Danilo De Salazar
Université de la Calabre – Rende (CS), (Italie)
danilo.desalazar@gmail.com
Réélaboration du mythe dans la prose initiatique
de A. E. Baconsky, Echinoxul nebunilor şi alte povestiri /
The Re-elaboration of Myth
in A. E. Baconsky’s initiatic prose work,
Echinoxul nebunilor şi alte povestiri (“The Madmen’s Equinox and Other Stories”)
Abstract: According to most critics, it is possible to recognize in A. E. Baconsky’s prose work, Echinoxul nebunilor şi alte povestiri, an initiatic aspect, mirrored in the very structure of the ten short stories comprising the volume. Our hermeneutical excursus aims to show the elements referable to rite – in particular, to man’s reintegration with Mythical Time and to the reconciliation of being with the great cosmic cycles, to which Mircea Eliade paid much attention. The author adopts and re-elaborates these myths, embedding them, more or less explicitly, in the narrative plot. This is the case of the Zalmoxis, Orestes, Icarus and Ulysses myths – finely recalled by Baconsky in his references to sirens and to the Cyclops Polyphemus. Our study of the revival of myth within Baconsky’s short stories is accompanied by an accurate analysis of Baconskyan imagery that, on the basis of the researches led by Gaston Bachelard, Gilbert Durand and Jean Libis, reveals itself particularly fertile as regards the aerial element and, above all, the watery one. In this perspective, we seek to further focus on the passage from myth to complex, discovering its extreme vitality on the level of imaginative dynamism in the figures of Jonah and Charon.
Keywords: A. E. Baconsky; Myth; Rite; Initiatic Prose; Water; Sea; Wind.
En procédant à l’exploration du cogito du rêveur, auquel est dédié un chapitre entier de La Poétique de la rêverie, Gaston Bachelard propose une analyse du je et reconnaît trois catégories selon le niveau de conscience maintenu : “Le « je » du sommeil – s’il existe ; le « je » de la narcose – s’il garde valeur d’individualité ; le « je » de la rêverie, maintenu dans une telle vigilance qu’il peut se donner le bonheur d’écrire”[1]. Selon l’épistémologue français, l’homme, à travers la rêverie, pénètre dans une sorte de région des ombres[2], à mi-chemin entre l’être et le non-être, un espace qui sert de “« médiateur plastique » entre l’homme et l’univers”[3]. La compréhension du rapport entre l’homme et le cosmos, ou plus en général du mystère de la vie, constitue le thème essentiel d’Echinoxul nebunilor şi alte povestiri (L’équinoxe des fous et autres récits)[4] d’A. E. Baconsky, comme le met déjà en évidence la structure narrative du volume entier, qui se fonde sur le sens insaisissable de réponses longtemps poursuivies. Il n’est permis au lecteur que de pressentir quelques signes (le message indéchiffrable transmis par les oiseaux en vol, les fresques énigmatiques retrouvées dans une maison dans les marais, une lettre qui annonce un meurtre…), pour partager ensuite avec le protagoniste un sentiment d’anxiété et de frustration, provoqué par l’impossibilité d’en saisir le signifié profond, par l’incapacité précisément de dévoiler le mystère de son existence[5].
Le schéma narratif magistralement construit autour du protagoniste des dix récits qui composent le volume se déroule dans une atmosphère fuyante et riche en références symboliques, où le lecteur plonge en s’associant au jeu de substitution et de renversement de rôles des personnages et en percevant une sensation d’égarement spatio-temporel, typique du rêve ou plus précisément du cauchemar. De plus, nous considérons que le choix de l’auteur d’abolir ou de dissimuler l’identité des actants (en négligeant les noms ou parfois en employant des moyens spécifiques comme la mise en abyme, l’inversion des rôles ou encore en utilisant une description énigmatique des visages) a comme but principal la dé-subjectivité du personnage, ce dernier étant le protagoniste d’une histoire qui va bien au-delà des pages du livre, une histoire qui précipite dans le temps mythique[6]. Echinoxul nebunilor est l’histoire universelle de l’homme, soumise à la loi des grands cycles, dont le récit se fait rite et célébration : “Depuis longtemps je l’avais oublié moi-même [mon nom, n.d.t.], depuis que, sous le signe imposé par l’intersection des grands cycles qui se croisaient dans ma biographie, je m’étais débarrassé de tout ce qui pouvait me souvenir de moi-même”[7].
Traces homériques dans l’exploration gnoséologique
« Autrefois j’ai abandonné ma maison, en suivant un mendiant aveugle qui parcourait le monde avec son chien – et je n’ai plus regardé en arrière »[8]. Ainsi commence le voyage périlleux du protagoniste de Farul (Le phare), récit qui ouvre Echinoxul nebunilor şi alte povestiri. Le voyage doit être entendu ici comme la métaphore d’une recherche existentielle proprement dite, comme la tentative de dévoiler ce mystère qui, comme un linceul, s’étend de la première jusqu’à la dernière page du volume, enroulant et impliquant le lecteur dans une entreprise cognitive dont on découvre bientôt l’impossibilité. Comme la plupart des critiques l’ont relevé, le personnage principal des dix récits qui composent le livre est toujours le même[9] et nous approuvons ce que Nicolae Creţu a observé : « Le héros des proses de Echinoxul nebunilor (il n’existe sans doute qu’un héros que nous redécouvrons toujours derrière ses masques successifs) est l’Homme, un Ulysse du mythe total, ontique, se débattant avec les défis fondamentaux de la vie »[10]. L’analogie est encore plus appropriée si l’on considère aussi des passages du livre où la référence au poème homérique est explicite. Nous remarquerons l’assimilation, qui n’est certainement pas aléatoire, du phare au cyclope Polyphème (« Je voyais dans son œil de Polyphème pétrifié un monde de vide et de mort propagée »[11]) et surtout l’évocation des sirènes : « Et il n’y aura plus aucune sirène qui mettra fin au jeu sombre et qui annoncera la mort à travers son chant, la seule à laquelle je me sentais condamné »[12]. Jean Libis, dans L’Eau et la mort, consacre un chapitre entier à l’érotisme de l’eau et s’arrête sur le mythe des sirènes, en y apercevant non seulement le réseau symbolique unissant l’eau, la féminité et la mort, mais en en saisissant un aspect encore plus profond :
Pourtant, d’un autre côté, le mythe reste étonnamment vivace et fécond, pour peu qu’on se donne la peine […] de relire attentivement l’épisode homérique. Les sirènes y apparaissent détentrices d’un savoir : non seulement elles connaissent tous les maux endurés par les héros de la guerre de Troie, mais elles savent aussi « tout ce que voit passer la terre nourricière ». Quel est donc le contenu de ce Savoir, si radical, si essentiel, qu’il a besoin du plus beau chant pour prendre forme, et qui est à ce point inaudible par les mortels qu’il les égare et les détruit ? […] Qu’est-ce donc que nous désirons entendre à ce point qu’il y va de notre existence même et qu’il nous faille nous boucher les oreilles avec de la cire pour que soit continué le Périple, qui est aussi le retour au bercail ?[13]
Ce « savoir essentiel », ce que le protagoniste « désire entendre à ce point qu’il y va de son existence », est l’existence même : chaque voyage pour en découvrir le sens le plus profond n’est qu’une Odyssée ; l’Ithaque coïncide irrémédiablement avec l’origine et avec la destination vers laquelle se dirige, dans le texte, l’alter ego de l’écrivain. La conscience intime de la caducité engendre chez les hommes une angoisse qui pénètre toute l’atmosphère où les histoires racontées s’inscrivent. Cette angoisse est liée aussi au sentiment de frustration provoqué par l’impossibilité concrète d’un retour à un état idéal de joie authentique (« Je vivais heureux dans un monde fantastique, peuplé par des créatures grandes et généreuses, masques de certains idéaux de plus en plus brumeux »[14]), concevable seulement comme rupture tragique avec la situation immanente. C’est exactement dans cette condition d’inachèvement que Libis – en se référant aux méditations de Maurice Blanchot – repérera l’élément commun à l’homme et au roman[15].
Perspectives cosmologiques du mythe
« A. E. Baconsky écrit une prose au caractère initiatique, où l’initiation du lecteur-néophyte se déroule parallèlement à celle du narrateur-témoin acteur »[16] : en nous référant aux études de Mircea Eliade sur le mythe, nous nous concentrerons sur l’importance particulière que ce dernier revêt dans les récits contenus dans Echinoxul nebunilor, œuvre où Laurenţiu Ciobanu remarque un passage « naturel de l’existence dans le mythe et du mythe dans l’existence »[17]. Parfois le mythe est évoqué de façon explicite, comme dans le cas d’Orphée et Eurydice, auquel est consacré un récit entier, le cinquième, tandis que, d’autres fois, la référence est implicite : le passage suivant ne se réfère-t-il pas à l’épopée sanglante des Atrides? « Il s’agira d’une tragédie sur le jeune fils d’un roi, qui a tué sa mère, sur une vengeance héritée de génération en génération entre frères, une vengeance inachevée, qui traverse le temps comme une flamme empoisonnée et sacrée, nourrie par des vestales inconnues »[18]. Nous pourrions peut-être même percevoir dans le personnage d’Oreste ce sentiment de culpabilité obscure auquel Nicolae Creţu se réfère lorsqu’il écrit :
Dans un espace intérieur incertain, qui suggère l’aventure onirique, se passent les expériences fondamentales de la vie ; tous les chemins qui semblent mener vers quelque chose d’autre, vers un salut de soi-même sont explorés, l’homme seul, en proie à ses obsessions, rongé par le sentiment d’une culpabilité obscure[19].
La même atmosphère étouffante pénètre aussi les pages finales du récit Înceţoşatul Orfeu (Orphée le brumeux) où l’Ade trouve son correspondant dans le « bordel » (« la maison peinte de bleu »), lieu où le protagoniste n’arrivera pas à sauver son Eurydice et où il semble être spirituellement piégé :
Parfois je suis avec moi, délivré d’un monde dont à l’improviste je suis devenu prisonnier, je reste les yeux ouverts, les prunelles dilatées et tourmentées par les vérités qui se dévoilent à ceux qui sont capables de transformer les souffrances en cristaux de glace. Mais trop souvent je me réveille accablé de nouveau par les nuits fétides qui m’ont conquis – et toutes les horreurs s’élèvent devant moi, colonnes tyranniques de la perdition, entre lesquelles je passe à l’aveuglette vers mon horizon écroulé. Alors je reviens à ma vie de la maison peinte en bleu. Je suis peut-être toujours là. Je ne l’ai jamais peut-être abandonnée[20].
Nous voudrions interpréter la référence de l’écrivain au personnage d’Icare selon une perspective différente : un renvoi qui semble bien loin des valeurs superficielles et moralisantes qui ont étés très souvent attribuées à l’histoire racontée dans ce mythe. Dans le passage en question, tiré du récit Cel-mai-mare (Le-plus-grand), on peut lire : « Nous avions appris seulement que nous aurions dû le rencontrer une nuit sur la rive, à côté des vagues monotones, qui lavaient le sable, sur lequel se dessinaient sans cesse leurs ailes d’Icares tombés et enterrés dans le jaune de la plage »[21]. Jean Libis observe qu’on n’a pas suffisamment remarqué que « le personnage d’Icare parcourt une trajectoire typiquement cosmologique »[22] et ajoute avec perspicacité :
Il s’évade de la complexité tellurique, symbolisée par le labyrinthe, épouse dans un second temps la plénitude de l’espace aérien, puis tente de s’approcher du feu suprême. Son immersion funeste dans le sein de la mer constitue donc le quatrième moment d’une pérégrination successivement dédiée aux quatre Eléments. En d’autres termes, l’investigation imaginaire du monde prend fin dans l’engloutissement thalassal[23].
Dans cette perspective, le passage de Baconsky gagne une énergie nouvelle : ses Icares deviennent le reflet du caractère cyclique et universel, soutenu par l’aspect presque messianique du récit. En analysant le texte avec attention, nous pouvons en effet repérer le schéma cyclique dans le mouvement répétitif et monotone des vagues (l’élément aquatique) qui, sans cesse, tracent des ailes (l’air) sur la plage (la terre). Le quatrième élément, c’est-à-dire le feu, est représenté par la couleur jaune, que l’on peut directement associer au soleil. La présence d’une plage jaune à l’intérieur d’une scène qui se situe dans l’obscurité ne fait qu’encourager la nécessité d’une approche analytique capable de porter l’attention de l’image de la réalité à la réalité de l’image : « L’imagination n’est pas, comme le suggère l’étymologie, la faculté de former des images de la réalité ; elle est la faculté de former des images qui dépassent la réalité, qui chantent la réalité »[24]. La richesse des images condensées dans une page de Baconsky et le soin avec lequel chaque phrase a été ciselée réclament une lecture profonde, vu qu’il s’agit d’un véritable poème des éléments.
