Corin Braga
“Babeş-Bolyai” University, Cluj, Romania
Ernesto Sábato:
Cécité et inceste /
Blindness and Incest
Abstract: The paper starts from the assumption that the “personal myth” of Ernesto Sábato’s narrative is centred on the symbol of blindness. The characters are generally grouped in a triangular scheme, formed by the figures of the neophyte (Castel, Martin, Sábato), of the “medusa” women (María, Alejandra, Soledad) and of the blind person or the monstrous initiator into blindness (Iribarne, Fernando, Rojas). Losing one’s eyes and sight has been, since the Oedipus myth, correlated with incest. Behind Sábato’s obsession with blindness, there appears to lie an oedipal conflict, namely the anxiety provoked by incestuous desires and castration fears.
Keywords: Argentinean Literature; Ernesto Sábato; Oedipus; Blindness; Incest.
Dans Abbadón l’exterminateur (traduit en français sous le titre L’ange des ténèbres), Ernesto Sábato définit l’art comme l’expression des obsessions les plus profondes de l’écrivain. Le vrai créateur ne saurait choisir ses thèmes, il est littéralement possédé par des fantasmes qui lui dictent le fil de la narration. A la fin ses fictions s’avèrent n’être que les facettes d’un fantasme unique, d’une hantise maîtresse, qui accapare et régit la vie intérieure de l’artiste.
« Les obsessions ont des racines très profondes, et plus elles sont profondes, moins elles sont nombreuses. Et la plus profonde de toutes est peut-être la plus obscure, mais aussi la racine unique et toute-puissante de toutes les autres, celle qui reparaît à travers toutes les œuvres d’un véritable créateur »[1].
Cette profession de foi littéraire, qui remonte aux grands romantiques et résonne avec le modernisme « irrationaliste », recoupe le programme critique de Charles Mauron. Pour relever la carte de l’œuvre d’un écrivain, Mauron propose de cerner les métaphores récurrentes, qui témoignent d’une obsession persistante, et d’investiguer leurs relations réciproques, de refaire leur diagramme synchronique. Cette « synopse » devrait aboutir finalement à un méta-schéma narratif, que Mauron appelle le « mythe personnel »[2]. Le mythe personnel s’enracinerait dans l’inconscient de l’artiste et témoignerait de ses propensions abyssales les plus intimes et définitoires pour sa personnalité globale.
Quel est le mythe personnel d’Ernesto Sábato ? Il n’est pas difficile de constater, et d’ailleurs l’auteur argentin le confesse explicitement maintes fois, que l’archi-thème de sa prose est la cécité. Ses trois romans, Le tunnel (1948), Héros et tombes (1961) et Abbadón l’exterminateur (L’ange des ténèbres, 1974), tracent l’histoire de l’émergence progressive de ce grand symbole obscur qu’est la Secte des aveugles. Dans les termes de l’auteur, le rôle de la narration serait de provoquer une « ontophanie », de permettre, par l’intermédiaire du « développateur » cinématographique qu’est l’écriture, la manifestation d’une réalité cachée.
L’homme total, affirme Sábato (du moins dans son hypostase de personnage), ne se réduit pas à son existence « objective », il est tout autant défini par sa vie « subjective ». Une « ontophanie » devrait refléter la « réalité tout entière », autant extérieure, lumineuse, rationnelle, qu’intérieure, ténébreuse, irrationnelle[3]. La conscience et l’inconscient, le principe de réalité et le principe de plaisir comme dirait Freud, sont dans une relation dialectique et complémentaire. L’homme des Lumières, consacrant un culte à la Raison maîtresse, est doublé par l’homme romantique, inexorablement ensorcelé par l’âme nocturne. Selon la loi héraclitéenne de l’énantiodromie, appliquée par Jung à l’appareil psychique, toute inflation du cogito finit par provoquer un retour du refoulé (« l’inconscient est rentré par la fenêtre », dit Sábato), une prise en possession par l’ombre, ou par les Furies du Hadès.
Les aveugles sont, au premier abord, le symbole d’une décompensation de l’âme inconsciente, accusée par Sábato autant en son nom que dans celui de porte-parole de l’homme moderne. Les aveugles sont l’autre en nous, le frère d’ombre que nous redoutons mais que nous ne pouvons vraiment pas éviter ou réduire au silence. Fernando Vidal Olmos, dans sa paranoïa tout à fait symptomatique pour le malaise de la psyché collective, perçoit l’aveuglement comme une transformation génétique, comme le passage de l’être humain à la condition de lézard ou de chauve-souris. La répulsion que suscite en lui le contact avec des aveugles, l’impression que ceux-ci ont la peau froide et humide comme des poissons ou des reptiles, ne sont que l’angoisse somatisée face au jumeau terrifiant qui l’habite. Perdre la vue signifie quitter le monde rassurant de la conscience diurne et plonger dans « l’univers des ténèbres », passer de la « zone éclairée à la zone obscure de l’existence », être possédé par « les forces invisibles qui agissent sur nous »[4].
L’obsession pour les souterrains et les caves, qui imprègne de ses couleurs crépusculaires tous les espaces imaginaires de Sábato, est l’expression de l’attraction morbide exercée sur les personnages par les bas-fonds de l’inconscient. Au mythe platonicien du monde-caverne, l’écrivain argentin oppose le symbole de la vie comme un tunnel, ou comme un réseau de tunnels qui s’entremêlent tels des boyaux, sans s’entrecouper et sans communiquer entre eux. Presque tous ses protagonistes sont des égarés et des claustrés dans les oubliettes de leurs âmes.
Le monde immergé des aveugles est un Hadès moderne. Dans son errance délirante, Fernando arrive, par les égouts de Buenos Aires, dans un espace souterrain gigantesque qui rappelle le modèle de la « terre creuse » imaginé par Athanasius Kircher au XVIIe siècle, modèle qui a inspiré tant d’auteurs de voyages extraordinaires, du Voyage de Niels Klim dans le monde souterrain de Ludvig Holberg au Voyage au centre de la terre de Jules Verne. La population de la nuit habite dans « une caverne qui devait être immense », un « formidable amphithéâtre s’ouvrant sur une plaine grandiose, faiblement éclairée par la lueur rougeâtre et violacée d’un astre beaucoup plus grand que notre soleil »[5]. A l’âge classique, Edmund Halley et Leonhard Euler avaient amplifié le modèle de la terre poreuse de Kircher au modèle de la terre vide à l’intérieur, ressemblant à une écorce dont le centre serait occupé par un noyau dense, une planète plutonienne[6]. Ernesto Sábato fait d’un tel astre intérieur le symbole du soleil noir de l’inconscient.
En même temps, il conçoit l’Enfer des aveugles comme le grand Cloaque. Pour y arriver, il faut traverser des tunnels fétides, parcourus par des torrents d’eaux impétueuses et malodorantes, avec des parois gluantes et suintant l’humidité. « Egouts abominables de Buenos Aires ! Monde inférieur et horrible, véritable patrie des immondices ! », s’exclame Fernando, décrivant le monde des aveugles comme la latrine et le dépotoir du monde, purgé et stérile, des voyants de la surface. « Inter feces et urinas nascimus », disait saint Augustin, pour rappeler au bon chrétien la condition déchue de la nature humaine. Sábato reprend cette allégorie pour imaginer l’univers des aveugles comme un espace de gestation non pas utérine mais rectale.
