Corin Braga
Babes-Bolyai University, Cluj, Romania
CorinBraga@yahoo.com
L’autre monde dans les visions médiévales irlandaises
The Otherworld in Irish Medieval Visions
Abstract: Among the different story-types of the Irish compilations of traditional narratives from the 11th-16th century, three species evince a special relationship to eschatology: the immrama (ocean travels to the enchanted islands of Manannán Mac Lir), the echtrai (descents to the underground realm of the Tuatha De Danann) and the fisi (ecstatic revelations of the afterworld). Deriving from the pagan motif of the baile (the vision of a druid), the fis genre was adapted by Irish monks to disclose the Christian conception of the otherworld. Heavily influenced by the Judeo-Christian apocalypses, the fisi developed a rather coherent common pattern, consisting of several topics: 1. the ‘raptus animae’; 2. the ascension of the soul through the skies and its trial; 3. the purgatory ordeal; 4. God’s Throne of Judgment; 5. the bridge; 6. the waste land of pains; 7. the infernal pit; 8. the land of the blessed; 9. the celestial Kingdom of God; 10. the return of the soul to its body. From the rough visions of St. Fursa and St. Laisrén to the elaborated soul voyages of Adamnán and Tnugdale, the fisi can be said to prepare Dante’s great eschatological system.
Keywords: Irish mythology; Christian eschatology; the fis genre; ecstatic voyages; The Visions of St. Fursa; St. Laisrén; Adamnán; Thurkill; Tnugdale.
Les compilateurs des légendes et contes irlandais médiévaux utilisaient des listes typologiques qui organisaient et classifiaient les textes par thèmes : aided (récit de mort), aithed (escapade amoureuse), cath (bataille), compert (conception, procréation), fess (banquet), forfess (siège), orcain (crime), serc (histoire d’amour), táin (raid, incursion) tochmarc (histoire courtoise), tochomlad (invasion), togail (attaque, destruction), etc.[1] Trois de ces genres traditionnels étaient porteurs de la vision de l’autre monde : l’echtra (aventure surnaturelle, descente dans les sídhi) ; l’immram (voyage ou pèlerinage par mer) ; et le fis (vision ou révélation de l’eschatologie chrétienne).[2]
Ces typologies n’étaient pas un simple instrument mnémotechnique utilisé par les « conteurs » pour organiser leur matériel. Selon David A. Traill, elles reflètent les « rêves archétypaux » (« culture-pattern dreams ») de leur époque. Elles expriment les stéréotypes de la vision du monde et de l’âme inconsciente de la communauté, ce qui rend le problème de l’identification des sources (la Quellenforschung) extrêmement complexe[3]. Dans un livre que nous avons publié en 2006, La quête manquée de l’Avalon occidentale, nous avons essayé de dégager la morphologie narrative des deux premières typologies, tout comme V. I. Propp l’avait fait pour les contes fantastiques russes.[4] Une caractéristique importante de ces voyages surnaturels racontés par les echtrai et les immrama est qu’ils sont des voyages mondains, qui n’impliquent pas la transcendance de la condition humaine actuelle. Les héros qui deviennent, le plus souvent par un mariage, les compagnons des dames des îles enchantées d’outre mer ou des Tuatha De Danann, les seigneurs des sidhi, gagnent l’immortalité tout simplement en pénétrant dans Mag Mell, les Champs Élysées des Celtes irlandais. De même, les moines qui naviguent vers Tir Tairngire (Terra repromissionis sanctorum) ne doivent pas passer par la mort pour être acceptés dans le jardin de Dieu. Saint Brendan débarque sur l’île du Paradis Terrestre et on lui permet de la visiter dans sa condition physique mortelle, pendant cette vie. Il ne souffre pas un rapt visionnaire ou une ascension de l’âme, il ne tombe pas inconscient dans un état traumatique ou létal.
Puisque dans les livres cités, dédiés à ce que nous appelons « quêtes initiatiques manquées », nous nous sommes occupés principalement des voyages physiques dans l’autre monde, nous allons nous tourner cette fois vers le troisième genre eschatologique de la littérature irlandaise ancienne, le fis, dans lequel les voyages ne sont plus corporels mais spirituels et extatiques. Nous allons essayer de mettre en lumière sa morphologie, en la comparant avec les autres modèles narratifs irlandais, les echtrai, les immrama et les descentes dans le Purgatoire de saint Patrick.
Le genre irlandais du fis (traduisant le terme Latin visio) s’intègre dans le « bassin sémantique » (dans la terminologie de Gilbert Durand) plus large des apocalypses et visions médiévales de l’autre monde.[5] Dans notre démarche nous utiliserons principalement la littérature « insulaire », irlandaise, anglo-saxonne et anglaise, laissant de côté le courant convergent des visions continentales, allemandes, françaises, romanes, etc. Les textes principaux auxquels nous faisons référence[6] vont du septième au douzième siècles (du moins selon les dates données par leurs premiers témoins) : La vision de Fursa[7] (633) et La vision de Drythelm[8] (696) (les deux rapportées par Bède dans son Historia ecclesiastica), un épisode de la Vie de Guthlac de Felix of Crowland (après 700), La vision du moine de Wenlock[9] (716) (rapportée par saint Boniface dans sa Dixième Lettre), La vision de Laisrén[10] (début du dixième siècle), La Vision de Adamnán[11] (onzième siècle) (incluse dans le Book of Dun Cow), La Vision de Leofric (avant 1057), La Vision de l’enfant William (1143-7) et La Vision de Tnugdale[12] (1148/9) (incluses par Vincent de Beauvais dans son Speculum Historiale), La Vision du moine de Eynsham[13] (1196) et La Vision de Thurkill[14] (1206) (rapportées par le cistercien Ralph of Coggeshall et reproduites par Roger of Wendower dans son Chronica sive Flores Historiarum et par Matthew Paris dans Chronica Majora)[15]; et une vision plus tardive, d’une femme anonyme du quinzième siècle[16] (1422). Juste pour compléter le tableau, le courant « continental » comprend entre autres les visions de Sunniulf (575) et Salvius (590) (rapportées par Grégoire de Tours dans son Histoire des Franks), Barontus (678/9), Rotcharius (début du neuvième siècle), la pauvre femme de Laon (début du neuvième siècle), Wetti[17] (824), Raduin (835), Charles le Gros (885), Ansgar (fin du neuvième siècle), Alberic[18] (c.1100), Orm[19] (1125), Gunthelm[20] (1161), Gottschalk[21] (1190) et ainsi de suite[22].
Dans son extension maximale, le modèle de ces révélations eschatologiques comprend plusieurs topoï ou motifs récurrents : 1. l’expérience extatique (« raptus animae ») ; 2. l’ordalie ou la bataille pour l’âme ; 3. l’ascension de l’âme à travers les cieux astronomiques ; 4. le trône de Dieu et le jugement ; 5. la plaine des tourments (l’Enfer supérieur) ; 6. l’abîme infernal (l’Enfer inférieur) ; 7. le pont (« pons probationis ») ; 8. la plaine des délices (le Paradis terrestre) ; 9. le Royaume de Dieu (le Paradis céleste) ; 10. le retour de l’âme dans le corps. Dans ce qui suit, nous allons examiner brièvement chacun de ces topoï.
1. Le premier motif est la sortie de l’âme du narrateur de son corps. Dans tous les textes, les auteurs ou les personnages prennent soin de souligner que la révélation leur est transmise dans un état de raptus animae. Bède dit de saint Fursa : « In his first vision, his soul was conveyed out of the body (« raptus est a corpore »), and he was graced with the sight and the hearing of the praises of the Heavenly Hosts ».[23] Un autre saint, Laisrén, raconte que, pendant une mission au Connacht, après un jeûne de neuf jours, il s’est endormi dans l’oratoire et a entendu la voix d’une figure lumineuse qui l’appelait. Et immédiatement après « he beheld his soul (hovering) over the crown of his head, and knew not which way she had come out of the body ». Le Fis Adamnáin dit de saint Adamnán que « his soul departed from out his body on the feast of John Baptist, and was conveyed to the celestial realm, where the heavenly are, and to Hell ». Thurkill, un paysan qui habitait près de Londres, fut lui aussi ravi pendant la nuit, alors qu’il dormait dans son lit. Saint Julian, son guide, lui explique qu’il ne va emmener avec que son âme, et non son corps, laissant dans celui-ci un souffle de vie pour que les autres sachent que Thurkill n’est pas mort (« sola enim anima tua mecum abibit. Sed ne corpus tuum extinctum putetur, vitalem in te flatum dimittam »).
D’autres personnages des fisi vivent non pas une transe somnifère, mais une expérience létale. Dans des états morbides, ils sortent de leurs corps et entreprennent un voyage dans l’autre monde similaire à l’aventure de Er dans la République de Platon. Bède raconte que Drythelm tomba malade, mourut et retourna à la vie le matin suivant. Pendant son rapt, il fut emmené par une figure lumineuse à visiter différents endroits du purgatoire. Saint Boniface raconte dans ses Lettres l’histoire d’un moine de Wenlock qui fut si violemment attaqué par une maladie qu’il abandonna son corps et eut une vision allégée du poids de la chair (« extra corpus suum raptus in spiritu corporis gravidine subito exutum fuisse »). Tnugdale, un noble irlandais, tombe cataleptique pendant trois jours (« Assunt signa mortis, crines cadent, frons obduratur, errant oculi, nasus acuitur, pallescunt labia, mentum cadit et universa corporis membra rigesunt »). Ses compagnons pensent qu’il est mort, bien qu’il conserve quelque chaleur dans la poitrine (« calor modicus in sinistra pectora »). Après son retour, Tnugdale raconte qu’il a eu une expérience extra-corporelle (« de exitu animae ») pendant laquelle il a vu l’autre monde. Un autre personnage, Edmund, tombe gravement malade d’une amygdalite purulente et entre dans le monastère de Eynsham. Après un an et trois mois de souffrance, le jeune moine est « rapte in spyryte » (« in excessu mentis raptum »). Pendant que son corps entre dans un état cataleptique, saint Nicholas le prend par la main (« manus simul consertas habebamus omni tempore quo corporeis sensibus orbatus mente absens permansi ») et lui montre le destin eschatologique des morts.
2. Le deuxième topos du genre visio / fis est l’ordalie ou la bataille portée entre des anges et des démons pour les morts. Au début de leur ascension à travers les cieux atmosphériques et planétaires, les personnages assistent à une confrontation entre les envoyés de Dieu et les diables pour décider du sort des âmes des trépassés. Parfois, cette confrontation peut viser le personnage lui-même, devenant ainsi une ordalie qui mesure la pureté de son caractère. Pendant son deuxième rapt, saint Fursa est emmené par trois anges (représentant la Trinité) à travers des essaims de « hideous, misshapen demons ». Les diables veulent s’opposer à son ascension, lançant contre lui des flèches ardentes et des globes de feu. Drythelm est menacé par des diablotins avec des langues de feu, mais est sauvé par son guide de lumière. Un ange protège le moine de Wenlock des flammes terribles qui incendient l’atmosphère en lui imposant la main sur la tête. Saint Laisrén est emmené par deux anges à travers la coupole d’une église. Il commence l’ascension protégé par toute une compagnie d’anges contre les assauts de trois hordes de démons de différentes formes, armés de lances, flèches et javelines de feu. L’âme de Tnugdale, dès qu’elle quitte le corps, est attaquée par les démons aussi, mais un ange vient heureusement à son secours.
