Alain Vuillemin
Université d’Artois, France
alain.vuillemin@refer.org
La dénonciation du communisme en Union Soviétique et en France
par des intellectuels est- et centre-européens d’expression française,
Ante Ciliga (Croatie), Panaït Istrati (Roumanie), Victor Serge (Russie) et Boris Souvarine (Ukraine)
Exposure of the Communist Regime in Soviet Union and France
Abstract: The exposure in France of the crisis of the communist regime in the Soviet Union started very early. In 1927, upon the tenth anniversary of the Bolchevic Revolution, Panaït Istrati whose reputation had by then already grown in France with the publication in 1924 of Kyra Kyralina, received an invitation from Soviet officials to attend the commemorating festivities in Moscow. The writer departs for Russia in October 1927 and will only return to Paris in February 1929. Growing out of his Russian experience is a three-volume tome entitled Vers l’autre flamme. Confession pour vaincus which was to come out on October 15th 1929. Istrati was to author the first volume alone, Après seize mois dans l’U.R.S.S.. The second would be written by Victor Serge, a Belgian journalist of Russian origin, arrested and imprisoned in Leningrad, in April 1928, while Istrati was still in Russia, and the third, La Russie nue, by Boris Souvarine, a naturalized French journalist of Ukrainian origin who had lived in Moscow between 1921 and 1925. The book thus marks the first denunciation of Stalinism to appear in France and be authored in French by writers from Central and Eastern Europe. Several years on, a fellow intellectual by the name of Ante Ciliga was to be arrested on 21May 1930 by the Stalinist police and deported to Siberia, only to spend the period 1933-35 in hard labour. Ciliga was an Austro-Hungarian born in Croatia and naturalised in Italy in 1919, who left Yougoslavia and went into exile in Moscow in 1926. Ciliga was to be expelled from the Soviet Union in 1935. Taking refuge in France, he publishes in Paris a no less shattering anti-Stalinist testimonial, an account of his exile and deportation entitled Au pays du grand mensonge. For all their poignancy, books such as the above have however fallen into oblivion. Probing great foresight, they formulate an insightful and acerbic critique of what Stalinism and communist had already become in the Russia of 1927. In the following, we seek to remember these testimonials and what they reveal about Stalinist practice in the former Soviet Union in an age marked by the betrayal of revolutionary ideas, a crashing oppression exerted by a sprawling bureaucratic apparatus, and the predicament of the Russian masses and their dreary condition.
Keywords: Soviet Union; Communism; Exposure of the Communist Regime; Ante Ciliga; Panaït Istrati; Victor Serge; Boris Souvarine.
Il est des écrits prémonitoires qu’il faudrait relire. La dénonciation du communisme tel qu’il était pratiqué en Russie, en Union Soviétique, entre les deux guerres mondiales, a commencé très tôt en France. Le Xe anniversaire de la Révolution bolchévique en octobre-novembre 1927 a d’ailleurs marqué un tournant. Un jeune écrivain roumain, Panaït Istrati[1], connu en France depuis 1924 avec la parution de Kyra Kyralina, le premier volume des Récits d’Adrien Zanograffi, est invité à cette occasion en l’Union Soviétique. Il part pour Moscou, avec l’un de ses amis, né bulgare mais devenu roumain en 1913, avant de se réfugier en 1917 en Russie et en Ukraine, Christian Rakovski[2], ambassadeur de Russie en France depuis 1924 et rappelé en octobre 1927 en Union Soviétique. Panaït Istrati sera de retour à Paris le 15 février 1929. De ce séjour au pays des soviets, il publie, le 15 octobre 1929, une relation en trois volumes, intitulée Vers l’autre flamme. Confession pour vaincus. En apparence, c’est un simple récit de voyage, un reportage sur ce qu’il a vu, entendu, découvert au cours de ces longs mois. C’est surtout un écrit polémique, très