Renato Boccali
Libera Università di Lingue e Comunicazione IULM, Milano, Italia
renato.boccali@iulm.it
Renato Boccali
La philosophie en temps de détresse
Abstract: Paraphrasing Heidegger, we can define our time as a destitute time, one in which philosophy loses its telos. The question then arises, what is philosophy today? It is not easy to answer one such question, after the in the wake of nihilism, postmodernism, deconstructionism, contingentism. Philosophy seems to have completely vanished and reduced to a mere play of words and language. In this paper I argue that we are not confronting the actual disappearance, but a fading of, a transition to a new state of philosophy. As Merleau-Ponty shows, to overcame the crisis of meaning and scope of philosophy we must not neglect those “cultural symptoms” in literature, arts, music, human and natural sciences that attest to the dawning of a “fundamental system of thought”. Special attention must be paid to the world of images that reveal our particularistic modality of being-in-the-world. According to Wunenburger, a philosophy of images has to show the primary iconosphere from which consciousness establishes its relation to the world.
Keywords: Philosophy and Non-Philosophy; Nihilism; Fundamental Thought; Philosophy of images.
Il peut sembler oisif, aujourd’hui, de se demander « qu’est-ce que la philosophie ? », surtout après des siècles de spéculation philosophique. Toutefois, la question du sens et de la finalité du philosopher se présente à chaque époque avec la même force destructrice qui réclame une redéfinition des contours, des limites, des buts de cette pratique de pensée. Au fond, ce qui caractérise le φιλόσοφσς, c’est-à-dire celui qui aime le σοφσς, l’ami du σοφσς, n’est rien d’autre qu’une tension érotique. À cause justement du πάθσς, le philosophe subit l’irréfrénable désir de se joindre à ce qu’il n’a jamais possédé et qui l’attire sans cesse, en tant qu’origine et commencement de la vérité. Il s’agit alors d’une véritable tension érotique qui pousse le philosophe à la recherche de son τέλσς, grâce à son unique moyen de recherche, c’est-à-dire le λόγος, qui est en même temps pensée et parole.
Le philosophe se trouve ainsi inlassablement, immer wieder, en chemin, hanté par la même question qui à chaque fois revient et qui constitue le fondement du philosopher, remettant perpétuellement en question le statut du savoir philosophique. Il n’y a pas de réponses inébranlables à ce questionnement car la philosophie, en tant que pratique de pensée, échappe à toute détermination positive qui prétend faire rentrer de force dans une cage rigide le chercheur de vérité, toujours emporté par Éros.
Alors, comme l’affirme Heidegger dans sa fameuse conférence Qu’est ce c’est la philosophie ?, « La réponse à la question : qu’est-ce que la philosophie ? –, consiste en ceci que nous correspondions à ce vers quoi est en chemin la philosophie. Et ce vers quoi elle est en chemin, c’est l’être de l’étant»[1]. Pour répondre, donc, il ne s’agit pas d’aller à la recherche des opinions des autres philosophes, il ne faut pas les cataloguer et les confronter pour en tirer, ensuite, une synthèse, une « formule générale ». Il est particulièrement important de connaître les différentes positions qui ont été assumées au cours de ce que nous avons l’habitude d’appeler « histoire » de la philosophie. Il faut aborder cette connaissance avec une attitude de relecture créatrice, d’herméneutique de l’autrement et non pas avec un esprit « antiquisant », comme nous l’enseigne Nietzsche. Au fond, écrit encore Heidegger, la philosophie est correspondance à l’être par la parole, « une correspondance assumée en propre par nous et ouverte à un déploiement »[2]. Il s’agit donc de correspondre à cet appel qui provient des voix du passé et qui enfonce ses racines dans la nuit de la pensée. Écoutant autrement ces voix, il semble encore possible de dialoguer avec elles, réactivant cette unique question qui n’a pas de réponse mais qui, inexorablement et avec une force inouïe, se pose à chaque fois. En effet, c’est seulement en expérimentant la manière d’être de la philosophie que nous apprenons à connaître vraiment ce que c’est la philosophie. Et il n’y a pas de meilleure façon d’expérimenter la modalité d’être de la philosophie que de se confronter en dialogue avec la tradition.
L’herméneutique contemporaine dans ses formes les plus variées s’est engagée sur cette voie. Mais il faut en même temps prendre sérieusement en considération la possible dérive qu’une telle position comporte. Le risque est celui d’une hyper-évaluation du passé et de la tradition, entendus eux-mêmes comme άρχή, lieu et demeure privilégiés du vrai. Le repliement interprétatif peut conduire à une dispersion relativiste des positions, à une dissémination qui se perd dans le jeu des différences, comme dans le cas du déconstructionnisme, où la dimension « destructrice » – Dekonstruction ou Abbau, selon l’originaire formulation heideggerienne – est fin en soi, sans possibilité de Rekonstruction. Ce qui compte, alors, est le seul jeu des différences, le renvoi infini ou le différé, selon la double acception sémantique du verbe diapherein, c’est-à-dire soit être différent, être autre, n’être pas identique, soit reculer dans le temps, remettre à plus tard, retarder. Grâce au concept de différance, Derrida peut faire signe vers la dissolution de l’unité du sens dans la trame des rapports sémiologiques qui sont à la base de l’écriture plutôt que du parler. De cette manière la pratique philosophique se résout en pratique déconstructive, qui s’avère n’être qu’extrême ramification nihilistique de la pensée contemporaine.
Il faut donc prêter attention au signe en tant que « présence différée » et structurée sur la base des rapports d’opposition avec les autres signes à l’intérieur du même système d’écriture. Se dessine pourtant une trame, une tessiture des signes, un carrefour qui se rend progressivement présent, faisant remonter à la surface les différents fils et les différentes lignes de sens, selon une stratégie sans finalité que Derrida n’hésite pas à définir comme « tactique aveugle, errance empirique »[3]. Chaque concept s’inscrit alors à l’intérieur d’un système, où il se noue avec ou s’oppose à d’autres concepts, selon un jeu de renvois et de différences qui fondent, pour reprendre les termes de Derrida, « la possibilité de la conceptualité, du procès et du système conceptuel en général »[4]. De cette manière, selon le philosophe français, se trouve détruite la métaphysique logocentrique de la présence, spécifique à la tradition occidentale comme déjà Heidegger l’avait mis en lumière, à la faveur d’une nouvelle pratique philosophique plus attentive à l’altérité, le diapherein comportant un différer temporel – l’absence de la présence, la présence qui n’est pas vue mais qui est pourtant présente, le renvoi de la présence –, et un différer spatial, un être réellement autre, en tant qu’il met une certaine « distance » entre sujet et concept, entre nous et la chose. Le deconstructionnisme, dans son originaire formulation derridienne, se présente comme une mise en œuvre de la différance dans la lecture des textes, comme un processus qui investit la construction du texte dans la tentative de le désassembler, en inversant les positions et les oppositions apparemment linéaires et « hiérarchiques » et, à travers cette opération de démasquement, il opère donc un renversement de sa structure. Comme je l’ai déjà remarqué, toutefois, il n’y a aucune prétention, aucun τέλσς sous-tendant ce type de travail. Car le philosopher n’a plus aucune tâche sinon la pure production des différences, selon une précise stratégie philosophique visant à démolir la tension agglutinante du discours philosophique, qui a toujours eu la prétention de dire la limite, y compris la sienne. La philosophie a ainsi essayé de s’assurer la maîtrise de la limite, l’expérimentant, la disant, se l’appropriant, la rendant moins étrangère et donc transgressable. La philosophie, note Derrida, « a cru dominer la marge de son volume et penser son autre »[5], essayant de la prendre au dépourvu en la prenant d’assaut.
