Graziella-Photini Castellanou
Université Aristote de Thessalonique, Grèce
gcastell@frl.auth.gr
Le mythe technoscientifique et les penseurs grecs
Technoscience Myths and Greek Thinkers
Abstract: Greece just like the rest of the western world is dominated by the big myth of technoscience. It is true that technoscience improves the conditions of our life by bringing to it a surplus of welfare, increases unceasingly the capital of our practical knowledge of the world, and satisfies our aspiration of human liberation as well as our need for technical, social and intellectual development. But at the same time, technoscience is tied to industry, the economy, profit, and the rationalization of capitalism, techno-bureaucratization, and the uncontrolled development of production, the illusion of mastery and unlimited expansion, the chimera of almighty authority, with the potential for destruction and the power for all kinds of manipulation. The continued expansion of technoscience embodies a contradiction that raises questions concerning the human species and its further existence. Where is the human being in all this technology? What is his place exactly in this technoscientific universe? What is the value attributable to a human life? How do we harmonize the human spirit and advancing technoscience? The answer to these questions is the fundamental work of our Greek thinkers who attempt to restore humanity to mankind’s creations, whether theoretical or practical, to their correct proportions.
Keywords: Science; Technoscience; Technology; Rationality; Objectivity; Bureaucratization.
L’homme, grâce à la fécondité de son intelligence et de son imagination, « crée et s’autocrée ». La création est « précisément la position de nouvelles déterminations » mais elle présuppose aussi « une certaine indétermination dans l’être, au sens que ce qui est n’est jamais tel qu’il exclue le surgissement de nouvelles formes, de nouvelles déterminations. Autrement dit, ce qui est n’est pas clos du point de vue le plus essentiel ; ce qui est ouvert, ce qui est toujours aussi à-être»[1]. La détermination suppose un état de stabilité et un état de devenir. L’état de stabilité est un état de fixisme éphémère toujours perturbé par l’indétermination, par la possibilité d’évoluer. Et l’être humain, par un mécanisme de régulation, vise à assurer l’équilibre de ses créations, c’est-à-dire leur état actuel et leur état à venir en établissant leurs relations dynamiques. En d’autres termes, nous parlons d’une homéostasie de la création. Chaque création devient donc objet de réflexion approfondi par les penseurs qui se situent entre « la constatation du pouvoir de tout ce qui est et sa radicale contestation, sa mise à la question »[2].
En réalité, leur pensée vise la recherche d’un metron, d’un équilibre toujours fuyant. Dans ce sens, elle est étroitement liée au mouvement, à l’impulsion qui la porte toujours sur l’au-delà, sur l’inconnu. La pensée nous pose dans nos créations, dans les voies de leur destinée.
Penser est questionner toute chose, y compris la pensée, et la question, et le processus. Or questionner requiert que quelque chose arrive dont la raison n’est pas encore connue. Quand on pense, on accepte l’occurrence pour ce qu’elle est : “ pas encore ” déterminée. On n’en préjuge pas, on ne s’en assure pas. On pérégrine dans le désert[3].
Inquiétée par le souci de la détermination qui est déterminée jusqu’à un certain point et le souci de l’indétermination qui est aussi indéterminée jusqu’à un certain point, la pensée vise leur orientation intime, leur interférence, les effets de leur rencontre dans le déploiement du temps. On voit par là le vrai sens de la pensée : Inséparable du temps, elle essaie de ramener les créations humaines (tant théoriques que pratiques) à leurs justes mesures[4].
Il va sans dire que la pensée grecque mettait depuis toujours en son centre la question du rapport entre la mesure et la démesure, la question « de la poussée irrésistible de l’homme vers l’excès et ses limitations »[5]. L’homme, à cause de sa « témérité extrême », de son « audace exagérée », de son « impertinence », touche l’hubris, l’expérience de la transgression des limites. La transgression, qui franchit toujours une ligne, est intimement liée à la limite et joue un rôle important dans sa compréhension car elle « porte la limite jusqu’à la limite de son être; elle la conduit à s’éveiller sur sa disparition imminente, à se retrouver dans ce qu’elle exclut (plus exactement peut-être à s’y reconnaître pour la première fois), à éprouver sa vérité positive dans le mouvement de sa perte. »[6] La transgression conduit l’être humain à une situation où il fait l’expérience de son anéantissement. Et notre temps fait l’expérience de cette transgression, de cette hubris par la technoscience.
