Ioan Chirilă
Babeş-Bolyai University, Cluj-Napoca, Romania
Présence du Logos dans l’« image »
/ Presence of the Logos in the ”Image”
Abstract: The concept of captivity determined by image, of excessive imagophagy, and even of image dependence, is of great actuality. Contemporary ordinary images aim for the senses and, therefore, we can speak nowadays about an idolatry of the image. From an anthropological and iconological perspective, image reception takes place at the intersection of seeing with the background intrinsic to the receptor, which includes images, words, and decryption keys for symbols. This collective background comprises the complex and yet extremely simple image of Paradise. In a synthetic exegetic approach of the prophetic excerpts that refer to this theme, we have tried to identify the iconic dimension of the symbolic structures used by prophets in order to restore the theonomic aspect of creation, and of moral acting. In the prophetic uttering, the Paradise motifs express a restoration of the creation’s natural way of being. It is precisely this fact that determines us to see the icon as the sign of the restored meaning of our existence and a presence or a source of grace. The icon creates the connection between men and the Logos, between us and His image inside us.
Keywords: Logos; image; icon; Paradise.
Il existe dans le déroulement de l’année liturgique une période dans laquelle l’exhortation « voyez, voyez » est particulièrement fréquente. C’est la période du Triode, pendant laquelle le chant liturgique est configuré d’après un modèle triadique laissant transparaître l’idée – si souvent soulignée par le père Stăniloae – que le tout liturgique est constitué sur une structure trinitaire, réflexion / réfraction de la Sainte Trinité dans la création. Il y a quelque temps, nous avons mis en relief le fait que, du point de vue cognitif, l’existence se déroule selon le vecteur des verbes : être, avoir / faire et voir. Les études portant sur la question phénoménologique remarquent que, dans le cas de l’image, il existe également un binôme verbal : se montrer/donner[1]. Dans le langage théologique, cela pourrait être interprété de la manière suivante : ce qui se présente comme épiphanie est en même temps eucharistie. En introduisant ces deux termes (épiphanie / eucharistie), nous ne faisons qu’affirmer un état intérieur caractéristique de l’homme défini par la parole et la manifestation visible, par l’état de dévouement. Dans sa qualité d’élément phonique réalisé, la parole appartient aussi à un autre milieu que celui de l’émetteur, de la personne qui apparaît dans la lumière et ne se montre pas à soi-même, mais aux soi cotangents de l’habituel. Les récepteurs du résultat des phénomènes verbaux personnels sont déterminés à assumer un acte de réception/extension à l’intérieur ainsi qu’à l’extérieur de leur personne, de leur propre manière d’exister.
Mais ici nous ne voulons pas adopter la perspective analytique ou celle de la systématisation philosophique-phénoménologique. Nous adopterons tout au plus une perspective anthropologique et iconologique. Le phénomène de la réception/extension s’accomplit à partir du résultat de l’acte de la vue, plié sur un fonds de connaissances intrinsèque à la personne réceptrice. La réception este abondante, l’extension est sélective et subjective. Nous retiendrons ici seulement le fait que « intra personam » il y a un fonds d’images, de mots, de clés de déchiffrement des symboles, il y a un pouvoir réel de transformer le message dans des prédicats ré-formateurs du contenu du milieu d’habitation/activation. Comme le dit John Milton, grâce à la transformation extrasensorielle – nous ne savons pas de quelle type –, à l’intérieur de ce fonds, il y a l’image complexe et pourtant extrêmement simple de l’Eden, du paradis[2]. A notre avis, cette affirmation est déterminée surtout par l’existence des images paradisiaques dans la prédication prophétique de l’Ancien Testament. En s’adressant à leurs compatriotes, les prophètes utilisaient ces images d’une manière très directe, voire familière, ce qui nous fait penser que les gens connaissaient cette thématique. Les motifs paradisiaques ne sont pas introduits comme un « rappel historique », mais avec un sens eschatologique. Ce dernier syntagme nous fait inévitablement penser au Saint Maxime le Confesseur parce que c’est lui qui l’a créé afin de préciser le limes de l’immanence de l’histoire : de créer/faire jusqu’à voir, au-delà de la Résurrection. Le motif du paradis ne fait pas qu’exister en nous, tel un thésaurus ou une grille d’évaluation/affirmation d’une existence post-eschatologique. Il est en même temps leur et notre idéal, espoir. C’est ce type de description que Moïse utilise en parlant du Canaan à l’école du désert, et c’est dans ce même type de discours que s’inscrivent les petits prophètes (les douze prophètes du canon de l’Ancien Testament, car c’est à eux que nous ferons référence le plus souvent) qui parlent des temps qui sont « en dehors » de l’histoire, des derniers temps, de « iom Yahvé » – le jour du Seigneur.
