Constantin Mihai
Université de Craiova, Roumanie
costimihai1977@yahoo.fr
Mythos et logos ou la différence spécifique
entre l’homo rationalis et l’homo symbolicus
Mythos and logos or the specific difference
between homo rationalis and homo symbolicus
Abstract: If man’s science must be submitted to a new discourse upon the method, under the effect of rediscovering another law, we must determine the profile of these concepts in order to get to know homo symbolicus. The difference between the ways of being into the world of homo symbolicus and homo rationalis is extremely obvious. If homo symbolicus relies on the postulate of Absolute, homo rationalis refuses the transcendence, accepting the relativity of existence. Further on, the paradox of homo rationalis supposes to doubt himself on the significance of existence. He assumes a new ontological situation; he appears as a subject and an agent of history, so to speak, he challenges any model of humanity, besides his own condition, accepting a tragic existence. The originality of our research consists in reevaluating the function of image, which involves a reversal of the equation, abiding by two terms, founders of the European cultural tradition: mythos and logos. The insertion of the third term, imago, equilibrates the binomial mythos-logos, aiming to adjust the rapport between ration and imagination.
Keywords: Image; Reason; Symbol; Coincidentia oppositorum.
Si la science de l’homme doit se soumettre à un nouveau discours de la méthode, sous l’effet de la redécouverte obéissant à une autre loi que l’homo rationalis, il faut préciser le profil de ses concepts permettant d’embrasser la connaissance de l’homo symbolicus[1]. Gilbert Durand réussit à mettre en opposition l’esprit scientifique et l’esprit d’une science totalisante. La science traditionnelle est redevable à une autre logique rigoureuse qui peut être synthétisée en quelques axes fondamentaux. La scientificité moderne s’est construite sur la prééminence du quantitatif. Si, en mathématiques, nous pouvons opposer catégorie métrique et catégorie topologique, dans la connaissance de l’homme, nous pouvons opposer un principe de symétrie identifiante et un principe de similitude.
« Le Principe de similitude exprime une opposition que l’on peut formuler en quatre postulats: non-métricité, non-causalisme objectif, non-agnosticisme, et finalement non-dualisme… La notion de similitude fait jouer des contenus tout au moins morphologiques (lignes chiromantiques, situations, proportions, habitus, qualités descriptives des substances), elle porte sur les qualités. Elle ne doit pas être réduite à la notion d’égalité mathématique, qui n’est qu’un cas particulier et limite de la similitude… A fortiori, la similitude étendue à d’autres objets que ceux de la géométrie, fait appel à la rigueur à une topologie, ce qu’il est convenu d’appeler les “mathématiques qualitatives”. La similitude est donc une notion descriptive, phénoménologique, qualitative »[2].
Si elle assimile le principe de similitude qui, selon Gilbert Durand, est le fondement de la métaphysique, la connaissance anthropologique est substantielle. D’ailleurs, le principe d’identité s’appuie sur le présupposé d’une homogénéité de la réalité, sur la fiction d’un espace-temps qui se retrouve un référent identique. Le principe de similitude joue un rôle épistémologique beaucoup plus grand que celui que lui attribuent le rationalisme et l’empirisme; ce principe se réclame à la fois de l’empirie dont l’accusent les partisans du rationalisme et d’une logique de subjectivité dont l’accusent les adeptes du positivisme.
Deuxièmement, du point de vue méthodologique, les contributions de Spengler et de Sorokin sont importantes pour la logique interne de la similitude. Cherchant à définir des similitudes de rythmes socio-culturels, Sorokin isole trois phases synchrones des systèmes de culture: « idéationnelle », similaire à un « ensemble idéologique »; « visualiste », s’identifiant au « sensualisme », et « idéalistique » ou « conceptualiste ». Rejetant toute tendance cyclique, ces similitudes de rythmes socio-culturels se fondent sur un principe de causalité par récurrence. Ainsi un seul déséquilibre interne peut-il provoquer la mutation d’un système socio-culturel, et de manière homologue, dans chaque phase. Troisièmement, le besoin d’envisager la totalité de l’univers dans sa diversité conduit au principe de la non-dualité logique. Sur le principe de contradiction de la tradition de la logique aristotélicienne, le scientisme de l’homo rationalis gravite autour de la pensée dualiste qui a annulé les spécifications intermédiaires, les médiations dynamiques, aptes à insérer le mouvement et la diversité dans le cadre des faits.