Finitude et souvenir d’un autre soi
S’il y a un récit qui met en lumière l’impossibilité de saisir le sens de la vie, c’est sans doute Aureola neagră (L’auréole noire) où à la fin le protagoniste constate, non sans stupeur et désillusion, la disparition de l’autel de Zalmoxis, retrouvé sous le sable apporté sur le rivage par la Mer Noire. En nous arrêtant sur le récit qu’on vient de citer et en analysant attentivement le passage où est décrite la découverte d’un mur (l’auteur nous laisse entendre qu’il s’agit d’un fragment d’autel), nous découvrirons quelques éléments qui ne peuvent être négligés et qui, au contraire, sont fondamentaux pour notre parcours herméneutique : « On entendit un sifflement comme d’un serpent, mais nous ne pûmes comprendre d’où il venait – et sur les pierres découvertes un tourbillon de cendre légère parut, qui s’éleva et disparut dans l’atmosphère »[25]. Déjà au premier abord nous reconnaissons deux symboles qui vont vers la même direction thématique évoquée par la figure de Zalmoxis, associé selon la tradition au salut et à l’immortalité de l’âme : en effet le serpent[26] et le tourbillon[27] de cendre, grâce à la conformation en spirale qui en marque les formes sur le plan de l’imagination, renvoient inévitablement à ce que Gilbert Durand définit comme « la permanence de l’être à travers les fluctuations du changement »[28]. Ces deux « images » s’inscrivent aussi dans la constellation symbolique centrée sur le vent, une présence constante dans les dix récits composant le volume. Le vent, porteur d’un message mystérieux, amorce un double changement : le premier est celui du milieu où l’action se déroule qui, tout à coup, prend des couleurs et des sonorités nouvelles ; le second – dont le premier est selon nous un reflet et non pas une cause – se déroule à l’intérieur du personnage principal. Le vent est, dans sa nature, une manifestation du mystère et cette caractéristique a des précédents dans plusieurs traditions culturelles : il suffit de penser à la tradition biblique selon laquelle le vent est associé à l’esprit de Dieu ou au Vâyu indien. Dans les récits de Baconsky, le mystère, dont le vent se fait l’épiphanie, est le mystère de l’existence individuelle projetée dans le cosmos, en rapport avec le caractère cyclique de l’univers, un processus auquel l’homme participe en cherchant d’en comprendre les lois[29] :
L’auberge paraissait déserte, elle paraissait plus grande, plus élancée, comme un chasse-esprits planté au carrefour de certains temps renversés qui n’auraient succombé à aucun crépuscule. Elle semblait le squelette d’une autre auberge, plus ancienne, déterrée par la phalange éolienne et construite pour accueillir des pèlerins fous et des fugitifs[30].
Ce passage d’Aureola neagră stimule encore notre analyse, en nous poussant à concentrer notre attention sur l’image de la « phalange éolienne » en tant qu’évocatrice de la chasse infernale, un thème que Bachelard définit comme « le conte naturel du vent hurlant, du vent aux mille voix, aux voix plaintives et aux voix agressives »[31]. La réponse immédiate à cette réflexion nous est donnée après quelques lignes, à la fin du cinquième chapitre du récit : « Je vis courir dans le champ, à travers l’obscurité, des torches allumées et j’entendis le piaffement d’un galop lointain »[32]. En continuant le parcours proposé par Bachelard, nous n’hésiterons pas à assimiler la chasse infernale à l’image mythologique des Érynnies, les poursuivantes d’Oreste[33], en attribuant ainsi à l’élément la capacité de manifester des sentiments plus profonds, comme le regret, la vengeance et, surtout, le souvenir d’un temps perdu. À ce propos, le philosophe cite un passage de Gabriele D’Annunzio tiré de Contemplazione della morte: « Et le vent était comme le regret de ce qui n’est plus, était comme l’anxiété des créatures non formées encore, chargé de souvenirs, gonflé de présages, fait d’âmes déchirées et d’ailes inutiles »[34]. On distingue ici une certaine affinité avec l’imaginaire éolien de Baconsky : « Tous les sons qui naissaient [du vent] pendant le jour et la nuit m’étaient proches et chers, parce que le murmure, le bruissement, le souffle, le soupir perdu m’amenaient des échos d’un monde invisible et fabuleux, vers lequel mes années, comme un triangle de dix-huit grues sans destination, volaient »[35]. Les dix-huit ans – moment caractérisé par une forte valeur initiatique, en tant que passage de l’adolescence à l’âge mûr – sont ici associés à un triangle de grues qui émigrent pour faire retour à un monde inconnu dont l’écho retentit dans le vent.
Entre la mer et le marais : sur le quai de l’existence
Si, d’un côté, le riche et suggestif imaginaire éolien domine l’atmosphère des récits de A. E. Baconsky, qui réussit ainsi à imprimer une tonalité de mystère et d’angoisse à son texte, de l’autre, l’élément aquatique, loin d’être insignifiant, constitue au contraire une véritable matrice fabulatrice de l’œuvre. Analysant le rôle de l’élément aquatique dans le texte littéraire, Jean Libis reconnaît : « Chez certains écrivains, l’eau est un véritable cosmos d’écriture. Il semble alors qu’elle devienne un objet romanesque à part entière, et accompagne le destin d’une œuvre »[36]. Echinoxul nebunilor est une œuvre totalement empreinte d’eau : les vagues retentissent tout au long de ses pages et un destin de mort et renaissance est inscrit dans leur mouvement. Ainsi, à la fin du volume, s’annonce un cycle nouveau : le printemps arrive et, avec lui, arrivent aussi des hommes transportés par la mer, pour construire de nouveau la ville. Le récit trouve sa mort juste au moment où une nouvelle vie s’ouvre à l’intrigue. Nous observons le même processus dans Artiştii din insulă (Les artistes de l’île) où des branches et des surgeons naissent sur les corps des femmes gravés dans les troncs d’arbres : le printemps, en négligeant la forme, donnera une vie nouvelle à ceux qui n’étaient plus que des monuments funèbres (« Je tressaillis à la vue des statues réveillées pour une vie qui était leur mort »[37]). Nous pensons qu’à la source de cette attention insistante sur le thème de la renaissance il y a une exigence ontologique de l’homme. En effet, comme l’a écrit Jung : « Jamais la Vie n’a pu croire à la Mort ! »[38]. C’est peut-être pour cette raison que le protagoniste du récit Farul pénètre dans le marais avec obstination, bien que ce lieu soit de plus en plus présage de mort[39]. Du point de vue de l’imaginaire, le marais représente le fidèle contrepoint de la mer : si l’élément aquatique avec sa dimension thalassale et infinie met l’être humain en contact avec une réalité cosmique qui répond aux lois des grands cycles universels, le marais, grâce à la contamination avec l’immanent (avec l’élément tellurique), se charge de connotations négatives et permet à l’homme de découvrir l’inexorabilité de la mort, en le soumettant à la loi du devenir. « La mer […] conduit l’imagination aux limites de son extensibilité »[40] tandis que le marais captieux évoque l’anéantissement définitif : l’imagination est projetée vers le bas, vers la profondeur insondable de l’enfer et l’être humain ressent la même frustration qui est produite par le rêve où la pesanteur interdit le mouvement. Les rêveries qui concernent le marais ne peuvent que rappeler à l’homme sa condition d’impuissance, sa finitude : « Dans tous les cas, l’indétermination et la viscosité désignent la condition infernale, à savoir la nostalgie de la forme fixe »[41]. On comprend alors la profondeur de la réflexion suivante : « Je me sentais prophète et mage aux yeux étoilés, sans douleur, sans désirs, sans âge, comme ce phare se sera peut-être senti, exilé sur une côte perdue entre une époque qui devait être passée déjà depuis longtemps et une autre qui n’arrivera jamais »[42].
Deux époques, toutes les deux insaisissables comme, d’un côté, la mer vers laquelle l’imagination est toujours ouverte et comme, de l’autre, le marais qui active des rêveries centripètes en projetant l’être humain vers un temps tellement proche qu’il devient insondable. Comme un phare, l’homme ne réussit à éclairer que la surface d’une petite partie de l’infini vers lequel il est projeté, mais est en même temps incapable d’éclairer la partie la plus profonde de lui-même. Comme l’affirme Bachelard, « La connaissance de l’essentiel a pour contrepartie la mort »[43]. En effet, dans les récits de Baconsky, le protagoniste peut seulement apercevoir l’essentiel, mais il ne peut pas en avoir une confirmation[44]. L’itinéraire de l’homme baconskyen ne finit pas par une défaite, mais par un appel cruel à constater sa finitude irrémédiable, dont le refus condamnerait l’être à un tourment implacable : « Ton âme est le serpent qui t’étrangle […]. Il ne te laisse jamais tourner le regard. Tu cherches toujours le chemin au-delà des choses, tu veux toujours en voir l’autre face, celle vers laquelle seuls les yeux aux paupières fermées à jamais regardent »[45].
Jean Libis, dans le chapitre dédié à la létalité de l’eau, développe le concept d’ »abolition du principe d’individuation »[46] :
Le processus d’individuation est d’emblée, dans sa phase active, un processus d’intégration, et donc de soumission ontologique : […] en s’individualisant la matière s’inscrit autant que possible dans l’ordre universel de la forme. Tant et si bien que la croissance de l’individu, aussi bien que sa décroissance, sont frappées chacune à leur manière du sceau de la « dilution »[47].
Après les réflexions de Mircea Eliade sur le mythe de l’éternel retour, le critique trace un parcours que nous suivrons pour l’analyse des valeurs qu’acquiert, dans la prose de Baconsky, l’élément aquatique par rapport à la mort :
La mort est d’abord la sanction d’une émancipation ontologique, la nécessité d’un retour à l’ordre ; ensuite elle est l’abolition de la contingence, et ce qui sauve la pensée dans ses prétentions à l’universalité. En d’autres termes il faut que l’individu soit sacrifié à la substance ; ou, plus exactement, qu’il s’y résorbe[48].
C’est seulement dans cette optique que nous réussirons à saisir l’importance réelle des mots que le protagoniste du récit Farul utilise pour justifier l’union profonde de son être avec l’élément thalassal : « Je suis fait pour la mer. Une folie ou une maladie étrange m’avait amené sur ses rivages, dans la solitude où chaque chose semblait se dissiper dans son non-être »[49]. Selon une expression célèbre de Gaston Bachelard, nous pouvons définir le protagoniste des récits comme un être « voué » à l’eau, « un être en vertige »[50], prêt à s’abandonner à l’élément qui, plus que les autres, « exerce sur les formes individualisées une sorte d’attraction mortifère »[51] et qui, grâce à ses propriétés purifiantes et régénératrices, annonce une renaissance et associe le destin de l’homme au destin des cycles cosmiques qui trouvent en lui la garantie de renouvellement[52]. Dans le récit Echinoxul nebunilor, le personnage principal se rend compte de sa participation à ce caractère cyclique universel, comme dans le passage suivant, où se révèle une allusion directe à la métempsychose :
J’avais toujours l’impression d’être ressuscité d’une mort qui autrefois, il y a des siècles, avait été chantée par des bardes vagabonds et d’avoir en moi-même l’âme immense et désolée de certaines races passées l’une dans l’autre, métamorphosées dans la succession des années et dans le rythme capricieux de certains cycles terminés toujours en avance. Mon identité se perdait en se dissipant en milliers, en centaines de milliers d’hommes[53].
Du mythe au complexe : Caron
À cette dispersion de l’identité (« Il me semblait être condamné à souffrir, en les vivant, toutes les souillures de certaines biographies étrangères, de certaines existences exilées des temps, afin qu’elles se purifient à travers le filtre de ma vie même »[54]), répond, au niveau cosmique, la dilution de la nuit (« En dehors, l’obscurité continuait à se diluer »[55]) qui doit être considérée comme la régression vers un temps dont on ne se souvient pas (« Troublée, la mémoire restait prisonnière d’un ossuaire immense »[56]). Il semble qu’il s’agisse ici du retour in illo tempore, c’est-à-dire l’époque mythique où les « espèces […] n’étaient pas encore fixées et les formes étaient fluides »[57], un processus symboliquement provoqué par le cycle lunaire. Dans son Traité d’histoire des religions, Mircea Eliade évoque les hiérophanies lunaires, considérées comme des « révélations […] d’une sacralité fondamentale sous-jacente au Cosmos »[58] et qui permettent, pour cette raison, de marquer le temps du rite. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter aussi le choix de l’équinoxe, en tant que moment favorable pour célébrer le rituel d’une vengeance dont le protagoniste – dans le sixième récit – sera, en même temps, victime et bourreau[59]. Cet événement fait toujours partie du schéma cyclique des morts et des renaissances qui représente le fondement de chaque rite[60]. À propos des cérémonies d’initiation, Eliade reconnaît :
Si le symbolisme aquatique et lunaire a joué un rôle si important dans la vie spirituelle de l’homme archaïque, c’est justement parce qu’il rendait évidents et transparents l’abolition et le rétablissement ininterrompus des « formes », la disparition et la réapparition cyclique, l’éternel retour (en fait l’éternel retour aux origines). Sur tous les plans – depuis la cosmologie jusqu’à la sotériologie –, l’idée de régénération est liée à la conception d’un temps nouveau, c’est-à-dire à la croyance en un commencement absolu auquel l’homme peut parfois accéder[61].