Mais avant d’entamer le débat proprement dit, nous voudrions introduire quelques affirmations générales concernant les thèmes de l’image, de l’imaginaire et de l’iconique.
Image, imaginaire et iconique – vue et dévotion.
John Meyendorff[3] observe avec objectivité que c’est seulement dans le monde de l’Orient byzantin que l’icône a suscité un débat théologique de plus d’un siècle. La raison en est que la pieté chrétienne des pays de langue grecque était ancrée dans une tradition où l’icône occupait une place nécessaire dans le culte, pendant que, dans les communautés chrétiennes syriennes et arméniennes, elle était perçue uniquement comme objet didactique, simple illustration du texte biblique. Dans l’Orient byzantin, l’icône este une présence charique, non seulement un outil catéchétique. A partir de cette idée, nous allons développer quelques observations.
De nos jours, on parle de plus en plus d’image/imaginaire. On introduit même les concepts de captivité déterminée par l’image, d’imagophagie excessive, de dépendance. Pourquoi ?! Est-ce que l’homme contemporain est-il vraiment un homme de la vue ? Ce serait bien que ce soit ainsi, mais nous devons parler de la vue comme vue seulement, de la vue comme réflexion, de la vue comme acte de cogitation, de la vue comme contemplation. Aujourd’hui, l’homme veut voir pour satisfaire les besoins inférieures de son être et non pas pour satisfaire ses besoins supérieurs et pour s’élever. L’image contemporaine est une image qui « salit » et non pas une image qui affine et élève en spiritualisant. Elle s’adresse aux sens et non pas à la raison refugiée dans le cœur et c’est pour cela que, plus que jamais, il s’agit d’une captivité, d’imago-idolâtrie. Cette situation nous pousse à attirer votre attention sur le fait que la modernité, clairement ancrée dans la rigueur formelle scientifique, utilise un concept sécularisé et sécularisant, vidé de son contenu théologique et excessivement chargé de physionomique. L’image ainsi présentée n’est qu’un hic historique et n’a plus beaucoup en commun avec l’acte de la possible transcendance de l’immanent historique. De même, l’imaginaire est corrélé avec la zone des fantaisies oniriques. Il est une construction de la subjectivité humaine, de l’intra historiae sans ouverture certaine vers la trans-historia de chaque kairos. Par conséquent, il est impérieusement nécessaire de nous rediriger du point de vue terminologique. Voilà pourquoi. Une image présentée, étalée, crée des connections avec un passé historique consommé dont, la plupart des fois, seul l’eudaimonique transparaît, nullement l’éros ou l’agapé. Pareillement, l’imaginaire n’a aucune force réelle générée par un contenu révélée. Il est une simple construction de la raison humaine pour son propre plaisir, tandis que l’icône suscite simultanément un argument du passé comme possibilité réelle d’épiphaniser l’eschatologique, l’éternel. L’image nous ouvre le passé et le rend pérenne dans son existence historique, tandis que l’icône nous ouvre surtout le champ de la cogitation/contemplation de l’éternité. L’icône que nous réalisons dans la bidimensionalité spécifique, ne permet pas l’achèvement du processus d’éparpillement de la raison dans le monde des fantaisies. Elle maintient la raison dans le champ du sens eschatologique et téléologique de l’étant. C’est pour cette raison que l’icône est dévouement, contemplation, tandis que l’image est « tentation »/asservissement.
