Le voyage – Miroir de l’autre dans l’Histoire véritable de Lucien de Samosate
Abstract: The paper focusses on Lucien of Samosata’s perception of the “the stranger”, of “the other”, in his novel “True History”.
Keywords: Lucien of Samosata, “True History”, the image of the Other, teratological races of the Antique world
Lucien de Samosate (120-180 ap. J.-C), né en Syrie, au carrefour des cultures, d’origine orientale, maitre de la rhétorique grecque dans l’Empire romain, contemporain d’Hadrien et de Marc-Aurele a voyagé pendant vingt ans en Asie Mineure et a terminé sa carriere en Egypte. On peut donc dire qu’il est un extraordinaire ” relais ” de la culture.
Des lors, la lecture de ses ouvres et plus particulierement de l’Histoire véritable, suscite d’autant plus le désir de faire un ” voyage dans l’Antiquité “. Nous vous proposons donc de suivre Lucien dans le voyage de son Histoire véritable, et de vivre en sa compagnie des aventures merveilleuses dans l’espace et le temps, le reve et les légendes antiques, ” pour voir du nouveau ” dans un monde fantastique, s’intégrant bien dans nos ” Géographies imaginaires “.
Notre attention se penchera donc sur le voyage dans l’espace et le temps, a la fois horizontal et vertical de ” l’ethnographe ” Lucien et de son équipage, a bord de son bateau, qui permet la rencontre de l'” Autre ” aux multiples facettes, qu’il soit homme ou femme, avec une approche différente selon ces deux sexes et ces deux mouvements perpendiculaires. Ce long périple ne se fera pas sans fantaisie, sans péripéties dignes de la ” Science-fiction “, tel un Jules Verne des temps antiques, sur mer, sur terre, dans des iles, sur la lune, dans une baleine – autant d’espaces ouverts, circulaires ou fermés, diurnes ou nocturnes, qui permettront ce voyage comme miroir de l’Autre – a la rencontre de trois images de ” l’ailleurs ” : une dans l’espace (la Lune et le Soleil), une dans un lieu fermé, sorte de ” regressus ad uterum ” (la baleine), et l’autre dans l’au-dela (l’ile des Bienheureux). Ce voyage s’enroule donc tout autour de l’aventure ponctuée de ” catabases ” (ile des Bienheureux et baleine) et d'” anabases ” (Lune et Soleil), de cet écrivain syrien, né a Samosate, en quete de la reconnaissance des Grecs, pour en finir avec ce complexe du barbare, du non-grec.
Rappelons tout d’abord comment les Grecs percevaient ” l’Autre “, l’étranger, le barbare, et définissons ces termes.
” L’ETRANGER ” VU PAR LES GRECS
– Qui es-tu ? D’ou viens-tu ? Et quelle est ta Patrie ? De quel nom dois-je t’appeler ?
– Je suis Créüse, fille d’Erechtée ; Athenes est ma patrie.
– La cité est illustre et haute est la lignée. Tout mon bonheur tient en ces mots, étranger.
Euripide, Ion, 258-264.
Ces interrogatoires d’identité qui scandent le rythme des arrivées et des rencontres dans le monde grec peuvent étonner l’Européen du XXeme siecle habitué a utiliser un terme de politesse (, voire ) pour atténuer la distance qui le sépare de l’Autre, meme s’il lui est inconnu.
Le Grec, au contraire, affirme immédiatement cette distance et par l’appellation <étranger> souligne d’emblée combien lui parait extérieur et différent celui qui n’appartient pas a sa communauté et dont il ignore le nom. Le patronyme et l’ethnique (qui marque l’appartenance a une communauté politique) sont en effet les deux composantes de l’état civil grec. Et une relation ne peut s’établir qu’une fois connus ces éléments d’identité, qui fournissent en meme temps des reperes. Le Grec n’existe pas en tant qu’individu, mais en tant que membre d’une famille et d’un état.
Utilisée nécessairement et généralement avant l’établissement de toute relation, l’appellation d'<étranger> (xenos) a de ce fait en grec, une grande importance.
Les Grecs se font en effet du monde habité une conception circulaire et égocentrique, situant le ” nombril du monde ” a Delphes. Et tout ce qui n’est pas Grec est Barbare. Le Barbare, c’est l’étranger de l’extérieur. Homere a formé l’adjectif ” barbarophone ” pour ceux ” qui parlent bla-bla-bla ” et qui sont extérieurs a la communauté culturelle dont ils ignorent la langue, les dieux et les usages, le critere racial n’étant jamais que secondaire.” Le Barbare est l’homme des extremes, notion morale autant que géographique. “[1]
DEFINITION DE L’AUTRE
” Dire l’autre, c’est le poser comme différent, c’est poser qu’il y a deux termes, a et b, et que a n’est pas b ; soit, il existe des Grecs et des non-Grecs. Mais la différence ne devient intéressante qu’a partir du moment ou a et b entrent dans un meme systeme. Soit il existe des Grecs et des Barbares “. Telle est la définition proposée par F.Hartog[2].
Des lors que la différence est dite, elle devient significative, et commence alors ce travail incessant, qui consiste a ramener l’Autre au Meme. A partir de la, peut se développer une ” rhétorique de l’altérité ” que vont déployer les récits qui parlent avant tout de l’autre, les récits de voyage eu sens large. Un narrateur, appartenant au groupe a, va raconter b aux gens de a ; il y a le monde ou l’on raconte et le monde que l’on raconte ; comment, de maniere persuasive, inscrire le monde que l’on raconte dans le monde ou l’on raconte : tel est le probleme du narrateur. Il est confronté a un probleme de traduction.
le procédé d’inversion
Pour traduire la différence, le voyageur a a sa disposition la figure commode de l’inversion ou l’altérité se transcrit en anti-meme. Ce procédé permet de construire une altérité, ” transparente ” pour l’auditeur ou le lecteur.
Ainsi dans ses Histoires, Hérodote y recourt a plusieurs reprises, en posant dans un premier temps, la différence, puis en la ” traduisant ” grace a l’inversion. Par exemple, lorsqu’il parle des Egyptiens, Hérodote dit qu’ils vivent sous un climat autre (héteros), au bord d’un fleuve différent (allos) de tous les autres fleuves et qu'” ils ont adopté aussi presque en toutes choses des mours et des coutumes a l’inverse (émpalin) de tous les autres hommes “[3], pour ne pas dire, les Grecs. Décrivant l’Egypte, Hérodote passe donc de la position de la différence a l’affirmation de l’inversion.
” Assez curieusement, l’ouverture a l’Autre présuppose que ce dernier soit ramené au Meme “[4]. Cette remarque judicieuse de F. Hartog, a propos d’Hérodote, nous semble tout a fait convenir a l’Histoire véritable de Lucien. En effet, plusieurs fois dans le roman, il choisit d’inverser les rôles : le grec devient le barbare, examiné par l’Autre en tant que tel.
Ainsi, pour rendre compte de la différence, les voyageurs disposent de la figure commode de l’inversion qui réduit l’altérité a un anti-meme. Ce procédé permet a Hérodote, de comprendre, de donner sens a une altérité qui sans cela resterait completement opaque pour le lecteur. ” L’inversion est une des figures concourant a l’élaboration d’une représentation du monde “, comme le dit F. Hartog.
la comparaison
Pour dire l’autre, le voyageur dispose aussi de la comparaison ; elle est, en effet une maniere de réunir monde que l’on raconte et monde ou l’on raconte et de passer de l’un a l’autre. ” Elle est le filet que jette le narrateur dans les eaux de l’altérité “.[5] Cette comparaison est un trait fondamental de l’époque archaique : on la trouve dans l’épopée, et notamment dans les fameuses descriptions homériques ; mais Hérodote l’utilise beaucoup également dans ses Histoires. Par exemple, en décrivant les relais des messagers perses tout au long de la route royale jusqu’a Suse, résidence du Grand Roi, il dit : ” le premier courrier remet au second les messagers dont il est chargé, le second au troisieme, et ainsi de suite ils arrivent au but en passant de l’un a l’autre, comme (kataper) chez les grecs, la course des porteurs de flambeau qu’on célebre en l’honneur d’Héphaistos “[6].
LE VOYAGEUR REVELATEUR D’UN MONDE NOUVEAU
Au IIeme s. ap. J.-C., les préoccupations philosophiques ou politiques ne priment plus ; l’homme d’état, le moraliste s’efface devant le voyageur animé de la curiosité. Les historiens et les géographes restituent l’homme dans son environnement, y compris le non-Grec. En conséquence, la représentation que se font les Grecs du Barbare se modifie. Ils font découvrir aux Grecs des royaumes africains ou asiatiques prosperes dont on ne saurait mépriser les us et coutumes. Aussi peut-on parler d’une véritable ethnologie hellénistique, dont l’essor est parallele a celui de la géographie. Et l’époque hellénistique développe presque une sympathie pour l’étranger et un certain gout pour la différence. L’opposition entre Grecs et Barbares s’estompe donc.