Le thème de la dispute pour les âmes des morts provient de différents textes apocryphes, comme Le Testament d’Abraham (où les anges de la part droite et de la part gauche pèsent les actes justes respectivement les péchés des âmes)[24] et L’apocalypse de Paul (ou les anges saints et les anges mauvais s’emparent des âmes qui correspondent à leur vocation)[25]. La confrontation violente entre anges et démons a une dimension judiciaire. En général, les anges ou les saints sont supposés aider et guider les âmes (« de adventu angeli in occursum anime »), alors que les diables essaient de les empêcher ou de les détourner de leur ascension vers le Royaume céleste. S’ils ne réussissent pas à en dévier directement les visiteurs, les démons plaident contre eux dans une sorte de procès sotériologique. L’entrée de saint Fursa dans le Royaume est contestée par Satan lui-même, qui énumère les péchés du saint, et spécialement son esprit vindicatif. Les démons accusent saint Laisrén, invoquant la liste de péchés qu’il a commis pendant sa vie, cependant que les anges réfutent les accusations, puisque les péchés ont été « confessed and atoned for by penance according to the will of a confessor ». Le moine de Wenlock est confronté à une nuée de mauvais esprits et à un chœur glorieux d’anges supérieurs qui personnifient ses péchés respectivement ses vertus : cupidité, vanité, fausseté, langage vain, entêtement, désobéissance, lourdeur, négligence, somnolence, etc. vs. obédience, jeûne, prière, servir les pauvres, etc. Le résultat final du jugement dépend de la qualité morale des âmes testées.
Saint Julian, le guide de Thurkill, montre à son protégé une grande église située vers l’Est, au milieu de la Terre (« contra orientem usque ad mundi medium »), où les âmes des morts attendent le Jugement. Leur qualité morale et leur destin eschatologique sont indiqués physiquement par des taches noires et blanches. Adapté depuis la Bible, le motif des deux couleurs, qui apparaît aussi dans quelques echtrai et immrama (Teigue son of Cyan, Mael Duin), était courant dans la littérature homilétique.[26] Les âmes noires sont pesées par saint Paul et le diable : si la balance descend vers le diable, l’âme est envoyée dans un abîme de feu, la Géhenne ; si elle incline vers saint Paul, le saint envoie l’âme dans une ordalie purgatoriale : premièrement dans un grand feu purificateur, puis dans un lac gelé et finalement à travers un pont parsemé de piquets et de clous qui conduit vers le mont du bonheur (« mons gaudii »). Les âmes tachetées de blanc et noir sont purifiées par les mêmes épreuves de feu et de glace et sont ainsi justifiées par les souffrances du purgatoire (« per purgatorii poenas »). Les âmes entièrement blanches passent sans entrave par les tourments et rejoignent directement le mont du paradis.
Parfois le procès n’est pas seulement achevé mais remplacé par une ordalie pénible, qui rend le double emploi de sélectionner et de purifier les âmes. L’élément principal de la purification est le feu. Le thème dérive des mots de saint Paul, ardûment cités et commentés par les auteurs médiévaux : « Dies enim Domini declarabit, quia in igne revelabitur : et uniuscuiusque opus quale sit, ignis probabit. Si cuius opus manserit quod superaedificavit, mercedem accipiet. Si cuius opus arserit, detrimentum patietur: ipse autem salvus erit: sic tamen quasi per ignem » (I Cor. 3, 13-16). Donnant une interprétation littérale à l’idée de rédemption des âmes comme par le feu (« quasi per ignem »), les auteurs de voyages extatiques font subir le plus souvent à leurs personnages un feu céleste, qui consume leurs péchés, confondant les pécheurs et purifiant les vertueux.
3. La formule de saint Paul a offert aussi l’occasion pour une interprétation allégorique de la représentation du monde héritée de l’Antiquité tardive. À partir de la physique d’Aristote, notre globe était conçu comme les quatre sphères superposées des quatre éléments : la terre, l’eau, l’air et le feu.[27] Le ciel atmosphérique était composé d’eau (vapeurs) et d’air. C’est pourquoi, pour monter au ciel, les âmes des morts et des voyageurs extatiques doivent traverser l’atmosphère. Les diables qui s’emparent de Guthlac le traînent à travers des nuages glacés (« inter nubifera gelidi aeris spatia ») jusqu’à la voûte de l’atmosphère (« ad ardua aeris culmina »), où l’air côtoie le dernier des éléments du monde matériel, le feu. Le grand incendie qui menace de brûler le moine de Wenlock renvoie à cette sphère de feu qui circonscrit le monde (« in circuitu totius mundi ignem ardentem videbam ») et sépare l’atmosphère des cieux planétaires.
Par une « interpretatio christiana », la sphère aristotélicienne du feu est devenue une barrière purgatoire censée purifier les âmes qui veulent rejoindre les cieux. Saint Fursa a l’occasion de contempler d’en haut les quatre feux qui dominent la Terre. Ses guides angéliques révèlent le sens moral du tableau, lui expliquant que les flammes représentent les péchés qui consomment le monde : la Fausseté, la Convoitise, la Dissension et l’Injustice.[28] En citant saint Paul, les anges soulagent la consternation de Fursa : « What thou hast not kindled shall not consume thee ». Toutefois, pendant le voyage de retour, le protagoniste sera attaqué de nouveau par les démons, qui invoquent un pécheur dont le saint avait accepté une cape pendant qu’il le confessait sur le lit de mort. Comme chaque péché représente une tache sur le corps spirituel et une vulnérabilité de celui-ci, saint Fursa est blessé à une épaule et, une fois de retour dans son corps, conservera une cicatrice physique de cette ordalie.
Pendant qu’il est « hors de son corps », conduit par des anges au ciel, le moine de Wenlock voit lui aussi « a mighty fire surrounding the whole earth, and flames of enormous size puffing up on high and embracing, as it were, in one ball the whole mechanism of the world ». Cette description rend correctement la cosmologie aristotélicienne, toutefois le moine, et saint Boniface qui transcrit son histoire, lui donne une interprétation allégorique : la flamme terrifiante est un instrument des démons, qui projettent de détruire la Terre dans une explosion de feu. Heureusement, les anges la font s’évanouir en lui envoyant « le signe de la sainte croix ».
Une adaptation très élégante du thème du feu purificateur a été donnée par Dante. Au cours de son ascension aux cieux, le protagoniste quitte les terrasses du Purgatoire et entre dans le Paradis terrestre, sur la cime de la montagne, en traversant un mur de feu qui achève le processus de sa purification. Ce mur igné est la sphère de feu, qui divise la montagne cosmique en deux zones : le corps de la montagne, qui appartient au monde matériel, et le sommet, qui est une sorte de plateforme de lancement vers les cieux planétaires. Cependant, à la différence de Dante, qui fait des neuf cieux des régions du Paradis céleste, les autres auteurs médiévaux conçoivent les cercles planétaires plutôt comme des espaces purgatoires.
Selon plusieurs érudits, le concept des sept cieux était une réminiscence de la pensée magique babylonienne (notamment dans la tradition juive[29]) et de la littérature néo-pythagoricienne, gnostique et hermétique tardive (principalement dans la tradition chrétienne[30]). Parmi les textes pseudo-épigraphiques de la Bible, II Hénoch, le Testament de Lévi, l’Apocalypse d’Abraham et l’Ascension d’Isaïe mettent en scène cette doctrine des sept cieux étagés. Dans la littérature insulaire, quatre textes ont été conservés qui développent le topos et ont inspiré les fisi : In Tenga Bithna ; un texte court Na Seacht Neamha dans Liber Flavus Fergusorium; un sermon en anglais ancien conservé à Oxford ; et un manuscrit latin –Karlsruhe MS Augiensis 254. Leurs sources directes seraient soit l’Apocalypse gnostique de Paul, selon Jane Stevenson,[31] soit le texte arménien des Questions d’Esdras selon Richard Bauckham.[32] Dans une intervention récente, John Carey propose comme étant plus plausibles quelques textes gnostiques égyptiens, comme le traité Pistis Sophia, les textes de la secte des Ophites (du moins selon la présentation que leur fait Origène dans Contra Celsum) et le Corpus Hermeticum (surtout le premier Traité).[33]
Fis Adamnáin combine le motif des barrières atmosphériques de glace et de feu avec celui des cieux planétaires, affectant les premières à l’entrée de ces portes astrales et de la Cité de Dieu. Selon Adamnán, il y a six portes astronomiques : à la première, l’archange Michael accueille les âmes ; à la deuxième, l’archange Uriel plonge les âmes des vertueux dans une rivière de feu et « washes them in the stream, according to the amount of guilt that cleaves to them, until they become pure and shining as in the radiance of the stars » ; la troisième est constituée par une fournaise embrasée, où « the righteous pass in the twinkling of an eye, but the souls of sinners are baked and scorched therein for twelve years » ; la quatrième est un torrent borné par un mur de feu ; la cinquième est une « fiery river, with a strange kind of whirlpool, wherein the souls of the wicked keep turning round and round » ; à la sixième, les âmes « are illuminated with the lustre and brilliancy of precious stones » ; finalement, la porte principale de la Cité de Dieu est représentée par un voile de feu et un voile de glace.
Dans The Adventures of St. Columba’s Clerics, un texte qui insère dans un immram, celui de Snegdus et Mac Riagla, la révélation d’un fis (Fís Adamnáin), les deux moines doivent aussi passer par les sept portes du ciel pour entrer dans le Royaume de Dieu. Comme dans la plupart des apocryphes et des fisi, mais en contraste avec les descentes dans le Purgatoire de saint Patrick, la mission purificatrice n’est pas assignée à des démons, mais à des anges. Chaque ciel, gardé par un archange et ses aides, est un obstacle que les vertueux traversent instantanément, mais où les pécheurs doivent peiner pendant douze ans. À la première porte, Michael et deux vierges frappent les fautifs avec des verges de fer ; à la seconde, Uriel lave les âmes dans une rivière de feu ; à la troisième, les âmes passent par une fournaise embrasée ; à la quatrième, elles doivent traverser une cortine de feu ; à la cinquième, elles sont englouties par le vertige d’une rivière infernale ; à la sixième, elles sont illuminées par des pierres magiques ; finalement, la septième porte donne sur l’Empyrée. Bien que différents du Purgatoire catholique, les sept cieux purificateurs jouent le même rôle que les terrasses du Mont du Purgatoire de Dante.
4. Après avoir traversé le ciel atmosphérique et les cieux planétaires, les visiteurs extatiques sont admis dans la demeure de Dieu. Leurs guides leur montrent le Trône du Jugement et parfois ils ont le privilège de contempler Dieu lui même. La vision est magnifique. Saint Adamnán rapporte que « this throne is fashioned like unto a canopied chair, and beneath it are four columns of precious stones. » Au dessus du trône s’étend « a great arch, like unto a wrought helmet, or a regal diadem: and the eye which should behold it would forthwith melt away. » Des foules d’âmes et d’archanges entourent le trône, formant une masse de lumière aveuglante. Dieu en personne, dans sa gloire, est impossible de décrire, en tant que « Heaven and earth are filled full with the light of Him, and a radiance as of a royal star encircles Him. »
En la présence de Dieu, les voyageurs extatiques assistent au jugement des morts. Les vertueux sont admis dans le Royaume et sont envoyés au Paradis céleste. Les pécheurs sont dévorés par des dragons de feu, qui les renvoient aux enfers. Puisant dans l’Apocalypse de saint John, Grégoire le Grand faisait déjà mention de plusieurs moines dépravés, comme un tel Théodore d’un monastère d’Iconium, qui sont livrés à des dragons infernaux : « ecce draconi ad devorandum datus sum », « nunc ecce ad devorandum draconi sum traditus, qui cauda sua mea genua pedesque conlegavit, caput viro suum intra meus os mittens »[34] (image impressionnante, que Dante reprendra dans son Enfer). Dans sa vision, Adamnán voit lui aussi que les âmes jugées coupables sont jetées dans la gueule de douze dragons terrifiants, qui les emportent dans les demeures de Lucifer. C’est là qu’elles sont destinées à expérimenter « the consummation of all evil, in the Devil’s own presence, throughout all ages ».