C’est le contact avec la matière qui assure cet accès : dans notre cas, le retour à “l’eau matricielle et principielle, d’où sourd la totalité des êtres, et vers quoi elle retourne”[62]. Si la mort est “l’absolument réel, l’ananké à l’état pur”[63], ajoutons qu’“au bout de chaque travail de l’imaginaire, l’enjeu est encore et toujours la mort, le lien inséparable et insupportable avec ce point de non-retour, qu’on doit modérer, soutenir, vaincre, ou dissiper”[64]. À cette nécessité typiquement humaine se relie l’image de la barque des morts[65], où est mise en évidence la dimension thanatologique[66] de l’eau et, en même temps, sa puissance régénératrice[67]. L’image, présente très souvent en littérature, est l’expression de ce que Gaston Bachelard a appelé le “Complexe de Caron” :
L’imagination profonde, l’imagination matérielle veut que l’eau ait sa part dans la mort ; elle a besoin de l’eau pour garder à la mort son sens de voyage. On comprend dès lors que, pour de telles songeries infinies, toutes les âmes, quel que soit le genre de funérailles, doivent monter dans la barque de Caron[68].
Retrouver une trace plus ou moins explicite de ce complexe ne sera pas difficile pour le lecteur des récits de Baconsky. Nous nous arrêterons seulement sur deux cas où l’évocation de la barque des morts est la plus manifeste. Dans le premier passage, la scène est décrite dans les détails et revêt le caractère d’une véritable cérémonie rituelle:
Nous l’embarquâmes en l’étendant sur le fond plein d’eau de la barque et après avoir pris les rames nous nous éloignâmes rapidement vers le Sud, où l’eau était plus profonde […]. Comme dans un rêve j’entendis la voix du gardien qui me disait de laisser les rames. Lorsque je me retournai vers lui, je le vis debout au bout de la barque, occupé à entailler une branche de peuplier à l’aide d’un petit couteau […]. En quelques instants, une petite croix en bois, liée avec une ficelle, pendait au cou du mort. Puis nous le jetâmes dans la mer et, alors que nous retournions, le soleil émergeait obliquement, couronnant nos têtes comme si nous étions les samaritains du crime[69].
Relevons le caractère éminemment religieux de certains éléments, tels que la croix et la référence à la parabole du Bon Samaritain (Évangile de Luc: 10, 25-37), celle que Jésus utilise pour expliquer comment on peut conquérir la vie éternelle[70]. Baconsky, en se référant au cadavre, avait mis en évidence un aspect important : “Il semblait être un homme robuste, entre deux âges, brûlé par le soleil et tanné par l’eau de la mer, qui allait l’accueillir en lui donnant pour toujours les transparences du néant”[71], en accord avec la pensée de Bachelard, qui considère la mort dans l’eau comme une transformation de l’élément même en un néant substantiel[72].
Le second passage met en évidence une autre valeur spécifique de la mort en mer, pour en dévoiler l’aspect maternel[73] : “Les pêcheurs se signèrent tournés vers l’Orient et en le soulevant le placèrent dans une barque, pour le ramener vers le sommeil migrateur dont ils l’avaient réveillé”[74]. Pour comprendre le sens réel de ces mots, nous devons penser au sommeil comme mort euphémisée et saisir l’analogie symbolique entre l’image de la barque et celle du berceau qui, à son tour, est isomorphe au ventre maternel[75]. Il s’agit d’une correspondance confirmée ultérieurement par le sens de repos, de protection et de régénération que ces images suggèrent et dont l’auteur est pleinement conscient lorsqu’il écrit : “La mer savait me récompenser de tout”[76] ; “Avec un bain de mer je serais guéri complètement”[77] ; “La mer m’accueillit tendrement comme toujours”[78].
Jonas et la réintégration dans le temps cosmique
Il faut réussir à pénétrer l’image lorsqu’on parle de maternité de l’eau, en en explorant la profondeur, pour en saisir le sens limite, c’est-à-dire le retour à l’origine : on apercevra alors ce que Bachelard, dans La Terre et les rêveries du repos, décrit comme le Complexe de Jonas[79], un processus lié aux rêveries intimes et déterminé par les images d’avalement[80]. C’est un avalement auquel la nuit participe aussi et qui, avec son obscurité, rend possible la dissolution des formes : “Nous les regardâmes en silence, un à côté de l’autre comme deux obélisques pétrifiés sur le rivage, jusqu’à ce que la nuit et l’horizon les engloutirent”[81] ; “Ils se dirigèrent vers la mer, sautèrent dans la barque, et la nuit engloutit tout de suite leurs silhouettes ainsi que l’embarcation qui les avait amenés”[82]. Comme dans l’histoire biblique où le prophète revoit le jour, le Complexe de Jonas bachelardien envisage toujours une renaissance :
La sortie du ventre est automatiquement une rentrée dans la vie consciente et même dans une vie qui veut une nouvelle conscience. On mettra facilement cette image de la sortie de Jonas en rapport avec les thèmes de la naissance réelle – avec les thèmes de la naissance de l’initié après l’initiation – avec les thèmes alchimiques de rénovation substantielle[83].
Le schéma cyclique, qui constitue le cœur des récits de Baconsky, se relie alors à ce regressus ad uterum, dont l’image du dauphin[84] est, d’après nous, une expression ayant une valeur symbolique évoquée par l’auteur même : “Des brises intermittentes avaient soufflé la cendre du vieil établissement des pêcheurs où, un matin, comme un symbole, un dauphin mort apparut sur la plage”[85]. Qu’il s’agisse d’une dissolution dans le néant substantiel ou d’un retour à l’archétype maternel, la destination de ce voyage par mer semble ainsi être toujours la réintégration dans l’ordre cosmique[86]. Elle est rendue possible, selon l’auteur, par la communion avec l’élément thalassal, garant de la participation de l’homme à la régénération cosmique, dans une alternance perpétuelle de morts et de renaissances : “Je pensais sans cesse au parcours des mers, le seul, le triple, le fou, aux côtes lointaines où en arrivant on renaît, à chaque fois autre que soi”[87].
Bibliographie
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Notes
[1] G. Bachelard, La Poétique de la rêverie, Paris, P.U.F., 2005, p. 146.
[2] Gaston Bachelard précise : “L’être du rêveur envahit ce qui le touche, diffuse dans le monde. Grâce aux ombres, la région intermédiaire qui sépare l’homme et le monde est une région pleine, et d’une plénitude à la densité légère. Cette région intermédiaire amortit la dialectique de l’être et du non-être”, Ibidem, p. 144.
[3] Ibidem, p. 144.
[4] A. E. Baconsky, Opere, II. Proză. Versuri, Bucureşti, Academia Română, Fundaţia Naţională pentru Ştiinţă şi Artă, 2009.
[5] À ce propos, il nous semble pertinent de citer ce que Crina Bud a observé, en expliquant que “Le moment de découverte de certains motifs synergiques […] est suivi d’un sens d’illumination. Il s’agit de ce que A. E. Baconsky a nommé – en ne se référant pas à lui-même, mais à Ion Ţuculescu – une illumination contemplative, « une recherche fiévreuse des matrices originaires, […] un sens de l’âge de ceux qui n’ont pas d’âge, frénésie du contemplatif mélancolique, ascète ravagé par la somptuosité ». Le personnage-narrateur est accoutumé à toutes ces combinaisons paradoxales et il se présente très souvent comme une victime de certaines révélations, parce que les conditions de l’illumination se produisent malgré son apathie”, C. Bud, “Literatură şi ziduri”, in A. E. Baconsky, Biserica neagră, Echinoxul nebunilor şi alte povestiri, préf. C. Bud, Bucureşti, Curtea Veche Publishing, 2011, p. 21.
[6] Cette expression doit être entendue selon le sens eliadien (cf. M. Eliade, Traité d’histoire des religions, Paris, Éditions Payot et Rivages, 2011, p. 384-404).
[7] “Eu însumi îl uitasem de mult, de când, sub zodia impusă de răspântia marilor cicluri ce se încrucişau în biografia mea, mă lepădasem de tot ce putea să-mi aducă aminte de mine”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 87.
[8] “Odată am dispărut de acasă, luându-mă după un cerşetor orb care umbla prin lume în tovărăşia câinelui său – şi nu m-am mai uitat înapoi”, Ibidem, p. 13.
[9] Dans l’introduction à l’édition de 2011, Crina Bud souligne : “La migration des images d’un texte à l’autre donne l’impression de certaines cartes juxtaposées, qui révéleraient un même but spirituel. Le lecteur qui s’obstine à en saisir la signification risque de s’irriter et de se sentir, en quelque sorte, découragé devant le labyrinthe de sens, encore plus lorsque, de temps en temps, il croit en avoir découvert le code. Les récits ressemblent aux fragments d’une mosaïque immense dont les pièces ne peuvent pas être utilisées dans leur ensemble, mais, puisant çà et là, la composition des fragments crée une représentation cohérente, qui suggère la totalité” (C. Bud, Op. cit., p. 20). Les éditeurs de l’édition de l’Académie Roumaine, Pavel Ţugui et Oana Safta ont, avec Teodor Baconsky, relevé l’existence de deux manuscrits concernant l’œuvre en question, dont les datations révèlent une contiguïté temporelle étonnante, comme si l’auteur y avait travaillé parallèlement : “Il semble que l’auteur a commencé à travailler à ce cycle de récits pendant la première partie de l’année 1965. Il existe parmi ses manuscrits un cahier à la couverture jaune […]. En 1986, avec Teodor Baconsky, le fils de l’écrivain, nous avons établi que ce manuscrit est la première variante du volume des récits […]. Ce Cahier-manuscrit est daté : « 17. VII. 1966 ». On dirait que Baconsky a travaillé à ses proses sur des pages « en parallèle », parce qu’il existe un second manuscrit […] qui a comme date : « 18. VII. 966 ». Ce manuscrit représente la forme définitive du livre Echinoxul nebunilor şi alte povestiri” (A. E. Baconsky, Op. cit., p. 771).
[10] N. Creţu, “A. E. Baconsky : « Echinoxul nebunilor »”, Iaşul literar, 1968, a. XIX, n. 2, p. 54.
[11] “Vedeam în ochiul lui de Polyphem pietrificat o lume de vid şi de moarte iradiată”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 38.
[12] “Și nici o sirenă nu se va mai găsi să pună capăt sumbrului joc şi să vestească moartea prin cântec, singura la care mă simţeam condamnat”, Ibidem, p. 73.
[13] J. Libis, L’Eau et la mort, Dijon, Centre Régional de Documentation Pédagogique de Bourgogne, 1996, p. 182.
[14] “Hălăduiam într-o lume fantastică, populată de fiinţe înalte şi generoase, măşti ale unor idealuri din ce în ce mai înceţoşate”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 53.
[15] “Cet inachèvement radical, qui implique une déficience ontologique et qui constitue la signe même de la mortalité, est au cœur de la méditation de Maurice Blanchot […]. Écrire un roman, c’est avouer implicitement que le monde est incompréhensible, que l’homme est seulement voué à son destin temporel, sexuel et mortifère”, J. Libis, Op. cit., p. 34.
[16] G. Glodeanu, “Poetica fantasticului”, in Dimensiuni ale romanului contemporan, Baia Mare, Editura Gutinul, 1998, p. 100.
[17] L. Ciobanu, “A.E. Baconsky : « Echinoxul nebunilor »”, Cronica, 1967, II, n. 42 (89), p. 8.
[18] “Va fi o tragedie despre fiul tânăr al unui rege, care şi-a ucis mama, despre o răzbunare moştenită din neam în neam între fraţi, o răzbunare neîmplinită, ce străbate prin timp ca o flacără otrăvită şi sacră, alimentată de vestale necunoscute”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 86.
[19] N. Creţu, Op. cit., p. 54.
[20] “Uneori sunt cu mine, eliberat de lumea căreia pe negândite i-am devenit prizonier, sunt cu ochii deschişi, cu pupilele lărgite şi mistuite de adevărurile ce se dezvăluie celor capabili să treacă suferinţele în cristale de gheaţă. Dar prea adesea mă trezesc iaraşi copleşit de nopţile fetide ce m-au cucerit – şi toate ororile se ridică în faţă, tiranice columne ale pierzaniei, printre care trec în neştire spre orizontul meu prăbuşit. Atunci îmi reiau existenţa din casa zugrăvită în albastru. Poate că sunt acolo mereu. Poate că n-am părăsit-o niciodată”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 81.
