Rodica Gabriela Chira
Université « 1 Decembrie 1918 », Alba Iulia, Roumanie
rogabchira@yahoo.fr
Hunger Games – enjeu dystopique
Abstract: Suzanne Collins’ trilogy is a dystopian stake that yields to different approaches. Through associations with utopia, the characteristics of dystopia are revealed. Unlike utopia, in a dystopia the dislocation of the main character – Katniss Everdeen in our case – is unnecessary. She is placed in the middle of events from the very beginning, thus being able to discover a new face of the surrounding reality. Moreover, through the assimilation with mythical or past historical events, Collins’ dystopian novel acquires mythical values helping us conclude that, in the evolution of humanity, the same patterns are encountered. Only they adapt to the requirements of each epoch. As Theseus or Heracles, Katniss passes through an initiation which brings her to consciousness. This is to certify the important role of such SF dystopian narratives capable of going beyond a simple didactic or diverting purpose.
Keywords: Suzanne Collins; Science-Fiction; Dystopia; Narrative and Counter-Narrative; Mythology; History; Game.
Le nombre d’écrits dystopiques qui s’encadrent dans la science-fiction depuis 2000 est impressionnant : plus de cinquante auxquels se rajoutent plus de quarante films[1]. Parmi les auteurs, pour la plupart du temps des anglophones, comptent beaucoup de femmes. En France, la trilogie Hunger Games de Suzanne Collins (publiée à partir de 2008 aux États-Unis), est parue en traduction française entre 2009 et 2011, pour qu’en 2012 passe sur les écrans l’action du premier volume. Le livre figure sur les étagères des librairies parmi les titres recommandés à partir de l’âge de 13 ans. L’enjeu est important pour cette raison également. Car par ce roman on peut attirer l’attention sur bien des tares de la société contemporaine : l’absence de perspectives rassurantes pour la jeune génération, la politique envahissante de l’économie du marché, les programmes télévisés du genre téléréalité, parfois la violence en direct, peuvent conduire vers une éthique du non être. La trilogie Hunger Games[2] est une dystopie encadrée dans la science-fiction spéculative. Elle peut se constituer en réflexion philosophique sur la définition de l’homme. Nous y assistons en effet, par le biais de la trame narrative, à l’évolution d’un groupe d’adolescents, à leur initiation dans la vie en milieu extrêmement hostile. Avec la spécification que c’est ce milieu hostile qui, généralement, conduit vers le décantage. Les conditions difficiles mettent en évidence le caractère.
Enjeu du jeu
Partant des définitions données par L. T. Sargent[3], l’utopie est une société non-existante décrite avec des détails considérables et normalement localisée dans l’espace et le temps tandis que la dystopie ou « utopie négative » est une société non-existante décrite avec des détails considérables et normalement localisée dans l’espace et le temps avec l’intention de l’auteur de faire croire au lecteur qu’elle est considérablement plus mauvaise que celle dans laquelle ce dernier vit. On peut affirmer que Hunger Games propose un jeu. Un jeu dont l’enjeu est la mise en valeur des acquis tant de la littérature que de l’expérience de l’humanité au cours des siècles.
Car notre texte dystopique joue sur la dystopie et l’utopie par la présence du Capitole où les jeunes vivent dans un monde illusoire, en total isolement du reste du pays. Il joue en même temps sur la mémoire : le livre en soi est présenté sous forme de mémoires, celles de Katniss, le personnage principal. Les mémoires de la jeune fille s’entremêlent avec celles de l’humanité, la construction du roman étant basée sur la mythologie aussi bien que sur la réalité immédiate. Sont invoqués et évoqués ainsi le mythe de Thésée, les Jeux Olympiques de la Grèce antique, l’Empire Romain avec les luttes des gladiateurs dans les arènes aussi bien que la réalité et la téléréalité de nos jours.
Par le jeu interprétatif du monde dystopique de Panem, nous voulons souligner le caractère répétitif des schémas existentiels.
Jeux intertextuels
Dans un premier temps nous « jouons » autour de quelques mots – dystopie, utopie, mémoires, langage – par le biais de l’espace et du temps.
