Francimar Arruda
Universidade Federal do Rio de Janeiro, Brésil
arruda.franci@gmail.com
Adriana Carrijo
Universidade Federal do Rio de Janeiro, Brésil
adrianacarrijo@terra.com.br
Les voix du silence : sur la littérature d’aujourd’hui et de toujours
Literature: Voices of the Silence
Abstract: The paper focuses on the prototypal image of the hero, from the combined viewpoints of literature and psychoanalysis. The hero impersonates the unknown and the unspoken, through his experiences, both conscious and unconscious, sometimes repressed or dictated by culture, sometimes nourished by primeval emotions. The conceptual relationship between the domains of psychoanalysis and literary theory supplies the instruments for the comprehension of the “phenomeno-logies” and manifestations of the hero as processes of identity construction.
Keywords: Literature; Psychoanalysis; Philosophy; Hero.
Partout et dans toutes les langues, on publie des livres dont quelques-uns sont considérés comme des ouvrages de critique ou de réflexion, alors que d’autres reçoivent le titre de roman, d’autres encore se disant des poèmes.
Un « livre » signifie « un tas de carnets manuscrits ou imprimés, cousus de façon ordonnée ». Reprenant la déclaration de Calvino (1988), qui considère qu’ « il y a des choses que la littérature avec ses moyens spécifiques peut nous offrir »”, nous pouvons remarquer que l’écriture d’un livre constitue une stratégie adaptative en vue de la fonction structurante des images littéraires, fait que nous cherchons à mettre en évidence le long de cet article.
L’homme est condamné à parler et encore plus à écrire, la genèse de la culture semblant être ancrée dans ce préssupposé. L’État naît avec le passage de la loi incarnée par le père à la loi « écrite », à la loi « fonction ». L’écriture, par là même, consiste dans cet acte qui décrète la mort du père. Quand nous disons le réel, nous le remplaçons, nous l’exemptons. La littérature est l’une des instances pouvant rendre possible ce passage nécessaire ou plutôt ce dépassement.
Non obstant, il faut dès maintenant remarquer que depuis Stéphane Mallarmé[1] (si l’on réduit cet auteur à un nom et ce nom à une référence), qui a rendu ces distinctions stériles, un nouveau phénomène que nous avons continué à dénommer littérature a vu le jour, et cela précisément à travers ces distinctions. Il a acquis des formes diverses, dont la forme virtuelle, par exemple.
Dans ce sens, ne devions-nous pas réfléchir franchement au videment de l’espace et des formes littéraires à venir en vue de l’écrit contemporain, trop compromis par l’idéal informatif, un ideal-fétiche de notre temps ? À ce sujet, Chartier (2005, p. 9) affirme:
La pierre, le bois, le tissu, le parchemin et le papier ont fourni les supports sur lesquels pouvait être inscrite la mémoire des temps et des hommes. Dans l’espace ouvert de la ville, dans le refuge de la bibliothèque, dans la magnitude du livre et dans l’humilité des objets les plus simples, l’écriture a eu pour mission de conjurer la fatalité de la perte. Dans un monde où les écrits pouvaient être effacés, les manuscrits perdus et les livres étaient toujours menacés de destruction, la tâche n’était pas facile. Paradoxalement, son succès pourrait représenter, peut-être, un nouveau péril : celui d’une prolifération textuelle incontrôlée, d’un discours sans ordre ou limites .
Ayant recours à la mémoire des essais, romans, poèmes, ceux-ci donnaient l’impression d’avoir été écrits simplement pour permettre que le travail de la littérature, alors considérée comme une puissance singulière, se réalise. Ainsi sommes-nous en droit de poser la question suivante : quel est l’enjeu du fait que l’art et la littérature existent? Question pressante que celle-ci, d’ailleurs historiquement pressante, qui cache toutefois une longue tradition d’esthétisme lié à l’existence.
Nous n’irons pas jusqu’à affirmer que ce moment est derrière nous car une telle affirmation serait dépourvue de sens. Quoi que nous fassions, que nous écrivions – et l’expérience magnifique des surréalistes[2] l’a démontré – la littérature se l’approprie et nous restons encore dans la civilisation du livre. Cependant, le travail et la recherche littéraires contribuent à ébranler les principes et les vérités abritées par la littérature.