Quelques textes font la distinction entre le jugement individuel et le Jugement Dernier. Cette différenciation n’est pas exprimée de manière théorique, par des concepts, mais visuelle, par la location attribuée au lieu du jugement. Par exemple, dans The Adventures of St. Columba’s Clerics, Snegdus et Mac Riagla assistent au jugement des âmes non pas devant le Trône de Dieu, mais dans une sorte de Limbe, une région noire, désolée, dont les tourments sont cependant absents. Le résultat du verdict est le même : les bons sont envoyés directement à la Cité de Dieu ; ceux qui ont fait autant de bonnes que de mauvaises actions, sont envoyés dans un pays de souffrances, où alternativement ils sont torturés et laissés se reposer. Ce régime durera jusqu’à la fin du monde, quand la bonté prévaudra sur la méchanceté. Les mauvais sont soumis à différents supplices : les parricides sont liés à des serpents dans un puits de feu ; les voleurs, les traîtres, les juges corrompus, les sorcières, les escrocs, les rebelles, les hérétiques sont enchaînés avec des courroies glacées et enflammées et battus par des diablotins ; les pieux négligents, qui ont succombé au plaisir de la chair, sont brûlés dans un océan de feu, mais seulement jusqu’à l’Apocalypse, puisque après ils seront reçus dans le port de vie ; les moines défaillants, hypocrites ou charlatans sont confondus dans du fer fondu et mordus par des chiens infernaux ; travailleurs et marchands malhonnêtes, rois impies, femmes adultères sont écrasés par les démons.
Le moine de Eynsham est à son tour conduit à un lieu qui joue le même rôle que le Trône du Jugement, mais ce n’est pas le Royaume. Derrière un « ful glorious walle of crystal, hoys heythe no man might see, and lenthe no man might consider », il contemple le Christ « yn lykenes of man, seated aloft on a throne ». L’entrée au trône du Fils est dotée d’une croix oscillante, qui fait la sélection des âmes : elle laisse passer les vertueux, mais bloque le passage des hésitants. Bien que le lieu soit la scène de Dieu assis sur son trône, Edmund sait « for certen that thys place, were Y saw oure Lorde sythyng yn a trone, was not the hye heuyn of heuyns, where the blessid spiritis of angels and holy sowlys of ryghtwys men ioyin yn the seyghte of God. » En conséquence, le lieu doit être assimilé à un Paradis inférieur, où se tient un premier jugement, le jugement individuel.
Autres fisi, comme The vision of Tnugdale, placent l’épisode du Trône du Jugement à la description finale de la Cité de Dieu. À la fin de son voyage, Tnugdale arrive devant le trône de la Sainte Trinité (« sedes Trinitatis »), où se déroulera le Jugement Dernier. Le Trône est un sorte de « point oméga » de l’univers, d’où tous les lieux importants du monde – Paradis, Enfer, Terre – sont également visibles (« Ab illo ergo loco, in quo tunc stabant, non solum omnem, quam ante viderant, gloriam, verum etiam predictarum supplicia penarum videbant, et quod magis miramur, terrarum orbem quasi sub uno solis radio videre valebant »). La place attribuée au Trône, au début du voyage visionnaire (où il correspond plutôt au jugement individuel) ou à sa fin (où il convient généralement au Jugement Dernier) dépend, comme nous allons essayer de le démontrer, de deux archétypes différents du voyage surnaturel.
L’épisode du jugement des âmes entraîne logiquement la présentation des punitions, respectivement des récompenses qui découlent des verdicts. En conséquence, les visiteurs seront conduits à voir les demeures de l’Enfer, puis du Paradis, en tant que principales destinations des humains dans l’autre monde. Remarque importante, dans les fisi autant l’Enfer que le Paradis ont deux hypostases distinctes. Quand Drythelm voit un lieu où les âmes sont portées par le vent alternativement dans du feu et de la glace, il pense que ce doit être l’Enfer ; et quand il voit une plaine fleurie avec du monde habillé de blanc, il est certain qu’il est au Paradis. Néanmoins dans les deux cas, son guide céleste prend soin de lui signaler que les places respectives ne sont ni l’Enfer, ni le Paradis, comme il pourrait le croire, mais des endroits différents, plus précisément la plaine des souffrances et la plaine des bienheureux. Ce qui implique que l’Enfer est divisé entre un Enfer Supérieur (la terre désolée des pleurs et des douleurs) et un Enfer Inférieur (l’abîme des démons) ; quant au Paradis, il est composé de la terre des élus (qui correspond au Paradis terrestre) et du Royaume céleste de Dieu.
La double structure de l’Enfer pourrait dériver de la superposition, par les pères de l’Église, des deux eschatologies antiques : la vision populaire d’un Hadès souterrain, décrite par Homère et Virgile, et la vision pythagoricienne, spiritualiste, d’un Hadès au dessus de la terre, atmosphérique ou lunaire[35]. S’inspirant de ces visions, les apocryphes de la Bible offraient à leur tour plusieurs locations pour l’Enfer. Visio Pauli, par exemple, revisitait l’Odyssée, situant l’Enfer au même pays des Cimmériens où Ulysse entreprend la nekya : vers l’Occident, au-delà du grand fleuve Océan, dans une zone sans lumière et sans joie.[36] Le processus d’appropriation par les docteurs du Moyen Âge de ces visions antiques est reconnaissable dans les Dialogues de Grégoire le Grand. Dans le Livre IV, Pierre demande à Grégoire « où devons-nous situer l’enfer ? »[37] Grégoire rappelle que « certains ont pensé que l’enfer se trouve en un lieu déterminé sur la terre ; d’autres estiment qu’il est sous la terre » (« nonnulli namque in quadam terrarum parte infernum esse putaverunt, alii viro nunc sub terra esse aestimant »[38]). Le pape est prudent (« Sur ce point, je ne voudrais pas trancher à la légère ») et ne veut pas décider entre les deux solutions. Et, citant le Psaume LXXXV 13 (« Liberasti animam meam ex inferno inferiori »), il accueille les deux théories : « L’enfer supérieur serait sur terre, l’enfer inférieur souterrain » (« ut infernus superior terra, infernus viro inferior sub terra esse videatur »).
L’approche de Grégoire le Grand donne une idée sur l’accommodation réciproque des deux conceptions antiques sur l’Enfer dans le Christianisme médiéval. Le concept théologique qui a permis la juxtaposition des deux topoï a été la distinction de saint Augustin entre un Enfer supérieur et un Enfer inférieur : « Intelligimus tanquam duo inferna esse, superius et inferius; nam unde infernum inferius, nisi quia infernum superius. »[39] Le thème a été repris par différents pères et érudits comme Cassiodorus (Expositio in Psalterium), Pseudo-Bède (In Psalmorum Librum exegesis) et Honorius d’Autun (Elucidarium). Il a aussi bien été utilisé par les moines irlandais afin d’intégrer des motifs celtiques païens dans la vision chrétienne de l’autre monde.
La distinction de saint Augustin entre les deux Enfers a été adaptée dans quelques textes latins et irlandais, comme Liber de numeris et Scél Lái Brátha (The Tidings of Doomsday). Dans Liber de numeris, faisant des « glossae in sacram scripturam » sur les nombres 1, 2 et 3, un auteur anonyme différencie deux types d’hommes vertueux (« Duo in hac vita sunt genera justorum: unum videlicet bene viventium, sed nulla docentium; aliud vero recte viventium, et eadem recta docentium »), respectivement deux types d’hommes mauvais (« Duobus modis Deus respicit in hominess, id est, vel ad veniam, vel ad vindictam; ad veniam, sicut respexit Petrum; ad vindictam, sicut in Sodomam et Gomorrham »).[40] Évidemment, les récompenses eschatologiques qui leur conviennent ne sont pas identiques : ceux qui vécu dans le bien (selon la morale) mais n’ont rien appris (en ce qui concerne la théologie) ne sont pas tout aussi méritant que ceux qui ont vécu en respectant les règles morales et ont tout appris. Pareillement, il y a une différence entre les péchés véniels et ceux capitaux, les premiers pouvant être remis, alors que les seconds seront nécessairement punis.
L’homélie dédiée aux Nouvelles sur la fin du monde (The Tidings of Doomsday) établit à son tour une hiérarchie entre différents degrés de piété et de culpabilité. Selon l’auteur anonyme, il y a quatre catégories d’âmes : « les très mauvaises » (mali valde), qui vont directement aux Enfers, sans jugement ; les « mauvaises, mais pas trop » (mali non valde), qui seront envoyées en Enfer seulement après le Jugement final (« a troop of them shall be brought to judgment and shall go after their doom to pain and punishment »); les « bonnes, mais pas trop » (boni non valde), qui seront admises au Paradis seulement après le Jugement (« another troop of them will be brought to judgment, and they will go after their judgement unto reward »); et les « très bonnes » (boni valde), qui vont directement au Paradis.[41] Sur cette base, les moines irlandais ont attribué aux âmes mali non valde et boni non valde, qui doivent tous attendre le Dernier Jugement, deux lieux intermédiaires, la terre des douleurs (ou l’Enfer supérieur) et la terre des justes (ou le Paradis terrestre). Le noir et le blanc et les combinaisons de taches noires et blanches, mentionnées plus haut, correspondent à cette typologie sotériologique quaternaire.
5. De ce fait, la région suivante visitée par les voyageurs extatiques est la terre dévastée des douleurs, conçue comme l’Enfer supérieur. Dans cette qualité, elle abrite les mali non valde, les âmes « pas très mauvaises », c’est-à-dire les pécheurs dont le destin final n’a pas encore été décidé. Dans ce topos sont réunies et amalgamées plusieurs topographies eschatologiques : les limbes (hébergeant les âmes qui ne sont pas punies mais qui ne peuvent entrer au Royaume de Dieu non plus), le « locus refrigerii » (lieu où les âmes attendent le Jugement), et le Purgatoire (un lieu de contrition et de purification).
Liber de numeris traite l’Enfer supérieur et l’Enfer inférieur comme un « Enfer des saints » et un « Enfer des pécheurs » : « Duos etiam infernos in Scripturis legimus: unus in terra, in quo probantur sancti, alius sub terra, in quo damnantur daemones et impii ». Le concept de « infernos sanctorum » est assez déroutant, puisqu’il réunit des caractéristiques spécifiques de plusieurs topoï eschatologiques, comme le sinus Abrahae, le limbe des patriarches avant l’ouverture de l’Enfer par le Christ, un lieu d’attente du Jugement Dernier, et un Purgatoire pour péchés véniels. En plus, l’auteur semble influencé aussi par la tradition irlandaise, concevant l’Enfer supérieur sur le modèle subliminal du Mag Mell souterrain celtique. Sur ces bases, il construit une longue série de contrastes entre les deux locations : « In inferno sanctorum compunctio salutaris, in inferno peccatorum cruciatus poenalis; in inferno sanctorum poenitentia vera, in inferno peccatorum poenitentia sera; in inferno sanctorum abremissio pia, in inferno peccatorum damnatio justa; in inferno sanctorum probatio cum consolatione, in inferno peccatorum poena sine intermissione; […] in inferno sanctorum nox et dies, in inferno peccatorum tenebrae exteriores; in inferno sanctorum probantur boni, in inferno peccatorum puniuntur pravi; in inferno sanctorum ignis videtur et ministrat, in inferno peccatorum habetur et cruciat; in inferno sanctorum custodiunt angeli, in inferno peccatorum cruciantur adversarii; in inferno sanctorum gratia, benignitas et misericordia, in inferno peccatorum amaritudo, ira et indignatio; in inferno sanctorum adjuvantur sancti, in inferno peccatorum damnantur daemones et impii; in inferno sanctorum boni et mali, in inferno peccatorum nihil habetur boni; in inferno pravorum non est finis malorum, in inferno sanctorum spes est regni coelorum”.[42] Habité autant par de bons que de mauvais gens, qui cherchent la rémission de leurs péchés sous la supervision des anges, « l’Enfer des saints » est plus proche du Royaume que de l’Enfer.
