Eduardo Portanova Barros
Unisinos-RS, Brésil
PNPD/CAPES
eduardoportanova@hotmail.com
Ruy Guerra et Dionysos
ou la contre-utopie de l’imaginaire de l’auteur au cinéma: les racines de l’éthéré
Ruy Guerra and Dionysos
or the Counter-Utopia of the Imaginary in the Authorial Film: Ethereal Roots
Abstract: Post-modernity could be an alternative sensibility to the values sustained by the logic of rationalistic type. That means to say that, at the present time, it is already possible, with more clarity, to observe aspects such as the emotions, the feelings and the intuitions of an artist- in the case Ruy Guerra and of his imaginary. This is the aim of this article: to investigate Ruy Guerra’s path from the point of view of the imaginary, as theorized by Gaston Bachelard and Gilbert Durand. We focused on a film director who was a very active presence in the Cinema Novo (Brazil) of the 1960, a phase marked by political ideology, but also in the context of hedonist post-modernity. What interests us is to show the balance between subjective and objective coercions in Ruy Guerra (Gilbert Durand). We are not looking for a rigid answer, but for a constellation of factors in post-modern (counter) utopia.
Keywords: Ruy Guerra; Cinema; Imaginary; Post-modernity; Utopia.
Depuis les années 1960 et 1970, lorsque le Brésil était une dictature, le cinéaste mozambicain Ruy Guerra (né en 1931) qui vit à Rio de Janeiro depuis la fin des années 1950, produit (ou, comme il préfère, « fait ») du cinéma. Pourquoi ? Difficile à dire. Néanmoins, il est possible de tenter des approximations (et non des réponses) méthodologiques en affirmant, tout d’abord, que nous sommes, il faut bien l’admettre, dans une toute autre époque que celle du communisme (ou de sa fin) : dans la contre-utopie de la post-modernité. Qu’est-ce que c’est, alors, la contre-utopie post-moderne ? Si le terme post-moderne est une abstraction ou une métaphore de la réalité humaine, parce que le présent est plus vécu que rationalisé, cela signifie qu’une chose quelconque ne représente pas la Vérité. Et c’est bien ça la contre-utopie. Penser à une chose quelconque et savoir en même temps que cette chose à laquelle on pense n’est jamais là. Penser à Dionysos, par exemple, qui, avec les Bacchantes, dilacérèrent tout ce qui, au nom de la rationalité, récuse une effervescence fécondatrice. Penser à Guerra, un cinéaste qui, en utilisant une pensée bachelardienne, laisse à l’imagination le temps de travailler la matière cinématographique. Penser le contraire. Penser l’inverse ou l’éthéré.
C’est bien cela l’objectif de ce travail: observer les idées obsédantes, du point de vue de l’imaginaire contre-utopique localisé, parmi d’autres auteurs, dans la lignée de Gaston Bachelard (« imagination matérielle ») et Gilbert Durand (« cercle anthropologique »), d’un directeur cinématographique qui a travaillé aussi bien dans le Cinéma Nouveau (Cinema Novo) brésilien des années 1960 – une phase marquée par l’idéologie politique – que dans le contexte de la post-modernité hédoniste. Selon Maffesoli[1], c’est une sensibilité alternative aux valeurs soutenues par la logique d’empreinte rationaliste. Cela signifie que, à présent, il est déjà possible, avec plus de clarté, d’observer des aspects comme les émotions, les sensations et les intuitions d’un artiste – dans le cas Ruy Guerra – et de son imaginaire (rêves, contre-utopies, mythes et désirs). L’intérêt, dans ce cas, est de montrer l’équilibre, chez Ruy Guerra, entre la subjectivité et les contraintes d’ordre objectif (Gilbert Durand). Nous ne voulons pas chercher une réponse rigide, mais une constellation de facteurs. Constellation propre aussi bien à l’état de matérialité-règle qu’à la nature éthérée d’un vol cinématographique (la subjectivité).
Pour Bachelard, l’imaginaire n’appartient pas au royaume des nombres et des mesures. Par conséquent, selon Maffesoli[2], chaque objet ou phénomène est lié avec les autres : pour cette raison, il est soumis au changement et au hasard. Ce qui nous intéresse, alors, est la révision de la notion d’auteur cinématographique dans la post-modernité dans le sens d’une contre-utopie (ou anti-utopie) et du « trajet anthropologique », selon Gilbert Durand[3], d’un cinéaste, Ruy Guerra, qui travaille, aujourd’hui, d’une façon moins égocentrique (hypothèse) que dans les années d’avant-garde lorsque il représentait un rôle politique dans le Cinema Novo. Une analyse peut prendre en considération l’auteur comme un exemple abstrait, oui, mais aussi comme une personnalité qui s’exprime à travers la caméra. Il n’est pas question, ici, de découvrir ce qu’un directeur cinématographique comme Guerra pense derrière la caméra, mais bien d’admettre qu’un film, dans certaines circonstances, puisse être la représentation d’une individualité sensible et, seulement pour ça, il serait déjà justifié si nous considérons, comme dit Maffesoli[4], que le thème du sensible – on ajoute dyonisiaque et contre-utopique – pourrait être la marque de la post-modernité.
Si l’esthétique, matière première du cinéma, est la connaissance par le sensible, nous appellerons contre-utopie cinématographique chez Ruy Guerra le contradictoire de l’utopie de type réaliste. Mais notre intention n’est pas de traiter à fond – en soulignant ce qui est ou ce qui n’est pas contre-utopie chez Ruy Guerra – l’analyse d’une œuvre particulière. En effet, cette analyse ne se limite pas, puisque, selon Teixeira Coelho (1973), le fait esthétique permet des appréhensions variées aussi bien de l’individu même que de récepteurs multiples. Par conséquent, celle-ci est également ouverte, ce qui signifie, selon Eco: « […] que chaque spectateur apporte une situation existentielle concrète, une sensibilité personnelle conditionnée, une certaine culture, des goûts, des tendances, des préjugés personnels ». Si nous analysons un cinéaste pour rechercher chez lui une contre-utopie nous dénaturerions la notion avec laquelle nous travaillons dans cet article. Dans l’idée de contre-utopie l’impression sensible de l’interprétation compte plus que le rationalisme déconstructiviste, parce que, comme dit Merleau-Ponty, « […] la signification du perçu est seulement une constellation d’images qui commencent à réapparaître sans raison ». La créativité approximative ne peut pas créer, de manière forcée, une contre-utopie d’une œuvre cinématographique en essayant de la surpasser analytiquement.
