Kazimierz Jurczak
Jagellonian University of Krakow, Poland
Les Roumains vus par les Polonais aujourd’hui. Tentative de rationalisation d’un stéréotype
Romanians as the Polish See Them Today. An Attempt to Rationalize a Stereotype
Abstract: For societies, the process of European integration means getting closer to and learning a lot of things about one another. This is, unfortunately, not the case with the Polish and the Romanians, who seem to be moving farther away from each other. Since 1990, the image of the Romanians has continuously deteriorated in the Polish public opinion. Polish sociologists ascertain precisely that lack of information and low levels of individual modernity amongst their cocitizens are the essential causes engendering this situation. The author of this essay tries to expand the field of investigation into the origins of this phenomenon by approaching Polish-Romanian relationships from a political and cultural-historical perspective.
Keywords: Imagology, Polish image of the Romanians, stereotypes, postcommunism.
« Au moment où l’Europe avait cessé de conduire le monde, des peuples européens ont réalisé tout d’un coup qu’ils avaient besoin l’un de l’autre, qu’ils devaient coopérer pour se protéger contre le déboulonnage social et le déclin économique, contre la pression des puissances mondiales rivales (…) ».[1] Grâce à son caractère synthétique, ce fragment de l’Avant-propos de Christopher Dawson à l’Histoire de l’Europe d’Oskar Halecki peut servir de commentaire aux processus contemporain d’intégration. L’intégration, qu’on nous permette d’employer un truisme, se fait non seulement au niveau politique et économique, mais aussi dans le domaine de la psychologie sociale ; elle touche les attitudes humaines, les opinions et les coutumes. On croit couramment que c’est l’intégration socio-économique qui est la plus difficile à réaliser, alors que la psychologie collective, qui présuppose l’acceptation et la tolérance de la diversité, pose aussi des sérieux problèmes ; ses effets laissent toujours à désirer. De même, selon l’opinion presque unanime, les sujets des processus d’intégration sont l’Occident et l’Est de l’Europe ; on accorde moins d’attention aux phénomènes identiques dans la zone orientale de notre continent, comme si l’expérience du Conseil d’Aide Economique Réciproque et du Pacte de Varsovie avait été une garantie suffisante de la cohésion et de l’entente des sociétés de cette région.
La réalité semble assez loin de l’idéal paneuropéen et le demi-siècle de domination communiste dans l’Est de l’Europe n’en est point la seule explication. On doit reculer dans un passé lointain pour comprendre le fond de certains phénomènes d’aujourd’hui. Le culte romantique de l’idéologie nationale au XIXe siècle a concerné dans la même mesure l’Occident (c’est le cas allemand) que l’Europe Centrale et Orientale (les peuples de l’empire des Habsbourg). Citons encore une opinion de Ch. Dawson :
Tous essayaient de convaincre du caractère incomparable de leurs réalisations historiques et de l’autarcie d’une tradition culturelle propre, et on le faisait avec tant de zèle qu’il ne restait plus de temps pour comprendre la vraie nature de l’Europe et son héritage qui était commun .[2]
L’infatuation de ses propres valeurs nationales et, en conséquence, une sorte de cécité culturelle étaient spécifiques autrefois tant pour l’Occident que pour l’Est éuropéens, mais les visions collectives des sociétés de l’Est restent jusqu’aujourd’hui marquées de ressentiments, préjudices et phobies dont le destinataire n’est pas seulement l’Occident « perfide », mais aussi d’autres nations qui habitent la partie « pire » de notre continent. Le bagage psycho-social avec lequel les sociétés des nouveaux membres de l’UE entrent dans les structures d’une Europe unie est considérable ; or, même si, à l’heure actuelle, cet héritage ne semble pas perturber l’intégration d’une manière significative, dans l’avenir, il pourra favoriser le réveil d’égoïsmes locaux et de complexes qui risqueraient de menacer l’idée européenne. La contribution du système communiste au renforcement et, dans certains cas, à l’apparition de malentendus entre les sociétés est-européennes est déjà devenue un sujet de recherche. Un des commentateurs contemporains du problème définit la spécificité des relations dominantes dans des sociétés du bloc communiste de la manière suivante :
A l’abri de l’amitié des pays-frères, l’Europe communiste formait un ensemble dont chaque composante était maintenue en isolation par rapport à l’autre. Les voisins s’ignoraient réciproquement ; la rencontre de l’autre, réglementée et surveillée, accentuait les malentendus, les jalousies, le mépris réciproque. Une vision mijotée par un économisme primaire et des stéréotypes vulgaires donnait naissance aux complexes de supériorité injustifiés à l’égard des pays voisins, les complexes qui ne compensaient que pâlement le sentiment du provincialisme et de la régression .[3]
Notre idée que ce n’est pas uniquement le communisme qui est responsable de la méfiance, par moments de l’hostilité et dans le meilleur cas – de l’indifférence, manifestées fréquemment par les sociétés est-européennes, demande à être argumentée. Nous nous proposons de commenter ce problème en nous appuyant sur un seul exemple qui est, en quelque sorte, extrême, insuffisamment étudié et, surtout, fort gênant. Il s’agit de l’attitude de la société polonaise d’aujourd’hui à l’égard des Roumains, ses partenaires du bloc communiste jusqu’il y a peu de temps et ses voisins jusqu’en 1939.
