Silviu Lupaşcu
Université d’Architecture Ion Mincu, Bucarest, Roumanie
slupascu@yahoo.com
Silviu Lupaşcu
L’Ascension de la Lumière
Chorégraphies ontologiques en soufisme, hindouisme, manichéisme
Abstract: In Kitāb al-insān al-kāmil or The Book of the Perfect Man, I, ‘Azīz-ud-dīnNasafī dwells on the themes of nourishment and light, of light revealed as the essence of nourishment. Nasafī posits that “all the ascetical exercises and branches of knowledge of the Hindoos” are founded on the apotheosis of the nourishing light. This paragraph foregrounds the Taittirīya Upanishad as a text-witness. Nasafī draws attention to the fact that the theology of nourishment is circumscribed by the “inner voyage of the Hindoos”. Consequently, he ignores the Manichaean paternity of the theology of Light and Darkness. The Islamisation of Manichaean religious ideas points to Nasafī’s concern with avoiding any accusation of zandaqa (allegiance to the dualist heresies) on the part of the Moslem authorities. The hermeneutical elucidation of Nasafī’s discourse on nourishment and light emphasizes the syncretic juxtaposing of certain religious ideas which belong to the core principles of Hinduism and Manicheism, against the spiritual background of the Soūfi School of Khurāsān, during the 18th century.
Keywords: Nasafī; Taittirīya Upanishad; Hinduism; Mani; Manichaeism; Sufism; Light; Darkness; Khurāsān; Zandaqa; Angels.
‘Azīz-ud-dīn Nasafī (XIIIe siècle)[1] traite dans le Kitāb al-insān al-kāmil ou Livre de l’homme parfait, I, les thèmes de la nourriture et de la lumière, la lumière révélée en tant qu’essence de la nourriture : « Si l’on dit que c’est la nourriture qui fait ascension, par degré s’élève et devient connaissante, voyante et entendante, c’est juste. Si l’on dit que c’est la lumière accompagnatrice de la nourriture qui fait ascension et devient connaissante, voyante et entendante, c’est juste aussi. Je sais que tu n’as pas bien saisi. Je tenterai de m’exprimer plus clairement, car la compréhension de ces paroles est importante à l’extrême. Toutes les ascèses et disciplines des Hindous reposent sur elle[2]. » La nourriture est un réceptacle de lumière car la création est pleine de lumière, l’univers déborde de lumière, et la lumière est l’âme du monde : « Sache que la terre, l’eau, l’air, le feu, les animaux, les végétaux, les astres, les étoiles, soit toute la création, sont remplis de lumière. L’univers est bondé à ras bord de lumière et c’est cette lumière qui est l’âme du monde[3]. »
Pourquoi Nasafī considère-t-il que sur cette apothéose de la lumière nutritionnelle se fondent « toutes les ascèses et disciplines des Hindous » ? Dans le premier traité du Kitāb al-insān al-kāmil, intitulé « Sur la connaissance de l’homme », le paragraphe dédié à l’alchimie de la nourriture, dans le contexte de la dialectique lumière-ténèbres, a pour sujet le « voyage intérieur des Hindous » ou la « pérégrination des Hindous »[4]. Ce paragraphe, rédigé par Nasafī, indique comme texte-témoin le Taittirīya Upanishad.
Le Taittirīya Upanishad, 2,1-2,2, statue la cosmologie et l’anthropologie de l’hindouisme antique dans la perspective ouverte par le principe « brahman est nourriture, ātman est nourriture » : « De ce soi (ātman) est l’espace venu à l’être, de l’espace l’air, de l’air le feu, du feu les eaux, des eaux la terre, de la terre les plantes, des plantes la nourriture et de la nourriture l’homme. Maintenant un homme est formé ici de l’essence de la nourriture. […] De la nourriture sont nées certainement toutes les créatures qui vivent sur terre. Sur le fondement de la nourriture, une fois nées, elles vivent ; et dans la nourriture, finalement, elles passent. […] Ils se procureront toute la nourriture lorsqu’ils vénèreront brahman comme nourriture. […] Différent de lui, mais à la fois placé à l’intérieur de cet homme composé de l’essence de la nourriture est le soi (ātman), qui consiste dans la respiration de vie et inonde l’homme en son entier[5]. » Le Taittirīya Upanishad, 3,1-3,6, contient la doctrine sur brahman que Varouna transmet à son fils, Bhrigu : « Nourriture, respiration de vie, regard, ouïe, raison, langage. » Après avoir pratiqué les exercices ascétiques, Bhrigu a la révélation de brahman comme nourriture : « Brahman est nourriture car il est clair que ces êtres naissent de la nourriture ; sur le fondement de la nourriture, une fois nés, ils vivent ; et dans la nourriture ils passent après la mort. » Dans ce fragment, brahman est défini comme ascèse, respiration de vie, raison, perception, béatitude. La doctrine de Bhrigu, fils de Varouna, est « fermement fondée au plus haut firmament », et tout homme doué du pouvoir d’assimiler cette doctrine deviendra « fermement fondé » : « il deviendra un homme qui a de la nourriture, qui mange de la nourriture », un homme célèbre grâce « à sa progéniture, son cheptel et à la brillance de la connaissance sacrée »[6]. Un corollaire du principe « brahman est nourriture, ātman est nourriture » est l’énoncé « cette nourriture se fonde sur de la nourriture », triplement hypostasié dans le Taittirīya Upanishad, 3,7-3,9 : « La respiration de vie est nourriture, et le corps est le consommateur de la nourriture. Le corps se fonde sur la respiration de vie, et la respiration de vie sur le corps. […] L’eau est nourriture, et le feu est le consommateur de la nourriture. Le feu se fonde sur l’eau, et l’eau sur le feu. […] La terre est nourriture, et l’espace est le consommateur de nourriture. L’espace se fonde sur la terre, et la terre sur l’espace[7]. » La théologie de la nourriture détermine une éthique de l’hospitalité, du partage du bien-être : « personne ne doit éloigner quelqu’un de sa maison », il doit mettre à la disposition des invités une grande quantité de nourriture, répartie dans les trois types de nourriture d’un festin[8]. Dans le contexte anthropologique-cosmologique, le Taittirīya Upanishad, 3, 10, 2-4, recommande la vénération de la nourriture en tant qu’essence du langage, essence de la respiration, action des mains et mouvement des pieds, dynamique du métabolisme, remerciement pour la tombée de la pluie, force de l’orage, lumière des étoiles, fonction reproductive de l’organe sexuel, immortalité, béatitude, totalité de l’espace : « Qu’il lui soit permis de la vénérer comme fondation et il aura une fondation. Qu’il lui soit permis de la vénérer comme vigueur et il deviendra vigoureux. Qu’il lui soit permis de la vénérer comme raison et il aura une raison agile. Qu’il lui soit permis de la vénérer comme adoration en signe d’hommage et ses désirs l’adoreront devant sa volonté. Qu’il lui soit permis de la vénérer comme brahman et il détiendra le brahman[9]. » En contexte thanatologique, le Taittirīya Upanishad, 3, 10, 5-6, remémore l’identité entre le soi humain et le soi solaire, dans la perspective de l’absorption de l’âme dans la lumière du firmament. Le franchissement du seuil de la mort se dévoile comme éloignement du monde par un mouvement ascensionnel au long de la trajectoire composée des hypostases du soi : ātman de la nourriture, ātman de la respiration de vie, ātman de la raison, ātman de la perception, ātman de la béatitude. Doué du pouvoir d’assumer toute apparence, l’âme voyage à travers les mondes célestes et chante un hymne sacerdotal, sāman : « J’ai conquis l’univers entier ! Je suis pareil à la lumière du firmament[10] ! »
L’exposition de Nasafī sur la nourriture et la lumière ne réécrit pas seulement des fragments du Taittirīya Upanishad, mais aussi la doctrine manichéenne sur la lumière et les ténèbres. Pour éviter toute accusation de zandaqa, d’adhésion aux hérésies dualistes (mazdéisme, manichéisme), Nasafī construit une re-signification bénigne du concept de « ténèbres », non pas dans la perspective de l’antagonisme entre la lumière et les ténèbres, mais de celle de la complémentarité entre la lumière et les ténèbres, en tant qu’émanations divines : dans son système de pensée, l’« Océan de Lumière » constitue l’« Intelligence Primordiale », et l’« Océan de Ténèbres » constitue la « Sphère Primordiale[11] ». Dans le Kitāb al-insān al-kāmil, I, Nasafī argumente la présence du Principe de la Lumière et du Principe des Ténèbres dans la substance de la nourriture, car le « monde phénoménal », Molk, est composé d’un mélange de lumière et de ténèbres, qui constitue son fondement tant au niveau de l’entier qu’au niveau des parties composantes : « Le monde est à la fois lumière et ténèbres ; océan de lumière et océan de ténèbres – les deux océans étant l’un à l’autre intimement mêlés. Pour qu’apparaissent les attributs de la lumière, il faut séparer la lumière des ténèbres. » Au niveau ontologique de la zoogénie, les organes internes agissent comme des « artisans » du corps animal. La nourriture est transmise au long de la filière formée par la bouche, l’estomac, le foie, le cœur, le cerveau. Dans le cerveau, la nourriture atteint l’apogée de son mouvement ascensionnel, la lumière et les ténèbres contenues dans sa structure initiale se séparent, et les attributs de la lumière se manifestent par le pouvoir de voir, d’entendre, de connaître. Nasafī définit ce processus comme « alchimie »[12] : « C’est là de l’alchimie ; les animaux sont en constante alchimie. L’homme porte cette alchimie à l’extrême : il pratique l’alchimie de cette alchimie. Il s’empare de l’âme de tout ce qu’il mange ; il en extrait le substrat et la quintessence. En d’autres termes, il sépare la lumière des ténèbres, en sorte que la lumière connaisse et voie sa propre réité. Ceci est le fait de l’Homme Parfait, de lui seul[13]. »