critique. Seul le premier tome, Après seize mois dans l’U.R.S.S., est de la plume de Panaït Istrati. Le second tome, Soviets 1929, a été écrit par Victor Serge[3], un journaliste belge, d’origine russe, arrêté et emprisonné à Leningrad en avril 1928 au cours du séjour de Panaït Istrati, et le troisième, La Russie nue, par Boris Souvarine[4], un autre journaliste et historien, d’origine ukrainienne, naturalisé français, qui avait résidé à Moscou de 1921 à 1925. Entre-temps, sur un plan plus politique, le 23 octobre 1927, Léon Trotski[5] avait été évincé par Joseph Staline des instances dirigeantes en U.R.S.S. et assigné à résidence à Alma-Alta, dans le Kazakhstan. Victor Serge le rapporte dans Soviets 1929. Tous trois, Panaït Istrati, Victor Serge et Boris Souvarine, plus ou moins proches des conceptions défendues à cette époque par Léon Trotski, ont décidé d’écrire et de publier leurs témoignages respectifs en français mais sous le seul nom de Panaït Istrati pour mieux faire entendre leurs voix en utilisant la notoriété relative de Panaït Istrati en France. Leur livre sera en 1929 la première dénonciation qui ait été faite en langue française du stalinisme par des intellectuels venus de pays du centre et de l’Est de l’Europe. Dans le même temps, un autre intellectuel, Ante Ciliga[6], né austro-hongrois, en Croatie, mais devenu italien en 1919, puis exilé du royaume de Yougoslavie en 1925 en raison de ses activités révolutionnaires en Europe centrale, et réfugié à Moscou en 1926, est témoin des mêmes événements en 1927 et 1928. Suspect, lui aussi, de sympathies trotskystes, il sera arrêté le 21 mai 1930 par la police stalinienne, puis déporté en Sibérie, à Ienisseïsk, de 1933 à 1935, et, enfin expulsé d’Union Soviétique en décembre 1935. Réfugié alors en France, il fait paraître en français, à Paris, un témoignage accablant, intitulé Au pays du grand mensonge, sur ses années passées en exil et en déportation en U.R.S.S. Ces livres sont autant de confessions de révolutionnaires « vaincus », hostiles au stalinisme. Ce sont des écrits engagés, militants, partiaux. Que révèlent-ils néanmoins sur la Russie et sur l’état de la société soviétique de ce temps ? Que disent-ils déjà de la pratique du communisme stalinien, de la trahison des idéaux révolutionnaires, de l’oppression croissante d’une bureaucratie tentaculaire et de la condition tragique des masses russes miséreuses ?
L’idéal révolutionnaire
La Révolution reste un idéal exaltant. Sa « flamme » reste intacte, peut-être plus encore chez Panaït Istrati que chez Victor Serge, Boris Souvarine et Ante Ciliga. Ces trois derniers ont eu à souffrir en effet du stalinisme. En avril 1928, Victor Serge, dont Panaït Istrati avait fait la connaissance en novembre 1927 à Leningrad, est arrêté et emprisonné par les autorités soviétiques. Il sera exclu du P.C.U.S. [7]. Il sera aussi condamné en 1933 à trois ans de déportation dans l’Oural. Il sera banni de l’U.R.S.S. en 1936. Dés juillet 1924, Boris Souvarine, alors présent en Russie, avait été évincé de la direction de la IIIe Internationale Communiste et de sa section française[8]. Il était déjà revenu en France, en janvier 1925. Il restera toute sa vie un adversaire acharné du stalinisme. En 1935, il fera paraître, en français, la première biographie critique de Joseph Staline, d’une très grande lucidité, intitulée Staline. Aperçu historique du bolchevisme[9]. Quant à Ante Ciliga, venu à Moscou en 1926 après avoir été expulsé de Yougoslavie en 1925, il sera arrêté le 21 mai 1930, emprisonné à Leningrad, déporté dans l’Oural de 1930 à 1933, puis en Sibérie de 1933 à 1935. Expulsé d’U.R.S.S. en décembre 1935, il se fixe alors à Paris. Ce sont des révolutionnaires très rembrunis qui s’expriment. Ce désenchantement partagé est à la mesure de leurs espérances et de leurs illusions initiales, résumées par Panaït Istrati au début de son propre récit, Après seize mois dans l’U.R.S.S. Il reste