Laurenţiu Malomfălean
Babeş-Bolyai University, Cluj-Napoca, Romania
laurentiu.malomfalean@ubbcluj.ro
Les machines à rêver dans le cinéma hypermoderne
Dream-machines in Hypermodern Cinema
Abstract: The major intent of this article is to raise – if one is not able of giving an appropriate answer – one particular question: is a world where dreams are controllable a utopia or a dystopia? Since the 1970s, from less successful American sci-fi thrillers and horror movies to some iconic outputs (like Brazil, The City of Lost Children, Paprika, Inception), hypercinema has engendered many productions focusing on various hyper realistic whimsical machines of recording, erasing and even implanting dreams from human brains or minds. Thus, in the first part of my paper I review a series of movies that are simply featuring these devices made possible by mad scientists, while the remaining two sections are going to examine more in detail other films where dreams act either like utopian portals, or as an exit from a dystopia. Of course, if necessary, the synthetic approach will summon up network of comparisons.
Keywords: Dream-machine; Dystopia; Film; Hypercinema; Nightmare; Utopia; Oneirotopia.
Pour emprunter la terminologie hyper de Gilles Lipovetsky, toutes les productions cinématographiques analysées dans cet article appartiennent à l’hyper-cinéma[1] le plus récent, vu comme une nouvelle forme de transcendance, hypermoderne et hyper-décadente. Même si, lorsqu’on compare l’usage des rêves dans ces films avec les théories scientifiques sur le sujet, on trouve assez peu de ressemblances, le recours aux décors oniriques est fait premièrement pour des raisons artistiques[2], avec des intrigues déclenchées toujours par quelque chose qui ne marche pas comme il le faudrait. Dans ce qui suit, je vais présenter quelques films qui ne sont point intéressés d’être tout à fait réalistes en ce qui concerne les détails techniques, mais pour lesquels cet enjeu met en scène le rêve plutôt comme un prétexte d’envisager des mondes alternatifs.
1. Des dis-positifs à rêver
Brainstorm[3] (réalisé par Douglas Trumbull, sorti en 1983). Une équipe de scientifiques invente ce qu’on appelle une interface ordinateur-cerveau, qui permet d’enregistrer les sensations, les fantaisies et même les rêves d’une personne et puis de les convertir afin que d’autres puissent les expérimenter à leur tour. Poursuivant ce principe de copy-paste à playback, l’appareil peut simuler – donc hyper-réaliser – des émotions, des souvenirs mémoires et même une crise cardiaque. Même si l’infrastructure de ce mécanisme est ensuite rattachée au projet Brainstorm, que le gouvernement veut exploiter pour des buts militaires, le protagoniste achèvera l’inachevable quand il vivra les derniers instants de sa collègue décédée (pendant qu’elle était connectée au dispositif), en lui visualisant à nouveau les bulles de mémoire qui l’avaient bien sûr accompagnée dans une expérience de mort imminente. De plus, on peut pénétrer même dans l’espace éternel d’après la vie, à travers une telle vision de l’enfer, un vol des anges dans le cosmos ou des âmes perdues dans la lumière.
Dreamscape (réalisé par Joseph Ruben, sorti en 1984). Lorsqu’un médecin enseigne à un jeune voyant le moyen d’entrer dans les rêves des autres afin de guérir leurs cauchemars, il y a quelqu’un qui veut utiliser la technique pour des raisons maléfiques. Le professeur Novotny (Max von Sydow) a développé au cours des années cette méthode qui permet à certains individus de se lier volontairement avec les esprits des autres en se projetant eux-mêmes dans l’inconscient pendant le sommeil paradoxal (ou REM sleep), afin d’observer les rêves et, si nécessaire, les modifier. Les deux personnes apparaissent toujours avec des fils autour de la tête, la machine rendant possible l’interconnexion. De là, on a observé que le laboratoire hypnique dans le film évoquait des laboratoires qui fonctionnaient bien effectivement à cette époque-là ; le générique du final inclut également un conseiller médical. Dreamscape est ainsi l’une des œuvres cinématographiques les plus scientifiquement précises à avoir affaire à des rêves.[4]
Dream Lover (réalisé par Alan J. Pakula, sorti en 1986). Une femme souffrant d’un cauchemar récurrent post-traumatique de viol arrive au laboratoire du sommeil où elle va apprendre comment altérer le contenu de son rêve (tout en étant connectée à un dispositif) et même se réveiller à son gré. La production prend par la suite une tournure de science-fiction lorsqu’on introduit des mécanismes à contrôler la paralysie hypnique.
Jusqu’au bout du monde (Until the End of the World, réalisé par Wim Wenders, sorti en 1991) est un presque interminable road movie à la fin duquel nous admirons l’Australie. Ancré dans une année 1999 futuriste, le film fait figurer un homme qui voyage dans le monde entier en prenant des photos et des vidéos avec une caméra spéciale. Quand il atteint les Antipodes, on apprend que tout cela était préparé pour que sa mère aveugle puisse les voir. Dans une caverne, le père du protagoniste (on retrouve de nouveau le versatile von Sydow) dirige un établissement de recherche où il expérimente sur son dispositif capable de translater des impulsions cérébrales dans un cerveau différent ; les enregistrements réalisés par le fils seront regardées par celui-ci, de sorte que les ondes électriques résultées puissent être ensuite transférées dans le cerveau de la femme, qui arrive ainsi à discerner les images. Après la mort de celle-ci, on souhaite plus, et le savant découvrira le moyen d’utiliser l’appareil pour visualiser les rêves dans l’état de veille. Le processus est renversé : si les vidéos prises avec la caméra étaient transformées en information cérébrale, désormais la transposition agence les signaux du cerveau rêvant sous la forme des images.[5] Le résultat fait d’un chaos de données une symphonie de couleurs. Mais visionner de façon répétée les rêves des autres – sur quelques dispositifs qui font penser aux tablettes contemporaines où l’on verrait des courts métrages effacés – finit par créer de la dépendance : le fils et sa copine seront à peine arrêtés de regarder leur propres rêves, comme s’ils les avaient lus dans leurs journaux ayant cette seule fonction.