D’une manière paradoxale, la lumière ne peut pas être définitivement séparée des ténèbres, car dans le couple ontologique primordial lumière-ténèbres, chaque élément est conditionné par l’autre, chacun est le complément de l’autre. Pour cette raison, les attributs de la lumière ne sont pas immédiats, ils sont médiés par leur pouvoir de manifestation, telle la « lampe dans la niche », syntagme par lequel Nasafī définit l’anthropologie Soūfi de l’ascension de la nourriture et de la lumière : « Cette lampe est l’essence de l’homme. » Si jusqu’à l’espace du cerveau, l’ascension de l’essence de lumière de l’être humain a lieu « selon la forme et le sens », au-delà du cerveau, vers le « monde des âmes », Malakūt, vers le « monde des intelligences chérubiniques », Jabarūt, vers l’espace céleste circonscrit par la proximité de l’Être Divin, cette ascension a lieu seulement « selon le sens ». Par le voyage ontologique-alchimique de la nourriture et de la lumière, l’essence de lumière de l’être humain se purifie de la forme et redevient sens. Seulement lorsque la « lampe dans la niche » est « forte et pure », l’homme jouit du privilège de remémorer la « science primaire » et la « science dernière », cachées en son essence. La perfection de l’homme se réalise par la puissance et la pureté du feu de la connaissance, en tant que manifestation de la lumière libérée par la nourriture : « Sa force dépend de deux choses : manger une fois le jour ; et cette unique fois, des aliments sains, aptes à procurer un sang abondant et léger. Sa pureté dépend de quatre choses : la retraite mystique, peu parler, peu manger et peu dormir[14]. »
Le dualisme de la lumière et des ténèbres, la doctrine des « deux principes » et des « trois temps », la tragédie d’ordre religieux du mélange de la lumière et des ténèbres, la nécessité d’extraire la lumière tombée dans les ténèbres et de la libérer par un mouvement ascensionnel représentent le fondement de l’édifice mythologique et théologique du manichéisme[15]. Les principes éthiques qui règlementent le régime alimentaire et le jeûne acquièrent un sens nouveau dans la perspective ouverte par la théologie de la lumière et le destin apocalyptique de la lumière. Loin d’être des actions banales de la vie quotidienne, la déglutition et la digestion définissent la participation des croyants manichéens au grandiose engrenage de l’univers et des mondes angéliques, dont le but est de sauvegarder la lumière. Iain Gardner et Samuel N. C. Lieu ont décrit la correspondance ou la symbiose entre l’éthique de la nourriture, l’alchimie de l’anthropologie angélique et la cosmologie rédemptrice de la lumière, dans le manichéisme primaire : « Les Manichéens s’efforçaient de consommer la nourriture et la boisson contenant le plus haut pourcentage possible de lumière, par exemple les pastèques et les concombres, et ils étaient réellement préoccupés par le classement et la préparation de divers assortiments de nourriture, ce qu’attirait le blâme de la part de leurs adversaires. Surtout la viande et le vin étaient considérés comme des aliments dominés par les éléments des ténèbres, en mesure de souiller de façon répétitive le croyant qui aspirait à la purification personnelle et de l’amener directement à la sensualité et à l’ignorance. Dans une perspective positive, si la simple action de manger pouvait provoquer la douleur des particules de lumière, le corps, en tant que microcosme de l’univers, agissait également comme un mécanisme voué à libérer la nature divine, de sorte que la personne pieuse puisse rejeter littéralement les éléments grossiers d’en bas et créer par l’expiration, à la suite des jeûnes périodiques, des anges qui se dirigent vers le haut[16]. » Par conséquent, les membres de l’élite manichéenne, les electi, avaient comme tâche de « manger le monde », dans le but de libérer la lumière emprisonnée dans les ténèbres de la matière[17]. L’exégèse adéquate de ces préceptes situe la conduite culinaire dans le contexte de la vision sur le monde et sur l’action de l’être humain qui caractérise le manichéisme dans le paysage religieux de l’Antiquité hellénistique et du Moyen Âge : l’hiératisme rituel de la préparation et de l’assimilation de la nourriture comme ascèse de l’ascension de la lumière détermine des échos théologiques infinis et produit des réverbérations de l’ontologie de la lumière au niveau anthropologique, cosmologique et angélique.
Les Képhalaia[18], 193,26-194,13, illustrent le rituel de l’« expiration angélique », sous-tendu par l’éthique de la nourriture et du jeûne, dans une communauté présidée par Mani (216-274/276)[19] : « […] il est arrivé une fois quand l’Apôtre Mani était assis au milieu de la congrégation. L’un de ses disciples s’est levé devant lui. Il lui a dit : J’ai entendu, mon Maître, quand tu avais affirmé que sept anges seront engendrés par le jeûne de chacun des élus ; et non pas seulement les élus, mais les catéchumènes aussi les engendrent le jour du Seigneur. En peu de mots, cela est le travail du jeûne. […] Je suis devenu chef sur les cinquante élus qui se trouvaient avec moi à l’église. Ils se tenaient devant moi pendant qu’ils jeûnaient chaque jour. Maintenant j’ai pris connaissance du jeûne tenu par une personne pendant les trois jours du Seigneur et j’ai appris que chacun des élus a engendré sept anges par son jeûne. Par conséquent, j’ai enregistré le jeûne de ces cinquante personnes pendant les trois jours du Seigneur : il a totalisé trois cent cinquante anges, selon que sept anges sont dénombrés sur le compte de chacun des élus, qui les engendrent chaque jour par le jeûne. J’ai compté les trois jours du Seigneur où les cinquante personnes ont jeûné et j’ai multiplié par trois. J’ai trouvé : le nombre des anges engendrés par eux a totalisé mille cinquante, et j’ai été reconnaissant pour le grand profit et le grand bien que j’ai réalisés pendant les trois jours du Seigneur[20]. » Les Képhalaia, 191,9-192,3, énoncent les bénéfices du jeûne ou les « quatre grands travaux du jeûne » : « Le jeûne dont jeûnent les saints est profitable pour quatre grands travaux. Le premier travail : si l’homme saint punit son corps par le jeûne, il soumettra entièrement le pouvoir dirigeant qui existe en lui. Le deuxième : cette âme qui entre en lui par l’assimilation de la nourriture, jour après jour, sera sanctifiée, purifiée et lavée de la corruption des ténèbres auxquelles elle a été mélangée. Le troisième : cette personne sanctifiera chacune de ses actions ; le mystère des enfants de la lumière dans lesquels il n’y a ni corruption, ni […] nourriture, elle ne la blessera pas. Ils sont plutôt des saints, il n’y a rien en eux qui souille, ainsi qu’ils vivent en paix. Le quatrième : […] ils refrènent leurs mains […] ils ne détruisent pas l’âme vivante[21]. Le jeûne est bénéfique pour les saints en ce qui concerne ces quatre grands travaux, à condition qu’ils persévèrent ; en d’autres mots, s’ils les pratiquent tous les jours, avec conséquence, et déterminent le corps à contraindre toutes ses parties composantes de jeûner par un jeûne saint[22]. »
Les références de Nasafī à la théologie de la nourriture contenue dans le Taittirīya Upanishad doivent être situées dans le cadre d’une certaine proximité d’ordre mystique entre le soufisme et le hindouisme. Comme un premier repère bibliographique de cette proximité ou connaissance réciproque, il faut invoquer l’ouvrage d’Al-Bīrūnī (973-1043)[23] intitulé Kitāb fi tahqīq mā li’l-Hind, Recherches sur l’Inde ou Étude critique sur ce que l’Inde affirme. En même temps, Al-Bīrūnī a traduit du sanskrit en arabe le Yoga-Sūtra de Patañjali (vers 200-150 av. J. C. ou vers 300-500 ap. J. C.)[24], et il a intitulé cette traduction le Kitāb Pātanjal al-Hindi fī’l kilās min al-amtāl (Ms. Köprülü 1589, Istanbul). Des arguments d’ordre historique fixent le dialogue spirituel entre l’espace religieux hindou et l’espace religieux musulman dans le cadre de l’École de Bassora, pendant la période 664-802, quand la ville de Hyderabad et la province de Sindh ont été conquises et gouvernées par les califes des dynasties des Omeyyades et des Abbassides. Sur la base de ces rapprochements et interférences bibliographiques dus à l’indologie d’Al-Bīrūnī, Louis Massignon a analysé l’hypothèse concernant l’origine hindouiste de la doctrine musulmane sur l’union mystique (sanskrit, samādhi – arabe, shahādah)[25]. De cette perspective herméneutique, il est possible de mettre en relief la correspondance entre une série de termes techniques utilisés par Patañjali dans le Yoga-Sūtra et une série de termes techniques de la théologie Soūfi : sanskrit, ātman – arabe, nafs (« âme », « soi ») ; sanskrit, manas – arabe, qalb (« raison », « intellect », « cœur ») ; sanskrit, purusha – arabe, rūh (« esprit ») ; sanskrit, vritti – arabe, istinbāt, ‘irfān (« élucidation, assimilation discursive des objets dans la pensée ») ; sanskrit, sattva – arabe, ru’ya (« état de la conscience ») ; sanskrit, buddhi – arabe, manzūr (« extension de la conscience sur l’objet de la connaissance »)[26]. La théologie Soūfi vise le rejet de l’ego et l’immersion de l’âme dans la Réalité réelle, dans la Vérité transcendante, infinie, de la divinité, et la méthode mystique de Patañjali construit une stratégie introspective dont la finalité est la maintenance de la conscience dans un état de dénudation et de libération absolues[27]. L’argumentation de Louis Massignon est focalisée sur une citation d’Al-Bīrūnī, Kitāb fi tahqīq mā li’l-Hind, qui fait ressortir l’utilisation de la doctrine de Patañjali dans le soufisme : « Les soufis ont rejoint la méthode de Patañjali, relativement à la concentration unitive en Dieu. Ils ont dit, en effet : Tant que tu élabores des expressions, tu n’affirmes pas le Dieu Unique ; jusqu’à ce que Dieu S’empare de tes expressions, en te faisant renoncer à elles, et qu’ainsi ne subsistent plus, ni l’énonciateur créé, ni son expression humaine. On trouve chez eux des sentences qui favorisent la doctrine de l’unification […][28]. » À son tour, Nasafī mentionne dans le Kitāb al-insān al-kāmil, IV, la « métempsychose » et la « transmigration » des âmes, faisant la différence entre la « métempsychose » (naskh)[29] et la « métamorphose » (maskh)[30], et dans un énoncé énigmatique il déclare que « les gnostiques ont un temps frayé avec les théologiens, un temps avec les philosophes, un temps avec les adeptes de la métempsychose ; un temps avec les Soufis, un temps avec les témoins de l’unicité[31] ». Par hypothèse, il est plausible que le syntagme « les adeptes de la métempsychose » indique un rapprochement spirituel de l’Inde, de l’univers religieux de l’hindouisme ou du bouddhisme. En même temps, Nasafī fait référence à l’« histoire des aveugles et de l’éléphant », qui a été incorporée dans l’histoire littéraire du soufisme médiéval en tant que réécriture de la doctrine jaina sur la « théorie du non-absolutisme », la « doctrine de la non-exclusion » ou l’« enseignement des points de vue multiples », anekāntavāda[32].
