Bernadette GINESTET-LEVINE
Clemson University, South Carolina, USA
LES TRIBULATIONS DE L’IDENTITÉ :
LE NOM DIT ET LE NON-DIT
DANS LES MARCHES DE SABLE D’ANDRÉE CHEDDID
Abstract: The desert is an essential element of the Egyptian identity. It has been a referential symbol since antiquity. It is the frame chosen by Andrée Chedid, a writer of Lebano-Egyptian descent, for her novel Les Marches de sable. The desert is an ever-changing space where one must re-invent oneself in order to survive. The three female characters, Cyre, Marie, and Athanasia, set out for the desert on an identity quest. After a long period of gestation in union with the cosmic emptiness of the desert, they give birth to their names, that is, to themselves.
Keywords: Egyptian literature, Andrée Chedid, the desert, the quest for identity, self-engendering
Avant de nous intéresser à la quête identitaire des trois personnages féminins des Marches de sable, nous nous arrêterons un instant sur l’identité de l’auteur. Andrée Chedid, auteur d’origine libano-égyptienne vivant à Paris, est-elle un écrivain français ou francophone ? Comment la classer, elle qui refuse justement toutes formes d’étiquettes réductrices? Il ne lui déplairait pas, je suppose, de répondre à cette question par une pirouette en forme de chanson. Si les critiques se sont beaucoup intéressés aux romans, aux nouvelles, aux poèmes ou aux scénarios d’Andrée Chedid, ils ont pour la plupart ignoré ses talents de parolière. L’une de ses chansons, « M », est devenue la chanson signature de son petit-fils, le chanteur Matthieu Chedid. Dans l’économie de ce texte – une chanson se doit d’être à la fois légère et ramassée –, elle revendique une création vagabonde, ainsi qu’une double appartenance : celle de ses origines égyptiennes, et celle de son ancrage dans la langue française :
J’ai les méninges nomades
…
Du Sphinx dans mon rimeur
Paris au fil du cœur
Du Nil dans mes veines
Dans mes artères coule la Seine.
Superbe métaphore qui associe les deux fleuves de l’écrivain, le Nil et la Seine, et fait de ces deux fleuves quasi-tutélaires, les vaisseaux sanguins dont se nourrit l’imaginaire Chedidien !
Le cadre symbolique du désert
Outre la francophonie multiculturelle de Chedid qui s’affirme dans la chanson « M », nous retiendrons également de l’extrait cité, deux mots, de forte puissance symbolique, « nomades » et « Sphinx », qui suffisent à évoquer, dans l’esprit du lecteur, le désert égyptien. C’est ce désert que Chedid a choisi comme cadre référentiel de son roman Les Marches de sable. C’est là que trois femmes, que tout sépare, marchent et se rencontrent. Le livre suit Cyre, Marie et Athanasia, trois silhouettes qui se distinguent à peine – humain/ bête/ chose/ homme/ femme – dans ce désert où tout se brouille, se cherche, se défait, et s’invente.
L’Egypte, le désert et le nom
Depuis l’antiquité, l’Égypte a donné au nom une forte valeur significative : Pour les Égyptiens de l’antiquité, « le nom personnel est bien plus qu’un signe. Il est une dimension essentielle de l’individu. L’Égyptien croit au pouvoir créateur et contraignant du mot. Le nom sera chose vivante » (Posener, 190). Chedid a situé l’intrigue des Marches de sable dans l’Égypte du IVe siècle de notre ère, période charnière entre le paganisme et le christianisme. Le personnage de Cyre se rattache aux croyances de l’antiquité égyptienne, comme l’indique l’amulette qu’elle porte autour du cou (183), ou sa connaissance innée des gestes funéraires (84). Quand elle écrit son nom dans le sable, elle accomplit, consciemment ou nom, un rituel ancien, puisque pour les Egyptiens de l’antiquité, « en écrivant ou en prononçant le nom d’une personne, on la fait vivre ou survivre » (Chevalier, 676). Ayant fait vœu de silence, elle l’écrit dans le sable, sur le support/palimpseste du désert.