La Grèce comme tout l’Occident est dominée par le grand mythe de la technoscience. « L’homme », pour reprendre les dits d’Axelos, « n’est ni le maître de l’univers, ni le maître de soi-même. Il succombe à une autre puissance qui, (…), le gouverne mythiquement et logiquement. »[7] Et cette puissance pour l’instant c’est la technoscience, cet ordre impératif auquel on se soumet et on cède. La technoscience est inséparable du mythe et elle constitue même un mythe vécu au quotidien. Ici, il faudrait s’arrêter sans doute pour se demander si le mythe est-il encore présent dans notre système d’idées. Il convient de remarquer qu’un système d’idées est un ensemble d’idées formant un tout organisé. Il est constitué par « une constellation de concepts associés de façon solidaire, dont l’engagement est établi par des liens logiques (ou apparemment tels), en vertus d’axiomes, postulats et principes d’organisation sous-jacents »[8]. A cause de leur organisation, les idées s’assemblent et se réunissent en un tout structuré et élaboré, en un système explicatif et cohérent qui nous permet de concevoir et de comprendre le monde d’une manière rigoureusement rationnelle. On se rend compte donc qu’« un tel système produit dans son champ de compétence des énoncés ayant valeur de vérité et éventuellement des prédictions sur tous les faits et événements devant s’y manifester »[9]. Dans ce sens, un système d’idées forme un « modèle idéel » qui constitue un analogue du réel, devient le fondement de notre vision du monde, sert de modèle d’explication et fournit des réponses à nos questions posées sur la réalité des choses.
Mais chaque système d’idées est étroitement lié au mythe. Système d’idées et mythe s’interpénètrent pour constituer un couple d’unités. Quand nous parlons du mythe, il faut surtout entendre un autre mode d’expression de notre pensée, destiné à illustrer les conceptions fondamentales de notre culture et de notre société d’une façon légendaire. Sans doute ce mode d’expression s’oppose à la conceptualisation rationnelle du réel qui nous fournissent d’autres systèmes de connaissance. Et pourtant, cette expression n’est pas synonyme d’irrationalisme. Elle n’est non plus une œuvre de pure imagination. Chez elle, parole et légende vont de pair. « Le mythe est mytho-logique comme le logos est mytho-logique. Ce n’est qu’ensuite, avec le début d’une certaine dominance du logique, que mythos et logos se trouvent séparés, chacun gouvernant ensemble dans une inextricable rivalité, dans un amalgame compact, aucun d’eux ne parvenant à vaincre définitivement ou à remplacer efficacement l’autre. »[10] C’est pourquoi leurs rapports sont intimes et profonds.
Incarné dans n’importe quel système d’idées, le mythe exprime la variation imaginative par laquelle les idées se dilatent jusqu’au point à se confondre à des vérités toutes puissantes qui « possèdent et asservissent les humains comme le faisaient les dieux »[11]. Nous parlons du dépaysement des idées de leur cadre réel, d’un processus de dé-réalité, qui se base sur une élaboration imaginaire et qui prête aux idées un pouvoir qu’elles ne possèdent pas. Ce processus transcendantalise les idées en leur accordant une réalité supérieure qui déborde leur « existence objective ». En dépassant leurs limites, les idées affirment leur présence autoritaire au monde et érigent un idéal mythologique qui oriente l’existence culturelle et la destinée sociale. Ainsi, s’opère « la mythologisation de l’idée abstraite », son culte idolâtre qui tient l’imaginaire individuel et l’imaginaire collectif dans ses filets invisibles. Nous avons ici l’oxymore d’une histoire qui exprime le paradoxe d’une situation « qui n’est ni vraie ni fausse, ou qui est les deux à la fois »[12].
Prenons l’exemple de la technoscience. Que signifie, au juste, la technoscience ? L’expression « technoscience » montre que deux concepts sont en jeu : la technique et la science. Elle montre aussi que leur relation est indissociable et que les deux termes sont les deux aspects d’un même mouvement. La science est un savoir théorétique, la technique est un savoir-faire empirique, un savoir–poétique. La science se borne au theôrein, elle est de l’ordre du savoir spéculatif. La technique se rapporte à la pratique. Elle est une « praxis poétique ». La science est synonyme de désintéressement spéculatif, de connaissance « désintéressée » qui « se détache du but utilitaire immédiat » car elle vise le savoir pour le savoir. Elle est un « rationalisme formel, abstrait, universel ». Elle constitue un ensemble ordonné et systématisé des connaissances objectives et vérifiables qui portent à la fois sur la découverte des lois de la nature et sur la vérité des choses, vérité qui réside dans « l’accord de nos jugements avec la réalité ». Dans ce sens, la science embrasse le savoir philosophique, mais elle devient aussi la passion du philosophe « non pas comme ensemble de certitudes – mais comme puits interminable d’énigmes, mélange inextricable de lumière et d’obscurité, témoignage d’une incompréhensible rencontre toujours assurée et toujours fugitive entre nos créations imaginaires et ce qui sert »[13]. La technique est l’ensemble des procédés que l’homme met en œuvre pour prendre possession du monde environnant et le mettre en fonction de ses besoins, en harmonie avec les conditions de son existence. Elle est pragmatique puisqu’elle s’intéresse à l’action utilitaire et efficace. Elle est intentionnelle puisqu’elle vise la transformation effective de la nature. Elle est déterminée puisqu’elle inclut toute opération faite avec une méthode déterminée en vue d’atteindre un résultat déterminé.
