Ovidiu Pecican
Université Babes-Bolyai, Cluj-Napoca, Roumanie
pecolino999@yahoo.com
Mythe et Histoire : Éléments contemporains de philosophie de l’histoire
Myth and History : Contemporary elements in the History of philosophy
Abstract: Although the past two centuries have witnessed at least a few significant contributions, one cannot speak of a historiographic retrospective of the Romanian philosophy of history per say. Authors such as A. D. Xenopol (1847 – 1920), Lucian Blaga (1895 – 1961), Mircea Eliade (1907 – 1986) and Neagu Djuvara (n. 1916) have in turns elaborated more or less systematic viewpoints upon history, marking out the field through works of great consistency. Nevertheless, their acknowledgement in this particular field of interest is still scarce, while other authors, maybe less systematic, yet highly inciting, remain unsufficiently explored and deciphered.
The present paper aims at pursuing two of the historians who although did not leave theoretical works of great importance, have nevertheless worked out their personal approaches and inherent premises with great insight, providing suggestions for a different way of understanding the mission of historians and historiography. Thus, in order to achieve its intentions, the paper unfolds into two sections. Accordingly, the first section focuses on the concept of “myth-history” as it appears in the works of Eugen Lozovan, Mircea Eliade and Al. Busuioceanu. The second section observes the way in which the perception of the historiographic approach changed in the period that preceded the editorial debut of Ioan Petru Culianu. In all four cases we deal with Romanian historians who have asserted themselves abroad in the post-war years. Far from the official marxism imposed from above upon the Romanian historiography, their conceptions reveal theoretical approaches that contrast it.
Keywords: Romania; History of Religions; Eugen Lozovan; Mircea Eliade; Al. Busuioceanu; Ioan Petru Culianu.
Malgré le fait que les deux derniers siècles ont enregistré, dans le champ de la philosophie de l’histoire roumaine, plusieurs contributions très importantes, il n’y a pas, jusqu’à présent, de rétrospective historiographique de ce genre. Des auteurs tels A. D. Xenopol (1847-1920), Lucian Blaga (1895-1961), Mircea Eliade (1907-1986) ou Neagu Djuvara (né en 1916) ont réfléchi d’une façon plus ou moins systématiques sur l’histoire, leurs œuvres majeures constituant autant de repères dans ce domaine de la pensée. Néanmoins, leur réception à partir du point de vue de telles préoccupations ne cesse de rester hésitante, tandis que d’autres auteurs, moins systématiques peut-être mais tout aussi incitants, restent assez méconnus.
Je me suis ainsi proposé de suivre l’évolution de la pensée de deux historiens qui, même s’ils ne nous ont pas légué d’œuvres théoriques importantes, ont réfléchi d’une manière profonde sur leur propre démarche et sur les fondements de celle-ci, tout en offrant des éléments pour la constitution d’une manière différente de concevoir la mission de l’historien et de l’historiographie. Dans la première partie de mon essai je vais analyser le concept de « mythistoire », tel qu’il apparaît dans les ouvrages d’Eugen Lozovan, de Mircea Eliade et d’Al. Busuioceanu. La deuxième partie de cet essai est consacrée à l’évolution de la réflexion sur la démarche historiographique dans la période précédant le début éditorial de Ioan Petru Culianu. Tous les quatre penseurs sont des historiens d’origine roumaine qui se sont affirmés à l’étranger pendant l’entre-deux-guerres. Leurs conceptions s’éloignent considérablement du marxisme officiel dominant à l’époque, imposé par l’État, et elles représentent autant d’approches théoriques qui vont à son encontre.
I. Une voie vers le passé ressuscité : la mythistoire
Ayant quitté la Roumanie en 1950, établi au Danemark et devenu professeur universitaire à Aarhaus, Eugen Lozovan entreprend une série d’études philologiques et historiques dont la vision évoque les productions d’Eliade ou celles, historiques, d’Alexandru Busuioceanu. L’exil et la formation scientifique solide ne sont pas les seuls points communs des trois penseurs du passé. Au-delà de quelques traits qui les distinguaient l’un de l’autre, tous les trois manifestaient le même intérêt pour une Antiquité et un Moyen Âge projetés sur l’arrière-plan du mystère et de la révélation, et ils partageaient la même attitude qui pouvait conduire vers une telle prise de position c’est-à-dire, un romantisme nourri d’une profusion de lectures. Il y a de fort liens souterrains qui réunissent De la Zalmoxis la Genghis Han [De Zalmoxis à Gengis-Khan] de Mircea Eliade, Zamolxis sau mitul dacic în istoria şi legendele spaniole [Zamolxis ou le mythe dace dans l’histoire et les légendes espagnoles] d’Al. Busuioceanu et Dacia sacra d’E. Lozovan. Ces liens renvoient, certes, à Hasdeu, Nicolae Densusianu, Vasile Pârvan et Vasile Lovinescu, mais ils établissent aussi un circuit d’un ouvrage à l’autre. Évoquant des passés auréolés, crépusculaires, éphémères, dissolus dans des alliages plus tardifs de manière à ne plus pouvoir les reconnaître, toutes ces utopies rétrospectives apparaissent de nos jours comme des répliques à l’histoire roumaine mainstream. Peu de choses concrètes en sont pourtant restées, une fois mis de côté leurs effets rhétoriques et les exaltations suscitées par des perspectives moins communes. C’est Lucian Blaga, avec sa Trilogie de la culture, qui semble leur avoir offert le cadre théorique si nécessaire, en développant sa théorie de la « retraite de l’histoire » et d’une certaine sensibilité spatiale et temporelle. Le philosophe originaire de Lancrăm a le mérite certain d’avoir offert une version systématique de plusieurs idées et suppositions plus ou moins véhiculées à l’époque. Mais même la variante canonique de Blaga n’a pas réussi à fixer toutes ces idées de façon définitive, cette matière idéatique enregistrant des retours périodiques. D’ailleurs, les choses ne pouvaient pas se présenter autrement, vu qu’il s’agissait d’une réflexion dont les structures et les motifs s’ancraient non seulement dans un certain horizon métaphysique, mais aussi dans la poésie et la prose populaires, dans la géographie, l’histoire et l’anthropologie culturelle. Il convient de mentionner que l’un des principes initiateurs de cette vision a été la profonde frustration ressentie par ces auteurs (et par d’autres auteurs célèbres tels E. Ionesco ou Cioran) à cause de la marginalité et du manque de notoriété de la petite culture roumaine. Aussi cherchait-on à retrouver dans les époques révolues soit la centralité de l’espace qu’on habitait (une Dacie hyperboréenne, patrie par excellence des Indo-européens), soit les habitants les plus anciens de l’Europe (les Pélasges), soit des peuplades fameuses qu’on pouvait retracer dans ces endroits (Ariens, Thraces, Daces), soit des expériences dont les échos furent majeurs (la religion répandue par les Goths dans l’Europe occidentale, l’expédition d’Alexandre le Grand dans la région du Danube avec des impacts sur toute l’histoire postérieure).
