Efstratia Oktapoda
Université de Paris IV-Sorbonne, France
efstratia.oktapoda@paris-sorbonne.fr
Les Balkans en flammes : cinéma, culture et médias
Théo Angélopoulos, Emir Kusturica, Ademir Kenović
Burning Balkans: cinema, culture and media.
Théo Angélopoulos, Emir Kusturica, Ademir Kenović
Abstract: The article aims to the study of the themes and aesthetics common to the contemporary cinemas of the Balkan countries. The themes and motives of the films made by producers coming from this bloody earth reveal the image of the Balkans, its history and its memory. War cinema or war of the cinema, such could be the subtitle of the cinema within the Balkans in the years 1990 and 2000 and during the first XXI century. The study will be fulfilled starting from the major pictures of the Balkan cinema, crossing a triad of the most appreciated producers of the international film industry: Théo Angélopoulos (Greece), Emir Kusturica (Serbia) and Ademir Kenovic (Bosnia).
Keywords: Balkans; War; Cinema, Théo Angélopoulos; Emir Kusturica; Ademir Kenović.
« L’homme ne vit plus à l’époque des mythes – pas plus dans les Balkans que dans le reste de l’Europe –, mais l’époque de médiatisation et de culture de masse en revitalise certains que l’on croyait totalement périmés : mythe de la continuité historique chez les Grecs ; mythe des grands hommes ; mythe du Kosovo et de sa célèbre bataille », écrit l’éditorial de la revue parisienne Au Sud de l’Est (no 3/2007). Inlassablement, des intellectuels grecs, serbes, albanais mènent, hors des sentiers battus, des entreprises de « désillusionnement », écrit le dramaturge Dimitri Dimitriadis[1].
Les Balkans[2], nom d’origine turque balkan qui signifie ‘chaîne de montagnes boisée’, s’identifient à l’Europe du Sud et du Sud-Est, nom plus neutre, ou encore à l’Orient de l’Europe, « en fonction de l’angle sous lequel on les observe et du point de vue que l’on adopte. On a répété à maintes reprises que, considérée du centre de notre continent, cette “zone de turbulence” […] commence probablement déjà près de Munich ou des vieilles murailles de Vienne […]. Les habitants de ces deux villes déplacent cette frontière incertaine vers Ljubljana et Zagreb (l’écrivain croate Miroslav Krleza a fixé ironiquement son point initial dans le prestigieux hôtel ‘Esplanade’ au centre de cette ville), alors que les Slovènes ou les Croates la repoussent eux aussi bien plus à l’Est, vers Belgrade ou Sarajevo, non sans quelque arrière-pensée. Du côté oriental de la péninsule, d’aucuns, plus avisés, répliquent non sans quelque amertume que c’est dans les Balkans que l’Europe elle-même a pris sa naissance », écrit Predrag Matvejevitch[3].
Au carrefour entre Orient et Occident, zone de carrefour elle-même, les Balkans ont souvent été disputés à cause de ses frontières incertaines. Ensanglantés dans le second XXe siècle, qui se voulait pourtant moderniste, ils ont été éprouvés dans les années 90 et jusqu’à la première décennie du XXIe siècle, par des massacres et des exodes dus pour ma simple raison de sa diversité ethnique. La guerre a ravagé des pays entiers des pourtours des Balkans, disputant ses frontières, dessinant d’autres, et désignant de nouveaux pays.
Dans leur définition communément admise, les Balkans englobent, tels qu’ils sont définis actuellement, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie (sans la Slavonie et le nord du pays), la Grèce, la Macédoine, le Monténégro, le littoral de la Roumanie (Dobroudja), la Serbie (sans la Voïvodine qui est au nord du Danube), la Slovénie (sans la région du nord de la Kupa) et la partie européenne de la Turquie (Thrace).
J’inclus pour ce qui me concerne la Roumanie, indiscutablement, non pas par les attaches personnelles que j’ai pour son peuple, mais parce qu’historiquement, le tiers sud de la Roumanie (Valachie) est considéré comme faisant partie de l’aire des Balkans. Il se peut que géographiquement la Roumanie ne se trouve pas dans les Balkans, puisqu’elle se situe au nord du Danube, toutefois, elle en fait partie historiquement et culturellement, parce qu’elle elle fut longtemps envahie par les Turcs et l’Empire ottoman, au même titre que la Grèce, laissant au pays une influence, mieux, une tradition balkanique.
Le terme ‘Balkans’ fait avant tout référence à une aire culturelle, c’est-à-dire un ensemble composé de groupes et de langues différents, mais qui partagent toutefois des traits culturels communs, héritage d’un passé commun. L’historien Papacosteas a établi six couches du ‘millefeuille historique balkanique’ qui peuvent expliquer ce qui fait aujourd’hui de cette région, une aire culturelle à part entière, et qui, selon ses termes, définissent l’‘Homo balcanicus’[4].
Les différents états n’ont pas fini de se disputer au sein et en dehors de leur communauté, revendiquant la culture, l’histoire et la langue l’un de l’autre, mettant toujours et encore en danger les limites et les frontières héritées depuis l’Antiquité.
Ainsi la Macédoine[5], ou nouvelle République de Macédoine, connue plutôt sous l’appellation de ARYM (ancienne République yougoslave de Macédoine) ou FYROM en anglais (Former Yugoslav Republic of Macedonia), l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine, devient État indépendant depuis 1991 s’appropriant délibérément d’un nom qui appartient depuis l’Antiquité à la Grèce[6]. Ayant comme langues officielles le macédonien et l’albanais et comme capitale Skopje, et adoptant, face au lion bulgare et à l’aigle albanais, comme drapeau brièvement en 1992 un drapeau portant l’étoile de Vergina, symbole associé à Alexandre le Grand, usurpant ouvertement une histoire qui vient du fin fond de l’Antiquité qui ne leur apparient certes pas, les minorités ethniques des Balkans, dans un esprit guerrier, perpétuent la haine et la guerre qui n’amène à nulle part. Pour comble, la Nouvelle Macédoine a aussi voulu appeler l’aéroport de Skopje avec le nom d’ ‘Alexandre le Grand’, alors que la Macédoine (Makédonia) était toujours grecque, associée aux exploits d’Alexandre le Grand et de son père Philippe et que tout le monde sait désormais ce que les spécialistes de linguistique, d’ethnologie, d’histoire expliquaient depuis longtemps : la Makédonia (Macédoine) antique était, fondamentalement, une terre grecque, peuplée d’individus parlant un certain grec et vivant depuis les périodes très anciennes en contact avec les centres de civilisations de la Grèce du sud, même si d’autres influences et des conditions particulières y protégeaient des formes de vie que le reste de la Grèce abandonnait progressivement[7].