Avant de continuer, précisons que le propre de l’homme est de transformer la réalité. L’intelligence humaine consiste dans le fait qu’elle peut « résoudre des problèmes », c’est-à-dire « établir des relations d’équilibre avec son environnement ». Dans la mesure où l’homme s’adapte à son milieu en inventant tant des solutions dans sa vie quotidienne que des solutions à des situations nouvelles, nous pouvons dire que le caractère de réalité est lié à la possibilité de sa transformation et de sa manipulation. La réalité n’est pas seulement, « comme on le répète depuis Dilthey, “ce qui résiste” ; elle est tout autant, et indissociablement, ce qui peut être transformé, ce qui permet le faire (et le teukhein) comme faire être autre chose que ce qui est ou faire être autrement ce qui est ainsi. La réalité est ce dans quoi il y a du faisable et de l’infaisable »[14].
Pour en venir à bout de ce faisable et vaincre la résistance objective du réel, l’homme doit détourner les choses de leur « finalité propre » et les « doter de propriétés et finalités nouvelles ». Ce détournement suppose tout d’abord son aptitude à l’activité transformatrice et productrice, et sa capacité, son habileté à concevoir des outils. Grâce à son ingéniosité, l’homme fabrique des outils et les utilise pour se lancer à l’action, c’est-à-dire à la modification de la réalité. « L’outil, certes, vaut pour… – mais pour faire être ce qui n’est pas. Sa “valeur d’usage” est beaucoup plus que valeur d’usage – car elle est valeur de production ou de transformation. »[15] Ainsi donc, par la fabrication des outils, l’homme qui cherche à « soulager son labeur » et à « édifier l’artifice humain »[16], se présente tout d’abord comme un homo faber (homme fabricateur, artisan) avant de devenir un homo sapiens (homme pensant). L’intelligence pratique ou pragmatique, intelligence qui manipule les choses qui nous entourent, précède l’intelligence dite désintéressée qui vise la connaissance du vrai et qui aboutit à la manipulation abstraite d’idées. Leur dialogue va donner naissance au « rationalisme appliqué » et au « matérialisme instruit ». Il s’agit, selon Bachelard, d’un rationalisme « concret et solidaire » qui est ouvert aux expériences précises et qui féconde l’organisation de la pensée technique[17]. Au bout du temps, ce dialogue a débouché sur la technoscience.
Pour Gilbert Hottois, la technoscience constitue « l’entreprise en marche de ce qu’on appelle plus communément la « recherche scientifique » contemporaine, dont la technique (l’espace et le temps technicisés qui nous environnent de toutes parts) constitue le “ milieu naturel ” de développement et aussi le principe moteur »[18]. Nous comprenons alors qu’il s’agit de quelque chose de nouveau où la science se met au service de la technique qui se met au service de la science. Dans ce sens, le développement scientifique devient inséparable du développement technique jusqu’au point de parler d’une science de la technique et d’une technique de la science. « La science n’est plus la science » et « la technique n’est plus non plus la technique » note le biologiste Jacques Testart. Rien d’étonnant. La science en tant que connaissance pour la connaissance et la technique en tant que maîtrise et contrôle deviennent inséparables. La science est techniquement utilisable et la technique scientifiquement utilisable. En se mettant l’une au service de l’autre, elles se rejoignent pour se transformer à un pouvoir qui ne connaît pas de limites. Ainsi, « la praxis poétique est de plus remplacée par la pratique technoscientifique, et la pensée théorétique par les constructions théoriques »[19]. La technique devient une rationalité instrumentale qui vise la production des résultats maîtrisés, contrôlés et déterminés. La science devient « une activité techno-pragmatique qui manipule des objets, des instruments, des algorithmes et des concepts, se satisfait de ce que tout cela “ marche ” tant bien que mal, et s’interdit de s’interroger sur elle-même et sur les conditions de son succès, même pragmatique »[20].