Abū ’l-Faraj Muhammad Ibn AbīYa‘qūb Ibn Ishāq An-Nadīm Al-Warrāq (m. vers 995/998)[33] affirme dans le Kitāb al-Fihrist ou Le catalogue que Shāpūr Ier (241-272)[34] a transformé en privilèges toutes les sollicitations reçues de la part de Mani. Par conséquent, la protection impériale a ouvert la voie du missionnarisme manichéen vers l’Inde, la Chine et le Khurāsān : « Et Mani a fait quelques sollicitations, y compris la garantie que Sābūr traitera de manière favorable ses compagnons, tant dans les provinces que dans les autres pays gouvernés par lui, de sorte qu’ils jouissent de la liberté de circulation. Sābūr a approuvé toutes les sollicitations reçues de la part de Mani. Par conséquent, Mani a pu prêcher sa doctrine en Inde, en Chine et au milieu du peuple de Hurāsān (Khurāsān). Et Mani a nommé un membre de sa congrégation dans chaque endroit[35]. » À la fin de l’entrevue entre Mani et Vahram Ier (273-276)[36], qui a eu lieu à Gund-ī Shāh Pūr vers 274-276, le monarque sassanide a décidé l’emprisonnement et la condamnation à mort de l’« Apôtre de la Lumière ». Pendant la période qui a précédé ce dénouement tragique, le seul endroit de la Perse où Mani aurait été en sécurité était le Khurāsān, dont le gouverneur portait le nom de Kushanshah, détail inséré dans les Homélies coptes, 44, 5 – 45, 5 : « Il a désiré […] vers Kushan […] aller[37]. » En même temps Ibn An-Nadīm précise qu’après la fin du califat d’Al-Muqtadir (908-932), les Manichéens des territoires musulmans ont trouvé leur refuge « en Khurāsān », et le siège suprême du pontificat de la « religion de la lumière » a été transféré de Babylone à Samarkand[38], sous la dynastie des Samanides (875-999). Le témoignage d’Ibn An-Nadīm est confirmé par Al-Bīrūnī, qui note dans le Kitāb al-ātār al-bāqīa ‘an al-qorūn al-kālīa ou La chronologie des anciennes nations que les Manichéens de Samarkand étaient connus sous la dénomination de Sabéens : « Dans les pays musulmans, on n’en trouve de groupe à peu près nulle part, si ce n’est la secte connue à Samarkand sous le nom de Sabéens (al-sābi’ūn)[39]. » L’écriture anonyme intitulée Hodūd al-‘ālam min al-mashriqilā l-maghrib ou Les frontières du monde, de l’Orient à l’Occident, rédigée en 982, mentionne l’existence d’un couvent (kāngāh) manichéen à Samarkand[40]. La raison pour laquelle les Manichéens de Samarkand ont opté pour le retour formel à l’identité sabéenne initiale réside tant dans la nécessité d’éviter les persécutions pour l’accusation de zandaqa ou « hérésie dualiste », que dans la tentative de justifier devant les autorités musulmanes leur statut de « peuple du Livre », ahl al-kitāb. La présence du manichéisme est attestée à Khurāsān entre les IIIe-Xe siècles, par conséquent il est possible que Nasafī ait connu le système de pensée fondé par Mani et la structure éthique-rituelle de l’espace religieux manichéen. Même si l’acquisition de cette connaissance n’a pas été le résultat de la participation directe à la vie religieuse d’une communauté manichéenne, elle dévoile, comme dans le cas d’Ibn An-Nadīm, l’accès de Nasafī aux manuscrits gardés dans les bibliothèques privées ou publiques de Khurāsān.
Du point de vue rhétorique, une différence importante réside dans la manière de citer implicitement ou explicitement. Nasafī fait ressortir le fait que la théologie de la nourriture est circonscrite par le « voyage intérieur des Hindous » ou la « pérégrination des Hindous », mais il passe sous silence la paternité manichéenne, d’inspiration gnostique-zoroastrienne-zourvanite, de la théologie de la lumière et des ténèbres. L’islamisation des idées religieuses manichéennes prouve la préoccupation de Nasafī d’éviter l’accusation de zandaqa de la part des autorités musulmanes. L’élucidation herméneutique du discours de Nasafī sur la nourriture et la lumière, inclus dans le Kitāb al-insān al-kāmil, I, indique la superposition syncrétique de certaines idées religieuses définitoires pour l’hindouisme et le manichéisme, dans le cadre de l’École Soūfi de Khurāsān, au XIIIe siècle. L’énoncé de Nasafī sur la lumière comme essence de la nourriture et âme du monde est sous-tendu par le principe « brahman est nourriture, ātman est nourriture ». La dynamique de l’univers archiplein de lumière se révèle comme mouvement ascensionnel de la nourriture-lumière, comme efflorescence des hypostases du pouvoir d’être vivant (voir, entendre, connaître, comprendre ; ātman de la nourriture, ātman de la respiration de vie, ātman de la raison, ātman de la perception, ātman de la béatitude), du point de vue de l’effort ascétique ou de l’extase thanatologique qui remémore l’identité entre le soi humain et le soi solaire. La substance de la nourriture-lumière manifeste la continuité ontologique entre la respiration de vie, l’activité de l’intellect et de l’âme humaine, l’infini cosmologique animé par la lumière du firmament. Le dualisme de la lumière et des ténèbres, le dualisme du monde en tant que mélange composé d’un océan de lumière et d’un océan de ténèbres se rachète par l’alchimie de la nourriture et de la lumière, par l’expiration humaine de la lumière angélique, en mesure de purifier la lumière par l’anéantissement des ténèbres. Cette alchimie du bonheur réalise l’accomplissement de l’essence de l’être humain, et la plénitude de pouvoir et pureté de la « lampe placée dans la niche »s’élève selon la forme et le sens jusqu’à l’espace du cerveau et seulement selon le sens dans les espaces célestes sauvegardés par la proximité du Divin Infini. Dans ce contexte, la signification cosmologique, théologique et angélique des gestes anthropologiques élémentaires est accablante : préparer et assimiler la nourriture, pratiquer des exercices ascétiques, habiter, procréer, mourir, expérimenter le salut ou le dénouement apocalyptique de l’univers, connaître ou aimer la divinité, tout doit respecter l’exigence primordiale de protéger l’esprit vivant, de libérer la lumière enfermée dans les règnes de la création et de contempler la continuité ontologique entre le microcosme et le macrocosme, entre l’être humain et l’Être Divin.
Bibliographie
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(This work was possible with the financial support of the Sectoral Operational Programme for Human Resources Development 2007-2013, co-financed by the European Social Fund, under the project number POSDRU 89/1.5/S/61104 .)
Notes
[1] Maître Soūfi persan, membre de l’ordre Kubrāwīya, né à Nasaf, en Transoxanie, au XIIIe siècle. Il a passé sa vie à Khurāsān, dans la région délimitée par Transoxanie et Fārs, Bukhāra et Shīrāz, Nasaf et Abarqūh. Il a étudié le soufisme avec le shaykh Sa’d-ud-dīn Hamū’ī, à son tour disciple du shaykh Najm Al-Dīn Kubrā et du shaykh Sadr Al-Dīn Qonyawī (disciple et gendre de Muhyī Al-Dīn Ibn ‘Arabī). Son œuvre témoigne de la réception des idées d’Ibn ‘Arabī dans l’espace spirituel du soufisme persan : Kitāb al-insān al-kāmil ou Le livre de l’homme parfait ; Maqsad-e aqsā ou Le dernier but ; Zobdat al-haqā’iq ou La quintessence des vérités. Voir ‘Azīz-ud-dīn Nasafī, Kitāb al-insān al-kāmil, Isabelle de Gastines (trad.), Le livre de l’homme parfait, Paris, Fayard, 1984, p. 9-10.