Jules Verne et d’autres auteurs plus optimistes avaient vu les entrailles de la terre comme le sein de Mater Gaïa, abritant des écosystèmes primitifs, plus anciens que ceux de la surface. Au « centre de la terre » vernien, c’est toute l’ère mésozoïque qui continue à vivre à l’âge de l’enfance de la nature. Fernando pense lui aussi que les « sordides galeries » ont dû être creusées par des hommes et des animaux préhistoriques. Toutefois la race des aveugles ne renvoie pas à l’enfance phylogénétique de l’humanité, mais à une régression au stade anal de l’individu. Le protagoniste associe donc l’inconscient aux pulsions excrémentielles.
Le « dieu inconnu » de l’univers ténébreux, du Hadès anal, est un mauvais démiurge. Méditant sur l’origine du mal dans le monde, Fernando refait ingénument les raisonnements des docteurs gnostiques du début de l’ère chrétienne, qui, eux aussi, s’étaient demandé Unde malum ? La panoplie de réponses, allant du nihilisme (« Dieu n’existe pas ») au satanisme (« Dieu a été vaincu, bien avant l’Histoire, par le Prince des Ténèbres »[7]) témoigne d’une vision de l’univers tragique et névrosée, sinon paranoïaque et suicidaire. Dans L’ange des ténèbres, l’auteur-personnage Sábato endosse, dans une polémique avec des jeunes révolutionnaires, anarchistes et écrivains, la conception selon laquelle « le Mal domine la terre »[8].
Abbadón l’exterminateur n’est autre que l’ombre (dans le sens jungien) personnifiée. L’aveuglement et la sortie à la surface de la Secte des aveugles symbolisent d’une manière générale le retour de l’inconscient, la possession des personnages par le démon intérieur. « Pour moi », confesse Fernando, « la conclusion est évidente : le Prince des Ténèbres continue de régner et sa domination s’exerce par l’intermédiaire de la Secte sacrée des aveugles »[9]. Si, en tant que lecteurs, nous pouvons nous demander en frissonnant si dans ses romans Sábato se réfère littéralement aux aveugles réels (hypothèse bien sulfureuse, que l’auteur argentin évite grâce à la théorie esthétique de la non-coïncidence du créateur et des personnages, Sábato traitant lui-même Fernando de paranoïaque), ces considérations gnostiques révèlent de fait que les aveugles sont une parabole désignant quelque chose d’autre.
Patronnés par le dieu du mal, les romans de Sábato baignent dans une lumière crépusculaire et apocalyptique. Les personnages sont dominés par le sentiment de la fin inéluctable du monde, que ce soit le monde ancien, celui bâti par les héros de la civilisation sud-américaine, le monde nouveau (où sont en train de s’établir les juntes militaires), ou le monde individuel des familles telle celle des Olmos, qui s’éteigne par le suicide d’Alejandra et Fernando. Aussi un mendiant illuminé, Natalicio Barragán, a-t-il la vision, éthylique rien qu’en apparence, d’un énorme dragon embrasant le ciel de Buenos Aires. Ce n’est pas moins que le Dragon de l’Apocalypse de saint Jean, l’archi-démon qui conduit les forces de l’abysse contre l’armée des saints.
Quand l’ombre échappe au contrôle du moi conscient, quand elle réussit à devenir autonome, à se cliver, l’individu souffre un processus psychotique, un dédoublement et une multiplication de ses personnalités. Sábato accuse justement une telle pression interne et décrit l’art comme le surgissement de fantasmes en train de se matérialiser. La célèbre théorie de l’autonomie du personnage face à l’auteur y est utilisée pour décrire la fracture intérieure. Pour Sábato, les personnages de fiction (« ceux qui sont authentiques, qui surgissent comme les rêves, non pas ceux qui sont fabriqués ») sont une sorte de doubles de l’auteur, qui explorent pour lui des zones qui autrement lui resteraient inaccessibles. L’artiste visionnaire (dans le sens nocturne) est « conduit par ses propres fantasmes vers le continent où eux seuls pouvaient le conduire »[10].
Les trois romans de Sábato sont conçus dans une progression qui marque justement ce processus de matérialisation des fantasmes et de dédoublement de l’auteur. Le crime de Juan Pablo Castel, qui fait le sujet du Tunnel, ainsi que le suicide par le feu d’Alejandra et de Fernando de Héros et tombes, sont présentés comme des épisodes repris aux rubriques des faits divers de la presse argentine, donc comme des événements réels de la vie courante de Buenos Aires.
Mais, il s’agit là de quelque chose de plus que d’une technique de validation empirique, donc d’un pacte de lecture fictionnel que l’auteur voudrait imposer au lecteur. Sábato aspire à transformer la littérature en un supplément de la réalité, à brouiller les limites entre le vrai et le fictif, entre l’objectif et le fantasme. Dans le cadre de cette réalité totale, l’auteur cesse de rester séparé de ses créatures, d’observateur il devient chroniqueur et participant aux explorations tragiques des protagonistes, « rien qu’un personnage de plus, au même titre que les autres qui, cependant, sortent de son âme »[11]. L’ange des ténèbres est justement la concrétisation de cette poétique ontologique, qui fait non seulement que Sábato devienne un personnage de son roman, mais que ses fictions, le peintre Castel, Martin et Bruno, mais aussi Alejandra et Fernando, apparaissent dans la réalité quotidienne de Buenos Aires. Un Buenos Aires qui devient, comme l’a remarqué un commentateur, aussi viscéralement réel que le Saint-Pétersbourg de Dostoïevski.
C’est dans cette réalité télescopée à travers les lentilles successives du Tunnel, de Héros et tombes et de L’ange des ténèbres, que transparaît, comme un paradigme platonicien, le mythe personnel de Sábato, un triangle archétypal de personnages. La même configuration triadique se retrouve, comme un laser hypnotique qui traverse les murs des romans, dans la trilogie sabatienne. Dans Le tunnel, le triangle est constitué par Juan Pablo Castel, Maria Iribarne et son époux aveugle ; dans Héros et tombes, il y a un premier triangle représenté par Bruno Bassán, Georgina Olmos et son cousin Fernando Vidal, et un deuxième par Martin del Castillo, Alejandra et son père Fernando ; finalement dans L’ange des ténèbres, la configuration triadique se retrouve dans les groupes de Nacho, sa sœur Agustina et son amant Perez Nassif, et de Sábato même, Soledad Carranza et Nicolas Ortiz de Rosas. Dans chacune de ces formules à trois, le premier personnage joue le rôle du néophyte, qui sera initié (en un sens souvent tragique) ; le deuxième, la femme « méduséïque », est l’intermédiaire, l’initiatrice et aussi la victime de l’initiation ; le troisième est un représentant ou un témoin ayant déjà eu un contact fatal avec le monde des aveugles. Pour comprendre quel est le fantasme personnel de Sábato, quel sens particulier acquiert l’initiation à l’aveuglement dans son œuvre, il va falloir analyser ces triangles de personnages un à un.