Il faut encore se demander si la philosophie est effectivement en mesure de dominer cette marge, de produire son autre. Pour ce faire, la philosophie devrait se poser « au dehors », à l’ « extérieur », dans un lieu surplombant qui permettrait d’avoir une vision complète en un coup d’œil. Voilà la prétention de la pensée de survol : s’installer dans un lieu d’altérité à partir duquel pratiquer encore la philosophie. Mais ce lieu n’est-il pas déjà occupé par la philosophie ? S’il en est ainsi, il ne reste qu’à demeurer en son intérieur, acceptant l’impossibilité de délimiter une marge, établir des frontières, poser une limite. Tout est rongé par la prolifération de marges inattendues et incontrôlables, traversables seulement de manière « oblique », sans aucune prétention d’unité et d’univocité, travaillant « au concept de limite et à la limite du concept »[6]. Au fond, écrit encore Derrida, « au-delà du texte philosophique, il n’y a pas une marge blanche, vierge, vide, mais un autre texte, un tissu des différences de forces sans aucun centre de référence présente »[7].
Le rigide textualisme du déconstructionnisme réabsorbe l’idée de vérité à l’intérieur même du texte, car celle-ci ne peut plus être conçue comme une marge extérieure, comme un vide positif à combler grâce au discours philosophique qui essaie de lui imposer son domaine. Elle s’éparpille ou, comme le dit Derrida, se dissémine entre les textes, dans les interstices, entre les marges. C’est à cela que doit aboutir la philosophie, et pour faire cela elle doit lire les textes de manière déconstructive, les décomposant à la recherche de traces[8], car les traces sont des simulacres d’une présence qui se désarticule, se déplace sans cesse, sans avoir jamais lieu. La trace est le vestige de ce qui ne peut jamais se présenter, puisque se présentant elle produirait son propre effacement. La trace est donc trace de ce qui excède la vérité (de l’être), elle est trace de la trace, en tant que différence primaire et ontologique.
La voie vers la dissolution de la philosophie est désormais définitivement ouverte, du moins une certaine manière d’entendre et pratiquer la philosophie, exposée dorénavant à la pure contingence de la pratique de lecture. Il ne semble même plus pertinent que la lecture s’effectue sur des textes éminemment philosophiques, car à l’intérieur d’une sémiotique de la culture textualisée tout est passible de déconstruction, une trace pouvant se nicher à chaque coin, à chaque marge. Ce gigantesque jeu de chasse au trésor lié fondamentalement à l’idée qu’il n’y a pas de hors-texte implique une dispersion infinie qui, différant spasmodiquement, efface les différences entre les textes philosophiques et les textes littéraires. C’est pour cela que Rorty a pu proclamer qu’il n’y a aucune différence remarquable entre littérature et philosophie, cette dernière étant réduite à un simple « département académique »[9]. Voilà l’annonciation de la fin inexorable de la Philosophie, écrite en majuscule, en tant que discipline qui possède une voie d’accès privilégiée aux fondements de la connaissance et aux mécanismes de l’esprit, conçue désormais comme une « maladie culturelle » à s’affranchir pour entrer dans une nouvelle ère post-philosophique, intrinsèquement antifondationnaliste et antiépistémologique. Il ne s’agit pas alors d’une véritable fin de la philosophie ni de son épuisement, car il restera toujours quelque chose qu’on pourra appeler « philosophie », même après la transition à la condition post-philosophique.
De la même manière se consume aussi la métaphysique avec son idée de réflexion cognitive impliquant l’existence d’une réalité extérieure que notre esprit aurait la tâche de reproduire ou de refléter. La post-métaphysique rortyenne déclare désormais définitivement défunte la croyance en une vérité objective de type platonicien, puisque les essences universelles et ultratemporelles n’existent plus. Ce qui existe, ce sont des approches multiples du réel, autrement dit une herméneutique de la finitude extrême qui cherche, pragmatiquement, de nouvelles façons de vivre et de penser, sur la base d’une idée de contingence totalisante. La proclamation de la mort de la philosophie s’avère donc être l’effet d’une dissolution contingentiste et empirique qui forclôt la possibilité de jeter un regard omnicompréhensif et global sur ce qui advient ; ruinant ainsi la prétention de maintenir l’autonomie du domaine philosophique en tant qu’approche disciplinaire en mesure de saisir des vérités atemporelles. Il ne reste que la simple capacité descriptive, c’est-à-dire la capacité de créer des descriptions du monde. Il n’y a dès lors aucune différence entre le philosophe et le poète car tous les deux essayent de décrire la réalité à chaque fois avec un nouveau vocabulaire, produisant une terminologie inédite et originelle qui rompt avec les schèmes interprétatifs traditionnels en faveur d’un nouveau « jargon ». C’est pour cela que le philosophe, dit Rorty, peut être considéré comme « un auxiliaire du poète »[10]. Les philosophes ironiques en particulier, ceux qui reconnaissent le caractère périssable et contingent de leur manière de philosopher, des philosophes comme Nietzsche, Heidegger, Derrida, renoncent à dominer le monde avec leur prétention à la connaissance pour créer, au contraire, un nouveau vocabulaire pour le décrire. Ils visent à la réécriture, à la redéfinition des termes essentiels pour leur rapport propre et personnel à ce qu’ils estiment signifiant, opérant à la manière du critique littéraire, qui met un livre dans le contexte d’autres livres, le décrivant grâce aux autres. La philosophie ironique se propose donc de relire la tradition métaphysique avec un nouveau langage, abordant une nouvelle description de la condition présente. L’écrivain, qui n’a pas cette prétention, emprunte des moyens langagiers tout à fait différents de ceux utilisés par le philosophe ironique. C’est seulement sur la base de cette distinction de type pragmatique-utilitariste (rapport moyen-fin) qu’il semble possible de distinguer la littérature de la philosophie, légitimant le sens commun qui utilise ces deux termes comme s’ils indiquaient des activités différentes. En réalité tout est littérature, car il n’existe pas de « traits pertinents et observables » qui rapprocheraient tous les écrits philosophiques.
Une telle conclusion s’avère lourde de conséquences et dénonce un malaise profond de la philosophie contemporaine dans sa capacité de délimitation de son champ d’action. Il s’agit d’une véritable perte d’identité du savoir philosophique réduit à un simple jeu littéraire – bad poetry selon la bien connue définition analytique du savoir continental – ou, en d’autres cas, à un simple appui à la connaissance scientifique – sous forme d’analyse du langage ou d’épistémologie. Il n’y a alors qu’à constater la perte de τέλσς du discours philosophique ; l’abandon de la recherche de la vérité désormais devenue fable, selon la prophétie nietzschéenne. Ne subsistent que des formes « affaiblies » de savoir – les micro-narrations post-modernes – résultant de la crise profonde de la raison adulte qui, désormais orpheline de toute prétention totalisante, se meut entre les décombres de l’effondrement des horizons de sens, entre les déserts du nihilisme, entre les landes extrêmes du pur néant et du vide. La pensée « faible » n’est plus capable de futur car elle déduit l’avenir à partir du temps présent ; elle prolonge le présent dans une chute infinie qui fait obstacle à l’accueil du nouveau et donc de l’émerveillement. Et sans émerveillement il n’y a pas de questions.
