Anca Muntean
Tarot et littérature
L’origine réelle du terme tarot reste inconnue même à présent, mais l’étymologie occulte le lie au mot latin rota («la roue de l’existence»), au terme sanscrit Tar-ô («étoile polaire» ou «guide»), à deux mots égyptiens («voie» ou «chemin») et Ro (qui se réfère au «roi», «royal»), tarot signifiant ainsi «la voie royale de la vie»; si l’on pense à la mythologie égyptienne, Tar et Ro peuvent être la déformation des noms des dieux Ptah («le Maître de la Création») et Ra («le dieu-Soleil»). D’autres occultistes le rapprochent à la Torah juive, ou bien, au mot perse Tarok, (signifiant «réponds-moi»).
Qu’il vienne d’Égypte, d’Inde, de Chine, ou qu’il soit l’œuvre même de Hermès Trismégiste, des Alchimistes ou des Kabbalistes, le tarot est censé renfermer dans ses cartes le jeu cosmique du devenir universel. C’est un Livre Mystérieux en corrélation avec plusieurs sciences hermétiques comme la kabbale, la numérologie et l’astrologie. En ce qui concerne l’utilisation pratique du tarot, il reste un moyen de connaissance. Le mélange des cartes correspond symboliquement à un retour au chaos originaire, oů tout est possible. C’est l’identification avec le Bateleur, la première carte du jeu.
Le tarot traditionnel, celui de Marseille, remonte au XVe siècle. Il se compose de soixante-dix-huit lames, dont cinquante six sont les arcanes1 mineurs et les vingt-deux autres, les arcanes majeurs. Les cinquante-six arcanes mineurs se constituent en quatre séries, Bâtons, Coupes, Épées, Deniers, de quatorze cartes chacune: Roi, Dame, Cava-lier, Valet et dix cartes numérales de l’as au dix. L’as est le symbole de l’élément pur dans sa force infiniment créatrice, c’est la source même de cet élément. Ces quatre groupes peuvent être attribués aux quatre composantes primordiales: le Feu, l’Eau, l’Air et la Terre.
Les arcanes mineurs incarnent des énergies créatrices, alors que ceux majeurs symbolisent les étapes de l’initiation. Les cinquante-six lames sont étroitement liées aux arcanes majeurs, fait visible sur la première carte du tarot, le Bateleur, sur laquelle se retrouvent les quatre éléments (le Bâton, la Coupe, l’Épée et le Denier) de la manière suivante: il tient dans ses mains le Bâton qui assurera son pouvoir sur la terre, tandis que la Coupe et l’Épée qui personnifient les deux voies de l’initiation, celle du cœur et celle de l’esprit, sont posées sur la table devant lui.
Les arcanes majeurs ou les Grands Mystères sont étroitement liés à l’évolution de l’être dans l’immanence et à sa possibilité de retourner à l’Extase Divine. Les vingt-deux arcanes peuvent être mis en corrélation avec les vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu, qui, conformément à la kabbale, recréent l’univers au niveau symbolique. C’est le nombre des vingt-deux lettres-voies de la Sagesse de l’Arbre de la Vie2, des canaux inter-séphirotiques qui lient entre eux les onze séphirots3, les sublimes principes métaphysiques de la Kabbale Hébraïque. Les Séphiroths eux-mêmes, ayant des attributs mystiques de Dieu, se développent sous la forme des trinités à l’intérieur desquelles les deux extrêmes sont unies par un terme moyen. Ils sont, donc, en concordance avec le sens allégorique des lames. Pour en donner un exemple, au Bateleur (la première carte du tarot), cause et point de départ de tout ce qui existe, correspond la Couronne Séphirotique.4
Dans le tarot, le nombre vingt-deux est fait de vingt et un arcanes numérotés et du Mat; le nombre vingt et un est celui de la perfection humaine (l’arcane numéro vingt et un incarne le Monde). Le Mat est «la parole donnée à cette perfection»5, tout ce qui anime et donne du mouvement à cet univers.