Établi à Madrid après avoir quitté la Roumanie en 1942, Busuioceanu s’engageait dans une aventure qui visait « la mise en valeur des mythes historiographiques médiévaux… non seulement chez nous, c’est-à-dire en Europe », mais aussi « dans le monde islamique, indien, chinois », comme Mircea Eliade l’espérait pourvu qu’il s’y agît d’une continuation de son examen inauguré dans l’étude Le mythe dace. La remarque faite le 8 mars 1953 par l’historien des religions à son camarade dans des aventures initiatiques médiées par le savoir faisait découvrir à ce dernier le potentiel considérable offert par le champ de la mythistoriographie, comme Eliade l’appelait. « Je me rends compte qu’on pourrait analyser, de ce même point de vue, non seulement ce que vous appelez mythistoriographie médiévale, mais bien toutes les utopies médiévales, les poèmes épiques, même les gestes nationaux, sans plus parler des romans chevaleresques, qui devraient être des fourmilières de mythes », affirme Busuioceanu, avouant sa révélation trois semaines plus tard, le 31 mars. C’est à ce moment-là qu’il annonce aussi son projet d’écriture sur le mythe de Zalmoxis (qu’il appelle, pour autant, Zamolxis).
Il continue de la même manière, tout en esquissant le noyau dur de sa propre théorie sur le fonctionnement des mythes : « Ce qui est intéressant, c’est que ces mythes historiographiques qui ne sont, au fond, que des transplantations de mythes originaires, s’ancrent immédiatement dans un terrain nouveau, recommencent leurs cycles et deviennent vite des mécanismes générateurs d’histoire. Je dirais même plus : que le mythe originaire est un résidu (c’est l’auteur qui souligne) historique. Son action est bénigne, avalée surtout par la religion et les croyances magiques. Le mythe historiographique est un germe. Il est virulent et se cherche vite des incarnations concrètes. »
Comme nous pouvons le voir, Alexandru Busuioceanu nourrit la conviction que la création de mythes originaux s’est achevée au Moyen Âge, cette époque ne faisant que reprendre, pratiquement, des mythes génuines et les revêtir différemment, en fonction des contextes pluriels dans lesquels ils se trouvent. Il s’agit, en fait, de la théorie plus ancienne de Hasdeu et de Lazăr Şăineanu qui faisaient crédit à Gaston Paris, à Theodor Benfey et à Max Müller. Selon cette théorie, la patrie ancienne des récits exemplaires – contes, légendes, anecdotes animalières, mythes – serait l’Inde ou, plus généralement, l’Orient. Pourtant, selon d’autres théories, il y aurait eu une unité terrestre immémoriale, lorsque les gens habitaient le même continent et partageaient, en grand, le même patrimoine culturel. Dans cette perspective, l’origine commune des mythes n’aurait rien affaire aux migrations des peuplades et au colportage des récits exemplaires, mais bien à la transmission orale du patrimoine culturel narratif.
La condition de résidu et celle de germe du mythe, mentionnées par Busuioceanu, semblent être reliées par la tension d’une complémentarité. Effet et prémisse, le mythe produit de l’histoire grâce à son rôle de monnaie courante fonctionnant dans la société. Les métamorphoses qui ne cessent de se succéder se font visibles, dans l’attente des interprètes préparés afin de révéler leur identité dissimulée sous le couvert des facettes multiples qui, à la fois, la montrent et la cachent.
Mircea Eliade ne pouvait pas rester insensible à une telle approche. Il était un admirateur de B. P. Hasdeu depuis sa jeunesse et, dans Cuvente den batrani, il se passionnait à retracer des thèmes et des motifs mythiques circulant dans toute l’Europe et même sur d’autres continents. Deux décennies plus tard, il revenait aux récits légendaires anciens qui avaient aiguisé sa passion pendant sa jeunesse, essayant de les interpréter par l’intermédiaire de tout un fonds universel d’idées et de croyances et ôtant leur apparence modeste par des analyses bien argumentées.
Grâce aux efforts de Busuioceanu et d’Eliade, « la mythistoire » se faisait procurer non seulement des analyses passionnantes, mais aussi les prémisses d’une théorisation souhaitable. En parlant de nos jours de « mythistoire », il convient de lancer, avant tout, une mise en garde : on ne saurait trop insister sur la différence qui sépare la manipulation idéologique pratiquée par l’État centraliste et dictatorial de Ceauşescu, que certains historiens ont appelé de ce nom, et le projet de la découverte des mythes dans différentes aires culturelles où l’on pouvait les identifier et les enregistrer. Pour ce qui est de la seconde acception du terme, on peut mentionner la manière, par exemple, dont le mythe de Zamolxis ou le mythe gète apparaissent chez Busuioceanu ou bien la construction eliadesque de la légende antique du dieu daco-gète. D’ailleurs, Eliade accorde un surcroît d’attention à l’identité dace entendue comme lycanthropie sacrée, à la brebis prodigieuse ou à l’architecte exemplaire. Mais les fondements de la mythistoire posés par les deux savants roumains de l’exil attendent encore leurs successeurs parmi les théoriciens et les adeptes de l’examen historique.
Par rapport à ces conceptions, Eugen Lozovan apparaît, dans ses sept études composant Dacia sacra[1], comme un bon connaisseur des instruments philologiques et historiques, mais plus aventureux dans ses interprétations et moins prudent. Ce n’est pas que la lycanthropie eliadesque convaincrait bien plus que les filiations établies par Lozovan entre la pénétration des Scandinaves chez les Slaves et celle des habitants de Maramureş en Moldavie. Mais, quelque suggestifs que soient les étymologies proposées par le professeur danois d’origine roumaine et ses rapprochements audacieux, fondés sur une rhétorique enveloppante, entre des événements éloignés non seulement du point de vue temporel, mais aussi spatial, la prudence s’impose d’autant plus dans son cas. Lozovan fait preuve d’un courage admirable pour affronter le manque de témoignages écrits pour les époques séparant la retraite d’Aurélien au IIIe siècle de l’apparition des principautés médiévales roumaines, de même que d’un art fin de reconstituer, à partir de détails disparates, un paysage historique méconnu. Mais l’audace de certains trajets philologiques et historiques difficiles à prouver reste incertaine. Pour Lozovan, le mot « cătun » (hameau) et son référent réel sont d’origine dace, tout comme les bourgs, les deux précédant l’apparition de la cité fortifiée de type méditerranéen (urbs). La continuité évolutive de l’habitat, prouvée grâce à l’appel à l’étymologie et aux conjectures historiques, donne sur un véritable spectacle reconstitutif de l’anthropologie de l’habitat. L’image de Trajan, conquéreur des territoires en question, est interprétée dans la clé du héros civilisateur, hypostase de la mise en œuvre du testament de son grand précurseur Alexandre de Macédoine. D’ailleurs, elle est impressionnante par l’humanité de la colonisation et par les dimensions en pleine expansion de l’empire. Nous nous trouvons devant un autre mythe historiographique (qu’il serait possible de déchiffrer dans une clé de lecture proche de celle de l’ouvrage de Thomas Carlyle, Les héros), dont le paradigme sera repris dans le cas d’autres princes roumains plus tardifs (Alexandre le Bon, Étienne le Grand, Michel le Brave). Dragoş, lui-même, deviendra un Rurik autochtone, retraçant à son tour, à mon avis, un itinéraire devenu obligatoire pour Bogdan de Cuhnea le Fondateur. À partir d’une telle approche, on peut mieux saisir l’intérêt d’E. Lozovan pour des personnalités et des parcours historiques imprégnés de mythologie et d’archétypal, pour des filiations énigmatiques, identifiables seulement à partir d’une certaine altitude historique. Autrement dit, Lozovan est, lui aussi, un grand amateur de traditions auréolées, enterrées et déterrées, disparues et manifestées de nouveau avec, parfois, une force inattendue. Mais il n’est pas du tout certain que de tels accords et concordances au niveau des civilisations se fussent réellement produits. Il se peut que ce ne fût que l’interprétation scrutatrice et intelligente du savant qui nous les aient présentés de cette manière.