Il est intéressant que l’iconoclasme contemporain soit déterminé par l’impuissance de la logique humaine (de certains d’entre nous) à éliminer l’affirmation eschatologique de l’icône. Nous restons pleinement convaincus que l’homme de nos jours ressent encore la force épiphanique de l’icône par le pouvoir christophanique même de son être.
Les motifs paradisiaques dans la prédication prophétique – restauration du naturel, du vivant.
Nous reprenons ici le concept de motif paradisiaque d’Izak Cornelius qui traite de l’iconographie de l’ancien Proche Orient dans une étude d’ampleur[4]. Son analyse a sans doute un caractère scientifique et elle fait la preuve d’une orientation évidente vers l’école historico-critique. Si nous nous sommes penché sur cet ouvrage c’est parce que nous avons étudié en détail l’écrit du prophète Osée et parce que Izak Cornelius parle aussi du prophète Joël qui, selon la vision exégétique chrétienne, a un discours pneumatologique concluant, aspect mis en évidence après l’utilisation du texte de Joël 3 par le Saint Apôtre Pierre dans son propos lors de la Descente du Saint Esprit (Actes 2). En ce qui nous concerne, la similitude des textes (celui d’Osée et celui de Joël) renforce notre conviction quant au caractère épiphanique et de communion charique de l’icône. L’atmosphère édénique accomplie dans cet horizon eschatologique est une atmosphère de communion charique évidente : il s’agit là de grâce et d’harmonie, de grâce et de communication. Cette dernière n’est pas vue seulement comme transmission, mais aussi comme communion, confession, acceptation de la responsabilité, incarnation.
Le motif du jardin a suscité beaucoup d’approches judaïques, chrétiennes, islamiques et autres, venant de la part de plusieurs religions. Au début, ce terme a été perçu comme une description des jardins royaux, des parcs… On retrouve ces sens chez les prophètes, aussi bien que dans la littérature didactique et poétique de l’Ancien Testament. La perspective change lorsque les traducteurs de la Septante rendent « gan Eden » (« le jardin de l’Eden ») par paradis[5].
Dans la Bible hébraïque, le terme paradis n’apparaît que dans quelques cas et il ne sert pas à la description du jardin de l’Eden dans la Genèse 2-3, ni aux autres endroits où l’on en parle, comme par exemple dans Ezéchiel 28, 31. S’il apparaît quand même (Néemie 2, 3 ; Ecclésiaste 2, 5 ; Cantique des Cantiques 4, 13), cela se passe à une date ultérieure, bien qu’il porte surtout sur les jardins royaux[6]. Le mot grec et le mot hébreu sont tous les deux empruntés au persan ancien, à l’iranien moyen et à l’avestique. Ce sont des termes qui désignent une « clôture », un jardin entouré par un mur – bref, un jardin. Or, dans le langage biblique, ce thème sera très présent dans le cas de la métaphore du vignoble, du vignoble clôturé (voir, dans ce sens, Isaïe 5 et les endroits parallèles, y compris la parabole des travailleurs de la vigne, dans le Nouveau Testament). Or, dans ce cas, il est clair que le thème a reçu un sens symbolique, qu’il a une dimension ou un contenu théologique eschatologique et qu’il peut signifier « la maison éternelle des morts ou le royaume messianique »[7].
Dans la pensée et l’expression prophétique, le thème du jardin édénique apparaît rarement, mais il exprime l’espoir que Dieu-Yahvé, travaillant avec ceux dont les âmes ont été déjà rachetées, engendrera une renaissance du véritable Israël. Or, le nom même d’Israël a une dimension iconique, car il se traduit par « l’homme qui a lutté avec/a vu Dieu ».