The Clocks Were Striking 13 (réalisé par Virginia Robertson, sorti en 1993) emprunte comme titre quelques mots de l’incipit de la dystopie orwellienne 1984. Il s’agit d’un court métrage dont l’action décrit The Dream Institute of Technology. Les visiteurs sont accueillis par une statue de marbre à l’instar du dieu Hypnos, qui semble être aussi une sorte de Cerbère à la porte d’une bibliothèque pleine de volumes reliés en cuir et traitant du sujet des rêves. Puisque les scientifiques ne peuvent être que des méchants, dans la cave placée en bas, un laboratoire du sommeil (dont l’aspect rappelle une baraque miteuse) contient des rangées de dormeurs, avec leurs EEG accrochées à un moniteur qui affiche les rêves en cours.[6]
La Cité des enfants perdus (réalisé par Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet, sorti en 1995), nous propose à son tour un film de science-fiction consacré au sommeil rêvant. On est dans une société steampunk et surréaliste bien dystopique et, de plus, captive d’une époque indéterminée. Le vilain scientifique Cyclope, dont il ne reste qu’un cerveau dans une cuve, connecté à tel œil géant, prend soin de ses clones humains ratés, qui ont chacun des problèmes concernant le processus onirique. Si les petits six premiers souffrent de la narcolepsie, en tombant d’un coup dans le rêve, le septième clone s’avère même plus dysfonctionnel. En fait, le défaut de Krank est de ne pas avoir du sommeil paradoxal, donc des rêves. Aussi vieillit-il trop rapidement[7] et fait enlever des enfants pour les raccorder à son EEG qui est censé de le nourrir avec les rêves – par cela – volés. Il espère ainsi de ralentir les années, la vie, la mort. Malheureusement pour ce personnage assez grotesque, il s’agit toujours de cauchemars, puisqu’il fait peur.
Ouvre les yeux (Abre los ojos, réalisé par Alejandro Amenábar et sorti en 1997) est un film espagnol qui s’impose d’imaginer la compagnie utopique « Life Extension », spécialisée en suspension cryogénique: on fait geler des humains ayant des maladies incurables juste après l’instant de la mort, jusqu’à ce qu’un traitement devienne disponible dans le futur, quand ils seront d’une certaine façon ressuscités. Les personnes qui choisissent le procédé arrivent à garder leur cerveau actif en étant placés dans un état de rêve lucide – assez peu expliqué, même si le déroulement du film reste tout à fait brillant. On rappelle également le remake américain Vanilla Sky (réalisé par Cameron Crowe, sorti en 2001), plus connu mais moins substantiel.
Quant aux films toujours en quelque sorte oniriques de Michel Gondry, j’évoquerai au préalable la machinerie présente dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind (sorti en 2004). Comme scénario du fantaisiste Charlie Kaufman, telle société « Lacuna Inc. » a inventé une méthode pour effacer tous les souvenirs des couples séparés, c’est-à-dire de faire évanouir à chacun son compagnon. La procédure se passe à travers une nuit de sommeil pendant laquelle on provoque un état d’amnésie grâce à une carte cérébrale de la présence de l’autre dans la mémoire. On devra par conséquent éradiquer le noyau émotionnel de chaque souvenir d’autrui, afin de les faire entrer dans un processus de dégradation. Au réveil, ils seront disparus à l’instar d’un mauvais rêve. À l’aide d’une simple requête Delete sur l’ordinateur en charge.[8] L’analogie rêves-souvenirs fonctionne lorsque ces derniers (qu’on visualise toujours dans le film) sont déroulés à l’inverse, et plutôt quand le protagoniste (Jim Carrey), en quittant lucidement la carte, arrive au territoire mental de l’enfance, d’où les scientifiques ne pourront que très difficilement le chasser vu le fait qu’il développe une espèce de résistance à l’intervention.
Dans La science des rêves (sorti en 2006) Gondry nous fabrique des rêves en carton qui s’efforcent à l’encontre des personnages de papier « postmodernes » ou textualistes. Mais la confusion rêve-réalité, on dirait hypermoderne, est réalisée par le biais des machines à imprimer, à écrire ou bien à explorer le temps d’une manière enfantine. Cette production française ne consacre au rêve que son début. On regarde (avec un Stéphane rêvant, bien compris) au « Stéphane TV ». Le nouvel épisode de « Télévision Éducative » nous montre comment les rêves sont préparés. Il s’agit d’une combinaison très délicate d’ingrédients assez complexes : d’abord on met des pensées aléatoires, puis on y ajoute quelques vagues souvenirs de la journée, mélangés à d’autres venant du passé, tels que des mélodies écoutées pendant la soirée, des choses vues, des questions personnelles. En bref, Michel Gondry fait que son personnage propose la métaphore classique d’une recette culinaire… tout en versant les condiments dans un pot de spaghetti. Cela provoque un rêve qui va se dérouler sur un écran géant derrière son dos, où il finit par entrer.
Paprika (パプリカ / Papurika, réalisé par Satoshi Kon, sorti en 2006) est un long métrage d’animation japonais d’après le roman homonyme de Yasutaka Tsutsui. Le caractère qui donne le titre du film est en fait l’alter ego de la doctoresse Atsuko Chiba. Elle se retrouve maintes fois dans l’imaginaire de son collègue, le docteur Konokawa, à l’aide de la soi-disant DC mini. Ce dispositif assez mignon est une clef (au sens propre et figuré) attaché derrière la tête du dormeur, qui permet de regarder ses rêves à l’ordinateur, de les analyser, d’en modifier le contenu, donc de les rendre lucides / volontaires / contrôlables, puis collectifs / communs / partagés, et même de les implanter dans un cerveau différent, sinon de les pénétrer. Quand l’un de ces mécanismes est volé, on arrive à passer de la réalité au rêve déjà de l’état vigile, avec des gardiens oniriques et des technologies tout à fait artificielles, de sorte qu’au final du film les rêves s’enchevêtrent dans le monde « réel ».