Le spectacle de l’effervescence érudite visant haut au niveau de l’ensemble, s’envolant sans aucune entrave mais critiquant d’une manière dure et méthodique, jusqu’aux moindres nuances, tout ce qui tient du registre des détails, nous est offert surtout dans l’étude qui prête son nom au volume. L’auteur y discute le processus de christianisation de la Dacie romaine située au Nord du Danube et même de tout l’espace carpatho-pontique en dehors des frontières de l’empire, en s’attachant à d’autres facteurs que l’influence romaine. Selon une thèse que Lozovan emprunte à Vasile Pârvan, les Daces libres, les Bessies, les Goths et les Huns auraient apporté leurs propres contributions dans la mise en œuvre de cette métamorphose. Voici la conclusion du savant roumain dont la sensibilité scientifique allait dans le même sens que celle des deux premiers : « Ce sont ces origines multiples, en fait, qui font du christianisme danubien une réalité vivante, enfouie dans l’histoire, le mythe et le folklore. »[2] Le lieu géométrique situé au carrefour de ces trois domaines place Lozovan dans la directe proximité de Busuioceanu et d’Eliade.
Aussi y a-t-il, à ce qu’il me semble, dans la seconde moitié du siècle roumain athée et rouge, trois Roumains réfugiés en Occident, cherchant à compenser (geste qui pourrait servir de matière à la psychanalyse) le matérialisme dialectique et historique qu’ils avaient repoussé par une passion mythistorique marquée par une certaine dialectique du sacré. Les échos des mythes construits par les chroniqueurs ou de ceux qui ont inscrit leurs traces d’une manière discrète dans des mots, des visages et des gestes ont ainsi pénétré dans l’Occident, là où les trois savants ont vécu la seconde moitié de leur vie. Leur analyse n’a pas le simple rôle de restituer une partie de l’héritage d’un passé autochtone admirablement éclairé ou d’offrir sa légitimité à un certain type d’examen. Elle parvient à révéler l’une des voies possibles afin de surmonter la complémentarité Est – Ouest ou Nord – Sud, tout en mettant en évidence l’unité de fond qui sous-tend les deux termes.
II. Ioan Petru Culianu : deux autoportraits d’historien
1. Écriture et réécriture
Il est clair que, de tous les livres qu’il a écrits, Eros et magie à la Renaissance. 1484 a pris à Ion Petru Culianu le plus du temps et l’a fasciné le plus longuement, en tant que thème de recherche. L’auteur même a eu, sans aucun doute, la conscience de ce fait, tout comme résulte de l’inscription finale du livre, qui essaie de surprendre, brièvement, le trajet de sa conception dans des termes géographiques et chronologiques à la fois. « Bucarest, 1969 – Groningen, 1981 » renvoit à la période estudiantine, en Roumanie, aux années de cours, au trajet académique italien, au début de sa carrière didactique hollandaise ; un parcours d’où le segment moyen ne transparaît pas, mais sans lequel ce trajet n’aurait pas été complet. Les différentes recherches qui allaient se cristalliser en une forme apparemment définitive – sans renoncer cependant à la possibilité d’une éventuelle reprise du projet afin d’en développer et modifier la seconde moitié surtout – se sont concrétisées en une première forme, restée inédite pour une période, mais restituée récemment au circuit scientifique : Iocari serio. Eros et magie à la Renaissance. 1484 (écrite en 1979, jamais finie, publiée posthume, en 2003, une décennie après le décès prématuré et brutal du savant et à vingt-cinq ans après sa mise sur papier).
On peut aisément observer, dès la simple comparaison des titres, comment la vision de Culianu a migré d’un découpage thématique et d’une angulation plus traditionnelle – quoique non moins intéressante – vers une plus attractive pour le public avisé ; plus commerciale donc, sans impliquer nécessairement un sens péjoratif. Le caractère soi-disant « commercial », assuré par la présence des mots « eros » et, respectivement, « magie », n’est pas ici l’équivalent de « facile », mais inversement. Il renvoie à l’autre versant, celui de l’obscurité de l’eros, difficilement contrôlable avec les seuls moyens de la raison – l’émisphère pulsionnelle et passionnelle, sphère affective par excellence -, et de la magie nébuleuse, mot jadis damné, qui garde intacte sa fascination d’univers interdit, discret, voire vraiment secret.
Tout en optant pour les thèmes de l’eros et de la magie à la Renaissance, il dépasse le cadre limité d’un débat classique portant sur la science et l’art dans la pensée renascentiste. Le plan s’est donc considérablement élargi et s’inscrit désormais dans d’autres paramètres, Culianu ayant franchi le seuil des domaines traditionnels de l’investigation savante (science, art, pensée), et marchant décisivement dans la zone existentielle où germent l’amour, la sexualité, la pensée, la technique, les rapport primordiaux de sympathie avec la nature.
Que s’est-il pu passer avec Petru Culianu entre le 5 janvier 1979, date où il finissait sa préface à Iocari serio, et février 1982, où Mircea Eliade date sa préface à Eros et magie ? Culianu même attendra le 3 juillet 1983 pour rédiger l’avant-propos au nouveau livre, signe qu’il n’a pas considéré son travail comme achevé jusqu’à ce qu’il n’ait reçu la préface d’Eliade et, probablement l’accord du coordinnateur de la collection où il allait paraître, Yves Bonnefoy. La réponse à la question ci-dessus est facilitée par des fragments significatifs de la correspondance gardée entre I. P. Culianu et Mircea Eliade.
À l’automne de 1978, à mi-septembre, Culianu annonçait Eliade qu’il intentionnait publier, en France, un livre de vulgarisation sur la philosophie renascentiste. C’est toujours en ce temps-là qu’il promettait de lui expédier le premier chapitre dans trois semaines[3]. Quelques jours plus tard, il précisait, dans une nouvelle épître, qu’« il s’agissait de “popularisation”, mais à un niveau suffisamment sérieux (encore plus sérieux qu’il ne pût l’apparaître au chapitre I) »[4]. Par conséquent, l’idée de Culianu était d’obtenir un succès de maison d’édition grâce à l’accessibilité impliqué par un livre « populaire », espérant, en même temps, de hisser la latte du niveau populaire à une complexité accrue, quoiqu’exprimée le plus simplement et le plus directement possible. Le chapitre III, précisait-il, allait traiter le problème de l’amour et de la mélancolie chez Marsilio Ficino, ce qui correspond au texte resté dans Iocari serio au titre „Marsilio Ficino (II): Jocul ca mister”[5] [Le jeu comme mystère].