Nous ne voulons même pas promouvoir une analyse descriptive et reconstructrice d’une œuvre, encore moins d’un seul film ou cinéaste pour justifier l’idée de contre-utopie, mais bien la considérer, dans la théorie du cinéma, comme une sorte de nihilisme. La contre-utopie cinématographique, qui est le sujet de cet article, découle donc de son contraire, l’utopie du réalisme. Pour l’interpréter comme « anti » ou « contre », au sens voulu, nous ne faisons aucune distinction entre ces deux termes, il faut comprendre la nécessité de ce qui est alogique. La logique disjonctive est représentée par le cinéma traditionnel (quelle que soit la tradition) et donc par l’esprit captif, parce qu’attaché à cette même tradition. La contre-utopie est déjà alogique et a également besoin d’un esprit, mais pas prisonnier de cette même tradition : libre. C’est un exercice de capacité, pas de savoir. Capacité de réaliser quelque chose d’une manière pertinente, pour paraphraser Nietzsche dans son aphorisme 256 sur la science. Et pas un savoir logique. La contre-utopie de Ruy Guerra est constituée, à l’instar de la foi, par une « adhésion que l’on sait au-delà des preuves, non nécessaire, tissée d’incrédulité et menacée à chaque instant par la non-foi », comme dit Merleau-Ponty. Elle est le visible et l’invisible.
Nous pouvons aussi considérer la contre-utopie, de façon analogue à la physique, comme une mesure de « l’inexploitabilité » (comme une quantité de chaleur non utilisable complètement pour sa transformation en travail). L’opposé de l’entropie, qui représente l’originalité, est, dans la Théorie de l’Information, la redondance (répétition). La répétition est une ressource (elle ne cesse pas d’être, pour le meilleur ou pour le pire) de l’intelligibilité du contenu, y compris filmique. Nous avons vu, par conséquent, que l’entropie est le désordre et que la redondance est la prévisibilité. En effet, pas toute la chaleur prévue n’est exploitée dans l’entropie. Quand se déroule une consommation d’énergie qui, en chemin, empêche toute cette possibilité d’exploitation, on considère cela comme étant un phénomène entropique. Cette indétermination (on ne sait pas combien le système sera plus ou moins affecté par la consommation) est ce qui caractérise l’entropie et ce qui justifie également sa relation avec la contre-utopie. Le cinéaste Ruy Guerra la pratique ainsi. Et Bergman également : la scène finale « […] où la Mort s’éloigne en dansant avec les marcheurs », dans le film Le septième sceau a été improvisée en quelques minutes, avec la figuration de techniciens et de touristes.
En d’autres termes, la contre-utopie est un archétype numineux, parce qu’il s’agit, selon Jung, « […] d’un fondement émotionnel qui semble inaccessible à la raison critique ». Il n’y a pas une seule histoire, mais bien des points de vue mythiques. Et de quels points de vue parlons-nous ? Certainement de beaucoup, la polyphonie discursive étant une ressource qui s’actualise avec force à chaque nouveau cycle de l’éternel retour mythique qui marque la contre-utopie dans l’œuvre de Ruy Guerra. Ainsi, la contre-utopie tend plus à l’implosion des directions de narration qui structurent les scénarios traditionnels et moins à l’explosion de pratiques redondantes. Godard suggère que sa posture créative est parfois stimulée par des circonstances qui peuvent définir des stratégies et des solutions uniques. À propos de À bout de souffle (1960), le cinéaste dit qu’il aurait aimé tourner en studio, mais ce ne fut pas possible en raison de divers problèmes. Dans ses limites pratiques et techniques, tout en reconnaissant qu’à l’époque il ne savait rien techniquement, le réalisateur est resté en dehors du formalisme qui subsiste dans l’art cinématographique, arrivant à sacrifier quelques images premières au nom de la nécessité que le moment de faire du cinéma a imposée.
Conscient de sa capacité à effectuer des contre-utopies, Godard montre que renoncer à un idéal filmique peut améliorer le sentiment de liberté dans le tournage – la liberté de réaliser le rêve possible, au moins. Ainsi, l’improvisation devient l’un des nombreux outils de création valorisés par le cinéaste anti- ou contre-utopique. Dans cette longue période s’étendant au moins de la période d’or de Hollywood à nos jours, où les scripts traditionnels ont assumé un rôle central dans le processus de réalisation, le script (ou scénario) est passé par un processus intense de structuration, se plaçant comme un outil essentiel et potentiellement inflexible pour la production de films. Des scénaristes comme l’américain Syd Field, créateur de Paradigme qui définit les 120 pages d’un script supposé idéal et dans lequel figurent les trois actes de base d’un long métrage (La Présentation, la Confrontation et la Résolution), sont devenus les gourous de l’industrie du divertissement. Le paradigme, ainsi qu’un guide Vogler, est à l’opposé de la contre-utopie. Vogler s’est basé sur le livre Le Héros aux mille et un visages, du mythologue américain Joseph Campbell, qui a inventé le terme Voyage du Héros pour caractériser les stades archétypaux chez l’homme et les a reliés à la narration du film.
Cela a abouti à l’utopie d’un Guide Pratique du Scénario caractérisant les étapes suivantes: monde ordinaire; appel à l’aventure; refus de l’appel; rencontre avec le mentor; franchissement du premier seuil; test; allié; ennemis; approche de la grotte cachée; épreuve suprême; récompense; chemin du retour; résurrection, et enfin retour avec de l’élixir. « J’ai travaillé avec l’idée de Campbell du Voyage du Héros pour comprendre l’incroyable phénomène qui a eu lieu avec des films comme Star Wars et Rencontre du Troisième Type […] ils reflètent les schémas que Campbell a vus dans les mythes », a déclaré Vogler. Contrairement à ce modèle, le Septième Sceau, comme on l’a déjà dit, contenait une grande improvisation, comme dans la scène mentionnée auparavant, filmée à cause de quelques nuages soudainement apparus qui formaient, pour Bergman, un visuel parfait pour l’image qu’il avait à l’esprit. D’ailleurs, selon Bergman, ce film n’a pas pris plus de 35 jours pour être terminé. Il faut rappeler que des accidents de parcours arrivent même dans ce trajet supposé régulier du Héros structuré par Campbell et répandu dans le cinéma. Et c’est probablement sur ce point que deviennent claires les divergences sur les perceptions du Héros entre le penseur nord-américain et la théorie du mythe de Durand. Pour Durand, le héros n’est ni un personnage unidimensionnel qui répond à une narration préalablement structurée, ni l’expression principale d’un monomythe, mais bien une image symbolique dont la multipolarité sémantique fait référence à l’archétype du héros, ce contenu psychique présent dans l’inconscient collectif qui est la racine d’images et de symbolismes universels et complémentaires. La contre-utopie serait probablement plus proche de la vision durandienne de la pluralité des sens propre à la récurrence mythique que du cadre organisationnel proposé par Campbell.
