Corin Braga
Le Paradis interdit. La face et le revers d’une image
Le Paradis est une image qui est demeurée remarquablement constante dans la culture européenne des deux derniers millénaires. Pendant le Moyen Age, à partir du livre de la Genèse, elle a été même typée, réduite à une description standard aussi scrupuleusement sigillée que le Credo chrétien lui-même. La Renaissance a rouvert le sceau, les philosophes et les artistes ont commencé à reprendre le mythe à leur compte et à le remodeler sur les contours de leurs propres obsessions. Dernièrement, les métamorphoses de l’archétype ont été suivies dans des monuments d’érudition impressionnants, à ne citer que les travaux de Jean Delumeau sur Le Jardin des délices. Une histoire du Paradis (1992), Mille Ans de bonheur (1995) et Que reste-t-il du Paradis ? (2000). Il apparaît cependant que cet intérêt « positif » pour une image archétypale, fut-il traduit dans une doctrine religieuse, dans une vision philosophique, dans des œuvres littéraires ou artistiques, ou dans des recherches académiques, a mis dans l’ombre un aspect « négatif » du mythe lui-même : le Paradis terrestre est un Paradis interdit ! Préoccupés à inventorier les caractéristiques théologiques, eschatologiques, géographiques, écologiques, hydro-climatiques du jardin, les pères, les docteurs, les savants, les visionnaires, éblouis par l’exploit de leur intrusion imaginaire, paraissent avoir oublié que ce jardin est désormais clos. Les versets 23-24 de la Genèse 3, qui décrivent le bannissement de l’homme et le verrouillage du Paradis, ont souvent servi comme prétexte de méditation morale et sotériologique sur la condition déchue de l’homme, mais n’ont pas pour autant voilée l’éclat fascinateur du topos numineux. Pourtant, l’information sur la clôture du jardin était susceptible, dés le début du christianisme, de jeter le mythe paradisiaque dans un coin d’ombre irrémédiable et définitif. Rien n’y fut. Au lieu de laisser tomber sur l’image le rideau des ténèbres, sinon de l’inconnaissable, du moins de l’inaccessible, les docteurs de l’Eglise ont continué à réitérer la description stéréotype de l’Eden et les artistes à imaginer les menus détails des délices qui s’y trouvent.
Tous les dossiers du Paradis terrestre, si bien établis et réunis avec tant d’acribie, sont donc à reprendre à la lumière (ou, mieux, à l’ombre) de l’idée d’interdiction, que les visionnaires béatifiques ont en quelque sorte refoulée. Il faut soumettre l’image « pleine » qu’ils en donnent au rayonnement néantisant projeté par le tabou divin. Le Paradis est une image illuminée non pas par la source de la réalité actuelle, mais par le soleil noir de l’inexistence. C’est une image qui doit être développée « en creux », en état de disparition et d’absence. L’eschatologie chrétienne naît sur un effondrement, sur un trou noir central, qui imprime un mouvement d’ascension et de transcendance vers un autre idéal, vers l’autre Paradis qu’est l’Empirée. Le sentiment de culpabilité et la mauvaise conscience qui sous-tend les visions du Paradis terrestre se font jour dans les peintures d’un Bosch, oů le jardin des délices, d’une manière paradoxale et tout à fait imprévisible, se laisse entrevoir à travers les couleurs angoissantes de l’enfer. On pourrait, bien sûr, invoquer l’équivalence, pré-baroque, que Bosch fait entre les délices et les vices de ce monde ; il reste toutefois que la sotériologie chrétienne est marquée par un traumatisme intime, un traumatisme de naissance. Tout se passe comme si les visionnaires chrétiens s’efforçaient de peindre des images très concrètes, très sensibles, d’un Paradis rêvé et désiré, mais en oubliant (ou en feignant de l’oublier) qu’il s’agissait d’un Paradis effondré, qu’aucun mortel ne pourrait plus goûter de ses sens.
Pour explorer la raison du néant qui attaque l’image du Paradis terrestre, il faut remonter aux racines du mythe chrétien et même aux racines du mythe judaïque. On retrouvera ainsi, dans la mythologie du Proche Orient, l’image « pleine », l’archétype « positif », la face du topos paradisiaque, que la Bible a lu à l’envers et a transformé en une image négative, en un mirage évanescent.
L’image du Paradis dans la théologie commune
du Proche Orient
L’exégèse biblique moderne a établi que Le Pentateuque (les premiers cinq livres de l’Ancien Testament), et plus spécifiquement les récits concernant la création du monde proviennent de plusieurs sources différentes, qui ont comme point de départ des traditions orales constituées au temps de l’avènement du judaïsme. La Genèse 1, qui déroule le grandiose scénario de la semaine démiurgique, appartient à ce qu’on appelle désormais la source P, c’est à dire le corps de prêtres qui, après le retour de l’exil babylonien, ont entrepris le travail de systématisation et de canonisation des textes sacrés de la Thora1. La Genèse 2-3, qui raconte le mythe alternatif du Paradis et de la chute, dérive de sources plus anciennes, qu’on regroupe sous le nom de source JE. Plus précisément, il apparaît que le thème de la création de l’homme à partir de la glaise se retrouve dans la toute première rédaction littéraire du Pentateuque, le Dv, située vers l’an 1000, à l’époque du roi David ; le thème du Jardin serait introduit une génération plus tard, aux temps de Salomon, dans la rédaction J (ou Yahviste) ; et des commentaires et des développements sont ajoutés au J par la source E (Elohimiste), quelque part entre 750 et l’exil babylonien2. De par leur ancienneté, les sources Dv et J reflètent donc des phases primitives de la formation du mythe du Paradis.
Or, l’histoire comparative des religions a démontré que ce mythe a des parallèles, sinon des sources, dans les religions du Proche Orient ancien. Comme on le sait, la langue, la culture et la religion d’Israël se sont formées par des croisements, des emprunts et des délimitations sur un riche fond d’influences. Les tribus sémites des proto-juifs, venues des déserts d’Arabie, d’oů ils héritent, avec les Arabes, l’idée de la descendance collective d’un patriarche, ont pérégriné, au IIe millénaire, aux temps mythiques d’Abraham, par les territoires de Mésopotamie, du Levant et d’Egypte, avant de s’installer dans la terre de Canaan promise par Moïse. Pendant cette période, ils ont absorbé, adapté ou rejeté des éléments des religions des Babyloniens et des Assyriens (Abraham parlait, paraît-il, un dialecte akkadien), des Araméens (langue que Jacob partage avec son beau-père Laban), des Cananéens ou Phéniciens (dialecte adopté avant la conquête), des Egyptiens, des Hittites et des Méditerranéens (les « peuples de la mer », les Philistins etc.)3. C’est au substrat de la « théologie commune »4 de ces civilisations qu’il faut rapporter avant tout la mythologie biblique du Paradis5.
Les religions du Proche Orient ancien sont sans exception polythéistes ou, tout au plus, hénothéistes. Les divinités forment une assemblée, dirigée en général par un groupe familial plus restreint6. Cette famille des dieux pantocrateurs comprend en général deux générations, celle des premiers créateurs, devenus entre temps des dei otiosi, et celle des gouvernants actuels, qui ont pris le pouvoir par l’héritage ou par la force. En Sumer, l’assemblée divine est composée par les quatre dieux créateurs : An, dieu du ciel, « père des dieux » ; Ki (plus tard Ninhursag ou Ninmah ou Nintu), déesse de la terre, mère de tous les vivants, autant des dieux que des hommes ; Enlil, dieu de l’air ; Enki, dieu de l’eau et de la sagesse ; à ces quatre se joignent trois divinités astrales, pour former le concile des sept « dieux suprêmes » qui contrôlent le sort : Nanna, ou Sin, le dieu de la lune ; Utu, le dieu du soleil ; et Inanna, sa sœur, déesse de la fertilité, identifiée à la planète Venus) ; les cinquante « grands dieux », qui forment l’aristocratie divine et se partagent les fonctions ; et enfin les Anunnaki qui forment autant la garde royale du ciel que les ministères du monde d’en bas7.
Le panthéon babylonien développe et systématise l’héritage sumérien. Dans la suite impressionnante de générations, luttes et usurpations racontée par Enuma Elish, on voit se succéder au pouvoir Apsu et Tiamat ; leurs enfants Anshar et Kishar (An et Ki) ; leur fils Anu (Enlil) ; son fils Ea ou Nudimmud (Enki), qui, avec sa femme Damkina, engendre Marduk, dieu des tempêtes, d’origine sémite, qui devient le chef du conseil divin ; à eux se joignent Sin, le dieu de la lune, Shamash, le dieu du soleil (Utu), et Ishtar (Innanna)8. La même structure du panthéon a été gardée par les Assyriens, qui ont seulement changé le nom de Marduk par celui d’Ashur, comme il résulte par exemple des invocations qui ouvrent les Annales de Tiglath-pileser I (1115-1077 a. Chr.)9, et par l’Empire Néo-Babylonien, oů Marduk apparaît comme Bel.
Une famille divine assure le contrôle du monde aussi dans la religion des Cananéens. Le père des dieux est El, « le fort », « le taureau », maître lointain et plutôt inactif ; la mère est Athirat (ou Asherah), femme de El, « la sainte », patronne des devins ; le pouvoir est exercé par leur fils Baal (ou Hadad), nommé quelquefois fils de Dagon (dieu du grain et des céréales), dieu des tempêtes et de la fertilité, « roi des cieux et de la terre ; et par ses sœurs et femmes, les déesses Anat, « reine des cieux », et Astarte (ou Ishtar), patronnes de la fertilité et de la guerre, protectrices et destructrices à la fois10.
Les Hittites (« les fils de Hèt » de la Bible) ont développé une généalogie divine assez compliquée, avec plusieurs générations de dieux qui se succèdent au trône, Anu, Alalu, Kumarbi et finalement Téshub, le dieu des tempêtes, qui règne avec sa sœur Ishtar11. Le scénario des renversements violents aurait été repris par les Grecs, Hésiode racontant la succession des familles divines régnantes, Gaïa et Ouranos – Rhéa et Chronos – Zeus et Héra. Chez les Araméens, c’est toujours une famille divine, composée de Hadad, Atargatis (résultée par la fusion de la déesse Ishtar ou Astarte avec la déesse Anat) et le plus jeune Simios, qui règne sur une assemblée oů sont réunies plusieurs divinités d’importation assyro-babylonienne et cananéenne12. La mythologie égyptienne connaît plusieurs conseils sacrés, chaque centre religieux établissant son propre panthéon : à Thèbes, les dieux sont gouvernés par la triade Amon (Ra), Mut et Khonsu ; à Memphis, par Ptah, Sekhmet et Nefertum ; à Héliopolis, par l’ennéade familiale Atum (Ra), Shu et Tefnut, Geb et Nut, Osiris, Isis, Seth et Nephtys ; à Hermopolis par une ogdoade, etc13.