[21] “Aflasem doar că ne va fi dat să-l întâmpinăm într-o noapte pe ţărm, lângă valurile monotone, ce spălau nisipul, desenându-şi întruna aripile de Icari prăbuşiţi, îngropaţi în galbenul plajei”, Ibidem, p. 56.
[22] J. Libis, Op. cit., p. 32.
[23] Ibidem.
[24] G. Bachelard, L’Eau et les rêves, Paris, Librairie Générale Française, 2001, p. 25.
[25] “Un fluierat ca de şarpe se auzi, dar nu ne-am putut da seama de unde vine – şi pe lespezile descoperite se iscă un vârtej de cenuşă subţire, înălţându-se şi pierind în văzduh”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 67.
[26] Voir : J. Chevalier et A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont / Jupiter, 2008, p. 867-879.
[27] Au début du chapitre « Le Vent », contenu dans L’Air et les songes, Gaston Bachelard affirme : “Le vent, dans son excès, est la colère qui est partout et nulle part, qui naît et renaît d’elle-même, qui tourne et se renverse. Le vent menace et hurle, mais ne prend une forme que s’il rencontre de la poussière […]. Et le premier être créé par cette colère créante, c’est un tourbillon. L’objet premier de l’homo faber dynamisé par la colère, c’est le vortex”, G. Bachelard, L’Air et les songes, Librairie Générale Française, 2001, p. 292.
[28] G. Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, DUNOD, 1992, p. 361.
[29] Nous percevons l’intensité de cette recherche dans les pages de Cel-mai-mare (Le-plus-grand), un récit où à l’attente du Messie est associée une sensation profonde d’impuissance humaine : “Toate încercările de răspuns erau neputincioase conjecturi, păreri efemere şi goale, ce nu făceau decât să sporească nedumeririle tuturora” (“Chaque tentative de trouver une réponse était une conjecture vaine, un avis éphémère et vide, qui servait seulement à accroître la perplexité de tous”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 56).
[30] “Hanul părea pustiu, părea mai mare, mai deşirat, ca o sperietoare de duhuri împlântată la răspântia unor timpuri întoarse, pe care nici un amurg nu le mai putea îndupleca. Părea scheletul unui alt han, de demult, dezgropat de falanga eoliană şi ridicat să întâmpine pelerini nebuni şi fugarii”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 70.
[31] G. Bachelard, L’Air et les songes, Op. cit., p. 299.
[32] “Prin intuneric văzui peste câmp alergând torţe aprinse şi auzii ropotul unui galop îndepărtat” A. E. Baconsky, Op. cit., p. 70.
[33] Citant Schwartz, Bachelard affirme : “Aux images de chasse infernale, Schwartz associe l’image des « chasseresses à la chevelure de serpents ». L’analyse « imaginaire » de la notion d’Érynnies peut partir de ce rapprochement. […] Comme la chasse infernale, l’Érynnie totalise le poursuivant et le poursuivi”, G. Bachelard, L’Air et les songes, Op. cit., p. 301.
[34] Trad. : “E il vento era come il rammarico di ciò che non è più, era come l’ansia delle geniture non formate ancora, carico di ricordi, gonfio di presagi, fatto d’anime lacere e d’ali vane”, G. D’Annunzio apud G. Bachelard, L’Air et les songes, Op. cit., p. 298.
[35] “Toate sunetele ce se năşteau [din vânt] ziua şi noaptea îmi erau apropiate şi dragi, pentru că murmurul, foşnetul, răsuflarea, oftatul pierdut îmi aduceau ecouri dintr-o lume nevăzută şi fabuloasă, către care zburau anii mei ca un triunghi de optsprezece cocori fără ţintă”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 34.
[36] J. Libis, Op. cit., p. 190.
[37] “Am tresărit la vederea statuilor trezite la o viaţă care era moartea lor”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 108.
[38] C. G. Jung apud G. Bachelard, L’Eau et les rêves, Op. cit., p. 87.
[39] À ce propos, il nous semble que le passage où le protagoniste trébuche sur le corps d’un cheval mourant dans le marais peut servir d’exemple. Dans les yeux de l’animal (qui est psychopompe) on découvre un présage de mort très clair : “Înecat într-o baltă de sânge, agoniza sfâşiat de dureri, ce-l făceau să zvâcnească şi să-şi întunece şi mai mult ochii plini de luciri ciudate ; în oglinzile lor negre fulgeră o clipă imaginea capului meu hirsut, purtând drept aureolă ştreangul pretimpuriu legănat veşnic deasupra lui” (“Noyé dans une mare de sang, il agonisait tourmenté par la douleur, qui le faisait tressaillir et qui assombrissait de plus en plus ses yeux remplis de scintillements étranges ; dans leurs glaces noires, l’image de ma tête hirsute resplendit, sur laquelle, comme une auréole, la corde prématurée oscillait perpétuellement”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 24.
[40] J. Libis, Op. cit., p. 51.
[41] Ibidem, p. 90.
[42] “Mă simţeam profet şi mag cu ochi înstelaţi, fără dureri, fără dorinţe, fără vârstă, aşa cum se va fi simţit şi farul acela, exilat pe o coastă pierdută între o vreme care ar fi trebuit să treacă de mult şi alta ce nu va veni niciodată”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 35.
[43] J. Libis, Op. cit., p. 69. L’italique est un choix de l’auteur.
[44] Nous citons, à titre d’exemple, non seulement le passage tiré d’Aureola neagră, mais aussi le récit Farul (Le phare), où l’identité de la femme du marais, avec laquelle le protagoniste a passé la nuit, reste inconnue. De plus, dans le même récit, après la découverte de l’identité réelle de son oncle, le jeune homme n’aura plus la possibilité de prendre contact avec lui.
[45] “Sufletul tău e şarpele ce te sugrumă […]. Nu te lasă niciodată să-ţi întorci privirea. Cauţi mereu drumul de dincolo de lucruri, vrei mereu să vezi faţa lor cealaltă, aceea spre care privesc numai ochii cu pleoapele pe totdeauna închise”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 102. L’italique est un choix de l’auteur.
[46] J. Libis, Op. cit., p. 35-45.
[47] Ibidem, p. 36-37.
[48] Ibidem, p. 36.
[49] “Pentru mine era marea. O nebunie sau o boală ciudată mă adusese pe ţărmul ei, în acea solitudine unde toate păreau că se mistuie în propria lor nefiinţă”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 12.
[50] G. Bachelard, L’Eau et les rêves, Op. cit., p. 13.
[51] J. Libis, Op. cit., p. 38.
[52] Dans le paragraphe Symbolisme de l’immersion, Mircea Eliade observe : “Dans l’eau, tout se « dissout », toute « forme » est désintégrée, toute « histoire » est abolie ; rien de ce qui a existé auparavant ne subsiste après une immersion dans l’eau, aucun profil, aucun « signe », aucun « événement ». L’immersion équivaut, sur le plan humain, à la mort, et sur le plan cosmique, à la catastrophe (le déluge) qui dissout périodiquement le monde dans l’océan primordial. Désintégrant toute forme et abolissant toute histoire, les eaux possèdent cette vertu de purification, de régénération, et de renaissance ; parce que ce qui est immergé en elle « meurt », et, se relevant des eaux, est pareil à un enfant sans péchés et sans « histoire », capable de recevoir une nouvelle révélation et de commencer une nouvelle vie « propre »”, M. Eliade, Op. cit., p. 203-204.
[53] “Mi se părea mereu că am înviat dintr-o moarte pe care demult, cu secole în urmă, o cântaseră barzi rătăcitori şi că port în mine sufletul mare şi nemângâiat al unor neamuri trecute unul în altul, metamorfozate în succesiunea anilor şi în ritmul capricios al unor cicluri încheiate întotdeauna înainte de timp. Identitatea mi se pierdea risipită în mii, în sute de mii de oameni”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 88.
[54] “Mi se părea că sunt blestemat să suport, trăindu-le, toate ordurile unor biografii străine, ale unor existenţe exilate din timpuri, ca să se purifice trecând prin filtrul propriei mele vieţi”, Ibidem, p. 79-80.
[55] “Bezna de afară se dilua mereu”, Ibidem, p. 55.
[56] “Derutată, memoria rămânea captiva unui imens osuar”, Ibidem, p. 83.
[57] M. Eliade, Op. cit., p. 390.
[58] Ibidem, p. 385.
[59] Cf. A. E. Baconsky, Op. cit., p. 82-90.
[60] Il y a beaucoup d’éléments, disséminés dans les textes, qui pourraient renvoyer à la cérémonie rituelle : par exemple, nous pensons aux autels sacrificiels, aux formules prononcées dans des langues mystérieuses, au choix jamais accidentel des nombres, et ainsi de suite. En outre, nous pourrions associer le livre entier à un rite. À l’apui de cette idée, nous pensons, par exemple, à la fin ouverte du dernier récit, où le recommencement est symbolisé par l’arrivée du printemps et par l’accostage d’un navire avec des hommes à bord venus pour reconstruire la ville.
[61] M. Eliade, Op. cit., p. 400-401.
[62] J. Libis, Op. cit., p. 30.
[63] Ibidem, p. 11.
[64] Trad. : “Al fondo di ogni lavoro dell’immaginario, la posta in gioco è ancora e sempre la morte, il legame inscindibile e intollerabile con questo punto di non ritorno, che si tratta di temperare, sostenere, sconfiggere, o dissolvere”, P. Mottana, “Introduzione all’edizione italiana”, in J. Libis, L’acqua e la morte, Bergamo, Moretti & Vitali, 2004, p. 11.
[65] En ce qui concerne cette image, Jean Libis affirme : “Il se pourrait en effet que la barque des morts trouve un point d’ancrage dans le réel sous la forme d’une pratique rituelle effective. Les observations anthropologiques attestent que, dans certaines cultures, le mort est exposé sur l’eau dans une pirogue, et parfois abandonné au gré des eaux”, J. Libis, Op. cit., p. 77.
[66] “L’eau est bel et bien ce « cosmos de la mort », où s’abîment les tensions imaginatives de l’être humain”, Ibidem, p. 35.
[67] Dans le paragraphe dédié à l’analyse du déluge, Libis remarque : “Si l’eau contient en germe une capacité considérable de destruction, elle ne représente certes pas la mort absolue. Elle demeure un principe ontologique, un lieu d’éclosion qui cuve aussi une surpuissance secrète”, Ibidem, p. 95.
[68] G. Bachelard, L’Eau et les rêves, Op. cit., p. 90-91.
[69] “Îl urcarăm lungindu-l pe fundul plin de apă al bărcii şi luând vâslele ne-am îndreptat repede spre sud, unde apa era mai adâncă […]. Ca prin somn auzii glasul paznicului îndemnându-mă să las vâslele. Când m-am întors spre el, stătea în picioare la capătul bărcii, cioplind cu un cuţit scurt o creangă de plop […]. În câteva clipe, o cruce mică de lemn atârna legată cu sfoară la gâtul mortului. Apoi îl prăvălirăm în apă, şi în timp ce porneam înapoi, se ivea pieziş soarele, încununându-ne creştetul ca unor samariteni ai fărădelegii”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 15–16.
[70] Jean Libis, en analysant un passage tiré de L’enfant de la haute mer de Jules Supervielle, note : “[On donne, n. d. t.] forme poétique à un axiome fondamental de notre imaginaire : celui qui meurt par l’eau acquiert le don de sempiternité, fût-ce au prix d’un changement de substance”, J. Libis, Op. cit., p. 159.
[71] “Părea un bărbat voinic, între două vârste, ars de soare şi tăbăcit de apele mării, care aveau să-l primească în sinea lor, dându-i pe totdeauna transparenţele neantului”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 15.
[72] Cf. G. Bachelard, L’Eau et les rêves, Op. cit., p. 108.
[73] Pour un approfondissement du thème de la maternité de l’eau, voir : G. Bachelard, L’Eau et les rêves, Op. cit., p. 132-152.
[74] “Pescarii se închinară spre răsărit şi ridicându-l îl aşezară într-o barcă, pornind să-l ducă spre somnul migrator din care îl treziseră”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 90.
[75] Cf. G. Durand, Op. cit., p. 237 et sqq.
[76]“Marea ştia să mă răsplătească pentru toate”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 14.
[77] “O baie în mare avea să mă înzdrăvenească pe de-a-ntregul”, Ibidem, p. 20.
[78] “Marea m-a primit tandră ca totdeauna”, Ibidem, p. 29.
[79] Pour un approfondissement de ce thème, voir le chapitre que Bachelard lui dédie dans La Terre et les rêveries du repos (G. Bachelard, La Terre et les rêveries du repos, Paris, Corti, 2004, p. 147-204).