De la Nouvelle Macédoine à Kosovo (Kosova ou Kosovë en albanais, Косово и Метохија ou Kosovo i Metohija en serbe), la distance n’est peut-être pas longue, mais les frontières sont si fragiles et la haine persiste encore. Kosovo qui faisait traditionnellement partie de la Serbie au sein de l’ex-Yougoslavie, et qui a été proclamé en cette même année (2008) en République de l’Europe du Sud, reste encore aujourd’hui un territoire à majorité albanaise.
Des Institutions et des Centres de Recherches du CNRS, incluent, dans leur politique éditoriale, et selon l’axe privilégié tel ou tel pays balkanique, en ajoutant parfois arbitrairement des pays comme la Chypre qui n’en fait pas partie géographiquement, et excluant d’autres comme la Croatie car majoritairement musulmane. Mais disons-le clairement, toutes ces Institutions et Associations portent leurs enquêtes sur les Balkans sous un angle politique ou historico-politique.
Qu’en est-il des lettres et des arts, et surtout des médias, du cinéma et de la culture, véhiculaire de l’imagerie et de l’idéologie des tous ces différents états, que j’appellerai désormais états-membres des Balkans ?[8]
Voici un sujet de réflexion que je propose sur les thématiques et les esthétiques communes aux cinémas contemporains des pays balkaniques. Les thèmes et motifs des films faits par les cinéastes originaires de cette terre ensanglantée révèlera l’image des Balkans, son histoire et sa mémoire. Cinéma et guerre ou cinéma en guerre, tel pourrait être d’ailleurs le sous titre du cinéma dans les Balkans des années 1990 et 2000 et dans le premier XXIe siècle. L’étude sera faite à partir des films majeurs du cinéma balkanique, à travers une triade de cinéastes les plus prisés du cinéma international : Théo Angélopoulos (Grèce), Emir Kusturica (Serbie) et Ademir Kenović (Bosnie)[9].
Théo Angelopoulos : Le Regard d’Ulysse. Un regard sur les Balkans, l’idéologie totalitaire et les communautés ethniques
Figure de proue du cinéma grec, Théo Angelopoulos (1935-)[10] s’est imposé incontestablement au cours des années 70 à la critique internationale par la modernité de son écriture cinématographique. Avec lui, « le cinéma politique revêt une indéniable beauté plastique et insère un discours polémique dans des structures esthétiques qui confèrent au contenu thématique de l’œuvre les liens noués entre l’Histoire, l’idéologie et le pouvoir »[11]. Poète de l’Histoire, plasticien du cinéma, ses films illustrent l’histoire de la Grèce et la Grèce dans l’histoire. Faisant du cinéma réaliste, la caméra d’Angelopoulos se fixe au côté du pouvoir, puis elle passe aux côtés du peuple et des classes opprimées, le combat des partisans et des révolutionnaires.
Si Théo Angelopoulos unit dans son œuvre l’Histoire et la fiction, le réel et l’imaginaire, il accorde une importance différente à l’un ou l’autre de ces registres dans chacun de ses films. Affirmant une prise de position explicitement politique, la trilogie de la remise en question du pouvoir totalitaire en Grèce – Jours de 36 (Imeres tou 36) (1972)[12], Le Voyage des comédiens (O Thiassos) (1975)[13], Les Chasseurs (I Kynighi) (1977) – soumettait l’imaginaire du récit à l’évocation précise de l’histoire grecque contemporaine, dominée par des périodes de dictature. Au contraire, depuis le retour de la démocratie et la prise du pouvoir par le parti socialiste à Athènes, dans un triptyque centré sur une critique indirecte de la société grecque actuelle et une thématique de la recherche du père, la fiction prend nettement le pas sur les références historiques. Mais si Voyage à Cythère (Taxidi sta Kithira) (1984)[14] et L’Apiculteur (O Melissokomos) (1986) nous faisaient éprouver, en filigrane des images, un climat de désenchantement, Paysage dans le brouillard (Topio stun omichli) (1988)[15] – troisième volet de ce triptyque – nous suggère un message d’espérance enraciné dans l’univers de l’enfance[16].
Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 1995, Le Regard d’Ulysse (To Vlemma tou Odyssea) « prend pour champ d’investigation la réalité historique et humaine des frontières et l’intolérance des communautés ethniques »[17].
Acteur et metteur en scène à la fois, A, le héros du Regard d’Ulysse, entame le voyage qui le mènera de Florina, en Grèce, à Sarajevo, à travers l’Albanie, la Bulgarie, la Roumanie, la Serbie et la Bosnie. Il refait le voyage des frères Maniakis qui, à l’aube du XXe siècle avaient parcouru les Balkans tentant de retrouver le fil qui liait de façon indissoluble tous les peuples de l’Empire ottoman, avant et après la Première Guerre mondiale.
À l’instar du périple d’Ulysse, A dont le nom se réduit à l’initiale de l’alphabet, part en quête de ses origines et du cinéma muet des frères Maniakis. Pas de voix dans le film, si ce n’est que des voix off superposées par le défilement des images alternées par des sons des haut-parleurs et des lamentations funèbres. Voici une langue universelle enfin, la langue des images, le moyen idéal d’après Angelopoulos pour atteindre l’humanité contre la folie des peuples, et au gré de l’avancée des armées qui ont débaptisé Koritsa et Philippoupolis pour en faire Korçë ou Plovdiv. « Les fileuses des [films] des frères Maniakis n’étaient plus ni grecques ni bulgares, mais tout au plus originaires des Balkans »[18].