Ce travail, en co-rélation avec certaines possibilités du savoir, du discours et de la vie politique, fait sourdre la question du langage et, alors, par son intermédiaire, celle même de sa transformation, qui se recompose dans le mot. De nos jours, apparemment et facilement admis comme courant, il devient par sa simplicité le soutien de la littérature le plus retranché et déraisonné en tant que jeu insensé d’écriture.
Écrire, l’exigence d’écrire[3], non plus l’écriture qui s’est toujours mise au service (face à un besoin en rien évitable) du mot ou de la pensée idéaliste et moralisatrice, mais l’écriture qui, par sa force lentement libérée (une force alétoire d’absence) semble ne se consacrer qu’à elle-même, restant sans identité et qui, peu à peu, libère des possibilités tout à fait différentes, de façon anonyme, distraite, différée et dispersée de l’être en relation. Une modalité par l’intermédiaire de laquelle tout est mis en question et d’abord, l’idée de Dieu, du Moi, du Sujet, du Bien-portant, de la Vérité.
Ainsi, l’écriture (comprise dans sa rigueur imaginaire et énigmatique), loin d’avoir le livre pour but, signalerait plutôt sa fin. Car il s’agit d’une écriture que l’on dirait hors discours, hors langage et que l’on pourrait dire l’écriture de l’Être.
Nous avons cherché dans le récit de Calvino (1988) la retractation de cette expérience :
Depuis le début, dans mon travail d’écrivain, je me suis efforcé de suivre le parcous véloce des circuits mentaux qui captent et réunissent des points lointains de l’espace et du temps. Dans ma prédilection pour l’aventure et la fable, j’ai toujours cherché l’équivalent d’une énergie intérieure, d’une dynamique mentale. Je visais l’image et le mouvement qui en jaillit naturellement, même si j’ai toujours su que l’on ne peut parler d’un résultat littéraire que lorsque ce courant de l’imagination se transforme en mots. Le succès d’un écrivain, aussi bien en prose qu’en vers, repose sur le bonheur de l’expression verbale, un bonheur qui dans certains cas peut se réaliser à travers une fulguration soudaine mais qui en général implique une patiente quête du mot juste, de la phrase dans laquelle tous les éléments sont irremplaçables, de la rencontre des sons et des concepts qui soient les plus efficaces et denses de sens (1988; p.61)
Le livre indique toujours un ordre soumis à l’unité, un système de notions où s’affirment la primauté du mot sur l’écriture, de la pensée sur le langage, ainsi que la promesse d’une communication qui sera un beau jour immédiate et transparente. Alors écrire devient une affreuse responsabilité. Invisiblement, l’écriture (et donc la littérature) est convoquée à défaire le discours dans lequel nous nous maintenons, nous qui en disposons, confortablement installés. La littérature est bien cela, déplacement, mouvement, tortions et transcendance. Citant de nouveau Calvino, « la littérature (et peut-être seulement la littérature) peut créer les anticorps pour contrer la diffusion de la peste du langage » par le constat, au millénaire qui s’est achevé, d’un seul coup, de l’émergence de l’objet-livre ainsi que par la crise du livre imbriquant le travail de l’écriture et la fonction de l’écrivain à partir de la perspective de l’enchantement imaginaire.
Mais il s’agit d’un mot pour éclaicir ou obscurcir. Quand nous référons à la fin du livre, ou mieux encore, à l’absence de livre, nous ne faisons pas allusion au développement des médias audiovisuels qui préoccupent tant de spécialistes. Que l’on interrompe la publication de livres au bénéfice d’une communication par la voix, par l’image ou par l’internet, ceci ne modifierait en rien la réalité de ce qu’on appelle livre ; au contraire, le langage en tant que mot y affirmerait encore plus sa primauté et la certitude d’une vérité possible.
