Frosa Pejoska-Bouchereau
INALCO, Paris, France
frosa_pejoska@yahoo.fr
Le Théâtre contemporain macédonien entre tradition et modernité
Contemporary Macedonian Theatre Between Tradition and Modernity
Abstract: For more than five centuries (1371-1913) Macedonia was under Ottoman domination. Oral tradition with its songs, tales, legends, proverbs, rites, was during that time the place of privilege where the discourse of Macedonians on Macedonians was carried on in secular language. Poetry and theatre are the continuation of this tradition; dramatic authors the new Aedes. Theatre is situated between the oral expression and writing. At the beginning it was completely impregnated with the oral. The themes belonging to oral tradition served the writing of the texts; the lyrical songs embodied the text; proverbs were rejoinders; rites were enacted. Prose was born with drama, but anchored in the oral tradition. Theatre was also an arm of combat, a revolutionary tribune. Revolutionaries used it to educate, awaken and bring the Macedonian people to revolt. Contemporary dramatists dwell between the awakening of the national consciousness and its affirmation and the consciousness awakened, but hopeless. We will particularly lay stress on two of these: Dejan Dukovski and Jordan Plevneš, authors with international fame. Dejan Dukovski and Jordan Plevneš are not of the same generation, not even belonging to the same literary currents, although they share the same concern: to re-think theatrical writing to adapt it to their era. Dukovski’s “in-yer-face” involves the spectator bluntly in becoming an actor in his world and not a simple observer, striking him in the face to force him to see what he would reject. Plevneš’s writing (writkilling-Ecrituerie) gives the sight of death which one does not wish to see, the death of the human cut off from his humanity. Violence is done to our eyes, before our eyes, violence stripped it off and displayed naked! Dukovski and Plevneš are two desperados. Plevneš makes invisible mourning visible. Dukovski makes sorrow of all past and present illusions about this world.
Keywords: Macedonian Literature; Theatre; In-yer-face; Dejan Dukovski; Jordan Plevneš.
La Macédoine fut pendant plus de cinq siècles (1371-1913) sous domination ottomane. La tradition orale avec ses chants, contes, légendes, proverbes, rites, etc. est le lieu privilégié où se déploie le discours du Macédonien sur le Macédonien dans sa langue séculaire. La poésie et le théâtre sont la continuité de cette tradition en ce qu’ils préservent la voix, l’énonciation directe pour un auditoire toujours présent. De même que le Macédonien va au corzo le soir, il va au théâtre ou écoute de la poésie. Pays de poètes et de poétesses qui a, dès 1961, créé le Festival international de poésie avec ses célèbres soirées de Struga[1]. L’art oratoire y est très développé. En 1860, Grigor Prličev (1831-1893), se distingua à Athènes avec sa fameuse ballade en vers : Le Serdar qui lui valut la couronne d’or mais aussi le titre de deuxième Homère. Les auteurs dramatiques sont les nouveaux aèdes.
Le théâtre se situe entre l’oralité et l’écriture. À ses débuts, il est totalement imprégné d’oralité. Les thématiques de la tradition orale servent à l’écriture des textes ; les chants lyriques font corps avec le texte ; les proverbes sont des répliques ; les rites y sont mis en scène. La prose naît avec le drame, mais une prose ancrée dans l’oral. Le théâtre est aussi arme de combat, tribune révolutionnaire. Les révolutionnaires l’utiliseront pour éduquer et éveiller le peuple macédonien. Entre l’éveil de la conscience nationale et son affirmation et la conscience éveillée mais désespérée se situent les dramaturges contemporains. Nous nous arrêterons, plus particulièrement, sur deux d’entre-eux : Dejan Dukovski et Jordan Plevneš, de renommée internationale.
I. Dejan Dukovski[2] ou l’impossible consolation
Vojdan pope Georgiev-Černodrinski[3] (1875-1951), en émigration à Sofia[4], en Bulgarie, fonda le 13 mai 1901 une troupe théâtrale nommé Skrb (affliction) i(et) Uteha (consolation). Comme la plupart des émigrés, il participait activement au mouvement de libération de la Macédoine et était en contact avec les révolutionnaires du VMRO[5]. Il éprouva la nécessité d’écrire une pièce dont la langue et le sujet seraient macédoniens. Il s’inspira d’un fait divers de l’époque paru dans le journal Reformi et écrivit en 1900 : Les Noces de sang macédoniennes, pièce en 5 actes.
Dans cette œuvre, les personnages sont nettement déterminés, il y a les bons, il y a les méchants. Les bons ce sont les chrétiens et en particulier les Macédoniens opprimés, asservis, dominés par l’Empire ottoman et qui subissent violences et injustices de la part des méchants qui sont les représentants de l’Empire et non les Turcs seulement, car un Turc paysan pouvait être du côté des opprimés.