Dans la Septante, le jardin de l’Eden (traduit par paradeisos) apparaît une seule fois chez les petits prophètes (Joël 2, 3) et ce non pas dans un contexte eschatologique, mais pour exprimer le contraste entre l’image désastreuse produite par l’invasion des sauterelles et celle de ce jardin. Ainsi, l’oracle prophétique crée un rapport avec le paradis perdu du temps primordial – Urzeit – mais il ne s’agit pas d’un rapport strict avec la fin du temps – Endzeit. La notion de « gan – jardin » apparaît aussi chez Amos (4, 9 ; 9, 14), mais avec le sens de jardin ordinaire, sans inclure l’idée de paradis.
Avant de passer à une approche exégétique de synthèse des passages prophétiques, nous voudrions remarquer que, même si les auteurs cités parlent de « mythe » en l’occurrence, le thème du paradis transcende le cadre des religions du Livre. Il est un thème commun aux espaces du religieux, ce qui renforce notre conviction que, dans le cas du livre de la Genèse, il faut admettre deux horizons d’adressabilité de l’acte de la révélation : un premier horizon ou la perspective universelle (chapitre 1-11) et un deuxième horizon ou la perspective spéciale (chapitres 12-50), ce dernier n’étant pas confiné à un cadre ethnique, mais il s’agit du même aspect révélationnel donné. La première structure transmet les thèmes fondamentalement religieux de l’humanité, de la création, mais ce n’est pas le moment d’entamer une exégèse approfondie à ce sujet. Nous nous limiterons à préciser que, dans cette partie de la Genèse, nous avons les bases de toute la révélation ultérieure. Même si, initialement, le terme gan-jardin portait sur les parcs et les jardins séculaires, il devient par sa corrélation avec la Genèse 2-3 et grâce à la Septante un terme technique accepté par les Juifs pour exprimer la maison éternelle des morts (McArthur) et le Royaume du Messie (Test. Lévi 18, 10). Ensuite, ce terme est repris par les chrétiens pour décrire l’endroit du repos éternel des âmes bénies (Luc 23, 43 ; II Corinthiens 12, 4 ou l’Apocalypse, 2, 7). Dans la Vulgate, de même que dans les traductions anglaises (Moynihan, 1979 :1 et Oxford English Dictionary XII, 1961 : 449 et les suivantes), le terme est traduit par paradisus, donc il devient un concept théologique pertinent du point de vue de la théorie théologique et de l’épiphanie eschatologique.
Cornelius s’intéressait à la façon dont ce thème explicite les motifs de l’eau, de la montagne, de l’arbre/des arbres, de la paix et de l’harmonie, présents dans l’ancienne iconographie orientale. Quant à nous, ce qui nous intéresse ici c’est la manière dont l’humanité a généré ces représentations dans le passé à partir de la révélation primordiale en utilisant un fond de connaissances intrinsèque à l’étant propre et le résultat des expressions pictographiques dans un sens argumentatif liturgique, argumentatif religieux, dans le sens d’argument et d’élément de connexion ou de transcendance à travers l’expérience religieuse du physisme de la temporalité. Dans cette perspective, l’icône est un signe, un argument de la possibilité de condenser le temps dans le kairos entendu comme avant-goût de l’éternité.
Bien que le terme paradis soit d’origine tardive et qu’il soit rarement décrit dans les écrits prophétiques, il signifie davantage grâce à sa réception comme concept théologique. Selon M. Eliade[8], il exprime la confiance répétée de l’humanité dans le rétablissement de l’état paradisiaque perdu, pendant ou au temps eschatologique dernier. Cette idée est plus ancienne que le concept ou le terme même de paradis et elle se retrouve dans toutes les sociétés, quelque primitives ou, au contraire, développées du point de vue culturel qu’elles soient. Le concept décrit, donc, le futur idéalisé : grande fertilité, harmonie cosmique parfaite entre la vie, le bonheur et la paix apaisante. L’élément central est l’eau. Les rivières du paradis ou l’eau de la vie, l’eau vive, la montagne, l’arbre de vie et la paix rendant l’harmonie à l’être sont tous des éléments qui peuvent être identifiés dans l’expression prophétique, mais ces images ne sont pas nécessairement circonscrites à l’eschatologie dans tous les cas.