Pareillement, quand les anges emmènent saint Laisrén voir l’Enfer, ils lui montrent premièrement un lieu situé au Nord, un grand vallon entre deux montagnes, décrit comme « la porte de l’Enfer ». Ici le saint voit beaucoup d’Irlandais qui se lamentent. Les anges expliquent que « whoever is under the displeasure of God during life after thee, here do they behold (their) souls, and this is their certain fate, unless they repent ». Bien qu’il ne reçoive pas la permission de leur parler, le voyageur extatique est conseillé de prêcher la justice et le repentir. De même que saint Fursa, saint Laisrén est lui aussi préparé, par sa vision, pour une mission dans le monde, à savoir celle de convertir les vivants qui peuvent encore éviter la damnation. Néanmoins, le fis suggère que les âmes peuvent se repentir aussi bien après la mort, et qu’elles sont encloses dans ce lieu eschatologique jusqu’au moment où elles accomplissent la volonté de Dieu. Aussi, la vallée semble-t-elle avoir un rôle de purgatoire moral, combiné avec celui de « locus refrigerii », où les âmes restent jusqu’au moment de leur contrition, ce qui leur permettra d’avancer vers « a place of comfort away from this evil ».
Drythelm est lui aussi porté dans un vallon grand et profond, situé vers l’Orient. La crête du côté gauche est un mur de flammes, celle du côté droit une cortine de grêle et glace. Les nuées d’âmes sont continuellement balancées et jetées dans toutes les directions. Les deux ordalies complémentaires, celle du feu et celle du froid, rappellent la bataille des anges et des démons pour les âmes ; toutefois, leur effet combiné est une purgation d’autant plus radicale que la douleur est plus grande. Et quoique les morts souffrent visiblement, le guide radiant de Drythelm le prévient que ce qu’il voit n’est pas l’Enfer, comme il serait tenté de croire, mais un lieu avec un but eschatologique différent de la damnation, à savoir la justification.
À son tour, le moine de Wenlock est invité à voir plusieurs « bowels of the earth, many fiery pits vomiting forth terrible flames ». Sur leurs bords, il aperçoit des âmes souffrantes sous la forme d’oiseaux noirs (« miserorum hominum spiritus in similitude nigrarum avium »). Les âmes-oiseaux, noirs dans cet exemple, sont un motif récurrent dans les visions médiévales. Dans ses Dialogues, Grégoire le Grand a recueilli plusieurs récits sur des morts qui quittent leur corps sous la forme de colombes.[43] Plus tard, aux XIVe-XVe siècles, dans les icônes représentant la Vierge et l’Enfant, l’oiseau deviendra un symbole stéréotypé de l’humanité rachetée par le Christ.[44] Dans plusieurs echtrai, fisi et immrama, le thème paraît avoir recueilli des motifs celtiques païens dont le symbolisme est similaire. (Par exemple, dans The adventure of Teigue, son of Cian, Teigue et ses compagnons rencontrent sur une île des oiseaux noirs infernaux. En mangeant leurs œufs, les Irlandais se retrouvent couverts de plumes noires, comme une sorte de corrélat extérieur pour leurs sentiments dominants très sombres.[45]) Un ange explique au moine de Wenlock que les âmes-oiseaux n’ont reçu la permission de sortir des puits infernaux que pour un bref laps de temps et qu’après elles doivent retourner dans l’abîme. « This brief respite shows that Almighty God will give to these souls in the judgment day relief from their punishment and rest eternal. » On peut déduire que l’Enfer supérieur est un lieu d’expiation et que le refrigerium que les âmes y reçoivent est une anticipation de la paix éternelle dont elles jouiront après le Jugement Dernier.
En règle générale, les tourments dans l’Enfer supérieur ont une fonction expiatoire. Dans ses Dialogues, Grégoire le Grand affirme qu’il y a « un feu purifiant pour les fautes légères avant le jugement » (« de quibusdam levibus culpis esse ante indicium purgatories ignis credendus est »).[46] Le pape prend soin de prévenir ses lecteurs que les peccadilles pardonnables sont seulement les moindres et les plus innocentes, comme le bavardage habituel, le rire immodéré, le péché de souci pour les intérêts matériels, l’ignorance concernant des choses sans importance.[47] Les auteurs ultérieurs, et plus spécifiquement les pères de l’Église, seront très stricts pour préserver la fonction morale de l’eschatologie chrétienne, en n’assignant au Purgatoire que les fautes insignifiantes, celles que les gens n’avaient pas confessées pendant la vie. Saint Boniface, par exemple, relatant la vision du moine de Wenlock, précise à propos du Purgatoire : « Hic sunt animae, que post exitum mortalis vitae, quibusdam levibus vitiis non omnino ad purum abolitis, aliqua pia miserentis Dei castigatione indigebant, ut Deo dignae offerantur ».
Toutefois, comme l’imagination des visionnaires en général semble plus libre et abrupte que celle des pères gardiens du dogme, les tourments décrits correspondent souvent à des péchés beaucoup moins bénignes. Edmund, le moine d’Eynsham, visite trois lieus successifs de torture : le premier, un marais où les âmes sont frites dans des casseroles, dépecées avec des griffes de feu, bouillies dans du métal liquide, mangées par des vers terrifiants ; le second, un ravin profond entre deux côtes de montagne, de feu et de glace ; le troisième, une plaine avec des bûchers ardents où les âmes sont fondues et brûlées et puis reconstituées pour être torturées à nouveau. Des trois lieux, les deux premiers sont indubitablement des purgatoires, puisque les âmes qui s’y trouvent conservent l’espoir du salut. Et même les plus mauvaises, qui sont damnées à perpétuité, si elles ont fait quelques bonnes actions pendant leurs vies, elles reçoivent tout de même des sursis (« refrigerium supplicii ») comme dans la Vision du moine de Wenlock, ou des moments de relâche (le plus souvent les dimanches[48]) comme dans la Vision d’Adamnán. Dans la vision tardive d’une femme anonyme du quinzième siècle, le Purgatoire est aussi divisé en trois régions, qui ont une fonction purificatrice suivant la forme d’intervention de Dieu dans le processus : le Purgatoire de la Justesse (desservi par trois grands feux qui brûlent les âmes au noir, puis au rouge et finalement au blanc) ; le Purgatoire de la Miséricorde ; et le Purgatoire de la Grâce.[49]
Le développement de plus en plus complexe des fisi a mené à une élaboration plus poussée de la structure de l’Enfer supérieur. La Vision d’Adamnán et la Vision de Tnugdale décrivent un Enfer stratifié et multifonctionnel qui prépare la grande systématisation de Dante. Après avoir traversé un pont au-dessus d’un abîme de flammes, Adamnán visite une série d’espaces qui abritent différents types de tourments : un lieu où la souffrance est intermittente, une heure de tortures et une heure de calme, pour des gens également bons et mauvais, qui seront libérés au Jugement ; une mer de feu, avec des chaînes comme des vipères, pour les fratricides, les voleurs d’églises et les simoniaques ; un bourbier noir où les âmes sont brûlées par des ceintures de feu et de glace et frappées par des démons avec des massues de feu ; une résidence pour les voleurs, les menteurs, les traîtres, les juges corrompus, les personnes contentieuses, les sorcières et les hérétiques, piqués par des aguillons de feu dans les trous de la face et par des clous dans les langues et les têtes ; un mur d’argent isole ceux qui ont pratiqué la miséricorde sans ferveur et ont mené une vie désordonnée, mais qui seront sauvés au Jugement ; un lieu où les réguliers qui ont transgressé les canons et les imposteurs sont vêtus de capes rouges et dévorés par des chiens infernaux incités par des démons ; et une zone où les diables tirent des flèches enflammées sur les artisans, tisserands et marchands trompeurs, les juges corrompus, les rois impies et les femmes adultères.
La plus systématique est la Vision de Tnugdale. Les « mali non valde » vivent dans un endroit intermédiaire, affamés et assoiffés, tristes, exposés à la pluie et au vent, mais pas vraiment torturés – un lieu qui anticipe le Limbe dantesque. Les pécheurs sont groupés par catégories de péchés et tortures : les criminels, parricides, matricides, infanticides et fratricides sont brûlés comme des charbons et écrasés par une masse de fer dans une vallée de feu ; les intrigants et les traîtres sont soumis alternativement au feu et au froid sur les côtes d’une montagne ; les orgueilleux doivent traverser un pont sur une rivière de souffre ; les avares sont mangés par un ver gigantesque ; les voleurs doivent passer un pont sur un lac plein de monstres ; les gloutons et les fornicateurs sont massacrés par des boucherons infernaux dans un dôme gigantesque ; les ecclésiastiques fautifs sont dévorés par des bêtes ailés qui les imprègnent d’œufs de serpent qui par la suite les rongeront de l’intérieur ; les pécheurs qui ont négligé de se confesser sont écrasés par des forgerons infernaux qui les fondent ensemble dans des balles de vingt à cent âmes. Ces huit catégories, anticipant les cercles dantesques, souffrent de grandes douleurs. Néanmoins leurs tortures, celle de Tnugdale aussi, sont censées avoir un effet purificateur, de laver de leurs péchés les âmes autant des morts que des voyageurs extatiques, comme dans le Purgatoire de saint Patrick.
6. Si l’Enfer supérieur est une zone affectée à la purgation des péchés, l’Enfer inférieur est l’abîme des damnés. Les âmes n’y ont aucun espoir de rédemption ou d’évasion, les tortures n’y ont plus une fonction purificatrice, elles sont la punition assignée aux damnés, que le Jugement Dernier confirmera et rendra définitive. Tnugdale, par exemple, apprend d’un ange que, une fois entrée dans l’abîme, aucun âme n’en ressortira plus (« nullus, qui semel intraverit, exire amplius poterit »). L’ange dévoile aussi le fait que Dieu est prêt à écouter les pécheurs qui se repentent sur leur lit de mort, mais condamne à la mort éternelle ceux qui le dénient (« qui vel Christum omnino negant, vel negantium opera faciunt »). Dans l’Enfer inférieur les diables ne sont plus seulement les bourreaux des damnés, ils y sont eux aussi torturés pour leurs faits.
En comparaison avec l’Enfer supérieur, l’Enfer inférieur est d’habitude moins richement décrit. Le plus souvent les voyageurs ne font que le côtoyer, en le dépassant par un pont à géométrie variable. S’ils réussissent à ne pas y tomber, alors ils n’en ont qu’une vue fugitive, obstruée par la distance, la fumée et les ténèbres. Dans la vision de saint Laisrén, « L’Enfer lui-même » (en opposition avec la vallée entre les montagnes décrite comme la « porte de l’Enfer ») ne bénéficie que d’une présentation fugitive (ce qui peut être dû aussi à la perte d’un partie du texte dans la transmission du manuscrit) : sur le modèle de l’étang de feu de l’Apocalypse de saint Jean (« et Diabolus, qui seducebat eos, missus est in stagnum ignis, et sulphuris, ubi et bestia, et pseudopropheta cruciabuntur die ac nocte in saecula saeculorum », 20, 10),[50] l’Enfer des damnés apparaît comme une mer de feu engloutissant les âmes. Ceux qui ont pratiqué le blasphème, le mensonge, l’indiscrétion et la vantardise ont les langues, les oreilles ou les yeux troués de clous ; d’autres sont menés par des démons avec des fourches de feu. Le moine de Wenlock ne bénéficie lui non plus que d’une vision éloignée de l’abîme infernal. Un ange l’informe que les gens dont il peut entendre les cris terribles ne recevront jamais le pardon divin et seront torturés à perpétuité (« Sub illis autem puteis, adhuc in inferioribus et in imo profundo, quasi in inferno inferiori, audivit horrendum et tremendum et dictu difficilem gemitum et fletum lugentium animarum »).