Les cinéastes ne seraient-ils pas en train d’éviter l’utilisation de leur imagination créatrice, génératrice d’images, en dépendant de scripts très fermés qui contrôlent l’inattendu, pour empêcher des processus d’essais et d’erreurs? En programmant et en scénarisant chaque seconde de toutes les scènes de l’ensemble du film et en standardisant à l’extrême tout le processus de tournage, les réalisateurs – mais ce n’est pas le cas de Guerra – ne bloqueraient-ils pas le pouls de la création artistique? La contre-utopie n’a pas pour objectif d’ignorer la planification minimum nécessaire à la réalisation d’un film mais laisse observer que la possibilité de l’existence de lacunes et de doutes peut mener vers des chemins créateurs qui emplissent l’œuvre en délivrant la réalisation cinématographique. Les hiatus dans la texture d’un script ne sont pas, pour la contre-utopie, des défaillances structurelles, mais bien des crevasses dimensionnelles qui peuvent fournir des sauts quantiques au réalisateur dans son propre travail. L’inattendu, pour la contre-utopie, serait une façon pour celui-ci de ne plus faire circuler exclusivement la tension linéaire des trames filmiques traditionnelles, de sorte qu’il puisse être présent d’une façon créative dans les récurrences circulaires d’un éternel retour que le scénario mythique pourra assumer.
La contre-utopie permettrait ainsi la « libre » création du réalisateur à partir de la célébration de l’incertain et de la scénarisation de l’imprévu, ces outils revitalisant la forme et la direction du film. Naturellement, les conduites créatives proposées par la contre-utopie cinématographique se heurtent aux exigences de la technique et de la pratique, des demandes du marché et du schéma artistique exigé par celui-ci. Il revient aux cinéastes de choisir entre la rigueur imposée par les règles de la production de masse et la liberté offerte par l’anarchie de la création – qui peut dé-former (Bachelard) le langage et encourager un « cinéma de libération », comme Inácio Araújo définit le travail d’Orson Welles, de Jean-Luc Godard et, pourrions-nous ajouter, de Ruy Guerra.
Cette notion peut également être observée dans des documentaires, qui, aujourd’hui, assument un caractère fictionnel toujours plus grand (par exemple Un passeport hongrois, 2003, de Sandra Kogut) pour faire comprendre que toute représentation humaine est une « construction », un choix. Et, en étant choix, elle est, évidemment, aussi refus (anti-contre). Dans ce cas, le documentaire se développe, a priori, sans unité et sans définition. Il signale une rupture plus nette avec le mythe de la naturalité et de l’académisme documentaires. Aujourd’hui, la tendance est de penser dans une réalité plurielle. Godard, dans ses scènes, mélange le « réel » avec la fiction. Godard est une fiction de lui-même. Dans « JLG par JLG », il déclare: « La culture est la règle; l’art est l’exception ». Ces distinctions demeurent encore dans la culture. Cependant, la postmodernité a conduit à une liquéfaction progressive de la référence exprimée par Godard. Ceci parce que Godard regrette la défaite de la pensée. Autrement dit, la référence serait dans cette analogie que nous faisons avec la culture, l’exception, tandis que la postmodernité, selon le point de vue présenté, promouvrait la culture volatile et facile au niveau de la spectacularisation. La Science, qui contrarie le mythe, cherche une cause linéaire aux choses.
Mais le mythe, au contraire, qui transcende toute forme de rationalité continue, se déplace dans toutes les directions: passé, présent et futur. Et un film, qui n’est rien de plus qu’une dé-formation par la sensibilité, se déroule comme un événement mythique. Il est un éternel instant. Il est l’éternité de l’instant. Cet instant et cette éternité sont le fondement, selon la vision nietzschéenne de l’éternel retour du même, de la circularité. Pas le temps fait d’une succession d’étapes ultérieures, mais bien la centralité de toutes parts. La mémoire même dans le présent mythique, cyclique, qui ne se divise pas en catégories et qui est prisonnière de l’entropie. Le non-début entropique est alors le fondement quantique de la contre-utopie. Quantique parce que, dans cette physique, il y a un principe d’indétermination des pôles. La contre-utopie est donc encore un exercice de philosophie polaire. Quand on parle d’entropie, nous devons considérer ce qui suit. L’entropie est un système, mais, comme tout système, même s’il paraît fermé, il est néanmoins proche, conceptuellement parlant, d’un changement, parce que nous ne réussissons pas à établir le début d’un système entropique.
Par conséquent, ce qui importe dans la contre-utopie entropique n’est pas le fait selon lequel, conceptuellement, elle nous emmène au « triadique », avec un début, un développement et une dégradation, mais bien qu’elle représente un processus indéterminé des pôles qui finissent par s’attirer et se repousser constamment. L’entropie se trouve dans cette constante variation entre ce que nous appellerions début – qui existe seulement conceptuellement – développement – qui n’existe lui non plus que conceptuellement – et fin (irréaliste). En somme, le concept d’entropie nous aide à réfléchir sur la contre-utopie. En termes de Théorie de l’Information, selon Teixeira Coelho, l’entropie est « la mesure du désordre introduit dans une structure d’information ». Cela signifie que l’entropie est similaire à l’état de l’art des films de réalisateurs comme Ruy Guerra, Bergman et Godard, entre autres, mais pas de beaucoup d’autres, en raison de leur haut degré d’originalité par rapport aux films redondants du point de vue de l’information. Teixeira Coelho (1973) précise que le mot entropie en physique est la fonction d’un état thermodynamique des systèmes utilisés pour déterminer « l’inexploitabilité » de l’énergie de ce même système.
La question de la polarité qui, au fond, se reflète ici en termes d’utopie et de contre-utopie, se réfère aussi, dans notre cas, à la philosophie présocratique décrite par Nietzsche. Parménide, dit Nietzsche, réfléchissait, dans le sillage d’Anaximandre de Milet, à l’existant et à l’inexistant. Lui, Parménide, s’interrogeait: l’inexistant existe-t-il? Parménide se basait sur la validité universelle des concepts (c’est comme si nous pensions à la validité universelle de l’utopie, ou plutôt au concept d’utopie). Ainsi, Parménide se distanciait intentionnellement du monde intuitif. Autrement dit, il s’éloignait, dans notre cas, de la contre-utopie qui est une pratique plus intuitive que conceptuelle. Nous dirions donc que la contre-utopie représente une idée parménidienne de la subjectivation de l’alogique. En ce sens, nous supposons, ici, que la contre-utopie est l’un des pôles d’un devenir de la guerre des opposés (scénario/anti-scénario, film/anti-film, utopie/contre-utopie), comme Héraclite – un autre philosophe grec – le pensait en allant à l’encontre de Parménide. Oui, mais si l’anti-utopie est déjà en nous, comment pourrait-elle être en devenir? C’est parce qu’il y est déjà au sens d’antériorité à la formulation de lui-même.