Le Bateleur contient en germe toutes les énergies virtuelles du tarot. C’est la première étape de l’initiation qui mènera à la connaissance absolue. Le dernier arcane dans le plan terrestre du tarot est le Pendu. Il achève l’initiation au niveau physique en faisant le passage vers le monde d’au-delà. La carte numéro douze conduit le néophyte à un monde renversé oů les moyens matériels n’ont plus d’efficacité. Le Pendu clôt un cycle d’évolution en ouvrant à l’initié la voie mystique; par sa position transcendante, il prépare la mort sous tous ses aspects. Un cycle complet d’évolution finit avec le Mat, qui est la plus mystérieuse, fascinante, inquiétante lame du tarot. Elle évoque un marginal qui n’a pas su apercevoir la profondeur de la pensée créatrice. Le Mat du tarot se trouve au-delà des murs de la raison et de la lucidité, en dehors des normes de la société. Le mot folie cache implicitement le sens de transcendance à cause du fait que le Mat s’en va en s’appuyant sur un bâton en or. Les occultistes voient dans ce bâton de couleur blanche (la couleur du secret et de l’initiation) la baguette magique du Bateleur qui ouvre les portes du monde invisible. Bien que passif sur le plan social, le Mat possède le pouvoir spirituel de transformer les instincts dans des forces dynamiques, vitales. Sa position dans le jeu du tarot est ascendante par excellence. Il est celui qui avance avec un élan solaire, tout comme le fou des échecs qui a besoin de vingt-deux mouvements pour finir son trajet sur la table du jeu.
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Le tarot, tout comme les autres sciences occultes (la kabbale, l’alchimie, la magie, la sorcellerie, la thaumaturgie, la gnose, etc.), occupe une place assez importante dans la littérature qui a comme source d’inspiration tout ce qui se rattache à l’occultisme. Les symboles du tarot ne sont pas utilisés au hasard, mais de façon presque programmatique, justement pour souligner l’aspect initiatique de l’œuvre. Pour en donner quelques exemples, John Fowles fait référence directe au jeu du tarot au long du roman Le Mage; il décrit même l’arcane numéro un pour signaler les similitudes évidentes qui existent entre son personnage-magicien, Maurice Conchis, et le bateleur du tarot. Ouvreur et meneur du jeu, Maurice personnifie le point de départ de tous les événements, de toutes les manifestations qui déclenchent un changement dans le plan de l’évolution. C’est un personnage qui fait preuve d’habileté, d’initiative personnelle ainsi que d’imposture et de mensonge à la fois. Il est l’escamoteur, le créateur d’un monde illusoire. Le magicien-bateleur qui est Maurice a le pouvoir de contrôler ses propres forces pour redevenir vraiment un homme libre.
Nicholas Urfé est le personnage-néophyte du roman Le mage. Il expérimente toutes sortes d’histoires étranges, qui vont le guider vers sa propre vérité. L’espace sauvage de l’île Phraxos favorise la rencontre de Nicholas avec Maurice Conchis, qui aime se nommer Prospéro. Le royaume de Conchis, Bourani, mis sous le signe de Karayozis6, est plutôt l’espace de Circé oů le voyageur ne doit pas s’attarder longtemps. C’est l’espace de la tentation, de l’illusion, de l’irréel oů toute liberté n’est que fiction.
Un autre détail qui renvoie au tarot est le fait que le roman a soixante-dix-huit chapitres, le nombre des lames du tarot. Nicholas Urfé est le néophyte qui traverse, étape par étape, chaque arcane du tarot. Maurice Conchis peut être rattaché aussi à l’image de l’Hermite, parce qu’il est le guide spirituel de Nicholas à Phraxos. D’ailleurs, pour les villageois, il est un anachorète qui se retire des regards des curieux. Personne ne le rencontre, on a seulement l’intuition de sa présence. Maurice Conchis est le personnage qui se cache toujours derrière un masque quelconque, il est le démiurge–farceur, qui gouverne son univers, l’artiste qui préfère vivre dans un espace fictif, ayant la conscience de cette fictionalité. Maurice est, sans doute, le metteur en scène qui prépare attentivement chaque mouvement de ses acteurs. Il croit s’assumer le rôle de Dieu, en modelant la matière qui l’entoure.