La logique de l’homologie amène, au contraire, à récupérer le tiers exclu et à lui prêter une fonction de liaison dynamique. Ainsi se développe une logique du ternaire selon laquelle deux êtres spécifiquement différents dans leurs données chronotopiques, mais homologues, trouvent leur synthèse dans cette troisième perspective qui, dépassant l’identité et l’altérité, les fonde et les rend possibles. Par rapport au dualisme binaire, cette logique ternaire ne s’identifie pas à la dialectique hégélienne de la thèse et de l’antithèse.
Au fond, pour Gilbert Durand, le principe de similitude n’est autre que celui des coincidentia oppositorum dont l’essentiel de la procédure est le mysterium conjunctionis, la coïncidence. Malgré toute leur opposition, les éléments dichotomiques manifestent une tendance à reconstituer l’unité perdue.
Toutefois, la pensée symbolique est consubstantielle de l’être humain; elle précède le langage et la raison discursive. Les images et les symboles remplissent une fonction essentielle, celle de révéler les plus secrètes modalités de l’être. Par suite, leur étude permet de mieux connaître l’homme, «l’homme tout court», selon la formule d’Eliade. Les recherches systématiques sur le fonctionnement de la «mentalité primitive» ont souligné la valeur de l’homo symbolicus pour la pensée traditionnelle. La renaissance de l’intérêt religieux a attiré l’attention sur le rôle de l’homo symbolicus comme mode autonome de connaissance. La conversion aux divers symbolismes n’est pas une découverte exceptionnelle, mais le mérite de la modernité est celui de restaurer l’homo symbolicus en tant que forma mentis, en mettant l’accent sur sa cohérence interne, sur sa validité et son audace spéculative.
L’anthropologie de l’Imaginaire a réussi à imposer, dans la conscience du monde, le fait primordial selon lequel l’homo symbolicus, en tant qu’expression du symbole, du mythe et de l’image, appartient à la substance de la vie spirituelle. On peut le camoufler, le mutiler ou le dégrader, mais on ne l’extirpera jamais. Chaque être historique ou homo rationalis porte en soi une partie fondamentale de l’humanité d’avant l’histoire. Nous observons aujourd’hui que le côté anhistorique de l’homo symbolicus ne va pas se perdre, mais, au contraire, qu’il s’élève au-dessus d’elle, cette visée portant l’empreinte du souvenir d’une existence plus féconde et plus complète.
Lorsqu’un être historiquement conditionné, par exemple un Occidental de nos jours, se laisse envahir par la partie non historique de lui-même (ce qui lui advient beaucoup plus souvent et beaucoup plus radicalement qu’il ne l’imagine), ce n’est pas nécessairement pour rétrograder vers le stade animal de l’humanité, pour redescendre aux sources les plus profondes de la vie organique: maintes fois, il réintègre, par les images et les symboles qu’il met en œuvre, un stade paradisiaque de l’homme primordial (quoi qu’il en soit de l’existence concrète de celui-ci; car cet homme primordial s’avère surtout comme un archétype impossible à réaliser pleinement dans une existence humaine quelconque). En échappant à son historicité, l’homme n’abdique pas sa qualité d’être humain pour se perdre dans l’animalité; il retrouve le langage et, parfois, l’expérience d’un paradis perdu [3].
L’homo rationalis, en tant qu’être humain historiquement conditionné, est projeté par le biais de ses nostalgies dans un monde spirituel infiniment plus riche que l’univers clos de son espace. S’imposant surtout dans la conscience des philosophes et des théologiens, les nostalgies sont souvent chargées de significations qui influent sur la situation de l’homme. Par exemple, si la vie de l’homo symbolicus est guidée par la théophanie des symboles, la vie de l’homo rationalis est marquée par des hiérophanies déchues, des symboles désaffectés. La désacralisation de l’homo rationalis a modifié le contenu de son existence spirituelle, mais elle n’a pas transformé les matrices de son imagination, tout un «déchet mythologique» survivant dans des zones mal contrôlées. À partir des «images dégradées», nous pouvons concevoir le revirement spirituel de l’homo rationalis. C’est pourquoi il faut déceler une mythologie ou plutôt une théologie qui puisse redécouvrir les significations profondes de ces images que nous retrouvons parfois dans l’existence de l’homo rationalis. Même si celui-ci ne tient pas compte de cette théologie, il continue à se nourrir de la substance de toutes ces images.