L’affliction, c’était la situation des Macédoniens. Alors qu’ils avaient activement participé à toutes les luttes, insurrections et guerres de libération des peuples balkaniques, ils sont restés, seuls, sujets de l’Empire, lors même que tous les autres peuples avaient gagné leur liberté et fondé leurs Etats. La consolation devait se voir dans la libération de la Macédoine, dans sa reconnaissance et la création de son Etat à travers la lutte révolutionnaire.
La pièce fut mise en scène avant même qu’elle ne soit achevée, il y avait urgence, car c’était un combat. Le jour de la première à Sofia, ce sont des membres du VMRO qui, armés, surveillaient l’entrée du théâtre, les artistes étaient également armés. On ne plaisantait pas. Le théâtre est un spectacle mais ce n’est pas du spectacle. L’Etat bulgare aussi avait compris l’enjeu de cette pièce d’où les interdictions. Elle s’inscrit dans un contexte politique bien déterminé, lui aussi. Le public est composé de l’émigration politique et économique (les pečalbari) macédonienne. Elle remporta un très grand succès ; jouée plus de 1000 fois en 20 ans, un film de Slavko Janevski fut réalisé en 1968.
Le mouvement révolutionnaire intérieur se servira du théâtre comme d’une tribune privilégiée au service du peuple macédonien. Le théâtre est à la fois instrument pour exprimer la vérité sur la vie du peuple macédonien dans sa langue mais aussi pour l’éveiller à la révolution. C’est ce qu’on appelle la période de la Saint Elie (deuxième période du théâtre macédonien), en référence au soulèvement révolutionnaire d’Ilinden (2 août 1903) et la création de la première république des Balkans, la République de Kruševo.
Quelques temps avant, le « Géant » (Jordan Adji Konstantinov-Djinot-1818/21 ?-1882), avait inventé le théâtre « scolaire » ou « didactique ». Il s’agissait d’éduquer les Macédoniens, de les amener à la révolte contre le patriarcat grec et contre les phanariotes. Comme Černodrinski, il n’avait, pas la prétention d’écrire des œuvres d’art. C’étaient des pièces d’un acte, bien souvent la reprise d’œuvres classiques qu’il adaptait au public de son époque ou des dialogues en langue macédonienne qu’il écrivait d’après les idées des lumières,. Elles avaient d’autant plus d’impact qu’elles étaient jouées dans les écoles et lors de fêtes. Elles touchaient une large partie de la population macédonienne. Il fut emprisonné et banni à plusieurs reprises, envoyé jusqu’en Asie Mineure (1880) où, sous la torture, par un coup de fouet, il perdit un œil, et mourut subitement à son retour.
Le « Géant » avait ouvert les portes du théâtre macédonien, au prix de sa vie. Il est le représentant de la première période du théâtre macédonien, celle de la Renaissance[6]. Černodrinski n’était pas sans le savoir. Son engagement est dans la droite ligne de « Djinot » et de son époque.
La question d’Orient, la question macédonienne, la pomme de discorde, la poudrière des Balkans…, une seule et même chose : la Macédoine !
Dejan Dukovski, à mon sens, débute dans le théâtre en inscrivant sa macédonité. Le titre Baril de poudre pourrait être traduit par Macédoine et non pas Balkans, car le baril de poudre c’était la Macédoine et cela reste, dans une certaine mesure, la Macédoine. En effet, c’est elle qui est à l’origine de nombreux traités, d’insurrections et de guerres. Si de Balkans il y a, pour Dukovski, c’est pour y intégrer ce qui d’ordinaire n’y figure pas, comme n’y appartenant pas : le peuple macédonien. En effet, dans les Balkans il y a des Serbes, des Bulgares, des Roumains, des Albanais, des Grecs mais les Macédoniens posent problème : sont-ils ce qu’ils affirment être, n’ont-ils pas usurpé une identité qui ne leur appartient pas ou sont-ils ce qu’ils ne sont pas, ou tout simplement ils ne sont pas.
C’est la première fois dans l’histoire qu’un peuple ne peut pas choisir le nom de son Etat, doit utiliser une appellation provisoire : L’Ancienne République Yougoslave de Macédoine (ARYM) ou L’ex-République yougoslave de Macédoine (ERYM) ou Former Yugoslav Republic Of Macedonia (FYROM), dans les usages officiels avec les Etats qui ne l’ont pas reconnue sous son nom constitutionnel (se voir refuser son entrée à l’OTAN et l’UE, pour les mêmes raisons), doit changer à trois reprises sa constitution et doit changer son drapeau. Ce sont les fondements même de l’Etat qui sont remis en question. D’où son statut d’« illégitime ». Chez Dukovski, lorsque Balkans il y a, c’est donc pour re-légitimer ce qui en est exclu.