Après la chute du système communiste, dans la situation d’une démocratie naissante et de la liberté d’expression, les médias polonais ont publié plusieurs résultats de sondages concernant la symphatie et l’antipathie des Polonais à l’égard des autres nations. Et presque toujours, à la tête de la liste de nations auxquelles les Polonais accordaient le plus d’antipathie se trouvaient les Roumains. Evidemment, on peut ne pas prendre au sérieux les résultats des sondages et contester leur caractère objectif. Il est vrai cependant que les études scientifiques, menées systématiquement depuis 1975 par l’Institut de Sociologie de l’Académie Polonaise des Sciences et dans les centres universitaires, confirment les résultats des sondages d’opinion faits par les mass media.[4] Selon ces études, en 1975 seulement 5% des Polonais éprouvaient de l’antipathie à l’égard des Roumains, en 1990 c’étaient déjà 17%, en 1993 – 66% des Polonais déclaraient leur manque de sympathie pour les Roumains identifiés pas mal de fois avec les Tziganes. Ce niveau des sentiments de malveillance s’est maintenu pendant toute la décennie 1990-2000. Interrogés en 2000 à propos de leur sympathie à l’égard des Roumains, les Polonais ont confirmé leur option d’avant : 43,9% des sondés se sont déclarés plutôt malveillants et 35,3% – décidément malveillants envers les Roumains (ce qui faisait en somme 79,2% des réponses négatives).[5] Vu que depuis 300 ans les Polonais et les Roumains n’avaient pas mené des guerres entre eux, et encore moins ils n’avaient pas eu de graves conflits et qu’au XIXe et XXe siècles ils se sont aidés réciproquement plus d’une fois, les résultats des sondages doivent choquer (en 2000, la malveillance envers des nations identifiées d’habitude comme hostiles aux Polonais, à savoir les Allemands et les Russes, était déclarée respectivement par 51,4% et 71,2% des sondés).[6]
La plus jeune génération des sociologues et psychologues sociaux polonais essaie de décrire le phénomène à l’aide des méthodes propres à leurs disciplines. Dans une étude élaborée récemment pendant un stage en Roumanie et encore non publiée, Donata Rogozik, jeune sociologue, propose son propre diagnostic des causes du phénomène.[7] Elle énumère une suite de facteurs qui potentiellement peuvent influencer négativement l’opinion des Polonais sur les Roumains, dont : le niveau du développement économique, la faible confiance aux pays de l’ancien champ politique, la distance géographique, la religion orthodoxe, l’appartenance à des groupes linguistiques différents, pour arriver quand même à la conclusion que les causes les plus importantes de l’état des choses sont : le manque de contacts (la diminution de nombre de séjours des Polonais en Roumanie) et l’insuffisance d’informations, effet certes non désiré de l’ouverture de la Pologne vers les pays occidentaux.[8] Mademoiselle Rogozik traite ces deux facteurs de façon complémentaire, en fait elle suggère que la cause diagnostiquée est le manque d’informations. A la suite de ses réflexions, et en se référant aux recherches effectuées par Alex Inkeles, elle propose d’envisager encore un autre facteur, à savoir le niveau de la modernité individuelle liée avec les changements qui ont lieu en Pologne et avec le processus de construction d’une identité sociale dans la nouvelle situation géopolitique. En ce moment, l’auteur semble hésiter et suggérer des interprétations, selon nous, contradictoires. D’une part, elle voit dans le manque d’informations l’une des sources de la formation des stéréotypes[9], de l’autre, elle constate l’absence d’un stéréotype du Roumain en Pologne et une perception différenciée de la Roumanie, ce qui présuppose, à son tour, un degré élevé de modernité individuelle. Une telle conclusion nous semble trop optimiste et incompatible avec les résultats des sondages cités.