[80] Gilbert Durand précise : “Le Jonas est euphémisation de l’avalage puis antiphrase du contenu symbolique de l’avalage”, G. Durand, Op. cit., p. 233.
[81] “I-am privit în tăcere, alături amândoi ca nişte obeliscuri încremenite pe ţărm, până când orizontul şi întunericul i-au înghiţit”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 45.
[82] “Porniră spre mare, săriră în barcă, şi în curând noaptea înghiţea deopotrivă făpturile lor şi nava ce-i adusese”, Ibidem, p. 77.
[83] G. Bachelard, La Terre et les rêveries du repos, Op. cit., p. 171-172.
[84] “Symbolique liée à celles des eaux et des transfigurations. […] Le dauphin est devenu le symbole de la régénérescence. On en voyait l’image auprès du trépied d’Apollon, à Delphes”, J. Chevalier et A. Gheerbrant, Op. cit., p. 338.
[85] “Brize intermitente măturaseră scrumul fostei aşezări a pescarilor, în dreptul căreia, ca un simbol apăru într-o dimineaţă un delfin mort”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 39.
[86] Cf. J. Libis, Op. cit., p. 77-78.
[87] “Mă gândeam întruna la drumul mărilor, singurul, întreitul, nebunul, la coastele îndepărtate unde ajungând te naşti din nou, de fiecare dată altul şi altul”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 20.
Danilo De Salazar
Université de la Calabre – Rende (CS), (Italie)
danilo.desalazar@gmail.com
Réélaboration du mythe dans la prose initiatique
de A. E. Baconsky, Echinoxul nebunilor şi alte povestiri /
The Re-elaboration of Myth
in A. E. Baconsky’s initiatic prose work,
Echinoxul nebunilor şi alte povestiri (“The Madmen’s Equinox and Other Stories”)
Abstract: According to most critics, it is possible to recognize in A. E. Baconsky’s prose work, Echinoxul nebunilor şi alte povestiri, an initiatic aspect, mirrored in the very structure of the ten short stories comprising the volume. Our hermeneutical excursus aims to show the elements referable to rite – in particular, to man’s reintegration with Mythical Time and to the reconciliation of being with the great cosmic cycles, to which Mircea Eliade paid much attention. The author adopts and re-elaborates these myths, embedding them, more or less explicitly, in the narrative plot. This is the case of the Zalmoxis, Orestes, Icarus and Ulysses myths – finely recalled by Baconsky in his references to sirens and to the Cyclops Polyphemus. Our study of the revival of myth within Baconsky’s short stories is accompanied by an accurate analysis of Baconskyan imagery that, on the basis of the researches led by Gaston Bachelard, Gilbert Durand and Jean Libis, reveals itself particularly fertile as regards the aerial element and, above all, the watery one. In this perspective, we seek to further focus on the passage from myth to complex, discovering its extreme vitality on the level of imaginative dynamism in the figures of Jonah and Charon.
Keywords: A. E. Baconsky; Myth; Rite; Initiatic Prose; Water; Sea; Wind.
En procédant à l’exploration du cogito du rêveur, auquel est dédié un chapitre entier de La Poétique de la rêverie, Gaston Bachelard propose une analyse du je et reconnaît trois catégories selon le niveau de conscience maintenu : “Le « je » du sommeil – s’il existe ; le « je » de la narcose – s’il garde valeur d’individualité ; le « je » de la rêverie, maintenu dans une telle vigilance qu’il peut se donner le bonheur d’écrire”[1]. Selon l’épistémologue français, l’homme, à travers la rêverie, pénètre dans une sorte de région des ombres[2], à mi-chemin entre l’être et le non-être, un espace qui sert de “« médiateur plastique » entre l’homme et l’univers”[3]. La compréhension du rapport entre l’homme et le cosmos, ou plus en général du mystère de la vie, constitue le thème essentiel d’Echinoxul nebunilor şi alte povestiri (L’équinoxe des fous et autres récits)[4] d’A. E. Baconsky, comme le met déjà en évidence la structure narrative du volume entier, qui se fonde sur le sens insaisissable de réponses longtemps poursuivies. Il n’est permis au lecteur que de pressentir quelques signes (le message indéchiffrable transmis par les oiseaux en vol, les fresques énigmatiques retrouvées dans une maison dans les marais, une lettre qui annonce un meurtre…), pour partager ensuite avec le protagoniste un sentiment d’anxiété et de frustration, provoqué par l’impossibilité d’en saisir le signifié profond, par l’incapacité précisément de dévoiler le mystère de son existence[5].
Le schéma narratif magistralement construit autour du protagoniste des dix récits qui composent le volume se déroule dans une atmosphère fuyante et riche en références symboliques, où le lecteur plonge en s’associant au jeu de substitution et de renversement de rôles des personnages et en percevant une sensation d’égarement spatio-temporel, typique du rêve ou plus précisément du cauchemar. De plus, nous considérons que le choix de l’auteur d’abolir ou de dissimuler l’identité des actants (en négligeant les noms ou parfois en employant des moyens spécifiques comme la mise en abyme, l’inversion des rôles ou encore en utilisant une description énigmatique des visages) a comme but principal la dé-subjectivité du personnage, ce dernier étant le protagoniste d’une histoire qui va bien au-delà des pages du livre, une histoire qui précipite dans le temps mythique[6]. Echinoxul nebunilor est l’histoire universelle de l’homme, soumise à la loi des grands cycles, dont le récit se fait rite et célébration : “Depuis longtemps je l’avais oublié moi-même [mon nom, n.d.t.], depuis que, sous le signe imposé par l’intersection des grands cycles qui se croisaient dans ma biographie, je m’étais débarrassé de tout ce qui pouvait me souvenir de moi-même”[7].
Traces homériques dans l’exploration gnoséologique
« Autrefois j’ai abandonné ma maison, en suivant un mendiant aveugle qui parcourait le monde avec son chien – et je n’ai plus regardé en arrière »[8]. Ainsi commence le voyage périlleux du protagoniste de Farul (Le phare), récit qui ouvre Echinoxul nebunilor şi alte povestiri. Le voyage doit être entendu ici comme la métaphore d’une recherche existentielle proprement dite, comme la tentative de dévoiler ce mystère qui, comme un linceul, s’étend de la première jusqu’à la dernière page du volume, enroulant et impliquant le lecteur dans une entreprise cognitive dont on découvre bientôt l’impossibilité. Comme la plupart des critiques l’ont relevé, le personnage principal des dix récits qui composent le livre est toujours le même[9] et nous approuvons ce que Nicolae Creţu a observé : « Le héros des proses de Echinoxul nebunilor (il n’existe sans doute qu’un héros que nous redécouvrons toujours derrière ses masques successifs) est l’Homme, un Ulysse du mythe total, ontique, se débattant avec les défis fondamentaux de la vie »[10]. L’analogie est encore plus appropriée si l’on considère aussi des passages du livre où la référence au poème homérique est explicite. Nous remarquerons l’assimilation, qui n’est certainement pas aléatoire, du phare au cyclope Polyphème (« Je voyais dans son œil de Polyphème pétrifié un monde de vide et de mort propagée »[11]) et surtout l’évocation des sirènes : « Et il n’y aura plus aucune sirène qui mettra fin au jeu sombre et qui annoncera la mort à travers son chant, la seule à laquelle je me sentais condamné »[12]. Jean Libis, dans L’Eau et la mort, consacre un chapitre entier à l’érotisme de l’eau et s’arrête sur le mythe des sirènes, en y apercevant non seulement le réseau symbolique unissant l’eau, la féminité et la mort, mais en en saisissant un aspect encore plus profond :
Pourtant, d’un autre côté, le mythe reste étonnamment vivace et fécond, pour peu qu’on se donne la peine […] de relire attentivement l’épisode homérique. Les sirènes y apparaissent détentrices d’un savoir : non seulement elles connaissent tous les maux endurés par les héros de la guerre de Troie, mais elles savent aussi « tout ce que voit passer la terre nourricière ». Quel est donc le contenu de ce Savoir, si radical, si essentiel, qu’il a besoin du plus beau chant pour prendre forme, et qui est à ce point inaudible par les mortels qu’il les égare et les détruit ? […] Qu’est-ce donc que nous désirons entendre à ce point qu’il y va de notre existence même et qu’il nous faille nous boucher les oreilles avec de la cire pour que soit continué le Périple, qui est aussi le retour au bercail ?[13]
Ce « savoir essentiel », ce que le protagoniste « désire entendre à ce point qu’il y va de son existence », est l’existence même : chaque voyage pour en découvrir le sens le plus profond n’est qu’une Odyssée ; l’Ithaque coïncide irrémédiablement avec l’origine et avec la destination vers laquelle se dirige, dans le texte, l’alter ego de l’écrivain. La conscience intime de la caducité engendre chez les hommes une angoisse qui pénètre toute l’atmosphère où les histoires racontées s’inscrivent. Cette angoisse est liée aussi au sentiment de frustration provoqué par l’impossibilité concrète d’un retour à un état idéal de joie authentique (« Je vivais heureux dans un monde fantastique, peuplé par des créatures grandes et généreuses, masques de certains idéaux de plus en plus brumeux »[14]), concevable seulement comme rupture tragique avec la situation immanente. C’est exactement dans cette condition d’inachèvement que Libis – en se référant aux méditations de Maurice Blanchot – repérera l’élément commun à l’homme et au roman[15].
Perspectives cosmologiques du mythe
« A. E. Baconsky écrit une prose au caractère initiatique, où l’initiation du lecteur-néophyte se déroule parallèlement à celle du narrateur-témoin acteur »[16] : en nous référant aux études de Mircea Eliade sur le mythe, nous nous concentrerons sur l’importance particulière que ce dernier revêt dans les récits contenus dans Echinoxul nebunilor, œuvre où Laurenţiu Ciobanu remarque un passage « naturel de l’existence dans le mythe et du mythe dans l’existence »[17]. Parfois le mythe est évoqué de façon explicite, comme dans le cas d’Orphée et Eurydice, auquel est consacré un récit entier, le cinquième, tandis que, d’autres fois, la référence est implicite : le passage suivant ne se réfère-t-il pas à l’épopée sanglante des Atrides? « Il s’agira d’une tragédie sur le jeune fils d’un roi, qui a tué sa mère, sur une vengeance héritée de génération en génération entre frères, une vengeance inachevée, qui traverse le temps comme une flamme empoisonnée et sacrée, nourrie par des vestales inconnues »[18]. Nous pourrions peut-être même percevoir dans le personnage d’Oreste ce sentiment de culpabilité obscure auquel Nicolae Creţu se réfère lorsqu’il écrit :
Dans un espace intérieur incertain, qui suggère l’aventure onirique, se passent les expériences fondamentales de la vie ; tous les chemins qui semblent mener vers quelque chose d’autre, vers un salut de soi-même sont explorés, l’homme seul, en proie à ses obsessions, rongé par le sentiment d’une culpabilité obscure[19].
La même atmosphère étouffante pénètre aussi les pages finales du récit Înceţoşatul Orfeu (Orphée le brumeux) où l’Ade trouve son correspondant dans le « bordel » (« la maison peinte de bleu »), lieu où le protagoniste n’arrivera pas à sauver son Eurydice et où il semble être spirituellement piégé :
Parfois je suis avec moi, délivré d’un monde dont à l’improviste je suis devenu prisonnier, je reste les yeux ouverts, les prunelles dilatées et tourmentées par les vérités qui se dévoilent à ceux qui sont capables de transformer les souffrances en cristaux de glace. Mais trop souvent je me réveille accablé de nouveau par les nuits fétides qui m’ont conquis – et toutes les horreurs s’élèvent devant moi, colonnes tyranniques de la perdition, entre lesquelles je passe à l’aveuglette vers mon horizon écroulé. Alors je reviens à ma vie de la maison peinte en bleu. Je suis peut-être toujours là. Je ne l’ai jamais peut-être abandonnée[20].
Nous voudrions interpréter la référence de l’écrivain au personnage d’Icare selon une perspective différente : un renvoi qui semble bien loin des valeurs superficielles et moralisantes qui ont étés très souvent attribuées à l’histoire racontée dans ce mythe. Dans le passage en question, tiré du récit Cel-mai-mare (Le-plus-grand), on peut lire : « Nous avions appris seulement que nous aurions dû le rencontrer une nuit sur la rive, à côté des vagues monotones, qui lavaient le sable, sur lequel se dessinaient sans cesse leurs ailes d’Icares tombés et enterrés dans le jaune de la plage »[21]. Jean Libis observe qu’on n’a pas suffisamment remarqué que « le personnage d’Icare parcourt une trajectoire typiquement cosmologique »[22] et ajoute avec perspicacité :
Il s’évade de la complexité tellurique, symbolisée par le labyrinthe, épouse dans un second temps la plénitude de l’espace aérien, puis tente de s’approcher du feu suprême. Son immersion funeste dans le sein de la mer constitue donc le quatrième moment d’une pérégrination successivement dédiée aux quatre Eléments. En d’autres termes, l’investigation imaginaire du monde prend fin dans l’engloutissement thalassal[23].