La technoscience omnisciente et omnipuissante, « générant sans cesse de nouveaux pouvoirs »[21], se lie à l’industrie, à l’économie et au profit, à la rationalisation du capitalisme, à la techno-bureaucratisation, au développement incontrôlé de la production (« où on produit tout ce qui peut être produit, les besoins correspondants seront suscités après »[22]), à l’illusion de la maîtrise et à son expansion illimitée, au fantasme de la toute-puissance, aux « potentialités de destruction » et aux pouvoirs de toute sorte de manipulation. Captée par les intérêts socio-économiques et politiques, la technoscience transforme profondément notre contexte social et politique, traverse notre vie, exprime nos désirs et nos besoins et recourt à toutes sortes de manipulations psychologiques par des pratiques rendues possibles par son développement.
Précisons quelque chose. Notre rôle n’est pas de jouer les inquisiteurs ou de dénoncer la technoscience. Personne ne peut pas contester ses « réalisations formidables », réalisations qui « impliquent une capacité de faire également formidable »[23]. La technoscience améliore les conditions de notre vie en lui apportant un surcroît de bien-être, augmente sans cesse le capital de notre savoir effectif sur le monde et satisfait tant notre aspiration à la libération humaine que notre besoin de développement technique, social et intellectuel. Et en plus, elle constitue un champ d’investigation sans fin qui vise à combler notre « curiosité indéterminée » et à nourrir notre culte progressiste. Mais nous ne pouvons pas aussi fermer les yeux sur le fait que jamais la science et la technique n’avaient pas un tel pouvoir qui, pour reprendre les dits d’Axelos, « tend dorénavant à prendre en charge tout ce qui est »[24]. Un tel pouvoir[25], qui par sa logique détermine notre évolution personnelle et sociale, a une relation intime avec l’impouvoir. « Il y a un pouvoir – qui est impouvoir quant à l’essentiel – de la techno-science contemporaine, pouvoir anonyme à tous égards, irresponsable et incontrôlable (car inassignable) et, pour l’instant (un très long instant en vérité), une passivité complète des humains (y compris des scientifiques et des techniciens eux-mêmes considérés comme citoyens) »[26]. Pris comme contradictoires, le pouvoir en tant qu’inviolable souveraineté et l’impouvoir en tant que « rationalité artificialisée devenue non seulement im-personnelle (non individuelle) mais in-humaine (“objective ”) »[27] coexistent dans leur complémentarité. La technoscience unit une contradiction et c’est pour cela que son développement met en œuvre tout un questionnement concernant l’homme et son existence[28]. Qu’en est-il de l’homme ? Comment le situer par rapport à la technoscience ? Quelle est sa place dans cet univers technoscientifique ? Quelle est la valeur accordée à sa vie ? Quelle conception des rapports devons-nous faire entre l’homme et la technoscience ?
Répondre à ces questions c’est l’œuvre fondamentale des penseurs. Les penseurs grecs, parmi lesquels citons Axelos, Castoriadis, Malevitsis, Panagiotopoulos, Terzakis, Tsatsos, Tsiropoulos, Xourmouzios, conscients que nous sommes responsables de notre vie par la pensée, qui constitue un appel permanent à la mesure, se sont toujours interrogés sur le développement et son rapport avec l’existence. On appelle « développement ce qui avait été nommé progrès. Ce développement doit assurer, croit-on, un devenir ascendant de la technique, de la science et de la conscience »[29]. Le développement[30] est une promesse de bonheur. Il inclut l’optimisme d’un avenir meilleur qui va de pair avec l’abondance et le progrès infini et, par conséquent, avec ce que doit être réalisé dans le temps grâce aux pouvoirs de la science et de la technique. Par conséquent, il est condition de l’activité puisqu’ il désigne le vouloir de continuer, d’explorer notre futur pour avancer vers un état plus haut dans notre manière d’être, de penser et d’agir. En réalité, il est un perpétuel re-commencement dans la durée qui implique notre relation au monde et qui suppose l’agrandissement de nos connaissances sur lui à un rythme de plus en plus accéléré. Mais cet accroissement ne doit pas être une opération passive qui vise seulement l’accumulation quantitative de connaissances ou la simple élévation du niveau de vie du point de vue matériel. Le véritable critère de cet accroissement réside dans l’élévation du niveau culturel de l’homme. Dans ce sens, il faut passer du quantitatif au qualitatif, aller vers une opération synthétique du savoir comme « rapport de l’homme à l’extériorité »[31], vers une connaissance qui ramène à l’homme, à son art de l’existence et à sa culture. D’ailleurs, n’oublions pas que la qualité humaine est l’œuvre fondamentale de la culture qui, loin d’être simplement « un système de reproduction sociale ou de contrôle social »[32], dessine les conditions même d’une vie ascendante et confirme l’homme dans son humanisme, son intériorité et ses valeurs[33]. La culture, devant assurer « la demande de sécurité qui est inscrite dans l’humain comme dans tout vivant »[34], son bien-être psychique et son développement spirituel, son identité et sa liberté, se base sur une philosophie de l’action et un mouvement qui, par la pratique effective, cherche le devenir qualitatif de l’homme.