À la différence de l’utopie narrative où la visite du héros est guidée dans une société utopique censée nous conduire vers une réponse comparative qui accuse la société même du visiteur, le texte dystopique nous introduit d’habitude, dès le début dans le nouveau monde terrible. Toutefois, même dans l’absence d’un mouvement bouleversant vers un ailleurs, l’élément de séparation textuelle reste valable puisque l’accent est souvent mis sur un personnage qui questionne la société dystopique[4].
Le roman de Suzanne Collins s’ouvre sur le Jour de la Moisson, un des trois sujets sensibles de la famille de l’héroïne et du district Douze en général, les deux autres étant représentés par la disette et les Hunger Games. En réalité, tous les trois vont de pair, les maladies sont moins provocatrices de mort que la faim, le nom du pays pouvant être vu comme une énorme mise en dérision de sa population.
Panem, du célèbre syntagme Panem et circenses est ainsi « le pays qui s’est relevé des cendres et qu’on appelait autrefois l’Amérique du Nord ». Suite à des catastrophes naturelles « sécheresses, ouragans, incendies, la montée des océans qui a englouti une si grande partie des terres, la guerre impitoyable pour les maigres ressources restantes » s’est constitué ce nouveau pays, « un Capitole rayonnant bordé de treize districts qui a apporté paix et prospérité à ses citoyens. Puis sont venus les jours obscurs, le soulèvement des districts contre le Capitole. Douze ont été vaincus, le treizième a été éliminé. Le traité de la Trahison nous a accordé de nouvelles lois pour garantir la paix et, pour rappeler chaque année que les jours obscurs ne devaient pas se reproduire, il nous a donné les Hunger Games »[5].
Dans l’espace de Panem l’harmonie est impossible vu le fait que la population a fauté. Elle est mise en situation de payer par le supplice perpétuel de la faim aussi bien que par les tributs qu’ils sont obligés de délivrer chaque année pour les Jeux de la Faim. Il n’y a pas d’issue à cet enfer perpétuel ; les générations successives doivent payer à l’infini et les gagnants des jeux eux-mêmes ne sont pas exempts de menaces : l’Expiation, cette troisième édition spéciale des Jeux, qui a lieu tous les vingt-cinq ans, « en hommage des victimes de la rébellion des districts », « afin de rappeler aux rebelles que même les plus forts d’entre eux ne sauraient l’emporter sur le Capitole » moissonne des tributs « parmi les vainqueurs survivants »[6]. C’est un stratagème mis en place pour éviter une nouvelle révolte qui menace. Il n’y a aucun espoir.
Katniss Everdeen, le personnage principal du roman, est celle qui raconte. Vu le fait qu’il s’agit d’une narration dystopique, le choix de l’auteure fait sens ; le lecteur devine également que si ce personnage participe aux jeux, il va gagner, autrement il ne pourrait pas raconter. Ou bien si, si sa relation était découverte par quelqu’un d’autre dont l’identité serait révélée à la fin, mais ce n’est pas le spécifique de ce genre de récits. Katniss s’individualise donc en véritable personnage, et cette personnalisation, tout comme dans certaines utopies du XVIIIe siècle (voir Voltaire avec Candide, ou Swift), introduit « une problématique conflictuelle : conflit de la différence et de l’identité, de la passion et de l’ordre social, de l’individu et de la collectivité, de la rationalité étatique et de l’aspiration personnelle »[7]. Par Katniss, l’ordre étatique se révèle oppressif, totalitaire. Son nom a d’ailleurs une signification symbolique : c’est « le nom indien du Sagittaire » qui fera plus tard d’elle la Fille du Feu, surtout que la région d’où elle provient est minière. À cela se rajoute ce que son meilleur ami, Gale, entend lorsqu’elle se présente : Catnip, à savoir, « herbe des chats ». Dans la région, le katniss est également une plante de marécages dont les tubercules bleuâtres sont aussi bons que les pommes de terre. Une personnalité se révèle ainsi au travers de ces significations : une adolescente qui va à la découverte de la vie, de la maturité, par une initiation extrêmement dure. Elle découvre le monde et se découvre en même temps avec ses points forts et ses points faibles en apprenant à accepter les deux. Un objet à valeur symbolique est également lié à son nom : on peut avoir dans les Jeux des porte-chance comme la broche de Madge, la fille du maire, offerte à Katniss immédiatement après sa sélection : un geai moqueur, un oiseau d’or entouré d’un anneau qui a, lui aussi, une histoire.