fidèle, affirme-t-il hautement, « au besoin, qui l’a toujours poussé, de combattre pour la justice »[10]. Il ajoute, un peu plus loin : « bolchevisant […] je le suis toujours et je le resterai »[11]. Il est toujours partisan « d’un bolchévisme à la Lénine, à la Trotski, à la Dzerjinski et [à] tous les héros de la Révolution d’Octobre »[12]. Il revient sur cette conviction : « ma route », affirme-t-il, « n’a jamais dévié. Je suis resté [un] révolutionnaire sentimental »[13]. Dans Soviets 1929, Victor Serge est plus elliptique. Il observe sobrement qu’en Russie, en ce « pays de la Révolution […], la révolution n’est pas finie, […] la révolution continue »[14]. Pour sa part, Boris Souvarine ouvre ses réflexions sur La Russie nue par une longue citation empruntée au Voyage dans l’île des plaisirs, une fable composée par Fénelon en France, entre 1700 et 1712, pour l’éducation du duc de Bourgogne, éventuel héritier du roi Louis XIV. Cet extrait évoque une image merveilleuse, celle d’une « île de sucre candi et de caramel, et des rivières de sirop qui coulaient dans les campagnes »[15]. En comparaison, commente Boris Souvarine d’une manière très acide, combien pauvre apparaît l’imagination de Fénelon par rapport aux « facultés d’invention ou d’illusion des actuels fabricants de descriptions paradisiaques du pays soviétique à l’usage d’un public particulièrement crédule »[16]. Son témoignage, très critique pourtant, comme celui de Victor Serge et comme le sera aussi, dix ans plus tard, celui d’Ante Ciliga, tente pourtant de défendre la révolution contre ce qui la rongerait de l’intérieur, contre « la fossilisation des idées en dogmes »[17]. Ces quatre intellectuels restent fidèles à leurs convictions initiales. C’est la Révolution russe et ses idéaux qui ont été trahis.
Le mal bureaucratique
Le mal, c’est la bureaucratie. C’est le sujet central de ces quatre témoignages sur la société soviétique et stalinienne après dix années de bouleversements et de déchirements violents en cette année 1927 quand Panaït Istrati arrive en Russie, qu’il y fait la connaissance de Victor Serge, puis prend contact à son retour en France, en 1929, avec Boris Souvarine, alors qu’Ante Ciliga se trouve déjà à Moscou, depuis l’été précédent. Ce « mal social, la bureaucratie »[18], c’était déjà un slogan, présent partout, sur des affiches en Union soviétique. « En Russie », rapporte Panaït Istrati, « vous ne pénétrez pas dans une institution, un tram, dans un local, sans rencontrer cette affiche et cette invitation : « Camarades ! Prenez part à la lutte contre la bureaucratie » ! »[19]. Dans Soviets 1929, Victor Serge en énumère les manifestations dans les domaines économiques, sociaux et moraux. Il consacre un chapitre entier à une description minutieuse du « gaspillage bureaucratique dans l’industrie » [20] et un autre chapitre à en énumérer les « pustules sur le grand corps vigoureux du parti » [21]. Lui aussi rappelle que « la lutte contre la bureaucratie figure à l’ordre du jour de tous les congrès, de toutes les assemblées du parti, des syndicats et des institutions gouvernementales » [22]. Boris Souvarine reprend la même antienne dans La Russie nue. Il en décrit aussi les errements et les conséquences tragiques sur les conditions de vie des ouvriers, dans les villes et dans les usines, sur celles des paysans et des prolétaires des sovkhozes, dans les campagnes et, enfin, sur toutes les catégories de pauvres et de malheureux à cette époque, en Union Soviétique. Victor Serge et Boris Souvarine procèdent de la même manière en multipliant les exemples, les citations, les déclarations, les anecdotes, les documents, et d’innombrables données numériques et statistiques, toutes suspectes d’ailleurs de biais et de manipulations diverses qu’ils ne cessent de relever à tout instant. L’accumulation est impressionnante. Tous deux notent d’ailleurs que, « nulle part au monde, on observe quelque chose de semblable ou