De ce point de vue, nous apercevons l’étroite parenté du développement, de la qualité et de la conscience. « Être conscient, c’est avoir du temps », prendre «une distance à l’égard du présent »[35] pour saisir le sens de la réalité qui nous enveloppe et comprendre tant ce que c’est notre présent que l’horizon de ses possibles. Autrement dit, le destin culturel d’homme rejoint sa conscience. Cette idée de conscience joue, dès lors, le rôle d’une valeur primordiale. De quoi devons-nous prendre conscience ? Du fait que la technoscience est solidement ancrée dans l’objectivation et la rationalisation. Toutes les deux sont aliénantes car, fondées sur l’exclusion de l’homme, elles réduisent l’essentiel du monde « à un système de règles formelles, y compris celles qui permettent d’en calculer l’avenir »[36]. Insistons sur ce fait. L’objectivation[37], qui nie l’apport du sujet dans la connaissance des phénomènes, refuse la raison subjective de l’être pensant. Elle consiste en « des opérations instrumentales ou logiques par lesquelles les observations empiriques sont rendues indépendantes de l’observateur et des conditions spatio-temporelles dans lesquelles elles sont recueillies »[38]. Malgré le fait que le concept de sujet est inséparable du concept d’objet et que leur relation est complexe, l’objectivation reconnaît seulement le sujet comme sujet épistémologique, « sujet tout réduit », selon Bréhier, « à sa fonction d’objectivation ». Dans cette perspective, elle s’affranchit du sujet empirique, du sujet individuel, du sujet personnel, du sujet collectif. Autrement dit, elle s’affranchit de l’homme et de sa conscience « en tant qu’intériorité par opposition à l’extériorité des choses » et elle devient anti-humaniste. Nous voyons aussitôt pourquoi. C’est parce que son noyau est la logique séparatrice. Incapable d’envisager la relation organique entre le sujet de la connaissance et l’objet réfléchi, entre l’être pensant et ce qui est pensé, entre le sujet observateur et l’objet observé, entre les êtres et les choses, elle les « disjoint », les « différencie » et les « oppose ». En ce sens, l’objectivation élimine l’idée d’homme en le maintenant hors du cercle des choses et hors du procès de savoir. Elle exclut l’objet de son milieu et l’isole du sujet qui désire le connaître. Elle réduit le monde en un lieu clos, en un objet relevant de l’épistémologie. De cette façon, elle fait subir l’aliénation tant au sujet qu’à l’objet et elle laisse l’espace vide de valeurs et de responsabilité. Mais les valeurs et la responsabilité ont leurs racines dans l’humanisme qui se préoccupe de la situation de l’homme dans le monde, de sa vie et de sa destinée.
Venons-en maintenant à la rationalisation. La rationalisation, qui se base sur l’objectivation, est un prétendu progrès de la raison qui exclut d’elle le rationalisme humaniste. La rationalisation tourne le dos à la rationalité[39], c’est-à-dire « au rapport de la raison avec l’homme et le monde ». Elle se caractérise par l’irrationalisme puisqu’elle désire déterminer complètement la réalité en excluant d’elle l’incontrôlable, l’imprédictible et l’indéterminable. « À partir d’une proposition de départ totalement absurde ou fantasmatique »[40], elle procède à la construction rigide et systématique du réel et elle exige la soumission des hommes et de leurs pratiques à ses règles et à ses schémas. Au profit d’un dualisme qui considère la raison objective et la raison subjective comme des univers séparés, elle élimine l’être humain comme facteur irrationnel qui entraîne l’incertitude, l’indétermination et le désordre dans l’organisation des choses. Elle instaure alors un « ordre rationalisateur », reconnu comme la valeur fondatrice d’un système déterminé de ses strictes déterminations, qui soumet la réalité aux exigences du contrôle, de la maîtrise et de la domination. Nous avons affaire à un système clos qui est lié en profondeur avec toute une série de phénomènes de pouvoir et d’assujettissement. Basé sur une « conception mécaniste et linéaire de la causalité », il rejette hors de lui tout ce qui le perturbe et sacrifie l’homme et son intériorité à l’utilité et au profit. Ainsi il donne naissance à l’homme-objet qui, inclut dans le réseau des causalités mécaniques, devient connaissable, déterminable, calculable et manipulable, et sert de support à des entreprises politiques, économiques et culturelles fortement bureaucratisées.
