où l’ouïe est la plus importante, vu les possibilités réduites de déplacement de ses habitants (en avant et en arrière). Intéressante s’avère l’assimilation du monde du Pays de la Ligne à une Femme. Pour les habitants de ce pays, le monde bidimensionnel peut paraître utopique « “Je ne suis pas une Femme” […] Je suis le Monarque du monde. Mais d’où viens-tu, toi qui fais irruption à Lineland, mon royaume ? »[20]. Sortir de la Ligne signifie pour eux sortir de l’espace. Leur mouvement est en avant et en arrière, du Nord vers le Sud et vice-versa, le mouvement de droite à gauche ou de gauche à droite est inconcevable.
Par contre, le Monarque du non espace, le Pays du Point, débouche dans un soliloque quasi permanent et incontournable : « “Il remplit tout l’Espace, et ce qu’Il Remplit, Il est. Ce qu’Il pense, Il l’exprime ; et ce qu’Il exprime, Il l’entend. C’est Lui-même qui pense, qui exprime, qui entend, Lui qui est la Pensée, le Verbe, l’Ouïe ; Il est l’Unique, et cependant le Tout à l’intérieur du Tout. Ah, quelle joie, ah, quelle joie d’Être !” »[21].
Cette discussion sur les dimensions peut avoir une double signification. Il y a d’un côté l’organisation sociale, la tentative d’expliquer la manière de penser de la population sous l’influence du pays-age, tandis que de l’autre côté on reconnaît dans l’organisation de l’univers les règles de la relativité universelle. Dans ces conditions la réalité est tout à fait relative, elle est créée par l’espace et le temps du moment.
Implications
Par la réflexion de l’Hexagone, Petit-Fils du Carré qui imagine la géométrie à trois dimensions : « […] Si un Point, en parcourant trois pouces, forme une Ligne de trois pouces représentée par 3 ; si une Ligne droite de trois pouces, en se déplaçant parallèlement à elle-même, forme un Carré ayant trois pouces de côté, et représenté par 32 ; il s’ensuit qu’un Carré ayant trois pouces de côté, en se mouvant parallèlement à lui-même (mais je ne vois pas comment) doit former quelque chose d’autre (mais je ne vois pas quoi) qui aura trois pouces de côté… et sera représenté par 33. » nous pouvons passer aux trois autres livres.
Dans sa tentative d’expliquer l’existence de plusieurs dimensions telles qu’elles ressortent de son huitième chapitre, Brian Greene[22] l’auteur de l’Univers élégant exemplifie par le livre d’Edwin A. Abbott qu’il qualifie de merveilleux classique de la vulgarisation. Car les physiciens entrainent bien souvent leur imagination en analysant la possibilité de vivre dans un univers à moins de trois dimensions ce qui peut les aider par le suite à comprendre l’univers à plusieurs dimensions.
Brian Greene nous invite donc à imaginer un Pays Linéaire appelé Filterre, où même pas la fourmi n’aurait de place, même pas le ver qui devrait renoncer à son épaisseur pour se transformer en simple ligne n’ayant que longueur. Les possibilités de déplacement dans le monde linéaire sont en avant et en arrière, nos yeux se dirigeraient dans un espace unidimensionnel. On ne pourrait voir que l’œil du voisin (un œil étant placé à chaque extrémité du corps), celui-là encore sous forme de point. L’ordre des créatures linéaires est fixe, elles restent en permanence sur place. Cet « esclavage spatial », pourrait être dépassé par la découverte de la deuxième dimension qui permettrait la liberté de déplacement de ces lignes, etc. L’acception de l’existence d’un espace à plus de quatre dimensions vient, en 1984, une centaine d’années après la première édition de Flatland, avec la découverte de la théorie des cordes.
Il s’agit d’une théorie mathématique qui unifie de manière consistante la gravitation à la mécanique quantique[23]. La physique des particules dans la mécanique quantique n’accordait pas d’importance à la gravitation, la force la plus familière de la vie quotidienne, ce qui résout le problème incompatible entre la mécanique quantique et la théorie générale de la relativité à condition que l’univers soit constitué de dimensions supplémentaires[24]. Sur une surface plane, une corde vibre en deux directions ; en la quittant, elle prendra une troisième direction… pour arriver à la conclusion qu’il y aurait six autres directions enroulées sur elles-mêmes, donc neuf dimensions spatiales ; ou bien « neuf dimensions spatiales et une dimension temporelle, soit dix dimensions en tout » ; ou même « dix dimensions spatiales et une de temps, soit onze dimensions en tout »[25].
Cette découverte n’est pas sans rapport avec la découverte-démonstration faite par Horia-Patapievici dans Les yeux de Béatrice. Comment était en réalité le monde de Dante. Ainsi, le monde de Dante, tel qu’il apparaît aux confins du XIIIe siècle avec le XIVe est en grande mesure l’image de l’univers d’aujourd’hui. Dans sa Divine Comédie, en toute honnêteté, Dante essaie de concilier la conception grecque de l’univers avec la conception chrétienne. Pour les Grecs, la figure géométrique parfaite était la sphère, l’univers se présentant comme une succession de sphères concentriques, avec la Terre au milieu[26]. Il y a d’après, cette catégorisation, le Ciel de la Lune, de Mercure, de Vénus, du Soleil, de Mars, de Jupiter, de Saturne, le Primum Mobile (le Ciel cristallin) et l’Empirée donc 10 ou 11 sphères concentriques en tout. À côté de la césure cosmologique des Grecs, celle entre le monde sublunaire et le monde céleste (tout le monde grec était visible et corporel), le monde chrétien introduit deux autres césures, celles entre le visible et l’invisible (corporel et incorporel), respectivement entre le créé et l’incréé (créature et Créateur)[27].
Par Dante, on passe de la géométrie plane à la géométrie sphérique l’explication de l’univers apparaissant dans les chants XXVII-XXVIII du Paradis. On apprend que l’Empirée, à savoir le monde invisible et incorporel a une structure de cercles concentriques comparable du point de vue de la configuration géométrique avec la structure des neuf cercles qui constituent le monde visible et corporel. Mais cette correspondance de configuration est inversée du point de vue du centre et de la cinétique si bien que les dimensions du monde visible représentent le renversement des dimensions du monde invisible : la concavité de l’un passe dans la convexité de l’autre.