[5] Voir Taittirīya Upanishad, 2,1-2,2, Patrick Olivelle (trad.), Upanishads, Oxford – New York, Oxford University Press, 2008, p. 185. Le Taittirīya Upanishad (VIe-Ve siècles av. J. C.) ou l’« Upanishad des oiseaux » (l’« Upanishad des perdrix ») est constitué des chapitres 7, 8 et 9 de Taittirīya Āranyaka, un supplément du Taittirīya Brāhmana du Yajurveda noir. Son nom dérive de la légende conformément à laquelle le sage Yājñavalkya s’est disputé avec son maître, Vaiśampāyana, qui lui a reproché l’orgueil de se considérer supérieur aux autres disciples. Lorsque Vaiśampāyana lui a demandé de lui rendre l’enseignement reçu sous sa coordination, Yājñavalkya a éliminé le Yajurveda de sa cavité buccale, et les autres risis ont tranféré leur soi de la forme des corps humains dans les formes d’oiseaux ou de perdrix, pour ingurgiter la doctrine transmise par le guru et empêcher son gaspillage. Voir Śrī Swāmī Śivānanda (trad.), The Principal Upanishads, Shivanandanagar, Tehri-Garhwal, The Divine Life Society, 1983, p. 287.
[11] Voir Nasafī, Kitāb al-insān al-kāmil, Gastines, Le livre de l’homme parfait, p. 158-159, p. 182.
[12] Par la notion de kīmyāye sa’ādat ou « alchimie du bonheur », Abū Hāmed Muhammad Ibn Muhammad Al-Ghazālī (1058-1111), précurseur de Nasafī dans le cadre des communautés Soūfi de Khurāsān, a défini la transmutation ontologique des êtres humains de l’hypostase inférieure de l’existence animale à l’hypostase supérieure de l’existence angélique : « Dieu a envoyé sur terre cent vingt-quatre mille prophètes pour enseigner aux êtres humains les préceptes de cette alchimie et la façon dont ils peuvent purifier leur cœur des qualités indignes, dans le creuset de l’abstinence. Cette alchimie peut être décrite de manière succinte comme un retour du monde vers Dieu, et ses parties composantes sont au nombre de quatre : la connaissance de soi ; la connaissance de Dieu ; la connaissance de ce monde, tel qu’il est en réalité ; la connaissance du monde qui va venir, tel qu’il est en réalité. » Voir Abū Hāmed Muhammad Ibn Muhammad Al-Ghazālī, Kīmyāye sa’ādat, Claud Field (trad.), The Alchemy of Happiness, London, The Octagon Press, 1983, p. 16.
[15]VoirTheodor Bar Kōnaī (vers 770-810), Scholia, in A. Scher (éd.), Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, Scriptores Syri, Seria II, Tome 66, Paris-Leipzig, 1912, Liber Scholiorum, XI, p. 313-318.
[16] Voir Iain Gardner, Samuel N. C. Lieu, Manichaean Texts from the Roman Empire, Cambridge, UK, Cambridge University Press, 2004, p. 22-23.
[18] Les Képhalaia du Maître, textes découverts à Medinet Madi, en Égypte, en 1929-1933, comprennent les discours de « chevet » de la mythologie et de la théologie manichéennes, prononcés par Mani sur son lit de mort et rassemblés par ses disciples. Le manuscrit, rédigé dans le dialecte subakhmimique B de la langue copte, ayant à la base un vorlage en grec ou en syriaque, aujourd’hui perdu, est gardé au Musée d’État de Berlin. D’autres parties des Képhalaia se trouvent dans la Collection Chester Beatty.
[19] Prophète mésopotamien, fondateur du manichéisme. Dans son enfance et adolescence, Mani a fait partie de la secte baptismale des Sabéens de langue syriaque de Harrān. Suite aux révélations reçues de l’« esprit-jumeau », son archétype céleste, súzugos (grec) ou al-tawm (arabe), Mani fondera sa propre communauté, dans les proximités de Séleucie-Ctésiphon, la résidence d’hiver des Sassanides (224-651). Protégé par les rois sassanides Shāpūr Ier (241-272) et Hormizd Ier (272-273), Mani est tombé dans les disgrâces de Vahram Ier (273-276). Les livres sacrés du manichéisme primaire sont : l’Évangile vivante, le Trésor de la vie, le Traité, le Livre des mystères, le Livre des géants, les Épîtres, le Livre des psaumes et des prières, le Livre des images, le Šābuhragān.
[20] Voir Képhalaia, 193. 26 – 194, 13, Gardner, Lieu, ManichaeanTexts, p. 23. Les textes contenus dans les Képhalaia ont été préservés en état fragmentaire.
[21] L’exigence de ne pas détruire ou blesser l’« âme vivante » qui constitue l’essence de la nourriture est mentionnée aussi dans le Codex Manichaicus Coloniensis, dans le cadre de l’exposition de Mani sur Alchasaios : « De même Mani a dit qu’Alchasaios est venu à ses disciples pendant qu’ils cuisaient du pain, et le pain lui a parlé. Alors il a commandé que la cuisson du pain n’ait plus lieu. » Voir Codex Manichaicus Coloniensis, 94, 1 – 97, 10, Samuel N. C. Lieu, Manichaeism in Mesopotamia and the Roman East, Leiden-Boston-Köln, BrillAcademicPublishers, 1997, p. 82.
[23]Encyclopédiste musulman shī’ite de la fin de la période des Samanides et du début de la période des Ghaznavides. La personnalité resplendissante d’Abū Rayhān Muhammad Ibn Ahmad Al-Bīrūnī a fait part de ses dons spirituels tant dans le domaine des sciences humaines que dans celui des sciences pures. L’œuvre d’Al-Bīrūnī comprend cent quarante-six livres, parmi lesquels on compte les AbūRayhān Bīrūnī wa Ibn Sīnā, al-as’ilawa’l-ajwiba (Questions et réponses échangées par Abū Rayhān Bīrūnī et Ibn Sīnā), le Kitāb al-ātār al-bāqīa ‘an al-qorūn al-kālīa (La Chronologie des anciennes nations ou Les Signes des siècles passés), le Kitāb fi tahqīq mā li’l-Hind (Recherches sur l’Inde ou Étude critique sur ce que l’Inde affirme), le Al-Qānūn al-Mas‘ūdī (Canon Mas‘udicus). Voir Henry Corbin, Histoire de la philosophie islamique, I-II, Paris, Gallimard, 1964, I, p. 208-210.
[24] Dans la hagiographie hindoue, Patañjali est considéré comme un avatar deVishnu. Son œuvre comprend le Yoga-Sūtra, une collection d’aphorismes sur le yoga, et le Mahābhāsya, un « grand commentaire » sur les Astādhyāyī, les « huit chapitres » qui définissent la grammaire et la morphologie du sanskrit, rédigés par Pānini (vers 560-480 av. J.C.). Dans l’indologie contemporaine, une première hypothèse affirme qu’un seul auteur qui a porté le nom de Patañjali (vers 200-150 av. J. C.) a rédigé le Yoga-Sūtra et le Mahābhāsya. La deuxième hypothèse considère que dans l’histoire de l’hindouisme antique il y avait deux auteurs qui ont porté le même nom : le premier Patañjali (vers 200-150 av. J.C.) a rédigé le Mahābhāsya, alors que le deuxième Patañjali (vers 300-500 ap. J.C.) a rédigé le Yoga-Sūtra. Voir Mircea Eliade, Patañjali et le yoga, Paris, Seuil, 1962, p. 5-33.
[25] Voir Louis Massignon, Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane, Paris, Cerf, 1999, p. 81-98.
[31] Voir Nasafī, Kitāb al-insān al-kāmil, Gastines, Le livre de l’homme parfait, p. 76, p. 337-340, p. 350.
[32] Ibid., p. 351. Voir aussi, Jalāl-ud-dīn Rūmī, Mathnawī-i ma‘nawī, III, v. 1259-1270, Reynold A. Nicholson (trad.), The Mathnawi, Cambridge, E. J. W. Gibb Memorial Trust, 1990, vol. I-VI, IV, p. 71-72.
[33] Calligraphe, érudit, libraire et homme de cour shī’ite de Bagdad. Son témoignage sur Mani s’appuie sur les écritures d’Abū ‘Isā Al-Warrāq (IXe siècle), qui a eu accès aux textes manichéens inédits.
[34] Šāhān šāh de l’Iran et de l’Aniran, Shāpūr Ier a été le fils d’Ardashīr Ier ou Artaxerxès Ier, fondateur de la dynastie des Sassanides.
[35] Voir Ibn An-Nadīm, Kitāb al-Fihrist, Gustave Flügel (éd.), Fihrist, I-II, Leipzig, F. C. W. Vogel, 1871-1872, I, p. 328-329. Voir aussi, Gardner, Lieu, Manichaean Texts, p. 75-76.
[38] Voir Ibn An-Nadīm, Kitāb al-Fihrist, Flügel, Fihrist, I, p. 337-338. Voir aussi Guy Monnot, Penseurs musulmans et religions iraniennes, Paris, J. Vrin, 1974, p. 97.