Afin de clarifier les choses, voyons-les de plus près. Sur les routes de l’objectivation et de la rationalisation fleurit la bureaucratisation[41]. Nous entendons par là « une structure sociale dans laquelle la direction des activités collectives est entre les mains d’un appareil impersonnel organisé hiérarchiquement, supposé agir d’après des critères et des méthodes “ rationnelles ”, privilégié économiquement et recruté selon les règles qu’en fait il édicte et applique lui-même »[42]. En tant qu’ « organisation » qui passe au-dehors de tous les aspects de la vie, et « rationalisation » des activités collectives faite de l’extérieur[43], la bureaucratisation asservit l’homme et le prive de son intériorité. En conséquence, elle pose le problème du rapport de soi à soi et celui du rapport aux autres et entraîne « une transformation des valeurs et des significations qui fondent la vie des hommes en société, un remodelage de leurs attitudes et de leurs conduites »[44].
Nous pouvons illustrer cette situation sur l’exemple du travail et de la politique. Le travail, comme processus imposé à l’être humain par la nécessité de la vie[45] est une activité consciente et intentionnelle qui transforme l’homme en même temps que le monde qui l’environne. Il s’agit d’un principe culturel qui crée d’œuvres matérielles, des systèmes de connaissance et des rapports des hommes au sein d’une société. Dans cette perspective, le travail est un acte créateur qui satisfait nos besoins au niveau biologique, au niveau du monde des significations et au niveau du monde des valeurs. Comme expression de soi qui combine savoir et faire, il devient une activité « signifiante », au cours de laquelle « les significations se constituent pour le sujet et à laquelle le sujet est attaché précisément de ce fait »[46]. Mais les procédés de la technoscience et la bureaucratisation, qui visent l’augmentation du profit par l’expansion illimitée du marché, gèrent le travail et ses résultats finals de l’extérieur sans prendre en considération le rôle du travailleur (le facteur humain) dans ce processus. De fait, ils aboutissent à la mécanisation du travail et à sa décomposition en « parcelles minuscules », en actes limités et élémentaires[47]. En ce sens nous pouvons parler d’une « aliénation subjective » du travailleur. Il est évident donc que la rationalisation et l’objectivation, qui contrôlent les objectifs et les méthodes de la production, détruisent le travail et son caractère personnaliste et transforment le travailleur en un simple appendice du système, en un instrument de production, remplacé sans aucun inconvénient. Il en résulte alors que le travail, en tant que « condition indispensable » de notre existence, perd non seulement son caractère humain mais aussi tout son sens comme valeur réalisée[48]. Il garde seulement son sens en tant que revenu qui permet à l’homme de consommer. Mais de quelle sorte de consommation[49] parlons-nous ? Nous parlons d’une consommation bureaucratisée où la consommation, en tant que mouvement spontané de l’homme vers la satisfaction de ses besoins physiques et sociaux, perd « son sens originaire. À notre époque, les besoins sont « l’objet d’une manipulation sournoise ou violente et à la limite créés de toutes pièces par les soins d’une fraction spéciale de la bureaucratie, la bureaucration de la consommation, de la publicité et de la vente »[50]. Manipulé, réduit au statut du consommateur-usager dans une société qui crée des pseudo-besoins comme condition de l’expansion de notre système esclavagiste, enfermé dans un processus d’aliénation et de domination, l’homme devient « un objet consommant des objets »[51].
Il en va de même pour la politique qui concerne la vie collective des hommes. La politique s’enracine dans l’action et la pluralité. L’action implique la rencontre des hommes car elle les met directement en rapport. Elle est donc consciente, volontaire, sociale et orientée vers des valeurs et des « champs de décision et d’action ». De sa part, la pluralité indique que le monde se compose d’êtres qui ne se réduisent pas à une substance unique. Nous sommes tous humains, mais on garde notre irréductible singularité. Cette pluralité est la condition de l’action. «L’action serait un luxe superflu, une intervention capricieuse dans les lois générales du comportement, si les hommes étaient les répétitions reproduisibles à l’infini d’un seul et unique modèle, si leur nature ou essence était toujours la même, aussi prévisible que l’essence ou la nature d’un objet quelconque »[52].