Le voyageur devient révélateur d’un monde nouveau ; on va vers celui qui est différent par curiosité, car sous l’étrangeté de sa langue et de ses manieres, on cherche l’homme semblable aux autres. C’est bien la une attitude caractéristique du cosmopolitisme de cette période. Comme l’exprime Marc-Aurele, l’empereur philosophe tout imprégné de stoicisme :
Ma cité et ma patrie, en tant qu’Antonin, c’est Rome ; mais en tant qu’homme c’est le monde. [7]
Le voyageur devient le symbole de l’homme en recherche, de passage sur cette terre. Vision positive qui succede au voyageur-victime de l’époque archaique, lancé sur les mers par la plus cruelle des nécessités, et au mal-aimé des philosophes classiques, réputé etre un danger pour la cité. En effet dans la Grece archaique et classique au moins, l’individu n’a pas encore d’existence autonome, mais ne se conçoit pas lui-meme autrement que comme membre d’une communauté, clan, puis cité. C’est pourquoi, dans cette société ou chacun n’accede a la conscience de soi que sous le regard de l’Autre, l’identité ne se découvre que dans la confrontation a l’altérité.
LE ROMAN GREC DE ” SCIENCE-FICTION “
Avec Lucien de Samosate, rhéteur grec d’origine syrienne, commence le roman grec que l’on pourrait qualifier de ” Science-Fiction “[8]. En effet, dans son Histoire véritable, parodie en grec tout a la fois de l’épopée, de l’histoire et du roman, du IIeme siecle apres J.C., le héros part ” pour voir du nouveau ” dans un monde fantastique. Pastichant l’Odyssée (par les compagnons, la tempete et les maléfiques magiciennes par exemple), Lucien promene son héros dans l’ile de Dionysos (fleuve de vin, vignes a tete de femmes…) puis l’envoie d’une bourrasque dans la lune. La, le roi Endymion est aux prises avec le roi du soleil, Phaéton, qui veut l’empecher de coloniser Vénus. C’est alors une parodie de la longue description que faisait Hérodote (VII, 61-97) de l’effroyable armée perse a l’assaut de la Grece : ici des cavaleries de Fourmis-Montées et de Nuages Centaures chargent sur une plaine tissée par des araignées dans l’espace ! Apres la guerre, Lucien démontre que les mours sur la lune sont l’inverse de ce qui se pratique dans le reste du monde (comme Hérodote a propos de l’Égypte : Il, 35-36) : on transporte les enfants dans une poche ventrale, on porte des yeux amovibles etc. Enfin apres une escale dans la ville des Lampes, nos héros retrouvent la terre mais c’est pour y etre engloutis par une baleine. Ils y organisent leur vie (mais sont-ils vivants ou morts ?) et apres quelques mois passés dans le ventre de l’animal, ils sont expulsés avec son dernier soupir et poursuivent leurs aventures dans un second tome.
Il existe dans l’Histoire véritable, bon nombre de ” mondes autres ” : la Lune, l’Ile des Morts, la cité des Oiseaux, le ventre de la Baleine : Lucien a joué sur une multiplicité de possibilités pour altérer le connu, le travestir. Mais si l’utopie est non seulement l’élaboration d’un lieu autre, mais un (non) endroit ou – apres un discours critique sur le réel social du monde de l’auteur ou du narrateur – un (non) lieu meilleur est proposé a l’admiration, on peut s’interroger sur l’aspect ” utopique ” de ces mondes. Qu’on en juge : le monde des Oiseaux n’est pas abordé (” le vent a tourné. “) ; la Baleine n’est qu’une duplication du monde de départ (comme plus tard chez Defoe). Restent l’Ile des Bienheureux (des Morts) et la Lune. L’Ile des morts ne peut etre considérée comme une utopie, pour deux raisons. D’abord parce qu’une utopie, supposée etre un modele (un contre-modele), doit etre telle qu’on puisse la copier, s’en inspirer : ici, on ne le peut qu’apres la mort, ce qui limite singulierement, pour nous, son champ d’application. La seconde raison c’est que le seul utopiste reconnu a l’époque, Platon (qui est mort), s’en est volontairement exilé, préférant ses “chimeres” (l’utopie de La République) a la ” réalité ” de l’Ile des Bienheureux. Le passage sur l’Ile des Morts a pour seul intéret de nous montrer l’exercice de l’ironie de Lucien sur la pensée utopique.
Seul le passage dans la Lune peut donc etre considéré comme une utopie : il s’agit bien d’un monde présenté comme autre, fonctionnant sur des regles différentes. Comme dans toute bonne utopie, le discours narratif s’arrete, le relais est pris par une description des lieux, des etres et de leur comportement[9].
D’emblée, la préface de Lucien annonce le niveau parodique. Dans l’Ile des vignes, les héros trouvent une inscription, preuve effective du passage des Dieux, selon Hérodote, et a côté du texte gravé, par terre, les kilométriques empreintes du Dieu et du Héros.
Et nous voila conviés a parcourir les iles, les mers, les océans, les baleines, le ciel, la Lune et les étoiles, dans un bateau a voile. Le récit (ou le trajet) prend fin de maniere abrupte – comme dans Les Aventures d’Arthur Gordon Pym d’E.A.Poe, quand on arrive a l’ultime page, la ou, faute de pouvoir imaginer l’indicible, le récit s’amenuise. La figure de cette fin c’est le naufrage. S’ajoute, chez Lucien, la promesse d’une suite, évidemment destinée a n’etre pas tenue : dire ce qu’il y a ” de l’autre côté ” – ou, comme il l’annonce au début, ” sur l’autre rive “. Le but seul était proposé d’emblée : il s’agissait de ” savoir ou s’arretait l’Océan “, c’est la seule information neuve qui nous sera donnée, le seul leurre qui motive le ” désir de choses nouvelles “. Tout le reste releve d’un ” voyage de confirmation ” : on fait le tour, de maniere ironique, du savoir ancien, accumulé, hétéroclite, et comme il est sans ordre, il se clôt inopinément. Le navire, dont les transformations en aéronef, en sous-marin, en traineau, etc., ont motivé les diverses phases (et amené les divers lieux) d’exploration de ce ” monde ancien “, se brise, et par la termine ” l’aventure du récit “.
Ainsi, dans ses Verae Historiae, Lucien imagine la ” conquete de l’espace “. Son explorateur de l’espace découvre une peuplade sélénite qui dispose d’un systeme d’observation sonore et visuel universel.
Voici la traduction[10] d’un passage (I-26), qu’il nous parait fort utile de citer pour notre theme du voyage comme miroir de Soi et de l’Autre :
” J’ai vu encore une autre merveille dans le palais royal : un tres grand miroir est disposé au-dessus d’un puits, qui n’est pas fort profond. Si quelqu’un descend dans ce puits, il entend tout ce qui est dit chez nous, sur la terre, et si l’on regarde dans le miroir, on voit toutes les cités, toutes les nations, exactement comme si l’on était au milieu d’elles. A cette occasion, je vis moi-meme ma famille, ainsi que ma patrie toute entiere, mais me virent-ils eux-memes, cela je ne puis encore l’assurer pour certain. Quiconque ne croit pas qu’il en est vraiment ainsi, s’il lui arrive un jour de monter lui-meme jusque-la, s’apercevra que je dis la vérité. “
Cette citation nous permet de désormais développer l’idée d’un Lucien voyageur, parfois véritable ” ethnographe “, s’adressant au lecteur a la premiere personne, comme l’avaient fait avant lui Hérodote et Thucydide.
LE ” JE ” DE L’ETHNOGAPHE
Le ” je ” de l’ethnographe est poussé a son comble dans l’Histoire véritable, ou Lucien se moque de Ctésias et de Jambule, et ôte au récit tout crédit. En effet, dans une phrase ou il prend le contre-pied exact de ce qu’il dit au début de la Déesse syrienne, il déclare : ” ce que j’écris, je ne l’ai pas vu, je n’en ai pas l’expérience et je ne l’ai appris de personne ” (I-4). Mais cette déclaration liminaire ne supprime pas pour autant les interventions du narrateur qui parseme son récit de [11]. Ces opérateurs de croyance se multiplient bien évidemment aux moments les plus invraisemblables, quand Lucien est dans la lune (I-22), dans le ventre de la baleine (I-31) ou meme dans l’ile des Bienheureux (II-17). Comme dans la Déesse syrienne, ils prennent d’autant plus de force qu’au moins une fois, en I-13, le narrateur refuse explicitement de garantir par l’autopsie la véracité de ses propos. ” On disait aussi que des étoiles de Cappadoce viendraient soixante-dix mille passereaux-glands et cinquante mille chevaux-grues, mais je ne les ai pas vus, car ils ne sont pas venus; c’est pourquoi je n’ai pas non plus eu l’audace de décrire leur nature. De fait, on contait sur eux des choses extraordinaires et incroyables “. Lucien va meme jusqu’a faire pénétrer le réel de l’auteur-narrateur dans la fiction. Dans le miroir magique qu’il a vu dans le palais du roi de la lune (I-26), il a vu sa famille et sa patrie tout entiere. Quand il arrive dans l’ile des lampes, il y reconnait sa lampe (I-29) qui lui raconte tout ce qui se passe chez lui, et il retrouve dans l’ile des reves plusieurs des songes qu’il avait vus chez lui (II-34).
Cependant, malgré l’omniprésence du ” je “, l’ouvre de Lucien est donc aux antipodes de l’autobiographie. L’auteur de l’Histoire véritable prétend dire vrai, au moins sur un point, c’est qu’il dit qu’il ment (I-4), et peut ainsi affirmer sa supériorité sur les historiens menteurs, d’Hérodote a Ctésias. ” On pourrait, en le parodiant, dire que le je de Lucien, précisément parce qu’il est toujours le je d’un rôle, est paradoxalement plus sincere que le je de l’écrivain pour un je réel “.[12]
LE VOYAGE HORIZONTAL ET VERTICAL, REVELATEUR DE LA RENCONTRE DU MOI ET DE L’AUTRE
Le voyage de Lucien se déroule sur deux plans de l’espace :
– un plan horizontal, celui du voyage d’exploration, qui conduit le héros d’Est en Ouest, des colonnes d’Hercule (l’actuel détroit de Gibraltar), a l’extrémité de l’Océan.