L’image que H.-R. Patapievici présente pour nous aider à mieux comprendre est la suivante : imaginons que nous vivons dans un monde de la forme d’une petite bulle qui voudrait dire que l’espace est courbe. Si je tendais la main en avant et la sphère était toute petite, ma main toucherait ma nuque. Dans un monde pareil, un homme me tournerait toujours le dos et cet homme ne serait autre que moi-même. Peu importe si l’espace est sphérique ou pas, si je regarde devant moi, la situation que je vois ne m’est pas contemporaine, elle aura eu lieu dans le passé ; si l’espace est suffisamment courbé, je verrais, par exemple, ma nuque de ce matin, non pas celle de ce moment ; ce qui veut dire que lorsque nous regardons le ciel, nous ne voyons pas le présent mais le passé des situations des étoiles. À la rigueur, la limite de visibilité du ciel devrait être l’origine de l’univers[28]. Le paysage, le monde, est le créé tandis que le Créateur est la source de la création, l’incréé, l’absolu[29]. Toute création contient son créateur. Par les traces qu’il laisse, sa présence est de la nature de l’évidence mais on ne sait pas avec précision comment, de quelle manière il est présent dans sa création, ce qui nous renvoie au principe anthropique dont parle L. Susskind, cette fois avec des arguments scientifiques. La vision du monde médiéval était en même temps religieuse, donc cohérente, et scientifique[30]. Pour nous, l’univers est étranger et scientifique[31]. Cependant, les scientifiques ont des moments d’enthousiasme, comme dans le cas de la théorie des cordes qui s’applique tant aux grands objets qu’aux petits objets ; elle incorpore la gravitation et la mécanique quantique[32]. Elle peut se constituer en principe suprême de l’élégance car le nombre d’équations trouvées pour elle est zéro jusqu’à présent remarque L. Susskind pour rigoler[33]. Ce qui veut dire qu’il s’agit de problèmes qui dépassent notre capacité d’expérimentation directe et qui intéressent avant tout les physiciens théoriciens[34]. Mais par la théorie des cordes et son évolution vers la théorie M est finalement apparu un cadre convaincant qui allie la mécanique quantique, la théorie générale de la relativité, les forces fortes, faibles et électromagnétiques. Le paysage envisagé est fantastique ou utopique : des boucles de cordes et des boucles oscillantes qui unifient toute la création par des modalités de vibration dans un univers qui peut subir des déformations violentes où la texture spatiale se rompt pour se réparer toute seule ensuite. La notion d’espace et de temps pourrait perdre sa place. « […] notre Univers n’était peut-être qu’une des innombrables bulles d’écume de la surface d’un vaste océan cosmique, houleux, baptisé du nom de multiunivers »[35]. Ceci représente une des dernières spéculations qui pourraient présager « la prochaine avancée de notre compréhension de l’Univers »[36] et que nous pourrions envisager à partir des espaces ou formes nommés Calabi-Yau d’après les noms de deux mathématiciens dont les recherches ont contribué à leur compréhension[37]. Toute forme Calabi-Yau peut se transformer en une autre forme. Notre univers serait finalement une forme Calabi-Yau résultée du big-bang, après le refroidissement de l’univers et l’extension des dimensions spatiales possibles. De toutes ces dimensions, trois sont plus étendues tandis que les autres sont minuscules et enroulées. Dans une perspective cosmique, toutes les dimensions[38] ont pour point de départ une étape initiale quand elles sont étroitement enroulées ; après une explosion comme le big-bang trois s’étendent aux dimensions actuelles tandis que les autres restent toutes petites. La géométrie des dimensions supplémentaires appelée, géométrie non commutative[39] « détermine des attributs physiques fondamentaux, comme les masses et les charges des particules que l’on observe dans les trois dimensions habituelles de notre expérience quotidienne[40]. Nous reproduisons en bas deux espaces ou formes Calabi-Yau découvertes sur Internet.
Ces quelques exemples venant de plusieurs domaines de la connaissance peuvent illustrer cette permanente utopie dans laquelle nous vivons à l’époque moderne. Elle s’explique par le besoin de l’être humain d’inventer ou de découvrir de nouveaux pays-ages dans sa permanente quête de la perfection… il est vrai que l’oubli s’installe parfois, comme il arrive à notre personnage flatlandais, emprisonné et vieilli dans un milieu hostile, de plus en plus habité par l’incertitude. Dans le cas des scientifiques, conscients de l’évolution permanente des idées[41], l’incertitude devient le moteur de la découverte.
Laissons le Carré, Einstein et Basarab Nicolescu donner leur avis :
« Je vois là […] l’application d’une grande loi commune à tout l’univers : tandis que la sagesse de l’homme croit œuvrer à un objectif, la sagesse de la Nature le contraint à travailler dans un autre but, très différent et meilleur »[42].
« […] la chose la plus compréhensible au sujet de l’Univers c’est qu’il est incompréhensible »[43].
« La différence entre l’homme terrestre et l’homme cosmique est aussi grande que celle entre le singe et l’homme. C’est pourquoi chaque pays devrait créer un ministère des Affaires cosmiques dirigé par des poètes »[44].
Repères bibliographiques :
Abbott, Edwin A., Flatland, Etext version transcribed by Aloysius West, 1884, 2001, http://www.alcyone.com/max/lit/flatland/.
Version en français, Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits », http://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits, mai 2005.
Collot, Michel (dir.), Les enjeux du paysage, Ousia, « Recueil », 1997.
Greene, Brian, L’Univers élégant. Une révolution scientifique de l’infiniment grand à l’infinimnt petit, l’unification de toutes les théories de la physique, traduit de l’américain par Céline Laroche, Préface de Trinh Xuan Thuan, Editions Robert Laffont, 2000, Gallimard, 2006, coll. Folio Essais.
Universul elegant. Supercorzi, dimensiuni ascunse şi căutarea teoriei ultime. Traduction de l’anglais par Dragoș Anghel şi Anamirela-Paula Anghel, (The Elegant Universe, 1999, 2003), Bucureşti, Humanitas, 2011.
Nicolescu, Basarab, Théorèmes poétiques, Préface de Michel Camus, Editions du Rocher, Jean-Paul Bertrand Editeur, 1994.
Patapievici, Horia-Roman, Ochii Beatricei. Cum arăta cu adevărat lumea lui Dante?, Humanitas, 2004.
Susskind, Leonard, Peisajul cosmic. Teoria corzilor şi iluzia unui plan inteligent. Traduction de l’anglais par Irinel Caprini (The Cosmic Landscape. String Theory and the Illusion of Intelligent Design, 2006), Bucureşti, Humanitas, 2012.
Notes
[1] Michel Collot, « Présentation », in Les enjeux du paysage, Michel Collot, Éd., Ousia, « Recueil », 1997, p. 3.
[2] Michel Collot, « La notion de paysage dans la critique thématique », in M. Collot (dir.), Les enjeux du paysage, fabyanaa.chez.com/Paysage_Carole.doc, résumé du livre p. 11.
[5] Susskind, Leonard, Peisajul cosmic. Teoria corzilor şi iluzia unui plan inteligent. Traducere din limba engleză de Irinel Caprini, Bucureşti, Humanitas, 2012, p. 21-22.
[9] Cf. http://www.noosfere.org/icarus/livres/niourf.asp?numlivre=-319677, consulté le 22.03.2013.
[10] La traduction d’Elisabeth Gille, en 1968, chez Denoël, dans la collection « Présence du futur », a été suivie par deux rééditions, en 1984 et 1998. Une autre édition, celle d’Anatolia, en 1996, est suivie par celle de l’UGE (Union Générale d’Éditions), coll. 10/18 – Domaine étranger n° 3134, 1999 dans la traduction de Philippe Blanchard. La dernière édition, toujours dans la traduction de Philippe Blanchard date de 2012, chez Zones sensibles. Pour ce qui est de la période de 1984 à 1986, qualifiée de « première révolution des supercordes », c’est Brian Greene qui en parle dans L’Univers élégant, tout en soulignant le fait que, dans l’intervalle mentionné, « des physiciens du monde entier ont publié, en tout, plus d’un millier d’articles de recherche sur la théorie des cordes ».
[12] Edwin A. Abbott, Flatland, Version en français, Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits », http://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits, mai 2005, p. 4. C’est la version utilisée pour notre analyse.
[14] La section intitulée « Victorian Issues » in The Norton Anthology of English Literature (NAEL 8, 2.1538–1606), http://www.wwnorton.com/college/english/nael/victorian/, consulté le 24.03.2013.
[15] Edwin A. Abbott, Flatland, p. 37-39. Le figures sont elles aussi reproduites, elles appartiennent à l’auteur.
[16] Ibid., Chap. 15, p. 96, la rencontre avec le représentant de Spaceland qui introduit la notion de hauteur et de solidité, de masse en termes de physique.
[22] Brian Greene, L’Univers élégant. Une révolution scientifique de l’infiniment grand à l’infiniment petit, l’unification de toutes les théories de la physique, traduit de l’américain par Céline Laroche, Préface de Trinh Xuan Thuan, Robert Laffont, 2000, Gallimard, 2006, coll. Folio Essais, p. 307 et suivantes.
[23] Leonard Susskind, Peisajul cosmic. Teoria corzilor şi iluzia unui plan inteligent. Traduction de l’anglais par Irinel Caprini (The Cosmic Landscape. String Theory and the Illusion of Intelligent Design, 2006), Bucureşti, Humanitas, 2012, p. 21-22, 148.