Toutefois, dans les fisi plus tardifs, l’influence des apocalypses judéo-chrétiennes, avec leur riche imaginaire sur les tourments infernaux, a provoqué une amplification progressive de la description, culminant dans la Divine comédie dantesque. Dans la vision de Thurkill, la présentation de l’Enfer commence par un spectacle très élaboré. Dans une enceinte gigantesque située au Nord de l’église eschatologique où sont jugées les âmes, Thurkill assiste à un spectacle théâtral complexe, dans lequel les damnés doivent mimer leurs péchés, provoquant les ris et les applaudissements des diables spectateurs. Plus loin se trouvent quatre lieux de torture : au premier, les âmes sont bouillies dans des chaudrons de souffre et autres liquides enflammés ; au deuxième, elles sont jetées dans des chaudrons de glace et neige ; au troisième, dans des chaudrons avec des mixtures fondantes de plantes vénéneuses ; au quatrième, dans des chaudrons d’eau salée caustique. Tous les huit jours, les âmes sont mutées d’une place à l’autre.
La visite du puits infernal implique une descente plus poussée dans l’autre monde, devenant un nouveau (et peut-être le véritable) « descensus ad inferos ». Après avoir visité les mansions de l’Enfer supérieur, Tnugdale se retrouve dans un lieu de ténèbres totales, des « tenebrae palpabilis ». Une fosse carrée (« fossam quadrangulam quasi cisternam ») conduit vers une nuée de flammes et de fumée, dans laquelle s’agitent une multitude d’âmes et de démons. La source de l’obscurité est le prince des ténèbres (« princeps tenebrarum ») en personne, Lucifer. L’archi-ennemi de notre race (« inimicus generis humani ») est décrit comme ayant une forme humaine, mais plusieurs bras et queues. Dans ses mains il broie des foules d’âmes, comme des grappes de raisin. Il est lié au sol par tous ses membres pour qu’il ne se mette pas à détruire le monde entier. C’est l’image traditionnelle de l’archi-démon enchaîné, que l’on retrouve dans la mythologie chrétienne populaire, à partir du diable enchaîné dans la « valle tenebrarum » dans la légende d’Alexandre et des « merveilles de l’Orient »[51] jusqu’au Lucifer de Dante prisonnier dans la glace du Cocyte.
Quelques-unes de es visions proposent une séparation plus nette entre l’Enfer supérieur et celui inférieur. Pendant son fis, Adamnán découvre que, au-delà de la zone du purgatoire, s’érige un mur de feu qui enclôt un lieu « sept fois plus horrible et cruel ». Le paysage devient beaucoup plus terrifiant que celui de la terre des douleurs. Adamnán voit des montagnes avec des cavernes et des crêtes en épi ; des plaines vides et desséchées, avec des étangs grouillant de serpents ; des terres sableuses, arides et glacées ; des mers avec des abîmes horribles ; quatre rivières, de feu, de neige, de poison et de boue. Néanmoins la différence principale entre l’Enfer supérieur et l’Enfer inférieur est donnée par leur fonction eschatologique. L’Enfer supérieur est une place de purification et d’attente du Dernier Jour. Après le Jugement, quelques-uns de ses pénitents, les « mali non valde », seront menés « au Port de Vie » ; et d’autres, les « mali », seront jetés dans l’Enfer inférieur. Pour le moment, jusqu’à la fin du monde, les murs infernaux de l’Enfer inférieur ne paraissent enclore que « la tribu du Diable », alors que les damnés à perpétuité vont les rejoindre seulement après le Jugement (et même alors ils auront droit à une pause de trois heures chaque dimanche). Cette forteresse infernale destinée aux diables et aux « mali » se retrouve sur la ligne thématique qui va du Tartare de Virgile au château de Dite de Dante.
7. Le plus souvent, l’Enfer est séparé du Paradis par un pont (« pons probationis »), qui officie une ordalie pour isoler les âmes des justes des âmes des damnés. Puisque l’Enfer inférieur est représenté comme un lac de feu, or comme une ravine enfouie aux entrailles de la terre, et puisque l’Enfer chrétien a hérité les rivières et les marais du Hadès classique, l’Achéron, le Styx, le Cocyte, etc., un pont serait un moyen logique (similaire à la barque des morts) pour assurer la traversée de cet obstacle. Néanmoins, puisqu’il a été conçu par Dieu dans l’éternité, le pont joue un rôle qui n’est plus strictement pragmatique. En général il exerce une fonction morale : ayant une géométrie variable, il est large et accessible pour les justes, mais devient étroit, glissant et impossible à franchir pour les pécheurs.
Les commentateurs sont en général d’accord que le topos du pont a son origine dans le folklore chrétien primitif et a été imposé par les Dialogues de Grégoire le Grand. Dans le 37e Dialogue du Quatrième Livre, le pape raconte l’histoire post-mortem d’un homme appelé Étienne, décédé pendant la peste de 590. L’histoire est narrée par un soldat qui a vécu une expérience de mort clinique à la même époque. Pendant qu’il était ravi de son corps (« eductus e corpore »), le soldat avait vu « un pont, et sous ce pont un fleuve roulait des ondes d’une noirceur sinistre, exhalant une buée d’une puanteur insupportable. Si l’on franchissait le pont, on trouvait des prairies charmantes, verdoyantes, parées de fleurs parfumées, où l’on voyait des assemblées d’hommes habillés en blanc » (« pons erat, sub quo niger adque caligosus foetoris intolerabilis nebulam exhalans fluvius decurrebat; transact autem ponte, amoena erant prate, adque virentia odoriferis herbarum floribus exornata, in quibis albatorum hominum conventicula esse videbantur »).[52] Ce n’est pas tout un chacun qui a la chance de pouvoir passer ce « pont d’épreuve », parce que, « si un mauvais voulait le passer, il tombait dans le fleuve ténébreux et puant. Les bons qui n’avaient pas de faute pour leur faire obstacle passaient d’un pas tranquille et libre pour parvenir aux lieux charmeurs ».[53] En plus, combinant le topos du pont avec celui de l’échelle de Jacob, Grégoire relate que l’ordalie est perpétrée par des « hommes noirs hideux » qui sortent du fleuve et tirent les morts vers le bas et par des « hommes blancs fort beaux » qui les attirent vers le haut. De cette manière, le pont reprend le thème de la lutte des anges et des démons pour les âmes des morts.
Les sources du thème ne sont pas totalement claires. Les savants de la Religionsgeschichtliche Schule (de Miguel Asín Palacios à P. Dinzelbacher) ont argumenté que le topos du pont a ses origines dans le motif iranien du Cinvat, et qu’à partir de l’Iran il a été adapté successivement par l’Islam (le mi’raj), par la mythologie irlandaise et par les visions chrétiennes médiévales. Dernièrement, Ioan Petru Coulianu a invalidé la « connexion irlandaise », en montrant que le thème a dû passer directement de l’eschatologie islamique à celle chrétienne.[54] Néanmoins, dans la littérature irlandaise apparaissent toutes sortes de ponts d’épreuves. Ces ponts figurent dans tous les récits qui décrivent l’autre monde, dans les echtrai, dans les immrama, dans les descentes dans le Purgatoire de saint Patrick, dans les fisi.
Par exemple, dans les Aventures d’Art fils de Conn, Art voyage vers Tir na nIngnadh pour rencontrer Delbchaem, sa future épouse. Parmi les nombreux périls qu’il doit affronter se trouve un pont effilé au dessus d’une rivière de glace, gardé par un guerrier géant.[55] Le plus formidable de ces ponts est le Pont de la Falaise que Cu Chulainn doit traverser pour arriver chez son aimé Emer. Le pont est courbé, ses bouts sont bas et le milieu est bien relevé. Chaque fois que quelqu’un s’y aventure, il se rétrécit successivement jusqu’à la largeur d’un fil de cheveu, puis à la longueur d’un doigt, ensuite il devient glissant comme une anguille, et finalement il se relève comme le mât d’un navire.[56] Pour le traverser, Cu Chulainn n’a d’autre recours que de devenir berserker et de faire le « saut du saumon ».
Dans le Voyage de Mael Duin, le navire du héros accoste auprès une forteresse avec une porte de bronze et un pont en verre, au-dessus d’une petite source. Quand ils essayent de passer le pont, les voyageurs glissent sur sa surface et tombent en arrière. Heureusement, une jeune femme ne connaissant pas le péché les accueille et les héberge pendant trois jours, pour disparaître après ensemble avec le château. Dans le Voyage de saint Brendan, quand le saint aborde Tir Tairngire (Terra repromissionis sanctorum), assimilé au Paradis Terrestre, il découvre que l’île est divisée en deux régions par une rivière. Le procurateur de l’île lui donne la permission de visiter la première région, mais non la seconde. De même que dans le cas du Jardin d’Éden, interdit aux humains après le péché, Brendan est prévenu de ne pas essayer de trouver un passage ou un pont traversant la rivière : « Istud flumen non possumus transire ».[57] Le pont-levis vers le Royaume de Dieu a été levé !
Le pont est un élément important du décor des descentes dans le Purgatoire de saint Patrick aussi.[58] En contraste avec l’Achéron classique, qui sépare le monde des vivants du monde des morts, dans les textes irlandais une rivière ou un abîme sépare le royaume des damnés du Royaume de Dieu. Les deux rives sont unies par un pont étroit, glissant, ténu comme un fil (« tres estroit, et aussi poli comme glace et tout esculent », dit Jacques de Voragine). Il est un accessoire pour tester non seulement la foi et la qualité morale des voyageurs, mais aussi leur courage. Les chevaliers Owein et Nicolas arrivent à le traverser sans aide, par leurs propres forces. George est secouru par l’archange Michel, qui le soutient et le protège contre l’attaque des démons. Pour William l’épreuve est plus difficile, puisqu’il doit monter une échelle avec des échelons comme des épées, hautes de la stature d’un homme.
Finalement, dans les fisi le pont est, plutôt qu’un dispositif pour tester le courage et les habilités héroïques, un instrument pour une ordalie morale qui rappelle autant la bataille menée par les anges et les démons dans le ciel atmosphérique, que le feu purgatoire du ciel astronomique et le Jugement des âmes par Dieu. Il est une nouvelle occasion de séparer les bons des mauvais, permettant le passage des vertueux et provoquant la chute des vicieux dans l’abîme infernal. Dans La vision d’Adamnán, après avoir assisté au jugement de Dieu, le « petit Adam » (Adamnán est un diminutif pour Adam) est porté dans l’Enfer. Il arrive devant une terre brûlée, noire, déserte et desséchée, au bout de laquelle un pont s’érige au dessus d’un puits de flammes. Le pont change de dimensions et de forme : il est large et facile pour les chastes et les pénitents ; il est étroit au début et large à la fin pour les convertis ; et il est large au début puis s’étrécit progressivement pour les pécheurs. Dans Les aventures des moines de saint Colomban,[59] les moines sont emmenés visiter l’Enfer. La première région qu’ils voient est une sorte de limbe, une plaine noire dévastée, où les âmes ne souffrent pourtant aucune torture ou peine. Ici les voyageurs doivent traverser un pont de l’épreuve, large pour les justes, mais étroit et glissant pour les pécheurs. De manière évidente, le thème du pont développe l’allégorie du destin humain comme un chemin partagé entre les vertus et les vices.
Le pont exerce non seulement une fonction sélective, mais aussi une fonction purificatrice, par les peines qu’il inflige aux passeurs. Dans la vision du moine de Wenlock rapportée par saint Boniface, le voyageur extatique voit un pont de bois (« lignum pontis ») au dessus du Tartare, qui est un fleuve de feu et de souffre brûlant (« igneum piceumque flumen, bulliens et ardens »). Les âmes vertueuses le traversent sans entrave, mais les autres tombent dans le fleuve et s’immergent jusqu’au genoux, à la taille ou aux épaules. Les anges expliquent au moine que ce sont là les hommes qui sont morts avant de confesser leurs péchés véniels et en conséquence doivent se purifier. Après l’immersion, les âmes en ressortent beaucoup plus brillantes et belles qu’avant de tomber dans le fleuve bouillant. Dans la Vision de Tnugdale, plusieurs zones de l’Enfer supérieur sont prévues avec des ponts d’essai. La vallée profonde des arrogants est traversée par un pont long et étroit qui permet le passage des humbles. Le lac des voleurs est lui aussi surplombé par un pont à clous de fer (« clavis ferreis acutissimis, qui omnium transeuntium pedes solebant penetrare ») et chaque âme doit le traverser portant sur son dos ce qu’elle a volé pendant sa vie (une vache dans le cas de Tnugdale).