Le désert résonne profondément dans l’imaginaire égyptien. Il est le lieu fondamental, où la personne s’invente au fur et à mesure de son cheminement intérieur. Il a lui-même des identités, des noms multiples : il existe plus de 15 vocables différents en arabe (Dagron, 49). Le thème bi-face de la traversée du désert et de la quête identitaire est prégnant. À cet égard, Chedid s’inscrit dans une tradition liée à l’Égypte. On pourrait citer la très belle interrogation sur « le mot DESERT », d’un autre écrivain francophone égyptien, Edmond Jabès : « Où est le seuil, sinon dans chacune des six lettres de sable que comprend le mot DÉSERT » (Jabès, 7-8). On pense aussi à Michael Ondaatje, qui a situé l’intrigue amoureuse de The English Patient en Egypte : « Le désert ne pouvait être revendiqué ni possédé. C’était une pièce de drap emporté par les vents […] à laquelle on avait donné une centaine de noms éphémères… Effacez le nom de famille ! Le désert m’a appris ce genre de choses… n’appartenir à personne » (extrait cité en français ; Histoires de désert, 289).
Cyre, Marie, et Athanasia
Les trois personnages féminins des Marches de sable, Cyre, Marie et Athanasia, provoquent leur destin pour le précipiter. Prises dans les tourments de leurs vies personnelles, et dans le chaos de l’Égypte du IVe siècle, elles ont toutes les trois ressenti le besoin de partir. Au début du livre, elles sont déjà au désert : Cyre depuis trois jours, Marie depuis neuf ans, et Athanasia, sept. Leurs démarches portent la marque d’un désir d’affranchissement, une volonté de transgresser leur propre frontière, pour déconstruire, puis reconstruire l’intégralité de leur identité.
Chedid, comme toujours s’attache au « dessein – le dessin – d’une marche, dont le propos n’est jamais d’arriver et de conclure, mais de demeurer, sans relâche, en chemin » (1991, p. 10). Marche, chemin, dessin, dessein, trace, nous avons là une véritable grille de lecture des trois personnages féminins des Marches de sable, qui entretiennent avec l’espace désertique un rapport de réciprocité.
Cyre
L’entrée de Cyre dans le récit est rythmée par l’expression « droit devant elle » (Les marches de sable, 18), répétée trois fois. Orpheline, analphabète, plus pauvre que les pauvres, elle a fui « les faces d’hyènes et de loups » (ibid) des nonnes qui l’humiliaient depuis trois ans et « l’appelaient de noms rebutants (je souligne) » (ibid), dans le couvent où elle s’était réfugiée. Cyre a fait vœu de mutisme, plus que de silence, puisqu’elle inonde le désert de son chant sans parole. Elle « égaie la sévérité des dunes » (49), par les étoffes multicolores qu’elle a nouées autour de sa tête. Par son rire « qui arrose le désert » (78) et par son chant mélodieux, Cyre féconde le désert et le rend fertile. Face aux « univers éteints » du désert, elle représente l’élan vital que traversent « tous les appels du monde » décrit par Chedid dans le poème Jeunesse :
Tu chantes !
Pour un temps s’apaise
L’univers en tornade
Que tu portes dans tes flancs
[…]
Ta fureur attise l’âme
Des univers éteints
[…]
Tu enfantes le feu
(Poèmes pour un texte, p. 32).
Cyre, qui, depuis toujours, « a façonné des morceaux de son existence » (15) comme elle modèlera des figurines de terre lors de son passage à la citadelle, se construit tout au long du récit. Le désert, qui lui donne ses repères identitaires, est ce « lieu que n’encercle […] aucun mur » (14) qu’elle cherchait. Quand elle rencontre Marie, c’est dans le sable, comme nous l’avons vu, qu’elle écrit son nom, à l’aide d’une baguette de saule qui constitue « son seul bien » (23). Ces lettres de sable sont « les seules lettres qu’elle connaît » ( 52).
Néanmoins, il reste à Cyre à assumer ce nom creusé dans le sable. Pour cela, comme dans un conte, elle sera aidée. La baguette de saule qui lui permet d’écrire son identité, est dotée de pouvoirs presque magiques. Elle l’utilise comme un instrument de navigation qui lui permet, grâce au sillon qu’elle creuse chaque soir, de maintenir son cap. C’est grâce à cette trace du chemin parcouru qu’elle peut, au matin, s’engager « dans la bonne direction » (25), « vers l’avant » (ibid), « à l’opposé de la route qui la ramènerait au couvent » (ibid), où on lui criait qu’elle était comme le désert, puisque comme lui, elle n’avait « pas de paroles » (20).