– un plan vertical, ou Lucien fait ” l’expérience de la verticalité, avec la Descente, qui le situe sur un axe transcendant, vertical “[13].
Des le début de l’Histoire véritable (I-5), Lucien explique au lecteur qu’il part, dans ce voyage a priori linéaire -un déplacement géographique, qui sera a la fois horizontal sur mer et sur terre, et vertical sur la lune et aux Enfers- a la rencontre de l’Autre et de l’extrémité de l’Océan :
” Un beau jour, parti des colonnes d’Héracles et faisant voile vers l’Océan Atlantique, je naviguais par vent favorable. Le motif et l’objet de mon voyage étaient la curiosité d’esprit, le désir de nouveauté, la volonté de savoir quelle est l’extrémité de l’Océan et qui sont les habitants de l’autre rive. Dans cette intention, j’avais embarqué force provisions, chargé de l’eau en suffisance et recruté cinquante compagnons ayant meme age et meme projet que moi. De plus, je m’étais procuré une assez grande quantité de matériel, j’avais pris avec moi le meilleur pilote et j’avais fait consolider mon navire (c’était un bateau léger) en vue d’une navigation longue et agitée “.
Le voyage est discours sur l’Autre, regard sur l’hétérogene, offre la perspective exaltante et démultipliée de l’ouverture sur les discours des autres. Le voyage est donc pour Lucien un miroir de l’Autre, de ce Barbare, dont les Grecs ont si peur, et voyage au-dela des frontieres, des limites connues des Grecs, puisque son point de départ, les colonnes d’Hercule, est déja hors des limites de l’imaginaire grec, ” la ou précisément s’arretent d’ordinaire les récits d’exploration “[14]. Et nous verrons que ce voyage sera aussi son propre miroir : recherche de sa propre identité, lui le ” barbare ” a l’accent syrien, et construction de Soi au contact de l’Autre.
D’ailleurs, tout au long de son récit, Lucien utilise un champ lexical de l’étrangeté et de l’Autre: ” étrangeté du sujet ” (I-2), ” to xénon tes hypothéseôs “, ” hommes sauvages ” (I-3), ” agrious tinas anthropous “, ” des autres ” (I-4), ” par’allôn “, ” les habitants de l’autre rive ” (I-5), ” tinés oi péran katoikountes anthrôpoi “, ” pour observer les particularités de l’ile ” (I-6), ” épi kataskope tôn én te nessô “, ” étrangers ” (I-11), ” ô xénoi “, ” spectacle extraordinaire ” (I-18), ” théama paradoxotaton “, etc. Nous montrerons que l’Autre est différent selon le mouvement du voyage -horizontal ou vertical-, selon l’espace parcouru -fermé, circulaire ou ouvert-, selon le temps – régime diurne ou nocturne-, selon le sexe- féminin ou masculin, signes de matérialité ou de spiritualité. Et l’Autre désigne aussi, les poetes et historiens (Homere, Ctésias de Cnide, Jamboulos.) qu’il ” critique “, et le lecteur, avec qui il passe un pacte de véracité et de transparence a son égard des le Prologue, comme le fera Rousseau, bien plus tard :
” C’est pourquoi moi aussi – par vaine gloire – j’ai tenu a transmettre quelque chose a la postérité et je ne veux pas etre seul a ne pas participer a la liberté d’affabuler. Puisque je n’avais rien de vrai a raconter – car je n’avais rien vécu d’intéressant -, je me suis adonné au mensonge avec des sentiments bien plus nobles que les autres. Car je dirai la vérité au moins sur ce seul point : en disant que je mens. Ainsi, je crois bien que j’éviterais les accusations des gens en reconnaissant moi-meme que je ne dis rien de vrai. Bref, j’écris au sujet de ce que je n’ai ni vu, ni éprouvé, ni appris d’autrui, et en outre de ce qui n’existe en aucune façon et ne peut absolument pas exister. Aussi les lecteurs ne doivent-ils nullement ajouter foi a tout cela. “
un voyage horizontal selon la cosmologie antique
L’Histoire véritable est le récit d’un voyage imaginaire au-dela du monde connu. On ne doit pas oublier, pour comprendre l’enchainement des épisodes, que Lucien admet la conception populaire relative a la forme du monde : pour lui, comme pour la plupart de ses contemporains, la Terre est une galette flottant sur les eaux de l’Océan, et l’Océan lui-meme, a l’horizon, se confond avec le Ciel. Les voyageurs avaient souvent revé de découvrir ce point de jonction entre le terrestre et le céleste. Il faut donc imaginer une voute fixe séparée de la terre par de l’air. Un tourbillon de cet air pouvait donc nous emporter vers l’espace céleste.
Et l’imagination populaire plaçait depuis longtemps chez les Hespérides (les filles du Couchant), les Iles Fortunées ou vivaient éternellement les Bienheureux, ou encore cette Atlantide dont parle si bien Platon.
Toutes les superstitions, toutes les reveries relatives a l’Extreme-Ouest, trouvent un écho dans les pages de l’Histoire véritable.
Des le début (I, 5-6), Lucien fait le récit de ses voyages sur mer, surface plane et horizontale, en nous donnant de nombreux détails. Nous voici donc invités a un voyage merveilleux qui nous conduira vers les lieux les plus étranges.
Le temps du voyage est constamment scandé par des tempetes et des péripéties – événements majeurs mais brefs – car la mer surface horizontale, est aussi source de dangers extremes, comme nous allons le voir. Mais l’équipage s’arrete aussi sur des iles singulierement décrites, avec souvent une végétation abondante, généreuse (voir l’ile des femmes-vignes), comme un paradis terrestre. Ces iles peuvent etre salvatrices, elles sont la vie qui continue au milieu de l’Océan – espace immense et inquiétant pour les Grecs -, mais en meme temps, elles recelent la mort (ile des Bucéphales, des femmes-anesses.) : elles sont paradisiaques et infernales.
” Le jour suivant, comme le soleil se levait, le vent fraichit, et la mer devint grosse, l’obscurité se fit et il ne fut pas meme possible de carguer les voiles. Nous abandonnant au vent, nous nous laissames emporter pendant soixante-dix-neuf jours; le quatre-vingtieme, soudain, le soleil se montra et nous vimes non loin une ile élevée et boisée, entourée d’une eau sans danger; et déja le plus fort de la tempete s’était apaisé. “
Nous remarquerons d’abord que le récit de Lucien est fortement marqué par la premiere personne: il se présente comme un aventurier qui se prépare a naviguer. Le récit est simple et précis ; l’auteur multiplie les détails qui prouvent sa compétence et son organisation.
Lorsqu’il raconte son voyage, il utilise souvent le meme vocabulaire de navigation : ” faire route sur mer “, ” ton ploun poieisthai “, ” mon voyage “, ” e apodemia “, ” naviguer longuement “, ” ploun kratuneisthai “, etc. Le point de départ, les ” colonnes d’Hercule “, est le lieu traditionnel de début d’un voyage. En effet, la mer Méditerranée est considérée comme un lieu familier : toutes les passes sont répertoriées. Au-dela se trouve l’inconnu. On notera que notre auteur ne veut pas faire un ouvrage sérieux. Il se réfere donc a des récits légendaires pour ce qui concerne la Terre. Il ne cherche jamais a nous donner une géographie exacte ; c’est la fantaisie qui commande.
Cependant le but du voyage est nettement défini comme la satisfaction de la curiosité intellectuelle. C’est la une idée de haute tradition. En effet, meme avant les conquetes d’Alexandre le Grand, il existe une tradition du voyage d’exploration, comme nous l’avons vu dans notre premiere partie. Ainsi les historiens comme Hérodote (Ve. s. av. J.-C.) ont recueilli des , et Xénophon (IVeme s. av. J.-C.) a présenté maints détails sur les pays qu’il évoque dans son oeuvre. D’autres auteurs encore, comme Ctésias (V- IVe. s. av. J.-C.), ont visité des pays et rapporté ce qu’ils avaient vu dans des ouvrages perdus aujourd’hui, mais dont on a conservé des comptes rendus.
Les préparatifs forment un lieu commun de cette littérature, qui comporte des éléments fixés : le choix des compagnons et du pilote, l’embarquement des vivres. On trouve ces éléments dans tous les récits de voyage, et notamment dans l’Odyssée et dans les Argonautiques, d’Apollonios de Rhodes. Dans l’ouvre homérique, le nombre des compagnons est l’objet d’un compte tres strict. A l’origine, plusieurs vaisseaux accompagnent Ulysse : chacun comporte cinquante hommes, plus le pilote et le capitaine. A chaque aventure, plusieurs compagnons sont tués. Lucien reprend ce schéma sous une forme souple.
La tempete : c’est la aussi une péripétie attendue. Il y en a dans tous les romans antiques, et le modele en est l’Odyssée, car tous les récits d’Ulysse sont ponctués de ces tempetes envoyées par un dieu, Zeus, parfois, et surtout Poséidon, lorsqu’il veut venger le Cyclope.