Ce personnage étrange est aussi le Mat-imposteur, qui ne sait pas exploiter les forces occultes à l’aide des livres mystiques comme le fait Prospéro de William Shakespeare (qui commande aux esprits de l’air en s’appuyant sur le Livre Kabbalistique de la Création). Sans doute, Prospéro est un vrai magicien, il parle aux éléments et sait provoquer des tempêtes. D’ailleurs, Prospéro harmonise les deux tendances contraires qui existent sur son île. Il s’agit de Caliban (l’instinct) et Ariel (l’esprit). En fait, l’île est la projection de son univers intérieur. Il y est le démiurge omniprésent. Si l’on insiste sur la figure de Prospéro, on voit que cet œil qui contrôle tout cherche son salut dans la solitude, tout comme l’Hermite du tarot. La baguette qu’il utilise incarne le pouvoir magique, la force occulte qui peut influencer le hasard du jeu et du destin (hasard matérialisé par l’existence des dés sur la première carte du tarot).
À partir du personnage de William Shakespeare, John Fowles a créé un autre Prospéro, plus moderne, qui a des connaissances de psychanalyse et qui est conscient de ses pouvoirs sur les autres. Il est le Bateleur prêt à initier le personnage qui est assez courageux pour se regarder soi-même dans le miroir de sa propre conscience.
Les deux Prospéro préparent l’initiation sous tous ses aspects et donnent accès à une réalité autre. Ils gouvernent leur propre univers et guident les personnages vers une étape supérieure de l’évolution spirituelle.
Si John Fowles fait référence seulement à une carte du tarot (le Bateleur), Gustav Meyrink utilise la symbolique de toutes les cartes, insistant sur l’image du Pendu, qui coïncide chez lui avec celle du golem. D’ailleurs, l’univers fictionnel de son roman, Le Golem, est mis sous le signe de l’occultisme, le tarot y reflétant le chemin initiatique à parcourir jusqu’à l’illumination. Apparition étrange et bouleversante, le golem est celui qui définit le mieux le quartier hébreu de Prague. Chez Meyrink, il est le messager de l’irrationnel qui se matérialise tous les trente-trois ans pour guider quelqu’un d’autre vers l’état de pendu.
Il faut noter le fait que le Pendu signale le dédoublement conscient du corps astral devant le corps physique. La quête indiquée par le Pendu est plutôt intérieure qu’extérieure. Il représente une véritable régénération pour celui qui a dépassé chacune des onze étapes précédentes.
Le personnage de cet arcane, tout comme le personnage de Gustav Meyrink, est pendu par son talon droit. Le talon est le lieu de la blessure originaire parce qu’Eve a été mordue au talon par le serpent-tenteur; Œdipe7 a été suspendu d’un arbre par le talon au lieu d’être tué; Achille porte son humanité dans son talon vulnérable. Être pendu par le talon signifie être conscient de la condition réelle de l’humanité, accepter son destin, ou bien, se sacrifier pour une cause noble. L’aspect le plus important de ce type de pendaison est la manifestation du divin qui se réalise par l’intermédiaire de celui qui est pendu. La forme dans laquelle est posé le pendu ressemble à une croix. Ce signe est le symbole de la Grande Œuvre des alchimistes.
Le Pendu est, sans doute, une étape décisive dans le chemin initiatique qui finit par l’accomplissement du Soi. Au niveau symbolique, cet arcane peut correspondre au retour à l’état primordial (la position du fœtus dans le ventre de la mère est la tête en bas).