Dans notre narration dystopique, une relation de causalité s’établit entre le passé et le futur : ce dernier est expliqué par le premier, tout comme dans le cas de l’utopie[8]. Si les utopies traditionnelles sont généralement dirigées vers le passé, « un passé agraire idéalisé » plutôt que vers un futur industrialisé qui ne représentait pas le signe de la terre promise[9], la dystopie nous situe dans un pays et un territoire connus, dont la projection dans le futur est effectivement menaçante. Si l’utopie est « positionnée » dans un non lieu, notre dystopie est placée dans un cadre familier, celui de l’Amérique. Sauf que, c’est une Amérique du futur, résultat des méfaits de l’industrialisation et de l’économie du marché. Le monde que le personnage narrateur est en train de découvrir n’est autre que son propre pays avec ses différentes facettes, généralement cachées ou interdites au plus grand nombre.
Le terme dystopie peut désigner dans ce contexte tout ce que le terme utopie engendre, à savoir « des objets aussi divers et aussi mal cernés que des ‘états d’esprit’, des catégories mentales, des mouvements sociaux, des aspirations collectives, des constructions politiques »[10], manifestés, évidemment, dans un monde totalitaire. Hunger Games est une dystopie narrative, « un tout narrativo-politique » qualificatif attribué par Vita Fortunati[11] avec référence à l’utopie, « à condition de donner au mot politique une acception élargie qui ne se borne pas aux seules constructions institutionnelles, mais englobe l’ensemble des pratiques humaines de la cité : idéologies, échanges économiques, relations sociales, urbanisme, etc. »[12].
Ainsi, dans notre Capitole, on pourrait dire que même la population qui vit dans un bien-être « total », la population à laquelle rien ne manque théoriquement, est tenue dans une totale ignorance. De ce point de vue, sa liberté n’est pas plus large que celle des habitants des districts, elle est fausse en effet et se limite à ce que le matériel pourrait offrir. Le syntagme Panem et circenses est tout aussi valable pour eux qui, il est vrai, mangent du pain à leur faim et même plus (à un moment donné, lors d’un banquet, est utilisée une variante moderne des vomitoires). Le bonheur existe-t-il dans un cadre pareil ? Peut-on même en poser ce problème ? Le réel que cette société engendre est en vérité une illusion bien plus grave et bien plus douloureuse qu’ils ne pourraient l’imaginer. Les dirigeants, qui « savent » tout, doivent être les plus malheureux de tous pour vivre en permanence sous le signe de l’inquiétude, de la peur de ne pouvoir maintenir le fonctionnement artificiel d’un monde. Ceux qui ont peur eux-mêmes, n’ont que la peur à semer. Comment pourraient-ils en faire autrement tant que l’on ne reçoit que ce que l’on donne, comme la réaction en boomerang des Jeux de la Faim auxquels Haymitch lui-même avait participé ?[13]
[…] l’espace n’est pas un donné, ou un support passif du politique ; il joue un rôle causal, transformateur, et il est lui-même en devenir. En ce sens, l’espace est à la fois un élément positif ou un élément négatif du politique, puisqu’il peut limiter les champs du possible en politique autant qu’il peut les ouvrir.[14]
Il permet l’existence d’une « spatialité de l’injustice » et d’une « injustice de la spatialité ». Par son analyse des valeurs de l’espace urbain en tant que lieux du politique, Mustafa Dikeç nous fait penser au Capitole comme ville politique, les douze districts de Panem pouvant bien représenter le « reste », constitué par ceux qui « sont pris au piège de l’espace » ou « enchaînés à un lieu » par une politique du « zonage ». Ces éléments se retrouvent non seulement entre le Capitole et les « zones », mais dans le cadre même du Capitole où tous les habitants ne jouissent pas des mêmes conditions de vie. Il y a dans chaque district la partie riche et la partie pauvre de la population. Katniss appartient à l’une des familles de mineurs du douzième. Ce district est encerclé par un « grillage de barbelés […] électrifié vingt-quatre heures sur vingt-quatre »[15]. Au-delà du grillage se trouve la forêt où abondent les dangers : des carnassiers prédateurs. Le quartier pauvre, appelé la Veine sépare la population pauvre de la classe commerçante, les deux étant liées en quelque sorte par la Plaque, le marché noir. Les rapports entre les districts, chacun spécialisé en certains produits, sont très réduits.