[26] Horia-Roman Patapievici, Ochii Beatricei. Cum arăta cu adevărat lumea lui Dante?, Humanitas, 2004, p. 19.
[30] Parallèle avec l’utopie, cet idéal d’un monde parfait nous dirige vers la hiérarchisation des figures géométriques dans Flatland, hiérarchisation qui, en quelque sorte, peut être rapprochée de la vision de St. Augustin sur la construction géométrique du monde. Depuis St Augustin et son De Trinitate, la nature est considérée comme un ensemble de signes interprétables, comme un livre ou un miroir qui permettent d’entrer dans le mystère divin. La littérature est parcourue par la célébration de la beauté du monde, signe implicite de la perfection divine. La fonction du Beau n’est pas tant d’émouvoir que de retrouver en l’homme, grâce aux arts, l’harmonie fondamentale de l’univers. Il s’agit d’un ordre musical, les choses devant s’accorder entre elles selon des justes proportions. La représentation idéale du monde terrestre et divin se retrouve dans des formes géométriques simples, telles le cercle et le carré chaque forme géométrique ayant un correspondant au niveau des Nombres. Ainsi, le 1 est le chiffre parfait ayant comme correspondant le cercle ou le demi-cercle qui représente un « simple ondoiement pour le passage de la terre au ciel ». Le 3, figuré par le triangle, symbolise la Trinité tandis que le 4, figuré par le carré, est le chiffre de la terre. Le premier paysage, celui du cloître, est carré avec une fontaine circulaire ou un puits au milieu. (Françoise Ferrand, « Le paysage dans la littérature médiévale des XII et XIIIe siècles », in Les enjeux du paysage, op. cit., résumé, fabyanaa.chez.com/Paysage_Carole.doc, p. 3-4.
[31] Les Grecs ne faisaient pas de distinction entre mathématiques et physique. Ils croyaient que le ciel était conçu d’un ensemble de couches élégantes en cristal, parfaitement transparentes, parfaitement rondes qui bougent avec la précision d’une montre. La géométrie euclidienne était parfaite : la somme des angles d’un triangle comporte 180 degrés et le cercle est la figure parfaite, une totale symétrie, chaque point du cercle étant situé à distance égale du centre (L. Susskind, Peisajul, op. cit. p. 142)
[41] Comme Edward Witten, considéré le successeur d’Einstein, le plus grand physicien en vie (Ibid., p. 292).
Paysages célestes et angoisse du tempsPaysages célestes et angoisse du temps
Autres sujets dans les autres mondes. La fabrique de l’autreAutres sujets dans les autres mondes. La fabrique de l’autre
Jean Schneider
Observatoire de Paris, France
jean.schneider@obspm.fr
Autres sujets dans les autres mondes. La fabrique de l’autre /
Other Subjects in Other Worlds. The Substance of the Other
Abstract: In this paper we address the problem of the inhabited worlds and the concept of otherness in exoplanets.
Keywords: Landscape; c; Other Worlds; Exoplanets.
Aux thèmes de cette rencontre sur les utopies, les paysages, les mondes et les sujets, je voudrais en ajouter un cinquième, celui de l’altérité. Je commencerai pas deux brèves digressions : la première sur Sujet et paysage : figures anthropomorphes et projections. Nous avons tous une tendance naturelle à projeter des figures (animales et humaines) sur des éléments de la nature. Dans le cas des paysages, elle a donné lieu à un art particulier, celui des paysages anthropomorphes, que je suis enclin à nommer « pays-visages ». Cette tendance va jusqu’au cosmos puisqu’elle est à l’origine des signes du zodiaque. Des noms comme « Vierge » ou « Taureau » sont évocateurs à cet égard. La seconde, Utopie et réalité. L’utopie, un des thèmes de cette rencontre, a une indéniable supériorité sur la réalité : elle n’est entravée par aucune contrainte extérieure. Et pourtant elle a des limites. Je rappelle la métaphore de la colombe de Kant : « La colombe légère qui fendait l’air, “dans son libre vol”, s’est imaginé qu’elle volerait encore mieux là où la résistance de l’air ne réduirait pas sa vitesse, c’est-à-dire dans l’espace vide de tout air » (Critique de la raison pure – Introduction).
Ici, je me présente comme une colombe qui s’appuie sur la résistance de la science et de la technique pour prendre un envol non seulement vers d’autres mondes concrets, percevables, mais aussi imaginaires, tant il est vrai que les duretés de la science sont autant de défis qui stimulent l’imagination.
I. Autres sujets dans quels autres mondes ?
Je vais commencer par renverser les termes : avant de parler d’autres sujets, il faut se demander dans quels autres mondes ils pourraient évoluer. La question a commencé avec les Grecs. Citons Épicure : « Il existe une infinité de mondes, semblables ou dissemblables au nôtre » (Lettre à Hérodote 300 Av. J.-C.). Depuis ce précurseur, plus de 600 auteurs, principalement philosophes, jusqu’en 1900 (Albert le Grand, Giordano Bruno, Kant, Goethe, etc.) ont exprimé leur conviction que d’autres êtres existent ailleurs dans le cosmos. Curieusement, ce questionnement est resté confiné, jusqu’au XXe siècle au monde gréco-occidental, mises à part de vagues bribes comme le Livre des Mers et des Monts (Chine IVe siècle)[1].
Aujourd’hui, les sujets autour de nous sont notre point de départ. Nous les considérons comme vivants. Partant de là, on peut lever les yeux au ciel et y découvrir d’abord la Lune et des planètes, puis d’autres étoiles. Nous pouvons alors poser la question : y a-t-il des planètes en orbite autour de ces étoiles et des êtres vivants sur ces planètes ? Il faut le souligner avec force : nous vivons à cet égard une époque extrêmement privilégiée. Alors que la question se posait depuis les Grecs, ce n’est très précisément que depuis le début des années 1990 qu’on a une réponse claire et définitive à cette question. Non seulement les astronomes ont détecté à ce jour (en 2014) plus de 2000 planètes en orbite autour d’autres étoiles (ou exoplanètes), mais de plus, les extrapolations les plus prudentes estiment qu’il doit y en avoir au moins un milliard dans toute notre Voie Lactée. Certes toutes ne présentent pas des conditions favorables au développement d’une forme de vie, mais c’est le cas pour au moins un millième d’entre elles, soit tout de même un million de planètes hospitalières pour l’homme.
Avant d’aller plus loin, deux réflexions s’imposent. Comment poser le problème de sujets « autres » et, après tout, à quoi cette quête peut-elle servir ? Répondons d’abord à la seconde question. La recherche d’autres vies satisfait un esprit de curiosité et élargit le champ de la bio-diversité terrestre. Ensuite, elle aidera à comprendre, le moment venu (sans doute dans longtemps), par comparaison, les facteurs des mécanismes biologiques terriens. Et surtout, si une vie « intelligente », pas trop lointaine, est découverte, elle sera le point de départ de tentatives de « communication ».
Pour la première question, la discussion se déroule avec en arrière-plan l’idée d’évolution (darwinienne ou lamarckienne) : les sujets que nous sommes s’inscrivent dans le règne plus général du vivant organique, biologique. Au départ, nous nous pensons nous-mêmes comme vivants. Parmi tous les objets que livrent nos expériences, il y en a avec lesquels nous pouvons, plus ou moins, nous identifier. Cette identification est toujours une projection (de sensations, d’intentions, …). Nous appelons alors « vivants » ces objets. En toute rigueur, la vie est dans la relation aux objets, et non dans les objets eux-mêmes. Dans un deuxième temps, nous constatons une corrélation entre ces objets vivants et leurs propriétés physico-chimiques (par exemple la présence d’un ADN). Dans un troisième temps, on suppose qu’inversement les objets ayant ces propriétés sont « vivants » (même s’il n’y a pas de relation « intime » avec eux). Par exemple, se nourrir, s’adapter à l’environnement.