Voici donc quelques vers homériques (Odyssée, IX, 67-75) :
” Mais, nos vaisseaux en mer, Zeus, l’assembleur de nuées, nous déchaine un Borée aux hurlements d’enfer. Il noie sous les nuées le rivage et les flots; la nuit tombe du ciel et notre flotte fuit, en donnant de la bande, et la rage du vent nous fend en trois et quatre pieces nos voilures… Il fallut amener – on risquait de se perdre – et pousser vers la terre a grands efforts de rames. La, deux jours et deux nuits, nous restons étendus, accablés de fatigue et rongés de chagrin… ” (Traduction V. Bérard.)
Nous noterons cependant que l’auteur ne s’attarde pas sur la tempete : l’essentiel est de raconter les découvertes, non la difficulté de la navigation.
L’expédition de Lucien débarque sur une premiere ile. Les voyageurs y découvrent les traces du passage de Dionysos et d’Héracles. Puis ils traversent un fleuve de vin, et le chef décide de remonter jusqu’aux sources du fleuve ; ils pechent aussi des poissons dans ce fleuve, mais ils doivent les mélanger avec des poissons d’eau douce pour pouvoir les manger.
Au-dela du fleuve, ils rencontrent un territoire couvert de souches formées de corps de femmes : leurs baisers enivrent les imprudents, qui demeurent enlacés aux souches et se transforment en vigne. Il s’agit la d’une parodie des aventures d’Ulysse chez les Lotophages (Odyssée, IX, 85-103). Mais nous reviendrons sur cet épisode plus loin dans le mémoire. Intéressons-nous désormais au voyage dans l’espace et dans le temps, puisque tout voyage implique mouvement dans l’espace et déroulement du temps.
le voyage dans l’espace et le temps
Les voyageurs procedent par une logique narrative du déplacement dans l’espace en laissant entrevoir un itinéraire. Mais ce déplacement dans l’espace laisse place a un voyage dans le temps, a la rencontre de l’inconnu, de l’Autre.
Ainsi, Lucien utilise-t-il au cours de son voyage tous les types d’espaces (horizontal, vertical, circulaire, ouvert, fermé.) et tous les types de temps (linéaire, cyclique et spiralé). En effet, pendant son voyage, Lucien et son équipage, sont la plupart du temps, en bateau, sur mer (l’Océan Atlantique) – espace horizontal immense et ouvert, parfois dangereux (pirates et tempetes) -, dans des iles – espace circulaire, fermé, protecteur ou dangereux (l’ile des Bienheureux ou l’ile des femmes-vignes par exemple), dans une baleine (espace fermé et nocturne, pendant un an et huit mois !), dans les airs – espace vertical, ouvert, impalpable, diurne (le Soleil) ou nocturne (la Lune) -, et meme dans l’au-dela, hors des limites des frontieres et du temps, sur l’ile des Bienheureux. Et pour aller du mode vertical au mode horizontal et vice-versa, l’équipage ne cesse d’effectuer, ” catabases et anabases “, sur l’axe du monde (” axis mundi “) vertical représenté par le mat du navire.
La Lune est donc le premier espace dans lequel se développe une bonne partie de l’action, auquel correspond, la baleine ; ” deux espaces dont on souligne le caractere insulaire, limité et fermé donc, et qui s’opposent symétriquement au monde réel par leur hyperbolique hauteur et profondeur “[15]. Le troisieme espace dans lequel est située la plus grande partie du deuxieme livre a toujours un caractere insulaire : son éloignement de l’univers terrestre n’est pas seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps ; c’est l’au-dela, situé entre les iles des Bienheureux et les iles des Impies, qui sont entre elles en net contraste.
Et, pour bien montrer les déplacements de l’équipage, Lucien utilise tout un réseau de champs lexicaux de l’espace et des éléments. En effet, on ne compte plus le nombre de fois ou l’on trouve les expressions ” en haut “, ” en bas ” et ” sur mer “, ” dans les airs “.(” anô “, ” katô “, ” kata thalattan “, ” én tô aéri “…).
Enfin, ce voyage s’inscrit dans la durée, si l’on considere les diverses indications de temps dans le récit : tempete pendant ” soixante-dix-neuf jours ” (I-6), navigation aérienne pendant ” sept jours “, la baleine avale le bateau ” trois jours plus tard “, séjour de ” vingt mois ” dans la baleine, hivernage de ” trente jours “, glissade du bateau sur la glace pendant ” cinq jours “, escale sur l’ile-fromage pendant ” cinq jours “, songes pendant ” trente jours et trente nuits “, rencontre ” apres deux jours ” de pirates et meme hors du temps sur l’ile des Bienheureux et des Songes ; Lucien est alors dans l’atemporalité.
LES DIFFERENTS VISAGES DU BARBARE RENCONTRES SUR L’AXE HORIZONTAL
Au cours de son périple, Lucien se fait ” ethnologue ” et ” ethnographe “, nous l’avons vu, puisqu’il n’a de cesse de nous décrire tous les types de barbares rencontrés. Et ils ont un comportement différent, selon l’axe parcouru : plus ” matérialistes ” sur terre ou sur mer (axe horizontal), plus ” spirituels ” dans les airs ou l’ile des Bienheureux (axe vertical).
Parlons tout d’abord des femmes barbares rencontrées par Lucien et son équipage.
Lors de son voyage vers l’Océan, apres la tempete, l’équipage fait une premiere escale sur une ile mystérieuse (I, 6 a 8), ou ils trouvent des inscriptions parlant d’Héracles et de Dionysos et des traces archéologiques, un fleuve de vin et rencontrent des femmes-vignes, symbolisant la féminité séductrice, a l’image des sirenes d’Ulysse, cette femme tentatrice, qui incarne plutôt le côté matériel de l’homme (I-8) :
” Alors nous traversames le fleuve en un endroit accessible et nous trouvames une sorte de vigne prodigieuse. La partie tenant au sol, le cep proprement dit, était d’une belle venue et robuste ; vers le haut c’étaient des femmes, en tout point parfaites dans la seule partie qui est au-dessus de la taille (et telles qu’on représente chez nous Daphné, au moment ou Apollon la rattrape, se transformant en arbre). Au bout de leurs doigts poussaient les sarments chargés de grappes. Et, ma foi, leurs tetes avaient pour chevelure des vrilles, des feuilles, des grappes. A notre approche elles nous saluaient et nous tendaient les bras, s’exprimant tantôt en langue lydienne, tantôt en langue indienne, le plus souvent en grec. Et elles essayaient de nous baiser sur la bouche, mais celui qui recevait le baiser était aussitôt enivré et titubait. Pourtant elles ne permettaient pas que l’on cueillit du raisin et elles criaient de douleur si on l’arrachait. D’aucunes meme désiraient s’unir a nous ; deux de nos compagnons étant allés tout contre elles ne s’en détachaient plus, restant attachés par les parties. Ils se fondaient avec elles et prenaient racine avec elles. Désormais leurs doigts avaient poussé en sarments et enlacés par les vrilles ils étaient bientôt destinés eux-aussi a produire du raisin. “
Dans ce passage, nous voyons a quel point cet Autre, est présenté comme dangereux et séducteur. En effet, deux des marins de l’équipage sont ” sexuellement dévorés par les femmes-vignes qui introduisent le motif de l’engloutissement, si fréquent dans l’ouvre “[16] . Ce theme se retrouve avec les femmes-anesses, livre II,46 :
” C’était déja le soir quand nous abordames dans une ile qui n’était pas grande. Elle était habitée par des femmes (c’est ce que nous pensions) qui parlaient grec. Elles s’approchaient, nous tendaient la main et nous embrassaient; elles étaient parées tout a fait comme des courtisanes, toutes belles et jeunes, trainant apres elles des tuniques qui leur tombaient jusqu’aux pieds. L’ile avait nom Cobalousa et la ville meme Hydamargia. En tout cas ces femmes nous prenaient en charge, nous attirant chacune chez elle et nous offrant l’hospitalité. Mais moi, resté un petit moment a l’écart – car je n’augurais rien de bon -, je regarde a la ronde plus en détail et je vois en grand nombre des ossements et des cranes humains gisant sur le sol. Lancer un cri, rassembler mes compagnons et courir aux armes, cela ne me semblait pas le bon parti. Mais j’empoignais la mauve et je lui adressais une priere instante pour échapper aux malheurs présents. Peu apres, comme mon hôtesse faisait le service, je vis ses jambes, qui n’étaient point d’une femme mais bien des sabots d’anesse. Tirant alors mon épée, je l’arrete, je la garrotte et je la questionne sur toute l’affaire. Elle, bien qu’a contrecour, s’expliqua : elles étaient des femmes de la mer, appelées Onoskeles (jambes d’ane ), qui faisaient leur pature des visiteurs étrangers. ” Quand, dit-elle, nous les avons enivrés, nous couchons avec eux et pendant leur sommeil nous les agressons “. Je n’en entendis pas plus et je la laissai la tout attachée, pendant que je grimpais sur le toit et criais pour appeler mes compagnons au rassemblement. Quand ils furent regroupés, je leur révélais toute l’affaire, je leur montrais les ossements et je les faisais entrer chez la femme attachée. Elle aussitôt se transforma en eau, elle avait disparu ! Cependant je plongeai mon épée dans l’eau pour vérifier : et l’eau se transforma en sang. “
Ces femmes-anesses représentent un autre groupe de femmes dangereuses et hybrides, qui soulent les étrangers pour les manger. Mais cette fois, Lucien a appris au cours de son voyage a se méfier : son équipage échappe donc au danger.