Il ne reste alors qu’à se demander, paraphrasant la célèbre élégie de Hölderlin Pain et vin : « pourquoi des philosophes en temps de détresse ? ». Il s’agit de la même question que Heidegger se posait sur les poètes dans son fameux Wozu Dichter ? La réponse qu’il s’était donnée est que « Non seulement les dieux se sont enfuis, mais la splendeur de la divinité s’est éteinte dans l’histoire du monde. Le temps de la nuit du monde est le temps de détresse parce qu’il devient de plus en plus pauvre ; si pauvre, qu’il n’est même capable de remarquer le défaut de dieu comme défaut »[11]. Dans la pure contingence, l’homme se trouve sans fondement (Grund), sans un terrain pour s’enraciner et demeurer ; il est au seuil de l’abîme, car sans dieu manque la possibilité d’un recueillement, d’un ordre de l’histoire universelle qui puisse garantir le séjour des mortels. Mais la véritable pauvreté est l’oubli de sa propre indigence, l’être-présent qui décline vers l’Abîme (Abgrund) le non-présent. Alors, dit Heidegger, « Être poète en temps de détresse c’est, en chantant, être attentif à la trace des dieux enfuis. Voilà pourquoi, au temps de la nuit du monde, le poète dit le Sacré »[12]. Voici donc la vocation du poète, chanter l’essence même de la poésie en restant sur les traces des dieux enfuis, acceptant le présent non pas comme déclin mais comme destin, ce même destin inscrit dès les origines de la pensée dans la tradition métaphysique occidentale qui, dans sa volonté de saisir l’étant dans son être, le fixe en concept. Une telle volonté capturante est déjà impliquée dans le mot concept, qui « appréhende (greift), saisit (zugreift), et serre ensemble (zusammengreift), et ainsi comprend »[13]. L’origine latine du mot renvoie au verbe composé cumciper, c’est-à-dire cum-capere, qui forme cum-capio et donc conceptus. Dans un concept quelque chose est pris ensemble. « Penser par concepts est alors une pensée interventive (engreifendes) et abstractive (ausgreifendes) »[14] qui conduit destinalement la philosophie à son accomplissement, à l’ère actuelle du domaine de la technique. Que reste-t-il alors de la philosophie ? La philosophie est-elle aujourd’hui possible ? Sa crise est-elle donc irréversible ? Y a-t-il encore un sens à pratiquer la philosophie en temps de détresse ?
La mise en cause de l’affrontement entre sujet et objet, de l’idée de préhension implicite dans la notion de concept n’implique toutefois pas l’abandon de la philosophie, appelée à rendre compte de cette « mutation ontologique » propre à l’époque contemporaine, qui n’est rien d’autre que la « mutation des rapports entre l’homme et l’Être ». Comme l’affirme Merleau-Ponty, « La mise en question de la philosophie [est] imposée par notre temps. La référence à notre temps [est] nécessaire justement parce qu’il est un temps de non-philosophie »[15]. Il s’avère donc nécessaire de réfléchir au présent et, à partir de celui-ci, sur le passé, pour bien comprendre ce que nous pensons, pour pouvoir nous projeter ainsi vers le futur. Il s’agit d’un mouvement temporel spécifique qui, à partir du présent, de l’état actuel de crise, de doutes et d’incertitudes, se meut vers le passé évoqué pour mieux comprendre ce que nous pensons afin de nous permettre de procéder en direction du futur. Une telle façon inchoative de procéder, caractérisée par des déviations, de « longs détours », selon l’expression de Ricœur, demeure essentielle pour rendre compte du changement ontologique qui a eu lieu. Il s’avère en effet nécessaire de prendre conscience des problèmes du présent à travers des exemples de ce que Merleau-Ponty appelle « pensée fondamentale », c’est-à-dire l’art, la littérature, la musique, mais aussi les sciences naturelles, comme la biologie et la physique, et les sciences humaines, comme la sociologie, l’histoire, la psychanalyse. Ce qui se dévoile est alors un véritable tournant ontologique, qui reste toutefois implicite puisque les recherches fondamentales «véhiculent beaucoup de philosophie, mais confusément »[16]. Il faut donc expliciter une telle ontologie implicite grâce à la confrontation de ces problèmes, rendus évidents par la pensée fondamentale, avec la tradition philosophique pour vérifier leur présence, leurs occurrences, leur manière de se manifester ou de se cacher, revenant ensuite au présent pour « chercher [la] formulation de notre ontologie de la philosophie d’aujourd’hui »[17], « notre non-philosophie qui est peut être la plus profonde philosophie »[18].
Il ne s’agit donc pas d’abdiquer devant la tâche de la philosophie, conçue en particulier par Deleuze-Guattari comme « création de concepts ». La philosophie a pour but de continuer à créer des concepts, c’est pour cela qu’il n’y a pas à proprement parler de « déclin » de la philosophie, la soi-disant « décadence » de la philosophie officielle n’étant rien d’autre que la décadence d’une certaine manière de pratiquer la philosophie, selon les principes de substance, causalité, sujet-objet. Nous ne pouvons évidemment pas fermer les yeux devant l’état de crise de la rationalité contemporaine, mais ayant recours au non-philosophique la philosophie pourra trouver un appui et renaître, réinterprétant son passé métaphysique, qui en réalité n’est pas encore passé.
Voilà l’unique balbutiement qui nous soustrait au silence, à savoir la possibilité d’explorer les « symptômes culturels » qui fonctionnent comme une « caisse de résonance » nous permettant de mesurer avec l’autre côté de soi-même ce qui n’a pas encore été explicité : l’implicite dans la philosophie, c’est-à-dire la non-philosophie ou l’a-philosophie. La philosophie, ne cesse d’affirmer Merleau-Ponty, n’est pas au-dessus de la vie, elle ne la surplombe pas. À partir de Thalès la philosophie s’est bien gardée de la vie, la considérant comme de la non-philosophie, ne s’apercevant même pas qu’elle est l’origine la plus propre du philosopher. Sans céder à un simple vitalisme, il faut faire un effort de reconnaissance du sol [Boden] d’enracinement ontologique de la philosophie, qui peut être aussi appelé, selon la terminologie du dernier Husserl, Lebenswelt ou « monde-de-la-vie ».
En ce sens, le recours au non-philosophique ne représente pas une fuite de la philosophie, mais au contraire il est la démarche pour renouer le lien entre la philosophie et la réalité, poursuivant la voie déjà ouverte par une longue tradition de pensée : Kierkegaard, Marx, Nietzsche, jusqu’à l’herméneutique philosophique contemporaine dont Ricœur est l’un des représentants les plus emblématiques.
Le recours au non-philosophique n’est pas pour autant un retour à l’immédiat, à l’originaire perdu qui une fois retrouvé rendrait inutile n’importe quelle question. La philosophie vient après le monde, après la vie, et encore après la pensée. Elle les trouve déjà constitués, ce qui lui impose d’interroger ce qui la précède, et d’instaurer avec eux un rapport qui s’avère d’inclusion réciproque, d’Ineinander. Un rapport en chiasme entre sujet et objet, entre visible et invisible, entre ce qui est philosophique et l’a-philosophique. Le retour philosophique est déjà un départ , dit Merleau-Ponty, faisant signe vers une herméneutique de l’autrement.