Le Pendu désigne une situation cruciale; Marcel Picard propose un parallélisme avec Jésus-Christ crucifié, qui est cloué à une croix en bois et suspendu dans l’air. Jésus, tout comme le Pendu, n’appartient plus à la terre, son corps est spiritualisé, divinisé. Le personnage pendu suit une voie verticale, ascendante, (la corde est un symbole de l’ascension), orientée vers l’intérieur. Il établit une relation indestructible avec la divinité. Marcel Picard fait référence à Jung quand il étudie la relation de l’arbre avec le pendu. Pour Jung, l’arbre représente l’image de l’individuation, sous son aspect inconscient. Selon Jung, le Pendu s’abandonne totalement à la nature. Dans l’image d’un pendu, C.G.Jung voit une réalité unique: l’âme pri-sonnière dans le corps et la nature dans toute sa splendeur. Annick de Souzenelle parle de l’Arbre vert et de l’Arbre rouge faisant la liaison entre l’arbre et le corps humain (pour mieux démontrer la complémentarité de la chlorophylle avec le sang). D’ailleurs, d’après la Kabbale, l’Arbre de la Vie peut être comparé au corps humain. Par extension, Annick de Souzenelle suggère la présence de l’Homme vert et de l’Homme rouge, l’homme rouge étant, par exemple, Adam (en hébraïque, adamah signifie terre rouge et dam, c’est le sang) tandis que l’homme vert serait l’homme dans la dimension divine.
En ce qui concerne le Pendu, l’homme rouge est celui qui doit être initié afin qu’il puisse atteindre l’état d’homme vert; Annick de Souzenelle utilise les termes de frère rouge et de frère vert pour désigner le pendu et, respectivement l’arbre qui sert de pendaison. D’ailleurs, il y a des cartes du tarot sur lesquelles on peut bien visualiser l’image des deux frères.
Revenant au roman, la chambre oů se retire le golem fonctionne comme un miroir qui reflète l’intérieur du personnage-néophyte qui est Athanasius Pernath. Il se retrouve dans ce lieu étrange, métamorphosé dans le Bateleur du tarot. Athanasius emmène la carte avec lui, ce qui implique, au niveau symbolique, l’évolution ascendante. Le rejet du Bateleur aurait signifié le blocage de l’ascension.
Alfons van Worden est le héros central du roman Le manuscrit trouvé à Saragosse, l’œuvre de Jan Potocki. Tout le roman traite de l’initiation d’Alfons, initiation qui a comme but la reconstruction des relations entre Alfons et ses ancêtres musulmans. Bien que tous les évènements dont Alfons est le témoin semblent sortir de l’univers fascinant des contes de fée, le chemin qu’il suit est rigoureusement calculé.8 Pourtant, cet aspect n’influence pas l’impression d’irréel et de rêve que parfois Alfons ressent, n’étant plus confiant de ses propres sens. Les pendus représentent le premier obstacle qu’il doit surpasser. Ils se trouvent dans la vallée Los Hermanos, un endroit désert, pas du tout accueillant. Emine et Zibèlde sont les deux apparitions féminines qui renvoient à la carte numéro six du tarot, l’Amoureux. Elles proposent deux voies différentes dont le choix est presque impossible. Si, dans la réalité musulmane des filles, la polygamie est acceptée comme quelque chose d’habituel, dans le monde chrétien d’Alfons, elle est tout à fait impossible, la monogamie étant l’unique possibilité. À cause de leurs apparitions enveloppées de mystère, Alfons n’est pas toujours sûr s’il a affaire à des êtres réels ou, plutôt, à des tentations diaboliques. Chaque expérience du sacré semble être punie par l’image de la pendaison, c’est-à-dire, tous les personnages qui servent à un moment donné de guide pour Alfons se réveillent, un matin quelconque, auprès des pendus. Au niveau symbolique, les pendus font aussi le passage vers la propre imagination. Potocki ne donne pas de références concrètes au Pendu, comme le fait Meyrink, mais Alfons joue aux cartes du tarot tout au long de son pèlerinage dans le monde. D’ailleurs, dans l’univers fictionnel de Potocki, le tarot est une présence qui ne doit pas être ignorée.