Suivant le modèle des monarchies antiques, les dieux gouvernent ensemble, dans une assemblée, puhru en akkadien, phr m’d dans le cananéen des tablettes de Ras Shamra, moed en hébraïque. À cette occasion, ils prennent des décisions de crise : Apsu et son vizir Mummu rejoignent Tiamat pour décider de la destruction des autres dieux ; pour faire face à la menace, les Igigi (grands dieux du ciel) se rencontrent chez Anshar pour investir Marduk avec le pouvoir suprême ; Yam envoie sa provocation envers Baal à l’assemblée des dieux sur le mont d’El. Ils fêtent les victoires sur les forces ennemies : de Marduk sur les monstres conduits par Kingu, de Baal sur son concurrent Yam. Ils établissent les priorités du gouvernement du monde : après avoir tué Tiamat, Marduk préside les « grands dieux » et procède à la cosmogonie ; Baal inaugure son palais de roi des dieux. Ou ils forment des tribunaux de justice, comme Osiris présidant les hiérarchies des juges de l’Enfer.
Le plus souvent, pendant les périodes de crise ou pour célébrer une victoire, à l’occasion autant des situations exceptionnelles que des rencontres banales, les réunions des membres du conseil divin sont des fêtes culinaires. La joyeuse compagnie divine assyro-babylonienne mange le délicieux repas et boit le « doux vin » aussi avant la confrontation avec Tiamat, pour se remonter le moral, qu’après la lutte, pour goûter au triomphe14. Après avoir vaincu son rival Yam, Baal est servi dans un banquet rituel sur les hauteurs du Mont Saphon : Pardameni ou Radamin (personnage mystérieux, les traducteurs n’ont pas pu identifier s’il s’agit d’un nom propre divin ou d’un officiant humain) ouvre la poitrine d’un bœuf et découpe un morceau bien gras, remplit de vin une coupe sainte, que ni Athirat ni autre femme n’a pas le droit de contempler, et entonne un chant, accompagné de cymbales, en honneur de son maître. Pour l’inauguration de son palais, Baal abat du grand et du petit bétail et traite ses frères, les soixante-dix enfants d’Athirat, avec de la viande de bœuf et de vache, avec du vin, sang du raisin, et avec des friandises15. En palimpseste, sous le mythe, on peut entrevoir le rituel sacrificiel organisé dans le temple en l’honneur de dieux. Cette double signification est encore plus évidente dans le plaidoyer de Baal pour un palais propre. Le dieu se plaint que, à l’assemblée de dieux, tenue vraisemblablement chez El, donc dans le temple d’un autre, on lui a servi de la viande altérée et du vin grossier, ce qui serait impensable dans son propre temple16.
Oů résident les grands dieux et leurs suites ? Aux grandes divinités du Sumer un merveilleux séjour leur est proposé dans le pays Dilmun. Situé quelque part dans le sud-est de la Perse (dans l’hypothétique pays d’origine des premiers Sumériens), Dilmun est le « pays des vivants », sacré, pur et éblouissant. Une paix pastorale y règne, le lion ne tue pas, le loup ne donne pas la chasse aux agneaux, le chien sauvage ne mange pas les chevreaux, les oiseaux ne se nourrissent pas de grains. La condition des vivants est exempte de la corruption, il n’y a pas des souffrances, des maladies, de vieillesse et de mort. Pour que l’eau fraîche ne manque pas, Enki, dieu de l’eau, commissionne Utu, dieu du soleil, de faire jaillir de la terre une source capable d’arroser tout le Dilmun. Ninhursag, la déesse de la terre, donne naissance à trois générations de déesses, conçues avec Enki, et à huit espèces de plantes sacrées. Intrigué et curieux, Enki veut goûter à ces plantes malgré l’interdiction de Ninhursag, et son geste lui attire la malédiction de la déesse. Il tombe malade, ce qui se reflète dans le dépérissement de la nature. Quand il est sur le point de mourir, implorée par les autres dieux, Ninhursag le pardonne. Pour le guérir, la déesse crée huit divinités, avec lesquelles elle remplace les organes souffrants. S. N. Kramer, qui a commenté ce poème sur Enki et Ninhursag, n’a pas manqué de souligner les parallélismes entre Dilmun et Eden : la même position géographique, une similaire genèse de la source d’eau, la nature paradisiaque, l’harmonie arcadienne, la condition incorruptible, la transgression d’un tabou alimentaire qui attire la maladie et la mort, l’allusion à la naissance sans douleurs qui paraît avoir été perdue après l’infraction, et même la génération d’un être à partir d’un organe, en espèce de Ninti (« Maîtresse de la côte »)17, qui rappelle la création d’Ève.
Dans la mythologie cananéenne, El, le père des dieux, habite lui aussi dans une région paradisiaque aux extrémités du monde. Pour le rejoindre, les dieux doivent aller jusqu’aux « marges de la terre, à la frontière des eaux », dans l’immédiate proximité du « pays des morts »18. Ici, « aux sources des deux fleuves, entre les étendues d’eau », se trouvent les « champs d’El », les « plaisants pâturages », et la clairière ou le jardin sacré, oů, « parmi pierres et arbres », habite la famille divine. Aux milieux des jardins d’El se dresse le palais royal, les chambres du « père des ans », l’alcôve composée de « sept chambres, de huit pièces » (réduplication stéréotypée, suggérant sans doute la richesse divine) au fond de laquelle siège le grand maître19.
Le topos du jardin se croise avec un autre mythème, celui du mont. Selon une autre ligne mythique, les dieux habitent un palais au sommet d’une montagne sacrée. Cette attribution trouve probablement son origine dans le processus de personnification des anciennes divinités topologiques de la préhistoire, appartenant à une religion de type chamaniste, au moment de leur sublimation dans des religions de type polythéiste. Selon la théogonie babylonienne, la Mer primordiale, Apsu, engendre le Mont cosmique, dans lequel sont réunis An, le dieu du ciel, et Ki, la déesse de la terre. C’est « sur le Mont du Ciel et de la Terre / que An a engendré les Anunnaki » et les autres dieux, raconte le poème Le bétail et les grains. C’est son fils, Enlil, le dieu de l’air, qui provoque la séparation de deux hémisphères. Dans un poème qui révèle l’origine du dieu de la lune, le « père Enlil » est à son tour rituellement nommé « la Grande Montagne »20. Si Athirat, mère des dieux et femme d’Enlil, est appelée « La Dame de la Mer », Anat, sa fille, sœur et femme de Baal, est appelée « La Dame de la Montagne »21. Dans l’Epopée de Gilgamesh, le héros monte sur une montagne sacrée pour demander un rêve prophétique ; un peu plus tôt il avait eu un rêve dans lequel lui apparaissait justement cette montagne, que Enkidu identifiait à Humbaba, monstre qu’ils devaient tuer22. Telles réminiscences démontrent que, à l’origine, certains lieux, et surtout les montagnes, recevaient un culte concrétisé le plus souvent par des autels dressés sur leurs cimes23. Quand les cultures de l’Antiquité ont parachevé la personnification de ces divinités animiques, elles ont séparé l’image pleinement individualisée des dieux de leur image topographique. Les montagnes sont devenues les lieux de prédilection oů les dieux se montrent aux humains (comme le mont Sinaï oů Yahvé apparaît à Moïse dans l’épiphanie du buisson ardent) ou leurs ont été attribués en tant que domiciles sacrés.
L’Antiquité logeait donc ses dieux autant dans des jardins sacrés, que sur des montagnes sacrées, souvent combinés dans l’image d’un jardin au sommet d’un mont cosmique. Les tablettes d’Ugarit parlent en parfaite synonymie, du moins dans certaines lectures, du jardin d’El, « à l’origine des deux rivières, au milieu des sources des deux océans, des doubles profondeurs », et de la montagne d’El, le mont Khas, « Montagne de la Nuit », oů se tient la réunion du conseil des dieux24. Quand des nouveaux dieux sont proclamés rois de l’univers, un splendide palais leur est assigné, sur la cime d’une montagne consacrée. C’est le cas de Yam, premier roi nommé par El25, et puis de Baal, après sa victoire sur Yam. Pour couronner la nomination de leur époux et fils en tant que chef de l’assemblée divine, Anat et Athirat interviennent tour à tour auprès d’El, pour qu’une demeure digne de son rang lui soit dédiée. L’argument, qui est réitéré pas moins de quatre fois sur différentes tablettes ugaritiques, est que, à la différence d’El, d’Athirat « Dame de la Mer », de « Pidray la lumineuse », de « Talay la pluvieuse », d’Arsay, fille de la déesse de la pluie, de tous les fils d’Athirat, Baal n’a pas une maison pour lui et son « ardente fiancée »26. El est finalement convaincu et un dieu-artisan, Kothar-Kasis, est mandé à la besogne. L’architecte construit, sur le Mont divin Saphon, « place sacrée, roc de mon héritage », située « au Nord », pour résidence et salle du trône, une splendide maison de cèdre, de plaques d’argent et de briques d’or, copieusement ornée de pierres précieuses27.
À son investissement en tant que monarque de la société divine, Marduk est lui aussi honoré par la construction d’une « tour princière ». Comme les soi-disant résidences des dieux étaient rituellement des places de culte, on tombe souvent sur l’équivalence implicite entre le palais de dieu et son temple sur terre. C’est ce qui arrive dans le cas de Marduk, dont la demeure n’est rien moins que la tour de Babel. Après que leur nouveau maître ait vaincu l’armée de monstres envoyée par Tiamat, les Anunnaki lui proposent de construire un temple qui aura pour nom « Voilà un foyer pour notre repos »28. La première année, ils préparent les briques ; la deuxième, ils érigent une pyramide à étages, d’une hauteur semblable à celle d’Apsu. Cette maison pour Marduk, Enlil et Ea est un équivalent du mont cosmique qui abritait la première famille régnante, celle de An et Ki, avant leur séparation par Enlil. À l’inverse de la Bible, qui voit dans la hauteur de la tour de Babel une expression de l’orgueil fou de l’homme, le Poème babylonien de la création trouve ses dimensions cosmiques (les cheminées touchent la base de l’Esharra – le Ciel) comme parfaitement adaptées à la condition de ses habitants. Le temple Essagila, sur le sommet de la pyramide, est la salle du trône et aussi la salle des banquets des dieux. Dans le récit mythique, les membres de l’assemblée céleste sont invités à s’asseoir sur leurs sièges pour célébrer le grand festin de la victoire, de la même manière que, dans le rite du temple, les statues sont placées chacune sur son autel spécifique pour être adulées dans le culte.