Ainsi, a la lecture de ces deux passages, les femmes ont bien le visage barbare, de la tentation et du danger, et ces personnages ont été rencontrés sur des iles au milieu de l’Océan. Cette fois l’ile n’est pas symbole de protection, au contraire, elle est infernale.
Parlons désormais des hommes barbares.
Le long de son périple en mer, Lucien rencontre aussi des hommes particulierement étranges.
De I, 40 a 42, l’équipage assiste a un grand combat naval autour de la baleine entre des etres gigantesques, qui se termine par la victoire des marins d’Eolocentaure ; ceux-ci dressent un trophée sur le dos de la baleine :
” (.) nous vimes le plus extraordinaire de tous les spectacles que j’ai vus : des géants d’environ un demi-stade de stature s’avançaient en voguant sur de grandes iles comme sur des trieres.(.) On aurait tout a fait dit des hommes, mise a part la chevelure : la leur était un feu qui brulait, si bien qu’ils n’avaient meme pas besoin de casque. “
Ils assistent a un véritable combat naval a ” la Gulliver “, et sont a la fois effrayés et émerveillés par ce type d’hommes géants.
Puis, apres une escale a Ogygie, et une navigation de deux jours dans la tempete (I-37), ils tombent sur les Colokynthopirates (pirates sur coloquintes), ” hommes sauvages “, qui rançonnent les marins qui passent, et sur les Caryonautes (marins sur coques de noix), ennemis des Colokynthopirates ; ce qui les sauva !
Enfin, ils rencontrent vers la fin de son voyage, les fameux Bucéphales, a tetes de boufs, sauvages et qui plus est, anthropophages. Voici le passage (II-44) :
” A ce passage nous vimes une mer douce et une Petite ile, accessible et habitée. Elle était peuplée d’hommes sauvages, les Bucéphales (tetes de boeuf), qui portaient des cornes, comme le Minotaure tel qu’on le représente chez nous. Nous débarquames et nous nous avancions pour faire de l’eau et rapporter des provisions, si toutefois c’était possible, car nous étions a court. Nous trouvames de l’eau sur place, a proximité. Mais on ne voyait rien d’autre ; on entendait seulement un concert de mugissements assez proche. Pensant donc qu’il s’agissait d’un troupeau de boufs, nous avançames insensiblement et nous rencontrames ces hommes. Nous ayant vus, ils nous donnent la chasse et capturent trois de nos compagnons; je me réfugiais avec les autres vers la mer. Puis ayant tous pris nos armes – nous n’entendions pas laisser nos amis sans vengeance -, nous tombons sur les Bucéphales en train de se partager la chair de leurs victimes. “
Ainsi, Lucien découvre un type de barbares inconnus, et est confronté au danger, a la mort, sur une ile, ce qui lui permet d’acquérir une certaine expérience, et donc de se créer au contact de l’Autre. De plus, encore une fois sur cet axe horizontal du voyage, il ne rencontre que des personnages plutôt ” matérialistes ” et sauvages, au fur et a mesure qu’il s’éloigne du centre athénien, de la civilisation, pour aller vers la périphérie, l’inconnu, aux limites des frontieres, aux espaces et aux autres parfois gigantesques.
le gigantisme de l’autre
Les espaces dans lesquels Lucien voyage sont caractérisés par un gigantisme absolu : le navire est enlevé dans les airs, ” a une hauteur de 300 stades “, (environ 53 kilometres), la baleine mesure ” environ 1500 stades ” (I-30), les Sélénites sont tous énormes, un nid d’alcyon a une circonférence de soixante stades (II-40) !
” Le sens satirique de cette optique colossale est évident : d’un côté elle relativise le monde des humains en en bouleversant les parametres et en présentant comme des géants des etres qui, sur la terre, sont microscopiques ou petits, comme les fourmis, les moustiques, les radis, les crabes, les lupins ” [17]; le meme relativisme jaillit de l’invention des mours renversées, comme le fait de considérer beaux les chauves ou de porter la barbe sur les genoux, chez les Sélénites (I-23). Par ailleurs, cette grotesque déformation frappe, obliquement, comme souvent dans les textes satiriques, le monde réel en attribuant aux mondes fantastiques les memes vices humains : la Lune et le Soleil combattent pour avoir le privilege de fonder une colonie sur Lucifer (I-12) ; les habitants de la baleine sont sauvages, peu sociables, et exigent des tributs annuels en huitres (I-35)etc..
Le monde a l’envers de la Lune, est le miroir déformant au moyen duquel l’auteur attaque son monde contemporain.
Puis, Lucien au cours de son voyage, va meme etre confronté a une situation peu ordinaire pour lui, puisqu’il va etre un objet de curiosité pour ceux qu’il considere comme des barbares.
l’autre et le monde a l’envers
Le theme du monde a l’envers, bien connu d’Hérodote, est développé ensuite a propos de la visite dans la lune (I-10 a 26) ; theme qui place la vie idéale sur cette terre et de préférence dans les contrées reculées. Ainsi, en I-11, lorsque l’équipage de Lucien, fait la connaissance d’Endymion, roi de la lune, ils sont appréhendés par Endymion comme des étrangers : la situation est cocasse puisque renversée : les Grecs sont devenus des barbares, du point de vue des Sélénites :
” Ces Hippogypes ont pour mission de voler tout autour du pays et de conduire devant le roi tout étranger qu’ils trouvent. Et précisément apres notre arrestation ils nous conduisent devant lui. Il nous examine et a en juger d’apres nos vetements il nous dit : ” Etes-vous donc des Grecs, étrangers ? ” Nous en convinmes. “
Puis a la fin du livre II (45), l’équipage rencontre d’étranges navigateurs, qui ne font qu’un avec leurs navires, et dont le pénis leur sert de gouvernail. Ici, Lucien, comme Hérodote, change de point de vue : au lieu d’insister sur son étonnement et celui de ses compagnons, il souligne au contraire l’admiration que le spectacle de son navire suscite chez ces étranges navigateurs. Ces derniers ont en effet exactement le meme comportement que les Grecs devant des étrangers : la perspective est renversée : Lucien et son équipage deviennent une curiosité pour les ” barbares “.
” Peu apres, nous aperçumes aussi des hommes qui pratiquaient un genre inédit de navigation. Eux étaient a la fois nautes et navires, et je vais décrire leur façon de naviguer. Couchés sur le dos dans l’eau ils dressaient leur phallus – il est tres grand chez eux- ils y attachaient une voile qu’ils déployaient et, tenant en main la bouline, ils prenaient le vent et naviguaient. D’autres, a la suite, assis sur des plaques de liege, y avaient attelé deux dauphins qu’ils conduisaient et guidaient avec des renes, et les dauphins avançaient en entrainant le liege. Ces gens-la ne nous faisaient aucun mal et ne fuyaient pas devant nous ; ils s’avançaient sans crainte et paisiblement, étonnés par l’aspect de notre bateau et l’examinant sous tous les angles. “
Ceux qui pensent etre la référence, les Grecs, sont ici bien surpris d’etre vus comme des étrangers ! Ce procédé permet a Lucien, lui, le barbare, a l’accent syrien, de régler ses comptes avec les Grecs, en inversant les rôles.
Lucien feint d’etre un ethnographe pour critiquer ici l’ethnographie-fiction. Il ” subvertit le propos meme de l’ethnographe, en transformant l’objet en sujet et le sauvage en ethnographe, en mettant l’exotisme au service de l’autoportrait et surtout en inversant le rapport du réel et de la littérature : si l’ethnographe écrit ce qu’il a vu, Lucien ne voit que ce qui a été écrit. “[18]
Et, nous remarquerons que la plupart de ces rencontres avec des hommes et des femmes barbares et sauvages, sur l’axe horizontal, arrivent dans des espaces clos, circulaires et diurnes (des iles), ou ouverts et diurnes (l’Océan). La mer et la navigation sont donc le plus souvent dans l’Histoire véritable, symboles de danger et de mauvaises rencontres. Nous allons voir que ce n’est pas du tout la meme chose sur l’axe vertical.
LE VOYAGE VERTICAL
L’expédition repart pour une étape tres importante du voyage. Cette arrivée sur une terre inconnue est suivie de premieres découvertes (I, 9-10) :
” Vers le milieu du jour, alors que l’ile n’était plus a portée des regards, un tourbillon soudain s’éleva et, ayant entouré le navire, l’enleva a une hauteur d’environ trois cents stades, et l’y maintint sans plus le laisser retomber sur la mer; ainsi suspendu, il fut emporté par le vent qui soufflait dans ses voiles. Apres avoir été emportés dans les airs sept jours et autant de nuits, le huitieme jour, nous aperçumes une grande terre, comme une ile au milieu des airs, lumineuse, sphérique et brillant d’une grande lumiere. Nous y touchames, et, apres avoir amarré le bateau, nous descendimes a terre. Apres l’avoir examinée, nous découvrimes qu’elle était habitée et cultivée. Le jour, a partir de cet endroit, on ne pouvait rien voir; mais, une fois la nuit venue, de nombreuses autres iles nous apparurent, les unes plus grandes, les autres plus petites, et de la couleur du feu, ainsi qu’une autre terre, en bas, avec des villes et des fleuves, une mer, des forets et des montagnes. Et nous pensames donc que cette terre était la nôtre “.