Juan Pablo Castel du Tunnel est un personnage introverti et isolé, au seuil de l’autisme. C’est lui qui définit la vie comme la traversée d’un tunnel à parois transparentes, et pourtant sans communication avec l’extérieur. Son seul moyen de contact avec ceux du dehors est son art, la peinture. Le tableau avec la figure d’une femme qui contemple de dos l’océan, scène qui fascine Maria Iribarne, est une fenêtre qui lui donne l’illusion d’une possible sortie. Néanmoins, le meurtre de Maria, cette unique personne « qui pouvait me comprendre », est symboliquement accompagnée de la destruction du tableau et la chute définitive du personnage non seulement dans la cellule de la prison, mais aussi dans la « caverne noire » qui se creuse définitivement en lui.
Le comportement autiste de Castel semble être causé par un traumatisme infantile, par une sorte de déficience affective, qui entraîne une incapacité aiguë d’auto-expression. Son incertitude maladive de soi, la « maudite habitude de vouloir justifier chacun de mes actes » rappellent le besoin de l’enfant d’être encouragé par les parents, d’être légitimé par leur approbation. En l’absence de cette assurance, l’homme adulte tend à reproduire le scénario manqué de l’enfance en projetant la figure de la mère dans les femmes qu’il rencontre. C’est ce qui se passe entre Castel et Maria. Bien que plus âgé qu’elle (il a trente-huit ans, alors qu’elle a environ vingt-six), dans leur relation il fait figure d’adolescent. Même Maria observe que, paradoxalement, il est très jeune, du moins par rapport à elle, qui paraît avoir incorporé non seulement une expérience de vie et de douleur, mais aussi la maturité de l’imago maternel projeté en elle. Le coup de foudre vécu par Castel, le sentiment d’avoir enfin trouvé quelqu’un qui le comprenne, dévoile bien que le peintre voit dans la femme un portrait plus profond, celui de l’unique figure qui saurait assouvir son anxiété : la mère. Il est symptomatique que les moments d’amour les plus tendres sont ceux qui réitèrent les postures de la mère et de l’enfant :
« Comme avec ma mère quand j’étais petit, je mis ma tête sur sa poitrine et nous restâmes ainsi pendant un moment immobile et éternel, d’enfance et de mort »[12].
Or, une telle relation soulève évidemment des angoisses d’inceste. La difficulté de Castel à accepter la féminité et la sexualité de Maria, due à son immaturité émotionnelle, est renforcée par une anxiété œdipienne. Une des manifestations les plus patentes du fantasme de la castration qui s’associe au complexe d’Œdipe est l’inhibition du personnage, la crainte de l’impuissance qui ronge leurs relations intimes. La jalousie obsessionnelle, la peur d’être trahi, lui font associer la figure de Maria à celle d’une vicieuse et d’une débauchée. Sur presque tous les personnages féminins de Sábato (Maria, Alejandra, Agustina, Soledad) pèse le même soupçon de prostitution, une prostitution en quelque sorte de luxe, non pour l’argent mais par défi à la morale commune, aux valeurs romantiques et finalement à la race humaine. A fortiori, cette ambiguïté est massivement nourrie par les personnages masculins eux-mêmes, qui, à travers les accusations d’infidélité, redoutent compulsivement la répétition du scénario de l’abandon par la mère.
Il est vrai que les femmes de Sábato sont elles aussi des torturées. Les vices ténébreux que Castel attribue à Marie consonnent d’une certaine manière avec des penchants et des faits inavouables, « obscurs et méprisables », « orages et cruautés » qui remontent à l’enfance de la jeune femme. Si elle se refuse à une relation stable, c’est, de même que dans le cas d’Alejandra, pour ne pas impliquer son amant dans ses problèmes, pour ne pas le faire souffrir, pour lui éviter des catastrophes encore plus grandes.
Car les personnages féminins de Sábato sont, qu’ils le veulent ou non, des initiatrices à un univers de souffrance et de refoulements. Ils exercent une fascination implacable sur ces néophytes qui ne veulent et ne peuvent se défaire de leur attrait de sirène. Maria Iribarne, la première de la série, est mariée à un aveugle. Et bien que chez Castel la paranoïa de Fernando ne paraisse pas faire surface, Maria n’est pas moins une « méduse », jouant le rôle d’une prêtresse d’un culte noir dont elle sera, elle-même, la victime. Le peintre la perçoit comme un être nyctalope (la nuit, elle détourne les yeux de la flamme d’une allumette) et ne peut la définir qu’en association avec un soleil noir, nocturne[13]. Pour Fernando Vidal, qui lit avidement la confession de Castel (donc le premier roman de Sábato), Maria n’est pas une victime de l’attaque de folie du peintre, mais de la Secte des aveugles, qui la punit, elle et Castel du même coup, pour des fautes obscures (pour tromper son mari ?).
Si les aveugles sont un symbole de l’inconscient émergent, le piège psychologique qui pousse Castel au meurtre est la fatalité intérieure du personnage même. Comme les personnages d’Edgar Allan Poe, Castel souffre d’une inflation de la rationalité (il ratiocine, élabore sans cesse des plans, se rappelle « nombre de faits avec une incroyable minutie »), qui, par la compression qu’elle exerce sur la vie inconsciente, détermine elle-même un retour violent du refoulé. En commettant le crime, Castel réitère le même déterminisme intérieur que Raskolnikoff et les « possédés » de Dostoïevski. « Le démon s’était désormais emparé de mon esprit, et pour toujours », confesse le personnage.
Possédé par son ombre, il ressent des sensations étranges de dédoublement et des symptômes de personnalité multiple. Il répond au chef de gare de l’estancia de Marie qu’il n’est pas Castel, non pas pour brouiller les pistes, mais pour exprimer concrètement le sentiment d’être un autre. Le symbole le plus percutant du clivage vécu par le personnage est un rêve angoissant sur sa transformation en oiseau, métamorphose invisible pour les autres et d’autant plus périlleuse qu’elle le laisse enfermé dans une identité inconnue et inqualifiable.
Dans Héros et tombes, il y a deux triangles de personnages qui se superposent à des époques différentes. Tous les deux impliquent la famille des Olmos, à sa dernière génération (qui marque aussi son extinction), celle de Fernando Vidal Olmos et de sa fille Alejandra. Pendant des nuits grotesques et qui tiennent du cauchemar, Alejandra initie Martin dans l’histoire de sa famille, qui remonte aux guerres d’indépendance de l’Amérique du Sud. Les « héros » en sont les protagonistes d’une histoire à la fois glorieuse et désenchantée, et leurs « tombes » (quand ils ne finissent pas sous la forme d’une tête décapitée et conservée dans un placard) sont la mémoire de leurs descendants, toujours plus fous (Escolástica, Bébé et Fernando même). Comme le constate Bruno Bassán, « les Olmos étaient le symbole de la fin d’une famille patricienne »[14].
La famille d’Alejandra est la dernière, en train de s’éteindre, d’une descendance multiple, qui n’a pas pu s’adapter à l’histoire et semble succomber sous un héritage génétique trop lourd. Le déclin familial s’associe, comme Thomas Mann l’avait déjà montrée chez ses Buddenbrooks, à un raffinement décadent. Fernando, Alejandra, ainsi que les autres membres de l’arbre familial sont des brindilles poussant depuis longtemps hors du domaine de la normalité, du quotidien, et traînant dans les parages de l’inconnu, du monstrueux. On peut se demander si, dans leur cas, ce n’est pas la mémoire de l’Argentine même qui refait surface et en prend possession, possession qui se révèle fatale.