Lorsque cette pièce fut mise en scène, pour la première fois à Saint-Etienne, en version française, traduction de Tatiana Acinović, de nombreuses modifications y furent apportées mais l’une d’elle est révélatrice de la représentation des Macédoniens et de la Macédoine. « J’ai en rien à foutre de la tragédie des Balkans et de la lutte éternelle de nos peuples »[7]. Or le texte original dit : « Je n’en ai rien à foutre de la tragédie des Balkans et de la lutte éternelle du peuple macédonien » (Baril de Poudre, p.66).
La Macédoine est une terre convoitée et conséquemment une terre contestée, son peuple nié. Nous sommes à une époque où la négation est à son paroxysme.
Qu’engendre la négation ? Le traumatisme extrême. L’obsession de la négation. Le positionnement face à la négation. Le questionnement sur l’identité ou plutôt la non-identité. La négation de la négation. La dénégation. « Je n’en ai rien à foutre de la tragédie des Balkans et de la lutte éternelle du peuple macédonien » (Baril de Poudre, p.66). Il faut, bien sûr, lire le contraire.
Au contraire de Černodrinski, Dukovski ne voit pas de consolation. Impossible paix, impossible réconfort. Désespoir, fuite ou suicide des personnages[8]. Les choses et les êtres sont ce qu’ils sont et leur contraire à la fois. Pour Dukovski, il n’y a pas de certitudes, règnent le doute, la trahison, de fausses amitiés, de faux ou impossibles amours, la violence et la guerre.
Dukovski est l’écrivain de son époque, une époque en perte de repères identitaires et de définition, doublée pour Dukovski d’un pays et d’un peuple en quête permanente de repères et de reconnaissance d’identité.
Dukovski opère une reprise de Černodrinski dans Balkans’ not dead. Plus d’honneur, plus de bons et de méchants. Le même personnage peut être à la fois soucieux de l’honneur et déshonorer ce qu’il a de plus cher. Le méchant peut aussi aimer, avoir un cœur et en même temps sacrifier ce qu’il aime le plus. Les couples, considérés comme incompatibles : macédonienne-turc, turque-valaque, grecque-turc, et on pourrait décliner ainsi les différentes combinaisons possibles, se forment sans que cela change quoi que ce soit. Les personnages sont interchangeables. Le reste n’est qu’idéologie, illusion, mensonge. Seuls les illusionnistes tentent de rendre réel l’irréel (Houdini, Trucky, De l’autre Côté), ils détiennent une vérité sur un monde dont ils sont les créateurs à défaut de trouver leur définition et celle de la vie.
Plus on avance dans la création des pièces, plus la scène se vide de personnages (L’autre côté). Plus le désespoir est aigu. Dukovski crée le vide. Le vide sur scène, pendant du vide de l’humain qui cherche en l’autre un potentiel initiateur, celui qui par sa connaissance et reconnaissance permettra de le réagréger à la société de laquelle il a été exclu. Mais ce sont des « crétins » et l’homme semble condamné à s’initier seul, les autres étant pareillement plongés dans leur solitude ne peuvent être d’aucune aide, d’aucune consolation.
Sur le plan métaphorique ne serait-ce encore et toujours cette Macédoine qui se vide de sa population et dont on ne reconnaît pas l’existence, exclue, rejetée. « Où est-ce que nous avons fait capoter notre affaire, nous ? » (Baril de Poudre, p.61) ; Croquer la Pomme, cette pomme de discorde, est un rêve impossible suivi immédiatement par la mort (« Elle s’est décomposé avant que je croque dedans. Je savais que là, c’était la fin » ; « Il prend la pomme. Il essaie de la croquer. Il meurt » (Baril de Poudre, p.77-78). Est-ce la métaphore de la mort de la Macédoine et conséquemment de la mort des Macédoniens. La mort de la pomme engendre la mort. La pomme croque les êtres. Elle fait d’eux des croquemorts.
Dukovski se trouve de l’autre côté par rapport à Černodrinski. Il est son opposé. L’un est l’espoir et plus encore l’espérance l’autre plus que le désespoir : la désespérance. Rien d’étonnant, ils sont l’envers et l’endroit d’un drame qui continue de se jouer sur la scène du monde et bien souvent aussi en coulisses ! Tous deux auteurs de leurs époques et de leur espace, entièrement investis du nous, seul le public a changé.
II. L’Écrituerie : Un théâtre post-tragique selon Jordan Plevneš[9]
Les œuvres dramatiques de Jordan Plevneš s’inscrivent dans la tragédie. La « tragédie à l’envers » ou la « post-tragédie » afin d’en « finir avec la tragédie » et expliquer le sens tragique de l’existence de l’homme contemporain.
En quoi cette tragédie se démarque-t-elle de la tragédie antique, classique ou même moderne ? En quoi représente-t-elle « l’art du futur » ?