Si, comme le note Wunenburger, « dans notre période postmoderne » on peut remarquer « la tendance à faire disparaître le sujet comme auteur de ses représentations, au profit de processus de simples jeux (de texte, d’images, etc.), qui par combinatoire et déconstruction engendrent indéfiniment de nouveaux effets de signification (J. Derrida, G. Deleuze, etc.) »[19], d’un autre côté on constate la valorisation progressive d’un domaine qui se révèle comme étant une véritable « pensée fondamentale » au sens de Merleau-Ponty, capable de signaler une nouvelle ontologie en action : l’imaginaire. Bien que ce terme ne soit pas d’utilisation facile, à cause de son ambiguïté foncière, de la pluralité d’approches qui essayent de le définir et de l’utiliser et, surtout, à cause du discrédit auquel il a été exposé pendant des siècles, sur la base de sa réduction à l’irréel et au fantastique, on peut constater tout de même une véritable refondation de cette notion qui a fait l’objet d’une réflexion serrée durant le dernier demi-siècle (1940-1990)[20].
Cette refondation décrit un nouveau domaine de recherche qui, prenant la relève de la question de l’imagination, signale un changement d’intérêt théorétique : de la formation psychologique des images au monde des images, de l’imagination en tant que faculté psychologique de production d’images à l’imaginaire en tant qu’étude de production imagées. Cela nous intéresse soit dans une perspective structuraliste, avec la reconnaissance de structures (formelles et universelles) anthropologiques de l’imaginaire, presque indépendantes par rapport à un sujet qui s’efface, soit dans une perspective postmoderne, qui ratifie le succès du terme « imaginaire » dont les processus « renvoient moins à une activité autopoïétique qu’à un modèle aléatoire et ludique d’événements de langage et d’image »[21].
Au-delà des écoles et des différentes directions d’enquête, ce que je voudrais signaler est la dimension holistique de l’imaginaire qui s’accompagne d’une nouvelle centralité de la notion d’image, avec son double caractère : sensible et abstrait, réel et irréel, vécu et discursif. Cela nous impose de prendre en considération soit le monde concret soit le monde abstrait, avec un mélange de réalisme et d’idéalisme, d’épistémologie et de métaphysique qui nous fait découvrir dans la vie des images notre être-au-monde.
Wunenburger n’a cessé de montrer que, avec l’image, nous nous trouvons au cœur des questions philosophiques fondamentales au point que, dans son Philosophie des images, il affirme que, malgré sa nature insaisissable, l’image s’avère être l’objet privilégié de la recherche philosophique[22]. Dans une période de crise épistémologique du rationalisme, où s’impose, avec les technologies de production et de diffusion des images, un paradigme esthétique dominant, l’image plus que le concept permet de mettre au jour les questions de l’être et du non-être, du Même et de l’Autre, de l’Un et du multiple, du vrai et du faux, du réel et de l’irréel, grâce à plusieurs scénarios d’application. Récupérant la tradition, se rouvrent plusieurs chantiers spéculatifs, réactivés par des questionnements qui puisent dans le présent pour trouver de nouvelles modalités de pensée et de comportement en mesure de permettre à l’humanité de se projeter activement dans le futur. L’image se révèle alors « comme instance médiatrice entre le sensible et l’intellectuel. Bien plus, l’image se prolonge en amont et en aval, en venant s’immiscer dans la perception et se prolonger dans les activités conceptuelles. Les images constituent bien l’iconosphère première, polymorphe et plastique à partir de laquelle toute conscience tisse ses relations au monde et au sens »[23].
Ce chantier est loin d’être terminé, au contraire, il nous montre un long chemin à parcourir encore. Le rôle qui reste à jouer au philosophe est donc celui de l’écoute de ce qui, par l’image, se présente comme divers, autre, hétérogène, afin de retrouver un horizon de sens grâce au patient travail de récupération des traces disséminées dans le kaléidoscope de formes où l’image s’incarne. Ce but engage gnoséologiquement mais surtout éthiquement tout sujet qui, en temps de détresse, a encore l’intention d’habiter la maison de Sophie.
Notes
[1] M. Heidegger, Was ist das – die Philosophie?, Günther Neske, Pfullingen, 1956, trad. fr. par dans Question II, Paris, Gallimard, 1968, p. 29. Il s’agit d’une conférence que Heidegger donne à Cerisy-la-Salle en août 1955 et qui renvoie, même si avec les tons de la Kehre, à la conférence du 1929 Was ist Metaphysik ?
[2] Ibid., p. 28. Peu après, Heidegger nous explique que « Correspondre » veut dire être disposé à accueillir et à s’approprier de l’injonction qui nous est adressée, et donc être disposé à partir de l’être de l’étant.
[3] J. Derrida, Marges de la philosophie, Les Éditions de Minuit, Paris 1972, p. 7. Il écrit à cet propos dans « La différance » : « La a de différance, donc, ne s’entend pas, il demeure silencieux, secret et discret comme un tombeau oikesis. Marquons ainsi, par anticipation, ce lieu, résidence familiale et tombeau du propre où se produit en différance l’économie de la mort », p. 4.
[8] « Les concepts de traces (Spur), de frayage (Banhung), de forces de frayage dès l’Entwurf, inséparables du concept de différence », ibid., p. 19.
[9] Cf. R. Rorty, Consequences of Pragmatism, University of Minnesota Press, Minneapolis 1982; trad. fr. par J.P. Cometti, Conséquences du pragmatisme, Paris, Seuil, 1993.
[10] R. Rorty, Contingency, irony and solidarity, Cambridge University Press, Cambridge 1989, trad. fr. par P.E. Dauzat Contingence, ironie et solidarité, Paris, Armand Colin, 1993, p. 27.
[11] M. Heidegger, Wozu Dichter?, in Holzwege, Klostermann, Frankfurt a.M., 1950, trad. fr. par W. Brokmeier, Pourquoi des poètes?, dans Chemins qui ne mènent nul part, Paris, Gallimard, 1962, p. 324.
[13] H. G. Gadamer, Heidegger und das Ende der Philosophie [1984], in Hermeneutische Entwürfe: Vorträge und Aufsätze, Mohr Siebeck, Tübingen 2000; tr. it. par R. Dottori, Heidegger e la fine della filosofia, dans La responsabilità del pensare. Saggi di ermeneutica, Milano, Vita e Pensiero, 2002, p. 220 (notre traduction).
[15] M. Merleau-Ponty, Notes de cours 1959-1961, texte établi par D. Ménasé, Paris, Gallimard, 1996, p. 38.
[20] « Durant le dernier demi-siècle (1940-1990), nombreuses on été les contributions philosophiques de J. P. Sartre, G. Bachelard, R. Caillois, Cl. Lévi-Strauss, P. Ricœur, G. Durand, H. Corbin, G. Deleuze, J. Derrida, J.-F. Lyotard, M. Serres, etc. Elles ont bénéficié d’un contexte intellectuel favorable dû en particulier à de nouvelles références et orientations, même si elles sont restées longtemps modestes ou marginales […] », ibid., p. 17.