Mais si la voix disparaît dans les films d’Angelopoulos, où le silence devient reine dans l’échange des mots, la musique y joue en revanche un rôle primordial. Au passage de la frontière albanaise, retentit la mélodie que l’on connaît déjà depuis le Voyage à Cythère, composée par Eleni Karaïndrou, qui marquera aussi Le Regard d’Ulysse. Le film apparaît ainsi comme « une variation musicale sur le thème de l’exil, variation qui prend l’ampleur d’une ‘fugue’ »[19].
Il n’a pas fallu attendre très longtemps pour que les images, comme la géographie, servent d’abord à faire la guerre ! Lorsque, à la fin du Regard d’Ulysse, on entend à nouveau s’élever côte à côte le chant des pleureuses musulmanes et orthodoxes, c’est que Sarajevo, plongée dans le brouillard, échappe, pour un temps, au regard des snippers ! La sortie hors du visible est le seul moyen d’échapper à la mort.[20]
Devant les images des personnages pétrifiés ou la mise en marche des Albanais, véritable procession, arrêtés initialement de l’autre côté de la frontière, révèle le monde absurde dans lequel nous vivons et nous assistons tels des spectateurs lointains sans parole, effacés devant l’absurde et l’indicible. Écouter, c’est peut-être la seule chose qui reste devant le flux des images transmis par les postes de télévision du monde entier, « comme ceux de l’hôtel de Belgrade où sont réunis les correspondants de guerre »[21].
Histoire et idéologie dialoguent inlassablement dans l’œuvre de Théo Angelopoulos. « L’Histoire dicte au cinéaste ses deux grands thèmes : le temps, la / les mémoire(s). Le temps est le corps et le lieu de l’Histoire ; la Mémoire est la forme humaine du temps »[22]. Au moyen d’incessants flash-back au passé et à l’Histoire, le film finit par s’engloutir enfin dans l’Histoire.
Comme dans le Voyage à Cythère, dans Le Regard d’Ulysse, imaginaire et réel s’unissent inlassablement. A s’endort pour se réveiller dans un autre temps. « À l’époque où Plovdiv se nommait encore Philippoupolis et où l’on pouvait gagner la mer Egée par le fleuve Evros. À l’époque où Constantsa, vivaient encore, côte à côte, des familles grecques arméniennes et juives »[23].
Dans sa filmographie suivante, L’Éternité et un jour (Mia Eoniotita ke mia mera) (1998) nous retrouvons la mise en scène de la mémoire sous le signe du souvenir et de l’imaginaire. Le cinéaste met en scène les dernières heures – une journée, une nuit – d’un écrivain malade qui doit se rendre à l’hôpital pour se faire soigner. Au travers de la transposition de l’enfant albanais, le film dénonce implicitement la barbarie du monde actuel qui condamne l’enfance à l’exil ou à l’esclavage. L’enfant parvient à trouver une place sur un bateau qui l’amènera loin de Salonique. Au cours de la nuit, il vient dire ‘adieu’ au vieil homme. À la frontière de la mort, celui-ci a besoin d’une présence amicale auprès de lui : « Reste avec moi. Tu as deux heures avant le départ du bateau. Moi je n’ai que cette nuit… reste avec moi ».
Deux heures ! le temps juste du bonheur. Le temps pour retrouver
[…] le cycle d’eau, de la mer Noire au Danube, de la Drina à l’eau qu’on transporte, en bidons, à Sarajevo, tandis que la pluie s’infiltre, goutte à goutte, dans les caves. Retrouver le fleuve d’Héraclite où toujours on se baigne dans la même eau, bien que, jamais, on ne sa baigne dans la même eau. Répétition de l’identique qui inscrit les frénésies humaines dans le cercle infini du même[24].
Telle est la morale d’Angelopoulos. Telle pourrait être la philosophie de la vie. Le brouillard d’Homère enveloppe Ulysse qui, de retour à Ithaque pousse haut le cri de l’exilé, ultime geste d’humanité.
Emir Kusturica : Underground. La symbolique de la guerre de la Yougoslavie, une polémique virulente
Cinéaste serbe de Bosnie, lauréat de deux Palmes d’Or au festival de Cannes, Emir Kusturica est né en 1954 à Sarajevo, capitale de l’actuelle Bosnie-Herzégovine. Bien que bosniaque musulmane, sa famille a cependant des origines slaves orthodoxes. Son père Murat, comme des millions d’autres yougoslaves, avait renoncé à sa foi pour devenir communiste. Emir, fils unique, dénonça à son tour le communisme pour devenir cinéaste.
Entré à l’Académie du cinéma de Prague, la FAMU, Kusturica est un brillant élève et réalise deux courts-métrages. Ses professeurs voient en lui un talent très prometteur, et plus tard, dans ses interviews, il rendra hommage de nombreuses fois à son professeur de mise en scène : le tchèque Otakar Vavra. Pendant ses années praguoises, Emir Kusturica va absorber tous les grands classiques du cinéma, qu’ils soient russes, tchèques, français, italiens, ou américains. Ces films marqueront profondément son style tout au long de sa carrière. En 1978, son court-métrage de fin d’études Guernica obtient le Premier Prix du cinéma étudiant du Festival international du film de Karlovy Vary. Il rentre à Sarajevo où obtient un contrat à la télévision. Avec Café Titanic, tiré d’une nouvelle du prix Nobel de littérature yougoslave Ivo Andric, Kustirica remporte le premier prix du Festival de la télévision yougoslave.
Après son premier long métrage Te souviens-tu de Dolly Bell, Emir Kusturica travaille sur son second film Papa est en voyage d’affaires, dans l’optique de réaliser une trilogie sur sa ville natale. Le troisième volet ne verra pas le jour, mais ce deuxième film, qui témoigne de la douleur des familles séparées par l’arbitrage politique du régime de Tito, remporte à la surprise générale la Palme d’Or au Festival de Cannes 1985.
Son succès est fulgurent. La Palme d’Or lui ouvre toutes les portes, et notamment celles des producteurs internationaux. La Columbia lui propose un contrat mirobolant. Il réalise Le Temps des Gitans qui obtient à Cannes le prix de la mise en scène en 1989. Il enseigne à Columbia University, jusqu’au jour où un des élèves, David Atkins, lui propose un scénario qui deviendra Arizona Dream, un film sur le rêve américain. La conception douloureuse du film fut rendue encore plus difficile par le début du conflit en Yougoslavie, auquel il assiste impuissant à des milliers de kilomètres de distance. Le tournage est arrêté à de nombreuses reprises pour laisser Kusturica faire des allers et retours et aider ses parents qui essuient des exactions des forces bosniaques. Après le pillage de la maison familiale (et le vol de ses premiers trophées), il fait déménager ses parents au Monténégro. Le film Arizona Dream obtient l’Ours d’Argent au Festival de Berlin en 1993.