Dans leur article sur la dystopie et les histoires, R. Baccollini et T. Moylan développent une idée qui s’applique parfaitement à notre texte et que nous reprenons dans ce qui suit. Il s’agit, dans notre cas également, d’une construction autour d’une narration de l’ordre hégémonique et d’une contre-narration de la résistance[16]. Le texte ouvre in medias res, dans la société cauchemardesque. La séparation cognitive est d’abord anticipée par l’immédiateté et la normalité de l’emplacement. Il n’est pas nécessaire de rêver à ou de voyager vers cet endroit de la vie de tous les jours. Comme en beaucoup des textes de science-fiction, le protagoniste aussi bien que le lecteur sont déjà dans le monde en question, immergés dans cette société de manière irréfléchie. Toutefois, une contre-narration se développe pas à pas, par le déplacement du citoyen dystopique du contentement apparent vers une expérience de l’aliénation et de la résistance. La structure stratégique de la narration et de la contre-narration est réalisée par l’utilisation sociale et antisociale du langage. Le conflit du texte tourne autour du contrôle du langage. L’ordre officiel, hégémonique est basé tant sur la contrainte que sur le consentement. La force matérielle de l’économie et l’apparat d’État contrôlent l’ordre social et le maintiennent. Mais le pouvoir discursif exercé dans la reproduction du sens et l’interpellation des sujets est une force complémentaire et nécessaire. Le langage est une arme pour le maintien de la structure dystopique. Par conséquent, la résistance du protagoniste dystopique commence souvent par une confrontation et la réappropriation du langage jusque là interdit, ou bien devenu propagande. Ce processus par lequel on reprend le contrôle du langage, des représentations, de la mémoire et de l’interpellation est une arme et une stratégie cruciales vers le déplacement de la résistance d’une prise de conscience initiale vers une action qui conduit à un événement crucial qui tend à changer la société. À l’opposé du plan utopique de déplacement, d’éducation et de retour d’un visiteur informé, la dystopie produit son propre « compte rendu » didactique sur l’affrontement résulté de la confrontation critique avec les contradictions de la société présente dès la première page[17].
L’évolution de Katniss est reflétée dans le langage. Une enfance difficile du point de vue matériel mais entée sur un caractère fort conféré par l’harmonie familiale et l’amour se trouvent à l’origine de sa personnalité. C’est à partir de l’âge de presque douze ans qu’elle est obligée de transgresser l’interdit en dépassant les « frontières » imposées par les autorités à la recherche de la nourriture. Le véritable courage naît en conditions de crise profonde. Les privations entées sur l’amour libèrent.
Elles représentent d’abord une lutte pour la survie : « De toute façon, Gale et moi sommes d’accord : entre crever de faim et recevoir une balle dans la tête, mieux vaut une mort rapide »[18]. Le phénomène qui provoque l’humilité et par lequel la population de Panem peut être dominée est de nature purement psycho-physiologique : la faim et, lors des jeux proprement dits, la soif. Mais, dans le cas de Katniss, ces privations prennent vite la forme du sacrifice de soi exprimé tant par les paroles que par les actes. Lorsque le tirage au sort fait entendre le nom de Prim, sa petite sœur, Katniss reste muette pour quelques instants pour vite reprendre ses esprits : « Je suis volontaire ! m’écriai-je. Je me porte volontaire comme tribut ! »[19]. Les mots prononcés par Katniss, comme ceux de Thésée qui veut sauver les jeunes d’Athènes, « Je me porte volontaire », dans le plus pauvre et le plus noir des districts, où rien d’intéressant n’arrive, surprennent et bloquent Effie Trinquet, la déléguée du Capitole, aussi bien que le maire : ils ne savent que dire, le « public » garde le silence, il n’applaudit pas. Au contraire, un premier signe de révolte se manifeste : « Une personne, puis deux, puis quasiment toute la foule porte les trois doigts du milieu de la main gauche à ses lèvres avant de les tendre vers moi. C’est un vieux geste de notre district, rarement utilisé, qu’on voit parfois lors des funérailles. Un geste de remerciement, d’admiration, d’adieu à ceux que l’on aime. » La réaction de Haymitch, ex-combattant dans les jeux, est elle aussi annonciatrice de futurs événements : « Elle me plaît ! […] Plus que vous tous ! […] Plus que vous tous ! crie-t-il en pointant le doigt vers la caméra. S’adresse-t-il aux spectateurs, ou bien est-il soûl au point d’insulter le Capitole ? »[20]. Ce Capitole qui disait indirectement au peuple de Panem : « Regardez, nous prenons vos enfants, nous les sacrifions, et vous n’y pouvez rien. Si vous leviez seulement le petit doigt, nous vous éliminerions jusqu’au dernier. Comme nous l’avons fait avec le district Treize »[21].