Le 1er octobre, Eliade annonçait déjà à l’auteur [Culianu] qu’il avait lu le deuxième chapitre du projet du livre et qu’il avait parlé avec Virgil Tănase de la stratégie à suivre en vue de la publication. La collection « Flammarion » d’Yves Bonnefoy leur paraissait la plus appropriée en ce sens.[6] Mais le 19 du même mois, Culianu s’intéressait si à son interlocuteur avait plu le troisième chapitre, et annonçait que la création avançait plus lentement qu’il ne l’eût cru. Il précisait le fait qu’il travaillait à trois chapitres parallèlement, le dernier ayant été introduit ad hoc et traitant…le thème la lune dans la pensée renascentiste[7]. Il est donc clair que le projet initial, hésitant entre la tentation de l’accessibilité, d’une part, et celle de la subtilité et de l’érudition, d’autre part, marchait sur une propre voie, tout en commençant à incliner la balance vers le second bras. Eliade l’exhorte à continuer son effort : en effet, la lecture des trois premiers chapitres l’a convaincu que le projet vallait la peine d’être mené à terme[8]. Vers la fin du mois de novembre ou, peut-être, au début du mois de décembre, Culianu envoie, pour la lecture, les chapitres IV-VI du livre, tout en spécifiant qu’il ne reste à expédier que l’introduction et le dernier chapitre[9]. La structure finale de Iocari serio comprend donc, somme toute, six chapitres pécédées par une introduction et achevés par des pages conclusives. Malheureusement, ce fait ne se reflète pas dans l’édition mise en circulation par la sœur de l’auteur ; on n’y retrouve que l’introduction et les premiers quatre chapitres. Il est certainement possible que les deux derniers chapitres soient devenus des parties encore plus développées et ensuite changées dans la version finale du livre, Eros et Magie à la Renaissance. Cependant, si on avait pu garder les anciens brouillons des manuscrits, ou qu’ils pussent être récupérés de l’archive de Mircea Eliade – de Paris ou de Chicago -, de Virgil Tănase ou d’Yves Bonnefoy (ou même des Éditions « Flammarion »), une nouvelle édition devrait rectifier promptement l’erreur de la publication incomplète du projet. Dans une nouvelle missive envoyée par Eliade, on apprend que, dans un des chapitres qui succédaient aux trois premiers – mais non dans le quatrième, dédié à Léonard de Vinci, et dans le dernier non plus, centré sur le problème de la lune dans les préoccupations philosophiques des renascentistes -, la discussion se prolonge dans une focalisation sur Giordano Bruno[10].
On dirait que tout était fini et qu’il ne restait, dorénavant, à l’auteur, qu’attendre la traduction promise par Virgil Tănase, afin de voir le livre expédié à Yves Bonnefoy. Mais la traduction se laisse attendre et Culianu décide – pour des raisons non certifiées par la correspondance avec Eliade – de reprendre son travail, élaborant difficilement (dû à la reprise des cours d’après la syncope produite à cause des fêtes d’hiver?) les pages de commencement et de fin, ou améliorant le premier brouillon. Et cela suite aux exhortations de Mircea Eliade, formulées dans une épître du 14 février 1979[11]. Cependant, le 8 mars, le savant de Chicago avait déjà lu l’introduction et la conclusion, tout en formulant des critiques à l’adresse de cette dernière. Il est clair que l’accent y tombe sur le débat – trop érudit pour le goût du vieil savant – d’Hypnerotomachia[12]. Pourtant, selon tous les signes, Culianu n’avait pas réussi à mettre dans ces pages-là tout ce qu’il aurait désiré. Le plan initial était, de nouveau, laissé de côté, et le livre grandissait encore un peu, suivant une voie propre. Cette fois-ci, la perspective ouverte par la recherche proposée apparaît à Eliade « non seulement originale, mais également stimulante »[13]. Le 25 avril, Culianu promet, pour le mois de mai, le dernier chapitre et la conclusion de la nouvelle version, agrandie, du livre[14]. Mais Culianu déclare, le 17 mai, avoir massivement complété la bibliographie du volume, et annonce les derniers chapitres pour la fin du juin[15]. Ce n’est que le 6 décembre que transparaît de la correspondance l’idée que l’auteur refait certains chapitres[16]. Le 19 février 1980, Eliade avoue sa joie que le projet ait été repris, signe que les derniers mois – à cause, de nouveau, des fêtes, de la reprise des cours, d’autres sollicitations – il était en attente[17]. Le 5 juillet 1980 un nouvel élan survient : « J’essaierai de finir le plus vite (et bien!) le livre sur la Renaissance, sans plus compter sur de tierces personnes et sur des promesses incertaines »[18]. Un bilan inattendu se produit vers la fin d’août : voilà donc que l’atelier de création du livre met une décennie. Le jeune historien des religions y puisera une étude destinée à une revue de spécialité[19]. En fait, il s’agit de la reprise nécessaire d’une partie du matériau du livre, en vue d’éclaircissements sur la magie[20]. Les mois passent et Eliade conseille à son ami de se concentrer sur son projet[21]. De la lettre d’Eliade du 24 mars 1981, ressort que la réécriture massive du livre ne constitue pas encore trois tiers du tout[22]. Le 12 mai, Eliade sait déjà qu’Eros et magie à la Renaissance a été accepté chez « Flammarion »[23]. Il se prépare à en écrire la préface[24], et le 5 février 1982, après la lecture du livre, il exprime sa joie, convaincu que les derniers chapitres sont encore plus passionnants que le reste[25]. Le 11 février 1982, la préface est finie[26], les choses poursuivent ensuite leur cours à un rythme lent, et c’est seulement le 18 septembre 1984 que Culianu verra la couverture de son futur livre[27]. Le 16 novembre 1984, Eliade peut enfin exclamer : « J’ai reçu, ces derniers jours, deux livres – et je ne peux que crier : Houra ! […] Finalement ! Parfois, je sentais perdre patience (tout comme s’est passé avec Yves Bonnefoy). // Si les éditeurs ont déjà préparé la traduction italienne, prie-les d’envoyer… un exemplaire à… » etc. [28].
Quand Iocari serio s’est-il transformé en Eros et magie à la Renaissance ? Le 6 décembre 1979, Eliade rappelait déjà que : « …tu me disais que tu refaisais certains chapitres »[29]. Décisivement, cela a pu se passer à la fin d’avril et dans la première moitié de mai 1981. Désormais, jusqu’à la fin du mois de janvier 1982, le livre est réécrit d’un bout à l’autre, tel un projet avorté, pour que de son corps se détache la seconde moitié, servant de cadre au réaménagement du projet tout entier. C’est, certainement, le signe que, selon l’auteur, s’y cachait non seulement la difficulté, mais surtout la promesse du plus important et original apport. D’ailleurs Eliade le lui avait dit sans détour et le lui confirmait lors de la lecture finale. La deuxième partie du livre renfermait une vision provocatrice et le texte était ici le plus captivant.
2. Entre l’histoire des religions et l’histoire des idées
Il est probable que le volume dénommé initialement Iocari serio et repensé en tant que Eros et magie à la Renaissance.1484 n’est pas seulement celui à solliciter au plus les énergies créatrices et la capacité d’auto-renouvellement professionnel de Ioan Petru Culianu, mais aussi celui qui lui a exigé de définir plus clairement sa conception d’historien des religions. En écrivant le livre projeté d’une année à l’autre, l’auteur s’est vu contraint par ses propres lectures et méditations à évoluer du positionnement initial vers une autre chose, tout d’abord non préméditée. Ce procès, résultat d’une crise de croissance créatrice, s’est probablement produit, comme on l’a déjà vu, entre la fin du mois d’avril et la moitié du mois de mai 1981.