Par « tragédie à l’envers », il faut comprendre la tragédie qui commence par la fin et non par le début. Quelle est cette fin, et quel est ce début ? La fin, dans la tragédie classique est ce vers quoi tant le drame : la mort, sans laquelle il n’y aurait pas de tragédie. La tragédie à l’endroit serait donc la tragédie qui a pour dénouement la mort qui vient clore le récit ; mort sur laquelle tombe le rideau noir du deuil. La scène devient alors la tombe matérialisée d’une individualité.
Avec la tragédie à l’envers, le rideau se lève sur la mort. La scène débute avec la mort : « Issidore : Au commencement était la tombe »[10]. Et le drame tente désespérément de se débarrasser du tragique par une ouverture sur la vie/le bonheur, cette « idée neuve » :
Europe
Aujourd’hui, dans les villes affamées de l’humanisme, je décide de ne plus pleurer. Ma tragédie est terminée. Toutes les horreurs ont été consommées. Ce qu’il y avait de pire au monde, vous l’avez fait. Alors, riez, maintenant que vous êtes tous coupables. Riez idéologues, prévisionnaires, analphabètes modernes. Riez, l’histoire est finie, l’idéologie est morte, il ne vous reste plus que le bonheur, alors qu’attendez-vous ?[11]
Tentative vaine car au lieu de s’ouvrir sur la vie, le drame tire les protagonistes vers la mort. Aussi le drame, qu’il soit à l’endroit ou à l’envers, figure-t-il la mort ou le rien qui est un vide, le vide de la désespérance.
Par « post-tragédie », il faut entendre ce qui vient « après » la tragédie, c’est-à-dire, là encore, après la mort. En quoi cette tragédie veut-elle en finir avec la tragédie ? Cette tragédie voudrait en finir avec la mort, mais la mort n’en finit pas de mourir dans cette nouvelle tragédie. Mme Smrt [signifie « mort » en macédonien] « J’ai peur de ne jamais mourir »[12].
Elle ne cesse de revenir sous la forme de revenants (fantômes). Les tableaux que l’auteur nous donne à voir sont les tableaux de défunts qui se succèdent dans la galerie de la scène théâtrale. Ce musée de la mort, tel un mémorial attire la foule pour lui parler de ses morts, illustres ou inconnus, afin qu’elle n’oublie jamais les conditions de leur mort.
Ancêtres et ancêtres spirituels à qui l’on adresse un hommage, avec qui l’on partage interrogation et surtout doute, avec qui l’on dialogue. Dialogue avec les morts, dialogue sur les morts : monologue permanent de morts-existants. Ces morts-existants que sont les humains d’aujourd’hui.
La mort est personnage (Mme Smrt, Mortimer, Issidore, les fantômes, le squelette, etc.) La mort est thème. La mort est récit. La mort « cet assassin très cher » de l’humain d’aujourd’hui. Mais, de quelle mort est-il question ? Jordan Plevneš dira, « je n’ai pas le mal du pays mais seulement le mal du siècle »[13].
Certes, l’homme de la seconde moitié du XXe siècle qui a connu la guerre, la révolution, l’incendie d’Hiroshima, la bombe atomique, la trahison et, enfin, la honte de la Kolyma et la honte des fours crématoires, cet homme qui a été frappé dans sa famille à la guerre ou au camp, et qui simultanément a connu la révolution scientifique, certes cet homme-là ne peut aborder l’art de la même manière qu’avant[14].
Un changement essentiel s’est produit dans la littérature du XXe siècle. Elle n’est plus et ne peut plus être romantique dans le sens historique de ce mot, c’est-à-dire que l’écrivain ne peut plus donner libre cours à son imagination, ce moteur de la littérature. Certains événements produits par l’histoire de ce siècle sont si « irréels », si « fantastiques », qu’aucune imagination n’aurait pu les inventer. Il suffit à l’écrivain de leur donner une forme artistique, les « imaginer », c’est-à-dire utiliser les faits authentiques comme matériau brut et leur donner, grâce à l’imagination, une nouvelle forme, une forme littéraire. Ainsi, ces faits ou ces événements réels, parce qu’ils paraissent irréels, deviennent « littéraires ».
J’ai vu moi-même, de mes propres yeux, deux cents ou trois cents mille morts en Bosnie où j’ai joué Chopin et j’ai ressenti la Chopinisation de ma tragédie qui n’exclut pas tous les autres génocides et massacres des civils partout dans le monde[15].
Je jouerai seulement pour les morts !
Fini le temps que je me suis donné pour les vivants, je vais consacrer le reste de mes jours au cimetière du monde[16].
L’humain ne s’appartient plus. Il est habité par tous les morts du passé, il est obsédé par l’Histoire. Il devient un « transhistoricus ».