L’écrivain entretient avec son lecteur, ainsi que les hommes avec leurs semblables, un langage d’initiés au monde, à l’univers des possibles détenus dans un corps humain, lié à l’Être. Il présuppose que ce qu’il a à dire soit connu et s’installe dans la conduite d’un personnage préssentant chez le lecteur sa seule marque, la trace nerveuse et péremptoire de son cheminement. C’est cela la littérature, quand tous deux (écrivain et lecteur) participent à l’appel du message contenu dans l’écrit, même s’ils ne se connaissaient et ne poursuivaient pas le même parcours au niveau du récit des événements, de l’énoncé d’idées, des thèses et des conclusions. Tout y participe à une exposition signifiante et significative, oblique ou latente des processus de l’existence.
Il s’agit d’un langage qui fournit notre perspective humaine sur les choses et qui y dispose un relief inaugural qui relance une discussion et un échange qui ne sont jamais fanés et qui par ce moyen suscite une nouvelle quête dans les replis et les labyrinthe de l’être humain. Ce qui n’est pas remplaçable dans la littérature, ce qui la rend beaucoup plus qu’un plaisir, c’est parce qu’elle devient un organe de l’esprit. Cette analogie se trouve dans toute pensée philosophique[4] alors qu’elle révèle contenir beaucoup plus que des idées, des matrices d’idées nous fournissant des pistes dont nous ne finirions pas de développer le sens.
Précisément parce que la littérature s’installe et nous installe dans un monde dont nous n’avons pas la clé et nous apprend à voir et enfin à nous faire penser d’une manière différente, sous d’autres angles qui ne sont pas analytiques ; ceci parce que l’analyse trouve dans ce phénomène seulement ce qu’on y a posé comme vrai ou faux. Ce qui existe d’imprévu dans la communication littéraire, d’ambigu et d’irrédutible, ce n’est pas la faiblesse provisoire que nous pourrions, après l’analyse, espérer libérer : il s’agit du prix à payer pour avoir un langage et une ouverture d’énoncés nous introduisant dans d’autres perspectives au lieu de nous enfermer dans les nôtres[5].
Nous ne verrions rien si nous n’avions dans nos yeux le moyen de surprendre, d’interroger et d’ordonner les configurations de l’espace, du temps et de couleur en nombre illimité. Nous ne ferions rien si nous n’avions dans notre corps la condition de sauter par dessus tous les moyens nerveux et musculaires du mouvement pour nous rendre à un autre lieu.
Le langage n’est littéraire, c’est-à-dire, productif, que lorsque que nous avons besoin de demander à chaque instant des justificatifs pour le suivre où il va ; aussi quand les mots possèdent une aureole de signification, où ils voient une seule démeure, où ils assument l’irradiation muette de l’art. À vrai dire, il est essentiel de se présenter au commencement et toujours dans un mouvement qui décentre, sollicite notre être au monde, le conduisant vers un sens plus large. C’est comme cela que la littérature révèle et introduit de nouvelles voies dans nos relations avec l’autre, le distant, le différent.
Dans cette perspective, lire un livre ferait surgir de nouvelles formes d’intersubjectivité, de nouvelles formes d’interaction, compréhension et accueil des plusieurs mois qui m’habitent et des nombreux autres qui m’entourent. C’est ainsi que l’œuvre d’art opère et opérera toujours en nous, et c’est donc pour cela qu’alors que la littérature se dévoile comme œuvre d’art, elle fonctionne comme un facteur d’intersubjectivité, engendrant des sujets pluriels et ouverts au monde et à l’autre.
Il existe des pratiques qui nous montrent ce phénomène à partir de l’interaction entre la littérature et la psychanalyse dont nous retenons les informations suivantes.
Selon la psychanalyse, dans l’homme habitent ou plutôt co-habitent plusieurs discours : l’un appartient à la conscience, l’autre à l’insconscient. Le discours de la conscience est volitif, il appartient à l’ordre du vouloir. Alors que le discours de l’inconscient appartient à l’ordre du désir. La rencontre manquée, propre à l’homme, se trouve dans l’impossibilité de traduire le discours inconscient, ainsi nous devrions appeler le sujet de l’action plutôt assujetti, c’est-à-dire, qu’il est le sujet d’un acte parce que celui-ci ne peut pas se faire mot.