Le pouvoir, la force, imposées par un langage voilé qui cache une réalité cruelle sont bien évidentes depuis les premières formules, « Joyeux Hunger Games ! », ou « Bonne chance et puisse le sort vous être favorable ! », prononcées dans des circonstances d’une cruauté inimaginable. De même, les dénominations choisies : Pacificateurs pour la police, Capitole pour la capitale, la Corne d’abondance pour l’aide offerte aux tributs lors de l’entrée dans l’arène et qui devient le lieu des premiers massacres, le tessera, la Moisson, le Grand Cirque[22].
La signification de ces dénominations est contrecarrée par celle qui désigne le porte-chance de Katniss, la broche représentant un geai moqueur :
C’est un drôle d’oiseau qui représente une forme de camouflet pour le Capitole. Pendant la rébellion, ce dernier avait modifié génétiquement plusieurs espèces animales afin de s’en servir comme armes. L’une d’elles, le geai bavard, avait la faculté de mémoriser et reproduire des discussions entières. Exclusivement mâle, il regagnait toujours son gîte à la manière d’un pigeon voyageur. Le Capitole en a lâché un grand nombre au-dessus des régions où se cachaient des ennemis. Les oiseaux recueillaient ce qu’ils entendaient, puis regagnaient leurs centres pour les répéter. Les gens ont mis un moment à comprendre ce qui se passait dans les districts, comment leurs conversations étaient espionnées. Ensuite, bien sûr, les rebelles se sont amusés à inonder le Capitole de mensonges invraisemblables, et tout le monde en a fait des gorges chaudes. Puis les centres ont été fermés et les oiseaux abandonnés dans la nature pour mourir.[23]
Mais la nature ne suit pas les desseins des humains. Si bien que, accouplés à des moqueurs femelles, ces geais ont engendré une nouvelle espèce qui imitait non seulement la voix humaine, sans être cependant capables de prononcer des mots, mais aussi le chant des oiseaux. Ils étaient capables de reproduire des airs complexes s’ils trouvaient agréable la voix humaine qui les interprétait. Lorsque Rue meurt sous les yeux de Katniss, pour défier le Capitole et pour lui montrer qu’elle n’est pas d’accord avec la cruauté et qu’elle ne fait pas son jeu de manière volontaire, celle-ci chante une berceuse à Rue et cueille des fleurs dont elle couvre son corps avant qu’il ne soit « cueilli » à son tour par les hovercrafts. Sa chanson est reprise par les geais moqueurs[24]. Katniss comprend et fait siennes les paroles que Peeta avait prononcées sur la terrasse, avant l’entrée en arène : « […] je veux mourir en étant moi-même. Tu comprends ? […] Je ne veux pas changer dans l’arène. Me transformer en une espèce de monstre que je ne suis pas. […] Je voudrais seulement trouver un moyen de… montrer au Capitole que je ne lui appartiens pas. Que je suis davantage qu’un simple pion dans les Jeux »[25].