Les analyses proposées par Mademoiselle Rogozik ainsi que le diagnostic de l’état des choses ont un caractère exclusivement sociologique ; nous n’envisageons pas de polémiser avec eux, ne fût-ce que par notre insuffisance de compétences dans le domaine. Il nous semble cependant que toute tentative d’analyse du phénomène adoptant une optique étroite (puisque très spécialisée, qu’elle soit sociologique, psychologique, historique ou politique), reste insuffisante, inévitablement fragmentaire et unilatérale. C’est pour cela que nous nous proposons de compléter le regard sociologique par quelques considérations prises dans le domaine de l’histoire culturelle, politique et des mentalités.
L’image défavorable de la Roumanie qui persiste dans la société polonaise d’aujourd’hui peut surprendre, surtout si l’on tient compte de la vision en vigueur jusqu’à ces derniers temps, puissamment imbibée de l’idéologie officielle, mais tacitement acceptée par la majorité de Polonais, celle des relations d’amitié sans conflits avec la Roumanie « soeur ». Cette vision non conflictuelle concernait tant l’époque contemporaine (ce qui d’ailleurs n’était pas tout à fait vrai, vu l’attitude apparemment indépendante de la Roumanie de Ceauşescu à l’égard de Moscou et d’autres pays communistes) que les temps plus éloignés. L’important est que plus on en appelait à ce slogan, moins on pensait aux arguments qui pourraient valider cette thèse.
Cependant, même dans le seul travail publié officiellement sur l’histoire de la Roumanie, d’ailleurs très favorable aux Roumains et très roumanophile, Juliusz Demel caractérisait les relations de la Pologne avec les principautés danubiennes aux XVIe-XVIIe siècles comme « vives, étroites, mais pas trop bonnes »[10] L’opinion concerne une époque en quelque sorte exceptionnelle, où les contacts polono-moldaves et polono-valaques étaient réellement très étroits, quand les principautés danubiennes jouaient un rôle marquant dans la politique étrangère de l’état polono-lithuanien, puissant à cette époque-là, et quand la culture polonaise – le bastion de la latinité à l’Est – influençait d’une façon déterminante la culture moldave.[11]
Néanmoins, l’intensité des contacts ne change point le fait que la république nobiliaire polonaise ne traitait pas la Moldavie et la Valachie comme des partenaires égaux et que c’était la méfiance qui dominait dans leurs relations politiques et militaires. Qui plus est, au XVIIIe siècle les contacts des élites polonaises et moldaves se sont pratiquement éteints pour une période de plus de cent ans ; les deux cultures se sont éloignées et le phénomène de différenciation des modèles de civilisation s’est fait sentir. Les traces laissées dans la culture et dans la conscience sociale des deux nations par le voisinage et la coopération, remontant à plus de deux siècles en arrière, se sont montrées peu durables. L’orientalisation des cultures moldave et valaque au XVIIIe siècle et la décadence simultanée de la culture (et bientôt celle de l’Etat) nobiliaire polonais ont fait que, dans la première moitié du XIXe siècle, les deux pays soient régis par deux paradigmes culturels différents.
La culture roumaine moderne en train de se former est obsédée par son statut périphérique et ambitionne de s’attribuer des valeurs universelles, alors que la source des souffrances de la culture polonaise est l’universalisme de la vieille culture nobiliaire, devenue entre-temps tout à fait provinciale. Les élites roumaines, s’efforçant d’obtenir la reconnaissance européenne de leur Etat, et les élites polonaises, toujours en lutte pour la reprise de la souveraineté nationale, ont trouvé, il est vrai, un ennemi commun dans la Russie tsariste, mais ce motif s’est avéré insuffisant pour définir une communauté d’intérêts. Il y a eu bien de déclarations, de gestes de solidarité et d’appui moral, mais en réalité, les deux partenaires avaient peu de choses à s’offrir mutuellement.