La baguette de Cyre relève du monde surnaturel. Dans la réalité, son sillon est aléatoire : le vent l’aura effacée le lendemain selon toutes probabilités. Mais Cyre est sûre « que ce qu’elle poursuit ne peut être visible » (14) – c’est pour cela qu’elle peut aller « droit devant elle, les yeux mi-clos » (ibid). Elle sait « qu’elle ne se trompe pas » (ibid). C’est à l’aide de cette branche-stylet, investie de pouvoirs bienveillants, qu’elle signe son territoire, après avoir fui les « noms rebutants » que lui donnaient les sœurs. Comme un scribe, elle est dépositaire d’une parcelle sacrée, son nom.
Plus tard, à la citadelle de l’ermite Macé où les trois femmes se sont réfugiées, Cyre rencontre le jeune moine Pambô, le « moine-pirouette » (169), « le moine-girouette » (171), qui se tortille et chante que “tout ce qu’on peut embrasser, cajoler, caresser [lui] remue corps et âme », « joues d’enfant [et] seins de femmes » (170). Elle s’ouvre alors au désir et souhaite qu’il « l’appelle par son nom » (174). Cyre sort de son désert en franchissant le seuil de sa sexualité. Les sœurs de son couvent lui avaient crié que « le désert n’a pas de bouche, pas de parole, Cyre. Toi et lui vous êtes pareils » (20). Ayant retrouvé la parole grâce à Marie, à qui elle fait don de son vœu de silence, Cyre a de nouveau une bouche pour crier « PAMBO », en majuscule dans le texte. Peu de temps après, juste avant de mourir d’une piqûre de scorpion, c’est encore le nom de Pambô qu’elle répète en boucle: « – Pambô, Pambô, Pambô ! Ivre de cette parole retrouvée, Cyre répète “ Pambô ” avec des inflexions rythmées sur lesquelles le moinillon parade et cabriole. […] Cyre oublie qu’elle a mal, Cyre joue avec le nom de “ Pambô ”, lui fait prendre toutes les formes, le module, le rythme, ce nom » (238).
Dans sa quête identitaire, Cyre est ainsi passée des « noms rebutants », qu’elle a laissés derrière elle, à la trace d’un « je » – son nom écrit dans le sable au début du récit –, au nom de l’autre. C’est ce nom crié, rendu par Chedid par le choix des majuscules, qui libère enfin la parole enfermée dans son corps.
Marie
Marie, l’ancienne courtisane d’Alexandrie, qui « irradiait la vie » (131), est partie un soir, dans ses habits de fête, sans un adieu, déterminée elle aussi. Elle a quitté sa vie de luxe, matériel et intellectuel, où elle s’enrichissait au contact des « hommes de savoir et de pouvoir » (37), « se dénudant, se rhabillant, se dénudant encore » (36). En réponse au cri de Dieu qui s’est emparé d’elle, elle a choisi le dénuement suprême, irréversible cette fois.
À sa rencontre avec Cyre, Marie n’est plus qu’une chose, ni homme, ni femme, dont Cyre se demande s’il y a « encore de la chair sous cette peau racornie qu’aucun vêtement ne protège » (78). Seule sa « voix soyeuse » (89) la rattache à l’humain, et rassure l’enfant. Quel changement pour la courtisane, qui avait « acquis une réputation qui la plaçait bien au-dessus de toutes les autres » (35) ! À Alexandrie, ses amants avaient fait de son nom « un cri de ralliement » (39). Plus tard, au désert, dans ses moments de doute et de solitude extrême, elle « se serait contentée d’être un simple nom sur les lèvres de Cilia » (40), la jeune prostituée qu’elle avait elle-même initiée. Après neuf ans d’épreuve, elle est devenue une créature que Cyre « ne sait pas nommer » ( 28), tant elle lui semble différente de tout ce qu’elle connaît de l’humain.