L’arcane sans nom (la Mort) se retrouve sous la forme d’obsession de la mort, tout comme d’angoisse du néant, à travers toute l’œuvre d’Eugène Ionesco. Cette carte inspire de la peur, même de la terreur par son aspect tranchant et définitif. Au niveau psychologique, elle signifie la libération des aspects négatifs, des forces destructrices et en même temps régressives. Dans les mythes, la Mort est la fille de Nyx (la déesse de la nuit) et la sœur du Sommeil et, tout comme sa sœur et son frère, elle a le pouvoir de régénérer.
Le roi se meurt reflète l’image même de la transition entre une réalité physique (le royaume du roi Bérenger Ier) et une autre, onirique. La découverte de la mort devient pour Bérenger la découverte de la vie. D’ailleurs, la figure du roi semble être une incarnation possible de l’Empereur du tarot, la matérialisation concrète de celui-ci dans le monde visible. Bérenger est le néophyte qui va être initié à la mort pour qu’il puisse enfin découvrir la vie. Il règne sur la matière tout comme le fait l’Empereur. Il modèle son royaume à son aise et il se projette dans l’univers physique qui l’entoure. L’image de l’Empereur dans les cartes du tarot invite à prendre possession de soi-même. La mort du roi signifie la mort de son univers. Son royaume est une projection de son âme, une matérialisation de tout ce que le roi représente. C’est pourquoi Bérenger n’accepte que difficilement de mourir. Tout comme l’Empereur du tarot, le roi ionescien est une allégorie de la royauté temporelle.
L’image des deux reines renvoie à l’Amoureux du tarot. Elles impliquent symboliquement un carrefour dans la vie du roi. Sans passé ni avenir, elles montrent précisément deux directions distinctes: Marguerite est la lucidité, l’incarnation d’un passé glorieux du roi, tandis que Marie représente l’exaltation affective et le présent incertain. D’ailleurs, l’image du carrefour renvoie à Œdipe. Marcel Picard affirme que c’est au carrefour qu’Œdipe rencontre son destin et tue Laïos. L’Amoureux se rattache à l’enthousiasme produit par tout ce qui est nouveau, mais aussi à l’interrogation angoissante de l’avenir. Il propose deux choix possibles, deux amours, deux orientations professionnelles. L’épreuve est d’en trouver l’équilibre et surtout d’assumer la voie choisie. L’Amoureux symbolise aussi les valeurs affectives et la projection de la double image que l’homme se fait de la femme. Cette image renvoie à la sœur-mère de la Bible. Donc, la présence des deux reines à côté du roi indique le fait que celui-ci a réussi à trouver un équilibre (bien que fragile) entre les deux voies intérieures qui le définissent. Marguerite et Marie peuvent être aussi deux perspectives sur la vie et sur la mort. Il est évident que Marguerite conduit le spectacle, qui a comme personnage-acteur central le moribond Bérenger. Il y a aussi des personnages secondaires (Marguerite, Marie, le médecin), et un public (le garde, la femme de ménage, les lecteurs).
Finalement, la pièce se clôt sur un voyage initiatique (inspiré par Le livre tibétain des morts et par les Upanishad). À mesure que la vie l’abandonne, le moribond se détache du monde et de ses proches, qui disparaissent un à un. À la fin, son moi se désagrège et s’évanouit. Heidegger définit l’acte de mourir comme «l’événement le plus individualisant de l’homme parce que le Moi qui meurt ne partage son expérience avec personne»9. De cette manière, Bérenger réussit à franchir une étape très importante de son évolution spirituelle. Par son passage mystérieux dans une autre dimension, le roi se trouve dans la position du Pendu, qui clôt l’évolution dans le plan physique et guide le néophyte vers la découverte du Soi.