Nous connaissons seulement quelque chose parce que nous formulons un concept qui préexiste dans notre esprit, selon Merleau-Ponty (1999). Par conséquent, nous pouvons considérer la contre-utopie comme étant un antiréalisme parce qu’il est impossible de séparer la réalité de nos opinions. Autrement dit, si nous avons une opinion sur quelque chose, comme au sujet de la contre-utopie, c’est déjà une réalité pour nous, mais cela peut ne pas l’être pour les autres. Il faut assumer d’avoir un discours « idéologique » par rapport à la contre-utopie parce qu’il s’agit d’une construction abstraite et un choix de réflexion individuel. Il n’existe aucune prétention, ici, d’encadrer la contre-utopie dans telle ou telle école de cinéma (si, le cas échéant, cette école ait jamais existé). Pour continuer sur ce sujet, nous devons nous diriger vers l’imagination symbolique. Une définition en premier lieu: « Elle est la transfiguration d’une représentation concrète à travers un sens toujours abstrait », dit Durand. En considérant la contre-utopie comme étant l’opposé du signe, car elle n’est pas une représentation concrète, mais une transfiguration de l’utopie et de la représentation, il est possible de transiter sur le terrain mouvant qu’est l’imaginaire.
Nous savons qu’on utilise le terme d’imaginaire de diverses manières, comme nous éclaire Durand: « Image, signe, allégorie, symbole, emblème, mythe parabole, figure, icône et idole sont utilisés indifféremment par la plupart des auteurs ». Pour ne pas tomber dans ce flou, nous avons choisi ce terme au sens d’une qualité à peine présentable concrètement ainsi que le cas de la contre-utopie au cinéma nous semble être. Alors, si l’imagination est alogique et ne fait pas référence à une représentation, à une, comme ci-dessus, « qualité guère présentable concrètement » comment pouvons-nous la considérer théoriquement? Il n’y a qu’une seule issue: la considérer comme une expression de la subjectivité. Dans ce cas, le choix de la Guerra se justifierait donc plus par la raison sensible que par un supposé concept de l’utopie dans son cinéma. La contre-utopie se présente plus, par ailleurs, comme une notion que comme un concept – celui-ci étant plus fermé et rigide. Dans l’art tragique de Nietzsche, traduit par le dionysiaque, le Je se désintègre. Pour l’instant, rappelons-nous que l’idée du dionysiaque (ou « instinct esthétique ») chez Nietzsche sous-tend la thèse selon laquelle l’expérience artistique est plus importante que la rationalité scientifique apollinienne (« esthétique rationaliste »). Ces deux instincts esthétiques coexistent. L’un s’ajoute à l’autre. Pour lui, la genèse du mythe tragique partage avec la sphère artistique apollinienne la joie à parts entières de l’apparence et de la contemplation. Mais, dans un même temps, elle nie cette joie et va trouver une satisfaction plus élevée en s’annihilant du monde perceptible de l’apparence (Nietzsche).
Nous voulons ainsi montrer qu’à cause du lien ombilical entre le réalisateur, la forme et le contenu de son film, un thème commun à eux tous peut revêtir différentes approches. Nous avons choisi la contre-utopie parce qu’elle est, ainsi que la mort dont elle ne se sépare pas selon l’imaginaire occidental, une vision récurrente dans les films d’auteur de réalisateurs comme Guerra. Cependant, cette violence prend un contour symbolique. Elle fonctionne comme une sorte de catharsis afin d’éloigner la pensée de finitude que la mort véhicule. La distance à laquelle nous voulons nous maintenir de la mort n’est cependant jamais suffisante pour l’oublier. Pourtant, la vie et la mort sont inséparables dans notre existence, chose que la pensée rationaliste du progrès a toujours voulu nier. Aujourd’hui, on travaille avec l’hypothèse selon laquelle nous incorporons dans le quotidien une sensibilité tragique (Maffesoli). Si nous acceptons cette observation et pensons que les auteurs cinématographiques comme Guerra réélaborent la quotidienneté dans leurs films, car c’est bien dans cette espèce de chaudron qu’ils vivent, nous verrons alors que vivre, pour eux, se relie intensément au quotidien et que leurs films sont imprégnés par cette atmosphère. L’art est plutôt séducteur, une caractéristique qui ne rentre pas dans la lecture hygiéniste de la modernité.
Son dernier film – jusqu’au mois de janvier 2009 – se base sur le roman La mala hora écrit en 1962 par Gabriel García Márquez et traduit au Brésil par O veneno da madrugada. En français: Le poison de l’aube. C’est l’histoire d’un hameau dont les familles sont perturbées par des ragots (d)écrits sur des morceaux de papier. Le nom de cette pratique est marforio, comme l’explique Gabriel García Márquez[5] dans son roman: « […] une injure anonyme clouée sur la porte d’une maison ». Par exemple: « Il y a deux jours, ils ont mis mon nom dans ces messages mensongers. Les bobards habituels. L’histoire des ânes. Chaque âne que je vendais était retrouvé mort deux jours après, sans aucun signe de violence ». L’ex-propriétaire des animaux, qui raconte l’histoire au médecin du village, aurait été présent, de nuit, aux différents endroits, pour tirer dans l’anus des ânes. Le film commence avec une voix-off dans un écran noir qui, peu à peu, cède sa place à une pluie présente durant toute l’œuvre. L’ambiance est inhospitalière. Quelques rares personnes circulent dans le bourg. Tous les autres habitants semblent exister hors du cadre, selon la thèse cinématographique de Ruy Guerra. Ce sont des personnages retranchés qui finissent par ne penser, à cause des billets anonymes, qu’à leurs malheurs et craignent de nouvelles accusations. Il n’existe aucun climat favorable à l’optimisme. Tous, comme le dit un des personnages, « sont fatigués de tout », principalement parce qu’ils sont esclaves de l’alcaide, une sorte de maire et de commissaire de police. La narration n’a rien de linéaire, car, comme dit la cartomancienne du cirque, « la flèche du temps vole dans plus d’un sens ». Cette idée est transposée dans le film. L’ambiance, en plus d’être claustrophobe et intense, prend rapidement un ton absurde. Tous voient des fantômes.
Il y a également, dans l’imaginaire de Ruy Guerra, un espace pour la manifestation poétique de la contre-utopie. Dans Estorvo (Embrouille, 2000), par exemple, Guerra fait une adaptation du livre homonyme de Chico Buarque en cherchant à imprimer une marque personnelle dans l’histoire. Guerra fait ressortir l’existence marginale du protagoniste qui n’a pas de nom. Il est simplement le “Je”. Estorvo commence par une interrogation: ouvrir ou non la porte quand la sonnette de son appartement retentit. Le judas optique lui restitue un œil distordu et menaçant. Commence alors la crainte de la persécution, et c’est ceci, dans Estorvo (Embrouille), que le film montre. Le “Je” n’a pas de maison, il déambule sans direction et se réfugie dans sa propre imagination. L’image de Guerra est plus que la visualité. Elle est également le non-dit. On finit avec la question de Wunenburger[6]: « Comment enfin articuler la régularité des imaginaires individuels et culturels-collectifs, c’est à dire, pour adopter la nomenclature disciplinaire, la psychologie avec la sociologie des imaginaires ? ».
(Avec la collaboration d’Olivier Chatriant pour la traduction)
Bibliographie
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Wunenburger, J.J. L’imagination mode d’emploi ? Une science de l’imaginaire au service de la créativité. Paris, Manucius, 2011.
NOTES
[2] Michel Maffesoli, Notas sobre a pós-modernidade: o lugar faz o elo, Atlântica, Rio de Janeiro, 2004, p. 10.