La saga humaine est un jeu. Ce qui rend ce jeu possible sont les règles et, la règle est le pouvoir de dire, de prononcer dans le langage le désir. La psychanalyse prétend que les motions pulsionnelles peuvent être traduites en conscience et qu’il y a un rapprochement entre ces deux discours.
La modernité est ancrée sur la prétendue objectivation du réel. Les modernes privilégient le regard au détriment de l’écoute. La psychanalyse surgit au moment où l’homme souhaite cette objectivité, elle surgit au moment où l’homme essaye d’ensevelir le mystère. Nous dirions que la psychanalyse surgit comme une conséquence et une alternative à un monde qui tend à devenir strictement scientifique, objectif.
L’amour est la passion dans la clinique et l’est aussi possiblement dans la littérature. L’amour est passion, puisque c’est cette exagération qui est nécessaire à l’écoute et, peut-être, à l’écriture. Passion, du grec pathos, designe l’exagération, la souffrance, l’expérience, l’émotion. Son emploi jusqu’aux XVIII-XIXe siècles était restreint à la littérature. Il semble que le terme commence à designer la maladie à partir du XIXe siècle. Ce changement d’emploi est dû, nous le croyons, au passage vécu par l’homme à travers l’obscurité. Les modernes, à travers la révolution anatomopathologique, cherchent à illuminer cet état, le transformant en maladie.
Ainsi, à partir du XIXe siècle, il n’y a plus de place pour la passion, vu que l’homme commence à vivre strictement sous l’égide du métron, une mesure fixe où il n’y a plus de dépassement, où il n’y a plus de place pour le héros. Suivons le héros et sa trajectoire. Dès lors, nous indiquons que notre intention n’est pas de “cliniciser” le héros mais, si cela est possible, de littéraliser la clinique.
L’homme n’est pas un être naturel. Il n’est pas quelqu’un de gouverné par des lois naturelles. C’est quelqu’un qui doit construire sa propre loi. Ainsi l’homme peut bien être compris comme un sujet désemparé. Désemparé car, quand il rompt avec la nature, il faut qu’il construise son habitat.
Fonder le monde signifie transformer le profane, qui désigne l’homogénéité, en sacré, qui veut signifier hetérogéneité. Le sacré est en soi le lieu de la production des différences. Le sacré est un au-délà du profane. Le sacré jaillit alors que le profane est dépassé. Quand il dépasse les lois naturelles, l’homme, pour la psychanalyse, invente l’inceste. L’inceste serait ainsi la mesure de toute la culture.
Avant le totémisme, qui coïncide avec l’essor de l’État, dans la horde, tout était permis au père. Avec la mort du père, il devient la configuration d’une fonction, il n’est plus donné à l’homme de répéter les démesures de celui-là. Le métron, dans ce sens, dans l’État, c’est l’observance des lois du père, qui a été immortalisé avec le parricide.
Avançons vers l’image du héros. Héros du grec hêros, c’est le fils ou le descendant des dieux et ainsi il est un demi-dieu. Fruit de l’alliance entre un dieu et un mortel, il est capable de réaliser des tâches surhumaines. La mythologie grecque nous apprend que le héros quoique fils d’un dieu, n’est pas lui-même un dieu, puisque c’est l’utérus le facteur déterminant de sa lignée. Le héros a habité un jour l’utérus d’une mortelle, dès lors le héros est aussi mortel que n’importe quel autre être humain.
Le héros, même s’il est le fils d’un dieu, n’est pas dieu. Ne pas être dieu, parmi autres choses, signifie être mortel et, plus que cela, être sujet aux dieux. Donc, rien de plus grave pour un mortel que d’essayer d’égaler un dieu, rien de plus grave pour un mortel que de se juger immortel car c’est lui qui affronte les dieux. Cet affrontement d’un dieu naît quand l’humain est pris par la hybris.