Dans cette perspective, le passage de Baconsky gagne une énergie nouvelle : ses Icares deviennent le reflet du caractère cyclique et universel, soutenu par l’aspect presque messianique du récit. En analysant le texte avec attention, nous pouvons en effet repérer le schéma cyclique dans le mouvement répétitif et monotone des vagues (l’élément aquatique) qui, sans cesse, tracent des ailes (l’air) sur la plage (la terre). Le quatrième élément, c’est-à-dire le feu, est représenté par la couleur jaune, que l’on peut directement associer au soleil. La présence d’une plage jaune à l’intérieur d’une scène qui se situe dans l’obscurité ne fait qu’encourager la nécessité d’une approche analytique capable de porter l’attention de l’image de la réalité à la réalité de l’image : « L’imagination n’est pas, comme le suggère l’étymologie, la faculté de former des images de la réalité ; elle est la faculté de former des images qui dépassent la réalité, qui chantent la réalité »[24]. La richesse des images condensées dans une page de Baconsky et le soin avec lequel chaque phrase a été ciselée réclament une lecture profonde, vu qu’il s’agit d’un véritable poème des éléments.
Finitude et souvenir d’un autre soi
S’il y a un récit qui met en lumière l’impossibilité de saisir le sens de la vie, c’est sans doute Aureola neagră (L’auréole noire) où à la fin le protagoniste constate, non sans stupeur et désillusion, la disparition de l’autel de Zalmoxis, retrouvé sous le sable apporté sur le rivage par la Mer Noire. En nous arrêtant sur le récit qu’on vient de citer et en analysant attentivement le passage où est décrite la découverte d’un mur (l’auteur nous laisse entendre qu’il s’agit d’un fragment d’autel), nous découvrirons quelques éléments qui ne peuvent être négligés et qui, au contraire, sont fondamentaux pour notre parcours herméneutique : « On entendit un sifflement comme d’un serpent, mais nous ne pûmes comprendre d’où il venait – et sur les pierres découvertes un tourbillon de cendre légère parut, qui s’éleva et disparut dans l’atmosphère »[25]. Déjà au premier abord nous reconnaissons deux symboles qui vont vers la même direction thématique évoquée par la figure de Zalmoxis, associé selon la tradition au salut et à l’immortalité de l’âme : en effet le serpent[26] et le tourbillon[27] de cendre, grâce à la conformation en spirale qui en marque les formes sur le plan de l’imagination, renvoient inévitablement à ce que Gilbert Durand définit comme « la permanence de l’être à travers les fluctuations du changement »[28]. Ces deux « images » s’inscrivent aussi dans la constellation symbolique centrée sur le vent, une présence constante dans les dix récits composant le volume. Le vent, porteur d’un message mystérieux, amorce un double changement : le premier est celui du milieu où l’action se déroule qui, tout à coup, prend des couleurs et des sonorités nouvelles ; le second – dont le premier est selon nous un reflet et non pas une cause – se déroule à l’intérieur du personnage principal. Le vent est, dans sa nature, une manifestation du mystère et cette caractéristique a des précédents dans plusieurs traditions culturelles : il suffit de penser à la tradition biblique selon laquelle le vent est associé à l’esprit de Dieu ou au Vâyu indien. Dans les récits de Baconsky, le mystère, dont le vent se fait l’épiphanie, est le mystère de l’existence individuelle projetée dans le cosmos, en rapport avec le caractère cyclique de l’univers, un processus auquel l’homme participe en cherchant d’en comprendre les lois[29] :
L’auberge paraissait déserte, elle paraissait plus grande, plus élancée, comme un chasse-esprits planté au carrefour de certains temps renversés qui n’auraient succombé à aucun crépuscule. Elle semblait le squelette d’une autre auberge, plus ancienne, déterrée par la phalange éolienne et construite pour accueillir des pèlerins fous et des fugitifs[30].
Ce passage d’Aureola neagră stimule encore notre analyse, en nous poussant à concentrer notre attention sur l’image de la « phalange éolienne » en tant qu’évocatrice de la chasse infernale, un thème que Bachelard définit comme « le conte naturel du vent hurlant, du vent aux mille voix, aux voix plaintives et aux voix agressives »[31]. La réponse immédiate à cette réflexion nous est donnée après quelques lignes, à la fin du cinquième chapitre du récit : « Je vis courir dans le champ, à travers l’obscurité, des torches allumées et j’entendis le piaffement d’un galop lointain »[32]. En continuant le parcours proposé par Bachelard, nous n’hésiterons pas à assimiler la chasse infernale à l’image mythologique des Érynnies, les poursuivantes d’Oreste[33], en attribuant ainsi à l’élément la capacité de manifester des sentiments plus profonds, comme le regret, la vengeance et, surtout, le souvenir d’un temps perdu. À ce propos, le philosophe cite un passage de Gabriele D’Annunzio tiré de Contemplazione della morte: « Et le vent était comme le regret de ce qui n’est plus, était comme l’anxiété des créatures non formées encore, chargé de souvenirs, gonflé de présages, fait d’âmes déchirées et d’ailes inutiles »[34]. On distingue ici une certaine affinité avec l’imaginaire éolien de Baconsky : « Tous les sons qui naissaient [du vent] pendant le jour et la nuit m’étaient proches et chers, parce que le murmure, le bruissement, le souffle, le soupir perdu m’amenaient des échos d’un monde invisible et fabuleux, vers lequel mes années, comme un triangle de dix-huit grues sans destination, volaient »[35]. Les dix-huit ans – moment caractérisé par une forte valeur initiatique, en tant que passage de l’adolescence à l’âge mûr – sont ici associés à un triangle de grues qui émigrent pour faire retour à un monde inconnu dont l’écho retentit dans le vent.
Entre la mer et le marais : sur le quai de l’existence
Si, d’un côté, le riche et suggestif imaginaire éolien domine l’atmosphère des récits de A. E. Baconsky, qui réussit ainsi à imprimer une tonalité de mystère et d’angoisse à son texte, de l’autre, l’élément aquatique, loin d’être insignifiant, constitue au contraire une véritable matrice fabulatrice de l’œuvre. Analysant le rôle de l’élément aquatique dans le texte littéraire, Jean Libis reconnaît : « Chez certains écrivains, l’eau est un véritable cosmos d’écriture. Il semble alors qu’elle devienne un objet romanesque à part entière, et accompagne le destin d’une œuvre »[36]. Echinoxul nebunilor est une œuvre totalement empreinte d’eau : les vagues retentissent tout au long de ses pages et un destin de mort et renaissance est inscrit dans leur mouvement. Ainsi, à la fin du volume, s’annonce un cycle nouveau : le printemps arrive et, avec lui, arrivent aussi des hommes transportés par la mer, pour construire de nouveau la ville. Le récit trouve sa mort juste au moment où une nouvelle vie s’ouvre à l’intrigue. Nous observons le même processus dans Artiştii din insulă (Les artistes de l’île) où des branches et des surgeons naissent sur les corps des femmes gravés dans les troncs d’arbres : le printemps, en négligeant la forme, donnera une vie nouvelle à ceux qui n’étaient plus que des monuments funèbres (« Je tressaillis à la vue des statues réveillées pour une vie qui était leur mort »[37]). Nous pensons qu’à la source de cette attention insistante sur le thème de la renaissance il y a une exigence ontologique de l’homme. En effet, comme l’a écrit Jung : « Jamais la Vie n’a pu croire à la Mort ! »[38]. C’est peut-être pour cette raison que le protagoniste du récit Farul pénètre dans le marais avec obstination, bien que ce lieu soit de plus en plus présage de mort[39]. Du point de vue de l’imaginaire, le marais représente le fidèle contrepoint de la mer : si l’élément aquatique avec sa dimension thalassale et infinie met l’être humain en contact avec une réalité cosmique qui répond aux lois des grands cycles universels, le marais, grâce à la contamination avec l’immanent (avec l’élément tellurique), se charge de connotations négatives et permet à l’homme de découvrir l’inexorabilité de la mort, en le soumettant à la loi du devenir. « La mer […] conduit l’imagination aux limites de son extensibilité »[40] tandis que le marais captieux évoque l’anéantissement définitif : l’imagination est projetée vers le bas, vers la profondeur insondable de l’enfer et l’être humain ressent la même frustration qui est produite par le rêve où la pesanteur interdit le mouvement. Les rêveries qui concernent le marais ne peuvent que rappeler à l’homme sa condition d’impuissance, sa finitude : « Dans tous les cas, l’indétermination et la viscosité désignent la condition infernale, à savoir la nostalgie de la forme fixe »[41]. On comprend alors la profondeur de la réflexion suivante : « Je me sentais prophète et mage aux yeux étoilés, sans douleur, sans désirs, sans âge, comme ce phare se sera peut-être senti, exilé sur une côte perdue entre une époque qui devait être passée déjà depuis longtemps et une autre qui n’arrivera jamais »[42].
Deux époques, toutes les deux insaisissables comme, d’un côté, la mer vers laquelle l’imagination est toujours ouverte et comme, de l’autre, le marais qui active des rêveries centripètes en projetant l’être humain vers un temps tellement proche qu’il devient insondable. Comme un phare, l’homme ne réussit à éclairer que la surface d’une petite partie de l’infini vers lequel il est projeté, mais est en même temps incapable d’éclairer la partie la plus profonde de lui-même. Comme l’affirme Bachelard, « La connaissance de l’essentiel a pour contrepartie la mort »[43]. En effet, dans les récits de Baconsky, le protagoniste peut seulement apercevoir l’essentiel, mais il ne peut pas en avoir une confirmation[44]. L’itinéraire de l’homme baconskyen ne finit pas par une défaite, mais par un appel cruel à constater sa finitude irrémédiable, dont le refus condamnerait l’être à un tourment implacable : « Ton âme est le serpent qui t’étrangle […]. Il ne te laisse jamais tourner le regard. Tu cherches toujours le chemin au-delà des choses, tu veux toujours en voir l’autre face, celle vers laquelle seuls les yeux aux paupières fermées à jamais regardent »[45].
Jean Libis, dans le chapitre dédié à la létalité de l’eau, développe le concept d’ »abolition du principe d’individuation »[46] :
Le processus d’individuation est d’emblée, dans sa phase active, un processus d’intégration, et donc de soumission ontologique : […] en s’individualisant la matière s’inscrit autant que possible dans l’ordre universel de la forme. Tant et si bien que la croissance de l’individu, aussi bien que sa décroissance, sont frappées chacune à leur manière du sceau de la « dilution »[47].
Après les réflexions de Mircea Eliade sur le mythe de l’éternel retour, le critique trace un parcours que nous suivrons pour l’analyse des valeurs qu’acquiert, dans la prose de Baconsky, l’élément aquatique par rapport à la mort :
La mort est d’abord la sanction d’une émancipation ontologique, la nécessité d’un retour à l’ordre ; ensuite elle est l’abolition de la contingence, et ce qui sauve la pensée dans ses prétentions à l’universalité. En d’autres termes il faut que l’individu soit sacrifié à la substance ; ou, plus exactement, qu’il s’y résorbe[48].
C’est seulement dans cette optique que nous réussirons à saisir l’importance réelle des mots que le protagoniste du récit Farul utilise pour justifier l’union profonde de son être avec l’élément thalassal : « Je suis fait pour la mer. Une folie ou une maladie étrange m’avait amené sur ses rivages, dans la solitude où chaque chose semblait se dissiper dans son non-être »[49]. Selon une expression célèbre de Gaston Bachelard, nous pouvons définir le protagoniste des récits comme un être « voué » à l’eau, « un être en vertige »[50], prêt à s’abandonner à l’élément qui, plus que les autres, « exerce sur les formes individualisées une sorte d’attraction mortifère »[51] et qui, grâce à ses propriétés purifiantes et régénératrices, annonce une renaissance et associe le destin de l’homme au destin des cycles cosmiques qui trouvent en lui la garantie de renouvellement[52]. Dans le récit Echinoxul nebunilor, le personnage principal se rend compte de sa participation à ce caractère cyclique universel, comme dans le passage suivant, où se révèle une allusion directe à la métempsychose :
J’avais toujours l’impression d’être ressuscité d’une mort qui autrefois, il y a des siècles, avait été chantée par des bardes vagabonds et d’avoir en moi-même l’âme immense et désolée de certaines races passées l’une dans l’autre, métamorphosées dans la succession des années et dans le rythme capricieux de certains cycles terminés toujours en avance. Mon identité se perdait en se dissipant en milliers, en centaines de milliers d’hommes[53].