d’approchant »[23]. Soviets 1929 et La Russie nue sont, au moment de leur parution en France, en 1929, la première tentative de description de cette « bureaucratie gigantesque »[24], de cette « hypertrophie tératologique d’administration paperassière, inutile, nuisible, coûteuse, stérile et stérilisatrice, corrompue et corruptrice… »[25]. Pour sa part, dans Dix ans au pays du grand mensonge, Ante Ciliga constate la « haine instinctive »[26] éprouvée par la population russe à l’égard de la bureaucratie. Il en décrit les prolongements jusque dans les lieux d’emprisonnement, d’internement et de déportation en Russie et en Sibérie. Mais c’est encore Panaït Istrati qui analyse et qui dénonce avec le plus de vigueur et de véhémence l’ambiguïté radicale de ce slogan politique. Certes, constate-t-il, c’est le « Parti communiste […] lui, tout entier, qui vous invite à lutter contre ce mal social : la bureaucratie. Eh bien, non ! Cette invitation n’est qu’un artifice »[27]. C’est le même « militant », explique-t-il, « […] qui est lui-même un bureaucrate. Ce sont les deux visages d’un même homme […] qui, d’une main, fabrique des « mots d’ordre » (pour lutter contre le mal) et [qui] de l’autre, vote dans la « ligne » [du parti], c’est-à-dire pour le maintien de ce qui est »[28]. Panaït Istrati en tire enfin un constat : « n’est-ce pas là, à jamais, la faillite morale d’une Révolution ? »[29], trahie par un mal intérieur, l’hypertrophie de l’administration dans l’Union soviétique de l’entre deux guerres.
Une masse misérable
C’est le sort tragique des pauvres, des malheureux, écrasés par l’arbitraire et par la misère qui inspire ce cri d’indignation partagé par Panaït Istrati, Victor Serge, Boris Souvarine et Ante Ciliga. C’est ce que Panaït Istrati découvre, dès son arrivée à Moscou en octobre 1927, en une ville qui était alors en ébullition pour les fêtes du Xe anniversaire de la Révolution d’octobre 1917. En contrepoint des préparatifs des festivités qu’il observe, il ne cesse de découvrir des « ombres au tableau »[30], pour reprendre une expression qu’Ante Ciliga utilisera dix ans plus tard, à savoir les plaies et les déchirures de la société russe. Il le fait aussi au cours de ses déplacements à l’intérieur de l’URSS. En novembre et en décembre 1927, Panaït Istrati traverse l’Ukraine puis la Géorgie jusqu’au Caucase, revient à Moscou, repart pour Kiev et pour Odessa en Ukraine, avant de s’embarquer pour la Grèce, le Pirée et Athènes. Son séjour en Grèce, entre janvier et mars 1928, en compagnie de Nikos Kazantzakis, un autre militant engagé, grec, et lui aussi francophone, est écourté par une inculpation pour « agitation communiste »[31]. Son permis de séjour en Grèce ne lui est pas renouvelé. Il revient en Ukraine. Nikos Kazantzakis le rejoint en avril 1928 à Kiev. Ensemble, ils visitent le grand Nord de la Russie, Mourmansk, puis Arkhangelsk et reviennent à Moscou. Malade, Panaït Istrati part alors pendant un mois en Crimée, à Yalta. Il revient ensuite à Moscou, repart pour la Moldavie, remonte vers Kazan, passe par Stalingrad, retrouve Christian Rakovski, envoyé entre temps en exil à Astrakhan, sur la mer Caspienne, en septembre 1928, puis traverse la Transcaucasie, visite Tiflis, Bakou, l’Azerbaïdjan, pousse jusqu’en Abkhazie et revient à Moscou en décembre 1928, avant de se rendre à Leningrad où il rencontre Victor Serge, une dernière fois au début du mois de février 1929, et revient en France, à Paris, le 15 février 1929. C’est en de toutes autres conditions, comme exilé, après avoir été expulsé de Yougoslavie en 1925 en raison de ses activités révolutionnaires, qu’Ante Ciliga, arrêté à Leningrad, exilé dans l’Oural, puis en Sibérie, interné à Irkoutsk, découvre une autre Russie, beaucoup plus souterraine, celle des prisons et des camps de travaux forcés. Partout, à chacune des étapes de leurs itinéraires respectifs, ces auteurs décrivent ce qu’ils voient, ce qu’ils observent, ce qu’ils