En conclusion, il n’y a pas de vie en soi, seulement des signes de vie. La déclaration « ceci est vivant » est alors un jugement, une décision arbitraire (cf. le statut « humain/ non humain » de l’embryon).
II. La quête actuelle d’autres vies sur des autres mondes
Reprenons maintenant le cours de la quête actuelle d’autres vies. Il y a quatre voies de recherche concevables d’une vie extraterrestre.
1. Traces de visiteurs sur Terre
C’est une interprétation qui est parfois proposée pour certaines traces au sol dans des champs ou des phénomènes lumineux dans le ciel (« soucoupes volantes »). Mais cette hypothèse a toujours été stérile dans la mesure où elle n’a jamais abouti à aller plus loin que sa seule formulation. Ce résultat négatif a donné lieu au « paradoxe de Fermi » que l’on peut formuler ainsi : « Pourquoi, alors qu’il y a des milliards de planètes dans la Galaxie, n’y a-t-il aucune civilisation technologique qui soit parvenue, depuis des milliers d’années, à nous visiter ? » Et nous n’avons d’ailleurs non plus reçu le moindre signal radio ou optique. Ce paradoxe est embarrassant car il n’a pas reçu de réponse satisfaisante[2]. Est-ce la preuve qu’il n’y a pas de civilisation extraterrestre ? Est-ce la preuve que nous cherchons mal ? Le débat est ouvert.
2. Aller voir sur place
Malheureusement, on peut montrer que le voyage durerait mille ans au moins en l’état actuel de nos connaissances[3]. Il est intéressant de noter que Kant avait déjà envisagé cette solution. « Admettre des habitants raisonnables dans des autres planètes, c’est une affaire d’opinion ; en effet, si nous pouvions nous en rapprocher, ce qui est en soi possible, nous pourrions décider par l’expérience s’ils existent ou non ; mais jamais nous ne nous en rapprocherons à ce point et cela restera une question d’opinion. » (Critique de la Faculté de juger § 91).
3. Recherche de signaux « intelligents »
C’est ce qu’on appelle le programme SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence). Il se poursuit actuellement avec des radiotélescopes et des télescopes optiques. On cherche des signaux dont les caractéristiques (dans leur structure temporelle notamment) n’auraient pas d’explication par des phénomènes astrophysiques connus. Cela avait été le cas en 1966 lorsque des signaux radios ultra-périodiques et brefs avaient été attribués à des extraterrestres, jusqu’à ce qu’on les explique par la rotation rapide et régulière d’étoiles autour de leur axe. À ce jour cette recherche n’a pas eu de résultat.
4. Télédétection d’indices biochimiques
C’est la voie la plus prometteuse dans l’immédiat. Avec les télescopes on peut, depuis le XIXe siècle, sonder la composition chimique des étoiles. En effet, chaque corps imprime à ses émissions lumineuses des caractéristiques fines de couleur, extrêmement précises, qui signent sa nature chimique. Il en va de même pour les planètes. On pourra ainsi, d’ici quelques décennies, déceler des molécules (comme l’oxygène ou la chlorophylle) qui ne pourront s’expliquer (pense-t-on aujourd’hui du moins) que par l’existence de métabolismes biologiques (rappelons que sur Terre tout l’oxygène de l’atmosphère ne peut s’expliquer que par la photosynthèse des plantes et du plancton). Nous ne sommes qu’au début d’une des grandes révolutions intellectuelles de l’humanité. De plus, nous partons à l’aventure et ne savons pas ce que nous allons trouver. Nous ne savons même pas formuler ce que nous cherchons exactement, tant il est vrai que la surprise ne se programme pas.
Reste un problème de taille : la morphologie des formes animées. Pour observer l’image d’un organisme de la taille d’un éléphant sur une planète orbitant autour de l’étoile la plus proche requiert un télescope de la taille de l’orbite terrestre[4]. C’est impossible. Alors, aller voir sur place ? Comme nous l’avons déjà vu, le voyage durerait plus de mille ans. Pourquoi pas, mais on voit tout de suite que cela change la perspective de la civilisation où ce ne serait plus une vie humaine mais une civilisation entière qui serait un « sujet ». En conclusion, nous sommes aussi loin de cette perspective que les Grecs étaient loin, il y a 2300 ans, d’observer les premiers autres mondes.
III. Signaux « intelligents » ?
Revenons aux signaux « intelligents ». Ils posent de nouveaux problèmes philosophiques.
Tout d’abord, deux stratégies sont possibles : soit recevoir des signaux (lumineux, radio), soit en envoyer. Cette dernière stratégie avait déjà été proposée au XIXe siècle par le mathématicien Gauss qui suggérait de tracer de grands triangles à la surface de la Terre pour signaler aux martiens que nous (aussi) étions capables de faire de la géométrie. Pour ce qui est de recevoir des signaux « intelligents », il s’agit de signaux sans explication à partir de phénomènes physiques « naturels » avec un contenu sémantique supposé (par exemple des suites de nombres premiers). Le problème philosophique que cette approche pose est le suivant. Comment penser une sémantique « autre », alors que nous la posons à partir de notre propre symbolique ? Ne sommes-nous pas dans une « prison symbolique »? En effet, les formes symboliques étant a priori, elles ne sont pas déductibles de l’observation comme l’avaient remarqué Kant et Cassirer par exemple. On peut d’ailleurs rapprocher cet a priori de l’arbitraire du signe de Saussure.
Il existe toutefois une voie qui n’a pas recours à un supposé contenu sémantique, toujours construit, ce sont les « techno-signatures » ou « fuites technologiques » sans contenu sémantique supposé. Un exemple, les « lumières des villes » sur une exoplanète, ou, le jour où les télescopes seront assez puissants, l’observation de grandes structures géométriques comme des champs ou des routes. La reprise en quelque sorte, des « canaux de Mars » qu’on avait cru observer à la fin du XIXe siècle[5] (Schiapparelli).
Quelle altérité ?
Abordons enfin la question la plus épineuse. Jusqu’où peut aller l’altérité ? Le plus grand danger est l’anthropomorphisme, et pourtant il est difficile de s’en débarrasser. Il y a deux aspects de la question : l’altérité des formes et celles du sens. Le Dictionnaire Visuel des Mondes Extraterrestres[6] montre les limites de l’imagination des auteurs de science-fiction. Les astronomes sont allés plus loin en ce qui concerne l’altérité des formes, comme le montre par exemple l’excellent roman Le Nuage Noir de Fred Hoyle[7] qui met en scène un nuage interstellaire vivant (et « pensant »).
L’altérité du sens est beaucoup plus problématique. En effet, il n’y a pas d’autre en soi, mais un autre toujours construit, fabriqué, à partir de signes. Cette fabrication fait appel à des processus d’identification. Nous projetons sur des signes un autre nous-même, ou quasi-nous même, que nous appelons un autre (être). Cette question de la projection est déjà largement débattue pour les animaux. On la trouve par exemple dans le titre révélateur du livre de Joëlle Proust « Les animaux pensent-ils? »[8].
L’expression « l’autre pensant » peut avoir deux sens : un autre soi-même qui pense, mais autrement que soi, et un autre plus radical, un autre de la pensée, au-delà de la pensée et du symbole ? On en arrive ainsi à la question « peut-on penser un au-delà de la pensée ? » On aboutit ainsi à cette aporie : comment prendre dans les rets, limités, de la pensée un au-delà de la pensée ? Cela semble aussi impossible que penser du mouvement à partir de positions purement statiques comme l’avait révélé le paradoxe de Zénon sur la flèche d’Achille qui ne peut jamais partir. Le « Je » vient de l’Autre (par le miroir du langage), dit-on. Mais cet Autre, comme « trésor des symboles » est déjà là. Ici on cherche un autre type d’autre que l’Autre du symbolique.
Finalement, est-ce qu’une vie « autre » n’est pas un oxymore, dans la mesure où « vie » veut dire ce qui nous ressemble ? Seul l’avenir dira où nous mène cette quête paradoxale.