Emir Kusturica décide de revenir une nouvelle fois sur la guerre et l’aborde au travers d’une histoire dont il avait connaissance depuis longtemps : une transposition de Roméo et Juliette dans les Balkans. Ce film donnera La vie est un miracle (2004) dans lequel le conflit bosno-serbe est montré depuis le point de vue d’un Serbe de Bosnie, chassé de ses terres par les bosniaques. Son film Chat noir, chat blanc, apparemment apolitique, a été tourné sur les rives du Danube quelques mois avant qu’elles ne soient pilonnées par l’OTAN en 1999. Cinéaste engagé, il participe en 2008 à une manifestation serbe contre l’indépendance du Kosovo au cours de laquelle plusieurs personnalités affirment que la Serbie n’acceptera jamais l’indépendance du Kosovo[25].
Underground (1995)[26], transporte le public en 1941 à Belgrade. C’est l’histoire de l’opportuniste Marko qui sans aucune scrupule, sait tirer parti de la guerre et s’enrichit grâce à un groupe de réfugiés cachés dans une cave à qui il fait fabriquer des armes. La paix revenue, il fait croire à ses protégés que le pays est toujours sous la botte nazie en perpétue cette mystification pendant encore quinze ans.
Comme les films d’Angelopoulos, Underground de Kusturica est un véritable mélange de fiction, d’histoire et du fait divers où le réel a sa plus grande part. Kusturica vise l’absurde de la guerre et les atrocités que celui-ci génère. Plus que suggestive, la symbolique du film est hallucinante. Le bombardement du zoo de Belgrade évoque dans le film la libération des instincts sauvages lors de la guerre donnant le ton au récit et instaurant la loi du plus fort. Ordinairement, le singe représente la bêtise, la stupidité. Or, dans le film de Kusturica, celui-ci permet la libération de la cave. Il apparaît de plus comme le plus ‘humain’ de tous les personnages.
La symbolique de la cave où les réfugiés se transforment en prisonniers, n’est autre choque qu’une allégorie de la caverne de Platon. Les gens enfermés voient une vision déformée de la réalité, vision orchestrée par Marko, mais aussi par le communisme de Tito. Dans le film, les personnages de la fin deviennent la voix du narrateur qui à la personne de Blacky dit : « je peux pardonner mais oublier je ne peux pas ».
L’île qui se détache finalement, de la forme de la Yougoslavie, représente le déchirement du pays et son éloignement peut-être du reste de l’Europe. L’île représente pour Kusturica la réalité traumatisante et le moyen de s’y échapper en se détachant et trouvant désormais refuge dans le monde imaginaire du cinéma.
Underground a donné lieu en France à une virulente polémique, Kusturica se voyant taxé de scénariste fasciste et propagandiste appuyant le régime de Slobodan Milošević. Le débat a donné lieu à des échanges particulièrement virulents entre Kusturica et Alain Finkielkraut, l’instigateur de la polémique dans Le Monde du 2 juin 1995 avec un article intitulé « L’imposture Kusturica ». Kusturica lui-même répondra dans le même journal, le 26 octobre 1995, avec un article intitulé « Mon imposture », accusant Alain Finkielkraut de n’avoir pas vu son film[27].
Certes, par son film Kusturica voulait impressionner l’Europe occidentale avec des imageries et des territoires, voire une esthétique hors du commun. Pari réussi. Toutes les tribunes parlent de lui : cinéaste de la bizarrerie et de la provocation et d’une esthétique hors catégorie. Dans une interview avec H.G. Pflaum, Kusturica lui-même déclare à propos de sa vision peu orthodoxe des choses, et en tout état de cause de sa vision peu hollywoodienne :
I am a Slav – in my contradictions, in my closeness to a black-and-white world view, in my affinity to the comical and in my humour, and in the quick change of moods – as well as in my understanding of history. I was born at this extremely painful border between the East and the West, and I bear the mark of my parents’ heartbeat. At school the influence of Russian writers was added to all this, Chekhov and Gogol in the first place, and then came the cinema of the West[28].
Génie surréaliste du cinéma contemporain dans les Balkans, Kusturica admet qu’il a intentionnellement représenté Croates et Slovènes dans un climat défavorable, parce que : « I was against the selective humanisme. I cannot stand the ethnic cleansing [carried out] by the bosnian Serbs, but neither can I stand the ethnic cleansing [carried out] by the Croats »[29].
Et le message dans tout cela ? Il faut dire : dans le conflit yougoslave Underground essaie de montrer qu’il faut chercher les racines de la guerre dans le nihilisme moral qui a prévalu le communisme. Le film met en question le peuple yougoslave qui, pendant les cinquante dernières années a été tenu enfermé dans le cellier du communisme. La démagogie hypocrite du système communiste ressort dans le présent. Underground se veut alors un film sur la manipulation qu’un ou deux hommes, comme Tito, peuvent tenir sur les autres par leur pouvoir.
Ademir Kenović : Le Cercle parfait. Le cinéma de la résistance
Ademir Kenović, professeur à l’école de cinéma de Sarajevo, et chef de file des jeunes réalisateurs bosniaques, est le réalisateur du Cercle parfait (1997), film de fiction dont le tournage a duré plus de quatre ans.
Né en 1950 à Sarajevo, Kenović entre en 1969 à l’Université de Sarajevo, avant de faire un séjour aux États-Unis où il étudie la littérature anglaise et la mise en scène à l’université de Denison (Ohio). De retour dans la capitale bosniaque en 1974, il présente une thèse sur ‘Shakespeare and Film’. En 1976, il réalise pour la télévision plusieurs fictions. Un Supplément d’âme (1986), son premier long métrage, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 1991, raconte l’histoire d’un adolescent dans un village de Bosnie après la Deuxième Guerre mondiale.