Pour illustrer encore la relation étroite du tarot avec la littérature, chez John Steinbeck (il s’agit du roman L’hiver de notre discorde), la présence du tarot souligne les fluctuations du destin. Ici, l’auteur utilise l’aspect divinatoire du tarot pour montrer l’inconstance de l’être humain, qui est prêt à renoncer à ses vertus et qualités, seulement parce que les cartes le disent. Ethan, le personnage central de ce roman, se laisse influencer par le tarot et commence à organiser son avenir en accord avec ce que les cartes lui prédisent. On remarque l’influence majeure des deux lames du tarot, l’Amoureux et le Pendu. L’Amoureux est matérialisé par les deux femmes de sa vie, son épouse, Mary, qui lui offre l’équilibre familial, et Margie, la sorcière qui le tente par sa présence. Le changement brutal de caractère rattache Ethan à l’image de Pendu. Au long du roman, Ethan expérimente une résurrection à rebours, qui ruine sa vie.
Il faut signaler aussi le roman d’André Breton, L’arcane XVII, qui suit d’une manière précise le trajet imposé par la symbolique du tarot. La carte numéro dix-sept du tarot est l’Étoile. Cet arcane représente la source de la vie et le centre de la lumière; il personnifie une oasis de réconfort, une île de paix, d’espoir et de calme. Cette lame incarne l’image d’Eve; elle symbolise la nature et décrit l’harmonie universelle. Elle transmet l’inspiration artistique en éclairant le chemin du futur. L’Étoile sublime la sensibilité et donne la force à l’artiste de concrétiser ses impulsions et ses sensations. C’est la lumière qui sert de guide dans les ténèbres et qui protège le néophyte parvenu jusqu’à cette étape. D’ailleurs, toutes ces nuances se retrouvent dans le roman d’André Breton.
En fait, chaque œuvre littéraire qui implique une évolution spirituelle des personnages ou l’initiation qui dévoile les secrets de la vie et de la mort, peut être suivie en s’appuyant sur les étapes proposées par le tarot, sans s’y référant d’une manière précise. Selon C. G. Jung, l’initiation est l’étape qui précède la liberté intérieure. Il la décrit comme un passage par régression symbolique vers la vie intra-utérine. D’abord, le néophyte doit être conduit «au centre de la Terre»10, à un espace-temps oů le psychisme n’est pas encore différentié justement pour être en contact avec l’inconscient collectif. La phase mystique est inhérente à l’initiation et implique le passage par les mythes. La rencontre des créatures fantastiques constitue une épreuve décisive pour l’évolution du néophyte. Le but de toute initiation est d’assumer les ténèbres, pour pouvoir ensuite retrouver la lumière divine. À l’avis d’André Nataf11, la dualité Enracinement-Transcendance est définitoire pour la but de l’initiation. En ce qui concerne le tarot, il reste «une image du monde»12, une voie de la lumière qui mène à la sagesse.
Notes
1 L’arcan est l’image symbolique qui représente une étape dans l’évolution spirituelle.
2 En kabbale, l’Arbre de la Vie représente en même temps le macrocosme et le microcosme, materialisés par les onze séphiroths et les vingt-deux voies qui les unissent. C’est un schéma complet de la conscience humaine qui recrée l’acte de la Création.
3 Les séphirots sont les sphères qui forment l’Arbre de la Vie; en hébraïque, le mot séphirah (le singulier de séphirot) signifie nombre.
4 Les arcanes majeurs représentent dans l’Arbre de la Vie les voies initiatiques qui relient les séphirots.
5 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, éd. Robert Laffont/Jupitre, 1982, p. 924.
6 Karayozis est le nom du bouffon dans le théâtre des ombres grec.
7 L’étymologie du nom Œdipe remonte au grec: oidi (enflé) et pous (pied).
8 Cet aspect de son œuvre reflète la personnalité plurivalente de Jan Potocki, qui est l’homme de science (historien, ethnologue, linguiste), mais aussi l’homme fasciné par les mythes et par les légendes.
9 Heidegger cité par Eugène Ionesco in, Le roi se meurt (notes), Paris, éd. Gallimard, 1966, p. 137.
10 C.G.Jung, cité par André Nataf in Maeştrii ocultismului, Bucureşti, Editura Enciclopedică, 1995, pp.78-87.
11 André Nataf, op. cit., pp.78-87.
12 André Nataf, op. cit., p.128.
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