Eduardo Portanova Barros
Unisinos-RS, Brésil
PNPD/CAPES
eduardoportanova@hotmail.com
Ruy Guerra et Dionysos
ou la contre-utopie de l’imaginaire de l’auteur au cinéma: les racines de l’éthéré
Ruy Guerra and Dionysos
or the Counter-Utopia of the Imaginary in the Authorial Film: Ethereal Roots
Abstract: Post-modernity could be an alternative sensibility to the values sustained by the logic of rationalistic type. That means to say that, at the present time, it is already possible, with more clarity, to observe aspects such as the emotions, the feelings and the intuitions of an artist- in the case Ruy Guerra and of his imaginary. This is the aim of this article: to investigate Ruy Guerra’s path from the point of view of the imaginary, as theorized by Gaston Bachelard and Gilbert Durand. We focused on a film director who was a very active presence in the Cinema Novo (Brazil) of the 1960, a phase marked by political ideology, but also in the context of hedonist post-modernity. What interests us is to show the balance between subjective and objective coercions in Ruy Guerra (Gilbert Durand). We are not looking for a rigid answer, but for a constellation of factors in post-modern (counter) utopia.
Keywords: Ruy Guerra; Cinema; Imaginary; Post-modernity; Utopia.
Depuis les années 1960 et 1970, lorsque le Brésil était une dictature, le cinéaste mozambicain Ruy Guerra (né en 1931) qui vit à Rio de Janeiro depuis la fin des années 1950, produit (ou, comme il préfère, « fait ») du cinéma. Pourquoi ? Difficile à dire. Néanmoins, il est possible de tenter des approximations (et non des réponses) méthodologiques en affirmant, tout d’abord, que nous sommes, il faut bien l’admettre, dans une toute autre époque que celle du communisme (ou de sa fin) : dans la contre-utopie de la post-modernité. Qu’est-ce que c’est, alors, la contre-utopie post-moderne ? Si le terme post-moderne est une abstraction ou une métaphore de la réalité humaine, parce que le présent est plus vécu que rationalisé, cela signifie qu’une chose quelconque ne représente pas la Vérité. Et c’est bien ça la contre-utopie. Penser à une chose quelconque et savoir en même temps que cette chose à laquelle on pense n’est jamais là. Penser à Dionysos, par exemple, qui, avec les Bacchantes, dilacérèrent tout ce qui, au nom de la rationalité, récuse une effervescence fécondatrice. Penser à Guerra, un cinéaste qui, en utilisant une pensée bachelardienne, laisse à l’imagination le temps de travailler la matière cinématographique. Penser le contraire. Penser l’inverse ou l’éthéré.
C’est bien cela l’objectif de ce travail: observer les idées obsédantes, du point de vue de l’imaginaire contre-utopique localisé, parmi d’autres auteurs, dans la lignée de Gaston Bachelard (« imagination matérielle ») et Gilbert Durand (« cercle anthropologique »), d’un directeur cinématographique qui a travaillé aussi bien dans le Cinéma Nouveau (Cinema Novo) brésilien des années 1960 – une phase marquée par l’idéologie politique – que dans le contexte de la post-modernité hédoniste. Selon Maffesoli[1], c’est une sensibilité alternative aux valeurs soutenues par la logique d’empreinte rationaliste. Cela signifie que, à présent, il est déjà possible, avec plus de clarté, d’observer des aspects comme les émotions, les sensations et les intuitions d’un artiste – dans le cas Ruy Guerra – et de son imaginaire (rêves, contre-utopies, mythes et désirs). L’intérêt, dans ce cas, est de montrer l’équilibre, chez Ruy Guerra, entre la subjectivité et les contraintes d’ordre objectif (Gilbert Durand). Nous ne voulons pas chercher une réponse rigide, mais une constellation de facteurs. Constellation propre aussi bien à l’état de matérialité-règle qu’à la nature éthérée d’un vol cinématographique (la subjectivité).
Pour Bachelard, l’imaginaire n’appartient pas au royaume des nombres et des mesures. Par conséquent, selon Maffesoli[2], chaque objet ou phénomène est lié avec les autres : pour cette raison, il est soumis au changement et au hasard. Ce qui nous intéresse, alors, est la révision de la notion d’auteur cinématographique dans la post-modernité dans le sens d’une contre-utopie (ou anti-utopie) et du « trajet anthropologique », selon Gilbert Durand[3], d’un cinéaste, Ruy Guerra, qui travaille, aujourd’hui, d’une façon moins égocentrique (hypothèse) que dans les années d’avant-garde lorsque il représentait un rôle politique dans le Cinema Novo. Une analyse peut prendre en considération l’auteur comme un exemple abstrait, oui, mais aussi comme une personnalité qui s’exprime à travers la caméra. Il n’est pas question, ici, de découvrir ce qu’un directeur cinématographique comme Guerra pense derrière la caméra, mais bien d’admettre qu’un film, dans certaines circonstances, puisse être la représentation d’une individualité sensible et, seulement pour ça, il serait déjà justifié si nous considérons, comme dit Maffesoli[4], que le thème du sensible – on ajoute dyonisiaque et contre-utopique – pourrait être la marque de la post-modernité.
Si l’esthétique, matière première du cinéma, est la connaissance par le sensible, nous appellerons contre-utopie cinématographique chez Ruy Guerra le contradictoire de l’utopie de type réaliste. Mais notre intention n’est pas de traiter à fond – en soulignant ce qui est ou ce qui n’est pas contre-utopie chez Ruy Guerra – l’analyse d’une œuvre particulière. En effet, cette analyse ne se limite pas, puisque, selon Teixeira Coelho (1973), le fait esthétique permet des appréhensions variées aussi bien de l’individu même que de récepteurs multiples. Par conséquent, celle-ci est également ouverte, ce qui signifie, selon Eco: « […] que chaque spectateur apporte une situation existentielle concrète, une sensibilité personnelle conditionnée, une certaine culture, des goûts, des tendances, des préjugés personnels ». Si nous analysons un cinéaste pour rechercher chez lui une contre-utopie nous dénaturerions la notion avec laquelle nous travaillons dans cet article. Dans l’idée de contre-utopie l’impression sensible de l’interprétation compte plus que le rationalisme déconstructiviste, parce que, comme dit Merleau-Ponty, « […] la signification du perçu est seulement une constellation d’images qui commencent à réapparaître sans raison ». La créativité approximative ne peut pas créer, de manière forcée, une contre-utopie d’une œuvre cinématographique en essayant de la surpasser analytiquement.