La cosmogonie fonctionne donc comme un mythe étiologique pour l’institution du service religieux. Le Poème babylonien de la création offre un parallélisme supplémentaire très instructif pour l’analyse de la Genèse 2-3. Parmi ses entreprises démiurgiques, Marduk se propose de créer, à partir du sang de Kingu, le chef de la troupe de monstres rebelles, un nouveau être vivant, lullu, l’homme. Cette créature est destinée supplanter les gouvernants dans les besognes inférieures : « Il servira aux dieux, pour qu’ils puissent se reposer ». Un jardin cosmique est créé (le monde) et un jardinier lui est assigné (l’homme). Un palais divin est inauguré et un ministre est convoqué pour l’entretenir. En faisant la lecture ritualiste du mythe, on voit que la résidence des dieux, située dans un jardin paradisiaque sur la cime d’une montagne sacrée, correspond au temple Esagila sur le sommet du ziggourat (mot assyrien qui signifie montagne) babylonien, et l’homme créé par Marduk pour le servir dans le palais au roi-prêtre qui assure le service divin.
En tant que vicaire des dieux, l’homme est susceptible d’être convié à leurs banquets. Il y a toute une littérature sur le festin d’immortalité que les maîtres du monde offrent aux héros29. Manger la nourriture des dieux signifie partager d’une certaine manière leur condition. Si l’homme arrive à l’assemblée divine du temps de son vivant, il a la chance de devenir leur semblable. C’est ce que raconte le mythe de Ziusudra, personnage fabuleux à qui se rattache la légende sumérienne du Déluge. Le conseil de dieux décrète la destruction de « la semence de la race humaine ». Une voix céleste prévient le héros, qui est un homme pieux et grand oniromancien, sur la catastrophe. Suivant le conseil divin, Ziusudra construit un navire gigantesque, dans lequel il sauve des exemplaires de toutes les espèces. En signe d’appréciation, An et Enlil « lui firent don d’une vie comme celle d’un dieu. Ils firent descendre sur lui un souffle éternel, comme celui d’un dieu ». Et puis ils installèrent le « salvateur du nom de la végétation et de la semence de la race humaine » dans « le pays de passage, dans le pays Dilmun, là oů se lève le soleil »30.
Le récit est repris, presque sans différences, dans la légende babylonienne d’Utnapishtim. Les grands dieux décident de détruire l’humanité par l’eau, seul Ea, dieu de la sagesse, se propose de la sauver. Le dieu apparaît à Utnapishtim, habitant de la cité de Suruppak, et lui enseigne de se construire un grand bateau carré et à y loger « la semence de tous les vivants ». Après que le déluge eut pris fin et qu’Utnapishtim eut débarqué sur le mont Nisir, Enlil, adouci par Ea, décide de grati-fier le rescapé, avec un geste similaire à la promesse que Yahvé fait à Noé sur les monts d’Ararat. Ce n’est pas la fertilité et la multiplication qu’Enlil offre à Utnapishtim, mais la vie immortelle : « Jusqu’aujourd’hui Utnapishtim a été un simple mortel. Dès maintenant Utnapishtim et sa femme seront comme l’un de nous les dieux. » Pour intégrer le conseil divin, le couple est enlevé selon un scénario mythique archaïque, celui du rapt miraculeux, et il est hébergé dans le jardin lointain, « à la source des rivières », au-delà de la mer31.
La demeure des dieux est située au point de convergence entre le monde des vivants et celui des morts. Dans la mythologie cananéenne, un poème fragmentaire32 raconte l’invitation que le dieu El fait aux rpim, ombres de morts, génies tutélaires, que l’Ancien Testament appelle Rephaïm, habitants du Shéol33. Le père des dieux convie les âmes de ces morts privilégiés à venir dans « ses champs », « au milieu de ses plantations », dans son palais, et à occuper les places qui leur sont désignées. La description du festin convient à un mythe associé à une cérémonie des morts organisée dans le temple. Pendant sept jours, les rephaïm sont servis avec de la viande de bœufs, brebis, agneaux, veaux et chevreaux, avec des olives et avec du vin de Liban. Cependant les ombres ne paraissent pas participer régulièrement aux fêtes des dieux, elles sont des invités extraordinaires. Dans ces deux types de banquet, le festin d’immortalité héroïque et le repas des morts, se conjoignent probablement deux rituels appartenant à des eschatologies différentes. Les deux manifestations de la convivialité homme-dieu diffèrent selon que l’invitation est faite avant ou après la mort de l’individu humain. À la différence des rephaïm, Utnapishtim et sa femme participent aux fastueux repas en tant qu’hommes devenus comme les dieux, immortels, membres de l’assemblée divine et résidents permanents du jardin de dieu.
Pour refaire ce voyage au but du monde, à la recherche du couple béatifique, il faut beaucoup de courage et détermination. Harcelé par un profond désarroi après la mort d’Enkidu, Gilgamesh est un des rares héros qui ose traverser la mer qui sépare les vivants des immortels. C’est Urshanabi, le navigateur d’Utnapishtim, qui le prend sur son bateau des ombres et le prévient de ne pas toucher aux eaux de la mort. Après une traversée périlleuse, à la fin de laquelle Gilgamesh ne peut pas éviter de tomber dans un sommeil létal de sept jours, Utnapishtim s’inquiète pour le héros qui est venu le consulter sur l’éternité : « Mais, en ce qui te concerne, qui est-ce qui va convoquer l’assemblée des dieux, pour que tu puisses trouver la vie que tu cherches ? ». En l’absence d’une décision expresse du conseil divin qui concéderait directement l’immortalité à Gilgamesh, tout ce que peut faire Utnaspishtim est de lui indiquer une plante avec des effets similaires. Au fond de la mer des morts se trouve une herbe qui redonne à l’homme le souffle de vie. Il s’agit d’une plante de jouvence, que Gilgamesh appelle « Rajeunissement de l’homme dans son vieil âge ». Comme on le sait, l’herbe, cueillie avec pas mal d’efforts, lui est ravie par un serpent, pendant que Gilgamesh se baigne dans une source d’eau froide (autre isotope du symbole de la vie éternelle).
L’herbe de jouvence s’inscrit dans le symbolisme plus général de la plante de vie. La décision des dieux d’octroyer l’immortalité aux mortels se concrétise d’habitude dans une plante qui pousse dans le jardin divin ou dans ses parages. Cette plante abrite en quelque sorte la force de vie de toute la nature. En tant que noyau de la vie, elle a une double valence symbolique, d’elle dépend autant la vitalité et la fertilité que la stérilité et la mort. En la détruisant, on risque de provoquer le dessèchement et la disparition des espèces végétales et animales de la terre. C’est ce qui arrive quand Enki mange les huit plantes totémiques que Ninhursag a ensemencées dans le jardin de Dilmun34. En même temps, la manducation de ses fruits est susceptible de conférer la vie éternelle ou une autre forme de perpétuité. De la mythologie méditerranéenne les Grecs et autres peuples de l’Europe ont hérité les légendes et les contes sur les pommes d’or. Ceux qui arrivent, à la fin d’une quête difficile, à en goûter, peuvent espérer de devenir immortels. À part Gilgamesh, la mythologie babylonienne nous a légué une autre légende sur une plante merveilleuse, Le mythe d’Etana. Sur des cylindres en provenance de l’ancien empire akkadien, on a découvert les images d’un pâtre qui monte au ciel sur les ailes d’un grand aigle. Il s’agit d’Etana, roi de la première dynastie mythique d’après le Déluge, qui souffre de ne pas pouvoir avoir des enfants. Sur le conseil de Shamash, le dieu-soleil, Etana libère un aigle retenu prisonnier par un serpent et lui demande de le faire monter au ciel pour obtenir « l’herbe de la naissance », qui confère la fertilité35.
La double valence symbolique de la plante divine lui a valu le dédoublement fi-guratif en deux images : la plante de mort et la plante de vie. De chacune on obtient des fruits à effets contraires. Dans un mythe babylonien qu’on a souvent rattaché au récit biblique de la chute, celui d’Adapa, les dieux sont aptes d’offrir à l’homme les deux espèces de nourriture. Adapa est convoqué à la grande assemblée des dieux pour avoir brisé une aile du vent du sud. Pour lui faire éviter le châtiment de mort, Ea, dieu de la sagesse et son père, lui conseille de porter le deuil et de ne pas manger « le pain de la mort » et de ne pas boire « l’eau de la mort » qui lui seront offertes. Adapa suit strictement les ordres de son père et, par son humilité, gagne le cœur de Anu, le grand dieu du ciel, qui décide de le pardonner et de l’honorer en lui offrant « le pain de vie » et « l’eau de vie ». Seulement, Adapa, qui ne se rend pas compte du changement d’attitude envers lui, refuse la nourriture et perd la chance de la vie éternelle36. Par contre, celui qui s’en nourrit, recouvre la vie, même s’il est mort, fut-il homme ou dieu. Le mythe de la descente de l’Inanna sumérienne (l’Ishtar babylonienne) à l’Enfer (Kur) suppose la renaissance de la déesse avec l’aide de la « nourriture de vie » et de la « boisson de vie ». La déesse est morte, sa dépouille pend accroché dans une resserre du palais de l’Enfer, mais les envoyés d’Enlil ne manquent pas de la ressusciter en l’aspergeant avec les ingrédients miraculeux37. Le « nectar des dieux » joue un rôle essentiel dans le destin de la famille de Danel, de la légende cananéenne de Aqhat. Le roi Danel est stérile et prie les dieux de lui assurer une descendance. Il reçoit la « boisson des saints », qu’il doit prendre comme un médicament, pendant sept jours, et après ce traitement il devient capable de concevoir un rejeton. Son fils Aqhat paraît avoir bénéficié lui aussi de l’exquise potion. Adroit archer, Aqhat refuse de faire don de son arc spécial à la déesse Anat. La déesse le tente de diverses manières, lui promet même l’immortalité, puis, furieuse, le fait tuer par un aigle-guerrier. Les tablettes, en parties détruites, ne gardent plus la fin de la légende, mais on peut déduire qu’Anat, soucieuse du dessèchement qui s’est abattu sur la nature, ressuscite le fils de Danel38. C’est toujours « le pain de vie » et « la liqueur de vie » offerts par Utu, dieu du soleil, qui guérit Lugalbanda, héros qui, montant sur le mont sacré Hurrum, devient le prêtre qui prépare les aliments et la boisson fermentée des dieux An, Enlil, Enki et Ninhursag. Ces mets sont la nourriture indispensable des dieux. Bien qu’immortels, en l’absence de la provende vitale, les êtres divins risquent de tomber malades et même de dépérir (ce qui est une belle métaphore pour la nécessité rituelle d’apporter des sacrifices aux statues du temple).