Devenu professeur à l’Académie de cinéma et de théâtre de Sarajevo, Kenović réalise Kuduz qui décroche trois Félix à Berlin en 1990. Il fut l’un des instigateurs de SAGA (Sarajevo Group of Authors) qui, durant le siège de Sarajevo, s’est transformé en forum d’idées pour les artistes et intellectuels restés dans la ville assiégée. SAGA a fourni aux télévisions du monde entier des images sur les conditions de vie durant la guerre. Ne cessant jamais de tourner, Kenović réalise un film collectif sur la guerre, MGN/Sarajevo.
Grâce au producteur français, Sylvain Bursztejn, le réalisateur parvient à monter Le Cercle parfait [30], écrit durant la guerre avec son ami et poète, Abdulah Sidran[31]. Chronique de la vie quotidienne de deux jeunes orphelins dans la ville bombardée, mêlant décors réalistes et visions surréalistes, fut l’une des révélations du festival de Cannes en 1997[32].
À la croisée du politique et du cinéma, Le Cercle parfait est un film qui raconte le siège de Sarajevo. Durant la guerre de Bosnie, après l’assassinat de leurs parents par des soldats serbes, deux jeunes garçons de sept et neuf ans, Adis et Kerim, s’enfuient de leur village vers Sarajevo. Comme la plupart des habitants, Gospoda, la femme d’Hamza, un poète alcoolique, veut quitter la ville au plus vite avec sa fille Miranda. Au cours d’un approvisionnement en eau potable, la chute d’un obus manque de tuer Miranda. La décision est aussitôt prise d’évacuer les deux femmes hors de la ville. Après leur départ, Hamza découvre la présence d’Adis et de Kerim, réfugies chez lui. Dès le lendemain, ils partent ensemble à la recherche de la tante Aïcha, dernière parente des enfants encore en vie. En revenant de chez elle où un voisin leur a appris qu’elle avait été hospitalisée, Kerim sauve un chien blessé par un « sniper ». Le soir, Hamza a une hallucination : il « voit et entend» sa fille comme il entendra ensuite sa femme lui parler. Le jour suivant, à l’hôpital, un médecin leur apprend qu’Aïcha est réfugiée en Allemagne. Contraints de rester, les enfants organisent une partie de pêche avec Hamza qui manque de se terminer en drame. La tension devient intolérable à Sarajevo. On s’écharpe pour un peu de bois ou un pigeon volé. Un homme désespéré se suicide. Hamza, lui, se voit régulièrement pendu. Une ultime apparition de sa femme après un bombardement lui conseille de sauver les enfants en les emmenant hors de la ville. Aidé de son ami serbe, Marko, Hamza organise la fuite des deux garçons vers l’Allemagne. Après des adieux difficiles, la traversée du no man’s land qui sépare la partie occupée de Hrasnica est un échec dramatique : Adis, Marko et le chien qui les avait suivis sont abattus. La mort dans l’âme, Kerim, accompagné d’Hamza, enterre son frère[33].
Conte de folie, le film est un film politique mais point partisan ; il s’attelle à montrer la vie quotidienne d’une communauté d’hommes, violentée par la guerre. C’est de l’intérieur, du côté des victimes innocentes que Kenović propose de voir la guerre. Son idée : « Écrire le feu depuis le milieu du feu, en évitant les clichés ». Et, il n’existe que deux alternatives face à la violence aveugle (que l’on doit ici prendre au pied de la lettre à cause des snipers) : le suicide ou le refuge dans l’imaginaire. Le poète Hamza rassure un moment les enfants en leur disant : « Un rêve ne doit pas te faire peur. Il ne peut être pire que la réalité ».
Hamza le nihiliste retrouve peu à peu des raisons de vivre, en aidant ces deux gamins séparés à jamais de leurs parents. L’espoir de vie qui va les faire courir à travers une ville piégée sera jalonné de lyrisme et d’humour, à chaque fois sanctionné par un rappel à l’ordre, c’est-à-dire au désordre de la guerre.
Le film s’appuie sur un sentiment d’angoisse permanent vécu par les habitants de Sarajevo. Sentiment d’insécurité qui connut son point culminant lors de l’explosion d’un obus en plein marché qui fit 66 morts le 05/02/94. La menace qui pèse sur la ville comme une chape de plomb est régulièrement signalée par des sirènes, des maisons incendiées et des explosions d’obus. La fuite rendue quasi impossible par le verrouillage total de la ville conduit bien souvent à la folie. Les forces des Nations Unies et de l’OTAN, garantes de la protection civile, ne font qu’une brève apparition dans le paysage sarajevien. On en parle, on ne les voit quasiment pas. Rendues presque invisibles, elles n’existent pas à l’écran, manière subtile de dire leur inefficacité. Tout au long de son film, Kenović semble se demander insidieusement ce que signifie l’expression « organisation internationale » dans un tel chaos ? Sur les décombres encore fumantes de la ville, Kenović transforme le présent récent en passé. Cette manière d’exorciser une douleur encore profonde en la revivant est marquée par une couleur historique et psychologique qui dépose son empreinte d’authenticité. Plus qu’un document de guerre, Le Cercle parfait est d’abord l’exploration de l’âme humaine. « Je n’ai jamais dit que je ferais un film sur la guerre même si elle est présente. Ce n’était pas une guerre civile mais une guerre contre les civils qui étaient tués par des assassins. J’ai donc raconté une histoire sur des hommes qui dans des conditions anormales, tentent de mener une vie aussi normale que possible »[34].
La terre des Balkans : rêve ou illusion ?
Dans la représentation culturelle des Balkans sans cesse en mutation, le film a un rôle important à jouer, controverse et invariable. À côté du discours narratif, les représentations visuelles et cinématographiques mettent en lumière la guerre, la violence et tous ses dérivés comme une réponse à la crise dans les Balkans. Dans la vie comme le cinéma, la guerre est un topos, un topos horrible et cauchemardesque.
Les films sur les Balkans ont un impact important sur la perception de l’histoire. Ils complètent l’histoire (Emir Kusturica), portent des témoignages (Ademir Kenović) ou reconstruisent l’histoire et l’identité des Balkans (Théo Angelopoulos). Par superposition d’histoires différentes, les cinéastes balkaniques font des Balkans et de son Histoire une entité dynamique dans le consensus européen post-moderne.