Renato Boccali
Libera Università di Lingue e Comunicazione IULM, Milano, Italia
renato.boccali@iulm.it
Renato Boccali
Philosophy in a Destitute Time
Abstract: Paraphrasing Heidegger, we can define our time as a destitute time, one in which philosophy loses its telos. The question then arises, what is philosophy today? It is not easy to answer one such question, after the in the wake of nihilism, postmodernism, deconstructionism, contingentism. Philosophy seems to have completely vanished and reduced to a mere play of words and language. In this paper I argue that we are not confronting the actual disappearance, but a fading of, a transition to a new state of philosophy. As Merleau-Ponty shows, to overcame the crisis of meaning and scope of philosophy we must not neglect those “cultural symptoms” in literature, arts, music, human and natural sciences that attest to the dawning of a “fundamental system of thought”. Special attention must be paid to the world of images that reveal our particularistic modality of being-in-the-world. According to Wunenburger, a philosophy of images has to show the primary iconosphere from which consciousness establishes its relation to the world.
Keywords: Philosophy and Non-Philosophy; Nihilism; Fundamental Thought; Philosophy of images.
Il peut sembler oisif, aujourd’hui, de se demander « qu’est-ce que la philosophie ? », surtout après des siècles de spéculation philosophique. Toutefois, la question du sens et de la finalité du philosopher se présente à chaque époque avec la même force destructrice qui réclame une redéfinition des contours, des limites, des buts de cette pratique de pensée. Au fond, ce qui caractérise le φιλόσοφσς, c’est-à-dire celui qui aime le σοφσς, l’ami du σοφσς, n’est rien d’autre qu’une tension érotique. À cause justement du πάθσς, le philosophe subit l’irréfrénable désir de se joindre à ce qu’il n’a jamais possédé et qui l’attire sans cesse, en tant qu’origine et commencement de la vérité. Il s’agit alors d’une véritable tension érotique qui pousse le philosophe à la recherche de son τέλσς, grâce à son unique moyen de recherche, c’est-à-dire le λόγος, qui est en même temps pensée et parole.
Le philosophe se trouve ainsi inlassablement, immer wieder, en chemin, hanté par la même question qui à chaque fois revient et qui constitue le fondement du philosopher, remettant perpétuellement en question le statut du savoir philosophique. Il n’y a pas de réponses inébranlables à ce questionnement car la philosophie, en tant que pratique de pensée, échappe à toute détermination positive qui prétend faire rentrer de force dans une cage rigide le chercheur de vérité, toujours emporté par Éros.
Alors, comme l’affirme Heidegger dans sa fameuse conférence Qu’est ce c’est la philosophie ?, « La réponse à la question : qu’est-ce que la philosophie ? –, consiste en ceci que nous correspondions à ce vers quoi est en chemin la philosophie. Et ce vers quoi elle est en chemin, c’est l’être de l’étant»[1]. Pour répondre, donc, il ne s’agit pas d’aller à la recherche des opinions des autres philosophes, il ne faut pas les cataloguer et les confronter pour en tirer, ensuite, une synthèse, une « formule générale ». Il est particulièrement important de connaître les différentes positions qui ont été assumées au cours de ce que nous avons l’habitude d’appeler « histoire » de la philosophie. Il faut aborder cette connaissance avec une attitude de relecture créatrice, d’herméneutique de l’autrement et non pas avec un esprit « antiquisant », comme nous l’enseigne Nietzsche. Au fond, écrit encore Heidegger, la philosophie est correspondance à l’être par la parole, « une correspondance assumée en propre par nous et ouverte à un déploiement »[2]. Il s’agit donc de correspondre à cet appel qui provient des voix du passé et qui enfonce ses racines dans la nuit de la pensée. Écoutant autrement ces voix, il semble encore possible de dialoguer avec elles, réactivant cette unique question qui n’a pas de réponse mais qui, inexorablement et avec une force inouïe, se pose à chaque fois. En effet, c’est seulement en expérimentant la manière d’être de la philosophie que nous apprenons à connaître vraiment ce que c’est la philosophie. Et il n’y a pas de meilleure façon d’expérimenter la modalité d’être de la philosophie que de se confronter en dialogue avec la tradition.
L’herméneutique contemporaine dans ses formes les plus variées s’est engagée sur cette voie. Mais il faut en même temps prendre sérieusement en considération la possible dérive qu’une telle position comporte. Le risque est celui d’une hyper-évaluation du passé et de la tradition, entendus eux-mêmes comme άρχή, lieu et demeure privilégiés du vrai. Le repliement interprétatif peut conduire à une dispersion relativiste des positions, à une dissémination qui se perd dans le jeu des différences, comme dans le cas du déconstructionnisme, où la dimension « destructrice » – Dekonstruction ou Abbau, selon l’originaire formulation heideggerienne – est fin en soi, sans possibilité de Rekonstruction. Ce qui compte, alors, est le seul jeu des différences, le renvoi infini ou le différé, selon la double acception sémantique du verbe diapherein, c’est-à-dire soit être différent, être autre, n’être pas identique, soit reculer dans le temps, remettre à plus tard, retarder. Grâce au concept de différance, Derrida peut faire signe vers la dissolution de l’unité du sens dans la trame des rapports sémiologiques qui sont à la base de l’écriture plutôt que du parler. De cette manière la pratique philosophique se résout en pratique déconstructive, qui s’avère n’être qu’extrême ramification nihilistique de la pensée contemporaine.
Il faut donc prêter attention au signe en tant que « présence différée » et structurée sur la base des rapports d’opposition avec les autres signes à l’intérieur du même système d’écriture. Se dessine pourtant une trame, une tessiture des signes, un carrefour qui se rend progressivement présent, faisant remonter à la surface les différents fils et les différentes lignes de sens, selon une stratégie sans finalité que Derrida n’hésite pas à définir comme « tactique aveugle, errance empirique »[3]. Chaque concept s’inscrit alors à l’intérieur d’un système, où il se noue avec ou s’oppose à d’autres concepts, selon un jeu de renvois et de différences qui fondent, pour reprendre les termes de Derrida, « la possibilité de la conceptualité, du procès et du système conceptuel en général »[4]. De cette manière, selon le philosophe français, se trouve détruite la métaphysique logocentrique de la présence, spécifique à la tradition occidentale comme déjà Heidegger l’avait mis en lumière, à la faveur d’une nouvelle pratique philosophique plus attentive à l’altérité, le diapherein comportant un différer temporel – l’absence de la présence, la présence qui n’est pas vue mais qui est pourtant présente, le renvoi de la présence –, et un différer spatial, un être réellement autre, en tant qu’il met une certaine « distance » entre sujet et concept, entre nous et la chose. Le deconstructionnisme, dans son originaire formulation derridienne, se présente comme une mise en œuvre de la différance dans la lecture des textes, comme un processus qui investit la construction du texte dans la tentative de le désassembler, en inversant les positions et les oppositions apparemment linéaires et « hiérarchiques » et, à travers cette opération de démasquement, il opère donc un renversement de sa structure. Comme je l’ai déjà remarqué, toutefois, il n’y a aucune prétention, aucun τέλσς sous-tendant ce type de travail. Car le philosopher n’a plus aucune tâche sinon la pure production des différences, selon une précise stratégie philosophique visant à démolir la tension agglutinante du discours philosophique, qui a toujours eu la prétention de dire la limite, y compris la sienne. La philosophie a ainsi essayé de s’assurer la maîtrise de la limite, l’expérimentant, la disant, se l’appropriant, la rendant moins étrangère et donc transgressable. La philosophie, note Derrida, « a cru dominer la marge de son volume et penser son autre »[5], essayant de la prendre au dépourvu en la prenant d’assaut.