Le dernier Homme :
Parce que j’ai des raisons de ne pas me prendre pour un héros classique. Surtout pas ! La nécrophilie à la fin du XXe siècle a brisé la notion du héros et à sa place à établi la toute puissante information planétaire sur la tragédie humaine ! Nous sommes informés de tout ! C’est ça la différence entre nous et les héros classiques ! Ils n’étaient informés de rien et ils savaient tout ! Nous sommes informés de tout et nous ne savons rien ![17]
Le dernier Homme
Oui, bien sûr. Ce matin j’ai pris mon petit déjeuner dont le contenu était le suivant : 18 morts à Jérusalem, 3 morts à Beyrouth, 15 morts à Sarajevo, 23 morts au Mexique, 3000 morts au Rwanda, 12 attentats accomplis, trois guerres en germe et quatre résolutions internationales du Conseil de sécurité des Nations Unies… J’ai bien mangé, merci ![18]
La littérature devient écriture sur l’impensé réalisé, l’écrituerie, dont le plus important est le crime contre l’humanité, le plus grave de tous les crimes : le génocide. La tragédie collective sous la forme du crime collectif prend la place du meurtre individuel.
La dernière femme
C’est dans cette jeep que je vais mourir, sur la route vers la Bosnie ! Dans ce cas-là, au lieu de jouer pour les morts de Bosnie, tu peux jouer pour ma propre mort.
Le dernier homme
En ce moment, je suis occupé par les tragédies collectives ![19]
Dorénavant la tragédie qui en a fini avec la tragédie ne peut plus s’intéresser au meurtre individuel, aux « histoires tragiques »[20] mais à l’assassinat de masse. La tragédie est entièrement tournée vers le crime collectif. « Le dernier Homme. Partout où je me déplace, je cherche un endroit de la mort massive »[21]. La tragédie est donc entièrement tournée vers le passé, vers l’Histoire passée. La tragédie est le passé. Mais un passé qui ne pourra jamais passer. « Abraham-fils : Tout pue ici, tout empeste le passé ! » [22].
Le héros de cette tragédie, en tant qu’homotranshistoricus, n’est pas tué et ne tue plus l’homme, mais fait « revenir » les hommes massacrés et exterminés sur la scène. Le génocide en tant qu’« humanicide » « vise et réalise la sécation, la coupure, de l’humanité avec l’humanité »[23]. L’humain ressent en lui cette scission. Il est l’humain de la désappartenance.
La dernière femme
Dis-moi, mon amour, c’est toi ou un autre, ou est-ce toi qui es un autre ?
La dernière femme
Où es-tu, ton corps, ton âme, mon aimé, pourquoi tu viens sans toi-même, oh depuis combien de jours, j’attends ton retour ![24]
La dernière femme
Oui, il est absent même quand il est présent. Oui. Le jour où je déciderai de le tuer, je tirerai droit dans son absence. La seule chose que je garderai de lui, ce sera sa présence ! »[25].
Les héros que nous connaissons, de l’histoire ou des littératures, qu’ils aient crié l’amour, la solitude, l’angoisse de l’être ou du non-être, la vengeance, qu’ils soient dressés contre l’injustice, l’humiliation, nous ne croyons pas qu’ils aient jamais été amenés à exprimer comme seule et dernière revendication, un sentiment ultime d’appartenance à l’espèce.[26]
Il ne reste que des restes : dernier homme, dernière femme qui incarnent à eux seuls tous les hommes et toutes les femmes et ceux-là vivent ensemble dans « leurs solitudes parallèles ».
Ils sont l’« Un d’une humanité disparue. Ce monde de l’un est le reste d’un monde humain coupé »[27]. Une femme, Un homme : les derniers. Tout comme ils furent un homme et une femme au début de la création du monde, de l’humanité, ils ne sont plus qu’un homme et une femme sur le point de disparaître, quand l’humanité a disparue.
Dans l’écriture, je me suis mis à disparaître, d’abord en macédonien, et, depuis mon arrivée à Paris en 1988, en tant qu’exilé amphithéâtral, en français ?
J’ai donc bien appris cet art de la disparition[28].
La scène s’ouvre sur le tombeau ; un tombeau vide : un cénotaphe. Le « héros post-tragédien » doit remplir ce cénotaphe de tous les disparus. Puis, à son tour, comme rescapé de l’humanité une disparue, il disparaîtra, ou on le fera disparaître, et en tant que disparu trouvera sa place dans le tombeau vide matérialisé par la scène vide que laissera le rideau baissé.
(Maxime essaie d’échapper aux machinistes qui finissent par le maîtriser. Harnaché, il s’élève au-dessus du plateau, débitant à toute vitesse, en rafales, les dernières lettres de l’alphabet jusqu’à ce qu’il disparaisse dans les cintres. Le rideau, bien sûr, ne tombe pas sur l’ouverture du Barbier de Séville)[29].
Et comment m’en irais-je ? Cette scène est mon tombeau[30].