Le premier triangle initiatique du roman Héros et tombes est représenté par Bruno et les deux cousins germains Georgina et Fernando. Bruno est en quelque sorte le témoin impliqué (puisqu’il aime Georgina) d’une relation sado-masochiste et partiellement incestueuse. De son propre aveu, ses amis d’enfance sont pour lui « un mystère indéchiffrable à la fois attirant et effrayant. Ils semblaient accomplir un rite inconnu que je ne parvenais pas à comprendre et dont on pouvait tout redouter »[15]. Douce, compréhensive, empathique, Georgina paraît néanmoins atteinte par des symptômes d’obnubilation, de « perte du sens de la réalité », qui touchent inexorablement les Olmos. De plus, elle est subjuguée, d’une manière maladive, par la personnalité de son cousin Fernando. Si l’amour de Bruno pour elle ne peut évoluer, c’est à cause de l’emprise qu’a sur elle cet « être infernal, un attardé mental ou quelque chose du même genre, et un démon ».
Les deux garçons ont, tous les deux, des problèmes œdipiens, Georgina étant une sorte de substitut par délégation de la figure maternelle. Bruno, issu d’une famille nombreuse (qu’on peut voir, dans L’ange des ténèbres, réunie pour assister à la mort du père), ressent un manque affectif lancinant. Les visites à la famille des Olmos, le jasmin du jardin la nuit, évoquent pour lui des sentiments de perte, de regret et de mélancolie (« loin, mère, tendresse, plus jamais »). Fernando, qui semble vouloir se moquer et humilier Bruno en lui montrant l’ascendant qu’il a sur Georgina, devient furieux et incontrôlable quand il a l’impression que son ami jouit de la sympathie de sa mère, Ana María Olmos. La mère de Fernando est la mère archétypale dont les deux garçons recherchent l’amour. Bruno pense que son étrange ami n’aimait que sa mère, « d’une passion hystérique et maladive », orgueilleuse aussi. Ceci expliquerait ses gestes d’agressivité introvertie, comme par exemple celui de se percer la main avec le couteau dont il avait menacé Bruno.
En revanche, la relation des deux garçons avec le père, Juan Carlos Vidal, est concurrentielle. Bruno traite avec dégoût ce « père ivrogne et coureur de jupons », qui finira par amener sa femme, Ana María, au suicide ou à la mort de chagrin. Fernando hait ouvertement son père, bien qu’il hérite de lui la violence et la cruelle sensualité. D’après Bruno (qui médite beaucoup des années plus tard sur son ami), la ressemblance serait même la cause profonde de la haine de Fernando contre son père. Par son abstinence, par un ascétisme surprenant, par ses comportements mortifiants, Fernando tue le père intérieur, tente de nier son héritage génétique.
Riche de son expérience passée, Bruno est capable sinon de consoler, au moins d’éclairer Martin, plus jeune et naïf. Martin se confronte à son tour avec une initiation dans les ombres des Olmos. Car si, dans ce deuxième triangle, la figure féminine est représentée par Alejandra, la fille de Georgina, la troisième position, celle démoniaque, est toujours occupée par Fernando. Comme Bruno, Martin est lui aussi obsédé par la figure de la mère. Une image plutôt « en creux », puisqu’elle avait essayé de le faire avorter, qu’elle n’avait porté sa grossesse jusqu’au bout que par peur d’un curetage, et qui n’avait pas allaité l’enfant au sein pour ne pas défigurer sa silhouette. Rejeté par sa génitrice, Martin souffre du complexe du bâtard et de l’enfant abandonné. Pour lui, Alejandra, qu’il aime compulsivement, est autant une amante qu’un substitut maternel.
La violence mentale de Martin envers sa mère est d’ailleurs plus complexe, la rancune n’étant que l’expression d’un amour frustré. Un amour avec des connotations incestueuses, dans lequel l’enfant observe et juge avec une fascination horripilée la vie sexuelle de sa mère. Un épisode typiquement freudien est « la scène primitive » des parents faisant l’amour, que l’enfant qualifie symptomatiquement dans des termes péjoratifs : « Dans la pénombre, sur le divan, le monstre double s’agitait avec fureur et anxiété »[16]. Dans l’accusation que sa mère est une pute, un « égout », il est difficile de faire le départ entre la réalité et la jalousie fantasmatique de l’adolescent frustré. La relation avec le père, que Martin déteste ouvertement non pas tant pour son inaccomplissement social mais plutôt pour l’incapacité de dominer sa femme, témoigne aussi d’une étrange concurrence avec le partenaire de la mère.
Alejandra confesse d’une manière cryptique qu’elle est attirée par Martin parce que « quelque chose de profond les unissait »[17]. Ce trait commun qui les rapproche est le refus de la mère, bien que peut-être pour des raisons différentes, attrait censuré pour l’un, concurrence féminine pour l’autre. A Martin, Alejandra raconte que sa mère est morte quand elle avait cinq ans, mais Bruno témoigne que Georgina vit toujours. Alejandra a donc « mentalement tuée » sa mère depuis l’enfance. Son rejet s’expliquerait par un « complexe d’Electre », qui la fait critiquer la mère non seulement parce qu’elle désire fantasmatiquement prendre sa place, mais aussi parce que la mère n’a pas réussi à garder le père auprès d’elle. Significativement, Alejandra montre à Martin qu’elle dort dans le même lit où, bien des années auparavant, elle avait surpris Fernando avec une amante. Se faire la successeur dans le lit de l’adultère du père est un indice suggestif des fantasmes qui hantent le personnage.
Le traumatisme d’Alejandra se manifeste par des anxiétés inassouvies et des attitudes aberrantes. Son comportement sexuel est peut-être le plus déviant. D’un côté, elle paraît pratiquer la prostitution, ou au moins se donner à des partenaires de fortune avec désinvolture et mépris en même temps. Martin n’en a jamais la preuve, mais sa jalousie maladive, semblable à celle de Juan Pablo Castel envers Maria Iribarne, le fait rassembler tous les soupçons et les pièces à conviction envers son amie. La boutique de mode patronnée par Wanda peut bien fonctionner comme une maison de dames de compagnie. A propos de son travail chez Wanda, Alejandra lui parle du « plaisir éprouvé à gagner de l’argent en faisant ce qu’on méprise » et de son dédain pour les « perruches peinturlurées et pour elle-même »[18]. Molinari, personnage suspect qui appartient au cercle de Wanda, fait l’éloge de la prostitution nécessaire. Un autre personnage d’une même trempe, Bordenave, fait savoir à Martin qu’Alejandra éprouve un plaisir extrême à se donner pour de l’argent. Plus généralement, le personnage jouit d’une renommée sombre de prostituée et de pythonisse[19].