Certains historiens suggèrent une collaboration étroite des révolutionnaires polonais et roumains avant et après le Printemps des Peuples, soulignant l’apport des émigrés politiques polonais à la consolidation d’une position internationale de la Principauté Roumaine[12], mais les conséquences politiques d’une telle coopération restent presque insignifiantes. Il est difficile d’ailleurs de nous imaginer une coopération réelle entre un prince comme Adam Czartoryski, aristocrate conservateur avec son groupement connu sous le nom d’Hôtel Lambert à Paris, et des révolutionnaires roumains tels que C. A. Rosetti ou N. Bălcescu. Les intérêts politiques dominants communs étaient temporaires et passagers et, redisons-le, sans conséquences majeures pour la cause roumaine ou polonaise.
Le XIXe siècle est aussi le temps de la formation de l’historiographie moderne polonaise et roumaine. Le même modèle romantique qui patronnait les recherches historiques n’a point amené les Polonais et les Roumains aux mêmes conclusions. L’historiosophie romantique polonaise, en s’efforçant de venir à l’appui du moral national considérablement affaibli, a préféré d’une part faire appel à la dynastie des Piast et évoquer le temps d’une Pologne « mythique» et « héroïque »[13] et, de l’autre, se concentrer sur les relations des Polonais avec d’autres nations slaves, avant tout avec les Russes.[14] Les Moldaves et les Valaques se sont trouvés absents des grandes disputes romantiques polonaises sur l’histoire. Par contre, le discours historiographique et littéraire roumain renouait avec les principautés roumaines médiévales, idéalisant leur statut politique et militaire et leurs réussites, et insistant sur le caractère agressif et conquérant des incursions polonaises sur ce territoire.[15] Cette vision de l’histoire, simplifiée et soumise à un patriotisme spécifique, à la fois défensif et militant, se perpétuera au XXe siècle dans les manuels officiels d’histoire et, sauf quelques exceptions, reste toujours en vigueur aujourd’hui.
Le XXe siècle renforcera ce phénomène que nous sommes tentés d’appeler « incompatibilité des discours ». A partir de 1918, la Pologne renaissante et la Grande Roumanie deviennent voisines et alliées. Si on en jugeait par les déclarations des hommes politiques, par le nombre de visites effectuées et le ton des énoncés de la presse de l’époque, les relations entre les deux états étaient très bonnes.[16] En même temps, le volume des échanges commerciaux, un critère assez objectif du niveau réel d’intérêt réciproque, est resté modeste et la coopération dans ce domaine n’a jamais atteint un caractère stratégique pour les deux partenaires.[17] De même, il est difficile de parler des relations culturelles très étroites, et cela en dépit de tous les efforts faits dans ce domaine, entre autres, par Nicolae Iorga. Les contacts des élites intellectuelles sont sporadiques et la culture roumaine reste toujours, pour la partie la plus cultivée de la société polonaise, un phénomène exotique.[18]
Les événements de septembre 1939 contribuent à la vérification de la thèse, soutenue entre les deux guerres de manière non critique, sur « une communauté d’intérêts organique » entre la Pologne et la Roumanie.[19] Les circonstances de l’internement des membres du gouvernement et des militaires polonais par les autorités roumaines continuent de susciter des controverses dans le milieu des historiens. Pour dire les choses en bref, deux idées s’affrontent : l’une qui souligne l’attitude bienveillante du gouvernement roumain à l’égard des réfugiés et sa résistance aux pressions allemandes, et l’autre, concentrée sur l’aspect exclusivement formel des traités polono-roumains obligeant la Roumanie d’accorder le droit de passage aux réfugiés civils et militaires, clause non respectée par le gouvernement Argetoianu. Dans notre perspective, essentiel a été le comportement de la société roumaine qui avait reçu les réfugiés civils polonais avec bienveillance. La mémoire de ces événements reste vive en Pologne et elle constitue l’un des épisodes de l’histoire commune apprécié par les Polonais avec reconnaissance et sans équivoque.
Néanmoins, le déroulement ultérieur de la guerre avait placé les Polonais et les Roumains dans des camps adverses et l’expérience de la guerre de ces deux nations est sensiblement différente. La propagande communiste, au nom d’un internationalisme prolétaire, ignorait d’une manière consciente les controverses, quelles qu’elles fussent, liées à la deuxième guerre mondiale, sauf la question de la responsabilité des échecs subis, dont les élites bourgeoises de l’entre-deux-guerres étaient invariablement chargées. Il en résulte que, pendant des années, ces controverses n’ont été connues que des historiens, spécialistes en matière. En revanche, un simple citoyen de la Pologne communiste était informé d’une manière régulière, sinon monotone, des réalisations remarquables du pays-frère. Et comme l’information, dépourvue du contexte historique, était unilatérale et schématique, les Polonais étaient réduits à imaginer plutôt la Roumanie, sans la connaître vraiment.