Par la mort publique qu’il se donne, l’humain veut retrouver son humanité ; retrouver cette part de lui-même qui lui a été dérobée par les « humanicides ».
Ces humains de la désappartenance ont un unique moyen de retour à l’humanité, l’écriture de la désespérance : l’écrituerie.
Le dernier homme
J’espère en rien ! Et j’en passe ! [31]
Europe
Maman, à qui dois-je m’adresser pour sortir de ce temps en moi, de ce temps en dehors de moi, de ce néant nommé l’histoire, où je suis tombée contre ma volonté, à qui : aux ecclésiastiques, aux astrologues, aux prophètes, aux révolutionnaires, aux réactionnaires, aux nationalistes, aux internationalistes, aux bourbeux, aux affamés, aux philanthropes, aux mafiosos, aux organisations humanitaires, aux chômeurs qui, par millions, envahissent la planète. Qui va réveiller à nouveau l’espoir ?[32]
Dejan Dukovski et Jordan Plevneš n’appartiennent pas à la même génération, ni au même courant pourtant ils ont un même souci : repenser l’écriture théâtrale pour l’adapter à leur époque. L’in-yer-face de Dukovski contraint, sans concessions, le spectateur à devenir acteur de son monde et non simple observateur en lui jetant « en pleine gueule » ce qu’il refuse de voir. L’écrituerie de Plevneš donne à voir la mort, celle que l’on ne veut pas voir, la mort de l’humain coupé de son humanité. Violence est faite à nos yeux, devant nos yeux, par la mise à nue, la mise à vue de la violence ! Dukovski et Plevneš sont deux despérados. Plevneš rend visible le deuil invisible. Dukovski fait le deuil de toutes les illusions passées et présentes sur ce monde, un monde « mal fichu, grotesque, infernal, esquinté, sans doute, mais tellement réel qu’il devient in-visible, ir-regardable au quotidien, le monde a besoin d’un théâtre pour “aller se faire voir” »[33]. Deuil… D’œil… Deuil… D’œil…
Bibliographie
Dukovski, Dejan, Quel est l’enfoiré qui a commencé le premier ? (trad. Harita Wybrands), Paris, L’espace d’un instant, 2004.
Dukovski, Dejan, Baril de poudre (trad. : Frosa Pejoska), Balkans’not ded (trad. : Jeanne Delcroix-Angelovski), L’autre côté (trad. : Harita Wybrands), Paris, L’espace d’un instant, 2006.
Plevnes, Jordan, La peau des autres, Paris, Anthropos, 1993.
Plevnes, Jordan, Le bonheur est une idée neuve en Europe, Tragédie à l’envers, suivie par Mon assassin très cher, éd. Est-Ouest Inter, 1997.
Plevnes, Jordan, Le bonheur est une idée neuve en Europe, Tragédie à l’envers, Paris, ERUDIF ANDO, 2000.
Plevnes, Jordan, Erigon, Paris, L’espace d’un instant, 2002.
Plevnes, Jordan, Dernier homme, dernière femme, Conspiration internationale en 100 tableaux avec prologue et épilogue, Skopje, Slovo, 2004.
Plevnes, Jordan, La huitième merveille du monde, Paris, La table ronde, 2005.
Spasov, Aleksandar, Koco Racin, Paris, éd. Unesco, 1986.
Ratsine, Kosta, Les aubes blanches, adaptation française Djurdja Sinko, Jean-Louis Depierris, Skopje, éd. Revue macédonienne, 1975.
Notes
[1] Le festival international : Soirées poétiques de Struga, l’une des plus grandes manifestations internationales consacrées à la poésie mondiale a réuni plus de 3 500 poètes, chercheurs et critiques littéraires.
[2] Dejan Dukovski est né le 25 avril 1969 à Skopje, en République de Macédoine. Diplômé en dramaturgie, à la Faculté des arts dramatiques de Skopje en 1990, il travaille en tant que dramaturge à la radio-télévision (1990-1993). En 1993, il est nommé assistant à la Faculté d’arts dramatiques et enseigne : « Le scénario de film et de télévision ». En 1996, il est maître de conférences au département de Dramaturgie. Membre de l’Association des écrivains depuis 2003. Ses premiers textes dramatiques sont : Le Grotesque balkanique (1988) ; Le dernier vampire balkanique (1989 ; Siljan Lacigogne ou Siljan Lachance (1991) ; Le géant et les sept nains (1991) ; Les Balkans ne sont pas morts (1992) traduit en français : Balkans’ not dead ; Baril de poudre (1993), Je nique la mère de celui qui a commencé le premier (1996) traduit en français : Quel est l’enfoiré qui a commencé le premier.