Le monde dans lequel parvient Lucien est a la fois semblable au nôtre et différent de lui. Les ressemblances tiennent a la structure sociale, qui apparait des le premier contact : il s’agit d’un royaume gouverné par un roi (” basiléa “), et protégé par une armée qui patrouille aux frontieres et en interdit l’acces aux étrangers (” ei tis eurétheie xénos “). Les différences ne tiennent donc qu’a la nature des habitants.
On notera également que le cérémonial de l’accueil est semblable a celui que peut attendre tout Grec hors de ses frontieres. L’impression d’étrangeté prend donc rapidement fin. On s’attendait a trouver des etres étonnants, et c’est un Grec qui dirige ce royaume. Ce détail permet a Lucien un double ” jeu intellectuel ” : la présence d’un Grec en ces lieux est un événement tout a fait improbable ; mais, comme il s’agit d’un Grec, Lucien et ses compagnons peuvent facilement se renseigner sur le pays et comprendre ce qui s’y passe, ce qui donne un caractere plus plausible a la suite du récit.
Les soldats étonnent par leur aspect. L’intéret se trouve donc déplacé vers la description. Lucien consacre plusieurs lignes a nous faire voir ces etres imaginaires, composés, comme les Centaures, de deux parties appartenant a deux regnes différents du monde animal.
Soulignons cependant que les voyageurs ne marquent ici ni frayeur ni réel étonnement. Chez Homere, par exemple, ces notations apparaissent pour chaque épisode, et les compagnons d’Ulysse manifestent leur frayeur et leur angoisse devant l’inconnu. Cette absence étonne le lecteur moderne et enleve une partie de son intéret au récit. Mais il est vrai qu’il s’agit d’une histoire dont le seul but est de nous divertir : le jeu littéraire passe avant l’art du roman. D’ailleurs, l’écrivain se contente de résumer l’aventure d’Endymion et ne nous donne guere de précisions.
L’accueil d’Endymion est chaleureux. Mais les voyageurs apprennent vite, de la bouche meme du roi, que le peuple de la Lune est en guerre contre celui du Soleil, dont le roi est Phaéton. Ce roi s’est en effet opposé par la force a une entreprise de colonisation d’Endymion. La guerre est inévitable. Apres une nuit de repos, nos amis prennent place dans l’armée des Sélénites.
Lors de la description du combat entre les soldats de la Lune et du Soleil (I, 13-14; 17), Lucien nous présente d’abord les forces adverses, celles du Soleil. C’est l’occasion, pour Lucien, d’une longue description des armées et de leur armement.
le fantastique : la vision de l’autre dans la verticalité
Le caractere fantastique de ces armées tient a plusieurs aspects. L’invention réside surtout dans les monstres présentés par Lucien. Il s’agit de railler une tradition des historiens qui ont décrit des animaux comme le phénix (Hérodote, Histoires, II, 73) ou le griffon (Élien, De la nature des animaux, 27), mais aussi d’émerveiller comme eux, lorsqu’ils décrivaient des animaux comme les éléphants de guerre. Tous les combattants sont donc montés sur des animaux fantastiques. Les procédés sont multiples. On en signalera deux.
Tout d’abord, la description de l’armée fantastique, simple déplacement du réel par composition de mots, dont le relevé donnera un aperçu. La structure des armées demeure conforme a ce qu’elle est dans le monde antique ; d’ailleurs les combats navals ou aériens sont conçus sur le modele terrestre ; ce qui change, c’est soit la monture, soit l’arme:
Les Hippogypes (vautours-chevaux), les Hippogéranes (grues-chevaux), les Hippomyrmeques (fourmis-chevaux), les Lachanopteres (cavaliers aux ailes de légume), les Kenchroboles (lanceurs de grains de millet), les Scorodomaques (guerriers a la gousse d’ail), les Psyllotoxotes (archers montés sur puces), les Anémodromes (coureurs des vents) et les Strouthobalanes (glands de moineaux).
L’armée de Phaéton est aussi composée d’etres fantastiques : les Aéroconopes (moustiques aériens) et les Aérocordaces (danseurs aériens), dont les armes sont d’énormes radis ; les Kaulomycetes (champignons-tiges) ; on les appelle ainsi, précise Lucien, parce qu’ils ont des champignons pour boucliers, et que leurs lances sont des asperges ; les Kynonalanes (glands-chiens) ; il s’agit d’hommes a tete de chien montés sur des glands ailés) et les Néphélocentaures (centaures des nuages).
On remarquera que, dans plusieurs cas, il s’agit simplement de présenter des montures inhabituelles (vautours, fourmis, puces, grues, glands ailés), dans d’autres, des moyens de déplacement particuliers (la robe qui forme voile) ; les autres, enfin concernent des armes (millet, gousse d’ail, asperges). La plus originale de ces formations concerne les hommes montés sur des ” légumes ailés “. En effet, il y a fusion des deux réseaux: la monture (un oiseau) est originale, et cet oiseau est lui-meme fantastique (plumes en feuilles de salade). Mais l’invention provient du mélange des différents domaines et de l’utilisation des termes concernant les légumes pour créer des etres étonnants. Cyrano de Bergerac s’en souviendra peut-etre, dans son célebre L’Autre Monde, ou les États et Empires de la Lune, lorsqu’il établira une comparaison entre l’homme et le chou.
Les différents traducteurs ont eu recours a des procédés divers. Ainsi, Perrot d’Ablancourt, un traducteur du XVIIeme siecle, nous propose les noms de , etc. Pierre Grimal propose !
Un autre procédé utilisé par Lucien est l’insistance sur la taille gigantesque de ces animaux, comme une parodie de l’hyperbole épique homérique. Les vautours qui servent de monture sont énormes (” mégas “), leurs plumes ont la taille d’un mat de navire; les fourmis ont une taille de deux plethres, ce qui avoisine les soixante metres, les puces ont la taille de douze éléphants. Pour leur part les Centaures-Nuées sont décrits ainsi : ” la taille des hommes était celle du colosse de Rhodes, depuis la moitié du corps jusqu’en haut ; celle des chevaux, celle d’un fort navire de transport “.
Les combattants forment pour leur part une armée innombrable : soixante millions de fantassins, plusieurs dizaines de milliers de cavaliers. L’auteur renonce a plusieurs reprises a donner des précisions, ” par peur de n’etre pas cru “. Toutes ces précisions – et imprécisions – nous préparent a un combat épique.
l’autre et la peinture de ses moeurs
Les historiens grecs ne se contentent pas de nous faire le récit des événements. Ce sont aussi des géographes qui nous décrivent la morphologie des régions traversées, des mythographes qui rapportent les traditions anciennes et des ethnologues qui décrivent les mours des peuples étrangers.
Tous les historiens (et les géographes) antiques ont décrit les mours des pays qu’ils évoquaient. Sur ce point également, nous avons pour modele Hérodote (Histoires, I), imité par la suite par Xénophon et par Lucien lui-meme pour le passage dans la lune (I, 22-24) mais de façon parodique.
Il faut noter d’emblée, chez Lucien, l’importance que prend, dans la description des Sélénites, la partie concernant les étranges mours sexuelles : c’est un domaine qui intéressait profondément les Anciens, et il appelle plusieurs commentaires.
Tout d’abord, c’est un topos de l’ethnologie. Les Grecs ont toujours insisté par exemple sur les particularités de comportement des Amazones, qui refusent la compagnie des hommes et ont été obligées de créer des rites de ” rencontre ” pour assurer la pérennité de leur société. Les Grecs s’étendent volontiers sur le caractere aberrant de leur comportement.
Ce passage fait cependant penser a deux sources savantes, Platon et Apollodore. Il renvoie par ailleurs a un lieu commun de la critique antique : les ” mours grecques “.
Lucien, en reprenant cet élément dans les mours des Sélénites, et en le radicalisant, semble faire de ceux-ci un peuple ” semblable et différent “. Semblable pour certaines mours, mais différent, la relation physique étant ici justifiée par la procréation. Doit-on voir la également une allusion a Aristote et au classement qu’il fait entre les etres non accomplis (la femme et l’enfant) et l’etre accompli (l’homme), dans cette répartition qui fait que l’on est d’abord capable de porter un enfant (on est l’épouse), puis de l’engendrer (on devient capable d’etre mari a ” vingt-cinq ans “) ? Dans tous les cas, on trouverait la un élément de dérision.
On pourrait encore citer l’extrait du Banquet (189c-193a), dialogue de Platon dans lequel Aristophane raconte une ” histoire “, qui parodie les mythes hésiodiques :
” Autrefois [raconte-t-il], notre nature n’était pas celle que précisément elle est aujourd’hui, mais d’une autre sorte. Premierement, l’espece humaine comportait en effet trois genres ; non pas deux comme a présent, mais, en outre du male et de la femelle, il y en avait un troisieme qui participait de ces deux autres ensemble, et dont le nom subsiste de nos jours […] ; il existait alors un genre distinct, l’androgyne, qui, pour la forme comme par le nom, participait des deux autres ensemble ; ce qui en reste a présent, ce n’est qu’une dénomination, tenue pour infamante. ” (Traduction L. Robin).