Notes
[1] Jean Schneider, « The extraterrestrial life debate in different cultures », in Astron. Soc. Pacific Conf. Series, 2010.
[3] Jean Schneider et al., « The far future of exoplanet characterization », Astrobiology, 10, p. 121. http://dx.doi.org/doi:10.1089/ast.2009.0371 (15/07/2014)
Jean Schneider
Observatoire de Paris, France
jean.schneider@obspm.fr
Autres sujets dans les autres mondes. La fabrique de l’autre /
Other Subjects in Other Worlds. The Substance of the Other
Abstract: In this paper we address the problem of the inhabited worlds and the concept of otherness in exoplanets.
Keywords: Landscape; c; Other Worlds; Exoplanets.
Aux thèmes de cette rencontre sur les utopies, les paysages, les mondes et les sujets, je voudrais en ajouter un cinquième, celui de l’altérité. Je commencerai pas deux brèves digressions : la première sur Sujet et paysage : figures anthropomorphes et projections. Nous avons tous une tendance naturelle à projeter des figures (animales et humaines) sur des éléments de la nature. Dans le cas des paysages, elle a donné lieu à un art particulier, celui des paysages anthropomorphes, que je suis enclin à nommer « pays-visages ». Cette tendance va jusqu’au cosmos puisqu’elle est à l’origine des signes du zodiaque. Des noms comme « Vierge » ou « Taureau » sont évocateurs à cet égard. La seconde, Utopie et réalité. L’utopie, un des thèmes de cette rencontre, a une indéniable supériorité sur la réalité : elle n’est entravée par aucune contrainte extérieure. Et pourtant elle a des limites. Je rappelle la métaphore de la colombe de Kant : « La colombe légère qui fendait l’air, “dans son libre vol”, s’est imaginé qu’elle volerait encore mieux là où la résistance de l’air ne réduirait pas sa vitesse, c’est-à-dire dans l’espace vide de tout air » (Critique de la raison pure – Introduction).
Ici, je me présente comme une colombe qui s’appuie sur la résistance de la science et de la technique pour prendre un envol non seulement vers d’autres mondes concrets, percevables, mais aussi imaginaires, tant il est vrai que les duretés de la science sont autant de défis qui stimulent l’imagination.
I. Autres sujets dans quels autres mondes ?
Je vais commencer par renverser les termes : avant de parler d’autres sujets, il faut se demander dans quels autres mondes ils pourraient évoluer. La question a commencé avec les Grecs. Citons Épicure : « Il existe une infinité de mondes, semblables ou dissemblables au nôtre » (Lettre à Hérodote 300 Av. J.-C.). Depuis ce précurseur, plus de 600 auteurs, principalement philosophes, jusqu’en 1900 (Albert le Grand, Giordano Bruno, Kant, Goethe, etc.) ont exprimé leur conviction que d’autres êtres existent ailleurs dans le cosmos. Curieusement, ce questionnement est resté confiné, jusqu’au XXe siècle au monde gréco-occidental, mises à part de vagues bribes comme le Livre des Mers et des Monts (Chine IVe siècle)[1].
Aujourd’hui, les sujets autour de nous sont notre point de départ. Nous les considérons comme vivants. Partant de là, on peut lever les yeux au ciel et y découvrir d’abord la Lune et des planètes, puis d’autres étoiles. Nous pouvons alors poser la question : y a-t-il des planètes en orbite autour de ces étoiles et des êtres vivants sur ces planètes ? Il faut le souligner avec force : nous vivons à cet égard une époque extrêmement privilégiée. Alors que la question se posait depuis les Grecs, ce n’est très précisément que depuis le début des années 1990 qu’on a une réponse claire et définitive à cette question. Non seulement les astronomes ont détecté à ce jour (en 2014) plus de 2000 planètes en orbite autour d’autres étoiles (ou exoplanètes), mais de plus, les extrapolations les plus prudentes estiment qu’il doit y en avoir au moins un milliard dans toute notre Voie Lactée. Certes toutes ne présentent pas des conditions favorables au développement d’une forme de vie, mais c’est le cas pour au moins un millième d’entre elles, soit tout de même un million de planètes hospitalières pour l’homme.
Avant d’aller plus loin, deux réflexions s’imposent. Comment poser le problème de sujets « autres » et, après tout, à quoi cette quête peut-elle servir ? Répondons d’abord à la seconde question. La recherche d’autres vies satisfait un esprit de curiosité et élargit le champ de la bio-diversité terrestre. Ensuite, elle aidera à comprendre, le moment venu (sans doute dans longtemps), par comparaison, les facteurs des mécanismes biologiques terriens. Et surtout, si une vie « intelligente », pas trop lointaine, est découverte, elle sera le point de départ de tentatives de « communication ».
Pour la première question, la discussion se déroule avec en arrière-plan l’idée d’évolution (darwinienne ou lamarckienne) : les sujets que nous sommes s’inscrivent dans le règne plus général du vivant organique, biologique. Au départ, nous nous pensons nous-mêmes comme vivants. Parmi tous les objets que livrent nos expériences, il y en a avec lesquels nous pouvons, plus ou moins, nous identifier. Cette identification est toujours une projection (de sensations, d’intentions, …). Nous appelons alors « vivants » ces objets. En toute rigueur, la vie est dans la relation aux objets, et non dans les objets eux-mêmes. Dans un deuxième temps, nous constatons une corrélation entre ces objets vivants et leurs propriétés physico-chimiques (par exemple la présence d’un ADN). Dans un troisième temps, on suppose qu’inversement les objets ayant ces propriétés sont « vivants » (même s’il n’y a pas de relation « intime » avec eux). Par exemple, se nourrir, s’adapter à l’environnement.
En conclusion, il n’y a pas de vie en soi, seulement des signes de vie. La déclaration « ceci est vivant » est alors un jugement, une décision arbitraire (cf. le statut « humain/ non humain » de l’embryon).
II. La quête actuelle d’autres vies sur des autres mondes
Reprenons maintenant le cours de la quête actuelle d’autres vies. Il y a quatre voies de recherche concevables d’une vie extraterrestre.
1. Traces de visiteurs sur Terre
C’est une interprétation qui est parfois proposée pour certaines traces au sol dans des champs ou des phénomènes lumineux dans le ciel (« soucoupes volantes »). Mais cette hypothèse a toujours été stérile dans la mesure où elle n’a jamais abouti à aller plus loin que sa seule formulation. Ce résultat négatif a donné lieu au « paradoxe de Fermi » que l’on peut formuler ainsi : « Pourquoi, alors qu’il y a des milliards de planètes dans la Galaxie, n’y a-t-il aucune civilisation technologique qui soit parvenue, depuis des milliers d’années, à nous visiter ? » Et nous n’avons d’ailleurs non plus reçu le moindre signal radio ou optique. Ce paradoxe est embarrassant car il n’a pas reçu de réponse satisfaisante[2]. Est-ce la preuve qu’il n’y a pas de civilisation extraterrestre ? Est-ce la preuve que nous cherchons mal ? Le débat est ouvert.
2. Aller voir sur place
Malheureusement, on peut montrer que le voyage durerait mille ans au moins en l’état actuel de nos connaissances[3]. Il est intéressant de noter que Kant avait déjà envisagé cette solution. « Admettre des habitants raisonnables dans des autres planètes, c’est une affaire d’opinion ; en effet, si nous pouvions nous en rapprocher, ce qui est en soi possible, nous pourrions décider par l’expérience s’ils existent ou non ; mais jamais nous ne nous en rapprocherons à ce point et cela restera une question d’opinion. » (Critique de la Faculté de juger § 91).
