Imaginaire et illusion
L’anthropologie moderne et les recherches sur l’imaginaire ont imposé la revalorisation de la notion de mythe. Ce dernier ne peut plus se définir aujourd’hui comme une image simplifiée et illusoire du réel, comme un mensonge et une erreur. Au contraire, le mythe apparaît comme un marqueur culturel qui permet de saisir sur le mode symbolique les contradictions, les tensions ou les utopies des sociétés. Dans le même esprit, l’imaginaire ne peut plus se définir comme un pur délire de l’imagination, mais comme une forme de pensée où le symbole remplace le concept. Si l’imaginaire n’est pas une pure illusion, comment définir alors l’illusion par rapport à l’imaginaire ? On pourra se souvenir que l’illusion est créatrice de connaissance. Les illusions d’optique ont permis de définir des lois scientifiques de l’optique. L’illusion ne peut-elle pas devenir féconde sur le plan de la pensée et de la création artistique et intellectuelle en général ? Quel rôle joue l’illusion dans les productions de l’imaginaire ? Toutes les formes d’illusions créatrices pourront être envisagées pour répondre à cette question : illusions verbales ou sensorielles, confusions et métamorphoses diverses, jeux sur les identités, les formes, les langages. Sans être mis en évidence par les guillemets, ce point de départ pour le colloque Imaginaire et illusion appartient à Philippe Walter, professeur et directeur du Centre de recherche sur l’imaginaire de Grenoble 3.
Ce thème de méditation a rassemblé, lors d’un colloque déroulé du 23 au 25 septembre 2011, des chercheurs et enseignants de plusieurs pays, sous le partenariat de quatre centres de recherche sur l’imaginaire : le CRI de Grenoble, le « Myth Study Group » (UNISA, Afrique du Sud, dirigé par le professeur Hyacinth Sibusiso Madondo), « Phantasma » (Cluj-Napoca, CRI dirigé par le professeur Corin Braga), et le Centre de Recherche de l’Imaginaire « Speculum » de l’Université « 1 Decembrie 1918 » d’Alba Iulia, hôte du colloque. Pour la même occasion, la Fondation Inter-Art, Aiud, toujours en qualité de partenaire, a organisé une exposition Mail Art sur le même thème avec la participation de 71 artistes de plusieurs pays : Allemagne, Argentine, Autriche, Brésil, Bulgarie, Canada, Corée du Sud, Cuba, Grèce, Haïti, Hongrie, Egypte, Etats Unis, Espagne, Japon, Macedoine, République moldave, Roumanie, Niger, Serbie.
Dans une tentative de définir l’aire d’action de l’illusion par l’imaginaire, le premier groupement de textes rassemblés dans ce volume des Cahiers Echinox comprend une aire bien large qui s’étend du mythe jusqu’à la « cyborgie douce », en passant par la neuromagie et la médecine. Ainsi, le professeur Philippe Wallter établit la trajectoire de l’imaginaire vers l’illusion en passant par la célèbre allégorie de la caverne du dialogue platonicien La République. La réalité est plus trompeuse que l’art qui, justement parce qu’il n’est pas « réalité », peut révéler une forme de vérité, l’illusion devenant ainsi la substance et la condition de la connaissance. Ce qui fait que le rationnel et l’irrationnel deviennent deux aspects de la même réalité, différenciés par le point de vue, l’illusion n’étant qu’un dérivé analogue de la perception. Par les mythes, les images et les symboles, l’imaginaire est le philtre, qui, à l’aide des illusions, détermine notre perception du monde et notre capacité d’en parler. Par conséquent, M. Helder Godinho souligne que tout sens conféré au monde est provisoire mais fondamental pour que l’espèce humaine puisse continuer son existence car il reflète l’adéquation de chaque espèce à sa réalité depuis les temps révolus, surtout à travers les mythes. Le sens ainsi obtenu se tranforme en modèle (fictionnel) de référence pour la survie, pour l’organisation des identités culturelles, personnelles, etc. De nos jours, le mythe s’insère parmi d’autres fictions où l’imaginaire joue un rôle conservateur au niveau de l’identité fictionnelle, de la création de nouveaux sens. Ceci nous dirige vers le constat que, au-delà des valeurs universellement valables, la vérité que l’être humain construit est quelque chose de relatif et s’établit en fonction du moment historique et de l’espace géographique pour s’étendre à tous les niveaux de l’existence, les sciences exactes ci-incluses. Le passage de la physique classique à la physique quantique et les voies que cette dernière ouvre par l’implication du « tiers secrètement inclus » dont le messager contemporain dans notre pays, est Basarab Nicolesco, s’inscrivent dans le « jeu ».
Les quatre autres sections, qui vont du rapport de l’illusion avec la religion et la littérature – dont on ne néglige pas le côté utopique et dystopique – jusqu’aux mondes virtuels, en sont une illustration édifiante.
Rodica Chira