Enfin, la production la plus connue de la cinématographie récente utilisant le rêve comme un véritable moteur de l’intrigue est, certes, Inception (réalisé par Christopher Nolan, sorti en 2010). Une équipe des voleurs peuvent entrer dans les rêves d’autres personnes via des perfusions de médicaments faits par leur Chimiste. Il y a aussi une serviette avec un dispositif miraculeux, même si le scénariste ne fait point attention aux détails techniques. Le groupe exploite l’espionnage industriel afin d’extraire des secrets commerciaux ou pour l’inception : planter une idée que la victime pensera être sienne. C’est bien le mécanisme onirophore qui est en jeu, car on ne se souvient jamais du début d’un rêve – qu’on se rappelle toujours da fine al capo[9] , et de façon combien fragmentaire. Cependant, l’idée génératrice est implantée dans tel cerveau pendant le déroulement profond d’un rêve dans un rêve dans un rêve, où le temps s’écoule beaucoup plus lentement. Aux trois niveaux de réalité onirique engendrés par le film (les rêves du fourgon, de l’hôtel et du fort de neige, faits chacun par une autre personne, qui se trouve dans l’avion ou bien dans le rêve antérieur), on ajoute l’inattendu limbo, qui n’est rêvé par personne puisqu’il s’agit d’un espace de conscience partagée. On voit cette dystopie étagée de manière pluridimensionnelle, au fur et à mesure que l’Architecte ayant pour nom le mythique appellatif d’Ariadne élabore des labyrinthes assez bien définis ou des paysages conformes aux lois de la physique (tandis que les choses vont bien) ; et cela est fait de son propre désir (si nous aimons Freud), sinon de sa propre volonté de rêveuse lucide. En tout cas, nous n’avons rien expliqué de ce côté-là. On doit mentionner la présence des plans et des principes graphiques d’Escher, qui est une fort source d’inspiration pour l’escalier paradoxal sans fin, pour les miroirs juxtaposés face à face et la réflexion portée à l’infini (dans une séquence de probe qui se passe dans la cité lumière), ensuite pour les rues superposées ou d’autres images mouvantes qui trompent notre œil.[10]
2. Le rêve comme entrée dans l’utopie
Les trois films suivants sont censés expliciter un fait évident : chacun de nos rêves individuels est en effet un espace-temps utopique. Mais quand le rêve cesse d’être subjectif, en devenant par cela collectif, tous les mondes rêvés achèveront par être de pures dystopies. Et alors on ne peut parler que d’un cauchemar bien partagé. Dans le rêve, plus que nulle part ailleurs, l’enfer c’est les autres.
Qui veut tuer Jessie ? (Kdo chce zabít Jessii ? – réalisée par Václav Vorlíček, sorti en 1966) est une comédie tchécoslovaque. La professeure Beránková invente un sérum capable de transformer n’importe quel cauchemar dans un rêve agréable. Quand elle donne sa première démonstration sur une vache, on arrive à découvrir un effet secondaire grave: quelques-uns des mauvais morceaux oniriques originaux se manifestent dans le monde réel. Au cours d’une conférence avec des rêves transmis en direct sur un écran de télévision, les participants voient disparaître un taon du rêve de la vache, mais celui-ci réapparaît puis même dans la salle en effrayant l’auditoire. L’inventrice n’apprend rien de cette expérience et continue de se faire pénétrer dans les rêves des autres. La nuit, son époux Jindřich fait un rêve au terme duquel des personnages de bande dessinée lui apparaissent en pleine vue. Beránková essaie alors entièrement à son insu de le débarrasser de ce cauchemar. Mais dans la matinée on voit matérialisés dans l’appartement les dits-caractères, parmi lesquels on compte Jessie, Superman et le Flingueur. Et puis l’intrigue peut devenir folle, en s’achevant sur le procès de Beránek pour avoir introduit dans le monde réel des êtres invraisemblables.
Ensuite, je vais résumer les deux adaptations TV connus par le roman L’Autre Côté du rêve (The Lathe of Heaven) qu’Ursula K. Le Guin publie en 1971: la première, sous la direction de David Loxton and Fred Barzyk, sera lancée en 1980, tandis que la deuxième, sous forme de remake, est réalisée par Philip Haas en 2002.
C’est bien la dernière année mentionnée qui est d’ailleurs choisie pour ancrer les événements se déroulant dans le livre. Nous nous trouvons à Portland (Oregon, E.U.A), dans un futur proche où le protagoniste George Orr rend une visite à l’onirologue Bill (dans le premier film) / Walter (dans le deuxième) / William (dans le roman) Haber, puisqu’il ne veut plus rêver ses cauchemars qui changent la réalité. Soyons plus exacts, il s’agit en effet de « rêves effectifs », et non pas prémonitoires, qui arrivent à se dérouler par on ne sait quel subterfuge assez miraculeux – et jamais expliqué – de façon concomitante dans les endroits réels correspondants, ce qui fait que seul le rêveur ait conscience de l’état de choses antérieure.
Le médecin possède une espèce de machine appelée « L’Augmentor », par l’intermédiaire unique de laquelle George est fait passer rapidement à travers toutes les phases du sommeil jusqu’à celle nommée REM ; une fois arrivé là-bas, il y sera tout de suite bloqué. Pour voir comment il travaille son cerveau, Haber lui provoque / suggère / induit certains rêves à l’instar de la hypnose. On croyait ainsi améliorer une activité onirique tout à fait inhérente.
Mais le résultat qu’on apprend à forger avec cette cure est seulement utilitaire. Puisque le rêveur effectif ne fait que produire plusieurs mondes alternatifs, des utopies l’une après l’autre, où le monde réel survient corrigé, devenant utopique par force à la fois dans le rêve et dans la réalité. On arrête ainsi les interminables pluies acides, le beau soleil remplaçant le smog, on éradique les problèmes écologiques, la famine, le cancer, les inégalités socio-économiques, on réussit à équilibrer la vie urbaine, suivant le dicton utilitariste « Le plus grand bonheur pour le plus grand nombre ». Tout va bien jusqu’à ce que le patient soit mis à rêver L’Institut onirologique William F. Haber.
Le psychiatre se sert de ces rêves pour changer la Terre à son image et à sa ressemblance. Quoiqu’il comprenne les capacités d’Orr, la série des alternatives s’avère bientôt n’être qu’autant de scénarios SF dystopiques. Les mondes rêvés ont chacun au moins un désagrément: dans un monde sans racisme, la peau devient grise; on résout la question démographique grâce à un fléau qui anéantit trois quarts de la population du Globe; la paix terrestre est acquise au prix de l’invasion de la Lune (devenue entre temps une colonie humaine) par des extraterrestres, les nations s’alliant contre cette menace. Quand les envahisseurs débarquent sur notre planète, ils se comportent de manière paisible, non agressive, mais finalement la Montagne Hood est bombardée, le volcan réveillé et son explosion assurée.
Les choses échappent à tout contrôle dès qu’Haber devient le dirigeant mondial. Mais lorsqu’il veut se provoquer lui-même des rêves effectifs, son patient détruit l’Augmentor pendant ce processus, de sorte que le thérapeute perdra ensuite le raisonnement psychique. En outre, d’un acte de volonté pure, George rêve d’avoir perdu son pouvoir utopique. Et c’est ainsi que la boucle se referme. On apprend qu’en avril 1998, Orr avait survécu à une catastrophe nucléaire en rêvant de façon bien effective un monde nouveau. Par un artifice deus ex machina, des fragments de toutes les réalités rêvées s’unissent et récréent la réalité originaire.