Lors de cette rencontre de l’ancienne courtisane et de l’enfant muette, Marie est trop pleine d’elle-même pour poser à Cyre des questions identitaires. Elle n’y pense qu’après un jaillissement de paroles qu’elle ne peut maîtriser. Quand elle finit par le faire, elle interroge Cyre, non sur son identité, mais par une sorte de décalage, sur celle de « qui [la] menée jusqu’ici » (51). Au silence de Cyre, qui la déçoit profondément, tant elle aurait « voulu partager les mots » (ibid), Marie répond par le choix d’une parole unilatérale. Les mots occultent l’identité : Marie ne sait pas plus dire son nom qu’elle ne sait demander le sien à Cyre.
Lors du passage des trois femmes à la citadelle de l’ermite Macé, Marie renoue une dernière fois avec sa sexualité, en s’unissant un soir au narrateur Thémis. Le nom de Marie entoure le récit de la scène d’amour : À Marie qui affirme que l’amour charnel lui est devenu étranger, Thémis répond : « Le crois-tu ?… En vérité, Marie, le crois tu ? » (140). Après l’amour, Thémis s’inquiète : « As-tu froid, Marie ? » (142). C’est la dernière fois que le nom de l’ancienne courtisane, jadis cri de ralliement de ses clients, résonnera dans l’acte d’amour. La symbolique du nom de Marie est liée à la chair. Reprenant le poème sur la jeunesse de Chedid, on pourrait dire que, par ce retour dernier à l’acte de chair, le corps de Marie « brûle [ses] frontières et l’emporte », définitivement cette fois, « hors de son corps » (Poèmes pour un texte, p. 32). La scène d’amour à la citadelle s’était terminée par cette remarque de Thémis à Marie : « … ton corps chante toujours » (142). C’est justement après avoir renoué avec l’amour charnel qui a fait une dernière fois chanter son corps, que Marie échange avec Cyre son vœu de silence, déterminée à « abolir au fond d’elle-même la source de la parole » (239). Elle, qui était si pleine de paroles qu’il lui fallait « les faire retentir sur l’écorce d’un vieil arbre [et] sur les briques en boue séchée de sa hutte » (49), s’installe dans le silence. Ayant renoncé à « la voix soyeuse » (89), qui seule la rattachait, aux yeux de Cyre, au monde des humains, elle est maintenant pleinement cette créature que, comme Cyre, on « ne sait pas nommer » (28).
Athanasia
La troisième femme à entrer en scène est Athanasia. Athanasia est devenue chrétienne par amour pour son mari Andros. Après le supplice d’un de leur deux fils, Andros s’est réfugié au désert avec leur deuxième enfant, laissant Athanasia dans un couvent de femmes aux portes du désert. C’est pour retrouver Andros, qu’Athanasia choisit de quitter le couvent et d’affronter le désert, habillée en moine, pour tromper « les troupes de brigands qui sillonnent le désert » (25) et « font subir les pires exactions aux rares femmes anachorètes » (ibid) alors qu’ils « épargnent les ermites » (ibid).
Quand elle retrouve finalement Andros, il ne la reconnaît pas, et c’est en silence, sous le nom de Frère Isma, qu’elle vit près de lui dans une grotte. Or, Isma, ce nom qui l’enveloppe et la cache, signifie justement ‘nom’ en arabe ! Ce jeu sur le nom n’est pas sans rappeler Ulysse qui échappe aux cyclopes en affirmant s’appeler ‘personne’. Mais il y a plus : Les deux compagnons qui partagent cette grotte pendant cinq ans, s’appellent respectivement « Andros », « l’homme » en Grec, et « Isma », « le nom » en arabe. L’identité est une énigme : Dans la grotte / caverne platonicienne, l’homme fait face au nom qu’il ne déchiffre pas.
Pendant cinq ans, Athanasia, a espéré qu’« Andros la reconnaîtrait » (72). Pendant cinq ans, elle a hésité à révéler son identité à son époux, mais elle s’est tue « sans toutefois perdre l’espoir de lui parler un jour » (73). Quand Athanasia rencontre Cyre et Marie, Andros vient juste de mourir. L’agonie d’Andros est un épisode clef dans notre étude. Penchée « au-dessus de l’agonisant, [elle] hésite encore à tout lui révéler » (53). C’est toujours en tant qu’Isma qu’elle lui demande: « Bénis-moi » (ibid). Athanasia reste « au bord de l’aveu » (ibid), avec une conscience aiguë de l’urgence : « Si elle décide de parler, il faut faire vite. Elle hésite de nouveau » (54).