entendent. Ils multiplient les exemples, les anecdotes, les rencontres, ils rapportent des entretiens. Ils sont des témoins directs de la vie quotidienne, « tragique »[32], comme l’explique Boris Souvarine dans La Russie nue, marquée par de bas salaires, des conditions détestables de logement, l’ignorance, l’alcoolisme. Ce sont des masses malheureuses, misérables, illettrées, arriérées qui peuplent la Russie soviétique. C’est aussi sur cette « puissance des ténèbres » [33] que s’est édifié le régime, la « dictature du prolétariat »[34] édifiée après la mort de Lénine. Les « méthodes gouvernementales soviétiques », ajoute Boris Souvarine, « correspondent au niveau de la masse »[35] de cette population et au « phénomène de « dégénérescence » et de « décomposition » (expressions mêmes de la presse du bolchevisme) du parti communiste et de l’appareil [gouvernemental] soviétique »[36]. L’arbitraire, la prévarication, la corruption sont un reflet de cette misère générale des masses populaires russes.
Conclusion
Cette dénonciation des dérives du communisme en Union Soviétique entre les deux guerres mondiales a été peu entendue en France, qu’il s’agisse de Vers l’autre flamme, conçu en commun par Panaït Istrati, Victor Serge et Boris Souvarine, et publié en 1929, ou du livre d’Ante Ciliga, Dix ans au pays du mensonge déconcertant, dont la première partie a été éditée en 1938, avec un titre légèrement différent : Au pays du grand mensonge, et dont la seconde partie, Sibérie, terre de l’exil et de l’industrialisation, a paru en 1950 seulement. Les deux volumes ont été réédités ensuite, la même année, en 1977. Que ce fût avant ou après la seconde guerre mondiale, l’audience de ces deux livres a été très réduite. Le projet était pourtant commun. Ante Ciliga le résume dans l’avant-propos de son propre témoignage : « j’ai voulu retracer fidèlement mes impressions […]. J’ai commencé par voir la Russie avec les yeux d’un touriste étranger consciencieux et quelque peu émerveillé. Ce n’est que peu à peu que j’ai senti poindre en moi la méfiance »[37]. Le principe de la démarche a été aussi semblable : « je suis absolument persuadé, ajoute ce même auteur en juillet 1937, qu’on doit écrire sur l’U.R.S.S. et sur la révolution russe dans un esprit de sincérité totale, en écartant le principe bolchévique qui consiste à déformer les faits « dans l’intérêt de la révolution […]. Les moyens inavouables finissent par compromettre la meilleure des causes »[38]. Dans La Russie nue, Boris Souvarine s’engageait déjà, en 1929, « à dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité possible […] sous le voile rouge des apparences »[39]. Le but poursuivi est aussi identique : « susciter [un] débat interdit en Russie »[40], comme le déclare Panaït Istrati dans Après seize mois dans l’U.R.S.S. Ce qu’ils disent, tous les quatre, de la Russie et de ses énigmes, de la trahison des idéaux révolutionnaires, de l’hypertrophie d’une bureaucratie monstrueuse, des conditions de vie misérables, tragiques, des masses populaires russes, a surtout provoqué de violentes réactions d’indignation contre eux, que ce fût en France, en Roumanie ou, plus tard, en Yougoslavie. Un dossier, annexé à la réédition de 1977 de Vers l’autre flamme, rappelle combien Panaït Istrati (et, à travers lui, Victor Serge et Boris Souvarine) a été honni, vilipendé, injurié, en France, dans les années 1930, en particulier par Henri Barbusse. Entre 1945 et 1992, Ante Ciliga a été aussi perçu comme un « Janus à double face »[41] en raison de son nationalisme croate et de son hostilité au régime de Josip Tito en Yougoslavie. Depuis, les deux livres sont retombés dans l’oubli. Ils demeurent néanmoins deux témoignages de précurseurs, très critiques, de ce que le communisme et le stalinisme étaient devenus en Russie, dès 1924, au lendemain de la disparition de Vladimir Lénine. Ils seraient peut-être à relire en ces temps de transition post-totalitaires.