Il faut encore se demander si la philosophie est effectivement en mesure de dominer cette marge, de produire son autre. Pour ce faire, la philosophie devrait se poser « au dehors », à l’ « extérieur », dans un lieu surplombant qui permettrait d’avoir une vision complète en un coup d’œil. Voilà la prétention de la pensée de survol : s’installer dans un lieu d’altérité à partir duquel pratiquer encore la philosophie. Mais ce lieu n’est-il pas déjà occupé par la philosophie ? S’il en est ainsi, il ne reste qu’à demeurer en son intérieur, acceptant l’impossibilité de délimiter une marge, établir des frontières, poser une limite. Tout est rongé par la prolifération de marges inattendues et incontrôlables, traversables seulement de manière « oblique », sans aucune prétention d’unité et d’univocité, travaillant « au concept de limite et à la limite du concept »[6]. Au fond, écrit encore Derrida, « au-delà du texte philosophique, il n’y a pas une marge blanche, vierge, vide, mais un autre texte, un tissu des différences de forces sans aucun centre de référence présente »[7].
Le rigide textualisme du déconstructionnisme réabsorbe l’idée de vérité à l’intérieur même du texte, car celle-ci ne peut plus être conçue comme une marge extérieure, comme un vide positif à combler grâce au discours philosophique qui essaie de lui imposer son domaine. Elle s’éparpille ou, comme le dit Derrida, se dissémine entre les textes, dans les interstices, entre les marges. C’est à cela que doit aboutir la philosophie, et pour faire cela elle doit lire les textes de manière déconstructive, les décomposant à la recherche de traces[8], car les traces sont des simulacres d’une présence qui se désarticule, se déplace sans cesse, sans avoir jamais lieu. La trace est le vestige de ce qui ne peut jamais se présenter, puisque se présentant elle produirait son propre effacement. La trace est donc trace de ce qui excède la vérité (de l’être), elle est trace de la trace, en tant que différence primaire et ontologique.
La voie vers la dissolution de la philosophie est désormais définitivement ouverte, du moins une certaine manière d’entendre et pratiquer la philosophie, exposée dorénavant à la pure contingence de la pratique de lecture. Il ne semble même plus pertinent que la lecture s’effectue sur des textes éminemment philosophiques, car à l’intérieur d’une sémiotique de la culture textualisée tout est passible de déconstruction, une trace pouvant se nicher à chaque coin, à chaque marge. Ce gigantesque jeu de chasse au trésor lié fondamentalement à l’idée qu’il n’y a pas de hors-texte implique une dispersion infinie qui, différant spasmodiquement, efface les différences entre les textes philosophiques et les textes littéraires. C’est pour cela que Rorty a pu proclamer qu’il n’y a aucune différence remarquable entre littérature et philosophie, cette dernière étant réduite à un simple « département académique »[9]. Voilà l’annonciation de la fin inexorable de la Philosophie, écrite en majuscule, en tant que discipline qui possède une voie d’accès privilégiée aux fondements de la connaissance et aux mécanismes de l’esprit, conçue désormais comme une « maladie culturelle » à s’affranchir pour entrer dans une nouvelle ère post-philosophique, intrinsèquement antifondationnaliste et antiépistémologique. Il ne s’agit pas alors d’une véritable fin de la philosophie ni de son épuisement, car il restera toujours quelque chose qu’on pourra appeler « philosophie », même après la transition à la condition post-philosophique.
De la même manière se consume aussi la métaphysique avec son idée de réflexion cognitive impliquant l’existence d’une réalité extérieure que notre esprit aurait la tâche de reproduire ou de refléter. La post-métaphysique rortyenne déclare désormais définitivement défunte la croyance en une vérité objective de type platonicien, puisque les essences universelles et ultratemporelles n’existent plus. Ce qui existe, ce sont des approches multiples du réel, autrement dit une herméneutique de la finitude extrême qui cherche, pragmatiquement, de nouvelles façons de vivre et de penser, sur la base d’une idée de contingence totalisante. La proclamation de la mort de la philosophie s’avère donc être l’effet d’une dissolution contingentiste et empirique qui forclôt la possibilité de jeter un regard omnicompréhensif et global sur ce qui advient ; ruinant ainsi la prétention de maintenir l’autonomie du domaine philosophique en tant qu’approche disciplinaire en mesure de saisir des vérités atemporelles. Il ne reste que la simple capacité descriptive, c’est-à-dire la capacité de créer des descriptions du monde. Il n’y a dès lors aucune différence entre le philosophe et le poète car tous les deux essayent de décrire la réalité à chaque fois avec un nouveau vocabulaire, produisant une terminologie inédite et originelle qui rompt avec les schèmes interprétatifs traditionnels en faveur d’un nouveau « jargon ». C’est pour cela que le philosophe, dit Rorty, peut être considéré comme « un auxiliaire du poète »[10]. Les philosophes ironiques en particulier, ceux qui reconnaissent le caractère périssable et contingent de leur manière de philosopher, des philosophes comme Nietzsche, Heidegger, Derrida, renoncent à dominer le monde avec leur prétention à la connaissance pour créer, au contraire, un nouveau vocabulaire pour le décrire. Ils visent à la réécriture, à la redéfinition des termes essentiels pour leur rapport propre et personnel à ce qu’ils estiment signifiant, opérant à la manière du critique littéraire, qui met un livre dans le contexte d’autres livres, le décrivant grâce aux autres. La philosophie ironique se propose donc de relire la tradition métaphysique avec un nouveau langage, abordant une nouvelle description de la condition présente. L’écrivain, qui n’a pas cette prétention, emprunte des moyens langagiers tout à fait différents de ceux utilisés par le philosophe ironique. C’est seulement sur la base de cette distinction de type pragmatique-utilitariste (rapport moyen-fin) qu’il semble possible de distinguer la littérature de la philosophie, légitimant le sens commun qui utilise ces deux termes comme s’ils indiquaient des activités différentes. En réalité tout est littérature, car il n’existe pas de « traits pertinents et observables » qui rapprocheraient tous les écrits philosophiques.
Une telle conclusion s’avère lourde de conséquences et dénonce un malaise profond de la philosophie contemporaine dans sa capacité de délimitation de son champ d’action. Il s’agit d’une véritable perte d’identité du savoir philosophique réduit à un simple jeu littéraire – bad poetry selon la bien connue définition analytique du savoir continental – ou, en d’autres cas, à un simple appui à la connaissance scientifique – sous forme d’analyse du langage ou d’épistémologie. Il n’y a alors qu’à constater la perte de τέλσς du discours philosophique ; l’abandon de la recherche de la vérité désormais devenue fable, selon la prophétie nietzschéenne. Ne subsistent que des formes « affaiblies » de savoir – les micro-narrations post-modernes – résultant de la crise profonde de la raison adulte qui, désormais orpheline de toute prétention totalisante, se meut entre les décombres de l’effondrement des horizons de sens, entre les déserts du nihilisme, entre les landes extrêmes du pur néant et du vide. La pensée « faible » n’est plus capable de futur car elle déduit l’avenir à partir du temps présent ; elle prolonge le présent dans une chute infinie qui fait obstacle à l’accueil du nouveau et donc de l’émerveillement. Et sans émerveillement il n’y a pas de questions.