Silviu Lupaşcu
Université d’Architecture Ion Mincu, Bucarest, Roumanie
slupascu@yahoo.com
Silviu Lupaşcu
The Ascent of Light
Ontological Settings in Sufism, Hinduism, Manichaeism
Abstract: In Kitāb al-insān al-kāmil or The Book of the Perfect Man, I, ‘Azīz-ud-dīnNasafī dwells on the themes of nourishment and light, of light revealed as the essence of nourishment. Nasafī posits that “all the ascetical exercises and branches of knowledge of the Hindoos” are founded on the apotheosis of the nourishing light. This paragraph foregrounds the Taittirīya Upanishad as a text-witness. Nasafī draws attention to the fact that the theology of nourishment is circumscribed by the “inner voyage of the Hindoos”. Consequently, he ignores the Manichaean paternity of the theology of Light and Darkness. The Islamisation of Manichaean religious ideas points to Nasafī’s concern with avoiding any accusation of zandaqa (allegiance to the dualist heresies) on the part of the Moslem authorities. The hermeneutical elucidation of Nasafī’s discourse on nourishment and light emphasizes the syncretic juxtaposing of certain religious ideas which belong to the core principles of Hinduism and Manicheism, against the spiritual background of the Soūfi School of Khurāsān, during the 18th century.
Keywords: Nasafī; Taittirīya Upanishad; Hinduism; Mani; Manichaeism; Sufism; Light; Darkness; Khurāsān; Zandaqa; Angels.
‘Azīz-ud-dīn Nasafī (XIIIe siècle)[1] traite dans le Kitāb al-insān al-kāmil ou Livre de l’homme parfait, I, les thèmes de la nourriture et de la lumière, la lumière révélée en tant qu’essence de la nourriture : « Si l’on dit que c’est la nourriture qui fait ascension, par degré s’élève et devient connaissante, voyante et entendante, c’est juste. Si l’on dit que c’est la lumière accompagnatrice de la nourriture qui fait ascension et devient connaissante, voyante et entendante, c’est juste aussi. Je sais que tu n’as pas bien saisi. Je tenterai de m’exprimer plus clairement, car la compréhension de ces paroles est importante à l’extrême. Toutes les ascèses et disciplines des Hindous reposent sur elle[2]. » La nourriture est un réceptacle de lumière car la création est pleine de lumière, l’univers déborde de lumière, et la lumière est l’âme du monde : « Sache que la terre, l’eau, l’air, le feu, les animaux, les végétaux, les astres, les étoiles, soit toute la création, sont remplis de lumière. L’univers est bondé à ras bord de lumière et c’est cette lumière qui est l’âme du monde[3]. »
Pourquoi Nasafī considère-t-il que sur cette apothéose de la lumière nutritionnelle se fondent « toutes les ascèses et disciplines des Hindous » ? Dans le premier traité du Kitāb al-insān al-kāmil, intitulé « Sur la connaissance de l’homme », le paragraphe dédié à l’alchimie de la nourriture, dans le contexte de la dialectique lumière-ténèbres, a pour sujet le « voyage intérieur des Hindous » ou la « pérégrination des Hindous »[4]. Ce paragraphe, rédigé par Nasafī, indique comme texte-témoin le Taittirīya Upanishad.
Le Taittirīya Upanishad, 2,1-2,2, statue la cosmologie et l’anthropologie de l’hindouisme antique dans la perspective ouverte par le principe « brahman est nourriture, ātman est nourriture » : « De ce soi (ātman) est l’espace venu à l’être, de l’espace l’air, de l’air le feu, du feu les eaux, des eaux la terre, de la terre les plantes, des plantes la nourriture et de la nourriture l’homme. Maintenant un homme est formé ici de l’essence de la nourriture. […] De la nourriture sont nées certainement toutes les créatures qui vivent sur terre. Sur le fondement de la nourriture, une fois nées, elles vivent ; et dans la nourriture, finalement, elles passent. […] Ils se procureront toute la nourriture lorsqu’ils vénèreront brahman comme nourriture. […] Différent de lui, mais à la fois placé à l’intérieur de cet homme composé de l’essence de la nourriture est le soi (ātman), qui consiste dans la respiration de vie et inonde l’homme en son entier[5]. » Le Taittirīya Upanishad, 3,1-3,6, contient la doctrine sur brahman que Varouna transmet à son fils, Bhrigu : « Nourriture, respiration de vie, regard, ouïe, raison, langage. » Après avoir pratiqué les exercices ascétiques, Bhrigu a la révélation de brahman comme nourriture : « Brahman est nourriture car il est clair que ces êtres naissent de la nourriture ; sur le fondement de la nourriture, une fois nés, ils vivent ; et dans la nourriture ils passent après la mort. » Dans ce fragment, brahman est défini comme ascèse, respiration de vie, raison, perception, béatitude. La doctrine de Bhrigu, fils de Varouna, est « fermement fondée au plus haut firmament », et tout homme doué du pouvoir d’assimiler cette doctrine deviendra « fermement fondé » : « il deviendra un homme qui a de la nourriture, qui mange de la nourriture », un homme célèbre grâce « à sa progéniture, son cheptel et à la brillance de la connaissance sacrée »[6]. Un corollaire du principe « brahman est nourriture, ātman est nourriture » est l’énoncé « cette nourriture se fonde sur de la nourriture », triplement hypostasié dans le Taittirīya Upanishad, 3,7-3,9 : « La respiration de vie est nourriture, et le corps est le consommateur de la nourriture. Le corps se fonde sur la respiration de vie, et la respiration de vie sur le corps. […] L’eau est nourriture, et le feu est le consommateur de la nourriture. Le feu se fonde sur l’eau, et l’eau sur le feu. […] La terre est nourriture, et l’espace est le consommateur de nourriture. L’espace se fonde sur la terre, et la terre sur l’espace[7]. » La théologie de la nourriture détermine une éthique de l’hospitalité, du partage du bien-être : « personne ne doit éloigner quelqu’un de sa maison », il doit mettre à la disposition des invités une grande quantité de nourriture, répartie dans les trois types de nourriture d’un festin[8]. Dans le contexte anthropologique-cosmologique, le Taittirīya Upanishad, 3, 10, 2-4, recommande la vénération de la nourriture en tant qu’essence du langage, essence de la respiration, action des mains et mouvement des pieds, dynamique du métabolisme, remerciement pour la tombée de la pluie, force de l’orage, lumière des étoiles, fonction reproductive de l’organe sexuel, immortalité, béatitude, totalité de l’espace : « Qu’il lui soit permis de la vénérer comme fondation et il aura une fondation. Qu’il lui soit permis de la vénérer comme vigueur et il deviendra vigoureux. Qu’il lui soit permis de la vénérer comme raison et il aura une raison agile. Qu’il lui soit permis de la vénérer comme adoration en signe d’hommage et ses désirs l’adoreront devant sa volonté. Qu’il lui soit permis de la vénérer comme brahman et il détiendra le brahman[9]. » En contexte thanatologique, le Taittirīya Upanishad, 3, 10, 5-6, remémore l’identité entre le soi humain et le soi solaire, dans la perspective de l’absorption de l’âme dans la lumière du firmament. Le franchissement du seuil de la mort se dévoile comme éloignement du monde par un mouvement ascensionnel au long de la trajectoire composée des hypostases du soi : ātman de la nourriture, ātman de la respiration de vie, ātman de la raison, ātman de la perception, ātman de la béatitude. Doué du pouvoir d’assumer toute apparence, l’âme voyage à travers les mondes célestes et chante un hymne sacerdotal, sāman : « J’ai conquis l’univers entier ! Je suis pareil à la lumière du firmament[10] ! »
L’exposition de Nasafī sur la nourriture et la lumière ne réécrit pas seulement des fragments du Taittirīya Upanishad, mais aussi la doctrine manichéenne sur la lumière et les ténèbres. Pour éviter toute accusation de zandaqa, d’adhésion aux hérésies dualistes (mazdéisme, manichéisme), Nasafī construit une re-signification bénigne du concept de « ténèbres », non pas dans la perspective de l’antagonisme entre la lumière et les ténèbres, mais de celle de la complémentarité entre la lumière et les ténèbres, en tant qu’émanations divines : dans son système de pensée, l’« Océan de Lumière » constitue l’« Intelligence Primordiale », et l’« Océan de Ténèbres » constitue la « Sphère Primordiale[11] ». Dans le Kitāb al-insān al-kāmil, I, Nasafī argumente la présence du Principe de la Lumière et du Principe des Ténèbres dans la substance de la nourriture, car le « monde phénoménal », Molk, est composé d’un mélange de lumière et de ténèbres, qui constitue son fondement tant au niveau de l’entier qu’au niveau des parties composantes : « Le monde est à la fois lumière et ténèbres ; océan de lumière et océan de ténèbres – les deux océans étant l’un à l’autre intimement mêlés. Pour qu’apparaissent les attributs de la lumière, il faut séparer la lumière des ténèbres. » Au niveau ontologique de la zoogénie, les organes internes agissent comme des « artisans » du corps animal. La nourriture est transmise au long de la filière formée par la bouche, l’estomac, le foie, le cœur, le cerveau. Dans le cerveau, la nourriture atteint l’apogée de son mouvement ascensionnel, la lumière et les ténèbres contenues dans sa structure initiale se séparent, et les attributs de la lumière se manifestent par le pouvoir de voir, d’entendre, de connaître. Nasafī définit ce processus comme « alchimie »[12] : « C’est là de l’alchimie ; les animaux sont en constante alchimie. L’homme porte cette alchimie à l’extrême : il pratique l’alchimie de cette alchimie. Il s’empare de l’âme de tout ce qu’il mange ; il en extrait le substrat et la quintessence. En d’autres termes, il sépare la lumière des ténèbres, en sorte que la lumière connaisse et voie sa propre réité. Ceci est le fait de l’Homme Parfait, de lui seul[13]. »