Aristophane raconte également comment ces etres, ” circulaires “, étaient si puissants qu’ils s’attaquerent aux dieux, qui les couperent en deux pour les punir. C’est des androgynes que proviennent les hommes d’aujourd’hui qui aiment les femmes ; quant aux moitiés d’etre d’un seul sexe, les femmes ne recherchent que les femmes, et ” le male recherche les males et, tant qu’ils sont enfants [.] ils aiment les hommes, prennent plaisir a coucher avec eux, et a etre dans leurs bras. [.] Devenus des hommes, ils aiment les garçons “. Lucien connaissait sans aucun doute ce texte.
En ce qui concerne la naissance ” dans le mollet “, il suffit de se rappeler la naissance de Dionysos dans la cuisse de Zeus.
des créatures éthérées, spirituelles
Par ailleurs, la grande caractéristique de ces etres étranges, c’est que ce sont des créatures de l’air, comme nous sommes des créatures de la terre.
On notera sans difficulté que de nombreux détails se rattachent a l’aspect ” aérien ” des habitants de la Lune. Nous l’avions noté pour les différents etres qui composaient les armées. Nous releverons certains traits caractéristiques.
Tout d’abord, les Sélénites se nourrissent avec de la fumée. Il y a la sans aucun doute une irrévérence de Lucien envers les dieux ” qui se nourrissent du fumet des viandes des sacrifices “, selon la formule consacrée. On peut se reporter a Hésiode (Théogonie, v.556-557), au mythe de Prométhée et au mécontentement des dieux quand ils ne reçoivent plus cet hommage des mortels. De plus lorsqu’ils meurent, les Sélénites ” s’évanouissent comme de la fumée ” ; l’allusion a l’Odyssée est ici claire. Lorsque Ulysse se rend chez les mortels et veut embrasser sa mere, il n’embrasse que le vide.
Et pour finir, ils ont des ” yeux interchangeables “, qui nous font penser a la légende des Grées, sours des Gorgones, qui, quoique belles et d’une blancheur de cire, ont les cheveux gris et ne possedent a elles toutes qu’un seul oil et une seule dent, qu’elles utilisent tour a tour ( ce sont Enyo, Péphrédô et Dino).
Les barbares rencontrés sur l’axe vertical, sont donc plus spirituels que ceux rencontrés sur l’axe horizontal.
dans le ventre de la baleine
Quittant Lychnopolis, la Cité des Lampes, les voyageurs passent par Coucouville-les-Nuées, la ville décrite par Aristophane dans sa comédie Les Oiseaux. Puis le navire rejoint l’Océan, pensant terminer sa catabase. Toute la troupe se réjouit. Hélas, c’est pour tomber dans un autre monde, plus inquiétant encore, celui d’une baleine (I-31, 32) :
” Lorsque nous fumes a l’intérieur, d’abord, il faisait noir, et nous ne voyions rien, mais ensuite, quand elle ouvrit la gueule, nous vimes une grande caverne, totalement plate, élevée, et suffisante pour abriter une ville de dix mille habitants. Il y avait au milieu de petits poissons et de nombreux autres animaux dont il ne restait que des débris ainsi que des voiles de navires et des ancres, des ossements humains et des marchandises ; au centre, il y avait une terre avec des collines, formées a mon avis avec les limons qu’elle avait mangés. Ce qui est sur en tout cas, c’est qu’il y avait une foret et que des arbres de toute sorte ainsi que des légumes y avaient poussé et tout semblait cultivé; la circonférence de cette terre était de deux cent quarante stades. On y voyait des oiseaux de mer, des mouettes et des alcyons qui avaient fait leur nid sur les arbres. Alors nous pleurames longtemps ; puis, faisant lever nos compagnons, nous étayames le vaisseau, et nous-memes, en frottant des bois, nous fimes du feu et nous préparames un repas avec ce que nous avions sous la main. “
Le récit est mené avec une grande clarté. Une réflexion morale (premiere phrase, I-30) prépare le lecteur a une nouvelle péripétie. Puis le récit reprend, avec le sujet ” nous “, par l’apparition des monstres (” theria kai kete “) et l’engloutissement. L’étape suivante est marquée par une subordonnée temporelle (” lorsque nous fumes a l’intérieur “, 31), puis des adverbes de temps (” d’abord, ensuite “). Le changement de sujet accompagne le début de la description. Le retour au récit est marqué par le retour a la premiere personne du pluriel.
la baleine, un univers fabuleux
Les historiens et géographes n’ont pas manqué de faire la description d’animaux étonnants, voire fabuleux. Ainsi Hérodote fait la description du crocodile (II, 10), de l’hippopotame (II, 7) et de l’ibis (IX, 27). Ctésias fait aussi de nombreuses descriptions, notamment celle du martichore (Photius, Bibliotheque, II, 1, 501 a, 25 sqq.) Mais le plus grand zoologue de l’Antiquité est Aristote, qui évoque la baleine dans son Histoire des animaux (VI, 12, 1). Il se contente des données scientifiques de son temps, a savoir que la baleine a des évents, et non pas des branchies, et qu’elle donne naissance a un petit, parfois deux.
Le calme du scientifique qui étudie les animaux n’est pas de mise pour le marin qui rencontre ces monstres terrifiants.
Puis, l’équipage s’aventure a l’intérieur de la baleine et vont rencontrer deux habitants de la baleine depuis vingt-sept ans, deux Chypriotes, pere (Skintharos) et fils (Cinyras).
L’extrait de Lucien constitue un épisode important. Il présente a nouveau un ” autre monde ” dont la particularité est assurée par deux caracteres principaux : c’est un monde clos, dans lequel ceux qui ont été pris au piege vont devoir trouver moyen de survivre et de cohabiter avec d’autres prisonniers ; c’est un monde marin- comme le monde de la lune était un monde aérien.
La rencontre de ces deux hommes, permet de mettre en relief les rites d’hospitalité grecs et de comprendre une des dimensions de l’esprit des Grecs anciens.
Tous les commentateurs ont souligné que les étrangers rencontrés, meme les ” etres les plus bizarres “, parlaient tous la langue grecque. Selon J. Bompaire[19] ” c’est, semble-t-il, une façon pour le Syrien de montrer son gout exclusif pour la culture grecque. ” On remarquera cependant que les rois du Soleil et de la Lune ” étaient grecs “, et que les personnages mythologiques qui vont apparaitre sont grecs bien évidemment!
Voici la traduction du paragraphe I-35, qui complete la description du monde de l’intérieur de la baleine :
” Quoi, dis-je, il y a d’autres personnes dans la baleine ? -Beaucoup, répondit-il, mais ce sont des etres qui ne reçoivent pas les hôtes, et dont l’apparence est étrange : dans la partie ouest de la foret qui est du côté de la queue, habitent les Salés, un peuple aux yeux d’anguille et a la tete de homard; c’est un peuple guerrier, violent et qui se nourrit de chair crue; sur l’autre côté, vers la paroi de droite, il y a les Tritons-Boucs, semblables pour la partie supérieure de leur corps a des hommes, pour la partie inférieure au poisson-épée; ils sont moins éloignés de la justice que les autres; sur le flanc gauche, les Pinces-de Crabe et les Tetes-de-Thon qui ont fait alliance et amitié eux; la région centrale est habitée par les Crabes et les Pieds-de-Plie, peuple guerrier et tres rapide a la course; l’est, la partie proche de la gueule, est le plus souvent déserte, parce qu’elle est inondée par la mer. C’est la que je vis, en payant un impôt de cinq cents huitres par an aux Pieds-de-Plie. Tel est ce pays. “
Cette présentation d’un monde presque idyllique a l’intérieur d’une baleine constitue un point particulierement intéressant. En effet, si ce n’étaient les mauvais voisins, l’existence de ces deux personnages serait tres naturelle et relativement douce. Ceux-ci disposent en effet de tout le nécessaire : des vivres variés et abondants, de l’eau douce pour leur nourriture, un lac pour leurs ablutions, une maison simple, mais confortable et ” naturelle “.
On a souvent pensé que cet épisode de la rencontre avec les deux hommes constituait une maniere de rendre hommage pour Lucien a la civilisation grecque.
Les voyageurs, apres un an et huit mois passés dans la baleine, réussissent a s’enfuir, lors du combat des géants et peuvent remettre le navire a flot et reprendre leurs pérégrinations. Cependant, des qu’ils sont sortis des entrailles de la baleine, ils rencontrent de nouveaux phénomenes prodigieux : la mer gelée, puis de nouvelles iles, la premiere de fromage, l’autre en liege.
L’ILE DES BIENHEUREUX
Apres ces voyages dans les airs et dans des espaces inconnus, il reste a Lucien a nous emmener vers un ” autre monde “, celui vers lequel Ulysse avait été conduit par Circé et ou il avait rencontré sa mere, celui qu’ont visité tous les grands héros de l’Antiquité (Héracles, pour aller chercher Alceste, Orphée, pour arracher a la mort sa femme Eurydice), le royaume de ceux qui ne sont plus.
Mais Lucien choisit le divertissement. Son aventure ne sera donc pas pleine de périls, comme celle des héros antiques. Il arrive simplement dans l’ile des Bienheureux. Les voyageurs débarquent dans ce lieu qui fait leur enchantement : c’est l’occasion d’une longue description de la douceur du pays. Mais ils ne tardent pas a etre arretés. On les conduit alors a Rhadamante, qui gouverne l’ile. Ils sont traduits devant lui pour etre jugés. Trois proces précedent le leur, celui d’Ajax, pour déterminer s’il peut partager le sort des héros, celui de Thésée et Ménélas, qui se disputent pour savoir lequel des deux doit vivre avec Hélene, celui d’Hannibal et d’Alexandre, qui briguent la préséance militaire.