Pour l’homo symbolicus, l’image du monde est envisagée comme un microcosme. Aux limites de cet univers fermé commence le domaine du non-formé, de l’inconnu. D’un côté, il y a l’espace habitable, bien structuré, l’espace cosmisé et, de l’autre, l’espace inconnu, correspondant au chaos. Selon Mircea Eliade, le microcosme ou l’espace habitable équivaut au « centre », donc à un lieu sacré, par excellence. C’est dans le Centre que le sacré se manifeste totalement, soit sous la forme de hiérophanies élémentaires, (centres totémiques), soit sous la forme d’épiphanies directes des dieux, comme dans les cultures traditionnelles[4]. Il s’agit d’une géographie mythique, sacrée, réelle, et non pas d’une géographie profane, objective, abstraite et non essentielle.
L’homo symbolicus remarque les manifestations du sacré (hiérophanies) dans tout, à partir de n’importe quel objet, un arbre ou une pierre jusqu’à « l’hiérophanie suprême », l’incarnation du Logos. En tant que prototype de la modernité, l’homo rationalis, éprouve donc une certaine difficulté de compréhension devant la manifestation du sacré[5]. La désacralisation marque l’expérience de l’homo rationalis qui choisit de vivre dans un monde profane dans sa totalité. Suivant la théorie d’Eliade de la dialectique du sacré et du profane, nous pouvons affirmer que ces deux modalités d’être dans le monde, ces deux situations, assumées par l’homme à travers l’histoire, représentent les constantes qui gouvernent le trajet anthropologique de l’homo symbolicus et de l’homo rationalis.
L’homo symbolicus assume dans le monde un mode ontologique sui generis, et, en dépit du grand nombre de formes historiques, ce mode est toujours reconnaissable. Outre le contexte historique dans lequel il se trouve, l’homo symbolicus croit toujours qu’il existe une réalité qui transcende l’espace physique, mais qui s’y manifeste; c’est pourquoi il essaie de le rendre réel. En fait, il considère que l’existence humaine actualise toutes les virtualités: dans la mesure où elle est symbolique ou religieuse, elle participe à la réalité.
La mythologie camouflée de l’homo rationalis réside dans les spectacles visionnés ou dans les livres lus; le spectacle l’introduit dans l’univers des figures mythiques, tandis que le livre opère une mutation au niveau de la conscience humaine: l’annulation du temps comparable à celle réalisée par les mythes. La fonction mythologique de la lecture projette l’homo rationalis hors de son temps, l’intégrant dans une autre histoire.
La sécularisation de l’existence humaine a conduit aux diverses formes hybrides de la religion, à une pseudomorphose qui prend l’aspect du syncrétisme, à partir de «petites religions» qui pullulent dans l’existence de l’homo rationalis. Il s’agit d’une structure mythologique sur laquelle s’appuient ces fausses religions, qui agissent surtout comme des prophétismes sociaux.
La crise de l’homo rationalis est donc religieuse, cette crise remettant en question la situation de l’homme dans le monde. La religion constitue la solution paradigmatique de toute crise ontologique, parce qu’elle est valorisée en tant que révélation. La solution religieuse résout non seulement la crise mais, en même temps, elle rend l’existence ouverte à des valeurs éternelles, permettant à l’homme de transgresser les situations particulières et d’atteindre la divinité. La fonction théophanique du symbole est paradigmatique dans le devenir de l’homo symbolicus, reconfigurant le profil de son être dans le monde (Sein in der Welt). Le symbole non seulement rend le Monde «ouvert», mais aide aussi l’homme religieux à accéder à l’universel. C’est grâce aux symboles que l’homme sort de sa situation particulière et s’« ouvre » vers le général et l’universel. Les symboles éveillent l’expérience individuelle et la transmuent en acte spirituel, en saisie métaphysique du Monde[6].