Inanna-Ishtar suméro–assyro-babylonienne ou Anat-Astarte cananéenne ont un rapport tout à fait particulier avec les aliments de longue vie. Elles sont les déesses de l’amour, de la fertilité et de la végétation. Leurs descentes aux enfers, comme celle de la Perséphone grecque, scandent le rythme du cycle saisonnier de la nature. En tant que patronnes de la vie et de la mort, elles sont fréquemment associées à des arbres. Asherah, le nom sous lequel la déesse cananéenne Anat-Astarte apparaît dans la Bible, paraît renvoyer, dans la forme de pluriel masculin Asherim, à des arbres ou à des clairières consacrées. Le combat des rois d’Israël contre l’idolâtrie supposait la destruction des pieux sacrés (les ashères) que le peuple continuait d’honorer en Canaan (II Rois, 13 : 6 ; 18 : 4). Ces poteaux, plantés près des autels de sacrifice, symbolisaient l’arbre saint dans lequel l’épouse de Baal trouvait son logis39. L’autre nom cananéen de la déesse, Elath, est utilisé dans la Bible avec la signification de térébenthine. En vertu d’une archaïque divinisation des places et des objets naturels significatifs (monts, grottes, arbres etc.), les déesses du Proche Orient ont souvent conservé une connotation dendritique40. Enfin, suivant une autre ligne d’influence, le culte d’une pierre ou d’un poteau sacré, connus dans la religion sémitique sous le nom de masseba ou de nosb, paraît avoir été importé ou du moins partagé avec la Crète minoenne et les peuples égéens, oů le pilier était une représentation de la grande déesse sous la forme d’un arbre stylisé. Les deux colonnes sacrées du temple philistin de Dagon détruit par Samson remettaient apparemment elles aussi aux poteaux de culte des populations méditerranéennes41.
Symboliquement parlant, les déesses-mère sont les arbres de vie. Quand elles font un don d’immortalité, elles offrent leurs fruits de longue vie, leurs « pommes d’or ». Un des exploits du héros archétypique de la Grèce, Héraclès, est de cueillir les pommes d’or du Jardin des Hespérides. L’arbre est un cadeau de noces fait par Gaïa à Héra. L’arbre était si beau, que la déesse l’avait planté dans son jardin divin, situé sur le mont Atlas, là oů le char du Soleil arrête sa course. Il était soigné par les filles du titan Atlas et de Hespéride (fille de Hespérus), les trois Hespérides, les nymphes nues, et gardé par un serpent, Ladon, que Héraclès tue d’un tir de flèche. Les pommes d’or sont une sorte de passeport pour l’entrée dans ce jardin paradisiaque réservé aux héros. Il est intéressant de noter que, dans sa très spéculative interprétation de la mythologie grecque, Robert Graves pense que le mythe de Paris est le résultat d’une lecture erronée, à la période classique, d’une icône sacrée beaucoup plus ancienne représentant Héraclès au jardin des Hespérides. Selon Graves, dans l’image originelle ce n’est pas le héros qui offre la pomme gagnante à l’une des trois déesses, mais c’est une des déesses, dans ce cas Aphrodite, la maîtresse de l’amour, qui consacre le héros, en lui accordant la pomme des dieux42. Beaucoup de contes populaires ont hérité l’idée de la quête des pommes d’or, fruits qui peuvent guérir les maladies, la vieillesse et même la mort.
L’initiation à l’immortalité comporte aussi une connotation sexuelle. Manger la pomme de longue vie implique la divinisation de l’homme, son ingression dans l’assemblée divine, sa participation à la vie des dieux. En tant que « l’un de nous », il devient le partenaire de la déesse qui l’a promu au rang des immortels. Ce n’est pas le moment de reprendre ici l’immense littérature sur les rites de fertilité qui supposent l’union du héros mâle avec la déesse-mère. Toutes les mythologies du Proche Orient et de l’Europe connaissent le rite du « Mariage sacré ». À Sumer comme à Eleusis, le roi-prêtre s’unit à la grande prêtresse, dans un rituel qui répète l’union des dieux primordiaux qui ont engendré le monde. Le roi-héros est censé garantir et entretenir de sa force virile la fertilité de la déesse de la nature. Le service des prostituées sacrées des temples de l’Ishtar assyro-babylonienne, les fêtes orgiaques de l’Astarté cananéenne et d’autres déesses comme Cybèle, sont autant des unions de l’homme au divin. Une image encore mieux dessinée de cette relation sexuelle transcendante nous offrent les mythes des Celtes. En Irlande, toute une catégorie de récits mythiques, les immrama, racontent les navi-gations initiatiques des héros qui atteignent l’immortalité quand ils arrivent sur une île enchantée, oů des filles-fées les prennent en mariage et les nourrissent de pommes mira-culeuses. La déesse-arbre qui donne le fruit de longue vie initie le héros à une sexualité essentielle, au plus profond secret de la vie.
La psychanalyse a fait une corrélation sexuelle entre la déesse-arbre et un autre de ses attributs, le serpent. Néanmoins, à part la signification phallique et fécondante, le serpent a, bien sûr, beaucoup d’autres valences symboliques, qui se croisent et se recoupent dans toutes les mythologies du contexte Proche Oriental de l’Ancien Testament. Un de ses avatars est celui de monstre cosmogonique. Dans cette hypostase, il est la création ou la progéniture d’un des dieux primordiaux. Il signifie le chaos et le désordre originel, que les dieux cosmocrateurs doivent tuer pour établir la structure actuelle du cosmos43. Dans l’Epopée babylonienne de la création, Tiamat incite ses premiers nés, onze « monstres-serpents, aux dents comme des rasoirs », à assiéger l’assemblée des dieux. La vipère, le dragon, lahamu (le sphinx ?), le grand lion, le chien enragé (le cerbère ?), l’homme scorpion, démons à vi-sage humain, dragons volants, le centaure forment une ligne d’attaque, dirigée par Kingu44. Les Hittites ont imaginé l’affrontement entre Téshub et Illuyankas, le grand serpent. Dans un premier temps, le dragon vainc le dieu des tempêtes et lui enlève le cœur et les yeux. Dans un deuxième temps, Téshub récupère ses organes par une ruse et tue Illuyankas45. Suivant un développement similaire, dans la Théogonie d’Hésiode, Gaïa envoie des armées successives à combattre les Olympiens ; la plus monstrueuse de ses créatures est Typhon, dragon marin qui met Zeus en difficulté, en lui arrachant les nerfs. Dans les légendes cananéennes, Yam, dieu de la mer, que Baal et Anat réussissent à vaincre et à détrôner, est présenté comme « le serpent aux écailles », le dragon à sept têtes, tnn – la baleine hideuse, ou Lotan – le serpent qui rampe et s’enroule, le « Serpent Fuyant »46. Chez les Egyptiens, Ra, le dieu du soleil, aidé quelques fois par la déesse Mafedet, porte des batailles contre des serpents cosmiques : sous la forme d’un chat rouge feu il coupe la tête du gigantesque serpent multicolore avec qui il se dispute le gouvernement d’Héliopolis ; il vainc des fois le même dieu sous la forme d’un crocodile ; chaque nuit, traversant le Nil souterrain, il doit affronter Apop, le grand serpent de l’enfer47.
Sous la forme de dragon marin, le serpent symbolise le chaos aquatique. Il peut tout aussi bien représenter l’élément chtonien. Chez les Egyptiens, Keb, le dieu de la terre, est quelquefois figuré avec une tête de serpent. Autres divinités reptiliennes sont le serpent Sata, qui signifie « le fils de la terre », et le serpent Mehenta, « celui qui entoure la terre ». Renen-utet, la déesse égyptienne de la fécondité, est imaginée comme un cobra qui garde les récoltes ou comme une femme à la tête de cobra qui allaite le pharaon enfant, symbole de la nouvelle moisson48. L’image de la terre-serpent renvoie à celle de l’enfer-serpent, monstre qui engloutit les morts. Cette vision sera reprise par l’iconologie chrétienne, qui imaginera l’Enfer de l’Apocalypse comme un dragon gigantesque qui dévore les condamnés. Les serpents sont des démons et des divinités telluriques qui protègent le monde d’en bas et font la guerre aux dieux ou aux héros solaires qui essayent d’y pénétrer. Le Livre égyptien des morts contient plusieurs évocations et formules apotropaïques contre les esprits à tête de crocodile et contre les démons-serpents ; mais il y a aussi des esprits protecteurs qui ont des formes ophidiennes, comme la déesse-serpent Naau ou la déesse Serkit, protectrice des « guerriers-magiciens »49.
Ce qui renvoie à une dernière connotation de la figure du serpent qui nous intéresse ici, la connotation thanatique. Les serpents ne symbolisent pas seulement les génies souterrains qui gardent l’autre monde, mais aussi les âmes des morts qui y habitent. Une formule magique du Livre égyptien des morts fait possible la transformation du mort en serpent : « Je suis un fils de la Terre, Je suis son vassal et son fidèle, Successivement je meurs et je renais à la vie. Voici que je fleuris à nouveau, De vieux je rajeunis, Selon les rythmes millénaires du Temps »50. Le relais associatif qui rapproche le serpent au mort est, à part la localisation souterraine, l’idée de rajeunissement par la mue. L’Epopée de Gilgamesh donne une fonction étiologique à la séquence du vol de l’herbe d’immortalité par un serpent. Après avoir mangé la plante, le serpent s’enfuit et abandonne sa peau. Dans la logique liminale du mythe, le serpent confisque donc une recette de renaissance que la race humaine perd désormais à jamais. C’est un mythe étiologique qui rattache le serpent à l’idée d’immortalité à travers l’idée de rajeunissement par le changement d’aspect. La déesse-serpent de ce que Marija Gimbutas appelle « l’Ancienne Europe », et sa continuatrice, la « déesse aux serpents » de la Crète minoenne et mycénienne (une des régions d’origine probables des « peuples de la mer » et des Philistins de l’Ancien Testament), est la grande déesse de la terre dans son hypostase de reine sur les âmes des morts51.
En guise de récapitulation de toutes ces synapses mythiques entre la grande déesse, le jardin divin, l’arbre de vie, le serpent et la mort, je voudrais finir en évoquant un mythe babylonien présenté par S. N. Kramer. C’est une excroissance de l’Epopée de Gilgamesh, publiée sous le titre de Gilgamesh, Enkidu et l’Enfer. La déesse Inanna (Isthar) recueille un petit arbre, huluppu, qui croît sur les bords de l’Euphrate. Elle le plante dans son jardin sacré et le soigne jusqu’à ce qu’il devienne un arbre magnifique. Des animaux à significations également cosmiques y trouvent leur abri : le serpent qui « ne connaît pas les sortilèges » fait son nid dans les racines, l’oiseau Imdugud installe ses poussins sur la cime et Lillith construit sa demeure dans le feuillage. Mais Inanna veut confectionner du bois de l’arbre un trône et un lit. Pour lui faire plaisir, Gilgamesh entre dans le jardin, tue le serpent, chasse Lillith et l’oiseau Imdugud et coupe l’arbre. Inanna ne fabrique plus les objets envisagés initialement, mais un pukku et un mikku, une sorte de tambour et un bâton de chaman, qu’elle offre à Gilgamesh. Après une section endommagée de la tablette, on apprend que le tambour et le bâton sont tombés dans l’Enfer « à cause des pleurs des jeunes filles ». Gilgamesh lamente leur perte, ce qui amène Enkidu à s’offrir à faire la descente au pays des morts. L’aventure est tragique, Enkidu est fait prisonnier par Kur (le dieu Hadès des sumériens) et tout ce que Gilgamesh peut obtenir des dieux est que son ami soit libéré pour un court relais, le temps de lui raconter les choses de l’autre monde52. L’attaque à l’arbre sacré du jardin divin et à ses gardiens, parmi lesquels le serpent, s’avère fatale, et Gilgamesh se voit de nouveau confronté avec la mort, à travers la disparition de son ami Enkidu.