Pourtant, Alejandra ne semble pas aimer le sexe, elle n’a aucun penchant pour la luxure et la débauche. L’amour paraît même la traumatiser et, quoiqu’elle aime Martin, le contact physique lui provoque de la répulsion. Chaque fois que Martin la pousse à faire l’amour, elle devient de plus en plus violente. Après des moments de tendresse, sa rage se déchaîne inexplicablement contre le garçon, avec un « ressentiment brûlant, sarcastique et toujours incompréhensible », qui finit par provoquer la rupture finale de la relation.
Si l’on pouvait expliquer la prostitution d’Alejandra par son désir de « punir » son père, son aversion contre la sexualité « normale » suggère plutôt les symptômes d’un abus sexuel infantile. Quand Martin lui parle de mariage et d’enfants, elle explose compulsivement : « Je n’aurai jamais d’enfant ! Et je te préviens que tu ne me toucheras jamais, et que personne, personne ne me touchera »[20]. Ses sommeils sont toujours entrecoupés par des cauchemars « violents et ardents », dans lesquels elle affronte des affres inavouables, mais qui peuvent se laver « à l’eau et au savon »[21]. Les trêves de réveil et de lucidité ne sont pas non plus épargnées par les attaques de panique, puisqu’il lui arrive souvent d’avoir une sorte de crises d’épilepsie, pendant lesquelles elle devient violacée et tombe dans des convulsions.
En tout cas, les relations d’Alejandra avec Fernando sont des plus ambiguës et problématiques. Elle refuse de parler de lui, de manière que Martin a l’impression qu’elle en éprouve une « sorte de peur, semblable à celle de certains peuples qui se refusent à nommer leurs dieux »[22]. La figure du père se retrouve pour elle dans le brouillard aveuglant d’un numinosum, atterrant et impossible à éviter. Quand Martin lui dit qu’il a l’intuition qu’elle aime Fernando, Alejandra dénie violemment, sans cependant élucider la nature de la relation avec son père.
Trop immature pour comprendre et contenir les angoisses d’Alejandra, Martin la regarde avec attrait et horreur. C’est lui qui la compare avec une princesse et un dragon à la fois, combinés dans un être paradoxal : « elle était une princesse-dragon, un monstre hybride, à la fois chaste et brûlant, candide et repoussant ; une fillette en robe de communiante, toute de pureté, mais possédée de cauchemars grouillant de reptiles et de vampires »[23]. Même quand elle souffre, Alejandra lui apparaît non comme un être faible, en manque d’aide et de compassion, mais comme un dragon mortellement blessé, dont les larmes sont redoutables, fatales. L’image rappelle les légendes médiévales sur l’Orient, dans lesquelles les voyageurs dans les Indes merveilleuses étaient invités à déflorer les vierges, parce que celles-ci étaient suspectes d’être habitées par un serpent-dragon venimeux.
Quant au troisième membre du triangle, Fernando Vidal Olmos, il joue le rôle du démon. Bien qu’obsédé par la Secte des aveugles et poursuivant ces adeptes du Prince des Ténèbres dans leurs tanières souterraines, au lieu de faire figure de héros combattant le mal, Fernando apparaît plutôt comme l’agent de ce mal. En remémorant les agissements de son ami d’enfance, Bruno pense reconnaître en eux les « machinations tragi-comiques du Diable »[24]. Fernando est un anti-héros, un des « explorateurs de l’Immondice, témoins de l’Ordure et de la Malignité »[25], non parce qu’il entreprend une « catabasis eis antron », une descente aux enfers pour lutter contre les monstres, mais parce qu’il est lui-même la source des ténèbres, le libérateur des terreurs enfouies.
C’est comme si Fernando était le porteur de la torche qui sème la nuit, qui transforme le monde normal en un enfer sur la terre. C’est comme s’il était le soleil noir du monde des aveugles. Les autres personnages, dont Bruno et Sábato, traitent son obsession pour la cécité comme un délire paranoïaque parfaitement cohérent. Bruno parle des « crises de persécution » de son ami d’enfance et voit en lui un « aliéné, un être étranger à ce que nous avons l’habitude de considérer, peut-être un peu naïvement, comme étant le monde »[26]. Le terrifiant Rapport sur les aveugles ne serait qu’un témoignage de l’intérieur d’un délire psychotique, ce qui n’enlève d’ailleurs rien à sa valeur métaphorique, de parabole du mal qui domine la nature humaine.
Dans le compte rendu de sa vie, Fernando donne une vision bien différente de toute l’histoire. Il n’y apparaît plus comme un personnage maléfique, mais plutôt comme la victime d’un complot universel. Le « rapport sur les aveugles » enfonce progressivement le lecteur dans les bas-fonds de l’inconscient d’un malade mental qui deviennent emblématiques pour les maladies spirituelles de l’homme moderne. Tout comme les héros d’E. A. Poe, Fernando accuse une « lucidité féroce », une propension maladive au raisonnement, si spécifique à l’inflation rationnelle qui accompagne l’avènement du positivisme, du scientisme, du rationalisme totalitaire de la modernité. Car cette même époque, qui aurait dû célébrer l’harmonie et la lumière universelle, a engendré le Goulag, l’Holocauste et les autres génocides du vingtième siècle, parmi lesquels Sábato range les atrocités de la junte militaire argentine. L’« enquête systématique » de Fernando sur la Secte des aveugles suit l’émergence, dans un personnage-témoin, d’un inconscient collectif volcanique et abominable, de la bête caché dans l’homme soi-disant civilisé.
Néanmoins, au-delà de l’allégorie, l’exploration infernale de Fernando ne cesse pas d’avoir sa propre consistance fantasmatique et fictionnelle, nourrie par les complexes et les obsessions personnelles du protagoniste. L’enfoncement progressif dans la folie est perçu par le personnage comme un réveil à la cécité. Le premier épisode de son Rapport (et on connaît l’importance qu’accorde Freud au premier souvenir d’un journal) est le son de la clochette d’une aveugle, que le protagoniste entend, enfant, place de Mai à Buenos Aires. Cette clochette, qui « s’efforçait de pénétrer jusqu’aux strates les plus profondes de ma conscience », a pour effet de le tirer d’un « sommeil millénaire »[27]. Elle favorise chez le personnage une prise de conscience du continent submergé qu’est son inconscient, elle annonce le réveil des personnalités souterraines qui l’habitent.
Car le personnage évolue vers ce que la psychologie romantique appelait un dédoublement, et celle actuelle une personnalité multiple. Le processus de scission intérieure est amorcé par un rêve récurrent, emblématique et prémonitoire. Enfant, Fernando rêve de lui-même. Il se contemple assis cependant que son alter ego lui dit qu’il surveille l’ombre d’un mur. Le message effrayant est que, si l’ombre commence à bouger d’elle-même, quelque chose d’irréversible arrivera. Or, voilà que, un jour, Fernando, adulte, assis dans sa chambre, contemple terrifié une ombre qui commence à bouger. « J’ai été pris de vertige, j’ai perdu connaissance et sombré dans le chaos »[28]. C’était comme si, pour le personnage, l’image de la réalité s’était cassée en mille morceaux. Depuis ce moment, Fernando doit constamment employer toutes ses forces de concentration pour empêcher le monde (son monde) de voler en éclats.