Pour le spécialiste de l’historiographie, aussi que pour le monographe d’I. P. Culianu, établir nettement la période où cette métanoïa a eu lieu peut avoir une importance considérable. Tout de même, il est possible que les circonstances qui peuvent être reconstituées ne conduisent pas à des révélations. Dans une perspective pareille, beaucoup plus importantes s’avèrent être les idées exprimées par Culianu lui-même. C’est à elles que revient le rôle de renvoyer avec un plus de clarté le changement enregistré au niveau de la conception du penseur. Or, voilà quel est l’état des choses.
Dans Iocari serio, il esquisse un programme complet de l’historien des religions. Un travail diphasique reviendrait à celui-ci, dans le cadre duquel il doit reconstruire l’origine d’un phénomène, son histoire et ses métamorphoses, et élucider ensuite leur signification. Dans cet état des choses, Culianu ressent le besoin de comparer, dans une manière peut-être inattendue, l’expert respectif non avec d’autres types d’historiens – par exemple : l’historien de la culture, de la littérature, même de l’église –, mais avec l’historien de la philosophie. Du point de vue de Culianu, cette proximité est la plus impérieuse, car « l’historien a non seulement le droit, mais aussi le devoir de se poser le problème du sens ». Et c’est justement ce qui l’associe à son collègue préoccupé par l’histoire de la pensée philosophique. Par un réflexe statistique, Culianu observe que « La quantité de données dont l’historien des religions devra s’occuper est … considérablement plus étendue que celle dont va s’occuper l’historien de la philosophie ». En plus : le saut de la condition d’historien de la philosophie à celle de philosophe se fait, pour le jeune auteur, dans des conditions parfaitement quantifiables : « La démarche d’un historien doit nécessairement épuiser le domaine de l’ontique, et l’historien qui ‘ontologise’ les données ontiques de son travail s’attribue le rôle du philosophe. ». Malgré tout, l’auteur observe qu’il y a une différence entre les deux types d’historiens. « … L’historien de la philosophie se distingue de l’historien des religions par le fait qu’il trace une séparation nette entre son domaine, qui est celui de la pensée qu’on appelle traditionnellement « abstraite », et le domaine contigu du ‘religieux’, où une partie importante du même sens assume la forme du mythe et du rituel ». Par conséquent, la seule différence entre les zones investiguées par chacun des deux types de chercheurs dans le domaine du passé, « ne se trouve pas au niveau du sens mais au niveau du langage» [30].
Il est clair à présent qu’Ioan Petru Culianu se voyait dans un rôle dont il pouvait évader sans problème, par une simple commutation d’une zone à l’autre, à l’aide d’un déplacement sur « l’échelle » du langage, et sans péricliter sa compétence ou son prestige. Il s’imaginait dépasser son statut d’historien des religions et entrer facilement dans la peau de l’historien de la philosophie et de là, avec peu d’efforts supplémentaires, dans celle du philosophe.
La façon quasi-mathématique, rigoureuse en tout cas, par laquelle il était possible de tenter ces qui pro quo professionnels, au profit maximum et sans aucune perte, reste remarquable. La comparaison avec la prestation du magicien ou de l’alchimiste semble s’imposer spontanément, sans altérer la valeur des considérations méthodologiques de Culianu. La recette est maintenant à disposition de nous tous, et l’auteur d’Iocari serio n’a pas seulement le mérite de l’avoir énoncée, mais aussi de l’avoir illustrée.
Pour obtenir un succès semblable, des aptitudes et des efforts similaires sont bien sûr nécessaires.. Mais c’est certain que, en lisant comme Culianu, en méditant comme Culianu, en ayant des idées de la consistance et l’envergure des idées professées par Culianu… il est possible de devenir, ou on devient même, une sorte de Culianu. Pas tout à fait lui-même, qui est singulier, bien sûr, mais un individu comparable en envergure et en prestation intellectuelle avec Culianu.
Le programme de l’historien des religions d’Iocari serio, n’a pas seulement l’air jeune, ce sur quoi nous avons insisté jusqu’ici, de « catéchisme » de celui qui désire être un expert dans ce domaine, et, éventuellement, même plus. Mais, ce programme marque un repère dans le développement d’une manière de penser transdisciplinaire, destinée à conduire à la création des liens entre certains des domaines socio-humains. Qu’elle soit une nécessité réelle, une utopie ou un mythe des dernières décennies, la transdisciplinarité, le rapprochement des plaques tectoniques de la connaissance scientifique, peuvent dorénavant reconnaître en Ioan Petru Culianu un de leurs ses apôtres.
Pourtant, avec Eros et magie à la Renaissance. 1484, Culianu émet un nouveau manifeste programmatique. Cette fois-ci, il semble parler de la position de l’historien des idées. Sa vision sur la différence spécifique entre celui-ci et d’autres types d’historiens – surtout ceux mentionnés en Iocari serio – ne ressortit de nulle part. En échange, il y a des précisions méthodologiques significatives concernant la valorisation historiographique de l’authenticité d’un segment étendu de temps. « Originalitatea unei epoci nu se măsoară după conţinuturile sistemelor ei ideologice, ci mai curând … după grila interpretativă pe care o interpune între un conţinut preexistent şi rezultatul său ‘modern’ »[31]. Ce qui compte dans la définition axiologique d’une époque serait donc l’épistémè par laquelle elle codifie l’héritage des époques antérieures et en vertu de laquelle ce qu’elle ajoute en matière de connaissance concrétise un nouvel ensemble de contenus. L’élément central de cette proposition se révèle être, d’une part, la tension entre les contenus des systèmes idéologiques du segment de temps donné et le « filtre herméneutique », la « grille interprétative », le « système interprétatif », d’autre part.
Par l’option en faveur du second terme, de la forme au détriment du fond, Ioan Petru Culianu déplace sa démarche historiographique dans une direction inattendue. Il devient non l’historien des idées, qu’il semblait vouloir être, mais l’historien de la connaissance, de la science ; plutôt épistémologue et philosophe que toute autre chose.
Voilà comment il pense obtenir des bénéfices de cette procédure: « Trecerea unui mesaj prin filtrul hermeneutic al unei epoci produce două efecte de ordin semantic:
primul, vizând organizarea însăşi a structurii culturale a timpului şi situându-se astfel în afara acesteia, se defineşte ca un mecanism complex şi subtil de punere în valoare sau, dimpotrivă, de refulare a anumitor conţinuturi ideologice;
al doilea, care acţionează în interiorul structurii culturale, se defineşte ca o distorsiune sistematică ori chiar ca o inversare semantică a ideilor ce trec prin grila interpretativă a epocii »[32].
Il s’agit par conséquent de deux niveaux qui engagent ensemble la structure culturelle du temps donné. Le premier reste à l’extérieur de celle-ci et se rapporte à son organisation, étant le générateur des grandes options culturelles – soit qu’il s’agit de la valorisation de quelques unes, soit que, à l’encontre, il renvoie à l’occultation d’autres. On pourrait dire qu’il fait la sélection des thèmes et la distribution des accents dominants d’une époque et d’une zone culturelle donnée. Le devoir du chercheur engagé dans ce champ serait donc de comprendre les ressorts qui conditionnent les attractions et les répulsions thématiques[33].