En tout, le pont a la même fonction et est en quelque sorte une synecdoque pour l’Enfer supérieur dans sa totalité. Dans cette qualité, il peut apparaître à l’entrée de l’Enfer supérieur (faisant le tri de ceux qui ne peuvent pas être purifiés et sont condamnés choir dans l’Enfer inférieur) ou à la sortie (sélectionnant ceux qui sont dignes de le quitter et d’entrer au Paradis terrestre).
8. Après la visite morale et pénitentielle de l’Enfer, les voyageurs extatiques découvrent la terre des bénis. Le paysage change de manière dramatique, les ténèbres sont remplacées par la lumière et les peines par le bonheur. De même que le partage de l’Enfer en une zone supérieure et une zone inférieure avait permis aux auteurs médiévaux de récupérer dans la première plusieurs thèmes païens comme le Mag Mell souterrain (le monde des sidhi) et son équivalent chrétien, la cave de saint Patrick, la distinction entre la terre des bienheureux et le Royaume céleste de Dieu a rendu possible la conservation, dans le cadre de la première zone, d’autres topoï païens, comme le « locus amoenus », le Mag Mell insulaire, les Champs Élysées et les Îles des Bienheureux. Mettant à profit le modèle prolifique des visions de saint Jean, saint Pierre et saint Paul, ces topoï classiques et celtiques ont été assimilés à des thèmes judéo-chrétiens, comme la Terre promise, la Terre des saints, le « sinus Abrahae » et le Paradis terrestre.
Autant Bède que Boniface décrivent le Paradis avec les termes stéréotypes du locus amoenus. Saint Fursa est reçu par Beoanus et Meldanus dans un « supernum conuentum » rempli par le parfum exquis des fleurs et la musique des anges, qui le charment et lui provoquent un état de transport : « Tunc anima illius ad dulcedinem superni modulaminis ac sonitum ineffabilis laetitie ultra caelum sonantis intendens, circumfulsit ». Dans de tels lieux il n’y a pas de tristesse, de douleur, de chagrin et de souffrance (« In hoc caelesti regno nulla umquam tristitia nisi de hominum perditione fieri potest »). Drythelm voit les « boni non valde » réunis dans une plaine plaisante, pleine de fleurs (« tantaque flagrantia uernantium flosculorum plenus ») dont le parfum tue l’odeur nauséabonde de l’Enfer. Le moine de Wenlock découvre dans le « paradis de Dieu » une foule d’âmes dans un état de bonheur extatique, nourri par la fragrance divine des champs fleuris (« amoenitatis locus, in quo pulcherrimorum hominum gloriosa multitude miro laetabatur gaudio »). Tnugdale, après avoir vu l’Enfer, arrive dans la plaine du bonheur (« campus letitie ») : paysage splendide, fleurs et fruits parfumés, lumière brillante, air plaisant et tempéré, etc. Les pommiers celtiques (Emain Ablach ou Avalon sont les îles des pommiers), qui confèrent l’immortalité, sont supplantés par la source de la jeunesse éternelle : « Fons quoque hic, quem vides, vocatur vivens: si quis gustaverit ex hac aqua, vivet in eternum ». C’est le lieu désigné pour les « non valde bonorum », ceux qui ont été bons, mais pas assez, pour être reçus directement au Royaume de Dieu.
Dans l’iconographie médiévale tardive, le Paradis était souvent représenté par deux images combinés : dans la part inférieure des dessins se trouvait un jardin de délices (héritant du topos du Jardin d’Éden), dans la partie supérieure, la Cité de Dieu (héritant des topoï du Royaume de Dieu et de la Jérusalem céleste). Les moines irlandais ont fondu leur héritage celtique dans ce pattern. Au milieu et au dessus de la plaine des bonheurs Tnugdale voit un château suspendu miraculeusement, richement orné et resplendissant (« domus mirabiliter ornatum, cujus parietes et omnis structura ex auro errant et argento et ex omnibus lapidum pretiosarum generibus »). Ce dôme récupère le motif des forteresses du peuple de féerie habitant le Mag Mell, et le rehausse à la magnificence de la Jérusalem céleste de saint Jean. Dans cette qualité, il est censé héberger dans l’autre monde des rois chrétiens tels Conchobar et Donnchad, patrons de la fédération monastique bénédictine à laquelle appartenait l’auteur de la Visio Tnugdali.
Dans d’autres fisi, le Paradis inférieur est assimilé à la Terre des Saints. Adamnán découvre que le lieu est divisé dans quatre zones cardinales : celle orientale abrite les saints de l’Est, celle méridionale les saints du Sud, etc. La même partition de la Terre des Saints apparaît dans l’histoire des deux moines des Aventures des moines de saint Colomban. Cette division du paradis en quadrants est amplifiée, dans L’Aventure de Cian fils de Teigue, au concept de quatre paradis cardinaux, situé chacun aux quatre points cardinaux du monde. Dans leurs paradis respectifs, les foules des saints, selon le récit d’Adamnán, vêtues de lin blanc, les têtes couvertes de capuchons irradiants, chantent inlassablement une merveilleuse musique à l’honneur de Dieu.
Le Paradis inférieur est une place où les saints attendent le Jugement Final, ou, selon les dires d’Adamnán, « attendent perpétuellement, dans la gloire décrite précédemment, le grand Parlement de l’Apocalypse, quand le juste Juge, au Jour du Jugement, les disposera dans leurs stations et places définitives ». Si dans le fis de Tnugdale l’extension historique de la plaine des délices (en tant que lieu de repos des « pas très bons ») n’est pas limitée, ou en tout cas pas spécifiée, étant potentiellement coextensive à l’Enfer et au Paradis, dans d’autres textes son existence dans le temps est circonscrite par l’Apocalypse, quand tous les lieux eschatologiques intermédiaires disparaîtront ensemble avec le monde physique. Dans cette fonction, le Paradis inférieur a pu être assimilé au sein d’Abraham, un topos judaïque ancien lié à l’idée de retour aux ancêtres et utilisé, spécialement par le christianisme oriental, comme un lieu d’attente où les morts dorment jusqu’au moment de la résurrection. Dans la Vision de Barontus, un texte continental que nous invoquons ici exceptionnellement pour l’usage ouvert qu’il fait de la terminologie judéo-chrétienne, le lieu où les âmes attendent le Jugement et leur ascension au Royaume de Dieu est précisément désigné comme le « sinus Abrahae ». Voyageant entre le Paradis et l’Enfer, Barontus voit Abraham assis sur un trône immense et recevant dans son sein les âmes qui ne vont pas directement au Royaume de Dieu.
Finalement, l’effort d’incorporation des topoï païens du locus amoenus et du Mag Mell dans le concept chrétien d’au-delà a abouti à leur assimilation au Jardin d’Éden, comme il se passe dans le poème sapientiel Pantheon de Gottfried de Viterbe.[60] Dans la tradition médiévale, le jardin biblique, clos à jamais par Dieu après le péché, est resté tout de même ouvert pour quelques élus, comme Hénoch et Élie, auxquels s’ajoutaient parfois Moïse ou saint Jean l’Évangéliste. Dans la Bible, Hénoch et Élie constituaient deux cas atypiques d’hommes ravis « in corpore », durant leur vie. Ce thème, présent déjà dans un texte apocryphe ancien perdu (selon l’opinion de Montague James), puis dans le Contra Haereses de saint Irénée (V.5.1) et dans Visio Pauli (20a-b), apparaît dans plusieurs textes irlandais. Le plus complet et explicite est Dá brón Flatha Nime (The Two Sorrows of the Kingdom of Heaven), où Hénoch et Élie sont présentés comme deux saints qui attendent, dans leurs corps charnels, la fin du monde. Élie est en train de prêcher l’Apocalypse à des oiseaux, qui sont des âmes des justes. À la différence des autres humains, qui sont censés payer par la mort le prix du péché d’Adam, les deux saints ont reçu le privilège de ne pas devoir mourir jusqu’au Jugement, quand ils devront affronter l’Antéchrist et périr en martyrs. D. N. Dumville pense que le Paradis terrestre a été le topos le plus approprié que les auteurs médiévaux pouvaient trouver pour ces cas d’immortalité physique, en contraste avec le Paradis céleste réservé aux êtres spirituels, comme les anges et les âmes des vertueux.[61]
La scène de Dá brón Flatha Nime réapparaît sans modification dans la section finale de la Vision d’Adamnán. Élie prêche à des oiseaux blancs radieux, qui sont « les âmes des justes, sous l’Arbre de Vie, qui est au Paradis ». Il leur présente les deux voyages des morts, soit vers les « bonheurs et délices du Royaume Céleste », soit vers les « peines et tourments de l’Enfer », et les désastres du Dernier Jour. La description du Jugement provoque le chagrin imprimé sur les visages de Hénoch et d’Élie et la lamentation des oiseaux-âmes. L’épisode se déroule avant le temps quand « Dieu rendra la récompense méritée à tout un chacun sur terre » et les saints seront transportés à une « place de repos éternel dans le Royaume du Ciel ». Le Paradis terrestre décrit par Adamnán est donc un lieu où les âmes des justes, sous une forme aviaire, attendent l’Apocalypse. Il a une fonction analogue à la Terre des Saints ou à d’autres places similaires, comme celle de la Vision de saint Fursa, où les anges instruisent les visiteurs sur leurs chances de salut en fonction de leur comportement moral pendant la vie terrestre.
Le Paradis inférieur visité par Thurkill est lui aussi assimilé au Jardin d’Éden, bien qu’il ne soit pas nommé de la sorte. De même que dans les légendes médiévales sur le Paradis terrestre situé dans les parages des Indes merveilleuses[62], le jardin et les édifices de la Cité de Dieu se trouvent au sommet d’une grande montagne, le « Mons gaudi ». (Dante se souviendra de cette image quand il placera le Jardin divin sur la cime du mont du Purgatoire.) Comme dans Genèse 2, du milieu du jardin surgit une source qui se divise en quatre rivières (considérées comme origines du Tigre, de l’Euphrate, du Phison et du Gihon). Près de la source croît un arbre, qui est évidemment l’Arbre de Vie. Sous son feuillage est assis Adam, un personnage gigantesque, qui contemple le destin de ses successeurs. D’un œil il pleure pour les pécheurs, de l’autre il rit pour les justes[63].
9. Le Paradis inférieur, ou Paradis terrestre, est suivi par le Royaume céleste de Dieu. Dans le dogme chrétien, le Paradis céleste est la destination finale des justes, des « boni » sans tâche. Si parfois les lieux intermédiaires comme la Terre de Promesse, le « locus amoenus », le « locus refrigerii », la Terre des Saints, le sein d’Abraham ou le Jardin d’Éden sont faits pour durer seulement jusqu’au Jour du Jugement et être détruits ensemble avec le monde physique, le Paradis céleste est la demeure éternelle de Dieu lui-même. Dans sa description convergent plusieurs thèmes judéo-chrétiens comme le Troisième Ciel, le Ciel Empyrée, la Cité de Dieu, la Jérusalem céleste.
Avec la visite du Paradis céleste le cercle du voyage visionnaire se clôt. Quand ils ont quitté leurs corps, les voyageurs extatiques ont été portés, suivant le même trajet que les âmes après la mort, devant le Trône de Dieu. Là leurs guides leur ont montré les deux directions assignées aux âmes en fonction du résultat du Jugement : Enfer ou Paradis. Pour que leur instruction fût complète, ils ont dû se soumettre à une « catabasis eis antron », afin de connaître la destination eschatologique des pécheurs. Ensuite ils ont fait le trajet inverse, une « anabasis », pour contempler le destin des justes après la mort. Par conséquence, la description du Royaume de Dieu reprend et continue les visions précédentes sur le Trône de Dieu, que les voyageurs ont déjà vu lors de la première ascension.