Dans l’ombre mouvante des objets Fernando projette ses propres fantasmes. Ce qui commence à bouger n’est pas l’ombre physique, mais son ombre psychique (Schatten, dans le sens de C. G. Jung), c’est-à-dire son inconscient refoulé. Tant qu’il réussit à maintenir l’aspect normal de son environnement, il conserve la domination sur ses autres personnalités. Quand le chaos s’installe dans le monde, le principe de réalité cesse d’imposer l’ordre et le centre de la conscience se brise. Le protagoniste vit une « rupture catastrophique de ma personnalité ». Le fil de l’identité une fois rompu, Fernando contemple de vastes régions de son moi échapper à son contrôle. Physiquement, il éprouve la sensation angoissante que les membres ne lui obéissent plus, « comme si mon corps appartenait à un autre homme et que moi, impuissant et muet, j’observais dans cette région étrange l’apparition de mouvements suspects, de frémissements annonciateurs de nouvelles convulsions, jusqu’à ce que progressivement le cataclysme s’empare de mon corps et, finalement, de mon esprit »[29].
Les aveugles sont justement la personnification de ces autres en train de se réveiller dans le protagoniste. La « théorie de la peau froide » est l’expression de la répugnance et de la crainte que la personnalité consciente de Fernando ressent face aux doubles. « Animaux à sang froid et à peau visqueuse qui hantent caves, cavernes, vieux passages, tuyaux de décharge, puisards, grottes profondes, mines abandonnées », les aveugles sont des « maîtres chanteurs de la morale », des « usurpateurs » venus des abysses de la psyché pour destituer le moi conscient et le sur-moi éthique. La prise définitive en possession du personnage par son ombre est symbolisée par son aveuglement rituel, par sa transgression de la race et de la condition zoologique, par sa transformation fantasmatique en chauve-souris et en lézard[30].
Le terrible Rapport finit sur une aventure délirante qui correspond à une descente du protagoniste au cœur des ténèbres intérieures. C’est non seulement le climax du roman, mais aussi l’épisode-clé qui devait révéler, du moins si on réussit à interpréter le délire et à reconstituer ce qu’il cache, le noyau de l’obsession de Sábato et de ses personnages. Pour ce faire, il faut procéder à une lecture multiple, par couches de réalité. Sur les scènes réelles qu’il vit, Fernando projette des scènes fantastiques, comme si la réalité se prolongeait dans le cauchemar. Et quoique le cauchemar soit, au niveau de la lecture, l’expression figurée la plus poignante des fantaisies du personnage, la réalité que nous nous proposons d’entrevoir à travers le rideau de l’hallucination est encore plus monstrueuse.
Dans sa paranoïa, Fernando tente de pénétrer dans la tanière de la Secte en espionnant Iglesias, un typographe devenu aveugle à la suite d’un accident. Se lançant dans la poursuite de son ami, qui est accompagné par un individu dans lequel Fernando croit reconnaître un envoyé des aveugles, le protagoniste arrive à l’Eglise de l’Immaculée Conception. Il voit alors les deux disparaître dans « un coin étrange de Buenos Aires, formé d’une rangée de vieilles maisons basses à un étage, érigées à côté de l’église circulaire ». Leur emboîtant les pas, il déambule à travers quelques maisons apparemment non habitées, par des couloirs et des escaliers labyrinthiques. Finalement, il arrive devant une porte, derrière laquelle, à son grand désarroi, il est accueilli par une femme aveugle. Electrocuté comme par une apparition numineuse, il s’évanouit et, lors de son réveil, se retrouve enfermé, pour une période indéterminée de temps, dans une chambre sans fenêtres, sans lumière et manquant d’air.
A partir de ce moment, le délire jusqu’alors systématique de Fernando sort du trajet de la réalité courante et s’enfonce dans un monde mythologique. Projeté par la fièvre qui court dans son corps en un univers parallèle, celui de sa folie, Fernando se voit traversant sur une barque un lac immense aux eaux noires. Cet Achéron de l’inconscient est peuplé non de morts, mais d’animaux préhistoriques, d’oiseaux de proie et de ptérodactyles, qui lui rappellent les chiens et les moineaux auxquels il arrachait les yeux pendant son enfance.
Un soleil nocturne baigne de sa lumière pâle le paysage. L’horizon d’où vient Fernando est couvert par la figure d’une divinité étrange, un « vieillard plein de ressentiment », avec un « énorme et unique œil au milieu du front »[31], cyclope et ogre abominable des enfers. Allant dans la direction opposée, Fernando traverse un marécage et se dirige vers une montagne rocheuse. Plein de boue, se traînant à quatre pattes parmi des serpents visqueux, il arrive devant une grotte humide, feutrée et phosphorescente. Avant d’y entrer, comme dans un rituel sacrificiel, un grand oiseau lui perce de son bec, tour à tour, la membrane des yeux.
A peine de retour dans la chambre où il est cloîtré, Fernando replonge dans son cauchemar mythique. Il continue la descente dans l’univers souterrain des aveugles et arrive dans l’immense caverne, pleine de ruines et comme dévastée par un incendie planétaire, où vit la Secte. La grande divinité tutélaire de cette « contrée funèbre » est cette fois la statue d’une déesse avec un œil phosphorescent. Fernando l’escalade et y pénètre par un « long tunnel de chair » qui l’aspire par des contractions saccadées. Transformé en poisson, le personnage plonge dans un « liquide chaud et gélatineux » et perd à nouveau connaissance, pour se retrouver dans la chambre de l’aveugle.
Il n’est pas difficile d’identifier dans ce délire anxieux le pattern d’un « regressus ad uterum ». Les deux figures tutélaires, l’ogre méchant et la grande déesse, refont avec Fernando le triangle œdipien comprenant le père castrateur et la mère terrible et désirée. Comme la plupart des personnages masculins (Bruno, Martin, Sábato), Fernando souffre d’un complexe d’Œdipe en plein essor. Un de ses souvenirs d’enfance est celui de sa mère se baignant nue dans une rivière, scène à laquelle il se rapporte d’une manière plus qu’ambiguë. L’association, ou plutôt l’amplification mythique, qu’il donne à ce souvenir est celle avec le héros grec meurtrier de son père et mari de sa mère. Significativement, Fernando choisit en tant que porte-parole de cette situation le prophète aveugle Tirésias, qui dit au roi de Thèbes : « Et moi, Tirésias, je fus aveuglé pour avoir vu et désiré Athéna alors qu’elle se baignait, mais la déesse eut pitié et m’accorda le don de comprendre le langage des oiseaux prophétiques, et toi, Œdipe, bien que tu ne le saches pas, tu es celui qui a tué son père et épousé sa mère, et pour cela je dis que tu dois être châtié »[32]. L’aveuglement rituel de Fernando par les ptérodactyles est bien le châtiment castrateur punissant la pulsion incestueuse.