3. Recherche de signaux « intelligents »
C’est ce qu’on appelle le programme SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence). Il se poursuit actuellement avec des radiotélescopes et des télescopes optiques. On cherche des signaux dont les caractéristiques (dans leur structure temporelle notamment) n’auraient pas d’explication par des phénomènes astrophysiques connus. Cela avait été le cas en 1966 lorsque des signaux radios ultra-périodiques et brefs avaient été attribués à des extraterrestres, jusqu’à ce qu’on les explique par la rotation rapide et régulière d’étoiles autour de leur axe. À ce jour cette recherche n’a pas eu de résultat.
4. Télédétection d’indices biochimiques
C’est la voie la plus prometteuse dans l’immédiat. Avec les télescopes on peut, depuis le XIXe siècle, sonder la composition chimique des étoiles. En effet, chaque corps imprime à ses émissions lumineuses des caractéristiques fines de couleur, extrêmement précises, qui signent sa nature chimique. Il en va de même pour les planètes. On pourra ainsi, d’ici quelques décennies, déceler des molécules (comme l’oxygène ou la chlorophylle) qui ne pourront s’expliquer (pense-t-on aujourd’hui du moins) que par l’existence de métabolismes biologiques (rappelons que sur Terre tout l’oxygène de l’atmosphère ne peut s’expliquer que par la photosynthèse des plantes et du plancton). Nous ne sommes qu’au début d’une des grandes révolutions intellectuelles de l’humanité. De plus, nous partons à l’aventure et ne savons pas ce que nous allons trouver. Nous ne savons même pas formuler ce que nous cherchons exactement, tant il est vrai que la surprise ne se programme pas.
Reste un problème de taille : la morphologie des formes animées. Pour observer l’image d’un organisme de la taille d’un éléphant sur une planète orbitant autour de l’étoile la plus proche requiert un télescope de la taille de l’orbite terrestre[4]. C’est impossible. Alors, aller voir sur place ? Comme nous l’ae WP Super Cache plugin directory. –>
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Paysages et utopie
Anna Caiozzo, Préface [7-8]
Yves Luginbühl, Vers quelle utopie paysagère courrons-nous ? [11-19]
Paysages célestes et utopies spatio-temporelles
Frédéric Ferro & Nicolas Weill-Parot, Vide et mondes possibles au Moyen Âge et dans la pensée moderne [23-39]
Jean Schneider, Autres sujets dans les autres mondes. La fabrique de l’autre [40-44]
Louis Cruchet, Paysages célestes et angoisse du temps [45-54]
Rodica Gabriela Chira, Le ciel, territoire des utopies à l’époque moderne [55-65]
Fanfan Chen, Le ciel, l’un des espaces de la « fantasy » [66-76]
Ruxandra Cesereanu, The Fertility-Sterility Dialectics in The Waste Land and The Chronicles of Narnia (Desolate vs. Resplendent Landscapes) [77-91]
Marius Conkan, Landscapes In-Between: Neverland and Its Windows [92-101]
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Philippe Faure, Paysages naturels et manifestations spirituelles dans l’Occident médiéval [139-148]
Anna Caiozzo, Majnûn ou l’écho du désert comme paysage sublimé dans les manuscrits de la Khamsa de Nizâmî [149-158]
Brigitte Foulon, Des chamelles à l’Alhambra : l’utopie au centre des paysages poétiques d’al-Andalus [159-175]
Véronique Adam, Paysage et utopie dans les recueils illustrés alchimiques (1535-1630) [176-187]
Radu Toderici, Les jardins dans l’utopie. Remarques sur un détail significatif dans le récit utopique français de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècle [188-195]
Mercedes Montoro Araque, Ut pictura poesis ou ut pictura paradisus ? Lecture croisée des paysages gautiéristes [196-210]
Entre utopies sociales et paysages en mouvement
Véronique Grandpierre, Paysage urbain et monde mésopotamien : quand l’utopie devient réalité [213-220]
Corin Braga, Chronotopes et paysages utopiques [221-233]
Laurent Dedryvère, Descriptions paysagères et utopie sociale dans les récits de voyages et les romans coloniaux allemands (XIXe-XXe siècles) [234-248]
Paolo Bellini, Les paysages hybrides de l’ère technologique : biopouvoir, identité et utopie [249-256]
Stéphane Angles, Les paysages de l’olivier, entre le mythe de la « méditerranéité » et la réalité des enjeux territoriaux [257-264]
Ştefan Borbély, Utopian Schooling [265-274]
Juliane Rouassi, Utopie critique et archéologie du futur [275-290]
Olga Ştefan, Nostalgia and Fetish Amongst the Remains of the World in Margaret Atwood’s Oryx and Crake [291-296]
Andrei Simuţ, Dystopian Geographies in The Year of the Flood and Hunger Games [297-306]
Petronia Popa Petrar & Carmen-Veronica Borbely, Databodies: Digitalising the Ustopian Spaces in Hari Kunzru’s Transmission [307-318]
Book Reviews [319-357]
Paysages et utopie – Préface
Ce dossier sur Paysages et utopie est issu des réflexions pluridisciplinaires menées dans le cadre du laboratoire Identités Cultures Territoires de l’université Paris 7 Denis Diderot sur les paysages en association avec les géographes de l’UMR LADYSS (« Dynamiques sociales et recomposition des espaces ») depuis 2009 (Autour des paysages, images et imaginaire, 30 avril 2009, Journée d’études, Université Paris 7) conjuguées à une rencontre en juin 2013 à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Val-de-Seine.
À l’origine, les échanges croisés entre historiens, civilisationnistes, comparatistes et géographes ont été initiés par des ateliers au sein du Pôle image, une action structurante dirigée jusqu’en 2014 par la biogéographe Marianne Cohen, et aujourd’hui par Étienne Grésillon, impliqués tous deux dans une ANR « Trame Verte » (2009-2012), tout comme Stéphane Anglès qui a dirigé celle « Paysages et terroirs méditerranéens » (PATERMED, 2010-2014). C’est dans cette dynamique d’études sur les paysages, également portée par l’axe 4 du laboratoire ICT (EA 337) « Savoirs, représentations, transferts » que s’inscrit cette publication.
Le bel ouvrage d’Yves Luginbühl, La mise en scène du monde, construction du paysage européen ?, CNRS éd., 2012, nous enseigne combien le paysage recèle d’enjeux sociétaux autour d’un concept complexe qui renvoie à la perception – telle portion d’espace ou de territoire perçue par le regard humain – mais qui dans les faits témoigne de constructions et de projections liés à la sensibilité et, de fait, à l’imaginaire.
Issues d’une réciprocité d’interactions entre nature, environnement, culture, sujet, ces relations subtiles entre l’homme et son environnement, entre nature et culture, sont appréhendées par Augustin Berque via le concept de « médiance » qu’il rend intelligible par l’exemple du Japon et des Japonais dans leur rapport à la nature et dans leur reconstruction de cette dernière par les paysages (Augustin Berque éd., Cinq propositions pour une théorie du paysage, Limoges, Pulim, 2012).
Si l’association des deux concepts « Paysages et utopies » est directement issue des travaux récents de Corin Braga (Du paradis perdu à l’antiutopie aux XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Garnier, 2010 ; id., Les antiutopies classiques, Paris, Garnier, 2010) et des rencontres de Cluj en 2012 sur les imaginaires du mal (Caietele Echinox 24/25, 2013, Topographies du mal, Les enfers, Caietele Echinox 25, 2013, Les Antiutopies, II), comme l’explicite Yves Luginbühl dans son introduction, on ne peut penser le paysage sans se référer à l’utopie. C’est cette dimension rêvée et poétique du paysage qui marque l’ensemble des contributions ici rassemblées. En effet, le paysage interpelle les sensibilités, comme le rappelle Gilles Clément, titulaire de la chaire des paysages au Collège de France, dans sa leçon inaugurale : Il existe, en réalité, des situations de partage lorsque la beauté dramatique ou sereine d’un paysage touche de façon égale un groupe assemblé dans le même instant et sous la même lumière au-devant du même spectacle, à la condition que ce groupe partage les mêmes clefs de lecture, la même culture. Mais nul ne saura quelle émotion intime anime chaque individu de ce même groupe. Telle est la face irrémédiablement cachée du paysage. (Collège de France, décembre 2011).