D’une manière paradoxale, la lumière ne peut pas être définitivement séparée des ténèbres, car dans le couple ontologique primordial lumière-ténèbres, chaque élément est conditionné par l’autre, chacun est le complément de l’autre. Pour cette raison, les attributs de la lumière ne sont pas immédiats, ils sont médiés par leur pouvoir de manifestation, telle la « lampe dans la niche », syntagme par lequel Nasafī définit l’anthropologie Soūfi de l’ascension de la nourriture et de la lumière : « Cette lampe est l’essence de l’homme. » Si jusqu’à l’espace du cerveau, l’ascension de l’essence de lumière de l’être humain a lieu « selon la forme et le sens », au-delà du cerveau, vers le « monde des âmes », Malakūt, vers le « monde des intelligences chérubiniques », Jabarūt, vers l’espace céleste circonscrit par la proximité de l’Être Divin, cette ascension a lieu seulement « selon le sens ». Par le voyage ontologique-alchimique de la nourriture et de la lumière, l’essence de lumière de l’être humain se purifie de la forme et redevient sens. Seulement lorsque la « lampe dans la niche » est « forte et pure », l’homme jouit du privilège de remémorer la « science primaire » et la « science dernière », cachées en son essence. La perfection de l’homme se réalise par la puissance et la pureté du feu de la connaissance, en tant que manifestation de la lumière libérée par la nourriture : « Sa force dépend de deux choses : manger une fois le jour ; et cette unique fois, des aliments sains, aptes à procurer un sang abondant et léger. Sa pureté dépend de quatre choses : la retraite mystique, peu parler, peu manger et peu dormir[14]. »
Le dualisme de la lumière et des ténèbres, la doctrine des « deux principes » et des « trois temps », la tragédie d’ordre religieux du mélange de la lumière et des ténèbres, la nécessité d’extraire la lumière tombée dans les ténèbres et de la libérer par un mouvement ascensionnel représentent le fondement de l’édifice mythologique et théologique du manichéisme[15]. Les principes éthiques qui règlementent le régime alimentaire et le jeûne acquièrent un sens nouveau dans la perspective ouverte par la théologie de la lumière et le destin apocalyptique de la lumière. Loin d’être des actions banales de la vie quotidienne, la déglutition et la digestion définissent la participation des croyants manichéens au grandiose engrenage de l’univers et des mondes angéliques, dont le but est de sauvegarder la lumière. Iain Gardner et Samuel N. C. Lieu ont décrit la correspondance ou la symbiose entre l’éthique de la nourriture, l’alchimie de l’anthropologie angélique et la cosmologie rédemptrice de la lumière, dans le manichéisme primaire : « Les Manichéens s’efforçaient de consommer la nourriture et la boisson contenant le plus haut pourcentage possible de lumière, par exemple les pastèques et les concombres, et ils étaient réellement préoccupés par le classement et la préparation de divers assortiments de nourriture, ce qu’attirait le blâme de la part de leurs adversaires. Surtout la viande et le vin étaient considérés comme des aliments dominés par les éléments des ténèbres, en mesure de souiller de façon répétitive le croyant qui aspirait à la purification personnelle et de l’amener directement à la sensualité et à l’ignorance. Dans une perspective positive, si la simple action de manger pouvait provoquer la douleur des particules de lumière, le corps, en tant que microcosme de l’univers, agissait également comme un mécanisme voué à libérer la nature divine, de sorte que la personne pieuse puisse rejeter littéralement les éléments grossiers d’en bas et créer par l’expiration, à la suite des jeûnes périodiques, des anges qui se dirigent vers le haut[16]. » Par conséquent, les membres de l’élite manichéenne, les electi, avaient comme tâche de « manger le monde », dans le but de libérer la lumière emprisonnée dans les ténèbres de la matière[17]. L’exégèse adéquate de ces préceptes situe la conduite culinaire dans le contexte de la vision sur le monde et sur l’action de l’être humain qui caractérise le manichéisme dans le paysage religieux de l’Antiquité hellénistique et du Moyen Âge : l’hiératisme rituel de la préparation et de l’assimilation de la nourriture comme ascèse de l’ascension de la lumière détermine des échos théologiques infinis et produit des réverbérations de l’ontologie de la lumière au niveau anthropologique, cosmologique et angélique.
Les Képhalaia[18], 193,26-194,13, illustrent le rituel de l’« expiration angélique », sous-tendu par l’éthique de la nourriture et du jeûne, dans une communauté présidée par Mani (216-274/276)[19] : « […] il est arrivé une fois quand l’Apôtre Mani était assis au milieu de la congrégation. L’un de ses disciples s’est levé devant lui. Il lui a dit : J’ai entendu, mon Maître, quand tu avais affirmé que sept anges seront engendrés par le jeûne de chacun des élus ; et non pas seulement les élus, mais les catéchumènes aussi les engendrent le jour du Seigneur. En peu de mots, cela est le travail du jeûne. […] Je suis devenu chef sur les cinquante élus qui se trouvaient avec moi à l’église. Ils se tenaient devant moi pendant qu’ils jeûnaient chaque jour. Maintenant j’ai pris connaissance du jeûne tenu par une personne pendant les trois jours du Seigneur et j’ai appris que chacun des élus a engendré sept anges par son jeûne. Par conséquent, j’ai enregistré le jeûne de ces cinquante personnes pendant les trois jours du Seigneur : il a totalisé trois cent cinquante anges, selon que sept anges sont dénombrés sur le compte de chacun des élus, qui les engendrent chaque jour par le jeûne. J’ai compté les trois jours du Seigneur où les cinquante personnes ont jeûné et j’ai multiplié par trois. J’ai trouvé : le nombre des anges engendrés par eux a totalisé mille cinquante, et j’ai été reconnaissant pour le grand profit et le grand bien que j’ai réalisés pendant les trois jours du Seigneur[20]. » Les Képhalaia, 191,9-192,3, énoncent les bénéfices du jeûne ou les « quatre grands travaux du jeûne » : « Le jeûne dont jeûnent les saints est profitable pour quatre grands travaux. Le premier travail : si l’homme saint punit son corps par le jeûne, il soumettra entièrement le pouvoir dirigeant qui existe en lui. Le deuxième : cette âme qui entre en lui par l’assimilation de la nourriture, jour après jour, sera sanctifiée, purifiée et lavée de la corruption des ténèbres auxquelles elle a été mélangée. Le troisième : cette personne sanctifiera chacune de ses actions ; le mystère des enfants de la lumière dans lesquels il n’y a ni corruption, ni […] nourriture, elle ne la blessera pas. Ils sont plutôt des saints, il n’y a rien en eux qui souille, ainsi qu’ils vivent en paix. Le quatrième : […] ils refrènent leurs mains […] ils ne détruisent pas l’âme vivante[21]. Le jeûne est bénéfique pour les saints en ce qui concerne ces quatre grands travaux, à condition qu’ils persévèrent ; en d’autres mots, s’ils les pratiquent tous les jours, avec conséquence, et déterminent le corps à contraindre toutes ses parties composantes de jeûner par un jeûne saint[22]. »
Les références de Nasafī à la théologie de la nourriture contenue dans le Taittirīya Upanishad doivent être situées dans le cadre d’une certaine proximité d’ordre mystique entre le soufisme et le hindouisme. Comme un premier repère bibliographique de cette proximité ou connaissance réciproque, il faut invoquer l’ouvrage d’Al-Bīrūnī (973-1043)[23] intitulé Kitāb fi tahqīq mā li’l-Hind, Recherches sur l’Inde ou Étude critique sur ce que l’Inde affirme. En même temps, Al-Bīrūnī a traduit du sanskrit en arabe le Yoga-Sūtra de Patañjali (vers 200-150 av. J. C. ou vers 300-500 ap. J. C.)[24], et il a intitulé cette traduction le Kitāb Pātanjal al-Hindi fī’l kilās min al-amtāl (Ms. Köprülü 1589, Istanbul). Des arguments d’ordre historique fixent le dialogue spirituel entre l’espace religieux hindou et l’espace religieux musulman dans le cadre de l’École de Bassora, pendant la période 664-802, quand la ville de Hyderabad et la province de Sindh ont été conquises et gouvernées par les califes des dynasties des Omeyyades et des Abbassides. Sur la base de ces rapprochements et interférences bibliographiques dus à l’indologie d’Al-Bīrūnī, Louis Massignon a analysé l’hypothèse concernant l’origine hindouiste de la doctrine musulmane sur l’union mystique (sanskrit, samādhi – arabe, shahādah)[25]. De cette perspective herméneutique, il est possible de mettre en relief la correspondance entre une série de termes techniques utilisés par Patañjali dans le Yoga-Sūtra et une série de termes techniques de la théologie Soūfi : sanskrit, ātman – arabe, nafs (« âme », « soi ») ; sanskrit, manas – arabe, qalb (« raison », « intellect », « cœur ») ; sanskrit, purusha – arabe, rūh (« esprit ») ; sanskrit, vritti – arabe, istinbāt, ‘irfān (« élucidation, assimilation discursive des objets dans la pensée ») ; sanskrit, sattva – arabe, ru’ya (« état de la conscience ») ; sanskrit, buddhi – arabe, manzūr (« extension de la conscience sur l’objet de la connaissance »)[26]. La théologie Soūfi vise le rejet de l’ego et l’immersion de l’âme dans la Réalité réelle, dans la Vérité transcendante, infinie, de la divinité, et la méthode mystique de Patañjali construit une stratégie introspective dont la finalité est la maintenance de la conscience dans un état de dénudation et de libération absolues[27]. L’argumentation de Louis Massignon est focalisée sur une citation d’Al-Bīrūnī, Kitāb fi tahqīq mā li’l-Hind, qui fait ressortir l’utilisation de la doctrine de Patañjali dans le soufisme : « Les soufis ont rejoint la méthode de Patañjali, relativement à la concentration unitive en Dieu. Ils ont dit, en effet : Tant que tu élabores des expressions, tu n’affirmes pas le Dieu Unique ; jusqu’à ce que Dieu S’empare de tes expressions, en te faisant renoncer à elles, et qu’ainsi ne subsistent plus, ni l’énonciateur créé, ni son expression humaine. On trouve chez eux des sentences qui favorisent la doctrine de l’unification […][28]. » À son tour, Nasafī mentionne dans le Kitāb al-insān al-kāmil, IV, la « métempsychose » et la « transmigration » des âmes, faisant la différence entre la « métempsychose » (naskh)[29] et la « métamorphose » (maskh)[30], et dans un énoncé énigmatique il déclare que « les gnostiques ont un temps frayé avec les théologiens, un temps avec les philosophes, un temps avec les adeptes de la métempsychose ; un temps avec les Soufis, un temps avec les témoins de l’unicité[31] ». Par hypothèse, il est plausible que le syntagme « les adeptes de la métempsychose » indique un rapprochement spirituel de l’Inde, de l’univers religieux de l’hindouisme ou du bouddhisme. En même temps, Nasafī fait référence à l’« histoire des aveugles et de l’éléphant », qui a été incorporée dans l’histoire littéraire du soufisme médiéval en tant que réécriture de la doctrine jaina sur la « théorie du non-absolutisme », la « doctrine de la non-exclusion » ou l’« enseignement des points de vue multiples », anekāntavāda[32].