L’image filmique de la déconstruction du mur de Berlin, devient synonyme avec la nouvelle zone de l’Europe de l’Est, utilisée dans des différents films et documentaires. Toutefois, ce n’a pas été la démolition du mur de Berlin qui a prévalu, mais la crise dans les Balkans qui devint sujet d’intérêt pour les cinéastes Balkans et européens. À côté d’une trame-action véritablement ‘balkanique’, les œuvres et les films sur les Balkans montrent que les troubles de la région sont dus aux stéréotypes traditionnels. Toutefois, en évitant de prendre position dans le processus eurocentrique des Balkans en tant que partie géographique de l’Europe, écrivains et cinéastes démontrent que les Balkans sont exclus de l’espace culturel européen.
Terre des conflits et de massacres, aux barrières et aux frontières sans cesse reconstituées, les Balkans ont été longtemps la terre réunissant des peuples qui ont coexisté ensemble depuis des siècles. Prenant conscience, à des moments différents de l’histoire, d’être opprimés sous la colonisation des grands Empires ottoman et austro-hongrois, alors que leur fédération au sein de la Yougoslavie ne leur satisfaisait plus, se sont révoltés pour leur indépendance, faisant pérenniser les guerres dans cette région incertaine des Balkans.
La région s’efface derrière des a priori et des égoïsmes et avec elle des cultures extraordinaires qui laissent inexorablement leur place au modernisme et au vent qui souffle de l’Europe.
Mais au lieu de voir les Balkans comme un lieu de discorde pour la pomme qui ne s’est pas jamais partagée équitablement, il faudrait ouvrir les yeux et voir en lui un fantastique creuset d’influences humaines, culturelles, linguistiques, religieuses, une véritable richesse de par la coexistence de tous ces peuples et ethnies comme on n’en trouve nulle part ailleurs.
À l’heure de la mondialisation, des seuils culturels et des rites de passages de la vieille Europe, la région multiethnique qui entend sous le nom des Balkans a encore un rôle important à jouer dans le processus européen et international.
Filmographie
Le Cercle parfait/savrseni krug (Bosnie/France, Ademir Kenović, 1997)
Le Regard d’Ulysse/To vlemma tou Odyssea (Grèce/France/Italie, Théo Angelopoulos, 1995)
Underground (France/Allemagne/Hongrie, Emir Kusturica, 1995)
Bibliographie
AMENGUAL, Barthélemy, « Théo Angelopoulos. Une poétique de l’histoire », Théo Angelopoulos, Paris-Caen, Lettres modernes Minard, coll. « Études cinématographiques », Vol. 48, 1998, p. 31-55.
CASTELLAN, Georges, Histoire des Balkans : XIVe-XXe siècle, Paris, Fayard, Paris, 1999.
ESTÈVE, Michel, « Le triple itinéraire de Paysage dans le brouillard », Théo Angelopoulos, Paris-Caen, Lettres modernes Minard, coll. « Études cinématographiques », Vol. 48, 1998, p. 177-187.
ESTÈVE, Michel, « Présentation », Théo Angelopoulos, Paris-Caen, Lettres modernes Minard, coll. « études cinématographiques », Vol. 48, 1998, p. 3-4.
FINKIELKRAUT, Alain, « L’imposture Kusturica », Le Monde, 2 Juin 1995.
HERZFELD, Michael, Anthropology through the Looking-Glass. Critical Ethnography in the Margins of Europe, New York, Cambridge University Press, 1987.
JELAVICH, Barbara, History of the Balkans, New York, Cambridge University Press, 1983.
KUSTURICA, Emir, « Mon imposture », Le Monde, 26 Octobre 1995.
LECLERCQ, Philippe, « Site Image. Le cercle parfait ». Site : http://www.lux-valence.com/image/fichefilm.php?id=53&partie=PointsDeVue
LIST, Jutarnji, traduit dans Le Courrier des Balkans, 5 novembre 2005.
Site : http://www.bibliomonde.net/auteur/predrag-matvejevitch-166.html
MATVEJEVITCH, Predrag, « Contradictions balkaniques », La Revue des Ressources.org,
Samedi 18 janvier 2003. URL : http://www.larevuedesressources.org/article_pdf.php3?id_article=119
PFLAUM, H. G., « In der Falle der Geschichte », an intreview with Emir Kusturica, in Süddeutsche Zeitung, 23 November, p. 16.
ROLLET, Sylvie, « Le Regard d’Ulysse. Le cinéma cessera-t-il d’être sourd ? », Théo Angelopoulos, Paris-Caen, Lettres modernes Minard, coll. « Études cinématographiques », Vol. 48, 1998, p. 167-175.
TODOROVA, Maria, Imagining the Balkans, New York, Oxford University Press, 1997.
WEIBEL, Ernest, Histoire et géopolitique des Balkans de 1800 à nos jours, Paris, Ellipses, 2002.
ŽIŽEK, Slavoj, The Metastases of Enjoyment, London, Verso, 1994.
Notes
[1] Cf. le Site des Éditions Non Lieu, URL : http://www.editionsnonlieu.fr/spip.php?article36
[2] La limite des Balkans au nord est fixé par les fleuves Danube-Sava-Kupa excluant de facto la Slovénie croate et la Voïvodine serbe des Balkans.