Il ne reste alors qu’à se demander, paraphrasant la célèbre élégie de Hölderlin Pain et vin : « pourquoi des philosophes en temps de détresse ? ». Il s’agit de la même question que Heidegger se posait sur les poètes dans son fameux Wozu Dichter ? La réponse qu’il s’était donnée est que « Non seulement les dieux se sont enfuis, mais la splendeur de la divinité s’est éteinte dans l’histoire du monde. Le temps de la nuit du monde est le temps de détresse parce qu’il devient de plus en plus pauvre ; si pauvre, qu’il n’est même capable de remarquer le défaut de dieu comme défaut »[11]. Dans la pure contingence, l’homme se trouve sans fondement (Grund), sans un terrain pour s’enraciner et demeurer ; il est au seuil de l’abîme, car sans dieu manque la possibilité d’un recueillement, d’un ordre de l’histoire universelle qui puisse garantir le séjour des mortels. Mais la véritable pauvreté est l’oubli de sa propre indigence, l’être-présent qui décline vers l’Abîme (Abgrund) le non-présent. Alors, dit Heidegger, « Être poète en temps de détresse c’est, en chantant, être attentif à la trace des dieux enfuis. Voilà pourquoi, au temps de la nuit du monde, le poète dit le Sacré »[12]. Voici donc la vocation du poète, chanter l’essence même de la poésie en restant sur les traces des dieux enfuis, acceptant le présent non pas comme déclin mais comme destin, ce même destin inscrit dès les origines de la pensée dans la tradition métaphysique occidentale qui, dans sa volonté de saisir l’étant dans son être, le fixe en concept. Une telle volonté capturante est déjà impliquée dans le mot concept, qui « appréhende (greift), saisit (zugreift), et serre ensemble (zusammengreift), et ainsi comprend »[13]. L’origine latine du mot renvoie au verbe composé cumciper, c’est-à-dire cum-capere, qui forme cum-capio et donc conceptus. Dans un concept quelque chose est pris ensemble. « Penser par concepts est alors une pensée interventive (engreifendes) et abstractive (ausgreifendes) »[14] qui conduit destinalement la philosophie à son accomplissement, à l’ère actuelle du domaine de la technique. Que reste-t-il alors de la philosophie ? La philosophie est-elle aujourd’hui possible ? Sa crise est-elle donc irréversible ? Y a-t-il encore un sens à pratiquer la philosophie en temps de détresse ?
La mise en cause de l’affrontement entre sujet et objet, de l’idée de préhension implicite dans la notion de concept n’implique toutefois pas l’abandon de la philosophie, appelée à rendre compte de cette « mutation ontologique » propre à l’époque contemporaine, qui n’est rien d’autre que la « mutation des rapports entre l’homme et l’Être ». Comme l’affirme Merleau-Ponty, « La mise en question de la philosophie [est] imposée par notre temps. La référence à notre temps [est] nécessaire justement parce qu’il est un temps de non-philosophie »[15]. Il s’avère donc nécessaire de réfléchir au présent et, à partir de celui-ci, sur le passé, pour bien comprendre ce que nous pensons, pour pouvoir nous projeter ainsi vers le futur. Il s’agit d’un mouvement temporel spécifique qui, à partir du présent, de l’état actuel de crise, de doutes et d’incertitudes, se meut vers le passé évoqué pour mieux comprendre ce que nous pensons afin de nous permettre de procéder en direction du futur. Une telle façon inchoative de procéder, caractérisée par des déviations, de « longs détours », selon l’expression de Ricœur, demeure essentielle pour rendre compte du changement ontologique qui a eu lieu. Il s’avère en effet nécessaire de prendre conscience des problèmes du présent à travers des exemples de ce que Merleau-Ponty appelle « pensée fondamentale », c’est-à-dire l’art, la littérature, la musique, mais aussi les sciences naturelles, comme la biologie et la physique, et les sciences humaines, comme la sociologie, l’histoire, la psychanalyse. Ce qui se dévoile est alors un véritable tournant ontologique, qui reste toutefois implicite puisque les recherches fondamentales «véhiculent beaucoup de philosophie, mais confusément »[16]. Il faut donc expliciter une telle ontologie implicite grâce à la confrontation de ces problèmes, rendus évidents par la pensée fondamentale, avec la tradition philosophique pour vérifier leur présence, leurs occurrences, leur manière de se manifester ou de se cacher, revenant ensuite au présent pour « chercher [la] formulation de notre ontologie de la philosophie d’aujourd’hui »[17], « notre non-philosophie qui est peut être la plus profonde philosophie »[18].
Il ne s’agit donc pas d’abdiquer devant la tâche de la philosophie, conçue en particulier par Deleuze-Guattari comme « création de concepts ». La philosophie a pour but de continuer à créer des concepts, c’est pour cela qu’il n’y a pas à proprement parler de « déclin » de la philosophie, la soi-disant « décadence » de la philosophie officielle n’étant rien d’autre que la décadence d’une certaine manière de pratiquer la philosophie, selon les principes de substance, causalité, sujet-objet. Nous ne pouvons évidemment pas fermer les yeux devant l’état de crise de la rationalité contemporaine, mais ayant recours au non-philosophique la philosophie pourra trouver un appui et renaître, réinterprétant son passé métaphysique, qui en réalité n’est pas encore passé.
Voilà l’unique balbutiement qui nous soustrait au silence, à savoir la possibilité d’explorer les « symptômes culturels » qui fonctionnent comme une « caisse de résonance » nous permettant de mesurer avec l’autre côté de soi-même ce qui n’a pas encore été explicité : l’implicite dans la philosophie, c’est-à-dire la non-philosophie ou l’a-philosophie. La philosophie, ne cesse d’affirmer Merleau-Ponty, n’est pas au-dessus de la vie, elle ne la surplombe pas. À partir de Thalès la philosophie s’est bien gardée de la vie, la considérant comme de la non-philosophie, ne s’apercevant même pas qu’elle est l’origine la plus propre du philosopher. Sans céder à un simple vitalisme, il faut faire un effort de reconnaissance du sol [Boden] d’enracinement ontologique de la philosophie, qui peut être aussi appelé, selon la terminologie du dernier Husserl, Lebenswelt ou « monde-de-la-vie ».
En ce sens, le recours au non-philosophique ne représente pas une fuite de la philosophie, mais au contraire il est la démarche pour renouer le lien entre la philosophie et la réalité, poursuivant la voie déjà ouverte par une longue tradition de pensée : Kierkegaard, Marx, Nietzsche, jusqu’à l’herméneutique philosophique contemporaine dont Ricœur est l’un des représentants les plus emblématiques.
Le recours au non-philosophique n’est pas pour autant un retour à l’immédiat, à l’originaire perdu qui une fois retrouvé rendrait inutile n’importe quelle question. La philosophie vient après le monde, après la vie, et encore après la pensée. Elle les trouve déjà constitués, ce qui lui impose d’interroger ce qui la précède, et d’instaurer avec eux un rapport qui s’avère d’inclusion réciproque, d’Ineinander. Un rapport en chiasme entre sujet et objet, entre visible et invisible, entre ce qui est philosophique et l’a-philosophique. Le retour philosophique est déjà un départ , dit Merleau-Ponty, faisant signe vers une herméneutique de l’autrement.