Abū ’l-Faraj Muhammad Ibn AbīYa‘qūb Ibn Ishāq An-Nadīm Al-Warrāq (m. vers 995/998)[33] affirme dans le Kitāb al-Fihrist ou Le catalogue que Shāpūr Ier (241-272)[34] a transformé en privilèges toutes les sollicitations reçues de la part de Mani. Par conséquent, la protection impériale a ouvert la voie du missionnarisme manichéen vers l’Inde, la Chine et le Khurāsān : « Et Mani a fait quelques sollicitations, y compris la garantie que Sābūr traitera de manière favorable ses compagnons, tant dans les provinces que dans les autres pays gouvernés par lui, de sorte qu’ils jouissent de la liberté de circulation. Sābūr a approuvé toutes les sollicitations reçues de la part de Mani. Par conséquent, Mani a pu prêcher sa doctrine en Inde, en Chine et au milieu du peuple de Hurāsān (Khurāsān). Et Mani a nommé un membre de sa congrégation dans chaque endroit[35]. » À la fin de l’entrevue entre Mani et Vahram Ier (273-276)[36], qui a eu lieu à Gund-ī Shāh Pūr vers 274-276, le monarque sassanide a décidé l’emprisonnement et la condamnation à mort de l’« Apôtre de la Lumière ». Pendant la période qui a précédé ce dénouement tragique, le seul endroit de la Perse où Mani aurait été en sécurité était le Khurāsān, dont le gouverneur portait le nom de Kushanshah, détail inséré dans les Homélies coptes, 44, 5 – 45, 5 : « Il a désiré […] vers Kushan […] aller[37]. » En même temps Ibn An-Nadīm précise qu’après la fin du califat d’Al-Muqtadir (908-932), les Manichéens des territoires musulmans ont trouvé leur refuge « en Khurāsān », et le siège suprême du pontificat de la « religion de la lumière » a été transféré de Babylone à Samarkand[38], sous la dynastie des Samanides (875-999). Le témoignage d’Ibn An-Nadīm est confirmé par Al-Bīrūnī, qui note dans le Kitāb al-ātār al-bāqīa ‘an al-qorūn al-kālīa ou La chronologie des anciennes nations que les Manichéens de Samarkand étaient connus sous la dénomination de Sabéens : « Dans les pays musulmans, on n’en trouve de groupe à peu près nulle part, si ce n’est la secte connue à Samarkand sous le nom de Sabéens (al-sābi’ūn)[39]. » L’écriture anonyme intitulée Hodūd al-‘ālam min al-mashriqilā l-maghrib ou Les frontières du monde, de l’Orient à l’Occident, rédigée en 982, mentionne l’existence d’un couvent (kāngāh) manichéen à Samarkand[40]. La raison pour laquelle les Manichéens de Samarkand ont opté pour le retour formel à l’identité sabéenne initiale réside tant dans la nécessité d’éviter les persécutions pour l’accusation de zandaqa ou « hérésie dualiste », que dans la tentative de justifier devant les autorités musulmanes leur statut de « peuple du Livre », ahl al-kitāb. La présence du manichéisme est attestée à Khurāsān entre les IIIe-Xe siècles, par conséquent il est possible que Nasafī ait connu le système de pensée fondé par Mani et la structure éthique-rituelle de l’espace religieux manichéen. Même si l’acquisition de cette connaissance n’a pas été le résultat de la participation directe à la vie religieuse d’une communauté manichéenne, elle dévoile, comme dans le cas d’Ibn An-Nadīm, l’accès de Nasafī aux manuscrits gardés dans les bibliothèques privées ou publiques de Khurāsān.
Du point de vue rhétorique, une différence importante réside dans la manière de citer implicitement ou explicitement. Nasafī fait ressortir le fait que la théologie de la nourriture est circonscrite par le « voyage intérieur des Hindous » ou la « pérégrination des Hindous », mais il passe sous silence la paternité manichéenne, d’inspiration gnostique-zoroastrienne-zourvanite, de la théologie de la lumière et des ténèbres. L’islamisation des idées religieuses manichéennes prouve la préoccupation de Nasafī d’éviter l’accusation de zandaqa de la part des autorités musulmanes. L’élucidation herméneutique du discours de Nasafī sur la nourriture et la lumière, inclus dans le Kitāb al-insān al-kāmil, I, indique la superposition syncrétique de certaines idées religieuses définitoires pour l’hindouisme et le manichéisme, dans le cadre de l’École Soūfi de Khurāsān, au XIIIe siècle. L’énoncé de Nasafī sur la lumière comme essence de la nourriture et âme du monde est sous-tendu par le principe « brahman est nourriture, ātman est nourriture ». La dynamique de l’univers archiplein de lumière se révèle comme mouvement ascensionnel de la nourriture-lumière, comme efflorescence des hypostases du pouvoir d’être vivant (voir, entendre, connaître, comprendre ; ātman de la nourriture, ātman de la respiration de vie, ātman de la raison, ātman de la perception, ātman de la béatitude), du point de vue de l’effort ascétique ou de l’extase thanatologique qui remémore l’identité entre le soi humain et le soi solaire. La substance de la nourriture-lumière manifeste la continuité ontologique entre la respiration de vie, l’activité de l’intellect et de l’âme humaine, l’infini cosmologique animé par la lumière du firmament. Le dualisme de la lumière et des ténèbres, le dualisme du monde en tant que mélange composé d’un océan de lumière et d’un océan de ténèbres se rachète par l’alchimie de la nourriture et de la lumière, par l’expiration humaine de la lumière angélique, en mesure de purifier la lumière par l’anéantissement des ténèbres. Cette alchimie du bonheur réalise l’accomplissement de l’essence de l’être humain, et la plénitude de pouvoir et pureté de la « lampe placée dans la niche »s’élève selon la forme et le sens jusqu’à l’espace du cerveau et seulement selon le sens dans les espaces célestes sauvegardés par la proximité du Divin Infini. Dans ce contexte, la signification cosmologique, théologique et angélique des gestes anthropologiques élémentaires est accablante : préparer et assimiler la nourriture, pratiquer des exercices ascétiques, habiter, procréer, mourir, expérimenter le salut ou le dénouement apocalyptique de l’univers, connaître ou aimer la divinité, tout doit respecter l’exigence primordiale de protéger l’esprit vivant, de libérer la lumière enfermée dans les règnes de la création et de contempler la continuité ontologique entre le microcosme et le macrocosme, entre l’être humain et l’Être Divin.
Bibliographie
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ŚIVĀNANDA, Śrī Swāmī (trad.), The Principal Upanishads, Shivanandanagar, Tehri-Garhwal, The Divine Life Society, 1983.
(This work was possible with the financial support of the Sectoral Operational Programme for Human Resources Development 2007-2013, co-financed by the European Social Fund, under the project number POSDRU 89/1.5/S/61104 .)
Notes
[1] Maître Soūfi persan, membre de l’ordre Kubrāwīya, né à Nasaf, en Transoxanie, au XIIIe siècle. Il a passé sa vie à Khurāsān, dans la région délimitée par Transoxanie et Fārs, Bukhāra et Shīrāz, Nasaf et Abarqūh. Il a étudié le soufisme avec le shaykh Sa’d-ud-dīn Hamū’ī, à son tour disciple du shaykh Najm Al-Dīn Kubrā et du shaykh Sadr Al-Dīn Qonyawī (disciple et gendre de Muhyī Al-Dīn Ibn ‘Arabī). Son œuvre témoigne de la réception des idées d’Ibn ‘Arabī dans l’espace spirituel du soufisme persan : Kitāb al-insān al-kāmil ou Le livre de l’homme parfait ; Maqsad-e aqsā ou Le dernier but ; Zobdat al-haqā’iq ou La quintessence des vérités. Voir ‘Azīz-ud-dīn Nasafī, Kitāb al-insān al-kāmil, Isabelle de Gastines (trad.), Le livre de l’homme parfait, Paris, Fayard, 1984, p. 9-10.