Il est le premier en Europe à inventer le mouvement théâtral « in-yer-face » (Dans ta gueule) avec son Baril de poudre, en 1993. Cette nouvelle écriture théâtrale des années 1990 intègre pleinement le spectateur qu’il s’agit de choquer par un langage et des scènes agressifs, provocateurs, extrémistes, violents, se jouant de toutes les normes morales. Il s’agit d’en « foutre dans la gueule » au public afin qu’il voit la réalité de près, afin qu’il ne puisse pas l’éviter ni l’ignorer.
Les œuvres de Dukovski connaissent un très grand succès, tant en Europe que sur les autres continents. Elles sont représentées en ouverture du Festival du jeune théâtre ouvert de Skopje, du Festival d’Automne à Rome, du MESS de Sarajevo, primées entre autres à la Biennale de Bonn, au BITEF de Belgrade (1997, grand prix pour son texte : Je nique la mère de celui qui a commencé le premier), au festival Vojdan Černodrinski de Prilep (1993, prix du meilleur texte pour Les Balkans ne sont pas morts, et en 1995 pour Baril de poudre).
Baril de poudre est la pièce la plus jouée, outre sa représentation sur la scène de Skopje en 1994, elle sera donnée sur près de vingt autres scènes internationales et en autant de langues. La pièce est également reprise cette saison par Dimitar Gošev à la Haus der Berliner Festspiele.
En France, certains des textes de Dejan Dukovski ont été présentés par Marie-Isabelle Heck à la Cité internationale universitaire de Paris à l’occasion de « Balkanisation générale » en 2002, par Véronique Bellegarde à la Mousson d’été en 2005, par Hubert Colas au Festival d’Avignon en 2006. Ses textes sont publiés aux éditions l’Espace d’un instant.
L’Autre côté, Lecture, Maison d’Europe et d’Orient – Paris – France / Créé le 20/10/2007.
Balkans’ not Dead a été créé en 1995 au Théâtre de Bitola par Saša Milenkovski.
Balkans’ not dead a été mise en scène par Dominique Dolmieu au Théâtre de l’Opprimé – Paris, du 18 au 29 mars 2009.
Quel est l’enfoiré qui a commencé le premier ? a été créé par le Théâtre de Syldavie, du 04 au 15 mai 2005, dans une mise en scène de Dominique Dolmieu.
Quel est l’enfoiré qui a commencé le premier ? a été mis en scène par Stuart Seide avec les élèves de la deuxième promotion de l’Ecole professionnelle Supérieure d’Art Dramatique de Lille, du 26 juin 2009 au 2 juillet 2009.
Dejan Dukovski est également cinéaste. Il a écrit les scénarios : Gris clair (1993), Baril de poudre (1995). Goran Paskaljević, en coproduction avec des maisons de production de la Macédoine, la France, l’Allemagne, la Turquie, la Yougoslavie et la Grèce, a réalisé un film à partir du scénario Baril de poudre qui a reçu le prix de la critique de l’Académie Européenne du film, le prix de la critique au festival international de Venise FIPRESCI (1998), et plusieurs grands prix dans toute l’Europe.
Dejan Dukovski était en résidence à la Maison d’Europe et d’Orient d’avril à juillet 2008. À cette occasion, dans le cadre du 4ème festival le « Printemps de Paris », son œuvre a fait l’objet d’une rencontre à Aneth (Aux Nouvelles Écritures Théâtrales), et il a participé à un « Bocal agité » avec Laurence Levasseur, chorégraphe, à Gare au Théâtre à Ivry sur Seine. Il a également été invité au colloque « Théâtre ciment de l’Europe » au Théâtre de la Ville en juillet 2008.
[3] Černodrinski est un pseudonyme qui signifie : Drim Noir, un fleuve de Macédoine. Černodrinski est considéré comme le fondateur du théâtre macédonien. Un festival de théâtre « Vojdan Černodrinski » a lieu tous les ans à Prilep, en juin.
[5] Organisation révolutionnaire macédonienne intérieure (en français ORIM), créée en 1893 à Salonique.
[6] Deux autres périodes suivront : la période Racin, du nom du célèbre poète macédonien : Koco Racin (1908-1943), et La période libre (ou période de la continuité), avec la création de la République de Macédoine au sein de la fédération yougoslave.
[7] La traduction de Tatiana Acinovic vient de la version inédite de Saint-Etienne qui n’a jamais été publiée. La référence en question est tirée de l’exemplaire que les éditions l’Espace ont préparé à un moment donné.
[8] Le suicide est un fait de civilisation qui semble se généraliser en Macédoine, où les hommes se suicident ce qui est très inquiétant selon les sociologues.
[9] Jordan Plevneš, poète, auteur dramatique et traducteur, notamment de Camus, de Sartre, d’Artaud et de Genet. Il est né le 29.10.1953, dans le village Sloeštica (Demir Hisar), en République de Macédoine. Diplômé de la faculté de philologie de Skopje avec un mémoire sur « Le théâtre populaire macédonien ». De décembre 2000 à 2005, il est Ambassadeur de la République de Macédoine à Paris et Délégué permanent de la Macédoine auprès de l’UNESCO. A partir de 2005, Associé du Bureau de la planification stratégique de l’UNESCO. Il a reçu de nombreux prix pour ses œuvres et a été fait officier de l’ordre des Arts et des lettres, le premier juillet 2008.