Hybris signifie outre mesure, le sujet va au-délà de la mesure d’un mortel. Ce dépassement conduit le héros à hamartia, qui constitue une erreur de jugement ou d’ignorance entraînant d’affreuses conséquences. L’erreur de jugement incite les dieux à la vengeance. Celle-ci est appellée nêmeseis. La nêmesis signifie l’arrogance d’un mortel voulant fuir les dieux, se considérant lui-même un immortel.
La nêmesis résulte de l’indignation des dieux entraînant chez le héros la sparagmos, c’est-à-dire, la mort ou la disgrâce. La mort, nous le savos bien, c’est une représentation et elle peut ainsi être considérée comme un manque absolu de position. Par conséquent, le héros, tombé en disgrâce, dépourvu de « la grâce » par le moyen de la sparagmos, arrive à la catastrophe.
La catastrophe, du grec katástrophe, designe un révirement. Propre à la tragédie, elle introduit l’effet pertubateur et inquiet qui traverse les feuilletons, les trames, les drames, les textes et les confessions sur le divan.
La mythologie/ feuilleton grec(que) fournit les outils à l’exercice psychanalytique ; ici il faut introduire un important concept, celui de refoulement. Celui-ci constitue un mécanisme visant à empêcher que quelque chose qui ne peut pas être dialectisée reste dans la conscience vu que l’énergie qui régit les processus insconscients est la liaison. Et ce qui ne peut pas être dialectisé ne peut pas être lié, c’est-à-dire ne peut pas être mis-en-mots, étant par conséquent mau-dit.
Ainsi, à travers le refoulement, ce qui ne peut pas être dit devient inconscient. Il est refoulé. Et une fois refoulé, quelque chose de ce contenu s’en échappera. La quantité qui s’en échappera sourdra comme drame, comme un acting out. Une scène prétérite se présentifiera comme si elle était presente. Ce qui s’en échappe on le nomme le « retour du refoulé ».
Le retour du refoulé, en tant qu’acte, consiste à ne pas encore savoir dire ce que l’on pense et ce qu’on voit. Nous sommes malades alors que nous ne savons pas prononcer en acte le mot. Cependant, nous devons rappeler que la voie pour arriver à la narration c’est l’acte.
L’acte est le prétérite, nous passons à l’acte quand nous sommes pris par la hybris. Nous manquons notre cible, puisque cela nous donne la sensation de vivre au présent alors qu’en réalité nous mettons en scène à nouveau le prétérite. Le tragique de l’existence est de conclure que la vie est une trajectoire sans retour et qu’à la fin de celle-ci la disparition nous attend. Dans ce sens, nous croyons que la clinique a quelque chose d’héroïque et qu’elle est destinée à faire jaillir le héros existant chez nous. La clinique est la subversion du discours des modernes, un discours qui ne laisse pas de place pour le héros. La clinique réveille le héros endormi en nous. Ce réveil arrive à cause de la passion, de cette exagération nécessaire au retour du refoulé. Donc c’est elle, la passion, qui nous emmène au-délà de la modernité.
Nous entendons que la littérature est celle qui peut nous fournir des instruments pour la clinique. Car c’est la littérature qui nous apprend à vivre et à penser la passion et l’amour. C’est la littérature qui nous apprend à savoir ce que nous ne savons pas.
La littérature ne privilégie aucun savoir car tous les savoirs y sont compris. Nous croyons que c’est d’ailleurs ce que la littérature a de plus précieux à apprendre à la clinique. Ainsi, nous pensons que c’est ce que Freud a voulu dire avec l’expression « attention flottante »[6]. La clinique doit flotter face à tout en tant qu’effort d’écoute.
Enfin, la conclusion à laquelle mène cet article c’est l’existence d’une interlocution avantageuse entre littérature et psychanalyse assumées comme des facteurs facilitateurs de la transcendance, des facteurs qui se retrouvent dans la figure du héros. Il s’agit tant du héros conscient, qui se dénoue du métron le transcendant pour exécuter ce qui est interdit par le social, comme du héros dans le discours psychanalytique qui à partir du mot dé-voile et libère quelque chose de son intérieur. Les deux sont les protagonistes des voix du silence. Le panorama du croisement conceptuel entre les champs de la psychanalyse et de la théorie de la littérature fournit certainement les outils nécessaires pour approfondir la question de ces deux visions comme des processus de construction de subjectivités. Des subjectivités plus libres et donc plus heureuses et ouvertes à l’autre, au monde et au plaisir de vivre.