Au fait, la propagande communiste reprenait d’une manière involontaire le style cérémonieux et superficiel des énonciations d’avant la guerre sur la Roumanie alliée, si bien que les figures de Piłsudski et Beck, des rois Férdinand et Charles II ont été remplacées par celles de Gheorghiu-Dej, Gomułka, Ceauşescu et Gierek. Le savoir réciproque des deux sociétés est resté insuffisant et les contacts entre les élites intellectuelles, même s’ils étaient plus intenses qu’avant la guerre, ont été réglementés et sévèrement contrôlés.
Dans une telle situation on observe le phénomène d’une « réduction de la perception jusqu’au niveau individuel ».[20] L’unique source d’expérience individuelle sont devenus pour les Polonais les voyages au littoral de la Mer Noire, en groupes organisés et sans le moindre élément de tourisme culturel, mais en revanche avec un important composante économique (le petit commerce au noir). Dans les interviews réalisées par D. Rogozik, déjà citée, la pauvreté des jugements, le manque d’arguments rationnels et de certitudes en ce qui concerne les opinions propres se fait remarquer.[21] Et c’est pour cela qu’on doit être d’accord avec l’auteur là où elle constate que la perception polonaise des Roumains ne remplit pas tous les critères d’un stéréotype[22]. Nous sommes tentés de remplacer le mot « stéréotype » par la catégorie d’« image », qui contient autant des éléments propres aux stéréotypes que des affirmations basées sur les observations et les expériences des membres d’un groupe.[23] En effet, les observations faites par des Polonais en Roumanie dans les années ’70 donnent plutôt l’impression d’un contact avec un monde exotique et inconnu et non d’une confrontation d’un bagage de savoirs avec des réalités sociales et de mœurs locales. A partir des années ’90, dans des conditions politiques et économiques changées, l’expérience individuelle des Polonais résultant d’un contact direct avec les réalités roumaines sera remplacée par un manque d’intérêt pour les Roumains, voire d’une sorte de mépris, corollaire du complexe d’infériorité polonais face à l’Occident. A présent, il y a effectivement des conditions favorables pour la naissance des stéréotypes et, malheureusement, un tel processus semble se dérouler. Le manque d’une opinion unanime des Polonais sur les Roumains ne peut qu’atténuer l’éloquence des faits.
Répétons-le : en ce qui concerne les préjudices polonaises à l’égard de Roumains, nous ne les devons pas uniquement au communisme. Ce système n’a fait qu’intensifier, par sa propagande, les symptômes antérieurs. Une discordance entre le discours officiel sur la Roumanie et l’impact de ce discours sur la réalité politique et économique, le manque de dialogue critique des élites intellectuelles concernant le passé commun, ainsi que les barrières de communication existant objectivement (ce qui tient, entre autres, aux mentalités et aux religions différentes) sont, à notre avis, les causes principales du manque d’intérêt et des préjugés des Polonais envers les Roumains d’aujourd’hui. Pendant des années, on a insisté sur une similitude de destins, une communauté d’histoire et d’intérêts des deux nations et états. Cette vision nous paraît foncièrement fausse. Sans doute, il y avait plus de choses pour nous séparer et distinguer que pour nous unir, mais cela n’est point une raison pour nous inquiéter. La différence éveille la curiosité, la ressemblance décrétée provoque l’aversion.
La catégorie de « modernité individuelle » dont se sert Mademoiselle Rogozik[24], bien qu’utile pour l’analyse du phénomène, a un côté faible : elle dirige l’attention vers les circonstances actuelles, individuelles et unilatérales du problème. Cependant, l’image des Roumains dépend autant des représentations des Polonais sur eux-mêmes (elle est donc une dérivée de leurs propres faiblesses) que de l’évolution du processus de modernisation d’une société conditionnée historiquement. Nous sommes tenus au moins d’essayer de comprendre ces conditions ; sinon les résultats des sondages continueront à nous choquer.
Notes
[1] Dawson Ch., Avant propos à Halecki O., Historia Europy, jej granice i podziały, IEŚW Lublin, 2002, p.12.