La deuxième adaptation du livre se passe dans l’ère pharmaceutique, avec la rationalisation des aliments sur le marché noir et beaucoup d’autres ajustements qui changeront l’existence de mal en pis. À la fois, comme dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, George Orr et sa compagne sont obligés de partir vers un endroit – souterrain, cette fois-ci – où ils seraient introuvables pour l’onirologue fou. Le film s’éloigne souvent du roman signé par Le Guin.
3. Le rêve comme sortie de la dystopie
Brazil (réalisé par Terry Gilliam et sorti en 1985 d’après un scénario du même, écrit avec Tom Stoppard et Charles McKeown) est un film d’anticipation où les rêves – bien qu’il puisse s’agir en fait seulement d’une rêverie récurrente – fonctionnent comme une forte échappatoire. On parle donc d’une soupape onirique.
Le protagoniste arrive à sortir de la dystopie toujours collective par tel rêve compensateur, en pouvant faire disparaître pendant quelques instants une société d’hyperconsommation trop confiante dans ses machines fantaisistes et capricieuses, qui sont au commandement d’un tout aussi bizarre ou critiquable Ministère de l’Information. Durant sa vie de veille, Sam Lowry est en revanche un fonctionnaire capable de bien se complaire dans un monde futuriste assez totalitaire. Toutefois, il y a chaque jour des erreurs administratives et il essaye de réparer les petites et grandes injustices, donc il s’oppose en dissident contre le système.
Puis, l’apparition de la femme de ses rêves lui complique davantage l’existence. À travers les séquences d’effet composées par le réalisateur, il y a celle du rêve de vol parmi les nuages, désirée pour que le personnage puisse y rattraper sa figure bien-aimée. La scène « des monolithes » comporte d’immenses colonnes de briques surgissant du sol et bloquant le voleur. À propos de cela, Terry Gilliam peut commenter aisément : « Quelqu’un a dit que les rêves sont sexuels. Lorsque les monolithes sortent de terre, ce sont d’immenses érections qui lui bloquent la vue »[11]. En effet, rajoute ensuite le metteur en rêve, dans la séquence qui avait été initialement prévue, on voyait Sam transporter l’emprisonnée Jill vers une étendue campagnarde sans fin, tout en survolant ni plus ni moins qu’un océan de globes oculaires les fixant avec intensité ; la femme aurait fini par être aspirée dans l’eau des yeux grand ouverts.
Mais les éléments de la dystopie sont bien assumés dans ce cauchemar, à côté de l’anima délivrée finalement par le héros-ego. Les enfants de Buttle – tué par une erreur bureaucratique tout comme dans Le Procès de Kafka – deviennent des pièces de puzzle cauchemardesques, le travail onirique les transformant bientôt en bêtes. Monsieur Helpmann joue le rôle du vieux sage jungien, déguisé en Père Noël. Ensuite, l’imago maternel du personnage principal est trop présent, responsable peut-être d’une certaine dévirilisation : au cours du rêve Sam Lowry est musculeux, alors qu’il ne l’est point à son réveil. Malheureusement, le final nous propose une victime. On/il ne fait plus la différence. Le retour à la réalité la plus réelle ou naturelle s’avère atroce. À l’intérieur d’un gros bâtiment steampunk, le protagoniste est lobotomisé.
Pour conclure mes lectures immanentes et les vues suscitées, je dois préciser que je ne me suis pas intéressé dans cette synthèse à des films ayant comme sujet de prédilection l’existence virtuelle générée par l’ordinateur (Matrix, Passé virtuel (The Thirteenth Floor), eXistenZ, ou The Cell), puisque même si les comparaisons rêveuses sont à la portée de chacun, ils n’ont affaire à l’onirique que de manière tangentielle. De plus, on parle d’analogies pour la plupart négatives (le rêve en tant qu’illusion, occultation de la vérité etc.).
Dans tous les cas cependant mentionnés au cours de l’article, on voit très bien la façon dont le mouvement hypermoderne de la rationalisation des rêves agit, visant à contrôler – autant que possible – l’incontrôlable. Quand les aventures nocturnes peuvent être fabriquées avec telle machinerie et tel dispositif, on se trouve aux antipodes absolus de l’appareil psychique.
Ensuite, lorsque j’envisage le rêve à l’instar d’une entrée dans l’utopie (donc un produit machinal / mécanique) ou bien comme une sortie de la dystopie (l’homme-dit machine), l’enjeu théorique de mon étude reste le même : chacun des mondes cinématographiques analysés mérite l’appellatif d’onirotopie filmique.
Bibliographie
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Borhină, Sorana, « Sayonara, Satoshi Kon ! », Film Menu, n° 7, octobre 2010, p. 19.
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Gilliam, Terry : entretien réalisé par Alain Garel et François Guérif, La Revue du cinéma, n° 403, mars 85, p. 82-89.
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Stephan, I., « Introduction. Literature – Dream – Film (Dreams and its effects) », Zeitschrift für Germanistik, Vol. 18, No. 1, Bern, Peter Lang, 2008, p. 7-10.
Notes
[1]Voir Gilles Lipovetsky & Jean Serroy, L’Écran global : culture-médias et cinéma à l’âge hypermoderne, Éditions du Seuil, Paris, 2011 – principalement la première partie, « Logiques de l’hypercinéma ».
[2]Cf. Leslie Halpern, Dreams on film. The cinematic struggle between art and science, foreword by Robert Smither, Jefferson, North Carolina, McFarland & Co., 2003, passim.
[5]Pour une situation assez similaire, voir Shinji Nishimoto [et al.], « Reconstructing Visual Experiences from Brain Activity Evoked by Natural Movies », in Current Biology, Vol. 21, No. 19, 22 September 2011, pp. 1641-6 que j’évoque aussi dans mon article « Science Fiction, Fantasy and Oneiro-Fantastic in Haruki Murakami’s Hard-Boiled Wonderland and the End of the World », in Caietele Echinox, N° 26, 2014, p. 156.
[6]Deirdre Barrett, « Index of films and documentaries », reviews, International Association for the Study of Dreams, http://www.asdreams.org/videofil.htm.
[8]On peut envisager des comparaisons pertinentes avec d’autres pellicules ayant affaire à la mémoire effacée ou contrefaite, comme Total Recall (1990, remake 2012) et Un crime dans la tête (The Manchurian candidate, 1962, remake 2004).