[3] Cf. Predrag Matvejevitch, « Contradictions balkaniques », La Revue des Ressources.org, samedi 18 janvier 2003. URL :http://www.larevuedesressources.org/article_pdf.php3?id_article=119
Predrag Matvejevitch est un écrivain européen, spécialiste des questions de dissidence dans les cultures et littératures d’Europe orientale. Né à Mostar, en ex-Yougoslavie en 1932, d’un père russo-ukrainien et d’une mère croate, il se revendique comme yougoslave et se reconnaît ‘ethniquement impur’. Professeur de français à l’université de Zagreb, il a quitté la Yougoslavie au début de la guerre et n’a cessé de lutter contre la guerre et les nationalismes. Il enseigne les littératures slaves, à la Sorbonne et à la Sapienza de Rome. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont Bréviaire méditerranéen, traduit dans une vingtaine de langues. Il est lauréat du Prix européen de l’essai (1992) et du Prix français du meilleur livre européen (1993). Il est vice-président du Pen Club de Londres et président la Fondation Laboratorio Mediterraneo de Naples. En novembre 2005, Predrag Matvejevic a été condamné à 5 mois de prison ferme et deux ans avec sursis par un tribunal de Zagreb pour « diffamation et injure », après avoir dénoncé les propagateurs intellectuels de la haine nationaliste lors du conflit yougoslave. (« Il a été condamné suite à une plainte déposée par Mile Pesorda, basée sur le texte Nos talibans, publié dans le journal Jutarnji List il y a exactement quatre ans. Dans son texte, Matvejevic explique que parmi les responsables de la guerre qui a eu lieu sur le territoire de l’ex-Yougoslavie figurent aussi certains écrivains et journalistes, incitaient par leurs écrits à la haine envers ceux que, souvent sans arguments, on qualifiait d’ennemis. Et on sait comment, à cette époque-là, on traitait les ennemis. Comme initiateurs de la haine, cet intellectuel renommé n’a fait que citer des personnes mentionnées déjà maintes fois par tant d’autres. Parmi ces gens qui initiaient à la haine figurait entre autres Mile Pesorda, écrivain originaire de Bosnie et Herzégovine qui, au début de la guerre, a quitté Sarajevo, sa ville natale, pour s’installer à Zagreb. Depuis, tout à fait dans le style de l’UDBA, la police politique titiste, il accusait, médisait et offensait ses anciens collègues. Pour le dire simplement – il mentait. L’une des victimes de cette entreprise offensante de Pesorda était Abdulah Sidran, un grand écrivain de Sarajevo. » (extrait d’un article de Jutarnji List, traduit dans Le Courrier des Balkans, 5 novembre 2005).
Cf. Site : http://www.bibliomonde.net/auteur/predrag-matvejevitch-166.html
[5] Historiquement, le nom Macédoine est la forme latine Macedonia d’un toponyme grec ancien Μακεδονία nommant cette partie des Balkans. Le terme de Macédoine renvoie au royaume de Philippe II de Macédoine et d’Alexandre dans l’Antiquité. Sous l’Empire byzantin, il a servi à désigner des divisions militaires et administratives d’ailleurs mouvantes (‘thèmes’), dans une région où depuis le VIe siècle s’étaient installés des Slaves, tandis que les Grecs restaient groupés près de la côte. Englobée de 893 à 927 dans l’empire bulgare de Siméon (sauf sa capitale Salonique), la Macédoine revient à l’Empire Byzantin vers 1015. Le Souverain serbe Stefan Milutin s’en empare à son tour 1284. Elle restera serbe jusqu’en 1371 et la défaite de Vukašin Mrnjavčević lors de la bataille de la Maritza. Dans un premier temps Marko Kraljević la gouvernera sous l’autorité des Turcs, puis les Turcs ottomans l’occupent seuls jusqu’en 1912. Pour eux, pendant cinq siècles, tout l’ouest de l’actuelle Macédoine était le Kosovo du Sud, celui-ci a été partitionné par la Fédération Yougoslave. C’était pendant l’Empire Ottoman le Vilayet (ou région administrative ) de Shkup (Skopje : actuelle capitale de la Macédoine). Tandis que le sud de la Macédoine était une partie du Vilayet de Manastir (dont le nom albanais a été modifié en Bitola par les yougoslaves). C’est d’ailleurs à Manastir qu’a été choisi l’alphabet de la langue albanaise. C’est pour ces raisons que les Albanais en Macédoine sont une importante minorité. Ceux-ci sont sur leurs terres ancestrales. En 1913 la Serbie, la Bulgarie et la Grèce, qui revendiquaient chacune la Macédoine (dont la population était alors fort bigarrée) chassent les Turcs et se partagent le pays. Après la première guerre mondiale, la Serbie est intégrée au nouvel État devant réunir les populations slaves de la région : la Yougoslavie. Au cours du XXe siècle, la Yougoslavie devient une fédération, au sein de laquelle la république de Macédoine est une composante indépendante de la république de Serbie. Avec la fin de la Yougoslavie, en 1991, les dirigeants de la République de Macédoine cherchent une identité locale forte qui évite leur absorption par la Bulgarie (le slavon parlé en Macédoine est très proche du bulgare) ou par l’Albanie (le district de Tetovo, au nord-ouest, est peuplé d’Albanais). Pour cela, non seulement ils conservent le nom Macédoine, mais ils adoptent les emblèmes de la Macédoine antique (‘Soleil de Vergina’ dans la tombe de Philippe II). La Grèce ne peut contester évidemment cette appropriation d’un passé grec bien antérieur aux Slaves, et cette dénomination. Diverses dénominations sont proposées : ‘Vardarie’ (du nom du principal fleuve du pays), ‘Macédoslavie’, ‘Macédoslavonie’, ‘Nouvelle Macédoine’ ou encore ‘Slavomacédoine’, mais les dirigeants macédoniens refusent obstinément et contre tout les noms où ne figurerait pas le radical ‘Macédo’, créant de nouveaux conflits. En l’absence de compromis, la plupart des organisations internationales et des États étrangers appellent officiellement ce pays par son nom constitutionnel : République de Macédoine. Mais la Grèce, et ses alliés, bien évidemment ne peut pas accepter ce nom qui lui appartient de par la continuité historique, et appellent dans les relations officielles le pays par l’acronyme ARYM (Ancienne République yougoslave de Macédoine) ou son acronyme anglais FYROM (Former Yugoslav Republic of Macedonia). Il est toutefois fait largement usage, par commodité, dans les textes moins officiels (communiqués, liens de navigation des sites des ministères des Affaires étrangères) des termes Macédoine et République de Macédoine. 113 pays dans le monde utilisent le nom constitutionnel (‘République de Macédoine’) et reconnaissent officiellement le nom ‘Macédoine’. Parmi eux ce sont : la Turquie, les États-Unis d’Amérique, la Russie, la Pologne, la Slovénie, la Chine et la Bulgarie qui ont reconnu unilatéralement le nom de ‘République de Macédoine’. Les États-Unis reconnaissent officiellement le nom de la Macédoine, en novembre 2004, en remerciement du soutien accordé à la guerre au Kosovo. Il y a lieu à craindre pour la Grèce que si le nom ‘République de Macédoine’ est utilisé, la Macédoine pourrait nourrir des prétentions territoriales vis-à-vis de la province grecque de Macédoine. Cependant l’amendement 2 de la constitution macédonienne interdit à l’État macédonien d’envahir d’autres territoires. Lors du sommet de l’OTAN à Bucarest en avril 2008, alors que l’Albanie et la Croatie ont été officiellement invitées à rejoindre l’organisation, la candidature de la Macédoine n’a pas été acceptée suite au veto de la Grèce. Le secrétaire général de l’OTAN a déclaré que le pays sera le bienvenu lorsqu’il aura réglé le problème de son nom officiel (Macédoine) usurpé que la Grèce refuse bien évidemment de reconnaître.