[5] Voir Taittirīya Upanishad, 2,1-2,2, Patrick Olivelle (trad.), Upanishads, Oxford – New York, Oxford University Press, 2008, p. 185. Le Taittirīya Upanishad (VIe-Ve siècles av. J. C.) ou l’« Upanishad des oiseaux » (l’« Upanishad des perdrix ») est constitué des chapitres 7, 8 et 9 de Taittirīya Āranyaka, un supplément du Taittirīya Brāhmana du Yajurveda noir. Son nom dérive de la légende conformément à laquelle le sage Yājñavalkya s’est disputé avec son maître, Vaiśampāyana, qui lui a reproché l’orgueil de se considérer supérieur aux autres disciples. Lorsque Vaiśampāyana lui a demandé de lui rendre l’enseignement reçu sous sa coordination, Yājñavalkya a éliminé le Yajurveda de sa cavité buccale, et les autres risis ont tranféré leur soi de la forme des corps humains dans les formes d’oiseaux ou de perdrix, pour ingurgiter la doctrine transmise par le guru et empêcher son gaspillage. Voir Śrī Swāmī Śivānanda (trad.), The Principal Upanishads, Shivanandanagar, Tehri-Garhwal, The Divine Life Society, 1983, p. 287.
[11] Voir Nasafī, Kitāb al-insān al-kāmil, Gastines, Le livre de l’homme parfait, p. 158-159, p. 182.
[12] Par la notion de kīmyāye sa’ādat ou « alchimie du bonheur », Abū Hāmed Muhammad Ibn Muhammad Al-Ghazālī (1058-1111), précurseur de Nasafī dans le cadre des communautés Soūfi de Khurāsān, a défini la transmutation ontologique des êtres humains de l’hypostase inférieure de l’existence animale à l’hypostase supérieure de l’existence angélique : « Dieu a envoyé sur terre cent vingt-quatre mille prophètes pour enseigner aux êtres humains les préceptes de cette alchimie et la façon dont ils peuvent purifier leur cœur des qualités indignes, dans le creuset de l’abstinence. Cette alchimie peut être décrite de manière succinte comme un retour du monde vers Dieu, et ses parties composantes sont au nombre de quatre : la connaissance de soi ; la connaissance de Dieu ; la connaissance de ce monde, tel qu’il est en réalité ; la connaissance du monde qui va venir, tel qu’il est en réalité. » Voir Abū Hāmed Muhammad Ibn Muhammad Al-Ghazālī, Kīmyāye sa’ādat, Claud Field (trad.), The Alchemy of Happiness, London, The Octagon Press, 1983, p. 16.
[15]VoirTheodor Bar Kōnaī (vers 770-810), Scholia, in A. Scher (éd.), Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, Scriptores Syri, Seria II, Tome 66, Paris-Leipzig, 1912, Liber Scholiorum, XI, p. 313-318.
[16] Voir Iain Gardner, Samuel N. C. Lieu, Manichaean Texts from the Roman Empire, Cambridge, UK, Cambridge University Press, 2004, p. 22-23.
[18] Les Képhalaia du Maître, textes découverts à Medinet Madi, en Égypte, en 1929-1933, comprennent les discours de « chevet » de la mythologie et de la théologie manichéennes, prononcés par Mani sur son lit de mort et rassemblés par ses disciples. Le manuscrit, rédigé dans le dialecte subakhmimique B de la langue copte, ayant à la base un vorlage en grec ou en syriaque, aujourd’hui perdu, est gardé au Musée d’État de Berlin. D’autres parties des Képhalaia se trouvent dans la Collection Chester Beatty.
[19] Prophète mésopotamien, fondateur du manichéisme. Dans son enfance et adolescence, Mani a fait partie de la secte baptismale des Sabéens de langue syriaque de Harrān. Suite aux révélations reçues de l’« esprit-jumeau », son archétype céleste, súzugos (grec) ou al-tawm (arabe), Mani fondera sa propre communauté, dans les proximités de Séleucie-Ctésiphon, la résidence d’hiver des Sassanides (224-651). Protégé par les rois sassanides Shāpūr Ier (241-272) et Hormizd Ier (272-273), Mani est tombé dans les disgrâces de Vahram Ier (273-276). Les livres sacrés du manichéisme primaire sont : l’Évangile vivante, le Trésor de la vie, le Traité, le Livre des mystères, le Livre des géants, les Épîtres, le Livre des psaumes et des prières, le Livre des images, le Šābuhragān.
[20] Voir Képhalaia, 193. 26 – 194, 13, Gardner, Lieu, ManichaeanTexts, p. 23. Les textes contenus dans les Képhalaia ont été préservés en état fragmentaire.
[21] L’exigence de ne pas détruire ou blesser l’« âme vivante » qui constitue l’essence de la nourriture est mentionnée aussi dans le Codex Manichaicus Coloniensis, dans le cadre de l’exposition de Mani sur Alchasaios : « De même Mani a dit qu’Alchasaios est venu à ses disciples pendant qu’ils cuisaient du pain, et le pain lui a parlé. Alors il a commandé que la cuisson du pain n’ait plus lieu. » Voir Codex Manichaicus Coloniensis, 94, 1 – 97, 10, Samuel N. C. Lieu, Manichaeism in Mesopotamia and the Roman East, Leiden-Boston-Köln, BrillAcademicPublishers, 1997, p. 82.
[23]Encyclopédiste musulman shī’ite de la fin de la période des Samanides et du début de la période des Ghaznavides. La personnalité resplendissante d’Abū Rayhān Muhammad Ibn Ahmad Al-Bīrūnī a fait part de ses dons spirituels tant dans le domaine des sciences humaines que dans celui des sciences pures. L’œuvre d’Al-Bīrūnī comprend cent quarante-six livres, parmi lesquels on compte les AbūRayhān Bīrūnī wa Ibn Sīnā, al-as’ilawa’l-ajwiba (Questions et réponses échangées par Abū Rayhān Bīrūnī et Ibn Sīnā), le Kitāb al-ātār al-bāqīa ‘an al-qorūn al-kālīa (La Chronologie des anciennes nations ou Les Signes des siècles passés), le Kitāb fi tahqīq mā li’l-Hind (Recherches sur l’Inde ou Étude critique sur ce que l’Inde affirme), le Al-Qānūn al-Mas‘ūdī (Canon Mas‘udicus). Voir Henry Corbin, Histoire de la philosophie islamique, I-II, Paris, Gallimard, 1964, I, p. 208-210.
[24] Dans la hagiographie hindoue, Patañjali est considéré comme un avatar deVishnu. Son œuvre comprend le Yoga-Sūtra, une collection d’aphorismes sur le yoga, et le Mahābhāsya, un « grand commentaire » sur les Astādhyāyī, les « huit chapitres » qui définissent la grammaire et la morphologie du sanskrit, rédigés par Pānini (vers 560-480 av. J.C.). Dans l’indologie contemporaine, une première hypothèse affirme qu’un seul auteur qui a porté le nom de Patañjali (vers 200-150 av. J. C.) a rédigé le Yoga-Sūtra et le Mahābhāsya. La deuxième hypothèse considère que dans l’histoire de l’hindouisme antique il y avait deux auteurs qui ont porté le même nom : le premier Patañjali (vers 200-150 av. J.C.) a rédigé le Mahābhāsya, alors que le deuxième Patañjali (vers 300-500 ap. J.C.) a rédigé le Yoga-Sūtra. Voir Mircea Eliade, Patañjali et le yoga, Paris, Seuil, 1962, p. 5-33.
[25] Voir Louis Massignon, Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane, Paris, Cerf, 1999, p. 81-98.
[31] Voir Nasafī, Kitāb al-insān al-kāmil, Gastines, Le livre de l’homme parfait, p. 76, p. 337-340, p. 350.
[32] Ibid., p. 351. Voir aussi, Jalāl-ud-dīn Rūmī, Mathnawī-i ma‘nawī, III, v. 1259-1270, Reynold A. Nicholson (trad.), The Mathnawi, Cambridge, E. J. W. Gibb Memorial Trust, 1990, vol. I-VI, IV, p. 71-72.
[33] Calligraphe, érudit, libraire et homme de cour shī’ite de Bagdad. Son témoignage sur Mani s’appuie sur les écritures d’Abū ‘Isā Al-Warrāq (IXe siècle), qui a eu accès aux textes manichéens inédits.
[34] Šāhān šāh de l’Iran et de l’Aniran, Shāpūr Ier a été le fils d’Ardashīr Ier ou Artaxerxès Ier, fondateur de la dynastie des Sassanides.
[35] Voir Ibn An-Nadīm, Kitāb al-Fihrist, Gustave Flügel (éd.), Fihrist, I-II, Leipzig, F. C. W. Vogel, 1871-1872, I, p. 328-329. Voir aussi, Gardner, Lieu, Manichaean Texts, p. 75-76.
[38] Voir Ibn An-Nadīm, Kitāb al-Fihrist, Flügel, Fihrist, I, p. 337-338. Voir aussi Guy Monnot, Penseurs musulmans et religions iraniennes, Paris, J. Vrin, 1974, p. 97.