En 1980, il publie un recueil de poésie : La théorie du poison.
Plusieurs de ses pièces ont été traduites et représentées en Europe et aux États-Unis.
Erigon, a été créée pour la première fois en macédonien en 1982 au Théâtre Dramski de Skopje, dans une mise en scène de Ljubiša Georgievski. La pièce a reçu de hautes récompenses au festival Sterijino Pozorje de Novi Sad, et a reçu le prix de la meilleure pièce du Festival international de théâtre de Sarajevo en 1982. Elle a été traduite et jouée en Slovénie, Hongrie, Autriche, Pologne et Croatie, et publiée dans différentes anthologies de théâtre de l’Europe de l’Est. Un extrait en français a été publié dans le cahier de la Maison Antoine-Vitez De l’Adriatique à la mer Noire, sous la direction de Marianne Clévy et Dominique Dolmieu (Climats, 2001). Elle a été publiée aux éditions L’espace d’un instant, en 2002.
Mon assassin très cher a été créée au Théâtre des Deux-Rives, à Rouen, en 1991 et mise en scène par Patrick Verschueren.
La peau des autres (R) a été jouée dans une quinzaine de pays, elle fut adaptée en français par Anne Brigitte Kern et mise en scène par Jacques Seiler au Théâtre Silvia Monfort à Paris ; publiée chez Anthropos, en 1993.
Le bonheur est une idée neuve en Europe est sa première pièce écrite en français. La première création mondiale en langue anglaise a eu lieu en avril 1995, à New Haven et New York. Une première tournée européenne a eu lieu au mois de juin 1995 à Rouen. Une deuxième s’est tenue en août 1996, au festival Ohridsko leto en République de Macédoine. La présentation en langue française a débuté en mars 1997 au théâtre Maxime Gorki à Rouen puis au Romain Rolland de Villejuif et au Rutebeuf à Clichy ; publiée avec Mon assassin très cher aux éditions Est-Ouest Internationales la même année. Elle sera mise en scène en macédonien par Vlado Tsvetanovski au Théâtre Dramski de Skopje en 1997, puis présentée aux rencontres Charles Dullin à Paris en 1998 et la même année au Festival international du Théâtre expérimental au Caire (Egypte) et, en 1999, au Festival « Les nuits du château », à Cannes. Au théâtre Dramski, en République de Macédoine, elle a obtenu le prix de la « meilleure pièce », au Festival national du théâtre macédonien, en 1998.
Dernier homme, dernière femme, « une conspiration internationale en cent tableaux » a été représentée au Théâtre de l’Opprimé à Paris en 2001, au Théâtre Molière à Paris en 2003, au Théâtre Ephéméride à Val-de-Reuil et au Théâtre Darius Milhaud à Paris en 2005 dans une mise en scène bilingue (franco-macédonienne) de Dimitar Stankovski réalisée par les Théâtres Ephéméride et Dramski.
En 2003 a été publiée sa pièce : Le dernier jour de Missirkov, éditions Kultura, Skopje.
En 2003 a été publiée : Makedonium. Anthologie de la pensée politique et nationale macédonienne, éditions Dnevnik, Skopje.
Son premier roman : La huitième merveille du monde, a été publié en 2005.
Il est scénariste d’un long métrage : Le livre secret (2006).
[14] Varlam Chalamov, Tout ou rien, Verdier, 1993, p.49.
Cf. Albert Camus : « Ces hommes, nés au début de la Première Guerre mondiale, qui ont eu vingt ans au moment où s’installaient à la fois le pouvoir hitlérien et les premiers procès révolutionnaires, qui ont été confrontés ensuite, pour parfaire leur éducation, à la guerre d’Espagne, à la deuxième guerre mondiale, à l’univers concentrationnaire, à l’Europe de la torture et des prisons, doivent aujourd’hui élever leurs fils et leurs œuvres dans un monde menacé de destruction nucléaire. » Discours de Suède du 10 décembre 1957 (Conférence prononcée à Athènes sur l’avenir de la tragédie).
[23] Philippe Bouchereau, « Le génocide est sans raison », in L’Intranquille n° 6-7, Paris, 2001, p. 292. Voir aussi : « La désappartenance – penser et méditer le génocide », in L’Intranquille n° 4-5, Paris, 1999, p. 162-211. « Méditer la désespérance », in L’Intranquille n° 6-7, Paris, 2001, p. 298-329.
[26] Robert Antelme, L’espèce humaine, p.282-283, in Philippe Bouchereau, « Le génocide est sans raison », op.cit., p. 278-297.