Voir aussi entre autres les ouvrages de Georges Castellan, Histoire des Balkans : XIVe-XXe siècle, Paris, Fayard, 1999 ; Barbara Jelavich, History of the Balkans, Cambridge University Press, 1983 ; Ernest Weibel, Histoire et géopolitique des Balkans de 1800 à nos jours, Paris, Ellipses, 2002.
[6] Bien avant la constitution de l’État libre de la Nouvelle Macédoine qui a obtenu son indépendance de la Yougoslavie (le 8 septembre 1991), plusieurs périphéries de Grèce portaient le nom de Macédoine : la Macédoine orientale et Thrace, la Macédoine centrale et la Macédoine occidentale.
[8] Sur le discours des Balkans qui ne me préoccupe pas ici, je recommande les travaux de Michael Herzfeld, Anthropology through the Looking-Glass (1987) et sa perception sur la Grèce moderne, ainsi que les critiques de Slavoj Žižek, The Metastases of Enjoyment (1994) ; sur l’‘imaginaire’ des Balkans. L’ouvrage de Maria Todorova Imagining the Balkans (1997) reste la meilleure introduction sur le concept des Balkans, ses frontières géographiques et ses références culturelles.
[9] Des films sur les Balkans sont présentés à des panoramas spéciaux au Festival du Film International à Amsterdam en 1993, au Festival du Film International à Créteil en 1997 et au Festival du Film International à Toronto en 1997. Des films sur la Bosnie sont montrés régulièrement au Festival du film pour les Droits de l’Homme, à Montréal, à Vancouver, à San Francisco, à Chicago, à Mannheim, à Karlovy Vary et à Londres.
[10] Théo Angelopoulos est né à Athènes le 27 avril 1935, d’un père originaire du Péloponnèse et d’une mère crétoise. Après des études secondaires et universitaires de droit à Athènes, il découvre le cinéma. Il se rend en 1961 à Paris où il suit à la Sorbonne des cours de philosophie et de filmologie.
[11] Michel Estève, « Présentation », Théo Angelopoulos, Paris, Lettres modernes Minard, coll. « études cinématographiques », 48, 1998, p. 3.
[12] Grand prix de la mise en scène et prix de la meilleure photographie au Festival de Salonique 1972 ; Prix de la FIPRESCI au Festival de Berlin 1972.
[13] Prix spécial du jury au Festival de Taormina 1975 ; Grand Prix du Festival de Salonique 1975 ; Prix de la FIPRESCI au Festival de Cannes 1975 ; Grand Prix du Festival de Londres 1976.
[16] Michel Estève, « Le triple itinéraire de Paysage dans le brouillard », Théo Angelopoulos, Paris-Caen, Lettres modernes Minard, coll. « Études cinématographiques », Vol. 48, 1998, p. 149.
[18] Sylvie Rollet, « Le Regard d’Ulysse. Le cinéma cessera-t-il d’être sourd ? », Théo Angelopoulos, op. cit., p. 168-169.
[22] Barthélemy Amengual, « Théo Angelopoulos. Une poétique de l’histoire », Théo Angelopoulos, op. cit., p. 37.
[23] Sylvie Rollet, « Le Regard d’Ulysse. Le cinéma cessera-t-il d’être sourd ? », Théo Angelopoulos, op. cit., p. 172.
[26] Palme d’Or du Festival de Cannes 1995 ; Meilleur film étranger au Prix Lumières, 1996 ; Meilleur film en langue étrangère de la Boston Society of Film Critics, 1997 ; Meilleur film en langue étrangère au Kinema Junpo Awards, Tokyo, 1997.
À signaler par ailleurs que le film est tourné en Tchécoslovaquie (Prague), Bulgarie, Allemagne (Berlin, Hambourg) et à Belgrade.
[27] Sur le film et la polémique qu’il souleva, voir le Site : http://fr.wikipedia.org/wiki/Underground_(film)
Underground est une « comédie à feu et à sang, un opéra visionnaire et historique reprenant un par un les thèmes chers au réalisateur. Dix ans après son apparition, le film s’offre un écrin : une édition collector trois DVD avec packaging alléchant et prometteur. En consacrant deux DVD au film en lui-même (un pour la VF, l’autre pour la VO), l’éditeur convie à un vrai spectacle visuel. On y découvre un Emir Kusturica pointilleux et perfectionniste […] Un homme que l’on a le loisir d’écouter dans l’interview […] Intéressante, et lourdes de sous entendus elle nous dévoile l’état d’esprit du cinéaste sept ans après le tournage ».
Voir Aurélie Maulard, sur le Site : http://www.commeaucinema.com/film=underground,8585.html
[28] H. G. Pflaum, « In der Falle der Geschichte », an intreview with Emir Kusturica, in Süddeutsche Zeitung, 23 November, p. 16.
[30] L’argent pour Le Cercle parfait vint du Ministère de la Culture bosniaque, la ville de Sarajevo, l’UNICEF, La Fondation Soros, la Fondation Hubert Bals pour Festival International du film de Rotterdam, le Festival du film de Locarno, ainsi que des compagnies cinématographiques privées en France, Hongrie, Croatie et Hollande et la participation de Eurimages. Le film qui reçut le Prix au Festival du film à Tokyo, occupa les salles en même temps que Titanic de James Cameron, et a été proclamé aux Festivals à Jérusalem et à Londres.