Lorsque l’on parle de l’activité et de la personne du prophète, on établit automatiquement un lien avec la mantique et on parle de la capacité de cette dernière de prévoir l’avenir grâce à certaines capacités personnelles ou à des rites visant l’association des différents signes astraux ou d’autre nature. La plupart des fois, on applique le même type de compréhension aux prophètes bibliques. Une des raisons en est qu’on n’observe pas que les repères spatiaux et temporels de quantification deviennent inefficaces dans le discours prophétique. Lorsqu’il s’agit de prophètes, on a en fait affaire à des « devins », à des gens qui ont vu les choses comme si elles avaient déjà été accomplies et qui transposent en termes clairs pour leurs contemporains le contenu de leur vision, dans le but de fixer de manière explicite le telos de l’existence. Ce qu’ils veulent avant tout c’est rendre les gens conscients du « naturel de leur vie », restaurer l’aspect théonome de la création morale. Pour réaliser la communication du contenu de la vision, les prophètes se servent des structures symboliques du langage, des structures qui incluent également l’expression imagistique ou iconique.
Avant de procéder à une brève présentation de ces thèmes iconiques, je voudrais introduire un fragment de réflexion au sujet du « renversement des sens ». Souvent, lorsqu’il s’agit du sacrifice de notre Sauveur – or, nous savons très bien que Son incarnation a créé la possibilité de représenter la divinité dans les icônes – nous disons qu’Il a offert Sa mort à Son Père. Mais c’est justement dans cette affirmation que je saisis un sens renversé. Le Christ n’a pas offert Sa mort à Son Père, mais Sa vie, que nous avons perdue par la désobeissance de nos protoparents. Il a donné Sa vie pour nous. En fait, la vie revient dans l’éternité et l’icône, en tant que représentation artistique, est le signe de la vie établie en Dieu, le signe du telos personnel réalisé par le saint lors de son encadrement conscient dans le champ des oeuvres théandriques. Les images utilisées par les prophètes annoncent justement ce sens, le sens du vivant éternel ou, selon le Saint Maxime le Confesseur, le sens eschatologique de l’existence, son telos anastasique.
Le discours eschatologique prophétique contient aussi des thèmes qui mènent au thème originaire et originel de l’Eden, à l’image très succinte de l’harmonie précédant la chute, présentée par Moïse dans la Genèse 2, 3 et considérée par beaucoup un mythe. Mais ces gens-là ne lisent pas le texte dans son contexte. Je m’explique. Dans la Genèse 1-3, l’homme créé par Dieu était le véritable maître de la Création dans le sens déterminé par l’harmonie de cette dernière, harmonie constatée et affirmée par Dieu lui-même dans la Genèse 1, 31, tandis que dans la Genèse 9, 2, l’auteur introduit une autre modalité de définir la relation entre les animaux et l’homme : l’épouvante et la peur. Par une contextualisation minimale, le critique pourrait saisir cette distinction et formuler quelques éléments permettant de définir le sens de l’harmonie in ea ipso. L’harmonie est un état d’hésychia des êtres qui communiquent et qui se communient l’un l’autre par l’illumination, par leur discours sur Dieu. Or, c’est justement ce que fait l’icône et ce qui nous détermine à voir dans l’icône le signe du sens restauré de notre existence et une présence ou source charique, en même temps qu’une leçon des leçons.
Le prophète Osée est reconnu comme un des premiers prophètes écrivains, donc je commencerai par son texte prophétique.