Par l’action, la politique organise et oriente la dynamique de cette pluralité d’hommes en interaction. En réalité, elle lie le subjectif et l’objectif, la liberté personnelle et l’appartenance sociale car elle vise « tout ce qui, dans la société, est participable et partageable »[53]. Dans ce sens, elle demande l’initiative et la responsabilité des hommes qui entretiennent entre eux des relations d’autonomie et de dépendance. Mais aujourd’hui, au profit de l’objectivation et de la rationalisation, la politique est à tel point bureaucratisée qu’elle échappe complètement à l’action humaine et à tout contrôle réel. En plus, se trouvant entre les mains des groupes économiques dirigeants, elle est réduite à une entreprise qui gère la société au nom d’intérêts et de profits particuliers[54]. De cette façon, le « climat relationnel » de la société s’efface. De plus en plus impuissante devant une pareille situation et n’ayant aucun impact sur la réalité, l’action politique en tant qu’action qui « peut déterminer les cours des choses » perd totalement son sens. Ainsi la vie collective se détruit car les gens sont exclus de la direction de leurs propres affaires. Nous assistons donc à la « privatisation » des individus puisque « nous vivons dans une société dont le trait le plus important, (…), est qu’elle réussit jusqu’ici à détruire la socialisation des individus en tant que socialisation politique »[55].
Il est hors de doute que l’homme, comme principe fondateur de la politique, perd la conscience de citoyenneté et la conscience de responsabilité à l’égard de lui et des autres. Chose tout à fait naturelle car n’oublions pas que la bureaucratisation entraîne la destruction de la responsabilité dans tous les domaines par la division toujours plus poussée des tâches d’exécution strictement définies, délimitées, impersonnelles et anonymes. Sans qu’il puisse assumer cette responsabilité, qui implique conscience, liberté et participation de l’acteur à ses actes, l’homme se désolidarise de ses actes et de ses semblables et dissocie la consistance interne de la société. L’indifférence, l’apathie et l’irresponsabilité déterminent désormais les rapports sociaux. En réalité, l’homme se détache de lui-même et se retourne contre les conditions même de sa vie[56].
Facilement, nous nous rendons compte que la technoscience, indissociable de l’objectivation et de la rationalisation, rompt la liaison entre la raison subjective et la raison objective, coupe les liens de leur interdépendance et crée un vide de valeurs qui garantit son hégémonie. Nous sommes assujettis à elle qui nous contient comme « une boîte contient un objet ». Or, il est certain que nous ne pouvons pas confier ni le destin ni l’action humaine à la technoscience dont l’absolutisme détruit progressivement tant l’humanité de l’homme que sa vie sociale. Ses objectifs non seulement s’éloignent de la rationalité mais en plus ils ne peuvent pas proposer ni des valeurs ni le maintien de ces valeurs car elle s’intéresse seulement pour les moyens et non pour les fins[57]. La technoscience « n’accède pas à la conscience de ce qu’elle construit, ce n’est pas son travail »[58]. Pour cette raison, elle devient incapable de prévoir les résultats de son développement puisqu’ elle ne se pense pas. Seulement, « elle opère ». Et en plus, « dans sa rage de tout construire, elle n’hésite pas à piétiner et à détruire purement et simplement ce qu’elle ne peut atteindre »[59].
Il devient alors urgent de réfléchir sur « la domination mythologico-technico-scientifique du mode d’être »[60], de réenfanter nos valeurs dans cet univers technoscientifique, de placer de nouveau l’homme dans le monde, de donner un sens[61] à sa vie, une finalité à son existence et une signification à ses rapports sociaux. Or, nous affrontons la nécessité de voir les choses différemment, de s’orienter vers un autre monde de pensée, de dépasser l’opposition de la raison subjective et de la raison objective, de renoncer à toute intention réductrice de la réalité. C’est difficile mais c’est à nous de le faire. « Les dangers énormes, l’absurdité même contenue dans le développement tous azimuts et sans aucune véritable “orientation” de la techo-science, ne peuvent être écartés par des “règles” édictées une fois pour toutes, ni par une “compagnie de sages” qui ne pourrait devenir qu’instrument, sinon même sujet, d’une tyrannie. (…) Nous n’avons pas besoins de quelques “sages”. Nous avons besoin que le plus grand nombre acquière et exerce la sagesse – ce qui à son tour requiert une transformation radicale de la société comme société politique, instaurant non seulement la participation formelle mais la passion de tous pour les affaires communes. Or, des êtres humains sages, c’est la dernière chose que la culture actuelle produit.
– Que voulez-vous donc ? Changer l’humanité ?
– Non, quelque chose d’infiniment plus modeste : que l’humanité se change, comme elle l’a déjà fait deux ou trois fois[62].
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Notes
[1] Castoriadis, Cornelius, La montée de l’insignifiance. Les carrefours du labyrinthe IV, Paris, Seuil, 1996, p. 109.
[4] Voir à propos Τσιρόπουλος, Κώστας, Αυτοψία της εποχής, Αθήνα, Οι Εκδόσεις των Φίλων, 1984, σσ. 119-121.