Toutefois, seulement une partie des visiteurs sont admis à entrer dans la Cité de Dieu. Dans le Voyage de saint Brendan, l’île du Paradis terrestre est divisée en deux parties par une rivière infranchissable et ce n’est que la première moitié qui est ouverte aux curieux. Évidemment, cette interdiction s’applique inéluctablement aux pèlerins qui entreprennent une quête physique, dans leurs corps charnels actuels, comme saint Brendan et tous les autres chercheurs du Paradis oriental, jusqu’à Jean Mandeville. Mais parfois l’interdiction vise aussi les voyageurs extatiques.
Le plus souvent, la protection du Royaume est assurée par un mur impénétrable, par des rivières d’eau ou de glace, des murs de feu ou des anges gardiens. Ce motif devrait être comparé au mur qui protège le Paradis Terrestre dans le Voyage d’Alexandre le Grand (Iter ad paradisum) et à d’autres textes médiévaux concernant le Jardin d’Éden situé en Asie.[64] Le moine de Wenlock aperçoit, au delà du fleuve, les murs resplendissants, hauts et longs, de la Jérusalem céleste (« citra illud flumen speculatur muros fulgentes clarissimi splendoris, stupendae logitudinis et altitudinis inmensae »), mais il n’est pas capable de les contempler directement. Drythelm s’arrête lui aussi devant les murs lumineux du Paradis Céleste. Il peut même sentir les arômes merveilleux qui exhalent de l’intérieur et entendre les chœurs des anges, mais son guide interrompt la visite abruptement et le fait revenir en arrière.
Heureusement, la majorité des voyageurs extatiques reçoivent la permission, sinon de visiter, au moins de contempler le Royaume, étant donné que leur mission ultérieure, une fois revenus sur terre, consistera à présenter non seulement le destin eschatologique des pécheurs, mais aussi des bienheureux. Après avoir traversé le Jardin d’Éden, Thurkill arrive devant un mur d’or avec une porte de pierres précieuses. Derrière se trouve la Cité de Dieu, avec plusieurs « mansiones » pour les martyrs et les saints, comme le temple splendide qui héberge les vierges martyres Catherine, Marguerite et Osith. Le voyage s’arrête ici, le visiteur doit retourner dans son corps.
Saint Adamnán est invité a jeter un coup d’œil sur la Jérusalem Céleste, qui a les attributs d’une utopie morale : « This, then, is the manner of that City: A Kingdom without pride, or vanity, or falsehood, or outrage, or deceit, or pretence, or blushing, or shame, or reproach, or insult, or envy, or arrogance, or pestilence, or disease, or poverty, or nakedness, or death, or extinction, or hail, or snow, or wind, or rain, or din, or thunder, or darkness, or cold, – a noble, admirable, ethereal realm, endowed with the wisdom, and radiance, and fragrance of a plenteous land, wherein is the enjoyment of every excellence. » La description puise dans l’Apocalypse de saint Jean : la Cité de Dieu est protégée par sept murs de cristal, son plancher est en cristal transparent avec des veines bleues, pourpres et vertes, le couloir entre les chœurs des anges et des saints est en or rouge et argent, les rangs et les banquettes sont faites de pierres précieuses, de diverses gemmes et carbuncles. Siégeant sur son trône, Dieu apparaît comme une énergie resplendissante, regardant tous ceux qui se trouvent autour, étant présent simultanément et de manière ubiquitaire pour tous.
La vision la plus élaborée du Paradis supérieur, anticipant une fois encore le système de Dante, est celle de Tnugdale. Le Royaume de Dieu est divisé en des cieux dédiés aux différentes vertus. Le premier ciel (« De Gloria conjugalium »), ayant une nature aérienne, est un lieu d’attente pour ceux qui n’ont pas commis de péchés et espèrent le Jugement de Dieu pour être reçus dans la gloire (« expectantes illam beatam spem et adventum glorie magni dei »). Le deuxième ciel (« De Gloria martyrum et continentium »), ayant une nature éthérée, est occupé par des martyrs et des individus qui sont entrés dans les ordres après une vie laïque. Le troisième ciel (« De gloria monachorum et sanctimonialium ») est le « Olimphus », où les moines vivent dans des tentes et jouent de la musique instrumentale (c’est la transcription littérale des dessins médiévaux représentant le Paradis). Le quatrième ciel (« De defensoribus et constructoribus ecclesiarum ») est le « firmamentum », où l’Église spirituelle est présentée comme un arbre cosmique allégorique, abritant les âmes des justes sous la forme d’oiseaux. Le cinquième ciel, de feu (« celum igneum »), et le sixième (« celum angelorum ») sont la résidence des neuf ordres angéliques (« angelos, archangelos, virtutes, principatus, potestates, dominationes, thrones, Cherubin et Seraphin »), des patriarches, des prophètes, des martyrs, des apôtres, des vierges, des saints et des évêques. Le dernier lieu, le suprême, le « point oméga » de l’univers, est le Trône de la Trinité (« sedes Trinitatis »).
10. À la fin, après avoir vu toute la structure de l’univers, les voyageurs extatiques sont rendus à la vie terrestre. Le retour de l’âme dans le corps (« de reditu anime ad corpus ») peut être instantané, comme dans le cas de Tnugdale : « Et cum hoc dixisset angelus, conversa est anima. […] Nullum enim intervallum nec unum temporis sensit interesse momentum, sed in uno atque eodem temporis puncto in illis loquebatur ad angelum et in terris se sensit induere corpus suum ». Sinon, le visionnaire peut parcourir le trajet qu’il a fait jusqu’alors dans le sens inverse, cas dans lequel il affronte de nouveau les démons et l’ordalie de feu ; c’est ce qui arrive à saint Fursa par exemple.
Le plus souvent, les extatiques ne sont pas très à l’aise pour rentrer dans leurs corps catatoniques, perçus comme des cadavres, et les anges doivent les forcer à le faire. Le moine de Wenlock trouve que son corps est dégoûtant et lui provoque la même nausée que le contact avec les démons : « In omnibus illis visionibus nihil tam odibile, nihil tam despectum, nihil tam durum foetorem evaporans, exceptis demonibus et igne flagrante, videret, quam proprium corpus. » Ses organes non plus ne sont pas parfaitement fonctionnels, ses yeux sont truffés de tumeurs sanglantes, et il a besoin d’une semaine avant de récupérer la vue.
Le but du voyage est l’illumination des voyageurs. La plupart des fois, les personnages des fisi vivent des expériences et des tourments similaires à ceux des chevaliers visitant la cave de Station Island. Toutefois, à la différence des descentes dans le purgatoire de saint Patrick, le dessein principal du voyage extatique n’est pas la purification. Sa visée n’est pas de laver les péchés des visionnaires, pour préparer et faciliter leur ascension ultérieure au Royaume de Dieu. Son but précis est de révéler le trajet des âmes après la mort et la destinée qui leur est assignée dans l’autre monde.
La leçon principale enseignée par les guides angéliques est que la moralité et la piété dans la vie terrestre détermine le destin eschatologique de tout un chacun. Saint Fursa, par exemple, est instruit avec minutie sur ce qu’il doit rapporter et prêcher après son retour à l’existence dans le monde. La mission des voyageurs extatiques est de narrer ce qu’ils ont appris sur les ordalies de feu et de glace, sur la bataille des anges et des démons pour les âmes, sur le jugement de Dieu, sur les douleurs purificatrices et les tourments éternels dans les enfers supérieur et inférieur, sur la période d’attente et de préparation dans le Paradis terrestre, et sur la félicité et la grâce divine qui règnent au Royaume de Dieu. Le fis chrétien est conçu comme un voyage d’initiation, qui instruit sur la géographie et les modes d’existence des âmes dans l’autre monde. L’effet immédiat de cette initiation sur les visionnaires est dramatique, leur vie terrestre ultérieure est radicalement bouleversée. Non seulement ils se rapportent d’une manière nouvelle à leur condition actuelle et à leurs espérances d’avenir, ils sont aussi censés rapporter cette expérience comme un exemple pieux à leurs auditoires pour les convertir à la foi.
Cette série de motifs constitue une sorte de patron idéal des visions extatiques médiévales. L’ordre dans lequel sont visités les différents lieux eschatologiques peut différer d’un fis à l’autre, mais leur logique fonctionnelle reste la même.
Notes
[1] Voir Miles Dillon, Early Irish Literature, The University of Chicago Press, Chicago, 1948 ; Proinsias Mac Cana, The Learned Tales of Medieval Ireland, Dublin Institute for Advanced Studies, Dublin, 1980, p. 66-81. Seán Ó Súilleabháin et Reidar Th. Christiansen ont appliqué le Motif-Index of Folk Literature de Aarne et Thomson au corpus irlandais, dans The Types of the Irish Folktale, Academia Scientiarum Fennica, Helsinki, 1963.
[2] Il serait intéressant de comparer les thèmes de la littérature irlandaise ancienne avec le répertoire des motifs folkloriques établi par les chercheurs modernes. Par exemple, dans le Motif-Index of Folk Literature, le voyage dans l’au-delà comporte quelque 200 articles.
[3] David A. Traill, Walahfrid Strabo’s Visio Wettini, Text, translation, and commentary, Herbert Lang, Bern & Peter Lang, Frankfurt, 1974, p. 13-14.
[4] Corin Braga, La quête manquée de l’Avalon occidentale. Le Paradis interdit au Moyen Âge – 2, L’Harmattan, Paris, 2006, p. 9-78. Voir aussi Le paradis interdit au Moyen Âge. La quête manquée de l’Éden oriental, L’Harmattan, Paris, 2004.
[5] Plusieurs synthèses ont été dédiées au voyage extatique de l’âme. Nous citons seulement H. R. Patch, The Other World according to descriptions in Medieval Literature, Harvard University Press, Cambridge (Massachusetts), 1950 ; Jacques Le Goff, La Naissance du Purgatoire, Gallimard, Paris, 1981; Ioan Petru Culianu, Psychanodia. A Survey of the Evidence Concerning the Ascension of the Soul and Its Relevance, E. J. Brill, Leiden, 1983, et Expériences de l’extase, Payot, Paris, 1984 ; Claude Carozzi, Le voyage de l’âme dans l’au-delà d’après la littérature latine (Ve-XIIIe siècles), École Française de Rome, 1994 ; Robert Easting, Visions of the Other World in Middle English, D.S. Brewer, Rochester (New York), 1997.
[6] Une partie de ces textes ont été réunis et publiés par Maria Pia Ciccarese, dans Visioni dell’Aldilà in Occidente, Fonti, modelli, testi, Nardini Editore, Firenze, 1987: les visions de Sunniulf, Salvius, Fursa, Barontus, Drythelm, le moine de Wenlock, Guthlac, la femme pauvre de Laon, Wetti; et par Eileen Gardiner, dans Visions of Heaven and Hell before Dante, Illustrations by Alexandra Eldridge, New York, Italica Press, 1989 : les visions de Fursa, Drythelm, Wetti, Charles, Tnugdale, le moine de Eynsham et Thurkill.
[7] Venerabilis Beda, Historia ecclesiastica gentis Anglorum, liber III, caput XIX: « Ut Furseus, apud Orientales Anglos monasterium fecerit; et de visionibus vel sanctitate ejus, cui etiam caro post mortem incorrupta testimonium perhibuerit », in J.-P. Migne, Patrologiae cursus completus, Series Latina [PL], vol. 95, col. 145-149.
[8] Ibidem, liber V, caput XII: « Ut quisdam in provincial Nordalyhmbrorum a mortuis resurgens, multa et tremenda et desideranda quae viderat narraverit », in J.-P. Migne, Patrologiae cursus completus, Series Latina [PL], vol. 95, col. 247-252.
[9] The Letters of Saint Boniface, Translated with an Introduction by Ephraim Emerton, New York, W.W. Norton & Company Inc., 1976.