Katniss a du mal à mentir ; la rectitude de son caractère ne le lui permet pas ; c’est ce qui l’empêche de faire bonne figure devant les caméras lors des interviews avant et après les Jeux. D’un bout à l’autre de cette trilogie, Katniss reste le symbole de l’opposition face au régime oppressif et de la route vers la maturité – hâtée par sa position et par l’évolution mouvementée des événements – qui la rendent sage. Elle apprend que dire la vérité en face, comme un défi, n’est pas toujours la meilleure solution. À la fin, quand le régime dictatorial de Snow s’effondre par un terrible massacre des enfants du Capitole et par la mort de Prim, Katniss change de tactique : elle fait semblant d’entrer dans le jeu de Coin, la chef de la révolte et dirigeante du district Treize qui fonctionnait en cachette comme une sorte de service de Sécurité, celle-ci proposant de finir cette révolte par une dernière reprise des jeux cruels ayant cette fois comme tributs « les enfants des personnes qui détenaient le plus de pouvoir », c’est-à-dire des enfants du Capitole, au lieu d’éliminer tout sa population. Ce faire semblant est doublé par la prise de conscience d’une autre réalité troublante : si on veut arrêter les massacres et donner un sens à cette révolte sanglante, c’est Coin qui doit être éliminée, et Katniss tue pour la dernière fois.
Jeux-encrages
La mythologie classique y est de mise. La trilogie dystopique prend la forme d’un mythe moderne adapté en fonction des changements opérés par l’époque historique vécue. Dans la Rome antique, l’autorité céleste et terrestre était représentée par le Mons Capitolinus. Aux États-Unis contemporains, au Capitole de Washington D.C. siège le Congrès américain (Sénat et Chambre des représentants) tandis que dans chacune des capitales des cinquante États américains se trouve un capitole qui abrite la législature de l’État. Dans Panem, la seule autorité législative est celle du Capitole et la seule indication qui pourrait renvoyer à une autorité non terrestre réside dans la formule « Puisse le sort vous être favorable ! », formule adressée aux tributs qui vont entrer dans l’arène et dont un seul survivra.
D’après J. M. Racault, « l’imagination n’est pas une faculté d’invention, mais une faculté de combinaisons, nécessairement condamnée, si l’on ose dire, à faire de l’Autre avec du Même : comme la Chimère du Discours de la méthode, façonnée à partir d’‘une tête de lion entée sur le corps d’une chèvre’, l’imagination procède par raboutage de pièces empruntées au réel »[26] plus ou moins rapproché ou à la mythologie ; le roman Hunger Games serait, dans ce contexte, la preuve du fait que, dans le parcours de l’humanité, il y a des schémas qui se répètent perpétuellement mais qui habitent de nouvelles formes et de nouveaux espaces auxquels ils s’adaptent. En fin de compte, la leçon à apprendre est la même, elle s’adresse à chaque fois à ces nouvelles formes qui constituent l’humanité du moment. Qu’y a-t-il de vérifiable de la réalité d’aujourd’hui dans les Hunger Games ? L’économie du marché, le luxe démuni de finalité à long terme offert par les découvertes de la technique, une humanité, qui a oublié son essence et qui se laisse aller dans un bonheur illusoire marqué par le bien-être matériel, par les spectacles qui lui donnent l’impression de vivre par délégation (voir la téléréalité).
On constate avec surprise que l’intellectuel n’a pas de place dans ce contexte : les enfants, comme Prim, la sœur de Katniss, vont à l’école, mais on ne parle de livres qu’au passage, seulement des programmes télévisés ou de choses très concrètes : « À l’école, presque tout se ramène au charbon. Hormis l’apprentissage de la lecture et des mathématiques, l’essentiel de notre instruction est lié au charbon. À l’exception du sermon hebdomadaire concernant l’histoire de Panem, dans lequel on nous rabâche tout ce que nous devons au Capitole »[27]. Les seuls livres mentionnés au cours de l’histoire sont ceux de plantes, la pharmacie naturelle de la mère de Katniss, sorte de « magicienne » qui s’occupe des malades du district Douze. De même, Peeta, le talentueux boulanger, peint, fait des gâteaux artistiquement décorés. L’art sert également dans l’industrie de la mode et dans celle de la chirurgie esthétique : les habitants du Capitole s’intéressent aux deux. Les émissions télévisées, ces jeux même, avec les jours qui les précèdent, peuvent relever de l’art. Les spectateurs participent en direct aux Jeux de la Faim, aux massacres, et ils éprouvent une joie immense, leurs émotions sont éveillées et purgées. Comment pourrait-on appliquer dans ce contexte l’idée reprise par Wolf Lepenies[28] aux cours hégéliens sur l’esthétique et la philosophie de l’art ? Hegel soutient que le beau de l’art, comme un génie amical, traverse toutes les préoccupations de la vie et pare avec sérénité toutes les circonstances en adoucissant le sérieux des relations et les complications de la réalité, en nous remplissant de manière divertissante les moments de repos ; ainsi, insidieusement, là où on ne peut plus réaliser quelque chose de bon, il occupe du moins la place du mal mieux que le mal lui-même. On dirait que dans les Hunger Games l’art, du moins pour le Capitole, a dépassé ces limites, qu’il n’est plus capable de masquer le mal.