[5] Castoriadis, Cornelius, L’anthropogonie chez Eschyle et chez Sophocle, L’Harmattan éd., La Grèce pour penser l’avenir, Actes du colloque interdisciplinaire, organisé à Paris du 2 au 4 décembre 1996, Paris, 2000, p. 154.
[13] Castoriadis, Cornelius, Le monde morcelé. Les carrefours du labyrinthe – III, Paris, Seuil, 2000, p. 118.
[16] Voir à propos Arendt, Hannah, Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1983, p. 315-404.
[17] Voir à propos Bachelard, Gaston, Le rationalisme appliqué, Paris, Presses Universitaires de France, 1949, p. 1-11.
[18] Hottois, Gilbert, Le signe et la technique. La philosophie à l’épreuve de la technique, Paris, Aubier Montaigne, 1984, pp. 59-60.
[25] Voir à propos Τσιρόπουλος, Κώστας, Ανάμεσα σε δύο αιώνες, Αθήνα, Οι Εκδόσεις των Φίλων, 2002, σ. 39-44.
[28] Voir à propos Παναγιωτόπουλος, Ι. Μ., Οι όρθιες ψυχές και άλλα παράλληλα κείμενα, Αθήνα, Εκδόσεις Φιλλιπότη, 1990, σσ. 90-94. Voir aussi Χουρμούζιος, Αιμίλιος, Η δοκιμασία του πνεύματος, Αθήνα, Οι Εκδόσεις των Φίλων, 1976, σ. 47-62.
[30] Voir à propos Χουρμούζιος, Αιμίλιος, Η δοκιμασία του πνεύματος, Αθήνα, Οι Εκδόσεις των Φίλων, 1976, σ. 47-62.
[31] Lévinas, Emmanuel, Entre nous. Essais sur le penser-à-l’autre, Paris, Librairie Générale Française, 1998, p. 186.
[32] Tourraine, Alain, « L’inutile idée de société », Philosopher I, Paris, Presses Pocket, 1991, p. 235.
[33] Voir à propos Τερζάκης, Άγγελος, Η ανάγκη του στοχασμού, Αθήνα, Οι Εκδόσεις των Φίλων, 1985, σ. 46.
[35] Lévinas, Emmanuel, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, Paris, Librairie Générale Française, 2006, p. 264-265.
[37] Voir à propos Τερζάκης, Άγγελος, Ένας μεταβαλλόμενος κόσμος, Αθήνα, Οι Εκδόσεις των Φίλων, 1983, σ. 151-155.
[38] Thinès, Georges, Lempereur, Agnès, Dictionnaire général des sciences humaines, Paris, Éditions Universitaires, 1975, p. 661.
[39] La rationalité, selon Edgar Morin, « c’est le jeu, c’est le dialogue incessant entre notre esprit qui crée des structures logiques, qui les applique sur le monde et qui dialogue avec ce monde réel. Quand ce monde n’est pas d’accord avec notre système logique, il faut admettre que notre système logique est insuffisant, qu’il ne rencontre qu’une partie du réel. » Morin, Edgar, Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF éditeur, 1990, p. 94.
[41] Voir à propos Τσιρόπουλος, Κώστας, Η υπόθεση του ανθρώπου. Αποτίμηση του Εικοστού Αιώνα, Αθήνα, Αστρολάβος/Ευθύνη, 1995, σσ. 199-205. Voir aussi Παναγιωτόπουλος, Ι. Μ., Οι σκληροί καιροί. Η τραγωδία του εικοστού αιώνα, Αθήνα, Οι Εκδόσεις των Φίλων, 2004, σ. 57-65.
[42] Castoriadis, Cornelius, Capitalisme moderne et révolution. Le mouvement révolutionnaire sous le capitalisme moderne II, Paris, Union Générale d’Editions et Cornelius Castoriadis, 1979, p. 127.
[45] L’homme doit satisfaire tout d’abord ses besoins biologiques. Comme le suggère Hannah Arendt, le travail est « l’activité qui correspond au processus biologique du corps humain, dont la croissance spontanée, le métabolisme et éventuellement la corruption, sont liés aux productions élémentaires dont le travail nourrit ce processus vital.» Arendt, Hannah, op. cit., p. 41.
[47] Voir à propos Παναγιωτόπουλος, Ι. Μ., Ο σύγχρονος άνθρωπος, Αθήνα, Οι Εκδόσεις των Φίλων, 2004, p. 283-294.
[48] Voir à propos Παναγιωτόπουλος, Ι. Μ., Οι σκληροί καιροί. Η τραγωδία του εικοστού αιώνα, σ. 125-127.