Expression sensible de la relation d’un sujet individuel ou collectif à la nature et à l’environnement, le paysage est aussi un objet de constructions mentales à portée symbolique : c’est ce point que développe notamment Jean-Jacques Wunenburger car … nos rapports au monde dépendent autant des images que nous en formons que des configurations objectives qui le constituent Et réciproquement, nos constructions imaginaires trouvent dans les paysages extérieurs une matière première qu’elles transmuent en espace symbolique. (La vie des images, Grenoble PUG, 2002, p. 215). Le recours à l’anthropologie de l’imaginaire devient en effet pertinent, car lorsque l’on s’interroge sur l’ontologie des paysages perçus et donc de la fabrique des images, objets culturels précédant les sens dont l’origine est encore bien difficile à déterminer, on se doit désormais d’interpeller toutes les sciences humaines, y compris l’anthropologie sociale, la psychanalyse, ou encore les sciences cognitives. Le paysage participe de cette élaboration symbolique qui fixent les mythes, celui du jardin d’Éden et du paradis perdu ou plus tard, celui des territoires de l’Utopie, qui trouvent cependant leur essence dans les temps médiévaux.
Le paysage nous renvoie certes aux symboles mais aussi aux sens, via la perception dont l’instrument privilégié demeure le regard. Hans Belting, découvrant les travaux d’Ibn al-Haytham sur l’optique, évoque cette quête du sens par le sensible (Florence et Bagdad, une histoire du regard entre Orient et Occident, Paris, Gallimard, 2012). De façon pertinente, dans un chapitre intitulé « La perception de la connaissance : d’une théorie de la vision à une théorie de l’image », il nous livre ses conclusions sur les liens indéfectibles entre perception et origine de la connaissance car, dès le Moyen Âge, la querelle entre Roger Bacon et Guillaume d’Ockham met en exergue la prééminence de la connaissance sensible sur l’acte cognitif, l’enjeu réel étant de savoir si l’on pouvait détacher le savoir théorique – la connaissance du monde – du rôle joué par la transcendance, Dieu, en l’occurrence, origine de la lumière, l’image n’étant au fond qu’une révélation du divin.
Étudier le paysage n’est donc pas une démarche anodine ; elle met en œuvre des conceptions du monde, des questionnements sur l’origine des savoirs, elle projette également le spécialiste des paysages comme propre acteur de sa discipline, comme le dit encore fort bien Yves Luginbühl dans ses travaux. Le chercheur devient lui-même acteur lorsqu’il s’occupe de ce domaine d’études sensible, objet de pression, variant selon les tendances du moment. Lieu d’études, de rêves et de projection, le paysage demeure avant tout un enjeu sociétal, porté dans la plupart des cas par les pouvoirs publics, qui proposent, imposent des plans d’aménagement pour les sociétés relayés par les études d’urbanistes, architectes, paysagistes mais aussi universitaires, géographes, qui ont donc leur responsabilité dans les aménagements contemporains.
Ces contributions, dont le fil conducteur demeure la nostalgie d’une nature idéale perdue ou à retrouver, s’organisent autour de deux thématiques principales, d’une part le paysage céleste comme témoin des utopies, d’autre part, le paysage terrestre comme projection et construction des rêves paradisiaques des périodes anciennes à nos jours. En effet, en le choisissant comme toile de fond de leurs idéaux et de leurs aspirations à venir, les hommes ont fait du ciel, de ses mondes possibles, puis futuristes, une utopia, un lieu qui existe dans leur imaginaire avant la lettre, et ce dès les temps médiévaux. Mais si le ciel et le cosmos tout entier demeurent des espaces privilégiés, promesses de paradis latents ou à venir, ils sont aussi la source de liens supposés interactifs entre macrocosme et microcosme permettant aux hommes de projeter sur terre les sociétés « idéales » ou « imaginales » qui se trouveraient dans le ciel. Et c’est dans cet effort de recréation terrestre d’un lieu idéal que l’image du paysage rêvé des origines a repris place, parfois au sein d’une nature domptée et apprivoisée, parfois au sein même d’espaces inhospitaliers et hostiles, à l’image de l’enfer hébergeant le grotesque Jardin des délices de Jérôme Bosch, exposant de façon désespérée le malentendu initial : le paradis comme dystopie originelle dont le jardin ontologiquement gangrené par le mal n’offrirait aux hommes qu’une alternative salutaire : l’imaginaire d’un autre monde, utopique cette fois et dont le paysage porterait les espérances.
Anna Caiozzo
Călin StegereanCălin Stegerean
Călin Stegerean (1961)
Studii
Institutul de arte plastice „Ion Andreescu” Cluj-Napoca, secţia grafică (1985).
Masterat în management cultural la Facultatea de Studii Europene a Universităţii Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca (2009).
Doctor al Facultăţii de Litere a Universităţii Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca, cu teza „Artele plastice şi revistele literare de avangardă din România interbelică” (2011).
Alte studii
Academia de vară pentru management cultural, Salzburg, Austria (1999).
Cursurile postuniversitare Bazele muzeologiei, organizate de Ministerul Culturii din România (2000-2001).
Bursier al „Atelierului artei spirituale” de la „Centro Aletti” Roma, Italia (1996-1997).
Activitate profesională
1985-1990 grafician-scenograf stagiar la Teatrul de stat Sfântu-Gheorghe (jud. Covasna); 1990-1999 grafician la Editura Dacia Cluj-Napoca; 2000-2006 muzeograf la Muzeul de Artă Cluj-Napoca; 2006-2009, şef de secţie la Muzeul de Artă Cluj-Napoca; 2009-2014, director al Muzeului de Artă Cluj-Napoca.
Este autorul unor expoziţii personale de pictură, grafică şi fotografie la Roma (1997), Veneţia (2000, 2003, 2007), Viena (2003) şi Cluj-Napoca (1997, 1998, 2003).
A participat la mai multe expoziţii colective în ţară şi străinătate (selecţie):
„Expoziţia Mondială a Tineretului de la Edinburgh”, Marea Britanie (1985); „Bienala de afiş”, Varşovia, Polonia (1986); „Expoziţia taberei internaţionale de artă, Hajduböszörmeny, Ungaria (1990); „Ecce Homo”, Galeria UAP Cluj, Cluj-Napoca (1991); Bienala de grafică, Maastricht, Olanda (1993); „Bienala internaţională de grafică”, Brno, Republica Cehă (1996); „Un arte per vivere”,Trieste, Italia (1997); Bienala naţională de grafică a Ungariei, Miskolc, Ungaria (1998); „Expoziţie de grafică românească”, Accademia di Romania, Roma, Italia (1999); „Expoziţia Et in Venetia ego…”, Institutul de Cultură şi Cercetare Umanistică, Veneţia, Italia (2000); „Îngeri veneţieni”, Institutul Italian de Cultură Bucureşti (2002).
A fost curatorul unor de expoziţii de artă contemporană şi a unor expoziţii care au pus în valoare patrimoniul Muzeului de Artă Cluj-Napoca, organizate în ţară şi în străinătate.
Activitate ştiinţifică şi publicistică
Este organizatorul la Muzeul de Artă Cluj-Napoca a unor mese rotunde, a simpozionului internaţional „Noi studii ale avangardei” (2006), a programelor de conferinţe cu participare internaţională „Întâlnire la muzeu” (2006) şi „Lecţie deschisă” (2009-2014).