Dans le chapitre 2, 20 de son livre, on retrouve le motif de la paix/harmonie de l’Eden : « je conclurai pour eux en ce jour-là une alliance avec les bêtes des champs, tous les oiseaux du ciel, les reptiles du sol ; l’arc, l’épée et la guerre, je les briserai, il n’y en aura plus dans le pays, et je permettrai aux habitants de dormir en sécurité ». K. Rudolph[9] remarque le fait que ce motif se retrouve aussi chez Ezéchiel 34 et dans le Lévitique 26, mais il n’observe pas in extenso le fait que Ezéchiel développe un tout autre thème, celui du berger, repris aussi dans le Nouveau Testament, dans la parabole du bon berger et de la brebis égarée. Dans le Lévitique, il s’agit de la sphère des thorots, des établissements divins qui, une fois achevés, circonscrivent la création à la sphère de l’existence pacifique. L’auteur invoque le fait que l’image eschatologique transmise par Osée n’est pas une création personnelle, mais le développement d’une tradition existant en Israël. A cet égard, il est en accord avec Wellhausen qui voit dans les prophètes des personnes qui reprennent une tradition qui existe déjà dans le milieu judaïque. Pourtant, Wolff[10] appelle le texte « eine paradiesische Eintracht ». Pour nous, ce qui est important c’est le motif du « serment » , du berith nouveau. Lorsque j’invoque le terme « nouveau », je ne peux pas m’empêcher de souligner encore une fois que, dans la dimension de l’éternité, le nouveau n’est pas un attribut dépendant d’une quantification chronologique, mais une situation de fait. En d’autres mots, un homme n’entre pas dans la sphère du nouveau strictement par une invention, mais par un replacement de soi-même dans un temps de l’origine du nouveau dans la création. En fait, puisque nous avons mentionné ici les sens renversés, lorsque Jésus parle de l’accomplissement de la Loi, que nous comprenons comme l’achèvement de la Loi (Mattieu 5, 17), Il ne parle seulement d’un complètement de la Loi, mais aussi d’un achèvement de notre compréhension. J’aimerais invoquer ici un passage du Nouveau Testament qui dit que la femme, même si elle subit les terribles douleurs de l’accouchement, se réjouit parce qu’elle a donné naissance à un nouvel homme et cet homme nouveau vivra, jusqu’à un certain âge, en harmonie parfaite avec les animaux, par exemple. Le thème proposé par Osée – l’image créée par lui – est celui de l’harmonie, du Weltfrienden. Mais l’idée de l’écrasement des armes de la guerre a été représentée aussi par les artistes. Dans les iconogrammes anciennes, elle est évoquée de manière complexe, en tant que coexistence pacifique de tous les animaux autour de l’homme qui brise l’arc et l’épée (annexe, iconogramme 1).
Osée (2, 24) parle du motif de l’abondance, de la fertilité de la terre, qui provient de Dieu et non pas de Baal. Cette image complète la précédente. Pour notre perspective exégétique[11], l’hypostase importante est celle des fiançailles et de la réponse. Le prophète dit que les cieux répondront à la terre, et la terre répondra à l’homme par les fiançailles qui le lie à Dieu. Je considère que ces deux thèmes sont importants parce qu’ils marquent le rétablissement de l’unité, l’affranchissement de l’étape de « travail » comme punition et le rétablissement de la réponse authentique que la terre donne à son « maître », c’est-à-dire à l’homme. La terre donne le blé, le vin et l’huile, des éléments qui se retrouvent dans les iconogrammes 2 et 3 (voir annexe), mais qui, dans la Liturgie chrétienne, sont présents en tant que matière de la Litie (office de bénédiction du blé, du vin et de l’huile accompagnant les Vêpres des grandes fêtes).