Laurenţiu Malomfălean
Babeş-Bolyai University, Cluj-Napoca, Romania
laurentiu.malomfalean@ubbcluj.ro
Les machines à rêver dans le cinéma hypermoderne
Dream-machines in Hypermodern Cinema
Abstract: The major intent of this article is to raise – if one is not able of giving an appropriate answer – one particular question: is a world where dreams are controllable a utopia or a dystopia? Since the 1970s, from less successful American sci-fi thrillers and horror movies to some iconic outputs (like Brazil, The City of Lost Children, Paprika, Inception), hypercinema has engendered many productions focusing on various hyper realistic whimsical machines of recording, erasing and even implanting dreams from human brains or minds. Thus, in the first part of my paper I review a series of movies that are simply featuring these devices made possible by mad scientists, while the remaining two sections are going to examine more in detail other films where dreams act either like utopian portals, or as an exit from a dystopia. Of course, if necessary, the synthetic approach will summon up network of comparisons.
Keywords: Dream-machine; Dystopia; Film; Hypercinema; Nightmare; Utopia; Oneirotopia.
Pour emprunter la terminologie hyper de Gilles Lipovetsky, toutes les productions cinématographiques analysées dans cet article appartiennent à l’hyper-cinéma[1] le plus récent, vu comme une nouvelle forme de transcendance, hypermoderne et hyper-décadente. Même si, lorsqu’on compare l’usage des rêves dans ces films avec les théories scientifiques sur le sujet, on trouve assez peu de ressemblances, le recours aux décors oniriques est fait premièrement pour des raisons artistiques[2], avec des intrigues déclenchées toujours par quelque chose qui ne marche pas comme il le faudrait. Dans ce qui suit, je vais présenter quelques films qui ne sont point intéressés d’être tout à fait réalistes en ce qui concerne les détails techniques, mais pour lesquels cet enjeu met en scène le rêve plutôt comme un prétexte d’envisager des mondes alternatifs.
1. Des dis-positifs à rêver
Brainstorm[3] (réalisé par Douglas Trumbull, sorti en 1983). Une équipe de scientifiques invente ce qu’on appelle une interface ordinateur-cerveau, qui permet d’enregistrer les sensations, les fantaisies et même les rêves d’une personne et puis de les convertir afin que d’autres puissent les expérimenter à leur tour. Poursuivant ce principe de copy-paste à playback, l’appareil peut simuler – donc hyper-réaliser – des émotions, des souvenirs mémoires et même une crise cardiaque. Même si l’infrastructure de ce mécanisme est ensuite rattachée au projet Brainstorm, que le gouvernement veut exploiter pour des buts militaires, le protagoniste achèvera l’inachevable quand il vivra les derniers instants de sa collègue décédée (pendant qu’elle était connectée au dispositif), en lui visualisant à nouveau les bulles de mémoire qui l’avaient bien sûr accompagnée dans une expérience de mort imminente. De plus, on peut pénétrer même dans l’espace éternel d’après la vie, à travers une telle vision de l’enfer, un vol des anges dans le cosmos ou des âmes perdues dans la lumière.
Dreamscape (réalisé par Joseph Ruben, sorti en 1984). Lorsqu’un médecin enseigne à un jeune voyant le moyen d’entrer dans les rêves des autres afin de guérir leurs cauchemars, il y a quelqu’un qui veut utiliser la technique pour des raisons maléfiques. Le professeur Novotny (Max von Sydow) a développé au cours des années cette méthode qui permet à certains individus de se lier volontairement avec les esprits des autres en se projetant eux-mêmes dans l’inconscient pendant le sommeil paradoxal (ou REM sleep), afin d’observer les rêves et, si nécessaire, les modifier. Les deux personnes apparaissent toujours avec des fils autour de la tête, la machine rendant possible l’interconnexion. De là, on a observé que le laboratoire hypnique dans le film évoquait des laboratoires qui fonctionnaient bien effectivement à cette époque-là ; le générique du final inclut également un conseiller médical. Dreamscape est ainsi l’une des œuvres cinématographiques les plus scientifiquement précises à avoir affaire à des rêves.[4]
Dream Lover (réalisé par Alan J. Pakula, sorti en 1986). Une femme souffrant d’un cauchemar récurrent post-traumatique de viol arrive au laboratoire du sommeil où elle va apprendre comment altérer le contenu de son rêve (tout en étant connectée à un dispositif) et même se réveiller à son gré. La production prend par la suite une tournure de science-fiction lorsqu’on introduit des mécanismes à contrôler la paralysie hypnique.
Jusqu’au bout du monde (Until the End of the World, réalisé par Wim Wenders, sorti en 1991) est un presque interminable road movie à la fin duquel nous admirons l’Australie. Ancré dans une année 1999 futuriste, le film fait figurer un homme qui voyage dans le monde entier en prenant des photos et des vidéos avec une caméra spéciale. Quand il atteint les Antipodes, on apprend que tout cela était préparé pour que sa mère aveugle puisse les voir. Dans une caverne, le père du protagoniste (on retrouve de nouveau le versatile von Sydow) dirige un établissement de recherche où il expérimente sur son dispositif capable de translater des impulsions cérébrales dans un cerveau différent ; les enregistrements réalisés par le fils seront regardées par celui-ci, de sorte que les ondes électriques résultées puissent être ensuite transférées dans le cerveau de la femme, qui arrive ainsi à discerner les images. Après la mort de celle-ci, on souhaite plus, et le savant découvrira le moyen d’utiliser l’appareil pour visualiser les rêves dans l’état de veille. Le processus est renversé : si les vidéos prises avec la caméra étaient transformées en information cérébrale, désormais la transposition agence les signaux du cerveau rêvant sous la forme des images.[5] Le résultat fait d’un chaos de données une symphonie de couleurs. Mais visionner de façon répétée les rêves des autres – sur quelques dispositifs qui font penser aux tablettes contemporaines où l’on verrait des courts métrages effacés – finit par créer de la dépendance : le fils et sa copine seront à peine arrêtés de regarder leur propres rêves, comme s’ils les avaient lus dans leurs journaux ayant cette seule fonction.