Du mythe au complexe : Caron
À cette dispersion de l’identité (« Il me semblait être condamné à souffrir, en les vivant, toutes les souillures de certaines biographies étrangères, de certaines existences exilées des temps, afin qu’elles se purifient à travers le filtre de ma vie même »[54]), répond, au niveau cosmique, la dilution de la nuit (« En dehors, l’obscurité continuait à se diluer »[55]) qui doit être considérée comme la régression vers un temps dont on ne se souvient pas (« Troublée, la mémoire restait prisonnière d’un ossuaire immense »[56]). Il semble qu’il s’agisse ici du retour in illo tempore, c’est-à-dire l’époque mythique où les « espèces […] n’étaient pas encore fixées et les formes étaient fluides »[57], un processus symboliquement provoqué par le cycle lunaire. Dans son Traité d’histoire des religions, Mircea Eliade évoque les hiérophanies lunaires, considérées comme des « révélations […] d’une sacralité fondamentale sous-jacente au Cosmos »[58] et qui permettent, pour cette raison, de marquer le temps du rite. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter aussi le choix de l’équinoxe, en tant que moment favorable pour célébrer le rituel d’une vengeance dont le protagoniste – dans le sixième récit – sera, en même temps, victime et bourreau[59]. Cet événement fait toujours partie du schéma cyclique des morts et des renaissances qui représente le fondement de chaque rite[60]. À propos des cérémonies d’initiation, Eliade reconnaît :
Si le symbolisme aquatique et lunaire a joué un rôle si important dans la vie spirituelle de l’homme archaïque, c’est justement parce qu’il rendait évidents et transparents l’abolition et le rétablissement ininterrompus des « formes », la disparition et la réapparition cyclique, l’éternel retour (en fait l’éternel retour aux origines). Sur tous les plans – depuis la cosmologie jusqu’à la sotériologie –, l’idée de régénération est liée à la conception d’un temps nouveau, c’est-à-dire à la croyance en un commencement absolu auquel l’homme peut parfois accéder[61].
C’est le contact avec la matière qui assure cet accès : dans notre cas, le retour à “l’eau matricielle et principielle, d’où sourd la totalité des êtres, et vers quoi elle retourne”[62]. Si la mort est “l’absolument réel, l’ananké à l’état pur”[63], ajoutons qu’“au bout de chaque travail de l’imaginaire, l’enjeu est encore et toujours la mort, le lien inséparable et insupportable avec ce point de non-retour, qu’on doit modérer, soutenir, vaincre, ou dissiper”[64]. À cette nécessité typiquement humaine se relie l’image de la barque des morts[65], où est mise en évidence la dimension thanatologique[66] de l’eau et, en même temps, sa puissance régénératrice[67]. L’image, présente très souvent en littérature, est l’expression de ce que Gaston Bachelard a appelé le “Complexe de Caron” :
L’imagination profonde, l’imagination matérielle veut que l’eau ait sa part dans la mort ; elle a besoin de l’eau pour garder à la mort son sens de voyage. On comprend dès lors que, pour de telles songeries infinies, toutes les âmes, quel que soit le genre de funérailles, doivent monter dans la barque de Caron[68].
Retrouver une trace plus ou moins explicite de ce complexe ne sera pas difficile pour le lecteur des récits de Baconsky. Nous nous arrêterons seulement sur deux cas où l’évocation de la barque des morts est la plus manifeste. Dans le premier passage, la scène est décrite dans les détails et revêt le caractère d’une véritable cérémonie rituelle:
Nous l’embarquâmes en l’étendant sur le fond plein d’eau de la barque et après avoir pris les rames nous nous éloignâmes rapidement vers le Sud, où l’eau était plus profonde […]. Comme dans un rêve j’entendis la voix du gardien qui me disait de laisser les rames. Lorsque je me retournai vers lui, je le vis debout au bout de la barque, occupé à entailler une branche de peuplier à l’aide d’un petit couteau […]. En quelques instants, une petite croix en bois, liée avec une ficelle, pendait au cou du mort. Puis nous le jetâmes dans la mer et, alors que nous retournions, le soleil émergeait obliquement, couronnant nos têtes comme si nous étions les samaritains du crime[69].
Relevons le caractère éminemment religieux de certains éléments, tels que la croix et la référence à la parabole du Bon Samaritain (Évangile de Luc: 10, 25-37), celle que Jésus utilise pour expliquer comment on peut conquérir la vie éternelle[70]. Baconsky, en se référant au cadavre, avait mis en évidence un aspect important : “Il semblait être un homme robuste, entre deux âges, brûlé par le soleil et tanné par l’eau de la mer, qui allait l’accueillir en lui donnant pour toujours les transparences du néant”[71], en accord avec la pensée de Bachelard, qui considère la mort dans l’eau comme une transformation de l’élément même en un néant substantiel[72].
Le second passage met en évidence une autre valeur spécifique de la mort en mer, pour en dévoiler l’aspect maternel[73] : “Les pêcheurs se signèrent tournés vers l’Orient et en le soulevant le placèrent dans une barque, pour le ramener vers le sommeil migrateur dont ils l’avaient réveillé”[74]. Pour comprendre le sens réel de ces mots, nous devons penser au sommeil comme mort euphémisée et saisir l’analogie symbolique entre l’image de la barque et celle du berceau qui, à son tour, est isomorphe au ventre maternel[75]. Il s’agit d’une correspondance confirmée ultérieurement par le sens de repos, de protection et de régénération que ces images suggèrent et dont l’auteur est pleinement conscient lorsqu’il écrit : “La mer savait me récompenser de tout”[76] ; “Avec un bain de mer je serais guéri complètement”[77] ; “La mer m’accueillit tendrement comme toujours”[78].
Jonas et la réintégration dans le temps cosmique
Il faut réussir à pénétrer l’image lorsqu’on parle de maternité de l’eau, en en explorant la profondeur, pour en saisir le sens limite, c’est-à-dire le retour à l’origine : on apercevra alors ce que Bachelard, dans La Terre et les rêveries du repos, décrit comme le Complexe de Jonas[79], un processus lié aux rêveries intimes et déterminé par les images d’avalement[80]. C’est un avalement auquel la nuit participe aussi et qui, avec son obscurité, rend possible la dissolution des formes : “Nous les regardâmes en silence, un à côté de l’autre comme deux obélisques pétrifiés sur le rivage, jusqu’à ce que la nuit et l’horizon les engloutirent”[81] ; “Ils se dirigèrent vers la mer, sautèrent dans la barque, et la nuit engloutit tout de suite leurs silhouettes ainsi que l’embarcation qui les avait amenés”[82]. Comme dans l’histoire biblique où le prophète revoit le jour, le Complexe de Jonas bachelardien envisage toujours une renaissance :
La sortie du ventre est automatiquement une rentrée dans la vie consciente et même dans une vie qui veut une nouvelle conscience. On mettra facilement cette image de la sortie de Jonas en rapport avec les thèmes de la naissance réelle – avec les thèmes de la naissance de l’initié après l’initiation – avec les thèmes alchimiques de rénovation substantielle[83].
Le schéma cyclique, qui constitue le cœur des récits de Baconsky, se relie alors à ce regressus ad uterum, dont l’image du dauphin[84] est, d’après nous, une expression ayant une valeur symbolique évoquée par l’auteur même : “Des brises intermittentes avaient soufflé la cendre du vieil établissement des pêcheurs où, un matin, comme un symbole, un dauphin mort apparut sur la plage”[85]. Qu’il s’agisse d’une dissolution dans le néant substantiel ou d’un retour à l’archétype maternel, la destination de ce voyage par mer semble ainsi être toujours la réintégration dans l’ordre cosmique[86]. Elle est rendue possible, selon l’auteur, par la communion avec l’élément thalassal, garant de la participation de l’homme à la régénération cosmique, dans une alternance perpétuelle de morts et de renaissances : “Je pensais sans cesse au parcours des mers, le seul, le triple, le fou, aux côtes lointaines où en arrivant on renaît, à chaque fois autre que soi”[87].
Bibliographie
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Notes
[2] Gaston Bachelard précise : “L’être du rêveur envahit ce qui le touche, diffuse dans le monde. Grâce aux ombres, la région intermédiaire qui sépare l’homme et le monde est une région pleine, et d’une plénitude à la densité légère. Cette région intermédiaire amortit la dialectique de l’être et du non-être”, Ibidem, p. 144.
[4] A. E. Baconsky, Opere, II. Proză. Versuri, Bucureşti, Academia Română, Fundaţia Naţională pentru Ştiinţă şi Artă, 2009.
[5] À ce propos, il nous semble pertinent de citer ce que Crina Bud a observé, en expliquant que “Le moment de découverte de certains motifs synergiques […] est suivi d’un sens d’illumination. Il s’agit de ce que A. E. Baconsky a nommé – en ne se référant pas à lui-même, mais à Ion Ţuculescu – une illumination contemplative, « une recherche fiévreuse des matrices originaires, […] un sens de l’âge de ceux qui n’ont pas d’âge, frénésie du contemplatif mélancolique, ascète ravagé par la somptuosité ». Le personnage-narrateur est accoutumé à toutes ces combinaisons paradoxales et il se présente très souvent comme une victime de certaines révélations, parce que les conditions de l’illumination se produisent malgré son apathie”, C. Bud, “Literatură şi ziduri”, in A. E. Baconsky, Biserica neagră, Echinoxul nebunilor şi alte povestiri, préf. C. Bud, Bucureşti, Curtea Veche Publishing, 2011, p. 21.
[6] Cette expression doit être entendue selon le sens eliadien (cf. M. Eliade, Traité d’histoire des religions, Paris, Éditions Payot et Rivages, 2011, p. 384-404).
[7] “Eu însumi îl uitasem de mult, de când, sub zodia impusă de răspântia marilor cicluri ce se încrucişau în biografia mea, mă lepădasem de tot ce putea să-mi aducă aminte de mine”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 87.
[8] “Odată am dispărut de acasă, luându-mă după un cerşetor orb care umbla prin lume în tovărăşia câinelui său – şi nu m-am mai uitat înapoi”, Ibidem, p. 13.
[9] Dans l’introduction à l’édition de 2011, Crina Bud souligne : “La migration des images d’un texte à l’autre donne l’impression de certaines cartes juxtaposées, qui révéleraient un même but spirituel. Le lecteur qui s’obstine à en saisir la signification risque de s’irriter et de se sentir, en quelque sorte, découragé devant le labyrinthe de sens, encore plus lorsque, de temps en temps, il croit en avoir découvert le code. Les récits ressemblent aux fragments d’une mosaïque immense dont les pièces ne peuvent pas être utilisées dans leur ensemble, mais, puisant çà et là, la composition des fragments crée une représentation cohérente, qui suggère la totalité” (C. Bud, Op. cit., p. 20). Les éditeurs de l’édition de l’Académie Roumaine, Pavel Ţugui et Oana Safta ont, avec Teodor Baconsky, relevé l’existence de deux manuscrits concernant l’œuvre en question, dont les datations révèlent une contiguïté temporelle étonnante, comme si l’auteur y avait travaillé parallèlement : “Il semble que l’auteur a commencé à travailler à ce cycle de récits pendant la première partie de l’année 1965. Il existe parmi ses manuscrits un cahier à la couverture jaune […]. En 1986, avec Teodor Baconsky, le fils de l’écrivain, nous avons établi que ce manuscrit est la première variante du volume des récits […]. Ce Cahier-manuscrit est daté : « 17. VII. 1966 ». On dirait que Baconsky a travaillé à ses proses sur des pages « en parallèle », parce qu’il existe un second manuscrit […] qui a comme date : « 18. VII. 966 ». Ce manuscrit représente la forme définitive du livre Echinoxul nebunilor şi alte povestiri” (A. E. Baconsky, Op. cit., p. 771).
[10] N. Creţu, “A. E. Baconsky : « Echinoxul nebunilor »”, Iaşul literar, 1968, a. XIX, n. 2, p. 54.
[11] “Vedeam în ochiul lui de Polyphem pietrificat o lume de vid şi de moarte iradiată”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 38.
[12] “Și nici o sirenă nu se va mai găsi să pună capăt sumbrului joc şi să vestească moartea prin cântec, singura la care mă simţeam condamnat”, Ibidem, p. 73.
[13] J. Libis, L’Eau et la mort, Dijon, Centre Régional de Documentation Pédagogique de Bourgogne, 1996, p. 182.
[14] “Hălăduiam într-o lume fantastică, populată de fiinţe înalte şi generoase, măşti ale unor idealuri din ce în ce mai înceţoşate”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 53.
[15] “Cet inachèvement radical, qui implique une déficience ontologique et qui constitue la signe même de la mortalité, est au cœur de la méditation de Maurice Blanchot […]. Écrire un roman, c’est avouer implicitement que le monde est incompréhensible, que l’homme est seulement voué à son destin temporel, sexuel et mortifère”, J. Libis, Op. cit., p. 34.