Comparant toutes les données similaires entre les mythologies proches orientales et les textes sacrés d’Israël, on découvre que, dans l’histoire biblique de l’Eden, il n’y a presque pas des thèmes et des symboles complètement indépendants du substrat. On retrouve, d’une manière ou d’une autre, tous les mythèmes bibliques dans les légendes et récits des Assyro-Babyloniens, des Araméens, des Cananéens, des Egyptiens ou des peuples méditerranéens. Dans ces conditions, serait-il possible de reconstruire le prototype de substrat qui se trouve à la base du récit de la Genèse 2-3 ? Comment aurait raconté cette histoire un prêtre consacré non pas dans la religion de Yahvé, mais dans un autre culte, babylonien, assyrien ou cananéen ? Qu’elles significations auraient pu recevoir les mythèmes de la narration sur le jardin d’Eden aux yeux des peuples avoisinants qui n’auraient pas reçu la révélation de Moise ?
On pourrait aboutir à un récit-robot de ce genre :
A la suite d’une série de gestes cosmogoniques et civilisateurs, éventuellement après un combat difficile avec un monstre symbolisant le chaos, un nouveau dieu est proclamé roi de l’univers. Il remplace en fonction le gouvernement divin précédent et le reste des dieux deviennent les membres de son conseil. Pour marquer son triomphe, il se construit une résidence digne de son nouveau rang, un palais somptueux au milieu d’un jardin paradisiaque. Dans ce jardin seront convoquées dorénavant les assemblées des dieux, souvent sous la forme d’un festin d’immortalité. En mangeant la nourriture de vie et en buvant la boisson de vie, les membres du conseil se consultent, jugent et décident sur le sort du monde.
Le jardin est situé dans un omphalos, sur le sommet d’une montagne sacrée ou à la source d’une (ou plusieurs) rivière(s) également sacrées. C’est ici que le nouvel cosmocrateur vit avec son épouse divine. L’activité sexuelle du couple est garante de la vitalité et de la fécondité de la nature. De leur union naissent des nouvelles espèces de plantes, d’animaux et même la race humaine. En raison de sa fonction génératrice, la grande déesse peut être nommée « la mère de tous les vivants ». Les festivals de fertilité des hommes reproduisent, dans l’union rituelle du roi et de la grande prêtresse et les orgies collectives qui s’ensuivent, les noces archétypales des dieux.
Pour prendre soin du jardin, le grand dieu engendre, crée ou convoque une race qui lui ressemble sur beaucoup de points, sauf l’immortalité : l’humanité. Il déclare « l’homme » (Adamah) son élu et l’investit comme son vicaire dans le travail de jardinier cosmique. Dans ce rôle, il lui transfère des pouvoirs et des responsabilités limi-tées, mais néanmoins grandes, comme ceux de cultivateur des plantes, de maître des animaux, de gardien de l’ordre. L’élection ouvre à l’homme la perspective d’une possible transcendance de sa condition originelle. Il est invité au banquet des dieux et on lui offre la nourriture et la boisson de longue vie. Tandis que la décision d’immortaliser l’homme émane du grand dieu, son accomplissement est assuré par la grande déesse, en tant que patronne de la fertilité, de la nourriture et de la vie. Ces fonctions sont figurées par l’association iconique de la déesse à un arbre de vie, gardé par un serpent ou autre dragon chtonien. La mère de tous les vivants offre à l’homme une pomme avec des pouvoirs régénérateurs et gériatriques. En la mangeant, l’homme confirme l’acceptation du rôle qui lui a été attribué et son ingression au festin des dieux, selon le scénario initiatique de l’héroïsation.
L’image du Paradis dans la pseudomorphose biblique
C’est une reconstruction hypothétique du trajet archétypal sur lequel aurait pu circuler le récit de la Genèse 2-3 dans les synapses mythiques des religions du Proche Orient. Mais si on compare cet hypothétique modèle original au texte sacré qui lui correspond dans le Pentateuque, on constate que, bien qu’il parcoure point par point toutes les étapes du scénario symbolique, son sens global est complètement renversé. Dans la Bible, l’élection de l’homme, qui aurait du finir par une apothéose, se clôt sur une catastrophe. Les gestes qui auraient dû lui assurer l’immortalité (la manducation de la pomme, l’activité sexuelle) ont l’effet contraire. Les personnages divins qui auraient dû superviser son initiation (« la mère de tous les vivants », le serpent-gardien) deviennent des figures maléfiques qui le mènent à sa perdition. Et celui même qui aurait dû être son patron dans l’obtention de l’immortalité se transforme en celui qui lui interdit l’accès à l’arbre et le punit pour l’avoir fait sur son compte. D’un lieu faste, le jardin des dieux se convertit, pour l’homme biblique, en une occasion de damnation.
Comme l’ont souligné maints commentateurs, la religion judaïque comporte un élément d’originalité irréductible, qui ne saurait être expliqué par des influences et des emprunts53. Si la vision de l’Ancien Testament puise dans le même réservoir d’images archétypales que les autres mythologies du Proche Orient, c’est que sa nouveauté se produit au niveau de la syntaxe et du sens final qui englobe et ordonne ces images. La religion de Yahvé comporte, selon Hempel, « un caractère polémique et usurpateur », « elle ne reste pas statique, mais vit dans un dialogue constant, s’approprie les pensées, les concepts et les idées assimilables d’autres religions, les transforme et les incorpore dans son système »54. Ceci est particulièrement vrai du mythe du Paradis Terrestre et de la chute de l’homme.
Je pars de l’hypothèse que le récit du Jardin d’Eden a été produit par une lecture inverse des mythes proches orientaux du jardin des dieux. Cette hypothèse, portant sur l’un ou l’autre des composants de la Genèse 2-3, a été formulée par plusieurs analystes bibliques, tels que J. A. Soggin, I. Engnell, James Barr, Howard N. Wallace et d’autres. En me servant de leurs commentaires, je vais essayer de systématiser le réseau de parallélismes inverses qui relie le Paradis vétéro-testamentaire aux légendes des autres populations orientales.
Le point d’Archimède par lequel se produit le basculement du sens de tous les mythèmes est la figure de Yahvé comme dieu unique. L’élément d’originalité radicale qui distingue la révélation de Moise est ce monothéisme conséquent, selon lequel le seul dieu vivant, le seul dieu existant, est Yahvé. Les dieux des autres peuples, « Astoreth, dieu des Sidoniens », « Milcom, abomination des Ammonites », « Chemosh, l’abomination de Moab », Baal des Cananéennes ne sont jamais conçus comme des concurrents réels, même vaincus, de Yahvé. Les théomachies, qui sont un dispositif d’articulation indispensable des théogonies orientales et européennes, n’ont aucun rôle dans la théologie biblique. Yahvé n’a jamais vaincu aucun autre dieu, parce que, à part lui, il n’y a pas d’autre divinité. Ce que les païens prennent pour des dieux ne sont que des idoles et de statues, des images vides. A la différence des autres religions qui, pour imposer leur propre message, démonisent les dieux des religions préexistantes, le judaïsme primitif est encore plus radical. Il n’est plus dispos à concéder aucune trace de sacré ou de transcendance aux autres divinités, il les déclare simplement des divinités factices, des non-existants. Selon Kaufmann, même l’idolâtrie ne serait vue, du moins dans le Pentateuque, comme un péché en soi (abandonner Yahvé pour un autre Dieu), mais plutôt comme une sorte de châtiment pour les présomptueux (après l’épisode de la tour de Babel, Yahvé décide de ne plus se montrer qu’à quelques élus – le peuple d’Israël – et condamne les autres à l’ignorance)55.
L’axiome monothéiste renverse la signification de tous les segments de la narration du Paradis. Comme on l’a vu, dans les autres mythologies proches orientales, le gouvernement du monde est assuré par une assemblée divine, présidée par une tétrade de grands dieux. Certains passages bibliques conservent les réminiscences d’une telle image. Dans une diatribe contre le roi de Babylone, Isaïe décrit son orgueil dans ces termes : « Toi qui avais dit dans ton cœur : J’escaladerai les cieux, au-dessus des étoiles de Dieu j’élèverai mon trône, je siégerai sur la montagne de l’Assemblée, aux confins du septentrion. Je monterai au sommet des nuages, je m’égalerai au Très-Haut » (Isaïe 14 : 13-14). La description remet à un modèle phénicien, selon lequel les dieux se rencontrent dans un conseil divin sur la montagne nordique du dieu El, de même que les membres du panthéon grec se réunissent sur l’Olympe. Une autre réminiscence (ou automatisme) linguistique, stylistique et rituelle de l’image du conseil des dieux se retrouve dans le pluriel que Yahvé utilise parfois aussi bien dans la Genèse 1 que dans la Genèse 2-3. Or, pour l’expliquer, l’herméneutique sacerdotale a fait recours à l’idée de la cour des anges. La conséquence fut le remplacement des dieux par des êtres subalternes, qui ne sont plus les compagnons du roi du panthéon, mais ses créatures. Yahvé reste désormais le seul qui décide pour le destin de l’homme et des autres vivants.
On a remarqué que la figure de Yahvé a été capable d’accueillir, par syncrétisme, exclusivement les attributs qui ne violaient pas son solipsisme. Ainsi, elle a assumé sans problème quelques-uns des traits du grand dieu El, mais rien de son successeur, le dieu Baal. De l’ancien maître (El) du panthéon cananéen, il hérite, à part le nom ou le titre d’Elohim (comme le témoigne la source elohimiste), aussi bien l’image du jardin des dieux, résidence divine, situé à la confluence des rivières de la vie, des fois au sommet d’une montagne. Suivant un automatisme narratif pré-judaïque, l’auteur de la Genèse 2-3 raconte que Yahvé plante un jardin dans l’Eden. Sur le modèle des dieux promus au rang de roi de l’assemblée divine, on voit le nouveau Dieu se construire une résidence dans un centre d’abondance d’oů rayonne la force de vie de l’univers. C’est ici qu’il investit Adam, qu’il lui donne les fonctions de jardinier des plantes et de maître des animaux, qu’il lui trace des charges et des interdits, qu’il constate sa transgression, qu’il fait son jugement et qu’il produit ses décisions judiciaires. En plus, bien que, dans la logique du texte sacerdotal de la Genèse 1, Dieu n’ait aucunement besoin d’un lieu de repos, en tant qu’être transcendant et antérieur au monde, résidant de toute éternité dans une place méta-physique, on le voit se promener dans le jardin, comme un seigneur se reposant dans la brise de l’après-midi56.