Le second niveau, relevant à l’intérieur-même de la structure culturelle, serait défini par une distorsion systématique des idées passées par la grille interprétative de l’époque. Apparemment difficile à comprendre, l’idée de Culianu devient plus transparente aussitôt qu’on remarque la précision selon laquelle, « filtrul hermeneutic, „voinţa selectivă”, […] este, în acelaşi timp, o voinţă deformatoare »[34]. Ce filtre, par son action sélective, déforme implicitement, parce que ses assimilations ne sont pas intégrales et, j’y ajoute, parce qu’elles supposent une interprétation des faits assimilés par leur replacement dans de relations nouvelles avec elles-mêmes et avec le nouveau contexte.
Avec une nuance d’auto-ironie, Culianu observe que « O ideologie se poate descrie; un sistem interpretativ – … este insesizabil. Prezenţă tacită, dacă nu ocultă, dar şi obiectivă şi inexorabilă, el se arată pe furiş în toată complexitatea sa, ca să se sustragă imediat apoi privirii cercetătorului »[35]. Ce jeu entre l’apparence et ses structures plus difficiles à saisir, qui rappelle le mythe du voile de Mâyâ, créé une sorte d’image platonicienne du jeune savant, ou, en tout cas, d’idéaliste pour lequel les structures discrètes détiennent la primauté non seulement dans l’ordre de l’importance, mais aussi l’inexorabilité et l’objectivité en rapport aux formes concrètes prise par l’idéation au cours du temps.
Par conséquent, l’historien des idées « Ca să poată practica istoria ideilor, … este chemat să vadă nu numai ceea ce se arată prin excelenţă, ideile înseşi, dar chiar ceea ce nu se arată, firele secrete care leagă ideile de voinţa invizibilă a timpului ce le regizează »[36]. C’est un programme idéaliste authentique, auquel Culianu a essayé de faire face au plus haut niveau d’exigence.
3. Décantations
Entre le 6 décembre 1979 et la fin du mois de janvier 1982, le projet initial d’Ioan Petru Culianu est devenu un livre radicalement renouvelé, bien qu’il utilisât plusieurs matériaux de l’ancien chantier. La casuistique restait en grande partie la même – fait prouvé par l’utilisation importante de la seconde partie d’Iocari serio comme mine d’où il récoltait des éléments pour Eros et magie…, mais la vision a acquiert d’autres dimensions. Après avoir commencé comme historien des religions, Culianu avançait vers une intersection qui, bien qu’il l’eût mise sous le signe de l’histoire des idées, semblait être plutôt un nœud savant qui réunissait des démarches de l’épistémologie et de l’histoire de la philosophie, de l’historiographie idéologique et de la sociologie de la connaissance. Il y a d’autres directions associées de recherche à ajouter à cette énumération, comme l’histoire des mentalités et l’anthropologie culturelle.
Par conséquent, au lieu que le procès d’approfondissement de la méditation, en marge de la spécificité de sa démarche, détermine chez Culianu une décantation et une sublimation de la complexité, il conduit au déliement du nœud problématique au bénéfice d’une clarification et d’une simplification salutaire. Il est paradoxal que le résultat ait été plutôt la découverte d’un « nœud de trafic intense », dans un réseau de disciplines scientifiques intersectées. Maintenant, quand nous avons sous les yeux le reste de l’œuvre de l’auteur, il est possible d’observer qu’Ioan Petru Culianu a continué, dans le cadre énorme de sa vision d’insister sur le devoir de l’historien des religions à assumer des types de démarches complémentaires, de passer des articles d’épistémologie aux projets à substance philosophique et de l’historiographie de la culture à l’histoire des idées. Concrètement, ce n’est pas l’originalité de cette manière de comprendre sa propre mission qui est à souligner ici. Elle ne semble être qu’un développement du type de conception que Mircea Eliade même a pratiqué, ce qui lui a permis de totaliser dans la sphère des études de l’histoire des religions des manifestations des plus diverses, des réminiscences spirituelles de l’homme archaïque à cargo cultus, en passant par les grands systèmes religieux, aussi que par le folklore roumain.
Il me paraît plus important que, en alimentant la même manière d’aborder ce domaine, Culianu s’est constitué dans un représentant de la transdisciplinarité – théorisée par un autre roumain, Basarab Nicolescu. Culianu est ainsi devenu un témoin du tournant de la connaissance dans l’étape représentée par la fin du second millénaire et le début du troisième. Par une sorte d’ironie de l’histoire, après la proclamation tumultueuse de la mort de l’encyclopédisme par les des adeptes des ultra-spécialisations et des niches cognitives de mieux en mieux délimitées, un encyclopédisme structural s’affirme impétueusement sur la spirale de l’histoire et en pleine époque de la rigueur et du pragmatisme scientifique.
En francais par Alexandra Stanciu, Andreea Hopartean et Anca Clitan
Notes
[1] Eugen Lozovan, Dacia sacra, ed. a II-a, Bucureşti, Ed. Saeculum I. O., 2005, édition établie par I. Oprişan, trad. par M. Popescu, 256 p.
[2] „Aceste origini multiple fac, de fapt, din creştinismul de la Dunăre o realitate vie, afundată în istorie, mit şi folclor”, p. 36.
[3] Le 18 septembre 1978 : « Nu vă mai povestesc în ce mod, s-ar putea să reuşesc să public în Franţa o carte de popularizare despre filozofia Renaşterii. O scriu în româneşte, ca să meargă mai repede. / Vă trimit primul capitol (celelalte vor fi gata în c.[irca] trei săptămâni şi le veţi primi la Chicago), cu rugămintea să-mi spuneţi dacă vă interesează şi, în acest caz, dacă aţi fi dispus să scrieţi un cuvânt de prezentare, pe care aş ţine foarte mult să-l am pe prima mea carte „originală” […]. V-aş ruga să nu luaţi în considerare lipsa de perfecţiune a bibliografiei ; în Renaştere sunt la mine acasă şi-mi pot permite să citez mai mult sursele. Capitolele ulterioare sunt însă mult mai informate şi sub aspect bibliografic./ V-aş recunoscător dacă n-aţi spune nimănui, nici de carte, nici de rugămintea mea, mai ales nici unui român » (p. 149).
[4] Le 26 septembre 1978 : « În ce priveşte cartea asta despre Renaştere, unicul motiv pentru care aş ţine mult s-o public este ca numele meu să înceapă să fie cunoscut. Iar acest lucru mă interesează numai şi numai fiindcă un om care a publicat o carte, publică mai uşor o a doua, şi mult mai uşor o a noua. După cum veţi vedea, e vorba de „popularizare”, dar de nivel de-ajuns de serios (mult mai serios decât putea să apară din cap. I). Dacă voi avea inspiraţie, cap. III – despre iubire, melanholie etc. la Ficino, va trebui să fie foarte interesant. În ce priveşte capitolul despre Leonardo, acum e f.[oarte] erudit, iar cel despre Bruno este unicul în întregime bun. Aşa cum vă spuneam, cu tot respectul pentru Frances Yates, eu cred că se poate merge mult mai departe în studiul lui Bruno./ Nu sper, repet, ca lucrarea să vă placă în întregime; dar dacă nu vă displace, o să vă rog să-i scrieţi o pagină de introducere. Asta ar însemna pentru mine că recunoaşteţi că aveţi în faţă un om, nu pentru ceea ce a făcut, dar pentru ceea ce speră că va face » (p. 152).