Nous ne voulons même pas promouvoir une analyse descriptive et reconstructrice d’une œuvre, encore moins d’un seul film ou cinéaste pour justifier l’idée de contre-utopie, mais bien la considérer, dans la théorie du cinéma, comme une sorte de nihilisme. La contre-utopie cinématographique, qui est le sujet de cet article, découle donc de son contraire, l’utopie du réalisme. Pour l’interpréter comme « anti » ou « contre », au sens voulu, nous ne faisons aucune distinction entre ces deux termes, il faut comprendre la nécessité de ce qui est alogique. La logique disjonctive est représentée par le cinéma traditionnel (quelle que soit la tradition) et donc par l’esprit captif, parce qu’attaché à cette même tradition. La contre-utopie est déjà alogique et a également besoin d’un esprit, mais pas prisonnier de cette même tradition : libre. C’est un exercice de capacité, pas de savoir. Capacité de réaliser quelque chose d’une manière pertinente, pour paraphraser Nietzsche dans son aphorisme 256 sur la science. Et pas un savoir logique. La contre-utopie de Ruy Guerra est constituée, à l’instar de la foi, par une « adhésion que l’on sait au-delà des preuves, non nécessaire, tissée d’incrédulité et menacée à chaque instant par la non-foi », comme dit Merleau-Ponty. Elle est le visible et l’invisible.
Nous pouvons aussi considérer la contre-utopie, de façon analogue à la physique, comme une mesure de « l’inexploitabilité » (comme une quantité de chaleur non utilisable complètement pour sa transformation en travail). L’opposé de l’entropie, qui représente l’originalité, est, dans la Théorie de l’Information, la redondance (répétition). La répétition est une ressource (elle ne cesse pas d’être, pour le meilleur ou pour le pire) de l’intelligibilité du contenu, y compris filmique. Nous avons vu, par conséquent, que l’entropie est le désordre et que la redondance est la prévisibilité. En effet, pas toute la chaleur prévue n’est exploitée dans l’entropie. Quand se déroule une consommation d’énergie qui, en chemin, empêche toute cette possibilité d’exploitation, on considère cela comme étant un phénomène entropique. Cette indétermination (on ne sait pas combien le système sera plus ou moins affecté par la consommation) est ce qui caractérise l’entropie et ce qui justifie également sa relation avec la contre-utopie. Le cinéaste Ruy Guerra la pratique ainsi. Et Bergman également : la scène finale « […] où la Mort s’éloigne en dansant avec les marcheurs », dans le film Le septième sceau a été improvisée en quelques minutes, avec la figuration de techniciens et de touristes.
En d’autres termes, la contre-utopie est un archétype numineux, parce qu’il s’agit, selon Jung, « […] d’un fondement émotionnel qui semble inaccessible à la raison critique ». Il n’y a pas une seule histoire, mais bien des points de vue mythiques. Et de quels points de vue parlons-nous ? Certainement de beaucoup, la polyphonie discursive étant une ressource qui s’actualise avec force à chaque nouveau cycle de l’éternel retour mythique qui marque la contre-utopie dans l’œuvre de Ruy Guerra. Ainsi, la contre-utopie tend plus à l’implosion des directions de narration qui structurent les scénarios traditionnels et moins à l’explosion de pratiques redondantes. Godard suggère que sa posture créative est parfois stimulée par des circonstances qui peuvent définir des stratégies et des solutions uniques. À propos de À bout de souffle (1960), le cinéaste dit qu’il aurait aimé tourner en studio, mais ce ne fut pas possible en raison de divers problèmes. Dans ses limites pratiques et techniques, tout en reconnaissant qu’à l’époque il ne savait rien techniquement, le réalisateur est resté en dehors du formalisme qui subsiste dans l’art cinématographique, arrivant à sacrifier quelques images premières au nom de la nécessité que le moment de faire du cinéma a imposée.
Conscient de sa capacité à effectuer des contre-utopies, Godard montre que renoncer à un idéal filmique peut améliorer le sentiment de liberté dans le tournage – la liberté de réaliser le rêve possible, au moins. Ainsi, l’improvisation devient l’un des nombreux outils de création valorisés par le cinéaste anti- ou contre-utopique. Dans cette longue période s’étendant au moins de la période d’or de Hollywood à nos jours, où les scripts traditionnels ont assumé un rôle central dans le processus de réalisation, le script (ou scénario) est passé par un processus intense de structuration, se plaçant comme un outil essentiel et potentiellement inflexible pour la production de films. Des scénaristes comme l’américain Syd Field, créateur de Paradigme qui définit les 120 pages d’un script supposé idéal et dans lequel figurent les trois actes de base d’un long métrage (La Présentation, la Confrontation et la Résolution), sont devenus les gourous de l’industrie du divertissement. Le paradigme, ainsi qu’un guide Vogler, est à l’opposé de la contre-utopie. Vogler s’est basé sur le livre Le Héros aux mille et un visages, du mythologue américain Joseph Campbell, qui a inventé le terme Voyage du Héros pour caractériser les stades archétypaux chez l’homme et les a reliés à la narration du film.
Cela a abouti à l’utopie d’un Guide Pratique du Scénario caractérisant les étapes suivantes: monde ordinaire; appel à l’aventure; refus de l’appel; rencontre avec le mentor; franchissement du premier seuil; test; allié; ennemis; approche de la grotte cachée; épreuve suprême; récompense; chemin du retour; résurrection, et enfin retour avec de l’élixir. « J’ai travaillé avec l’idée de Campbell du Voyage du Héros pour comprendre l’incroyable phénomène qui a eu lieu avec des films comme Star Wars et Rencontre du Troisième Type […] ils reflètent les schémas que Campbell a vus dans les mythes », a déclaré Vogler. Contrairement à ce modèle, le Septième Sceau, comme on l’a déjà dit, contenait une grande improvisation, comme dans la scène mentionnée auparavant, filmée à cause de quelques nuages soudainement apparus qui formaient, pour Bergman, un visuel parfait pour l’image qu’il avait à l’esprit. D’ailleurs, selon Bergman, ce film n’a pas pris plus de 35 jours pour être terminé. Il faut rappeler que des accidents de parcours arrivent même dans ce trajet supposé régulier du Héros structuré par Campbell et répandu dans le cinéma. Et c’est probablement sur ce point que deviennent claires les divergences sur les perceptions du Héros entre le penseur nord-américain et la théorie du mythe de Durand. Pour Durand, le héros n’est ni un personnage unidimensionnel qui répond à une narration préalablement structurée, ni l’expression principale d’un monomythe, mais bien une image symbolique dont la multipolarité sémantique fait référence à l’archétype du héros, ce contenu psychique présent dans l’inconscient collectif qui est la racine d’images et de symbolismes universels et complémentaires. La contre-utopie serait probablement plus proche de la vision durandienne de la pluralité des sens propre à la récurrence mythique que du cadre organisationnel proposé par Campbell.