La conformation et le nom du jardin de Yahvé découlent aussi du substrat oriental. Le nom Eden a été expliqué étymologiquement comme dérivant du sumérien edin, champ, terrain fertile, devenu en akkadien edinu, vallée, jardin, lieu cultivé et florissant. Chez les Bédouins, nomades du désert comme les premières tribus sémitiques, djanna signifie jardin. La racine hébraïque dn signifie délice, luxure, de manière que le jardin d’Eden a été pendant longtemps interprété comme le « jardin des délices ». Une autre racine hébraïque contiguë, ed, source, fontaine, a été dérivée du sumérien id, rivière, qui a donné en akkadien id, et edu, flot d’eaux. C’est pourquoi, à l’imitation des jardins sumériens, akkadiens, assyro-babyloniens et cananéens, du jardin biblique surgit la source de fertilité qui, se divisant en plusieurs fleuves, arrose toute la terre. La plaine bien irriguée et très fertile du Jourdain d’avant la destruction de Sodome et Gomorrhe est comparé au jardin de Yahvé (Genèse 13 : 10). Quand Isaïe annonce l’élection et la bénédiction d’Israël, il affirme que Dieu « va faire de son désert un Éden, et de sa steppe un jardin de Yahvé » (Isaïe 51 : 3). Ézéchiel promet aussi, au nom de Dieu, que la terre d’Israël, « naguère dévastée », sera comme « un jardin d’Eden » (Ézéchiel 36 : 35). Et quand le peuple incite la colère de Yahvé, Joël prophétise que la terre deviendra, d’un jardin d’Eden, une « lande désolée » (Joël 2 : 3). L’autre mot qui désigne le jardin des dieux, le grec paradeisos, provient lui aussi du fond oriental, du persan pari-daeza, signifiant « enceinte délimitant un jardin ». En effet, dans le mythe iranien de Gayomart, le premier homme vivait en un jardin dont le centre était un cercle de pierres57.
L’axiome de l’unicité de Yahvé produit des effets évidents surtout sur le complexe symbolique : grande déesse – serpent – pomme de vie – homme. Elle amène une anamorphose des fonctions et des relations entre ces actants mythiques.
Dans les mythologies orientales, la fertilité est assurée par l’activité sexuelle des dieux cosmocrateurs, An et Ki, Marduk et Ishtar, El et Asherah, Baal et Anat-Astarté. Dans la religion populaire, qui a couru parallèlement à la religion officielle d’Israël, des cultes féminins ont été perpétués pendant des siècles. Asherah, la déesse protectrice de Tyr et de Sidon, a été adorée en Israël comme patronne de la fertilité et des naissances. Anat, en syncrétisme avec Astarté, et plus tard sous la figure composite d’Atargatis, a été elle aussi honorée par les israélites, comme le montre une autre série de statuettes découvertes par les archéologues. Après l’exile babylonien, une autre manifestation féminine s’est développée dans la littérature talmudique : Shekhina, « la présence de Dieu », qui a fini par donner naissance au concept de Saint Esprit. Par la fin du premier millénaire, dans le deuxième temple étaient exposées, paraît-il, deux figurines embrassées, deux chérubins, homme et femme, qui rappelaient encore l’idée de couple divin qui garantit la fécondité58.
A l’encontre du modèle oriental du couple des dieux, l’idée d’une épouse de Yahvé, qui partagerait avec lui le gouvernement du monde et assurerait la fertilité de la nature, est exclue par principe. Cette forclusion de la féminité a pour conséquence une redistribution des attributs de la grande-déesse soit vers Yahvé (qui subordonne les pouvoirs créateurs féminins à sa royauté masculine), soit vers Ève. La compagne de l’homme se voit attribuer des titres qui revenaient, dans les religions orientales, à l’Innana-Ishtar suméro-assyrienne ou à Asherah et Astarte cananéennes. Dérivant, peut-être, de l’hébraïque havvah, qui signifie vivre, Eve est, selon l’expression de son compagnon, « la mère de tous les vivants », attribut qui convient aux déesses génératrices. J. A. Soggin pense que derrière le récit biblique se trouve un mythe cananéen centré sur la figure d’une déesse-serpent, identifiable à Asherah, qui, malgré l’autorité de Yahvé, dévoile à l’homme comment acquérir le contrôle sur la nature et sur la mort. Or, dans l’interprétation polémique des prêtres hébreux, « ce qui en Canaan produit la vie et la fertilité, en Israël est une rébellion contre Dieu et provoque la mort et la sécheresse, en tant qu’impiété et sacrilège »59. Le rôle de la grande déesse est décidément satanisé. D’une figure bénéfique protectrice, elle devient un personnage de mauvais augure qui, au lieu de rehausser l’homme, est la cause de sa perte. Rétrogradée du rang d’épouse ou de sœur du grand dieu au rang de créature, le personnage féminin perd sa place dans le conseil des dieux et vient rejoindre l’homme dans la condition mortelle.
Les emblèmes de la grande-déesse, l’arbre et le serpent, changent eux aussi de signification. Le récit J conserve des mythologies orientales l’image de l’arbre de vie à fruits merveilleux qui confèrent l’immortalité. Nonobstant cet arbre est doublé par un autre, tout aussi merveilleux, mais frappé d’un interdit divin. Selon Howard N. Wallace, il s’agirait d’une évolution parallèle de deux variantes d’un même mythe, une variante conservant l’idée d’arbre de vie, l’autre celle de l’interdit, qui auraient été finalement réunies dans la narration unique de la Genèse60 ; ou, selon James Barr, de deux récits différents qui ont fini par être combinés61. Comme le mythème d’un arbre du savoir du bien et du mal est absent de la charte mythographique environnante et paraît une innovation créatrice de la source J, J.G. Frazer a été amené, par une analyse comparatiste, à la conclusion que le lignum scientiae correspond à une plante symétrique à l’arbre de vie : l’arbre de mort. Ayant l’origine dans des croyances chamaniques de facture très archaïque, le doublet plante de vie / plante de mort se retrouve dans la légende sumérienne d’Adapa, personnage qui, sans le savoir, doit choisir entre la nourriture et la boisson de vie et la nourriture et la boisson de mort. Selon Frazer, beaucoup de légendes font la décision du héros encore plus difficile, introduisant un facteur perturbateur, un trickster, intéressé lui aussi dans la nourriture d’immortalité. Sur son conseil trompeur, l’homme mange de l’arbre de mort et perd à jamais la condition immortelle, tandis que le serpent, animal relié par le symbolisme de la mue à l’idée de régénération, jouit du fruit de l’arbre de vie62. Placé sous une prohibition létale, l’arbre biblique du savoir a sur les humains le même effet catastrophique que l’arbre de mort des autres traditions. Si la grande déesse orientale et méditerranéenne est corrélée à la plante de vitalité et offre au héros la pomme de longue vie, son anamorphose judaïque, Ève, est associée à l’arbre de la destruction et à la pomme du dépérissement.
L’autre compagnon emblématique de la grande déesse, le serpent, change lui aussi de signification. Au lieu d’être un gardien et un initiateur aux secrets de l’outre vie (sur la base de son symbolisme chtonien, psychopompe et animique), il est un concurrent déloyal et un tentateur maléfique. Ses valeurs mystiques, si prégnantes dans les mythologies orientales, sont complètement oubliées par le récit biblique, qui voit en lui seulement un des « animaux des champs ». C’est vrai, il est le plus rusé de tous, mais cette réminiscence de son ancienne fonction d’initiateur n’est néanmoins plus un indice de sa sacralité. Si l’exégèse rabbinique ultérieure finit par récupérer une partie de son symbolisme oriental et méditerranéen, elle le fera exclusivement sur la dimension négative. La mémoire des affrontements cosmogoniques entre le dieu délégué comme champion de la grande famille divine et le dragon-serpent est conservée par la mythologie biblique dans les passages sur Yahvé et le Léviathan. Léviathan, ou encore le Serpent Fuyard, ou le Dragon, le tannin de la Bible (Jonas 2 ; Job 40 :25), monstre qui apparaît déjà sur les tablettes phéniciennes de Ras-Shamra, continuait d’être craint dans l’imagination populaire des Hébreux. « Ceux qui maudissent les jours » et provoquent la colère de Dieu sont « prêts à réveiller Léviathan » (Job, 3 :8-9). Tel Marduk et Baal dépeçant Tiamat ou Yam, Yahvé est celui qui « châtiera avec son épée dure, grande et forte, Léviathan, le serpent fuyard, Léviathan, le serpent tortueux ; il tuera le dragon qui habite la mer » (Isaïe, 27 :1). Dans les Psaumes, Dieu est loué comme un héros divin, qui « fendis la mer par ta puissance, / qui brisas les têtes des monstres sur les eaux ;/ toi qui fracassas les têtes de Léviathan/ pour en faire la pâture des bêtes sauvages » (Psaume 74, 13-15 ; Job 26 : 12-13). Réitérant cette téomachie, le serpent divin sorti du bâton de Moïse dévore les serpents engendrés par les mages du pharaon (L’Exode, 7 : 8-12). Quand Nehushtan, l’idole construit d’après cette légende mosaïque, devient lui aussi l’objet d’un culte sacrificiel des Israélites, le roi Ézéchias « supprima les hauts lieux, brisa les stèles, coupa les pieux sacrés et mit en pièces le serpent d’airain que Moïse avait fabriqué » (II Rois, 18 : 4). Daniel combat à son tour, à Babylone, les prêtres de Bal-Marduk et du grand serpent, représentés par de grandes idoles d’airain (Daniel, 14 : 1-30). Ézéchiel, toujours au nom du Seigneur Yahvé, affronte Pharaon, « grand crocodile étendu au milieu de ses Nils » (Ézéchiel, 29 : 3 ; 32 : 2), description qui rapproche le roi d’Égypte au monstrueux Apophis. C’est probablement en suivant le système égyptien d’associations (dans Le livre des morts figurent beaucoup de démons-serpents, Rerek, Shu, Keb, Djedu63) que le serpent de la Genèse évoluera, dans les commentaires ultérieurs, d’un « animal des champs » à un démon, au prince des anges du mal.