Malheureusement, à cause de sa défiguration, l’homo rationalis a perdu sa capacité de vivre consciemment la religion, de la comprendre et de l’assumer. Sa négation est comparable à une nouvelle chute adamique. Adam, l’homme primordial spirituellement aveuglé, avait réussi à retrouver les signes divins, visibles dans le monde. La pensée de l’homo rationalis procède toujours uniquement par dérivations, n’aboutissant pas aux ultimes racines de l’être. Si l’Absolu se cache à cette pensée, c’est que l’instrument central de la connaissance du Réel est refusé à toute sorte de raison. L’homo rationalis opère sur le monde en le fragmentant, en le décomposant en domaines et en objets spécialisés.
Une censure de l’Imaginaire et une mutation spectaculaire rendent ainsi possible l’apparition de la mentalité de l’homo rationalis. Celui-ci reste l’appendice sécularisé de la Réforme. La scission du soi ne mène pas à l’anéantissement de l’Autre; l’homo rationalis survit d’une manière défigurée dans le contenu de son ego.
Le problème de l’histoire moderne gravite autour de l’homo rationalis et de ses théories. La raison humaine, par sa nature propre, a une prédisposition à la généralisation. Elle part de simples faits pour aboutir tout de suite à la théorie. Malheureusement, toutes ces théories sont maintes fois fausses, car elles ne s’appuient pas sur un fait essentiel. L’homo rationalis en est la victime. Son intelligence est orgueilleuse; elle ne veut s’instituer uniquement comme maître absolu, ou comme démiurge.
L’homo rationalis peut être envisagé en tant que modèle de l’homme autonome[7] tandis que l’homo symbolicus se manifeste sous la forme de l’homme éternel. L’homme éternel est une création archétypale, à l’image de Dieu. L’icône de l’homme primordial s’oppose à l’homme ontologiquement mutilé. Autrement dit, l’homme éternel est l’humanité conçue sous la catégorie de l’Absolu, tandis que l’homme autonome est l’humanité dans sa condition relative.
Dans son hypostase positive, l’homme historique est l’homme religieux qui se rapporte toujours à la création divine. Dans son hypostase négative, l’homme historique s’identifie à l’homme autonome, un être qui vit dans son propre solipsisme. Nous pouvons dire que l’homme autonome ou l’homo rationalis, ignorant «la voie de Dieu», tâtonne, comme un aveugle, « sur la voie de l’homme ». Autrement dit, l’homme autonome tourne le dos aux civitas Dei pour s’enfoncer dans les civitas terrena. Dans la perspective chrétienne, cette autonomie est illusoire, car l’homme qui s’éloigne de Dieu ne reste seul qu’en apparence. En réalité, il devient l’instrument du Mal. Nous savons que le Mal n’a aucun fondement ontologique; il n’est autre, selon la théorie augustinienne, que l’absence du Bien, privatio boni. L’absence de Dieu devient donc présence du Diable; c’est pourquoi la cité terrestre d’Augustin n’est pas tout simplement civitas terrena, mais civitas terrena sive diaboli.
Nous pouvons traiter la question de l’homme autonome ou de l’homo rationalis du point de vue de la connaissance – il y aurait une approche plurielle de l’homo rationalis. L’homme autonome, profondément narcissique, dévie le sens de l’existence: de la rédemption en direction soit de la connaissance, soit de la création. Il remplace la vision religieuse du monde par une vision culturelle, essayant de repenser et de recréer le monde de Dieu à l’aide de la raison. Il opère également dans le cercle vicieux de hic et nunc, l’immanence de la nature et de l’histoire. Il s’agit d’une rencontre avec le Réel que l’homo rationalis confond avec les apparences du monde quotidien ou avec ses propres phantasmes; il refuse d’atteindre le Réel unique (Dieu). Sa connaissance échoue soit en un matérialisme positiviste, soit en un idéalisme rationaliste. Historiquement, l’homme autonome est né dans la Grèce des philosophes; il a disparu durant le Moyen Âge chrétien et a ressurgi à la Renaissance, considérée comme la première modernité.
L’homo symbolicus vit au niveau de l’essence; l’homo rationalis vit, au contraire, au niveau du phénomène. C’est pourquoi, l’homme autonome dissout rationnellement les mystères de l’existence, restant ancré dans les limites de ce monde et dans les fictions de sa raison. Refusant l’Absolu en tant qu’instance suprême et louant illégitimement la dimension immanente de la connaissance, l’homo rationalis demeure dans l’infini de ses errances nominalistes.