Les cinéastes ne seraient-ils pas en train d’éviter l’utilisation de leur imagination créatrice, génératrice d’images, en dépendant de scripts très fermés qui contrôlent l’inattendu, pour empêcher des processus d’essais et d’erreurs? En programmant et en scénarisant chaque seconde de toutes les scènes de l’ensemble du film et en standardisant à l’extrême tout le processus de tournage, les réalisateurs – mais ce n’est pas le cas de Guerra – ne bloqueraient-ils pas le pouls de la création artistique? La contre-utopie n’a pas pour objectif d’ignorer la planification minimum nécessaire à la réalisation d’un film mais laisse observer que la possibilité de l’existence de lacunes et de doutes peut mener vers des chemins créateurs qui emplissent l’œuvre en délivrant la réalisation cinématographique. Les hiatus dans la texture d’un script ne sont pas, pour la contre-utopie, des défaillances structurelles, mais bien des crevasses dimensionnelles qui peuvent fournir des sauts quantiques au réalisateur dans son propre travail. L’inattendu, pour la contre-utopie, serait une façon pour celui-ci de ne plus faire circuler exclusivement la tension linéaire des trames filmiques traditionnelles, de sorte qu’il puisse être présent d’une façon créative dans les récurrences circulaires d’un éternel retour que le scénario mythique pourra assumer.
La contre-utopie permettrait ainsi la « libre » création du réalisateur à partir de la célébration de l’incertain et de la scénarisation de l’imprévu, ces outils revitalisant la forme et la direction du film. Naturellement, les conduites créatives proposées par la contre-utopie cinématographique se heurtent aux exigences de la technique et de la pratique, des demandes du marché et du schéma artistique exigé par celui-ci. Il revient aux cinéastes de choisir entre la rigueur imposée par les règles de la production de masse et la liberté offerte par l’anarchie de la création – qui peut dé-former (Bachelard) le langage et encourager un « cinéma de libération », comme Inácio Araújo définit le travail d’Orson Welles, de Jean-Luc Godard et, pourrions-nous ajouter, de Ruy Guerra.
Cette notion peut également être observée dans des documentaires, qui, aujourd’hui, assument un caractère fictionnel toujours plus grand (par exemple Un passeport hongrois, 2003, de Sandra Kogut) pour faire comprendre que toute représentation humaine est une « construction », un choix. Et, en étant choix, elle est, évidemment, aussi refus (anti-contre). Dans ce cas, le documentaire se développe, a priori, sans unité et sans définition. Il signale une rupture plus nette avec le mythe de la naturalité et de l’académisme documentaires. Aujourd’hui, la tendance est de penser dans une réalité plurielle. Godard, dans ses scènes, mélange le « réel » avec la fiction. Godard est une fiction de lui-même. Dans « JLG par JLG », il déclare: « La culture est la règle; l’art est l’exception ». Ces distinctions demeurent encore dans la culture. Cependant, la postmodernité a conduit à une liquéfaction progressive de la référence exprimée par Godard. Ceci parce que Godard regrette la défaite de la pensée. Autrement dit, la référence serait dans cette analogie que nous faisons avec la culture, l’exception, tandis que la postmodernité, selon le point de vue présenté, promouvrait la culture volatile et facile au niveau de la spectacularisation. La Science, qui contrarie le mythe, cherche une cause linéaire aux choses.
Mais le mythe, au contraire, qui transcende toute forme de rationalité continue, se déplace dans toutes les directions: passé, présent et futur. Et un film, qui n’est rien de plus qu’une dé-formation par la sensibilité, se déroule comme un événement mythique. Il est un éternel instant. Il est l’éternité de l’instant. Cet instant et cette éternité sont le fondement, selon la vision nietzschéenne de l’éternel retour du même, de la circularité. Pas le temps fait d’une succession d’étapes ultérieures, mais bien la centralité de toutes parts. La mémoire même dans le présent mythique, cyclique, qui ne se divise pas en catégories et qui est prisonnière de l’entropie. Le non-début entropique est alors le fondement quantique de la contre-utopie. Quantique parce que, dans cette physique, il y a un principe d’indétermination des pôles. La contre-utopie est donc encore un exercice de philosophie polaire. Quand on parle d’entropie, nous devons considérer ce qui suit. L’entropie est un système, mais, comme tout système, même s’il paraît fermé, il est néanmoins proche, conceptuellement parlant, d’un changement, parce que nous ne réussissons pas à établir le début d’un système entropique.
Par conséquent, ce qui importe dans la contre-utopie entropique n’est pas le fait selon lequel, conceptuellement, elle nous emmène au « triadique », avec un début, un développement et une dégradation, mais bien qu’elle représente un processus indéterminé des pôles qui finissent par s’attirer et se repousser constamment. L’entropie se trouve dans cette constante variation entre ce que nous appellerions début – qui existe seulement conceptuellement – développement – qui n’existe lui non plus que conceptuellement – et fin (irréaliste). En somme, le concept d’entropie nous aide à réfléchir sur la contre-utopie. En termes de Théorie de l’Information, selon Teixeira Coelho, l’entropie est « la mesure du désordre introduit dans une structure d’information ». Cela signifie que l’entropie est similaire à l’état de l’art des films de réalisateurs comme Ruy Guerra, Bergman et Godard, entre autres, mais pas de beaucoup d’autres, en raison de leur haut degré d’originalité par rapport aux films redondants du point de vue de l’information. Teixeira Coelho (1973) précise que le mot entropie en physique est la fonction d’un état thermodynamique des systèmes utilisés pour déterminer « l’inexploitabilité » de l’énergie de ce même système.
La question de la polarité qui, au fond, se reflète ici en termes d’utopie et de contre-utopie, se réfère aussi, dans notre cas, à la philosophie présocratique décrite par Nietzsche. Parménide, dit Nietzsche, réfléchissait, dans le sillage d’Anaximandre de Milet, à l’existant et à l’inexistant. Lui, Parménide, s’interrogeait: l’inexistant existe-t-il? Parménide se basait sur la validité universelle des concepts (c’est comme si nous pensions à la validité universelle de l’utopie, ou plutôt au concept d’utopie). Ainsi, Parménide se distanciait intentionnellement du monde intuitif. Autrement dit, il s’éloignait, dans notre cas, de la contre-utopie qui est une pratique plus intuitive que conceptuelle. Nous dirions donc que la contre-utopie représente une idée parménidienne de la subjectivation de l’alogique. En ce sens, nous supposons, ici, que la contre-utopie est l’un des pôles d’un devenir de la guerre des opposés (scénario/anti-scénario, film/anti-film, utopie/contre-utopie), comme Héraclite – un autre philosophe grec – le pensait en allant à l’encontre de Parménide. Oui, mais si l’anti-utopie est déjà en nous, comment pourrait-elle être en devenir? C’est parce qu’il y est déjà au sens d’antériorité à la formulation de lui-même.