Voilà donc que, à l’opposé des mythes cananéens et méditerranéens, dans l’imaginaire judaïque la grande déesse du poteau (l’arbre) et aux serpents ne dispense plus la vie éternelle, mais la mort. Niant la divinité à toutes les figures mythiques empruntées aux mythologies proche orientales, les prêtres de Yahvé dénoncent toute relation avec elles, qui ferait concurrence à l’alliance avec Dieu le-seul-vivant. Le rapport sexuel du héros avec la déesse, mis en acte dans les cultes orgiaques et à mystères par l’union du roi-hiérophante avec la grande prêtresse, devient, d’un rite de fertilité, une union honteuse entre les protoparents bibliques. La collaboration initiatique entre le héros et le serpent, au lieu de procurer la gnose, la sagesse qui transfigure, devient tentation funeste vers un savoir interdit. La manducation de la pomme magique n’est plus un rite de consécration du héros, mais une transgression qui attire le châtiment de mort.
L’acteur principal de ces mésaventures est, bien sûr, l’homme, Adam. I. Engnell pense que le terme « homme » indiquait originellement le roi sacré. Plusieurs fonctions qui lui sont attribuées dans la Genèse remettent à des « catégories royales » : son origine divine (1 : 26) ; la transmission de la grâce – le souffle animateur de Dieu ( 2 : 7) ; son intronisation sur le reste des créatures (1 : 28) ; le rôle de jardinier, fonction cultuelle du roi (2 :15) ; sa participation dans la nomination des animaux (2 : 19) ; le motif de la mise à mort sacrificielle du dragon (3 : 15) ; et le hieros gamos avec sa partenaire, accompli au Festival Annuel destiné à régénérer et à soutenir la fertilité64. Or, le sacrement du roi est une adoption par les dieux : dans le mythe comme dans le rite, le roi est destiné à devenir immortel, surtout selon le témoignage de la religion égyptienne. Dans les autres mythologies orientales on a vu aussi d’autres héros, tel Gilgamesh ou Adapa, sur le point d’être divinisés. Et, quoiqu’ils aient raté la chance de la vie éternelle, leurs échecs ont été dûs à une faute personnelle, rien n’empêchant en principe qu’ils goûtassent à la nourriture de vie.
Dans la religion de Moïse, le mono-théisme conséquent interdit l’attribution de l’être à toute autre figure que Dieu. La mise centrale des relations contradictoires entre Yahvé et l’homme est la négation de l’immortalité à la créature. Comme le remarque James Barr, Adam et Eve furent expulsés du jardin d’Eden non parce qu’ils étaient devenus indignes d’y demeurer, ou qu’ils s’étaient irrémédiablement détournés de Dieu, mais parce qu’ils étaient sur le point de manger de la pomme de vie et de « vivre pour toujours ». Le récit de la chute est un mythe étiologique qui explique pourquoi l’homme ne peut pas partager la nature de Dieu et prévient sur le danger d’essayer de l’obtenir par la désobéissance, la ruse ou la force65. Le comportement envieux et égoïste de Yahvé témoigne, selon des historiens récents, d’un caractère plus ambigu de ce dieu originellement ambivalent (source autant du bien que du mal), que la religion de Moïse a pris soin de coiffer seulement dans son aspect bénéfique et magnifique66.
Le bannissement des protoparents et la clôture du Paradis n’est d’ailleurs pas le seul épisode biblique oů Yahvé interdit aux humains l’obtention de condition divine. La Genèse 6 raconte l’histoire de l’union des « fils de Dieu » avec les « filles de l’homme », dont résulte la race des Nephilim, héros géants du temps jadis, aux pouvoirs extraordinaires, qui furent détruits par le Déluge. La Genèse 11 présente la construction de la tour de Babel comme une menace que Dieu s’empresse de dissiper : « Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises ! Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. Allons ! Descendons ! Et là, confondons leur langage pour qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres ». Le roi de Tyr et le pharaon de l’Egypte, qui s’enorgueillissent en se disant « Je suis un dieu, j’habite une demeure divine, au cœur de la mer », sont admonestés par Ézéchiel : « Alors que tu es un homme et non un dieu, tu te fais un cœur semblable au cœur de Dieu » ; et, tel Adam, ils sont précipités de leur grandeur, explicitement comparée à l’état du premier homme en Eden, dans les ténèbres du Shéol (Ézéchiel 28 ; 31et 32). Héros mythiques qui, selon les croyances archaïques, sont devenus des daïmons hyper- ou hypo-chtoniens, rois qui, selon leurs religions, devraient souffrir une déification, temples et ziggourats qui devraient permettre le contact entre l’homme et les dieux, tous ces éléments du scénario oriental de la divinisation du héros sont culpabilisés et démonisés. Le dieu qui offre aux hommes la pomme de la vie éternelle est rien moins que l’ennemi, le rival de Yahvé, celui qui a essayé de remplacer Dieu et a été précipité dans l’abyme. La quête de l’arbre de vie est refaçonnée sur le prototype de la rébellion des anges.
Sexualité, désir de sagesse, aspiration à l’immortalité, union avec les dieux, ces vecteurs positifs des mythes orientaux se convertissent dans la religion yahviste en des tendances négatives. Une grande censure de l’imaginaire mythologique païen est à l’œuvre dans la prédication des prophètes et des théologiens d’Israël. On dirait que, pour assurer la singularité de leur dieu, les prêtres de Yahvé ont revisité et retourné point par point les récits sacrés des peuples avec lesquels ils cohabitaient. D’après I. Engnell, le récit de la Genèse serait donc une réinterprétation israélite des traditions cananéennes. J. A Soggin voit aussi dans la Genèse une attaque Israélite sur le syncrétisme des traditions hébraïques et cananéennes, un renversement polémique d’un mythe de fertilité. Enfin, Howard N. Wallace conclut que l’histoire de la chute paraît avoir été utilisée pour combattre les cultes orientaux, un contra-mythe qui avertit ceux qui suivent les pratiques païennes que le résultat de leur adoration des dieux étrangers – des simples idoles – ne sera pas la vie divine, mais la mort éternelle67.
Il est intéressant de noter que, mille ans plus tard, ce renversement sera renversé à son tour. Imbus par l’esprit païen, les ophites, les naaséens, les caïnites, les séthiens, les pérates et les autres sectes ou écoles gnostiques des premiers siècles de l’ère chrétienne ont repris la mythologie de l’Ancien Testament et l’ont réinterprété dans un sens anti-judaïque. Yahvé y est rebaissé au rang de dieu secondaire et fait figure de mauvais démiurge, créateur d’un univers matériel qui fonctionne comme une prison. Le personnage féminin est rehaussée au rang de divinité de premier ordre, membre de la plérome spirituelle, mais retenue captive dans le monde d’en bas. Le serpent n’est plus un tentateur et un trompeur, mais un vrai messager qui voudrait que les hommes se libèrent de l’esclavage imposé par Yahvé. La pomme qu’il leur offre est bien le fruit de la gnose, qui leur permettrait de remémorer et de récupérer leur condition originelle, d’avant la chute dans la matière. Ceux qui sacrifient à Yahvé, comme Abel, sont les prêtres du monde matériel et du mal, tandis que ceux qui se rebellent contre lui, comme Caïn, auront la chance de réintégrer le monde spirituel. On pourrait dire que ce qu’on a appelé « l’exégèse inverse » de l’Ancien Testament chez les docteurs gnostiques68 représente un redressement d’une première exégèse inverse, opérée par les prophètes d’Israël sur le matériel mythique du contexte oriental. Au début du premier millénaire, lu par des populations païennes, l’Ancien Testament laisse émerger des mythèmes et des symboles archaïques censurés pendant plus de mille ans. Les systèmes gnostiques constituent un retour du refoulé pré-judaïque, une récupération, par une nouvelle interprétation à rebours, des figures et des images (la femme, l’arbre, le serpent etc.) déformées par l’interpretatio yahviste du fond proche oriental.
Par un de ses livres les plus anciens, et qui ouvre son histoire sacrée, la Bible avait imposé le renversement d’un paradigme commun à toute l’antiquité. La quête héroïque de l’immortalité, qui motivait en grande partie la dévotion religieuse dans les cultes païens, est frappée par une censure qui la prive de signification. La concentration et la limitation de la catégorie de l’être en un dieu unique démotivent et déconstruisent les scénarios initiatiques. L’homme n’est plus qu’une créature démunie de la moindre étincelle d’esprit divin, il ne réside plus dans ses capacités la possibilité d’allumer en soi, par sa geste héroïque, la flamme de la vie éternelle. Le souci qu’exprime Yahvé, dans la Genèse 3, que l’homme « ne cueille aussi de l’arbre de vie, n’en mange et ne vive pour toujours », exprime, plutôt que l’égoïsme de Dieu (sur le plan du mythe), la crainte du prêtre de ne rien concéder à l’homme de la condition de seul vivant attribué à Dieu (sur le plan du culte publique). Excluant par principe la condition divine de l’homme, le monothéisme judaïque provoque l’effondrement des rituels et des scénarios héroïques. La quête de l’immortalité est vouée à l’échec dès le premier livre du Pentateuque. L’Ancien Testament débute programmatiquement par le mythe étiologique de la condition mortelle de l’homme. La Genèse 2-3 est le résultat de la réinterprétation, à travers les catégories du monothéisme yahviste, des anciens mythes sur le jardin des dieux et sur la récompense de longue vie qu’y trouve le héros. Les prémices de la faillite de la quête apparaissent donc avec les aubes du judaïsme et, malgré la « tentative » gnostique de récupération des mythologèmes originels, seront continuées et développés par le christianisme.
Notes
1 Voir Rolf Rendtorff, “L’histoire biblique des origines (Ge. 1-11) dans le contexte de la rédaction « sacerdotale » du Pentateuque”, in Le Pentateuque en question. Les origines et la composition des cinq premiers livres de la Bible à la lumière des recherches récentes, Edité par Albert de Pury, Editions Labor et Fides, Genève, 1989, p. 90 sqq.
2 Jacques Vermeylen, “Les premières étapes littéraires de la formation du Pentateuque”, in ibidem, pp. 196-197.
3 Voir Yehezkel Kaufmann, The Religion of Israel. From Its Beginnings to the Babylonian Exile, Translated and abridged by Moshe Greeberg, Chigaco, The University of Chicago Press, 1960, p. 220 sqq.
4 Morton Smith, “The Common Theology of the Ancient Near East”, in Essential Papers on Israel and the Ancient Near East, Edited by Frederick E. Greenspahn, New York and London, New York University Press, 1991.
5 Le corpus se trouve réuni dans Ancient Near Eastern Texts Relating to the Old Testament (ANET), edited by J. B. Pritchard, 2nd ed., Princeton, 1955. Il y a beaucoup de travaux qui raccordent différents mythèmes et symboles du Proche Orient ancien aux thèmes de l’Ancien Testament.
6 Pour un survol des panthéons des religions du Proche Orient ancien, voir G. Herbert Livingston, The Pentateuch in Its Cultural Environment, Baker Book House, Grand Rapids, Michigan, 1988, pp. 105-126 et passim.