Mais au-delà des rêveries régressives de Fernando, est-il possible d’identifier dans le Rapport non seulement un inceste fantasmé, mais aussi un bien réel ? Si sa mère, qui s’est donné la mort, n’est plus là pour figurer l’objet du désir interdit, qui est-ce qui peut être la victime de Fernando ? Notre hypothèse est que, à travers le délire mythologique du personnage, une réalité beaucoup plus atroce affleure. Les corridors et les escaliers qui partent de l’Eglise de l’Immaculée Conception conduisent Fernando dans une maison qui ressemble à un « atelier de couture ». Or, cette maison de mode (et peut-être aussi maison de rapport), c’est l’atelier de Wanda où travaille Alejandra. Dans son délire, Fernando semble être arrivé dans un endroit où l’on pratique la prostitution. Sa traversée souterraine met en scène le corrélatif hallucinatoire de ce qui lui arrive en réalité. C’est comme si Fernando élaborait l’attraction incestueuse pour sa fille comme une descente fantastique dans un monde englouti pour vivre l’accouplement « aveuglant » d’un nouvel Œdipe.
On peut se demander si l’aveugle qui hypnotise et séquestre Fernando dans la chambre n’est pas Alejandra elle-même, rencontrée par accident (ou peut-être pas ?) par le père dans le bordel. Evidemment, ce n’est pas Alejandra qui est aveugle, mais Fernando qui la projette comme telle, parce qu’il est terrifiant de regarder en face (c’est ce que dit Œdipe quand il se perce les yeux) les parents avec lesquels on a une relation incestueuse. L’aveuglement de Fernando dans le cauchemar correspond à l’aveuglement qu’il attribue à sa fille dans l’hallucination paranoïaque. Notre hypothèse est donc que le délire de Fernando sur sa descente dans le monde des aveugles est une sorte d’« élaboration secondaire », de camouflage pour sa propre conscience, d’un épisode patibulaire mais non moins terrible dans lequel le père finit par coucher avec sa fille.
Que Fernando soit conscient d’une manière obscure de sa transgression est démontré par le calme avec lequel il attend sa mort annoncée. Selon lui, dans les termes de sa paranoïa, ce seront les aveugles qui le puniront pour avoir violé leur secret. En réalité, c’est bien Alejandra qui le tue, dans un suicide à deux par un incendie purificateur. Si cette interprétation est correcte, alors la pulsion suicidaire d’Alejandra est due à l’incapacité de la fille de contenir l’angoisse et la culpabilité d’un inceste dans lequel on ne sait pas si elle a été une victime accidentelle ou inconsciemment participante. L’obsession que les personnages de Sábato développent face aux les aveugles ne serait alors qu’un symbole de leurs pulsions incestueuses inexprimables.
L’ange des ténèbres ne fait que renforcer cette hypothèse herméneutique par les deux triangles de personnages qu’il met en scène. Sábato, en tant qu’auteur de Héros et tombes, mais apparaissant comme personnage dans ce troisième roman, est abordé par Nacho Izaguirre et sa sœur Agustina. L’adolescent est violent et rude avec lui, parce qu’il s’identifie aux personnages Martin et Alejandra. Le problème c’est que, à la différence de Martin, Nacho est le frère d’Agustina. Pour le reste, il ressent la même dépendance, le même besoin de protection maternelle et la même jalousie agressive que Martin, envers cette sœur possédée, torturée et pratiquant la prostitution par dépit. Comme Castel le peintre, il finit par devenir un assassin, la victime étant cette fois non pas la fille, mais le client et le protecteur de sa sœur, le richard Perez Nassif.
Finalement, toutes les obsessions des personnages explorés jusqu’à maintenant dans les romans de Sábato viennent se rejoindre dans le mythe personnel de l’auteur, descendu à son tour parmi ses créatures. Dans L’ange des ténèbres, Sábato entre dans la réalité de son roman, ou plutôt essaie de rehausser l’univers du roman au niveau de la réalité commune. Devançant le postmodernisme, il semble clamer que tout est fiction et que la fiction est aussi vraie que la réalité. Si de nos jours ce sont les univers virtuels qui prétendent à la même consistance ontologique que les objets du quotidien, chez Sábato c’est le fantasme qui prétend envahir la réalité, dans une révélation totale, c’est-à-dire une ontophanie.
Sábato le personnage assume les traits récurrents de ses personnages obsessifs. Il s’attribue les affres et les comportements déviants de Fernando, d’Alejandra et de tous les autres, qui se révèlent n’avoir été que des personae de l’auteur. La réécriture romanesque de la biographie intérieure commence par la (ré)construction du sens de la naissance. Sábato interprète le 24 juin de sa venue au monde comme un jour néfaste, puisque c’est une fête des sorcières, de même que son patronyme renvoie au Sabbat et à Saturne, Ange de la Solitude et Esprit du Mal. Quant à son nom, il est encore plus chargé d’une énergie funeste, puisque Ernesto aurait été baptisé avec le nom d’un frère aîné de deux ans, d’une intelligence prodigieuse, mais qui est mort peu de temps auparavant.
Le travail de deuil inachevé des parents et la projection dans le nouveau-né de l’amour destiné à un enfant mort sont de nature à provoquer, comme l’ont démontré Françoise Dolto et Maud Mannoni, un malaise de l’identité. En tout cas, Sábato le personnage accuse, comme Fernando, des crises de dédoublement et de possession par un autre. « Pendant mon enfance », raconte-t-il, « il m’est arrivé de sentir brusquement que je parlais ou bougeais comme si j’étais un autre »[33]. Quand Sábato fait, à son tour, comme Fernando, une catabase dans l’enfer des aveugles, c’est en quelque sorte son double qui entreprend l’expédition. A son retour du périple souterrain, il découvre que les gens ne le voient pas et que seuls les chiens aboient comme en la présence d’un spectre, puis, rentrant dans sa chambre, il se voit assis à sa table de travail, dans un état cataleptique. On peut alors se demander : Qui est Sábato le personnage du roman ? L’auteur diurne qui, abandonnant les sciences exactes, s’était adonné à l’exploration des ténèbres intérieures, ou la personne nocturne qui avait émergé par la pratique de la prose ? En tout cas, il est significatif que Sábato l’auteur parle de Sábato le personnage à la troisième personne, comme si, au-delà de la convention narrative, il exprimait directement le clivage intérieur.
« L’homme est un être double », affirme Sábato le personnage. Et ce double, c’est justement l’aveugle intérieur. « On aurait dit », dit Sábato l’auteur de Sábato le personnage, « que ses obsessions souterraines l’avaient conduit jusqu’au symbole même de ses angoisses »[34]. Tout comme Fernando, Sábato manifeste une appréhension similaire envers les aveugles. Là où les autres personnages, comme Bruno, cataloguent Fernando de paranoïaque, Sábato est prêt à assumer la fascination et la terreur de sa créature envers les êtres sans vue. Et s’il ne consent pas à la théorie d’un complot universel et d’une Secte du mal, il n’est pas prêt à désavouer et à se distancer de la monomanie de Fernando. Le jeu du « désaveu » qui régit dans beaucoup de cas les relations entre narrateur et personnage est extrêmement compliqué dans L’ange des ténèbres. Si Sábato l’auteur semble partager les opinions de Bruno sur Fernando, Sábato le personnage endosse les idées de sa créature.