Les renvois à l’histoire, les allusions aux jeux olympiques de l’antiquité grecque, aux luttes des arènes romaines ne sont pas difficiles à discerner. Le canevas est très simple : une société totalitaire, despotique même, ayant une organisation spécifique avec un sérieux appareil de répression masqué sous des dénominations suggestives. Même la coïncidence entre le nombre des jeux olympiques de la Grèce antique et celui des Hunger Games est suggestive. Les conclusions sont tout aussi simples : il y a des schémas qui se répètent, l’humanité ne peut pas trop changer d’une génération à l’autre, d’un siècle à l’autre, d’un millénaire à l’autre. Si Katniss se révolte et ose changer l’habitude des jeux c’est que d’un côté le public a besoin de nouveauté et que, de l’autre côté, le changement de mentalités se produit lentement. Ceux des premiers jeux de la faim avaient plus peur, ils n’étaient pas encore détachés des événements cruels qui leur avaient donné naissance. On peut en même temps remarquer la perte graduelle de repères dans notre monde : si les Jeux Olympiques avaient derrière eux une tradition religieuse, s’ils étaient avant tout organisés en l’honneur des divinités[29], le monde romain les a transformés petit à petit en preuve de sa faiblesse et de sa cruauté. Il faudrait se rappeler, en ce sens, les réflexions de Montesquieu sur les causes de l’ascension et de la décadence de l’empire romain.
De nos jours, « jouer c’est gagner, ou du moins c’en est la perspective. […] Mais cela n’est pas jouer. C’est se soumettre dans la plus totale ignorance, à des calculs de probabilité très poussés qui sont réalisés par des entreprises de jeux de loterie, dont le but est évidemment de se garantir un minimum de gagnants aux prétendus jeux qu’elles proposent »[30]. Observation banale au premier abord, mais combien de choses essentielles se cachent sous le masque de la banalité ? Seulement les spécialistes savent aujourd’hui qu’« autrefois, dans toutes les sociétés primitives et les civilisations antiques, le jeu avait un caractère initiatique. […] à l’origine, le but du jeu était le plus souvent de gagner sa vie, c’est-à-dire de gagner le droit de conserver sa vie, d’en être maître, de la ravir aux dieux. Pour le vainqueur du jeu, il s’agissait en quelque sorte d’une seconde naissance »[31]. Parti d’un point de vue spirituel, le jeu est devenu social, récréatif ou éducatif. De nos jours, les jeux « sont comme des espèces de rappel à l’ordre ». Il revient à chaque être humain de voir de quel ordre il s’agit. De celui dans lequel il se sert de l’imagination des autres pour se laisser dominer ou bien de celui qui « fait appel à l’imagination, à l’inspiration, à la réflexion, à la volonté » personnelles afin de comprendre que « la plupart des légendes mythiques ou des contes populaires sont plus ou moins des mises en scène de personnages évoluant dans un jeu : le jeu de la vie ! »[32]. Faudrait-il compter le nombre des épreuves auxquelles Katniss répond pour les assimiler aux travaux d’Héraclès que Didier Colin met en rapport avec les signes du Zodiaque, chacune de ses victoires représentant une étape de gagnée dans la connaissance et la conscience de soi ? Le labyrinthe qui enferme le Minotaure, vu en analogie avec le cercle, la croix et la spirale peut-il être mis en rapport avec les soixante-quinzièmes Jeux de la Faim imaginés sous forme de cadran d’une montre géante qui offre aux tributs, à intervalles réguliers des surprises mortelles ? La construction du roman, par multiples de trois – chaque volume de la trilogie a trois parties, chaque partie comprend neuf chapitres – invite elle aussi à la réflexion. À l’appui de l’affirmation que les épreuves subies par Katniss peuvent être nommées initiatiques vient le final de la trilogie. Elle a été le symbole de la révolte, elle s’est sacrifiée pour un monde meilleur sans attendre pour cela de gouverner Panem. Au contraire, elle se retire dans sa maison du district Douze pour mener une vie tranquille à côté de Peeta et leurs deux enfants. Par ces derniers, l’espoir refait surface. Car qui voudrait avoir des enfants sous la menace des Jeux ?