Ouvrant soudain les yeux, Andros s’écrie alors : « Tout est lumière, Isma » (74), et la première réaction d’Athanasia est de souhaiter « s[’]enfoncer, s[e] dissoudre » (ibid) dans le regard de paix d’Andros. Mais elle se ressaisit, quand elle réalise que son époux « n’a que quelques instants à vivre » (ibid). Elle « s’accroche des deux mains à la couche du mourant et, dans un tumulte d’amour et d’effroi, murmure : – Je suis Athanasia ! ” (ibid). La révélation du nom caché sous le nom d’Isma (le nom), provoque une émotion paroxystique que Chedid rend par une métaphore elliptique « la grotte entière prend feu » (ibid). On pense à l’effet produit, selon la tradition biblique, par l’énoncé du tétragramme divin : « Le nom [divin] est-il prononcé à haute voix, la terre entière est frappée de stupeur » (Chevalier, 676). Pour Cyre, nous avions évoqué la symbolique du nom dans l’Égypte ancienne, auquel le personnage se rattachait. Pour Athanasia, mère d’un martyre chrétien, l’évocation est biblique.
Après la mort d’Andros, Athanasia sort en courant de la grotte-tombe et dévale la pente, sur laquelle viennent d’arriver Cyre et Marie. Les deux premières questions d’Athanasia portent alors sur l’identité des deux femmes : Elle demande à Cyre qui elle est, « sans chercher de réponse » (79), puis, tirée d’elle-même par le regard brûlant de Marie : « Comment t’appelles-tu? » (80). À la réponse de Marie qui énonce leurs deux noms et lui demande le sien en échange, elle dit « Je viens de perdre mon époux » (80), amenant le narrateur à nous faire remarquer qu’elle « n’a plus de nom » (ibid). Ce n’est que le lendemain, après une nuit de veille mortuaire de trois pages, qu’à Marie, qui lui fait remarquer qu’elle ne lui a pas dit son nom, elle répond enfin: Athanasia. Isma est finalement redevenu Athanasia.
Conclusion
Le nom, écrit, dit, caché, révélé, est une énigme. L’identité, comme le désert, est faite de signes à déchiffrer. Le désert est pour Cyre, Marie et Athanasia le lieu d’un non-dit à interpréter et à conquérir. Espace atopique, il est ce lieu-charnière qui vitrifie les certitudes et oblige à une relecture de soi. « Le désert détient la parole du dévoilement » (Naissance du désert, p. 13). Loin d’être l’espace de la vacuité, il est le miroir de notre rapport au vide. S’inscrire sur le vide ou faire résonner son nom contre le silence, c’est prendre possession de l’espace et y laisser sa trace absolue.
Lévi-Strauss nous apprend que dans les traditions primitives, le nom est force et connaissance, noyau énergétique que chacun est amené à mettre au monde. La conquête du nom passe par l’épreuve et les ténèbres de nos déserts personnels. « Dans l’incessant renaître » (1991 p. 82), le désert donne à déchiffrer « à perte de vue et de sens » (id., p. 84) le « cri de l’être » (id., p. 184). Ce cri, c’est le nom enfoui au plus profond de soi.
Bibliographie
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CHEDID, Andrée. Les marches de sable. Paris : Flammarion, 1981.
–. 1991. Poèmes pour un texte. Paris : Flammarion, 1991.
–. 1999. Territoires du souffle. Paris : Flammarion.
CHEVALIER, Jean et Alain Gheerbrant. Dictionnaire des symboles. Paris : Robert Laffont, 1969.
CORBIN, Alain. Le territoire du vide. Paris : Flammarion, 1988.
DAGRON, Chantal et Mohamed Kacimi. Naissance du désert. Paris : Balland, 1992.
http://www.fandemusique.com/chanson-30657.html
JABES, Edmond. Le Soupçon Le Désert. Paris : Gallimard, 1978.
LAURENT, Alain. Histoires de déserts. Paris : Sortilège, 1998.
LEVI-STRAUSS, Claude. L’identité. Paris : P.U.F., 1987.
ONDAATJE, Michael. The English Patient. New York : Random House, 1993.
TRITSMANS, Bruno. « L’Ecriture du désert dans Les Marches de sable d’Andrée Chedid », Les lettres romanes, 1991, tome XLV, no :1-2, p.109-115.