[10] Édité par Kuno Meyer, « Irish Stories and Songs », in Otia merseiana. The publication of the Arts Faculty of University College Liverpool, vol. I, C. Klincksieck, Paris; Th. Wohlleben, London; G. E. Stechert, New York, London, 1899, p. 113-119.
[11] C. S. Boswell, An Irish Precursor of Dante. A Study on the Vision of Heaven and Hell ascribed to the Eight-century Irish Saint Adamnán, with Translation of the Irish Text, Published by David Nutt at the Sign of the Phoenix, Long Acre, London, 1908.
[12] Les versions latine, anglaise, allemande, danoise et islandaise ont été éditées comme suit : The Vision of Tnugdal, Translated from Latin by Jean-Michel Picard, With an Introduction by Yolande de Pontfarcy, Four Courts Press, Dublin, 1989 ; A. Wagner, Visio Tnugdali. Lateinisch und Altdeutsch, Erlangen, 1882 ; Nigel F. Palmer (éd.), Visio Tnugdali, The German and Dutch translations and their circulation in the Later Middle Ages, Artemis Verlag, München and Zürich, 1982 ; R. Mearns, The Vision of Tundale, Carl Winter Universitätsverlag, Heidelberg, 1985 ; P. Cahill, Duggals Leidsla (La vision de Duggal), with an English translation, Stofnum Árna Magnússonar, Reykjavík, 1983.
[13] Éditée par H. E. Salter, Eynsham Cartulary, Oxford Historial Society LI, Oxford, 1908; The Revelation of the Monk of Eynsham, Edited by Robert Easting, Oxford, Oxford University Press, 2002.
[14] Editée par Paul Gerhard Schmidt, Visio Thurkilli. Relatore, ut videtur, Radulpho de Goggeshall, B. G. Teubner Verlagsgesellschaft, Leipzig, 1978.
[15] Voir H. R. Patch, The Other World according to descriptions in Medieval Literature, Harvard University Press, Cambridge (Massachusetts), 1950.
[16] Marta Powell Harley, A Revelation of Purgatory by an Unknown, Fifteenth-Century Woman Visionary, Introduction, critical text, and translation, Studies in Women and Religion, volume 18, The Edwin Mellen Press, Lewinston, New York & Queenston, Ontario, 1985.
[17] David A. Traill, Walahfrid Strabo’s Visio Wettini, Text, translation, and commentary, Herbert Lang, Bern & Peter Lang, Frankfurt, 1974.
[18] Visio Alberici, Kritisch ediert und übersetzt von Paul Gerhard Schmidt, Franz Steiner Verlag, Stuttgart, 1997 ; Traduction française dans Poèmes et récits de la vielle France, L’autre monde au Moyen Âge. Voyages et visions : La Navigation de Saint Brendan, Le Purgatoire de Saint Patrice, La vision d’Alberic, Trois récits traduits par Jean Marchand, E. De Boccard, Paris, 1940.
[19] Hugh Farmer, The Vision of Orm, in Analecta Bollandiana, vol. 75, fasc. I-II, Bruxelles, 1957, p. 72-82.
[21] Godeschalcus und Visio Godeschalci, Mit deutschen Übersetzunt heransgegern von Erwin Assmann, Karl Wachholtz Verlag, Neumünster, 1979.
[22] Voir Carol Zaleski, Otherworld Journeys. Accounts of Near-Death Experience in Medieval and Modern Times, New York & Oxford, Oxford University Press, 1987, Appendix, p. 206-209 ; Robert Easting, Visions of the Other World in Middle English, D.S. Brewer, Rochester (New York), 1997, p. 16.
[23] Pour la traduction anglaise, voir S. Boswell, An Irish Precursor of Dante. A Study on the Vision of Heaven and Hell ascribed to the eighth-century Irish Saint Adamnán, p. 167.
[24] Testament d’Abraham, XII-XIII, in La Bible. Écrits intertestamentaires, Édition publiée sous la direction d’André Dupont-Summer et Marc Philonenko, Paris, Gallimard, 1987, p. 1673-1678.
[25] Apocalypse de Paul, 14c, in Écrits apocryphes chrétiens, vol. I, Édition publiée sous la direction de François Bovon et Pierre Geoltrain, Index établis par Sever J. Voicu, Paris, Gallimard, 1997, p. 809.
[26] Voir John Carey, « The Valley of the Changing Sheep », in Bulletin of the Board of Celtic Studies, no. 30, 1983, p. 277-280.
[27] Cf. II Enoch, III, 2-3: « And there I perceived the air higher up, and higher still I saw the ether. And they placed me on the first heaven », in J. H. Charlesworth, Old Testament Pseudepigraphia, New York, vol. I, 1983, p. 110.
[28] Cf. l’Apocalypse de Paul, où le saint doit lui aussi affronter les quatre grands « pouvoirs » : spiritus detractionis, spiritus fornicationis, spiritus furoris and spiritus audaciae.
[29] Adela Yarbro Collins, « The Seven Heavens in Jewish and Christian Apocalypses », in John J. Collins & Michael Fishbane (éds.), Death, Ecstasy, and Other Worldly Journeys, New York, State University of New York Press, 1995, p. 86.
[30] Claude Carozzi, Le voyage de l’âme dans l’au-delà d’après la littérature latine (Ve-XIIIe siècles), p. 611.
[31] Jane Stevenson, « Ascent through the Heavens, from Egypt to Ireland », in Cambridge Medieval Celtic Studies, no. 5, 1983, p. 21-35.
[32] Richard Bauckham, “The Apocalypse of the Seven Heavens: The Latin Version”, in Apocrypha, no. 4, 1993, p. 141-154.
[33] John Carey, « The seven heavens and the twelve dragons in Insular apocalyptic », in Martin McNamara (éd.), Apocalyptic and Eschatological Heritage. The Middle East and Celtic Realms, Four Courts Press, Dublin, 2003, p. 121-136.
[34] Gregorii Magni, Dialogi, Libri IV, A Cura di Umberto Moricca, Roma, Tipografia del Senato, 1924, p. 293, 295.
[35] Voir Félix Buffière, Les mythes d’Homère et la pensée grecque, Paris, Les Belles Lettres, 1956.
[37] Grégoire le Grand, Dialogues, Livre IV, XLIII, 6, Introduction, bibliographie et cartes par Adalbert de Vogüé, Texte critique et notes par Adalbert de Vogüé, Traduction par Paul Autin, Les Éditions du Cerf, Coll. « Sources chrétiennes », Paris, tome 3, 1980, p. 158.
[38] Gregorii Magni, Dialogi, Liber IV, A Cura di Umberto Moricca, Roma, Tipografia del Senato, 1924, p. 301-302.
[39] Saint Augustin, Ennaratio in Psalmum LXXXV, 17, in J.-P. Migne, Patrologiae cursus completus, Series Latina [PL], vol. 37, col. 1093.
[40] Liber de numeris, in J.-P. Migne, Patrologiae cursus completus, Series Latina [PL], vol. 83, col.1301.
[41] The Tidings of Doomsday. An Early-Middle-Irish Homily, Edited and translated by Whitley Stokes, in Revue celtique, tome IV, Paris, F. Vieweg, 1879-1880, p. 251.
[42] Liber de numeris, in J.-P. Migne, Patrologiae cursus completus, Series Latina [PL], vol. 83, col. 1298.
[44] Voir par exemple au Musée des Offices à Florence les peintures de Lorenzo Monaco (~1300), Madonna col Bambino e santi ; « Francesco » (~1300~1400), Madonna col Bambino tra i Santi Giovanni Battista e Nicola ; Rosello di Jacopo Franchi (1377-1456), Madonna con Bambino e i santi Giovanni Battista, Francesco, Matteo e Magdalena ; Lippo d’Andrea (1377-1457), Madonna in trono con Bambino e i santi Caterina d’Alesssandri, Francesco, Zanobi e Maria Magdalena ; Mariotto di Nardo (~1388-1424), Madonna dell’Umiltà celeste tra i santi Stefano e Reparata ; Giovanni di Paolo, Madonna col Bambino e i santi Domenico, Pietro, Pado e Tommaso d’Aquino (1445).
[45] « The Adventure of Cian’s son Teigue », in Silva Gadelica, A Collection of Tales in Irish, With extracts illustrating persons and places, Edited from Mss. and translated by Standish H. O’Grady, London, Williams and Norgate, 1892.
[48] Le thème du sursis dominical semble avoir son origine dans la tradition rabbinique médiévale sur le jour de repos sabbatique en Enfer, qui avait déjà influencé les rédactions tardives de l’Apocalypse de Paul. Voir Theodore Silverstein, Visio Sancti Pauli. The History of the Apocalypse in Latin together with nine texts, London, Christophers, 1935, p. 79-81.
[49] Marta Powell Harley (éd.), A Revelation of Purgatory by an Unknown, Fifteenth-Century Woman Visionary, p. 79-82.
[50] Novum Testamentum graece et latine, Utrumque textum cum apparatu critico ex editionibus et libris manu scriptis collecto, Imprimendum curavit Eberhard Nestle, Edition septima recognita, Stuttgart, Privilegierte Württembergische Bibelanstalt, 1923.
[51] Voir par exemple Alexandre de Paris, Le Roman d’Alexandre, III, L. 160, Traduction, présentation et notes de Laurence Harf-Lancner (avec le texte édité par E. C. Armstrong et al.), Paris, Librairie Générale Française, 1994, p. 471.
[54] Ioan Petru Culianu, Psychanodia. A Survey of the Evidence Concerning the Ascension of the Soul and Its Relevance, E. J. Brill, Leiden, 1983, chapter IX.
[55] The Adventures of Art son of Conn, in Eriu. The Journal of the School of Irish Learning, Dublin, Edited by Kuno Meyer & John Strachan, vol. VII, David Nutt, London, 1907.
[56] « And this is the way the bridge was: the two ends of it were low, and the middle was high, and whenever any one would leap on it, the first time it would narrow till it was as narrow as the hair of a man’s head, and the second time it would shorten till it was as short as an inch, and the third time it would get slippery till it was as slippery as an eel of the river, and the fourth time it would rise up on high against you till it was as tall as the mast of a ship. » The Courting of Emer, in Cuchulain of Muirthemne. The Story of the Men of the Red Branch of Ulster, Arranged and put into English by Lady Gregory, With a Preface by W. B. Yeats, John Murray, London, 1902, p. 35. Il est de moindre importance pour cette discussion si Lady Gregory, qui ne faisait pas la besogne d’un érudit éditant un texte médiéval, mais plutôt celle d’un écrivain donnant libre cours à sa fantaisie, faisait appel à un thème ancien ou l’inventait à partir des traditions tardives.
[57] Navigatio Sancti Brendani Abbatis, from Early Latin Manuscripts, Edited with Introduction and Notes by Carl Selmer, Notre Dame (Indiana), University of Notre Dame Press, p. 79. Voir aussi W. R. J. Barron & Glyn S. Burgess, The Voyage of Saint Brendan, Representative Versions of the Legend in English Translation, Exeter, University of Exeter Press, 2002.
[58] Voir les textes dans Michael Haren & Yolande de Pontfarcy, The Medieval Pilgrimage to St. Patrick’s Purgatory. Lough Derg and the European Tradition, Clogher Historical Society, Enniskillen, 1988.
[60] Gottfried de Viterbo, Pantheon, in Joannes Pistorius, Germanicorum scriptorum, qui rerum a germanis per multam aetates gestarum historias vel annales posteris reliqverunt, Hanoviae, Typis Wechelianis apud haeredes, MDCXIII [1613], col. 29 sqq.
[61] Voir D. N. Dumville, « Biblical Apocrypha and the Early Irish: A Preliminary Investigation », in Proceedings of the Royal Irish Academy, volume 73, section C, no. 8, Dublin, Royal Irish Academy, 1973, p. 309 ; voir aussi Martin McNamara, The Apocrypha in the Irish Church, Dublin Institute for Advanced Studies, Dublin, 1975, p. 25.