À vrai dire, il faut affirmer, dans la perspective de la philosophie de la culture, que nous vivons aujourd’hui non pas seulement l’échec d’un type anthropologique (l’homme autonome), mais aussi celui du type culturel qui s’est formé à l’image de l’homo rationalis. Dans l’histoire spirituelle de l’humanité, nous retrouvons deux grands types de cultures qui correspondent à deux Weltanschauung: la culture ancillaire fondée sur la vision théocentrique et la culture autonome appuyée sur la vision anthropocentrique. Il s’agit d’une culture de verticalité sacrée, la culture de l’homo symbolicus qui respecte la Tradition et son Créateur et d’une culture d’horizontalité profane, la culture narcissique de l’homo rationalis.
L’homo symbolicus, en tant que figure de l’anthropologie de l’Imaginaire, se place sous l’horizon du mystère, assurant de la sorte l’équilibre entre le discours aride et la vision impondérable, moyenne entre l’analyse et l’intuition. En l’absence d’une définition exhaustive, nous comprenons par la notion de mystère toute réalité qui ne s’applique pas à la rationalisation. Enfin, le mystère n’est ni le pendant sentimental de l’ignorance pratique, ni l’écho psychologique d’un blocage mental; il ne vient pas redoubler les apories et ne fixe pas l’ineffable dans une nébuleuse agnostique. L’incompréhension du mystère ne divulgue pas l’incompétence herméneutique, les faiblesses de l’intellect ou l’hostilité du contexte. Le mystère est une évidence symbolique; sa logique est une logique « itinérante » ou plutôt, une logique de l’ascension, parce qu’elle implique le dépassement d’un seuil systémique.
L’homo symbolicus adopte une double attitude devant le mystère: la diabolisation de la connaissance matérialisée par une sorte d’activisme sans objet et l’humanité réconciliée avec ses manques, mais rachetée dans la perspective de la créativité. Le mystère acquiert un grand pouvoir dans l’économie symbolique de l’existence humaine. Son incarnation se manifeste, par excellence, en tant que phénomène secret à l’intérieur duquel l’impensé devient tangible.
L’expérience du sacré découle de la mémoire des sociétés humaines: la résistance spirituelle suppose la gestion des souvenirs notables. Par rapport à la mémoire profane qui, préoccupée parfois par l’utilité de l’information, procède d’une manière extensive, la mémoire symbolique est minimaliste. Autrement dit, la mémoire symbolique insiste sur l’essentiel au détriment de l’arabesque narrative, mettant l’accent sur la schématisation des situations exemplaires.
Occupant simultanément un espace de la liberté comme possibilité de choix, la mémoire symbolique a une fonction civilisatrice. L’acte de mémoire humanise tout être, solutionnant la tension entre la cohérence et la différenciation. La mémoire symbolique transgresse la dialectique entre l’anamnèse et la subsistance. L’homo symbolicus remémore l’invisible, l’impalpable, la parole prestigieuse d’où résulte l’aspect corporel subtil de la tradition.
L’homo symbolicus et l’homo rationalis représentent deux paradigmes de la science de l’homme où la réflexivité discursive s’ajoute à la numinosité symbolique, dans un projet cohérent de la réhabilitation de l’anthropos. En fait, loin de considérer l’Imaginaire comme « la folle du logis », ce qui nous induirait en erreur, ces typologies montrent au contraire qu’il s’agit d’une dimension constitutive de l’humanité, et que toute raison, quelle qu’elle soit, ne s’élabore jamais qu’à partir de lui et de son terreau.
La réintégration de la pensée symbolique en un discours, soit en un poème, soit en l’œuvre complète d’un auteur, devient vraiment féconde dans la mesure où le texte décode toute la profondeur de l’espace symbolique.
Notes
[1] Jean-Jacques Wunenburger, « Pour une subversion épistémologique », in Michel Maffesoli (dir.), La galaxie de l’Imaginaire. Dérive autour de l’œuvre de Gilbert Durand, Paris, Berg International, 1980, p. 60.
[2] Gilbert Durand, Science de l’homme et tradition. Nouvel esprit anthropologique, Paris, Albin Michel, 1996, pp. 164-165.
[3] Mircea Eliade, Images et symboles. Essai sur le symbolisme magico-religieux, Paris, Gallimard, 1952, pp. 14-15.