[5] Ioan Petru Culianu, Iocari serio. Ştiinţă şi artă în gândirea Renaşterii [Iocari serio. Science et art dans la pensée de la Renaissance], Iaşi, Ed. Polirom, 2003, pp. 109-159.
[6] Le 1er octombrie 1978 : « Am încheiat adineaori cap. II din jocari serio, şi mă grăbesc să-ţi scriu câteva rânduri. Textul m-a interesat, mi-a plăcut, m-a instruit – şi de-abia aştept să citesc urmarea. Alaltăieri seară am discutat cu V[irgil] Tănase „tactica editorială”. Şi eu, şi el, ne-am gândit la colecţia dirijată de Yves Bonnefoy la Flammarion. Eu îi voi vorbi, înainte de plecare (11 oct.[ombrie]) lui Y. B., spunându-i, între altele, că voi scrie prefaţa („teza” mea: cartea e preţoasă pentru că reintroduce Renaşterea italiană nu numai în contextul şi orizontul helenismului şi hermetismului, dar şi în universul de semnificaţii la care ai acces datorită Istoriei religiilor; după câte ştiu, eşti primul autor înarmat cu aceste instrumente de lucru…). Totuşi, probabil, Y. B. îmi va cere fragmente – sau capitole – din versiunea franceză. Îl voi asigura că le va primi; V. T. Se va ocupa de rest » (p. 155).
[7] Le 19 octobre 1978 : « … Vă scriu ca să mă scuz că va mai dura circa două săptămâni până ce cartea va fi gata. […] … din cele trei capitole prevăzute, doar unul e în întregime gata, unul aproape, iar pentru al treilea (despre Lună în gândirea Renaşterii, introdus ad hoc) mai am de citit o carte (groasă…). […] Sper f.[oarte] mult că al treilea capitol v-a parvenit şi chiar… că v-a plăcut, măcar în parte » (p. 157).
[8] Le 1er novembre 1978 : « Vreau să te asigur: n-am nici o îndoială asupra cărţii; cele trei capitole m-au convins că merită să apară, şi cât mai repede (asta, ca s-o pot utiliza în vol. III, partea a 2-a!) » (p. 161).
[9] Post 22 novembre – ante 9 décembre 1978 : « Îmi pare rău că nu voi putea rupe în întregime tradiţia „bucăţelelor” pe care vi le trimit : n-am prididit să bat la maşină Introducerea şi ultimul capitol al cărţii, de aceea vă trimit numai cap. IV-VI inclusiv. Sper ca măcar cap. V şi VI să vă intereseze, poate în parte să vă şi placă » (p. 165).
[10] Le 18 janvier 1979 : « Am citit cele trei noi capitole, care mi-au plăcut (dar poate nu atât de mult ca textul despre Ficino ; e drept, eu am mare slăbiciune pentru Ficino…). Pasionante mi se par observaţiile despre G. Bruno” (p. 170). Ensuite, après quelques conseils bibliographiques : « Dar când speri să închei volumul? V.[irgil] T.[ănase] mi-a scris că lucrează [la traducere – n. O. P.], şi-i va prezenta în curând o parte din manuscris lui Yves Bonnefoy. Cred că ar fi bine să[-i] prezinte cel puţin trei-patru capitole, dacă nu mai mult. Cartea îşi dezvăluie „intenţiile” după vreo 80-100 pagini. (O observaţie: nu ţi se pare că citezi, i. e. traduci prea mult din unii autori contemporani? E drept, unii din ei – e. g. Agamben – sunt încă necunoscuţi de marele public) » (p. 171). Dans un premier post-scriptum des deux premiers qui accompagnent l’épître, Eliade ajoute : « Pentru redactarea Prefeţei, aş avea nevoie şi de ch.[apitres/ capitolele] I-II, pe care le-am lăsat la Paris. Îmi poţi trimite, mai târziu, un exemplar, poate chiar în traducerea lui V. T.? » (p. 172).
[11] Le 14 février 1979: « Îţi scriu mai ales ca să te îndemn să nu întrerupi redactarea cărţii despre Renaştere. Cu orice preţ, trebuie s-o publici (dacă nu la Flammarion, la Payot). Revizia anumitor pasagii şi completările bibliografice etc. – le vei face mai târziu. (Mai precis, după ce vei încheia lucrarea). De ce Thanase traduce atât de încet? » (p. 173).
[12] Le 8 mars 1979: « Mi-a plăcut mult Prefaţa la carte şi ideea ultimului capitol: păcat, însă, că, aici, „încarci” textul cu (mi se pare mie prea lungi şi „grele” blocuri din Hypnerotomachia. Am impresia că erai grăbit, ori „exasperat”, şi voiai să „scapi” de carte cât mai repede (cam asta se întâmpla cu multe cărţi ale lui Iorga…). Concluziile la care ajungi sunt prea importante ca să rişti „detaşarea” cititorului după o pagină, două [de] citate in extenso ; de ce nu încerci o versiune mai dramatică, rezumând, apoi citând câteva fraze, sau expresii etc., apoi un nou raccourci ? E adevărat, Hypn.[erotomachia] este un text foarte puţin cunoscut şi greu de înţeles. Dar prea lungile citate obosesc, tocmai în momentul când cititorul trebuie să fie „pasionat” de ce te pregăteşti să-i spui… Dacă n-ai chef acum, poţi reface cele şase pagini mai târziu. Important e că ai încheiat cartea şi că[-i] poate fi prezentată lui Yves B.[onnefoy] » (p. 175). Dans le post-scriptum bibliographique – écrit, d’ailleurs, antérieurement à la lettre proprement dite – Eliade répète : « Deşi e f.[oarte] important, mi se pare că citezi prea mult, in extenso, Hypnerotomachia. Nu crezi că ar trebui rezumat, şi reproduse numai pasagiile esenţiale? Traducerea franceză pe care o utilizezi e obositoare (şi nu numai prin grafie!). Etc. » (p. 176).
[13] Le 21 mars 1979 : « 3. Sunt încântat să aflu că ce-am citit nu este ultimul capitol. / 4. Meţin observaţia că abuzezi de citate lungi ; mă bucur că le vei reduce. » (p. 178) Plus loin, Eliade tranquillise l’auteur obssédé par les complétions bibliographiques, en ajoutant : « 6. […] Nu asta e important – ci perspectiva în care situezi „Renaşterea”, şi car mi se pare nu numai originală, ci şi stimulantă. / 7. Dar … eu tot cred că e bine să pregăteşti cartea pentru tipar ; adică, să[-l] presezi pe V.[irgil] T.[ănase] – sau pe oricare altul vei găsi – să traducă cele şase-şapte capitole deja redactate. Astfel că, atunci când vei încheia ultimul capitol şi Concluziile, versiunea franceză să fie aproape gata. Dacă Y.[ves] B.[onnefoy] nu e dispus s-o publice, voi încerca la Payot » (p. 178).
[14] Le 25 avril 1979: « Cartea (Renaşterea): cu chiu cu vai, un capitol a fost tradus. I-a fost înmânat lui Bonnefoy abia ieri (24 aprilie), fiindcă Y. B. a fost trei săptămâni în USA. A încercat să vă găsească, dar n-a reuşit. Y. B. n-a putut lua deci, încă, nici o hotărâre » (p. 180). Culianu précise : « În sfârşit, sper că până la venirea Dvs. la Paris, sau imediat după, veţi primi ultimul capitol şi încheierea ».