Les voyageurs, a cause de l’enlevement d’Hélene par Cinyras, sont contraints de quitter l’ile. Ulysse confie a Lucien une lettre pour Calypso, dans l’ile d’Ogygie. Mais ils abordent tout d’abord dans l’ile des Supplices, dont le portier est Timon d’Athenes. La sont punis notamment les écrivains qui n’ont pas dit la vérité, dont Ctésias de Cnide et Hérodote. Puis apparait l’ile des Songes. Enfin, ils atteignent Ogygie, ou Lucien peut s’acquitter de sa mission.
LA FIN DE L’AVENTURE
La navigation reprend et, apres deux jours de tempete, nos voyageurs sont attaqués par des sauvages qui naviguent sur des navires en forme de citrouille. Puis ce sont des pirates montés sur des dauphins. Lucien et ses compagnons échouent sur un énorme nid d’alcyons ; ils sont forcés de hisser leur navire sur des arbres pour passer a travers une foret, atteignent une ile habitée par des pirates a tete de bouf. Ils visitent encore une nouvelle ile, celle de la Tromperie. Enfin, nos navigateurs arrivent au ” bout du monde “.
Ce monde aux antipodes, c’est la fameuse Terre des Méropes : d’apres Théopompe, il n’y aurait, en dehors des iles, qu’un seul continent. Les modeles de représentation du monde n’étaient pas tres bien définis. Pour Ptolémée, l’oikoumene (la terre habitée) est une ” suite continue de masses continentales enfermant les bassins océaniques “[20].
Par ailleurs, les romanciers pouvaient créer un anti-monde en face de ce monde clos, de meme que les astronomes avaient imaginé une anti-Terre.
Soulignons que, pour Lucien, une autre source naturelle existe : l’idée de l’Atlantide, le fameux continent mythique de Platon, qui est présenté comme un anti-monde, ” au-dela des colonnes d’Hercule “, limites entre le monde connu et inconnu.
Le voyage permet donc a Lucien comme Ulysse, ” en disant l’autre, en le visitant, de s’interroger, de s’affirmer, de douter, tout en demeurant, jusque dans la comparaison, maitre du jeu “.[21] Car a aucun moment, ne l’oublions pas, l’équipage ne se sent inférieur, il reste toujours le modele auquel les barbares doivent se comparer. C’est pourquoi, son récit est parsemé d’expressions de type ” comme nous le voyons chez nous. “, en référence toujours aux Grecs, l’Exemple pour le monde entier. Et Lucien ne manque pas, aussi bien sur l’axe horizontal que vertical, quand il approche des zones de confins, vers les limites de l’oikoumene, ” de décrire des peuples étranges, sages admirables ou sauvages redoutables, situés sur la frontiere entre l’humain et le non-humain, puis, au-dela encore, des etres étranges, voire franchement monstrueux “[22], (comme les Bucéphales.).
Le voyageur est parti pour repousser les limites du monde connu ; et l’expérience de l’extreme et des limites du monde n’est possible que si elle est multiple : le gigantisme des etres et des choses dans les iles de l’Océan, s’accompagne de découvertes de richesses incroyables et d’etres étranges. Il veut faire l’expérience des limites du possible, en étant acteur et témoin, au présent du récit de ses aventures. La frontiere est dans le meme mouvement d’ouverture et de fermeture (alternance de la mer, espace ouvert, et des iles, espace fermé), espace d’entre-deux, ou le voyageur-traducteur peut ouvrer, pour le meilleur ou pour le pire.
Les limites du monde parcouru par Lucien s’éprouvent donc dans l’horizontalité et dans la ” planitude ” de la mer, puis dans l’ascension vers la lune et dans la descente dans la baleine et dans le monde de l’au-dela. C’est en affrontant les plus grands dangers qu’il se rend compte de la valeur de la vie. Il expérimente ainsi l’ordre cosmique lui-meme car il voyage sur mer, dans les iles, dans une baleine, vole dans les airs, et au-dela du temps et de l’espace, dans l’imaginaire de l’ile des Songes et des Bienheureux. Le spectacle du monde suscite en lui un étonnement extreme toujours a partir de la norme de l’humanité, la société grecque. L’ordre y est clair, alors qu’au fond du monde, aux confins, les monstres et les iliens représentent le désordre cosmique, ou le monstrueux est traversé par le trop grand. Les iles sont dans le récit du voyage de Lucien, peuplées de créatures étranges, d’hommes et de femmes, que certaines mours différencient de la société grecque de référence. Le récit agence l’étrangeté de ces ” Autres “, non seulement du point de vue physique, comme nous l’avons vu, mais aussi du point de vue des mours et des coutumes.
” L’Autre est donc, celui qui nous complete, et que nous complétons, par nos différents memes “.[23]
Ainsi, le voyage de Lucien a l’image de celui d’Ulysse, est ” l’exposition de la perception qu’il a de l’Autre, révélatrice de l’image de la société et de l’individu qu’il a comme référence au fond de lui. “[24]
CONCLUSION
Entré dans le voyage en quete de connaissance, Lucien finit son périple, instruit du savoir du monde, riche : il a atteint les limites de l’Océan, objectif annoncé des le début de son ouvre. Le voyage forme l’unité du récit, apporte l’expérience et fait découvrir une nouvelle zone jusqu’aux limites du monde. Les épreuves, catastrophes et fréquentation de sociétés humaines différentes, peuvent etre lues comme une longue initiation a la vie sociale, et a la formation de Soi au contact de l’Autre. Arpenter le monde, en faire l’expérience profonde, prendre la mesure de la terre, la mer, le ciel, les Enfers.., c’est en meme temps prendre la mesure de soi, en allant au bout de ses propres limites et possibilités. La nécessité d’apprendre le monde passe par la nécessaire séparation d’avec soi, pour aller au plus loin de ses capacités. Apprendre, c’est se séparer pour se retrouver Autre et le Meme. S’aliéner pour se transformer en devenant Soi. Le voyage est cette translation de soi a soi, processus de passage de l’idée en Soi a l’idée pour Soi. ” Pour se réaliser, le ” Moi ” doit sortir de lui-meme et s’attacher a l’action, a la relation aux autres, pour mieux revenir a lui-meme ensuite, enrichi de cette relation “.[25]
Le theme du voyage sous toutes ses formes n’a cessé d’inspirer Lucien. Tel Hermes, dieu du mouvement et du passage, Lucien dans son Histoire véritable s’est déplacé horizontalement sur l’Océan tout entier, d’iles en iles, dans l’espace et le temps, puis verticalement, sur la Lune, dans une baleine et dans l’au-dela. De ce fait, son voyage lui a permis de former son Moi au contact de l’Autre ; le voyage est donc devenu le miroir de l’Autre et de Soi.
Avec l’Histoire véritable, qui commence précisément la ou s’arretent d’ordinaire les récits d’exploration (au-dela des colonnes d’Hercule), Lucien entraine le lecteur, cet Autre qui le ” hante “, dans les étoiles, les profondeurs de l’Océan et dans un ” Au-dela ” représenté par les Iles des Bienheureux ou le pays des Damnés, autant de géographies imaginaires !
Profondément moderne, Lucien est l’inventeur du roman grec autobiographique : il se révele dans toute son ouvre comme un écrivain d’une grande originalité, en quete d’identité grecque, lui le barbare syrien.
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Notes
[1] Se reporter a la bibliographie en fin d’article pour avoir les références précises de chaque livre ou article cité.
Baslez M.F., 1984, p.23.
[2] 1980, p.225.
[3] Hérodote, Histoires, II, 35.
[4] Hartog F., 1980, p.227.
[5] Hartog, 1980, p.237.
[6] Hérodote, VIII, 98.
[7] Pensées, VI, 44.
[8] Nous renvoyons a l’analyse de R. Bozzetto in ” Jalons pour une histoire de la Science-Fiction. Lucien de Samosate, ce n’est pas (encore) de la fiction a visée spéculative. L’Histoire véritable ou l’imaginaire ludique et gratuit d’avant la fiction spéculative. ” Premiere version du texte : Change, ns40, mars 1981, p. 55-67 (numéro spécial ” Science-Fiction et histoires “).
[9] ” Ce que je remarquai d’étrange et de bizarre va faire maintenant l’objet de mon exposé. ” Histoire véritable, I, 22, épisode de la description des mours des habitants de la lune.
[10] Traduction de Pierre Grimal, 1958, Romans grecs et latins, coll. La Pléiade, Gallimard, Paris.
[11] Cf. I-6, 7, 10, 28, 29, 30, 31, 40, 41 et II-4, 5, 17, 20, 29, 31, 32, 34, 37, 41, 43, 45, 46, 47.
[12] Said S., in Baslez M.F., 1993, p.270.
[13] Thomas J., 1987, p. 141.
[14] Billault A., 1994, p.149.
[15] Fusillo M., 1988, p. 121.
[16] Georgiadou A., 1997, p. 207.
[17] Fusillo M., 1988, p. 122.
[18] Billault A., 1994, p.150.
[19] 1958.
[20] La géographie des Grecs, PUF, 1976.
[21] Hartog F., 1996, p.13
[22] Hartog F., 1996, p.15
[23] Thomas J., 1989, p. 252.
[24] Carmignani P., 2000, p.38.
[25] Thomas J., 1989, p. 251.