Les exégètes mentionnés dans cette étude identifient un motif paradisiaque y compris dans la chanson de pénitence d’Osée (6, 3), dont Rudolph dit qu’elle devrait être reconnue comme création d’Osée. Cornelius considère cet hymne une représentation du motif de la fertilité, motif marqué par l’idée de l’arrivée des pluies précoces de printemps/été qui détermine la germination. Nous proposons une technique exégétique qui ouvre un horizon beaucoup plus large. Nous proposons la solution exégétique de « Crux interpretum » pour le texte Osée 6, 1-3 et nous voyons dans cet hymne une expression de la Résurrection, antérieure de huit siècles de l’icône de l’anastasis.
Les exégètes considèrent le texte d’Osée 14, 6-9, un passage énigmatique. Von Rad l’appelle « eines fast pflanzlich naturhaften Gedeihens und Blumens »[12] et Kruger[13] identifie quelques éléments spécifiques à une description paradisiaque. La luxuriance de la végétation s’étend au plan de la description de Dieu (Vers. 9). Dans notre exégèse et dans la reconstruction de la forme du texte, nous avons proposé une interprétation liturgique de ce texte : le voir comme une Liturgie pénitentielle acceptée et accomplie dans l’éternité, fondée sur l’idée du verset 3 en relation avec le passage d’Osée 6, 1-3.
Il y a d’autres descriptions du paradis chez Joël[14], Amos[15], Zacharie[16], Michée[17], des passages qui nous donnent la possibilité de créer un lien avec les descriptions suméro-akkadiennes à ce thème[18].
Je rappellerai quand même une image de Zacharie 2, 9, parce qu’elle nous permet de revenir à la Genèse 3, 24. Le texte de Zacharie introduit l’image de l’épée de feu du chérubin de la Genèse et mentionne le fait que le Sion sera protégé par Dieu lui-même. Il ne faut pas voir ou interpréter le mur de feu de Zacharie comme un obstacle à la réception de la révélation, mais, comme le propose Filon dans De Cheruvim, comme une possibilité de voir, de se situer soi-même dans l’illumination. Or, dans la tradition chrétienne, l’icône est une source d’illumination, elle crée le lien entre nous et le Logos, entre nous et Son icône en nous-mêmes. C’est pour cette raison que j’affirme une présence du Logos dans l’icône.
[1] Jean-Luc Marion, In Excess: Studies of Saturated Phenomena, trad. par Ionuţ Biliuţă, Ed. Deisis, Sibiu, 2003, pp. 41-66. Marion emploie une terminologie de spécialité. En tant que théologien, nous utiliserions plutôt des équivalences liturgiques telles : surabondance, profusion, etc.
[2] John Milton, Paradise Lost and Paradise Regained: « Moi, qui jadis chantais dans l`heureux jardin / perdu par la désobéissance d`un homme/ je chante maintenant le paradis retrouvé pour toute l`humanité/ par la ferme obéissance d`un seul homme/ mise a l`épreuve de la tentation et le tentateur…/ vaincu et rejeté dans toutes ses méchancetés/ et l`Eden élevé dans le desert de la sauvagerie». Il y a une ressemblance extraordinaire avec le chant premier du Grand Canon du Saint André de Crète, chanté dans la première et la cinquième semaine du Grand Carême.
[3] Voir Hristos în gândirea răsăriteană, trad. par le père Nicolai Buga, Ed. IBMBOR, Bucureşti, 1997, p. 185 e.s.
[4] Izak Cornelius, Paradise motifs in the ‘eschatology’ of the minor prophets and the iconography of the Ancient Near East. The concepts of fertility; water, trees and ‘tierfirenden’ and Gen. 2-3 » in Journal of Northwest Semitic Languages, XIV (1998), p. 44-85.
[5] Pour avoir une image complète de l’amplitude et la diversité d’opinion exégétique en ce qui concerne le terme « paradis », voir : Joachim Jeremias (1954 : 765-73) ; Mc Arthur (1962 : 655 et les suivantes). En ce qui concerne le concept, voir Lurker (1983 : 512 et les suivantes). Au sujet du jardin comme espace du salut, voir Berg (1988).