A participat cu comunicări la:
Simpozionul „Virgil Vătăşianu”, Cluj-Napoca (2006), Simpozionul Internaţional „Rencontres photographiques. Surexpositions” Timişoara (2006), Simpozionul Internaţional „Avangarda românească” organizat de Institutul Cultural Român, Bucureşti (2006), Simpozionul Internaţional „Brâncuşiana” Târgu Jiu (2007), Simpozionul Internaţional „L’art en toutes lettres”, Universitatea BabeşBolyai (2009), Seminarul Anual de Educaţie Muzeală, Ministerul Culturii şi Patrimoniului Naţional (2010, 2011, 2012), Simpozionul „Centenar Gheza Vida”, Academia Română, Bucureşti (2013), Simpozionul Naţional „Artă, cultură şi societate în România interbelică”, Timişoara, (2014).
Este membru al colectivului „Centrului de Cercetare a Imaginarului – Phantasma” din cadrul Universităţii Babeş-Bolyai Cluj-Napoca.
A făcut parte din comitetul de onoare al expoziţiei „Zorii Europei” (2008), Olten, Elveţia.
şi din colectivul de redactare a Dicţionarului de relaţii franco-române, Editura Efes, (2003).
Este îngrijitorul volumului Noi studii ale avangardei. Comunicări prezentate în cadrul simpozionului desfăşurat la Muzeul de Artă Cluj-Napoca, (2007).
Colaborează cu articole la publicaţiile Observator Cultural, Steaua, Tribuna, Ziarul de Duminică.
Apartenenţa la organizaţii
Vicepreşedinte al Reţelei Naţionale a Muzeelor din România în perioada 2011-2014.
Membru al Consiliului Internaţional al Muzeelor (ICOM), al Uniunii Artiştilor Plastici din România (UAP).
Premii
Premiul Uniunii Artiştilor Plastici din România (în grup), (1992); Premiul Naţional „Petru Comarnescu” al Ministerului Culturii şi Cultelor pentru expoziţia „Avangarda din România în colecţii clujene” (2007); Menţiune acordată de Comitetul Român ICOM pentru impactul asupra publicului a expoziţiei „De gustibus et coloribus. O expoziţie de gusturi şi culori cu un decalog culinar de Mircea Dinescu”, (2010).
Alte premii:
Premiul pentru cea mai bună lucrare a Taberei internaţionale de artă de la Hajduböszörmeny, Ungaria (1990); Premiul pentru cel mai bun grafician la Salonul Naţional al Cărţii (1993).
Inclus in volumele „Who’s who in Romania” şi „Clujeni ai secolului XX”, Editura Casa Cărţii de Ştiinţă, Cluj-Napoca, 2000.
Călin Stegerean (1961)
Studii
Institutul de arte plastice „Ion Andreescu” Cluj-Napoca, secţia grafică (1985).
Masterat în management cultural la Facultatea de Studii Europene a Universităţii Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca (2009).
Doctor al Facultăţii de Litere a Universităţii Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca, cu teza „Artele plastice şi revistele literare de avangardă din România interbelică” (2011).
Alte studii
Academia de vară pentru management cultural, Salzburg, Austria (1999).
Cursurile postuniversitare Bazele muzeologiei, organizate de Ministerul Culturii din România (2000-2001).
Bursier al „Atelierului artei spirituale” de la „Centro Aletti” Roma, Italia (1996-1997).
Activitate profesională
1985-1990 grafician-scenograf stagiar la Teatrul de stat Sfântu-Gheorghe (jud. Covasna); 1990-1999 grafician la Editura Dacia Cluj-Napoca; 2000-2006 muzeograf la Muzeul de Artă Cluj-Napoca; 2006-2009, şef de secţie la Muzeul de Artă Cluj-Napoca; 2009-2014, director al Muzeului de Artă Cluj-Napoca.
Este autorul unor expoziţii personale de pictură, grafică şi fotografie la Roma (1997), Veneţia (2000, 2003, 2007), Viena (2003) şi Cluj-Napoca (1997, 1998, 2003).
A participat la mai multe expoziţii colective în ţară şi străinătate (selecţie):
„Expoziţia Mondială a Tineretului de la Edinburgh”, Marea Britanie (1985); „Bienala de afiş”, Varşovia, Polonia (1986); „Expoziţia taberei internaţionale de artă, Hajduböszörmeny, Ungaria (1990); „Ecce Homo”, Galeria UAP Cluj, Cluj-Napoca (1991); Bienala de grafică, Maastricht, Olanda (1993); „Bienala internaţională de grafică”, Brno, Republica Cehă (1996); „Un arte per vivere”,Trieste, Italia (1997); Bienala naţională de grafică a Ungariei, Miskolc, Ungaria (1998); „Expoziţie de grafică românească”, Accademia di Romania, Roma, Italia (1999); „Expoziţia Et in Venetia ego…”, Institutul de Cultură şi Cercetare Umanistică, Veneţia, Italia (2000); „Îngeri veneţieni”, Institutul Italian de Cultură Bucureşti (2002).
A fost curatorul unor de expoziţii de artă contemporană şi a unor expoziţii care au pus în valoare patrimoniul Muzeului de Artă Cluj-Napoca, organizate în ţară şi în străinătate.
Activitate ştiinţifică şi publicistică
Este organizatorul la Muzeul de Artă Cluj-Napoca a unor mese rotunde, a simpozionului internaţional „Noi studii ale avangardei” (2006), a programelor de conferinţe cu participare internaţională „Întâlnire la muzeu” (2006) şi „Lecţie deschisă” (2009-2014).
A participat cu comunicări la:
Simpozionul „Virgil Vătăşianu”, Cluj-Napoca (2006), Simpozionul Internaţional „Rencontres photographiques. Surexpositions” Timişoara (2006), Simpozionul Internaţional „Avangarda românească” organizat de Institutul Cultural Român, Bucureşti (2006), Simpozionul Internaţional „Brâncuşiana” Târgu Jiu (2007), Simpozionul Internaţional „L’art en toutes lettres”, Universitatea BabeşBolyai (2009), Seminarul Anual de Educaţie Muzeală, Ministerul Culturii şi Patrimoniului Naţional (2010, 2011, 2012), Simpozionul „Centenar Gheza Vida”, Academia Română, Bucureşti (2013), Simpozionul Naţional „Artă, cultură şi societate în România interbelică”, Timişoara, (2014).
Este membru al colectivului „Centrului de Cercetare a Imaginarului – Phantasma” din cadrul Universităţii Babeş-Bolyai Cluj-Napoca.
A făcut parte din comitetul de onoare al expoziţiei „Zorii Europei” (2008), Olten, Elveţia.
şi din colectivul de redactare a Dicţionarului de relaţii franco-române, Editura Efes, (2003).
Este îngrijitorul volumului Noi studii ale avangardei. Comunicări prezentate în cadrul simpozionului desfăşurat la Muzeul de Artă Cluj-Napoca, (2007).
Colaborează cu articole la publicaţiile Observator Cultural, Steaua, Tribuna, Ziarul de Duminică.
Apartenenţa la organizaţii
Vicepreşedinte al Reţelei Naţionale a Muzeelor din România în perioada 2011-2014.
Membru al Consiliului Internaţional al Muzeelor (ICOM), al Uniunii Artiştilor Plastici din România (UAP).
Premii
Premiul Uniunii Artiştilor Plastici din România (în grup), (1992); Premiul Naţional „Petru Comarnescu” al Ministerului Culturii şi Cultelor pentru expoziţia „Avangarda din România în colecţii clujene” (2007); Menţiune acordată de Comitetul Român ICOM pentru impactul asupra publicului a expoziţiei „De gustibus et coloribus. O expoziţie de gusturi şi culori cu un decalog culinar de Mircea Dinescu”, (2010).
Alte premii:
Premiul pentru cea mai bună lucrare a Taberei internaţionale de artă de la Hajduböszörmeny, Ungaria (1990); Premiul pentru cel mai bun grafician la Salonul Naţional al Cărţii (1993).
Inclus in volumele „Who’s who in Romania” şi „Clujeni ai secolului XX”, Editura Casa Cărţii de Ştiinţă, Cluj-Napoca, 2000.