Si, comme le note Wunenburger, « dans notre période postmoderne » on peut remarquer « la tendance à faire disparaître le sujet comme auteur de ses représentations, au profit de processus de simples jeux (de texte, d’images, etc.), qui par combinatoire et déconstruction engendrent indéfiniment de nouveaux effets de signification (J. Derrida, G. Deleuze, etc.) »[19], d’un autre côté on constate la valorisation progressive d’un domaine qui se révèle comme étant une véritable « pensée fondamentale » au sens de Merleau-Ponty, capable de signaler une nouvelle ontologie en action : l’imaginaire. Bien que ce terme ne soit pas d’utilisation facile, à cause de son ambiguïté foncière, de la pluralité d’approches qui essayent de le définir et de l’utiliser et, surtout, à cause du discrédit auquel il a été exposé pendant des siècles, sur la base de sa réduction à l’irréel et au fantastique, on peut constater tout de même une véritable refondation de cette notion qui a fait l’objet d’une réflexion serrée durant le dernier demi-siècle (1940-1990)[20].
Cette refondation décrit un nouveau domaine de recherche qui, prenant la relève de la question de l’imagination, signale un changement d’intérêt théorétique : de la formation psychologique des images au monde des images, de l’imagination en tant que faculté psychologique de production d’images à l’imaginaire en tant qu’étude de production imagées. Cela nous intéresse soit dans une perspective structuraliste, avec la reconnaissance de structures (formelles et universelles) anthropologiques de l’imaginaire, presque indépendantes par rapport à un sujet qui s’efface, soit dans une perspective postmoderne, qui ratifie le succès du terme « imaginaire » dont les processus « renvoient moins à une activité autopoïétique qu’à un modèle aléatoire et ludique d’événements de langage et d’image »[21].
Au-delà des écoles et des différentes directions d’enquête, ce que je voudrais signaler est la dimension holistique de l’imaginaire qui s’accompagne d’une nouvelle centralité de la notion d’image, avec son double caractère : sensible et abstrait, réel et irréel, vécu et discursif. Cela nous impose de prendre en considération soit le monde concret soit le monde abstrait, avec un mélange de réalisme et d’idéalisme, d’épistémologie et de métaphysique qui nous fait découvrir dans la vie des images notre être-au-monde.
Wunenburger n’a cessé de montrer que, avec l’image, nous nous trouvons au cœur des questions philosophiques fondamentales au point que, dans son Philosophie des images, il affirme que, malgré sa nature insaisissable, l’image s’avère être l’objet privilégié de la recherche philosophique[22]. Dans une période de crise épistémologique du rationalisme, où s’impose, avec les technologies de production et de diffusion des images, un paradigme esthétique dominant, l’image plus que le concept permet de mettre au jour les questions de l’être et du non-être, du Même et de l’Autre, de l’Un et du multiple, du vrai et du faux, du réel et de l’irréel, grâce à plusieurs scénarios d’application. Récupérant la tradition, se rouvrent plusieurs chantiers spéculatifs, réactivés par des questionnements qui puisent dans le présent pour trouver de nouvelles modalités de pensée et de comportement en mesure de permettre à l’humanité de se projeter activement dans le futur. L’image se révèle alors « comme instance médiatrice entre le sensible et l’intellectuel. Bien plus, l’image se prolonge en amont et en aval, en venant s’immiscer dans la perception et se prolonger dans les activités conceptuelles. Les images constituent bien l’iconosphère première, polymorphe et plastique à partir de laquelle toute conscience tisse ses relations au monde et au sens »[23].
Ce chantier est loin d’être terminé, au contraire, il nous montre un long chemin à parcourir encore. Le rôle qui reste à jouer au philosophe est donc celui de l’écoute de ce qui, par l’image, se présente comme divers, autre, hétérogène, afin de retrouver un horizon de sens grâce au patient travail de récupération des traces disséminées dans le kaléidoscope de formes où l’image s’incarne. Ce but engage gnoséologiquement mais surtout éthiquement tout sujet qui, en temps de détresse, a encore l’intention d’habiter la maison de Sophie.
Notes
[1] M. Heidegger, Was ist das – die Philosophie?, Günther Neske, Pfullingen, 1956, trad. fr. par dans Question II, Paris, Gallimard, 1968, p. 29. Il s’agit d’une conférence que Heidegger donne à Cerisy-la-Salle en août 1955 et qui renvoie, même si avec les tons de la Kehre, à la conférence du 1929 Was ist Metaphysik ?
[2] Ibid., p. 28. Peu après, Heidegger nous explique que « Correspondre » veut dire être disposé à accueillir et à s’approprier de l’injonction qui nous est adressée, et donc être disposé à partir de l’être de l’étant.
[3] J. Derrida, Marges de la philosophie, Les Éditions de Minuit, Paris 1972, p. 7. Il écrit à cet propos dans « La différance » : « La a de différance, donc, ne s’entend pas, il demeure silencieux, secret et discret comme un tombeau oikesis. Marquons ainsi, par anticipation, ce lieu, résidence familiale et tombeau du propre où se produit en différance l’économie de la mort », p. 4.
[8] « Les concepts de traces (Spur), de frayage (Banhung), de forces de frayage dès l’Entwurf, inséparables du concept de différence », ibid., p. 19.
[9] Cf. R. Rorty, Consequences of Pragmatism, University of Minnesota Press, Minneapolis 1982; trad. fr. par J.P. Cometti, Conséquences du pragmatisme, Paris, Seuil, 1993.
[10] R. Rorty, Contingency, irony and solidarity, Cambridge University Press, Cambridge 1989, trad. fr. par P.E. Dauzat Contingence, ironie et solidarité, Paris, Armand Colin, 1993, p. 27.
[11] M. Heidegger, Wozu Dichter?, in Holzwege, Klostermann, Frankfurt a.M., 1950, trad. fr. par W. Brokmeier, Pourquoi des poètes?, dans Chemins qui ne mènent nul part, Paris, Gallimard, 1962, p. 324.
[13] H. G. Gadamer, Heidegger und das Ende der Philosophie [1984], in Hermeneutische Entwürfe: Vorträge und Aufsätze, Mohr Siebeck, Tübingen 2000; tr. it. par R. Dottori, Heidegger e la fine della filosofia, dans La responsabilità del pensare. Saggi di ermeneutica, Milano, Vita e Pensiero, 2002, p. 220 (notre traduction).
[15] M. Merleau-Ponty, Notes de cours 1959-1961, texte établi par D. Ménasé, Paris, Gallimard, 1996, p. 38.
[20] « Durant le dernier demi-siècle (1940-1990), nombreuses on été les contributions philosophiques de J. P. Sartre, G. Bachelard, R. Caillois, Cl. Lévi-Strauss, P. Ricœur, G. Durand, H. Corbin, G. Deleuze, J. Derrida, J.-F. Lyotard, M. Serres, etc. Elles ont bénéficié d’un contexte intellectuel favorable dû en particulier à de nouvelles références et orientations, même si elles sont restées longtemps modestes ou marginales […] », ibid., p. 17.