UTOPIE, DYSTOPIE, FILM
On peut arguer que, de nos jours, après plus d’un siècle de cinéma, l’utopie reste l’une des grandes absentes de l’histoire du septième art. Certes, on peut être tenté d’appeler « utopiques » les mondes idéals et idylliques dépeints par certains films, mais le genre comme tel a rarement suscité l’intérêt des réalisateurs. Qui plus est, à part quelques exceptions, comme Les Mondes futurs (Things to Come, 1936) de William Cameron Menzies ou Les Horizons perdus (Lost Horizon, 1937) de Frank Capra, le cinéma s’est penché sur l’antiutopie plutôt que sur l’utopie. Cette tendance soulève déjà quelques problèmes pertinents par rapport à la fonction sociale du cinéma. Par exemple, il semble que les antiutopies cinématographiques, plus ou moins connues, ont émergé dans un contexte d’insécurité sociale ou économique. Cela peut bien être le cas de quelques films parus dans les années vingt en Allemagne (notamment Metropolis de Fritz Lang, mais aussi La Ville sans juifs de Hans Karl Breslauer) ou de certains films américains qui traduisent métaphoriquement la récente crise économique (comme Elysium, réalisé par Neill Blomkamp). Dans d’autres cas, l’antiutopie cinématographique a servi comme moyen de questionner, ouvertement ou de manière voilée, le système capitaliste ou les défis de l’action politique. Ainsi on peut soutenir que certains films de propagande soviétiques (notamment, l’Aelita de Yakov Protazanov ou Le Nouveau Gulliver d’Alexandre Ptouchko) et quelques produits cinématographiques parus dans le sillage de Mai ‘68 (comme L’An 01, réalisé par Jacques Doillon, Alain Resnais et Jean Rouch) présentent assez de similarités génériques pour servir de point de départ pour une réflexion systématique. Puisqu’une discussion en détail sur l’utopie et l’antiutopie en cinéma semble toujours faire défaut, nous espérons que ce volume des Cahiers Echinox peut fournir l’occasion d’explorer ces problèmes, et beaucoup d’autres, plus à fond.
Radu Toderici