[16] G. Glodeanu, “Poetica fantasticului”, in Dimensiuni ale romanului contemporan, Baia Mare, Editura Gutinul, 1998, p. 100.
[18] “Va fi o tragedie despre fiul tânăr al unui rege, care şi-a ucis mama, despre o răzbunare moştenită din neam în neam între fraţi, o răzbunare neîmplinită, ce străbate prin timp ca o flacără otrăvită şi sacră, alimentată de vestale necunoscute”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 86.
[20] “Uneori sunt cu mine, eliberat de lumea căreia pe negândite i-am devenit prizonier, sunt cu ochii deschişi, cu pupilele lărgite şi mistuite de adevărurile ce se dezvăluie celor capabili să treacă suferinţele în cristale de gheaţă. Dar prea adesea mă trezesc iaraşi copleşit de nopţile fetide ce m-au cucerit – şi toate ororile se ridică în faţă, tiranice columne ale pierzaniei, printre care trec în neştire spre orizontul meu prăbuşit. Atunci îmi reiau existenţa din casa zugrăvită în albastru. Poate că sunt acolo mereu. Poate că n-am părăsit-o niciodată”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 81.
[21] “Aflasem doar că ne va fi dat să-l întâmpinăm într-o noapte pe ţărm, lângă valurile monotone, ce spălau nisipul, desenându-şi întruna aripile de Icari prăbuşiţi, îngropaţi în galbenul plajei”, Ibidem, p. 56.
[25] “Un fluierat ca de şarpe se auzi, dar nu ne-am putut da seama de unde vine – şi pe lespezile descoperite se iscă un vârtej de cenuşă subţire, înălţându-se şi pierind în văzduh”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 67.
[26] Voir : J. Chevalier et A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont / Jupiter, 2008, p. 867-879.
[27] Au début du chapitre « Le Vent », contenu dans L’Air et les songes, Gaston Bachelard affirme : “Le vent, dans son excès, est la colère qui est partout et nulle part, qui naît et renaît d’elle-même, qui tourne et se renverse. Le vent menace et hurle, mais ne prend une forme que s’il rencontre de la poussière […]. Et le premier être créé par cette colère créante, c’est un tourbillon. L’objet premier de l’homo faber dynamisé par la colère, c’est le vortex”, G. Bachelard, L’Air et les songes, Librairie Générale Française, 2001, p. 292.
[29] Nous percevons l’intensité de cette recherche dans les pages de Cel-mai-mare (Le-plus-grand), un récit où à l’attente du Messie est associée une sensation profonde d’impuissance humaine : “Toate încercările de răspuns erau neputincioase conjecturi, păreri efemere şi goale, ce nu făceau decât să sporească nedumeririle tuturora” (“Chaque tentative de trouver une réponse était une conjecture vaine, un avis éphémère et vide, qui servait seulement à accroître la perplexité de tous”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 56).
[30] “Hanul părea pustiu, părea mai mare, mai deşirat, ca o sperietoare de duhuri împlântată la răspântia unor timpuri întoarse, pe care nici un amurg nu le mai putea îndupleca. Părea scheletul unui alt han, de demult, dezgropat de falanga eoliană şi ridicat să întâmpine pelerini nebuni şi fugarii”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 70.
[32] “Prin intuneric văzui peste câmp alergând torţe aprinse şi auzii ropotul unui galop îndepărtat” A. E. Baconsky, Op. cit., p. 70.
[33] Citant Schwartz, Bachelard affirme : “Aux images de chasse infernale, Schwartz associe l’image des « chasseresses à la chevelure de serpents ». L’analyse « imaginaire » de la notion d’Érynnies peut partir de ce rapprochement. […] Comme la chasse infernale, l’Érynnie totalise le poursuivant et le poursuivi”, G. Bachelard, L’Air et les songes, Op. cit., p. 301.
[34] Trad. : “E il vento era come il rammarico di ciò che non è più, era come l’ansia delle geniture non formate ancora, carico di ricordi, gonfio di presagi, fatto d’anime lacere e d’ali vane”, G. D’Annunzio apud G. Bachelard, L’Air et les songes, Op. cit., p. 298.
[35] “Toate sunetele ce se năşteau [din vânt] ziua şi noaptea îmi erau apropiate şi dragi, pentru că murmurul, foşnetul, răsuflarea, oftatul pierdut îmi aduceau ecouri dintr-o lume nevăzută şi fabuloasă, către care zburau anii mei ca un triunghi de optsprezece cocori fără ţintă”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 34.
[37] “Am tresărit la vederea statuilor trezite la o viaţă care era moartea lor”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 108.
[39] À ce propos, il nous semble que le passage où le protagoniste trébuche sur le corps d’un cheval mourant dans le marais peut servir d’exemple. Dans les yeux de l’animal (qui est psychopompe) on découvre un présage de mort très clair : “Înecat într-o baltă de sânge, agoniza sfâşiat de dureri, ce-l făceau să zvâcnească şi să-şi întunece şi mai mult ochii plini de luciri ciudate ; în oglinzile lor negre fulgeră o clipă imaginea capului meu hirsut, purtând drept aureolă ştreangul pretimpuriu legănat veşnic deasupra lui” (“Noyé dans une mare de sang, il agonisait tourmenté par la douleur, qui le faisait tressaillir et qui assombrissait de plus en plus ses yeux remplis de scintillements étranges ; dans leurs glaces noires, l’image de ma tête hirsute resplendit, sur laquelle, comme une auréole, la corde prématurée oscillait perpétuellement”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 24.
[42] “Mă simţeam profet şi mag cu ochi înstelaţi, fără dureri, fără dorinţe, fără vârstă, aşa cum se va fi simţit şi farul acela, exilat pe o coastă pierdută între o vreme care ar fi trebuit să treacă de mult şi alta ce nu va veni niciodată”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 35.
[44] Nous citons, à titre d’exemple, non seulement le passage tiré d’Aureola neagră, mais aussi le récit Farul (Le phare), où l’identité de la femme du marais, avec laquelle le protagoniste a passé la nuit, reste inconnue. De plus, dans le même récit, après la découverte de l’identité réelle de son oncle, le jeune homme n’aura plus la possibilité de prendre contact avec lui.
[45] “Sufletul tău e şarpele ce te sugrumă […]. Nu te lasă niciodată să-ţi întorci privirea. Cauţi mereu drumul de dincolo de lucruri, vrei mereu să vezi faţa lor cealaltă, aceea spre care privesc numai ochii cu pleoapele pe totdeauna închise”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 102. L’italique est un choix de l’auteur.
[49] “Pentru mine era marea. O nebunie sau o boală ciudată mă adusese pe ţărmul ei, în acea solitudine unde toate păreau că se mistuie în propria lor nefiinţă”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 12.
[52] Dans le paragraphe Symbolisme de l’immersion, Mircea Eliade observe : “Dans l’eau, tout se « dissout », toute « forme » est désintégrée, toute « histoire » est abolie ; rien de ce qui a existé auparavant ne subsiste après une immersion dans l’eau, aucun profil, aucun « signe », aucun « événement ». L’immersion équivaut, sur le plan humain, à la mort, et sur le plan cosmique, à la catastrophe (le déluge) qui dissout périodiquement le monde dans l’océan primordial. Désintégrant toute forme et abolissant toute histoire, les eaux possèdent cette vertu de purification, de régénération, et de renaissance ; parce que ce qui est immergé en elle « meurt », et, se relevant des eaux, est pareil à un enfant sans péchés et sans « histoire », capable de recevoir une nouvelle révélation et de commencer une nouvelle vie « propre »”, M. Eliade, Op. cit., p. 203-204.
[53] “Mi se părea mereu că am înviat dintr-o moarte pe care demult, cu secole în urmă, o cântaseră barzi rătăcitori şi că port în mine sufletul mare şi nemângâiat al unor neamuri trecute unul în altul, metamorfozate în succesiunea anilor şi în ritmul capricios al unor cicluri încheiate întotdeauna înainte de timp. Identitatea mi se pierdea risipită în mii, în sute de mii de oameni”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 88.
[54] “Mi se părea că sunt blestemat să suport, trăindu-le, toate ordurile unor biografii străine, ale unor existenţe exilate din timpuri, ca să se purifice trecând prin filtrul propriei mele vieţi”, Ibidem, p. 79-80.
[60] Il y a beaucoup d’éléments, disséminés dans les textes, qui pourraient renvoyer à la cérémonie rituelle : par exemple, nous pensons aux autels sacrificiels, aux formules prononcées dans des langues mystérieuses, au choix jamais accidentel des nombres, et ainsi de suite. En outre, nous pourrions associer le livre entier à un rite. À l’apui de cette idée, nous pensons, par exemple, à la fin ouverte du dernier récit, où le recommencement est symbolisé par l’arrivée du printemps et par l’accostage d’un navire avec des hommes à bord venus pour reconstruire la ville.
[64] Trad. : “Al fondo di ogni lavoro dell’immaginario, la posta in gioco è ancora e sempre la morte, il legame inscindibile e intollerabile con questo punto di non ritorno, che si tratta di temperare, sostenere, sconfiggere, o dissolvere”, P. Mottana, “Introduzione all’edizione italiana”, in J. Libis, L’acqua e la morte, Bergamo, Moretti & Vitali, 2004, p. 11.
[65] En ce qui concerne cette image, Jean Libis affirme : “Il se pourrait en effet que la barque des morts trouve un point d’ancrage dans le réel sous la forme d’une pratique rituelle effective. Les observations anthropologiques attestent que, dans certaines cultures, le mort est exposé sur l’eau dans une pirogue, et parfois abandonné au gré des eaux”, J. Libis, Op. cit., p. 77.
[66] “L’eau est bel et bien ce « cosmos de la mort », où s’abîment les tensions imaginatives de l’être humain”, Ibidem, p. 35.
[67] Dans le paragraphe dédié à l’analyse du déluge, Libis remarque : “Si l’eau contient en germe une capacité considérable de destruction, elle ne représente certes pas la mort absolue. Elle demeure un principe ontologique, un lieu d’éclosion qui cuve aussi une surpuissance secrète”, Ibidem, p. 95.
[69] “Îl urcarăm lungindu-l pe fundul plin de apă al bărcii şi luând vâslele ne-am îndreptat repede spre sud, unde apa era mai adâncă […]. Ca prin somn auzii glasul paznicului îndemnându-mă să las vâslele. Când m-am întors spre el, stătea în picioare la capătul bărcii, cioplind cu un cuţit scurt o creangă de plop […]. În câteva clipe, o cruce mică de lemn atârna legată cu sfoară la gâtul mortului. Apoi îl prăvălirăm în apă, şi în timp ce porneam înapoi, se ivea pieziş soarele, încununându-ne creştetul ca unor samariteni ai fărădelegii”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 15–16.
[70] Jean Libis, en analysant un passage tiré de L’enfant de la haute mer de Jules Supervielle, note : “[On donne, n. d. t.] forme poétique à un axiome fondamental de notre imaginaire : celui qui meurt par l’eau acquiert le don de sempiternité, fût-ce au prix d’un changement de substance”, J. Libis, Op. cit., p. 159.
[71] “Părea un bărbat voinic, între două vârste, ars de soare şi tăbăcit de apele mării, care aveau să-l primească în sinea lor, dându-i pe totdeauna transparenţele neantului”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 15.
[73] Pour un approfondissement du thème de la maternité de l’eau, voir : G. Bachelard, L’Eau et les rêves, Op. cit., p. 132-152.
[74] “Pescarii se închinară spre răsărit şi ridicându-l îl aşezară într-o barcă, pornind să-l ducă spre somnul migrator din care îl treziseră”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 90.
[79] Pour un approfondissement de ce thème, voir le chapitre que Bachelard lui dédie dans La Terre et les rêveries du repos (G. Bachelard, La Terre et les rêveries du repos, Paris, Corti, 2004, p. 147-204).
[80] Gilbert Durand précise : “Le Jonas est euphémisation de l’avalage puis antiphrase du contenu symbolique de l’avalage”, G. Durand, Op. cit., p. 233.
[81] “I-am privit în tăcere, alături amândoi ca nişte obeliscuri încremenite pe ţărm, până când orizontul şi întunericul i-au înghiţit”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 45.
[82] “Porniră spre mare, săriră în barcă, şi în curând noaptea înghiţea deopotrivă făpturile lor şi nava ce-i adusese”, Ibidem, p. 77.
[84] “Symbolique liée à celles des eaux et des transfigurations. […] Le dauphin est devenu le symbole de la régénérescence. On en voyait l’image auprès du trépied d’Apollon, à Delphes”, J. Chevalier et A. Gheerbrant, Op. cit., p. 338.