[3] Yannakakis I., Familiar/străin, [dans] Delsol Ch., Maslowski M., Nowicki J., Mituri şi simboluri politice în Europa Centrală, Bucureşti / Chişinău, 2003, p. 468.
[4] A consulter, entre autres : Bokszański Z., Polacy wobec innych narodów. O uwarunkowaniach orientacji wobec innych, [dans] Studia socjologiczne, 2001,3 (162), pp.27-51; Jasińska-Kania A., Studia nad postawami wobec innych narodów, ras i grup etnicznych, Inst. Socjologii, Warszawa, 1992; Jasińska-Kania A., Postawy Polaków wobec różnych narodów: sympatie i niechęci,[dans] Kultura i społeczeństwo, 1988, 14(XXXII), pp.147-161; Kofta M., Jasińska-Kania A., Trudne sąsiedztwa. Uwarunkowania psychologiczne i kulturowe, wyd. Scholar, Warszawa, 2001.
[9] « Le manque d’information provoque des lacunes dans les schémas cognitifs qui sont remplis par des informations ou des images qui ne reposent pas sur la base de faits et qui influencent le contenu de l`image de l`autre groupe », ibid., p.29.
[11] A voir, entre autres, Rezachevici C., Istoria popoarelor vecine şi neamul românesc în Evul Mediu, Bucureşti, 1998; Ciobanu V., Relaţiile politice româno-polone între 1699-1848, Bucuresti, 1980.
[12] A voir particulièrement Dach K., Polsko-rumuńskie stosunki polityczne w XIX wieku, Warszawa, 1994.
[14] A voir Kamieński H., Rosja i Europa. Polska. Wstęp do badań nad Rosją i Moskalami, Warszawa, 1999, pp. 325-405; à consulter Walicki A., Rosja, katolicyzm i sprawa polska, Warszawa, 2002, pp. 366-381.
[15] Dans ce contexte on peut considérer presque exemplaire le cas de V.Alecsandri, « le prince » de la poésie roumaine du XIXe siècle, qui plaint les insurgés polonais de 1863 (Pohod na Sybir), mais en même temps présente les nobles polonais comme agresseurs envahissant la Moldavie du voïevode Ştefan (Dumbrava roşie).
[16] A voir entre autres: Bułhak H., Polska a Rumunia 1918-1939, [dans] Przyjaźnie i antagonizmy. Stosunki Polski z państawami sąsiednimi w latach 1918-1939, sous la réd. de J.Żarnowski, Wrocław,1977, pp. 305-344; Willaume M., La Roumanie des années 1919-1926 à travers les articles parus dans Gazeta Warszawska, [dans] Romanian and Polish Peoples in East-Central Europe (17th-20th centuries), sous la réd. de V. Ciobanu, Iaşi, 2003, pp. 111-130; Hrenciuc D., Carol al II-lea vizitează Polonia (15 iunie – 1 iulie 1937), [dans] In lumea relaţiilor polono-române, Suceava, 2005, pp. 188-194.
[17] A voir Keller M., Stosunki gospodarcze polsko-rumuńskie w latach 1918-1926, [dans] In lumea relaţiilor polono-române, éd. citée, pp. 149-160.
[18] Il faut ajouter que cela se passe pendant que le processus parallèle de l’assimilation de la culture polonaise en Roumanie a un déroulement plus positif, surtout si on tient compte du nombre de traductions et de la popularité des romans de H. Sienkiewicz.
[20] La formule appartient à une sociologue polonaise, Antonina Kłoskowska ; à voir Stereotypy a rzeczywistość narodowej identyfikacji i przyswojenia kultury, [dans] Jasińska-Kania A., Trudne sąsiedztwo. Z socjologii konfliktów narodowościowych, Warszawa, 2000, pp. 91-93.
[21] L`image de la Roumanie se réduit aux observations suivantes : un pays moins devéloppé du point de vue économique que la Pologne, une éthnie différente des Polonais, une impression générale de malpropreté.
[22] Nous nous référons à la notion du stéréotype défini comme une représentation d`une réalité sociale simplifiée et caracterisé par un rangement des catégories ou des groupes sociaux. Voir Kurcz I., Zmiana stereotypów – jej mechanizmy i ograniczenia, [dans] Jasińska-Kania A., Stereotypy i uprzedzenia. Uwarunkowania psychologiczne i kulturowe, Warszawa, 2001, pp.3-9.