7 Samuel Noah Kramer, Istoria începe la Sumer, Editura Ştiinţifică, Bucureşti, 1962, chap. XII “Prima cosmologie”.
8 Enuma Elish, surtout la VIe tablette, vv. 39-81, in Gândirea asiro-babiloniană în texte, Studiu introductiv: Constantin Daniel, Traducere, notiţe introductive şi note: Athanase Negoiţă, Editura Ştiinţifică, Bucureşti, 1975, pp. 39-41.
9 “Assur, the great lord, ruler of all of the gods, bestower of sceptre and crown, who established sovereignty; Enlil, the lord, the king of all the Anunnaki, the father of the gods, the lord of lands; Sin, the wise, the lord of the lunar disk, exalted in splendour; Shamash, the judge of heaven and earth, who spies out the evil designs of the enemy, who exposes the wicked; Adad, the mighty, who overwhelms the regions of the foe-lands and houses; Urta (Ninurta), the hero, who destroys the wicked and the enemy, who causes (man) to attain to all that the heart (desires); Ishtar, first among the gods, the lady of confusion, who makes battles terrible; – ye great gods, ye rulers of heaven and earth, whose onward rush is battle and destruction, who have enlarged the kingdom of Toglath-pileser”. In The Ancient Near East, Edited by William H. McNeill and Jean W. Sedler, Oxford University Press, New York, London, Toronto, 1968, p. 103.
10 Gîndirea feniciană în texte, Studiu introductiv: Constantin Daniel, Traducere, notiţe introductive şi note: Athanase Negoiţă, Editura Ştiinţifică, Bucureşti, 1979.
11 Voir La royauté au ciel et Le chant sur Ullikummi, in Gîndirea hittită în texte, Studiu introductiv: Constantin Daniel, Traducere, notiţe introductive şi note: Athanase Negoiţă, Editura Ştiinţifică şi Enciclopedică, Bucureşti, 1980, pp. 161-180.
12 Scripta aramaica, Studiu introductiv, traduceri din limba aramaică, notiţe introductive şi note: Constantin Daniel, Editura Ştiinţifică şi Enciclopedică, Bucureşti, 1980, p. 87.
13 Gîndirea egipteană antică în texte, Traducere din limba egipteană veche, studiu introductive, notiţe introductive şi note: Constantin Daniel, Editura Ştiinţifică, Bucureşti, 1974.
14 Enuma Elish, IIIe tablette, vv. 129-138 ; VIe tablette, vv. 71-77, in Gândirea asiro-babiloniană în texte, p. 30, 41.
15 Baal et Anat, col. I, vv. 1-21 ; Le palais de Baal, col. VI, vv. 36-59, in Gîndirea feniciană în texte, pp. 194, 219.
16 Le palais de Baal, col. III, vv. 10-21, in Gîndirea feniciană în texte, p. 211.
17 S. N. Kramer, op. cit., chap. XVIII “Le Paradis. Premiers parallélismes avec la Bible”.
18 Voir le poème Baal et Mot, col. VI, vv. 3-7; aussi la Légende de Keret, col. III, v. 3, in Gîndirea feniciană în texte, pp. 231, resp. 133.
19 Baal et Anat, col. V., vv. 6-12; Le palais de Baal, col. IV, vv. 20-24; Baal et Mot, col. VI, vv. 1-1-3; Naissance de l’ Aurora et du Crépuscule, vv. 66-67, in Gîndirea feniciană în texte, pp. 202, 213, 231, resp. 253.
20 N. S. Kramer, op. cit., pp. 140, resp. 148.
21 Voir les dernières traductions de Lilinah biti-Anat, The Ugaritic Myth of Ba’al, 1995-1997, sur le site internet Medieval Source Books.
22 L’épopée de Gilgamesh, Ve tablette, col. III et IV, in Gândirea asiro-babiloniană în texte, p. 136.
23 Pour ce très riche theme, voir par exemple Mircea Eliade, Tratat de istorie a religiilor, Cu o Prefaţă de Georges Dumézil şi un Cuvânt înainte al autorului, traducere de Mariana Noica, Humanitas, Bucureşti, 1992, chap. VI et X.
24 Baal et Yam, I, vv. 1-6; II, vv. 11-13, 18-20, in Gîndirea feniciană în texte, pp. 182-183 ; 186, 187.
25 Baal et Yam, I, vv. 7-10, in Gîndirea feniciană în texte, pp. 183-184.
26 Baal et Anat, col. IV, vv. 1-6 ; col V, vv. 38-44 ; Le palais de Baal, col. I, vv. 7-16 ; col. IV, vv. 51-57, in Gîndirea feniciană în texte, pp. 201-202, 204, 208, 214.
27 Baal et Anat, col. III, vv. 44-45 ; col. IV, vv. 19-20 ; Le palais de Baal, col. V, vv. 10-19; col. VI, vv. 16-35, in Gîndirea feniciană în texte, pp. 198, 200, resp. 215, 218.
28 Enuma Elish, VIe tablette, vv. 47-75, in Gândirea asiro-babiloniană în texte, p. 40.
29 Le festin d’immortalité.
30 N. S. Kramer, op. cit., pp. 210-214.
31 L’épopée de Gilgamesh, XIe tablette, vv. 8-199, in Gândirea asiro-babiloniană în texte, pp. 166-173.
32 Le poème Rephaïm, in Gîndirea feniciană în texte, pp. 167-171.
33 Cf., par exemple, Jb 25:5; Ps 88:6, 11; Is 14:9, 26:14-19.
34 S. N. Kramer, op. cit., pp. 203-204.
35 Le mythe d’Etana, in Gândirea asiro-babiloniană în texte, pp. 66-80. La symbolique du mythe est assez complexe. L’aigle, qui, par son symbolisme ascensionnel, se rattache aux Igigi, dieux du ciel, est puni pour avoir transgressé un tabou, celui de ne pas manger d’un bœuf mort, dans lequel se cache un serpent. Or, le bœuf remet non seulement aux grands dieux du Proche Orient assimilés aux taureaux, mais aussi à un taureau cosmique. La légende dit que le serpent a capturé l’aigle quand celui-ci est rentré au-dedans de la carcasse. Conséquemment, on décrit l’aigle comme étant tenu captive dans une grande grotte terrestre. Le taureau paraît donc symboliser la terre et ses entrailles et le serpent remet aux Anunnaki, les dieux chtoniens.
36 Le mythe d’Adapa, in Gândirea asiro-babiloniană în texte, pp. 54-60.
37 N. S. Kramer, op. cit., pp. 215-230.
38 La légende d’Aqhat, in Gîndirea feniciană în texte, pp.140-163.
39 Constantin Daniel, Civilizaţia feniciană, Bucureşti, Editura Sport-Turism, 1979, p. 217.
40 Sur le symbolisme sacré de l’arbre, voir, parmi une immense bibliographie, Mircea Eliade, Tratat de istorie a religiilor, chap. VIII.
41 Donald A. Mackenzie, Crete & Pre-Hellenic, Random House, London, 1996, pp. 307-308.
42 Robert Graves, Los mitos griegos, Alianza Editorial, Madrid, 1992, vol. I, 33d, p. 155, vol II, 133 a-e, pp. 181-183 et 159 I-m, pp. 342-344.
43 Pour une synthèse sur le symbolisme des monstres aquatiques, Mircea Eliade, Tratat de istorie a religiilor, chap. V.
44 Enuma Elish, Ie tablette, vv. 132-150, in Gândirea asiro-babiloniană în texte, p. 20.
45 Le mythe d’Illuyankas, in Gîndirea hittită în texte, pp. 180-185.
46 Baal et Anat, col. III, vv. 54-63; Baal et Mot, col. I, vv. 1-4, in Gîndirea feniciană în texte, p. 199, 226-227.
47 Voir M. E. Matie, Miturile Egiptului antic, Editura Ştiinţifică, Bucureşti, 1958, pp. 35 sqq.
48 M. E. Matie, op. cit., p. 39.
49 Cartea Egipteană a Morţilor, Traducere, studiu introductiv şi note de Maria Genescu, Editura Sophia, Arad, 1993, pp. 68-71.
50 Cartea Egipteană a Morţilor, Chap. LXXXVII, „Pentru a fi transformat în şarpe”, p. 126.
51 Marija Gimbutas, The Goddesses and Gods of Old Europe, 6500-3500 BC. Myths and Cult Images, University of California Press, Berkeley and Los Angeles, 1982, pp. 145 sqq.
52 S. N. Kramer, op. cit., pp. 258-263.
53 Tout le livre de Yehezkel Kaufmann, par exemple, The Religion of Israel. From Its Beginnings to the Babylonian Exile, est conçu et construit sur la démonstration de la nouveauté polémique de la pensée judaïque.
54 J. Hempel, Zeitschrift für die Alttestamentliche Wissenschaft, 13, 1936, p. 293.
55 Yehezkel Kaufmann, op. cit., pp. 294-295.
56 En résumé, selon Howard N. Wallace, “the description of the garden of Eden contains many of the motifs used in the description of divine dwellings in Mesopotamian, Canaanite and other biblical material. They include the unmediated presence of the deity, the council of the heavenly beings, the issuing of the divine decrees, the source of the subterranean life-giving waters which supply the whole earth, abundant fertility and trees of supernatural qualities and great beauty.” The Eden Narrative, p. 83.
57 Jorge Magasich-Ariola et Jean-Marc de Beer, America Magica.
58 Raphael Patai, On Jewish Folklore, Detroit, Wayne State University Press, 1983, chap. 4 “The Goddess Cult in the Hebrew-Jewish Religion”.
59 J. A. Soggin, “The Fall of Man in the Third Chapter of Genesis”, in Old Testament and Oriental Studies, Pontifical Biblical Institute, Rome, 1975, pp. 88-111.
60 Howard N. Wallace, The Eden Narrative, pp. 114-115.
61 James Barr, Éden et la quête de l’immortalité, Traduit de l’anglais par Jean Prignaud, Les Editions du Cerf, Paris, 1995, p. 103.
62 Sir James George Frazer, Folclorul în Vechiul Testament, Traducere şi adaptare de Harry Kuller, Ed. Scripta, Bucureşti, 1996, pp. 25-38.
63 Cartea Egipteană a Morţilor, chap. XXXIII-XXXV.
64 I. Engnell, “Knowledge and Life in the Creation Story”, in Wisdom in Israel, VTSup 3, 1955, pp. 103-119.
65 James Barr, Éden et la quête de l’immortalité, pp. 18, 187 et passim.
66 Calum M. Carmichael, “The Paradise Myth: Interpreting Without Jewish and Christian Spectacles”, in Paul Morris and Deborah F. Sawyer (éd.), A Walk in the Garden, Biblical, Iconographical and Literary Images of Eden, Sheffield Academic Press, 1992, pp. 47-48.
67 Howard N. Wallace, The Eden Narrative, pp. 170-171.
68 Voir Ioan P. Couliano, The Tree of Gnosis. Gnostic Mythology from Early Christianity to Modern Nihilism, Harper Collins, San Francisco, 1992.