La fascination de Sábato le personnage pour les aveugles retrouve le schéma triangulaire, peut-être le plus étrange de tous. Sábato y joue le rôle du néophyte qui sera douloureusement initié aux secrets de l’ombre. La fille possédée, la « pythonisse » qui correspond dans ce nouveau schéma à Alejandra est Maria de la Soledad Carranza. Réservée et tendue, comme sous la pression d’une grande force et violence intérieure, Soledad est « un personnage des ténèbres ». Ressemblant à une « dépositaire d’un secret frappé d’un interdit sacré », elle donne l’impression de savoir des « choses » étonnantes. Elle est, selon l’observation de Sábato, un « intermédiaire », bien qu’il soit difficile de dire avec qui ou avec quoi elle fait la liaison. Soledad est, elle aussi, une princesse-dragon :
« Il pourrait sembler absurde de parler de la sensualité d’une jeune fille aux lèvres dures et au regard paralysant, pourtant elle existait, même si elle était du même ordre que celle des vipères. Les serpents ne sont-ils pas les symboles de la sexualité dans la quasi-totalité des sagesses ancestrales ? »[35].
Le troisième membre de ce triangle, le plus obscur, est Nicolas Ortiz de Rosas. Cet ami d’enfance de Sábato a une nature insaisissable, son statut oscille entre celui d’une personne réelle et celui de la personnification de l’ombre de l’auteur. C’est lui qui vient tourmenter Sábato le physicien à Paris. Il lui rappelle des souvenirs peu avouables sur les moineaux que Sábato avait lui-même aveuglés quand il était enfant et se proclame l’instigateur de ces expériences. Il le harcèle sans cesse jusqu’à l’obliger à quitter la carrière scientifique et à écrire des romans sur lui, à l’instar des manuscrits avortés de la Fontaine muette et des Mémoires d’un inconnu. Il serait l’inspirateur du Tunnel et de Héros et tombes. Il est difficile de dire si R. (ou Nicolas Ortiz de Rosas) est une métaphore assez effrayante de l’inspiration démoniaque à laquelle a succombé Sábato l’auteur ou un personnage réel de l’enfance de l’auteur qui a exercé sur lui une influence numineuse et inoubliable, l’obligeant à l’exorciser par l’écriture.
En tout cas, R. est l’initiateur de Sábato dans le monde des aveugles. La scène originaire de la biographie créatrice de Sábato (c’est-à-dire de Sábato le personnage) est la « fameuse nuit de 1927 ». C’est la nuit d’un « rite monstrueux », qui correspond au Rapport sur les aveugles de Fernando. Dans cet épisode se découvre l’obsession séminale de l’auteur, le « mysterium tremendum » qui nourrit son mythe personnel.
Adolescent (en 1927, il devait avoir seize ans), Sábato vit une scène qu’il perçoit avec la lucidité lunaire d’un cauchemar. Entraîné par R. dans les souterrains du quartier Belgrano de Buenos Aires, en dessous de l’Eglise de l’Immaculé Conception, il est reçu par Soledad, qui fait figure de grande prêtresse et « gardienne du secret d’une des Sectes puissantes et sanguinaires qui en punissent la divulgation par le supplice et la mort ». Nue, phosphorescente, hypnotique, avec un corps de femme-serpent, Soledad l’invite à lui faire l’amour rituel. Or, découvre horripilé Sábato, le sexe de la femme est un « énorme œil gris-vert qui l’observait d’un air de sombre attente, de dure anxiété ». Pénétrer ce sexe, déflorer cette fille revient à crever la membrane de l’œil. Du coup, Sábato adolescent a l’impression qu’il perd la vue et qu’il sombre dans « la monstrueuse caverne de la cécité »[36]. En même temps, R. lui annonce que dorénavant le centre de son univers intérieur sera cette chambre souterraine de Belgrano.
Sur le plan biographique, on peut penser que Sábato narre l’expérience, particulièrement traumatisante, de son premier contact sexuel. On peut se demander toutefois pourquoi il le perçoit sous ces couleurs d’apocalypse. La seule explication qui nous paraît convenable, en tenant compte des autres triangles de personnages et scènes imaginés par Sábato, est que sur sa sexualité pèse l’interdit de l’inceste. Comme Fernando, Alejandra, Bruno ou Martin, Sábato le personnage confesse avoir eu, lui aussi, des relations problématiques avec la mère. « Ma mère était très forte et, si j’ose dire, elle a mis le grappin sur ses deux derniers enfants, Arturo et moi. Elle nous a presque enfermés. On peut dire que j’ai vu le monde à travers une fenêtre »[37]. Et bien qu’il évite et abhorre le « jargon » (le langage freudien, comme le syntagme de « mère hyperprotectrice »), Sábato ne chasse pas les interprétations psychanalytiques de ses romans.
Tout comme Fernando, Sábato le personnage souffre d’un complexe d’Œdipe. Dans l’accouplement avec Soledad, le premier amour de l’adolescent est submergé par l’angoisse de l’inceste. Le roman surprend le complexe œdipien par un symbole syncrétique parfait : le coït comme aveuglement, la défloration comme perforation des yeux. Faire l’amour à une fille dans laquelle le garçon projette l’imago maternel implique simultanément le châtiment : la perte de la vue est, du point de vue psychanalytique, un substitut de la castration.
Le monde des aveugles est l’univers refoulé et angoissant de l’inceste. Le sentiment de culpabilité est assimilé chez les personnages de Sábato à un délire de persécution par une Secte toute-puissante qui s’empare du destin (intérieur) du transgresseur. Tel un noyau radioactif, l’effarant désir incestueux devient dorénavant le « centre de la réalité » de Fernando et de Sábato le personnage, dictant leurs fantasmes et comportements. Sous son rayonnement, la vie se transforme en un tunnel ou une caverne et les personnages en des habitants de la nuit. Donnant la réplique à la Métamorphose de Kafka, L’ange des ténèbres raconte la transformation de Sábato en un « rat ailé » dont la vue baisse jusqu’à la cécité totale. C’est comme si l’auteur-personnage était dévoré et incorporé par son animal totémique, la chauve-souris, pour s’adapter à la nuit de l’inconscient inavouable qu’il a déployé autour de lui.
Les circonstances de cette véritable scène primitive de l’imaginaire sabatien sont tout aussi parlantes : le rite sexuel se passe sous l’Eglise de l’Immaculée Conception. La figure de Maria de la Soledad Carranza, la fille ténébreuse, doit être amplifiée à celle de Marie la Vierge, mère de Dieu. Cette divinisation de l’image féminine, suggérant une sublimation de la libido incestueuse, ne fait que mieux mettre en opposition la monstruosité d’un accouplement fantasmatique avec la Mère. Le fils désirant incestueusement la mère devient, par amplification mythique, un apostat et un démon attentant à la sacralité de la Vierge. Le Prince des ténèbres qui gouverne le monde de Sábato, le Satan des « aveugles » (à savoir des incestueux), est le fils maudit, porteur du phare crépusculaire de l’inconscient désirant et fautif, explorateur et messie de la cécité œdipienne.
Notes
[1] Ernesto Sábato, L’ange des ténèbres, Traduit de l’espagnol par Maurice Manly, Paris, Editions du Seuil, 1976, pp. 104-105.
[2] Charles Mauron, Des métaphores obsédantes au mythe personnel, Paris, Librairie José Corti, 1962.
[5] Ernesto Sábato, Héros et tombes, Traduit de l’espagnol (Argentine) par Jean-Jacques Villard, Paris, Editions du Seuil, 1996, p. 359.