[15] Le 17 mai 1979 : « Am completat ff. mult din bibliografia cărţii despre Renaştere. Din păcate însă, situaţia a rămas blocată aşa cum o ştiaţi din ultima scrisoare. Numai prezenţa Dvs. o va putea „dezlega”. Până la sfârşit de iunie voi încheia şi ultimele capitole » (p. 189).
[16] Le 6 décembre 1979 : « Nici o veste de la Bonnefoy. V.[irgil] Tănase îmi scrie că Y. B. se află încă în SUA. Probabil că traducerea stă pe loc; dar îmi spuneai că refaci unele capitole » (p. 203).
[17] Le 19 février 1980 : « Mă bucur că ai reluat cartea despre Renaştere (de la Bonnefoy, nici o veste – dar nu suntem grăbiţi…) »(p. 207).
[19] Le 29 août 1980 : « Mă uit de pildă la cartea despre Renaştere: vreo mie de pagini scrise, vreme de zece ani, din care a fost publicat până acum doar un articol de cinci pagini. E drept, multe erau producţii grăbite, altele necorespunzătoare cu ansamblul, totuşi eu acuz, pentru proasta difuzare a producţiilor mele, şi o mare doză de lipsă de noroc » (p. 216). C’est toujours maintenant que Culianu revient : « În ce priveşte cartea despre Renaştere, săptămâna viitoare voi extrage din ea un foarte lung articol pentru o revistă italiană […]. Sper apoi s-o termin în câteva luni şi să v-o trimit la Chicago » (p. 217).
[20] Le 25 septembre 1980 : « Am terminat un articol lung (50 p.) în care-mi clarific singur nişte probleme legate de magia Renaşterii. Este un preliminar la carte, de care mă voi apuca de îndată ce o termin pe cea de faţă » (p. 220).
[21] Le 2 octobre 1980 : « Cariera: concentrează-te asupra celor două cărţi: Brill şi Renaşterea…” (p. 223) ; le 14 novembre 1980 : « Mă întreb de ce Verm[aseren] ţine morţiş să traduci cartea în englezeşte. Cei care o înţeleg, o pot citi şi în fraţuzeşte. Ca să se mai piardă timp, să mai treacă încă un an, poate doi, poate trei? Ai atâtea cărţi gata – în sertare! » (p. 225).
[22] Le 24 mars 1981 : « În privinţa vol. Renaşterea, îndată ce va fi pe ¾ gata, îl duc la Payot (început de Iunie). Evident, după ce voi scrie – pentru ultima oară – lui Y. B. dacă îl interesează. Un singur lucru contează: să pui la punct cât mai repede primele patru-cinci capitole ».
[23] Le 12 mai 1981 : « Mă bucur că Flammarion a acceptat cartea. (V.[irgil] T.[ănase] e un om curios…). Te sfătuiesc să nu-ţi retragi manuscrisul, decât dacă termenul de publicare e prea îndepărtat. Eu sunt sigur că Payot îţi ia cartea, dar pentru că ai aşteptat atâta la Flammarion, să nu riscăm o altă perioadă de aşteptare la Payot » (p. 228).
[24] Le 3 décembre 1981 : « Îi voi scrie [lui Payot] după primirea ultimelor capitole din Eros, însoţind scrisoarea cu Prefaţa » (p. 230). Le 26 janvier 1982 : « … am primit manuscrisul şi voi scrie Prefaţa îndată ce voi reciti câteva capitole. Alătur scrisoarea (neaşteptată!) de la Gallimard » (p. 231).
[25] Le 5 février 1982 : « Aseară am terminat de citit Eros & Magie; ultimele capitole sunt încă şi mai pasionante! Ajungi la rezultate senzaţionale!… Voi scrie Prefaţa zilele acestea, şi ţi-o trimit direct (2 copii). Te previn că va fi sub-mediocră, dar n-are nici o importanţă. Cartea trebuie să apară, cât mai curând » (p. 232).
[26] Le 11 février 1982 : « Iată cele două Prefeţe. Amândouă sunt proaste – dar sper să-şi înplinească rolul lor „magic”, şi să grăbească publicarea cărţilor » (p. 233).
[27] Le 18 septembre 1984 : P. S. « Am primit acum tocmai o scrisoare de la Flammarion (cu coperta cărţii Eros et Magie, de-ajuns de frumoasă), în care mă anunţă că prezentarea va avea loc abia pe 7 noiembrie ! ».
[30] « Sarcina unui istoric al religiilor dinaintea aceloraşi materiale se articulează în două faze distincte ce-ar putea fi numite faza istorico-genetică şi faza hermeneutică. Cea dintâi are drept scop să reconstituie originea unui fenomen, istoria şi metamorfozele sale, în timp ce a doua îşi propune, măcar în principiu, să lumineze înţelesul acelei întregi serii istorice reconstituite în prima fază a acestui unic demers. Cantitatea de date de care va trebui să se ocupe istoricul religiilor este deci considerabil mai întinsă decât aceea de care se va ocupa istoricul filosofiei, în vreme ce sarcinile lor respective sunt deosebite, deoarece răspund unor interogaţii deosebite şi-şi propun să dezvăluie nişte zone de semnificaţie ce nu se suprapun decât parţial. În sfârşit, domeniul filosofului abia începe acolo unde cel al istoricilor încetează. Căci problema unui istoric este de a răspunde întrebării de ce ceea ce este aşa, este aşa?, în timp ce întrebarea fundamentală a filosofului este: de ce ceea ce este, este? Demersul unui istoric trebuie să epuizeze în mod necesar domeniul onticului, iar istoricul care „ontologizează” datele ontice ale lucrului său îşi atribuie rolul filosofului.
Dimpotrivă, istoricul are nu numai dreptul, ci şi datoria de a-şi pune problema sensului. Nu putem decât regreta că i se întâmplă prea adeseori să şovăie în faţa acestei sarcini, s-o escamoteze, să încerce s-o evite cu orice preţ, sub pretext că nu e vorba de un demers „ştiinţific”.
În sfârşit, istoricul filosofiei se deosebeşte de istoricul religiilor prin aceea că trasează o separaţie netă între domeniul său, care este acela al gândirii zise prin tradiţie „abstractă”, şi domeniul contiguu al „religiosului”, în care o bună parte a aceluiaşi sens asumă forma mitului şi a ritualului. Pentru istoricul religiilor, o astfel de separaţie arbitrară n-ar putea, în principiu, să existe. Căci singura diferenţă dintre cele două zone cu grijă deosebite de către istoricul filosofiei nu se află la nivelul sensului, ci la nivelul limbajului. De câte ori oare demersul unui filosof, teribil de pretenţios în privinţa limbajului, nu este depăşit, în ce priveşte sensul, de un mit primitiv? Şi de câte ori încă, precum în cazul lui Nietzsche şi al lui Heidegger, gândirea celor mai mari filosofi moderni nu descoperă ea oare, ajunsă în pragul neantului, că un mit de o incomparabilă profunzime vizitase deja, înaintea lor, aceste locuri pustii din apropierea barierei de netrecut? » (Iocari serio. Ştiinţă şi artă în gândirea Renaşterii, Iaşi, Ed. Polirom, 2003, pp. 12-13)