Notes
[8] La Section Française de l’Internationale Communiste (S.F.I.C.) deviendra en 1943, en France occupée, le Parti Communiste Français (P.C.F.) après la dissolution de la III° Internationale Communiste, à Moscou, le 15 mai 1943.
[9] Souvarine, Boris, Staline. Aperçu historique du bolchévisme, Paris, Plon, 1935.
[10] Istrati, Panaït : Vers l’autre flamme. Confession pour vaincus, Tome I, Après seize mois dans l’U.R.S.S., Paris [Rieder, 1929], réédition Gallimard, 1977, p. 17.
[14] [Serge, Victor] in Istrati, Panaït : Vers l’autre flamme. Confession pour vaincus, Tome II, Soviets 1929, Paris [Rieder, 1929], réédition Gallimard, 1977, p. 8.
[15] Fénelon, Jean-Baptiste-Augustin de Salignac, Abbé de : Fables composées pour l’éducation de Mgr le Duc de Bourgogne (1700-1712) cité par [Souvarine, Boris] in Istrati, Panaït, Vers l’autre flamme. Confessions pour vaincus, Tome III, La Russie nue, Paris [Rieder, 1929], réédition Gallimard, 1977, p. 9.
[17] [Serge, Victor] in ISTRATI, Panaït : Vers l’autre flamme. Confession pour vaincus, Tome II, Soviets 1929, Paris, [Rieder, 1929], réédition Gallimard, 1977, p. 203.
[18] Istrati, Panaït : Vers l’autre flamme. Confession pour vaincus, Tome I, Après seize mois dans l’U.R.S.S., Paris [Rieder, 1929], réédition Gallimard, 1977, p. 36.
[20] [Victor, Serge] in Istrati, Panaït : Vers l’autre flamme. Confession pour vaincus, Tome II, Soviets 1929, Paris [Rieder, 1929], réédition Gallimard, 1977, p. 47 et sq.
[23] [Souvarine, Boris] in Istrati, Panaït : vers l’autre flamme. Confession pour vaincus, Tome III, La Russie nue, Paris, [Rieder, 1929], réédition Gallimard, 1977, p. 296.
[26] Ciliga, Ante : Dix ans au pays du grand mensonge, Paris [Gallimard, 1937], rééditions Champ Libre, 1977, p.40.
[27] Istrati, Panaït : Vers l’autre flamme. Confession pour vaincus, Tome I, Après seize mois dans l’U.R.S.S., Paris [Rieder, 1927], réédition Gallimard, 1977 ; p. 36.
[30] Voir l’« Itinéraire du voyage de Panaït Istrati en U.R.S.S. », in Istrati, Panaït : Vers l’autre flamme. Confession pour vaincus, Tome I, Après seize mois de séjour dans l’U.R.S.S., Paris [Rieder, 1927], réédition Gallimard, 1977, pp. 193-196.
[32] [Souvarine, Boris] in Istrati, Panaït : Vers l’autre flamme. Confession pour vaincus, Tome II, La Russie nue, Paris [Rieder, 1927], réédition Gallimard, 1977, pp. 37-169.
[37] Ciliga, Ante : Au pays du grand mensonge, Paris, [Gallimard 1938], réédition Champ Libre, 1977, p. 19.