The Clocks Were Striking 13 (réalisé par Virginia Robertson, sorti en 1993) emprunte comme titre quelques mots de l’incipit de la dystopie orwellienne 1984. Il s’agit d’un court métrage dont l’action décrit The Dream Institute of Technology. Les visiteurs sont accueillis par une statue de marbre à l’instar du dieu Hypnos, qui semble être aussi une sorte de Cerbère à la porte d’une bibliothèque pleine de volumes reliés en cuir et traitant du sujet des rêves. Puisque les scientifiques ne peuvent être que des méchants, dans la cave placée en bas, un laboratoire du sommeil (dont l’aspect rappelle une baraque miteuse) contient des rangées de dormeurs, avec leurs EEG accrochées à un moniteur qui affiche les rêves en cours.[6]
La Cité des enfants perdus (réalisé par Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet, sorti en 1995), nous propose à son tour un film de science-fiction consacré au sommeil rêvant. On est dans une société steampunk et surréaliste bien dystopique et, de plus, captive d’une époque indéterminée. Le vilain scientifique Cyclope, dont il ne reste qu’un cerveau dans une cuve, connecté à tel œil géant, prend soin de ses clones humains ratés, qui ont chacun des problèmes concernant le processus onirique. Si les petits six premiers souffrent de la narcolepsie, en tombant d’un coup dans le rêve, le septième clone s’avère même plus dysfonctionnel. En fait, le défaut de Krank est de ne pas avoir du sommeil paradoxal, donc des rêves. Aussi vieillit-il trop rapidement[7] et fait enlever des enfants pour les raccorder à son EEG qui est censé de le nourrir avec les rêves – par cela – volés. Il espère ainsi de ralentir les années, la vie, la mort. Malheureusement pour ce personnage assez grotesque, il s’agit toujours de cauchemars, puisqu’il fait peur.
Ouvre les yeux (Abre los ojos, réalisé par Alejandro Amenábar et sorti en 1997) est un film espagnol qui s’impose d’imaginer la compagnie utopique « Life Extension », spécialisée en suspension cryogénique: on fait geler des humains ayant des maladies incurables juste après l’instant de la mort, jusqu’à ce qu’un traitement devienne disponible dans le futur, quand ils seront d’une certaine façon ressuscités. Les personnes qui choisissent le procédé arrivent à garder leur cerveau actif en étant placés dans un état de rêve lucide – assez peu expliqué, même si le déroulement du film reste tout à fait brillant. On rappelle également le remake américain Vanilla Sky (réalisé par Cameron Crowe, sorti en 2001), plus connu mais moins substantiel.
Quant aux films toujours en quelque sorte oniriques de Michel Gondry, j’évoquerai au préalable la machinerie présente dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind (sorti en 2004). Comme scénario du fantaisiste Charlie Kaufman, telle société « Lacuna Inc. » a inventé une méthode pour effacer tous les souvenirs des couples séparés, c’est-à-dire de faire évanouir à chacun son compagnon. La procédure se passe à travers une nuit de sommeil pendant laquelle on provoque un état d’amnésie grâce à une carte cérébrale de la présence de l’autre dans la mémoire. On devra par conséquent éradiquer le noyau émotionnel de chaque souvenir d’autrui, afin de les faire entrer dans un processus de dégradation. Au réveil, ils seront disparus à l’instar d’un mauvais rêve. À l’aide d’une simple requête Delete sur l’ordinateur en charge.[8] L’analogie rêves-souvenirs fonctionne lorsque ces derniers (qu’on visualise toujours dans le film) sont déroulés à l’inverse, et plutôt quand le protagoniste (Jim Carrey), en quittant lucidement la carte, arrive au territoire mental de l’enfance, d’où les scientifiques ne pourront que très difficilement le chasser vu le fait qu’il développe une espèce de résistance à l’intervention.
Dans La science des rêves (sorti en 2006) Gondry nous fabrique des rêves en carton qui s’efforcent à l’encontre des personnages de papier « postmodernes » ou textualistes. Mais la confusion rêve-réalité, on dirait hypermoderne, est réalisée par le biais des machines à imprimer, à écrire ou bien à explorer le temps d’une manière enfantine. Cette production française ne consacre au rêve que son début. On regarde (avec un Stéphane rêvant, bien compris) au « Stéphane TV ». Le nouvel épisode de « Télévision Éducative » nous montre comment les rêves sont préparés. Il s’agit d’une combinaison très délicate d’ingrédients assez complexes : d’abord on met des pensées aléatoires, puis on y ajoute quelques vagues souvenirs de la journée, mélangés à d’autres venant du passé, tels que des mélodies écoutées pendant la soirée, des choses vues, des questions personnelles. En bref, Michel Gondry fait que son personnage propose la métaphore classique d’une recette culinaire… tout en versant les condiments dans un pot de spaghetti. Cela provoque un rêve qui va se dérouler sur un écran géant derrière son dos, où il finit par entrer.
Paprika (パプリカ / Papurika, réalisé par Satoshi Kon, sorti en 2006) est un long métrage d’animation japonais d’après le roman homonyme de Yasutaka Tsutsui. Le caractère qui donne le titre du film est en fait l’alter ego de la doctoresse Atsuko Chiba. Elle se retrouve maintes fois dans l’imaginaire de son collègue, le docteur Konokawa, à l’aide de la soi-disant DC mini. Ce dispositif assez mignon est une clef (au sens propre et figuré) attaché derrière la tête du dormeur, qui permet de regarder ses rêves à l’ordinateur, de les analyser, d’en modifier le contenu, donc de les rendre lucides / volontaires / contrôlables, puis collectifs / communs / partagés, et même de les implanter dans un cerveau différent, sinon de les pénétrer. Quand l’un de ces mécanismes est volé, on arrive à passer de la réalité au rêve déjà de l’état vigile, avec des gardiens oniriques et des technologies tout à fait artificielles, de sorte qu’au final du film les rêves s’enchevêtrent dans le monde « réel ».