Nous connaissons seulement quelque chose parce que nous formulons un concept qui préexiste dans notre esprit, selon Merleau-Ponty (1999). Par conséquent, nous pouvons considérer la contre-utopie comme étant un antiréalisme parce qu’il est impossible de séparer la réalité de nos opinions. Autrement dit, si nous avons une opinion sur quelque chose, comme au sujet de la contre-utopie, c’est déjà une réalité pour nous, mais cela peut ne pas l’être pour les autres. Il faut assumer d’avoir un discours « idéologique » par rapport à la contre-utopie parce qu’il s’agit d’une construction abstraite et un choix de réflexion individuel. Il n’existe aucune prétention, ici, d’encadrer la contre-utopie dans telle ou telle école de cinéma (si, le cas échéant, cette école ait jamais existé). Pour continuer sur ce sujet, nous devons nous diriger vers l’imagination symbolique. Une définition en premier lieu: « Elle est la transfiguration d’une représentation concrète à travers un sens toujours abstrait », dit Durand. En considérant la contre-utopie comme étant l’opposé du signe, car elle n’est pas une représentation concrète, mais une transfiguration de l’utopie et de la représentation, il est possible de transiter sur le terrain mouvant qu’est l’imaginaire.
Nous savons qu’on utilise le terme d’imaginaire de diverses manières, comme nous éclaire Durand: « Image, signe, allégorie, symbole, emblème, mythe parabole, figure, icône et idole sont utilisés indifféremment par la plupart des auteurs ». Pour ne pas tomber dans ce flou, nous avons choisi ce terme au sens d’une qualité à peine présentable concrètement ainsi que le cas de la contre-utopie au cinéma nous semble être. Alors, si l’imagination est alogique et ne fait pas référence à une représentation, à une, comme ci-dessus, « qualité guère présentable concrètement » comment pouvons-nous la considérer théoriquement? Il n’y a qu’une seule issue: la considérer comme une expression de la subjectivité. Dans ce cas, le choix de la Guerra se justifierait donc plus par la raison sensible que par un supposé concept de l’utopie dans son cinéma. La contre-utopie se présente plus, par ailleurs, comme une notion que comme un concept – celui-ci étant plus fermé et rigide. Dans l’art tragique de Nietzsche, traduit par le dionysiaque, le Je se désintègre. Pour l’instant, rappelons-nous que l’idée du dionysiaque (ou « instinct esthétique ») chez Nietzsche sous-tend la thèse selon laquelle l’expérience artistique est plus importante que la rationalité scientifique apollinienne (« esthétique rationaliste »). Ces deux instincts esthétiques coexistent. L’un s’ajoute à l’autre. Pour lui, la genèse du mythe tragique partage avec la sphère artistique apollinienne la joie à parts entières de l’apparence et de la contemplation. Mais, dans un même temps, elle nie cette joie et va trouver une satisfaction plus élevée en s’annihilant du monde perceptible de l’apparence (Nietzsche).
Nous voulons ainsi montrer qu’à cause du lien ombilical entre le réalisateur, la forme et le contenu de son film, un thème commun à eux tous peut revêtir différentes approches. Nous avons choisi la contre-utopie parce qu’elle est, ainsi que la mort dont elle ne se sépare pas selon l’imaginaire occidental, une vision récurrente dans les films d’auteur de réalisateurs comme Guerra. Cependant, cette violence prend un contour symbolique. Elle fonctionne comme une sorte de catharsis afin d’éloigner la pensée de finitude que la mort véhicule. La distance à laquelle nous voulons nous maintenir de la mort n’est cependant jamais suffisante pour l’oublier. Pourtant, la vie et la mort sont inséparables dans notre existence, chose que la pensée rationaliste du progrès a toujours voulu nier. Aujourd’hui, on travaille avec l’hypothèse selon laquelle nous incorporons dans le quotidien une sensibilité tragique (Maffesoli). Si nous acceptons cette observation et pensons que les auteurs cinématographiques comme Guerra réélaborent la quotidienneté dans leurs films, car c’est bien dans cette espèce de chaudron qu’ils vivent, nous verrons alors que vivre, pour eux, se relie intensément au quotidien et que leurs films sont imprégnés par cette atmosphère. L’art est plutôt séducteur, une caractéristique qui ne rentre pas dans la lecture hygiéniste de la modernité.
Son dernier film – jusqu’au mois de janvier 2009 – se base sur le roman La mala hora écrit en 1962 par Gabriel García Márquez et traduit au Brésil par O veneno da madrugada. En français: Le poison de l’aube. C’est l’histoire d’un hameau dont les familles sont perturbées par des ragots (d)écrits sur des morceaux de papier. Le nom de cette pratique est marforio, comme l’explique Gabriel García Márquez[5] dans son roman: « […] une injure anonyme clouée sur la porte d’une maison ». Par exemple: « Il y a deux jours, ils ont mis mon nom dans ces messages mensongers. Les bobards habituels. L’histoire des ânes. Chaque âne que je vendais était retrouvé mort deux jours après, sans aucun signe de violence ». L’ex-propriétaire des animaux, qui raconte l’histoire au médecin du village, aurait été présent, de nuit, aux différents endroits, pour tirer dans l’anus des ânes. Le film commence avec une voix-off dans un écran noir qui, peu à peu, cède sa place à une pluie présente durant toute l’œuvre. L’ambiance est inhospitalière. Quelques rares personnes circulent dans le bourg. Tous les autres habitants semblent exister hors du cadre, selon la thèse cinématographique de Ruy Guerra. Ce sont des personnages retranchés qui finissent par ne penser, à cause des billets anonymes, qu’à leurs malheurs et craignent de nouvelles accusations. Il n’existe aucun climat favorable à l’optimisme. Tous, comme le dit un des personnages, « sont fatigués de tout », principalement parce qu’ils sont esclaves de l’alcaide, une sorte de maire et de commissaire de police. La narration n’a rien de linéaire, car, comme dit la cartomancienne du cirque, « la flèche du temps vole dans plus d’un sens ». Cette idée est transposée dans le film. L’ambiance, en plus d’être claustrophobe et intense, prend rapidement un ton absurde. Tous voient des fantômes.
Il y a également, dans l’imaginaire de Ruy Guerra, un espace pour la manifestation poétique de la contre-utopie. Dans Estorvo (Embrouille, 2000), par exemple, Guerra fait une adaptation du livre homonyme de Chico Buarque en cherchant à imprimer une marque personnelle dans l’histoire. Guerra fait ressortir l’existence marginale du protagoniste qui n’a pas de nom. Il est simplement le “Je”. Estorvo commence par une interrogation: ouvrir ou non la porte quand la sonnette de son appartement retentit. Le judas optique lui restitue un œil distordu et menaçant. Commence alors la crainte de la persécution, et c’est ceci, dans Estorvo (Embrouille), que le film montre. Le “Je” n’a pas de maison, il déambule sans direction et se réfugie dans sa propre imagination. L’image de Guerra est plus que la visualité. Elle est également le non-dit. On finit avec la question de Wunenburger[6]: « Comment enfin articuler la régularité des imaginaires individuels et culturels-collectifs, c’est à dire, pour adopter la nomenclature disciplinaire, la psychologie avec la sociologie des imaginaires ? ».
(Avec la collaboration d’Olivier Chatriant pour la traduction)
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NOTES
[2] Michel Maffesoli, Notas sobre a pós-modernidade: o lugar faz o elo, Atlântica, Rio de Janeiro, 2004, p. 10.