Bibliographie :
Blanchot, M., A conversa infinita, a palavra plural [L’entretien infini, le mot pluriel], São Paulo, Escuta, 2001.
Calvino, I., Seis propostas para o próximo milênio: Lições Americanas [Leçons américaines], São Paulo, Companhia das Letras, 1990.
Chartier, R., Inscrever e apagar [Inscrire et effacer], São Paulo, Editora Unesp, 2007.
Freud, S., O caso de Schreber [Le président Schreber]. Artigos sobre técnicas e outros trabalhos, In: Edição Standart Brasileira das Obras Psicológicas completas de Sigmund Freud, Rio de Janeiro, Imago Editora, 1969.
Merleau-Ponty, M., A Fenomenologia da percepção [Phénoménologie de la perception], São Paulo, Martins Fontes, 1999.
Merleau-Ponty, M., O olho e o espírito [L’œil et l’esprit], São Paulo, Martins Fontes, 1975.
Merleau-Ponty, M., Signos [Signes], São Paulo, Martins Fontes, 1991.
Notes
[1] Stéphane Mallarmé (1842-1898), poète français ayant intégré le mouvement symboliste, fut un des fondateurs de la modernité dans les arts. Influencé par Charles Baudelaire (1821-1867), il se preoccupa de l’identité littéraire face à la réification du phénomène humain dans une société industrialisée et technologique. Le legs poétique de Mallarmé désacralise le langage romantique toute en proposant une syntaxe visuelle et le mouvement dans les vers.
[2] L’expérience surréaliste fut le courant artistique moderne de la représentation de l’irrationnel et de l’inconscient. Ses origines sont à chercher dans le dadaïsme et dans la peinture métaphysique de Giorgio De Chirico (1888-1978). Ce mouvement artistique surgit à chaque fois que l’imagination se mouvemente librement sans le frein de l’esprit critique, orientée par la pulsion psychique. Les Surrealistes abandonnent le monde réel pour penser l’irréel puisque les émotions les plus profondes de l’être ne se manifesteraient qu’à travers l’approche du fantastique et de l’expérience de la perte du contrôle. La parution du Manifeste surréaliste, signé par André Breton (1896-1966) en octobre 1924, marque historiquement la naissance du mouvement.
[3] Sur l’« exigence d’écrire », voir l’ouvrage de Maurice Blanchot : A conversa infinita: a palavra plural [L’Entretien infini, le mot pluriel]. São Paulo: Escuta, 2001, p. 87. Maurice Blanchot est un célèbre romancier contemporain. Il a produit un fin et consistant tissage sur le mot pluriel, l’expérience limite et d’autres thèmes de grand intérêt pour la littérature, la philosophie et la psychanalyse.
[4] La littérature comme un « organe de l’esprit » et ses analogues philosophiques sont l’objet de réflexion de Merleau-Ponty dans : O olho e o espírito [L’œil et l’esprit], São Paulo: Martins Fontes, 1975.
[5] Sur l’ouverture des énoncés et leur devenir littéraire voir l’ouvrage de Merleau-Ponty : Signos [Signes], São Paulo: Martins Fontes, 1991, p. 137.
[6] L’expression mentionnée par Freud accueille l’idée de complexité des savoirs et pousse à la trans-disciplinarité en tant que stratégie/ trajectoire méthodologique. Certes, une telle recommandation dépasse le cadre clinique, se révélant ainsi comme puissance de la pensée. On la trouve dans l’article « Recomendações aos médicos que exercem psicanálise » [Conseils aux médecins sur le traitement psychanalytique] In : Freud, S., O caso de Schreber. Artigos sobre técnicas e outros trabalhos. In: Edição Standart Brasileira das Obras Psicológicas completas de Sigmund Freud. Rio de Janeiro: Imago Editora, 1969.