Enfin, la production la plus connue de la cinématographie récente utilisant le rêve comme un véritable moteur de l’intrigue est, certes, Inception (réalisé par Christopher Nolan, sorti en 2010). Une équipe des voleurs peuvent entrer dans les rêves d’autres personnes via des perfusions de médicaments faits par leur Chimiste. Il y a aussi une serviette avec un dispositif miraculeux, même si le scénariste ne fait point attention aux détails techniques. Le groupe exploite l’espionnage industriel afin d’extraire des secrets commerciaux ou pour l’inception : planter une idée que la victime pensera être sienne. C’est bien le mécanisme onirophore qui est en jeu, car on ne se souvient jamais du début d’un rêve – qu’on se rappelle toujours da fine al capo[9] , et de façon combien fragmentaire. Cependant, l’idée génératrice est implantée dans tel cerveau pendant le déroulement profond d’un rêve dans un rêve dans un rêve, où le temps s’écoule beaucoup plus lentement. Aux trois niveaux de réalité onirique engendrés par le film (les rêves du fourgon, de l’hôtel et du fort de neige, faits chacun par une autre personne, qui se trouve dans l’avion ou bien dans le rêve antérieur), on ajoute l’inattendu limbo, qui n’est rêvé par personne puisqu’il s’agit d’un espace de conscience partagée. On voit cette dystopie étagée de manière pluridimensionnelle, au fur et à mesure que l’Architecte ayant pour nom le mythique appellatif d’Ariadne élabore des labyrinthes assez bien définis ou des paysages conformes aux lois de la physique (tandis que les choses vont bien) ; et cela est fait de son propre désir (si nous aimons Freud), sinon de sa propre volonté de rêveuse lucide. En tout cas, nous n’avons rien expliqué de ce côté-là. On doit mentionner la présence des plans et des principes graphiques d’Escher, qui est une fort source d’inspiration pour l’escalier paradoxal sans fin, pour les miroirs juxtaposés face à face et la réflexion portée à l’infini (dans une séquence de probe qui se passe dans la cité lumière), ensuite pour les rues superposées ou d’autres images mouvantes qui trompent notre œil.[10]
2. Le rêve comme entrée dans l’utopie
Les trois films suivants sont censés expliciter un fait évident : chacun de nos rêves individuels est en effet un espace-temps utopique. Mais quand le rêve cesse d’être subjectif, en devenant par cela collectif, tous les mondes rêvés achèveront par être de pures dystopies. Et alors on ne peut parler que d’un cauchemar bien partagé. Dans le rêve, plus que nulle part ailleurs, l’enfer c’est les autres.
Qui veut tuer Jessie ? (Kdo chce zabít Jessii ? – réalisée par Václav Vorlíček, sorti en 1966) est une comédie tchécoslovaque. La professeure Beránková invente un sérum capable de transformer n’importe quel cauchemar dans un rêve agréable. Quand elle donne sa première démonstration sur une vache, on arrive à découvrir un effet secondaire grave: quelques-uns des mauvais morceaux oniriques originaux se manifestent dans le monde réel. Au cours d’une conférence avec des rêves transmis en direct sur un écran de télévision, les participants voient disparaître un taon du rêve de la vache, mais celui-ci réapparaît puis même dans la salle en effrayant l’auditoire. L’inventrice n’apprend rien de cette expérience et continue de se faire pénétrer dans les rêves des autres. La nuit, son époux Jindřich fait un rêve au terme duquel des personnages de bande dessinée lui apparaissent en pleine vue. Beránková essaie alors entièrement à son insu de le débarrasser de ce cauchemar. Mais dans la matinée on voit matérialisés dans l’appartement les dits-caractères, parmi lesquels on compte Jessie, Superman et le Flingueur. Et puis l’intrigue peut devenir folle, en s’achevant sur le procès de Beránek pour avoir introduit dans le monde réel des êtres invraisemblables.
Ensuite, je vais résumer les deux adaptations TV connus par le roman L’Autre Côté du rêve (The Lathe of Heaven) qu’Ursula K. Le Guin publie en 1971: la première, sous la direction de David Loxton and Fred Barzyk, sera lancée en 1980, tandis que la deuxième, sous forme de remake, est réalisée par Philip Haas en 2002.
C’est bien la dernière année mentionnée qui est d’ailleurs choisie pour ancrer les événements se déroulant dans le livre. Nous nous trouvons à Portland (Oregon, E.U.A), dans un futur proche où le protagoniste George Orr rend une visite à l’onirologue Bill (dans le premier film) / Walter (dans le deuxième) / William (dans le roman) Haber, puisqu’il ne veut plus rêver ses cauchemars qui changent la réalité. Soyons plus exacts, il s’agit en effet de « rêves effectifs », et non pas prémonitoires, qui arrivent à se dérouler par on ne sait quel subterfuge assez miraculeux – et jamais expliqué – de façon concomitante dans les endroits réels correspondants, ce qui fait que seul le rêveur ait conscience de l’état de choses antérieure.
Le médecin possède une espèce de machine appelée « L’Augmentor », par l’intermédiaire unique de laquelle George est fait passer rapidement à travers toutes les phases du sommeil jusqu’à celle nommée REM ; une fois arrivé là-bas, il y sera tout de suite bloqué. Pour voir comment il travaille son cerveau, Haber lui provoque / suggère / induit certains rêves à l’instar de la hypnose. On croyait ainsi améliorer une activité onirique tout à fait inhérente.
Mais le résultat qu’on apprend à forger avec cette cure est seulement utilitaire. Puisque le rêveur effectif ne fait que produire plusieurs mondes alternatifs, des utopies l’une après l’autre, où le monde réel survient corrigé, devenant utopique par force à la fois dans le rêve et dans la réalité. On arrête ainsi les interminables pluies acides, le beau soleil remplaçant le smog, on éradique les problèmes écologiques, la famine, le cancer, les inégalités socio-économiques, on réussit à équilibrer la vie urbaine, suivant le dicton utilitariste « Le plus grand bonheur pour le plus grand nombre ». Tout va bien jusqu’à ce que le patient soit mis à rêver L’Institut onirologique William F. Haber.
Le psychiatre se sert de ces rêves pour changer la Terre à son image et à sa ressemblance. Quoiqu’il comprenne les capacités d’Orr, la série des alternatives s’avère bientôt n’être qu’autant de scénarios SF dystopiques. Les mondes rêvés ont chacun au moins un désagrément: dans un monde sans racisme, la peau devient grise; on résout la question démographique grâce à un fléau qui anéantit trois quarts de la population du Globe; la paix terrestre est acquise au prix de l’invasion de la Lune (devenue entre temps une colonie humaine) par des extraterrestres, les nations s’alliant contre cette menace. Quand les envahisseurs débarquent sur notre planète, ils se comportent de manière paisible, non agressive, mais finalement la Montagne Hood est bombardée, le volcan réveillé et son explosion assurée.
Les choses échappent à tout contrôle dès qu’Haber devient le dirigeant mondial. Mais lorsqu’il veut se provoquer lui-même des rêves effectifs, son patient détruit l’Augmentor pendant ce processus, de sorte que le thérapeute perdra ensuite le raisonnement psychique. En outre, d’un acte de volonté pure, George rêve d’avoir perdu son pouvoir utopique. Et c’est ainsi que la boucle se referme. On apprend qu’en avril 1998, Orr avait survécu à une catastrophe nucléaire en rêvant de façon bien effective un monde nouveau. Par un artifice deus ex machina, des fragments de toutes les réalités rêvées s’unissent et récréent la réalité originaire.
La deuxième adaptation du livre se passe dans l’ère pharmaceutique, avec la rationalisation des aliments sur le marché noir et beaucoup d’autres ajustements qui changeront l’existence de mal en pis. À la fois, comme dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, George Orr et sa compagne sont obligés de partir vers un endroit – souterrain, cette fois-ci – où ils seraient introuvables pour l’onirologue fou. Le film s’éloigne souvent du roman signé par Le Guin.
3. Le rêve comme sortie de la dystopie
Brazil (réalisé par Terry Gilliam et sorti en 1985 d’après un scénario du même, écrit avec Tom Stoppard et Charles McKeown) est un film d’anticipation où les rêves – bien qu’il puisse s’agir en fait seulement d’une rêverie récurrente – fonctionnent comme une forte échappatoire. On parle donc d’une soupape onirique.
Le protagoniste arrive à sortir de la dystopie toujours collective par tel rêve compensateur, en pouvant faire disparaître pendant quelques instants une société d’hyperconsommation trop confiante dans ses machines fantaisistes et capricieuses, qui sont au commandement d’un tout aussi bizarre ou critiquable Ministère de l’Information. Durant sa vie de veille, Sam Lowry est en revanche un fonctionnaire capable de bien se complaire dans un monde futuriste assez totalitaire. Toutefois, il y a chaque jour des erreurs administratives et il essaye de réparer les petites et grandes injustices, donc il s’oppose en dissident contre le système.
Puis, l’apparition de la femme de ses rêves lui complique davantage l’existence. À travers les séquences d’effet composées par le réalisateur, il y a celle du rêve de vol parmi les nuages, désirée pour que le personnage puisse y rattraper sa figure bien-aimée. La scène « des monolithes » comporte d’immenses colonnes de briques surgissant du sol et bloquant le voleur. À propos de cela, Terry Gilliam peut commenter aisément : « Quelqu’un a dit que les rêves sont sexuels. Lorsque les monolithes sortent de terre, ce sont d’immenses érections qui lui bloquent la vue »[11]. En effet, rajoute ensuite le metteur en rêve, dans la séquence qui avait été initialement prévue, on voyait Sam transporter l’emprisonnée Jill vers une étendue campagnarde sans fin, tout en survolant ni plus ni moins qu’un océan de globes oculaires les fixant avec intensité ; la femme aurait fini par être aspirée dans l’eau des yeux grand ouverts.
Mais les éléments de la dystopie sont bien assumés dans ce cauchemar, à côté de l’anima délivrée finalement par le héros-ego. Les enfants de Buttle – tué par une erreur bureaucratique tout comme dans Le Procès de Kafka – deviennent des pièces de puzzle cauchemardesques, le travail onirique les transformant bientôt en bêtes. Monsieur Helpmann joue le rôle du vieux sage jungien, déguisé en Père Noël. Ensuite, l’imago maternel du personnage principal est trop présent, responsable peut-être d’une certaine dévirilisation : au cours du rêve Sam Lowry est musculeux, alors qu’il ne l’est point à son réveil. Malheureusement, le final nous propose une victime. On/il ne fait plus la différence. Le retour à la réalité la plus réelle ou naturelle s’avère atroce. À l’intérieur d’un gros bâtiment steampunk, le protagoniste est lobotomisé.
Pour conclure mes lectures immanentes et les vues suscitées, je dois préciser que je ne me suis pas intéressé dans cette synthèse à des films ayant comme sujet de prédilection l’existence virtuelle générée par l’ordinateur (Matrix, Passé virtuel (The Thirteenth Floor), eXistenZ, ou The Cell), puisque même si les comparaisons rêveuses sont à la portée de chacun, ils n’ont affaire à l’onirique que de manière tangentielle. De plus, on parle d’analogies pour la plupart négatives (le rêve en tant qu’illusion, occultation de la vérité etc.).
Dans tous les cas cependant mentionnés au cours de l’article, on voit très bien la façon dont le mouvement hypermoderne de la rationalisation des rêves agit, visant à contrôler – autant que possible – l’incontrôlable. Quand les aventures nocturnes peuvent être fabriquées avec telle machinerie et tel dispositif, on se trouve aux antipodes absolus de l’appareil psychique.
Ensuite, lorsque j’envisage le rêve à l’instar d’une entrée dans l’utopie (donc un produit machinal / mécanique) ou bien comme une sortie de la dystopie (l’homme-dit machine), l’enjeu théorique de mon étude reste le même : chacun des mondes cinématographiques analysés mérite l’appellatif d’onirotopie filmique.
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Notes
[1]Voir Gilles Lipovetsky & Jean Serroy, L’Écran global : culture-médias et cinéma à l’âge hypermoderne, Éditions du Seuil, Paris, 2011 – principalement la première partie, « Logiques de l’hypercinéma ».
[2]Cf. Leslie Halpern, Dreams on film. The cinematic struggle between art and science, foreword by Robert Smither, Jefferson, North Carolina, McFarland & Co., 2003, passim.
[3] Sans autre mention, le titre français rejoint l’original.
[4]Leslie Halpern, op. cit., p. 22.
[5]Pour une situation assez similaire, voir Shinji Nishimoto [et al.], « Reconstructing Visual Experiences from Brain Activity Evoked by Natural Movies », in Current Biology, Vol. 21, No. 19, 22 September 2011, pp. 1641-6 que j’évoque aussi dans mon article « Science Fiction, Fantasy and Oneiro-Fantastic in Haruki Murakami’s Hard-Boiled Wonderland and the End of the World », in Caietele Echinox, N° 26, 2014, p. 156.
[6]Deirdre Barrett, « Index of films and documentaries », reviews, International Association for the Study of Dreams, http://www.asdreams.org/videofil.htm.
[7] Il est bien connu que dès qu’on avance en âge on rêve toujours moins.
[8]On peut envisager des comparaisons pertinentes avec d’autres pellicules ayant affaire à la mémoire effacée ou contrefaite, comme Total Recall (1990, remake 2012) et Un crime dans la tête (The Manchurian candidate, 1962, remake 2004).
[9]Cf. Jacques Montangero, « Dreams are narrative simulations of autobiographical episodes, not stories or scripts: a review », Dreaming. Journal of the Association for the Study of Dreams, Vol. 22, No. 3, September 2012, p. 160.
[10]Voir aussi Oana-Irina Băilă, Inception, compte rendu, Film Menu, n° 7, octobre 2010, p. 15.
[11]Terry Gilliam, entretien réalisé par Alain Garel et François Guérif, in La Revue du cinéma, n° 403, mars 85, p. 87.