En tout état de cause, pour créer cet univers dystopique, Suzanne Collins n’aurait pas pu trouver une assimilation plus appropriée du passé avec le présent que celle visant les séries de téléréalité. Il ne faut penser qu’à la série Big Brother[33] depuis 1999, en référence avec le personnage du roman Nineteen Eighty-Four d’Orwell qui surveille tout le monde. Dans le jeu de cette série, douze participants sont enfermés pendant plusieurs semaines sous surveillance continue d’un système vidéo.
Au seuil de la mort, les tributs des Hunger Games sont conscients du fait qu’ils offrent un spectacle sur le vif. Dans ces conditions, ils jouent la « comédie » : « Un baiser égale un pot de bouillon. Je ne peux pas le dire à haute voix. Cela donnerait à penser au public que notre belle histoire d’amour n’est qu’une comédie destinée à inspirer la sympathie. Ce n’est pas comme ça qu’on obtiendrait de la nourriture. Je dois trouver un moyen crédible de relancer la mécanique »[34]. Ou bien « Le district Douze doit être en ébullition. Il est si rare que nous ayons encore des tributs à ce stade des Jeux. Les gens doivent vibrer pour Peeta et moi, encore plus maintenant que nous sommes ensemble. Si je ferme les yeux, je parviens à imaginer leurs cris d’encouragement devant l’écran. Je vois leurs visages – Sae Boui-boui, Madge ou même les Pacificateurs qui m’achètent mon gibier – en train de nous acclamer »[35].
Pour faire le point
Beaucoup de choses restent encore à dire. Mais partant de ce qui a été déjà dit, nous pouvons conclure que l’histoire de l’humanité est constituée de la répétition à l’infini des schémas existentiels, que le but de l’être humain est la quête de soi qui se réalise le plus souvent par la mise à l’épreuve. Plus les épreuves sont dures, plus on a la possibilité de se découvrir. En fin de compte, les écrits dystopiques ont un rôle positif et la mission de la science-fiction spéculative devient très importante.
Bibliographie
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Racault, Jean-Michel, L’utopie narrative en France et en Angleterre.Oxford, The Voltaire Foundation at theTaylor Institution, 1991.
Johnson-Woods, Toni, Big Bother: Why Did That Reality TV Show Become Such a Phenomenon?,Australia,University ofQueensland Press, 2002.
http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_dystopian_literature, consulté le 12 septembre 2012.
Notes
[2] Hunger Games pour le premier, le même pour les deux autres qui ajoutent en sous-titre L’embrasement, respectivement La révolté. Le premier volume comprend trois parties : « Les tributs » (9), « Les jeux » (18), « Le vainqueur » (27) ; le deuxième : « L’étincelle », « L’expiation », « L’ennemi » ; le troisième : « Les cendres », « L’assaut », « La meurtrière ».
[3] Lyman Tower Sargent, « The Three faces of Utopianism Revisited », Utopian Studies 5.1., 1994, p. 1-37 : « Utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space; Eutopia or positive utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space that the author intended a contemporaneous reader to view as considerably better than the society in which the reader lived; Dystopia or negative utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space that the author intended a contemporaneous reader to view as considerably worse that the society in which that reader lived as distinct from Anti-utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space that the author intended a contemporaneous reader to view as a criticism to utopianism or some particular utopia. » Cité en notes par Raffaella Baccolini et Tom Moylan « Dystopia and Histories », in Dark Horizons. Science Fiction and the Dystopian Imagination, éd. Raffaella Baccolini et Tom Moylan, New York, London, Routledge, 2003 (p. 1-12), p. 9.
[5] Suzanne Collins, Hunger Games, traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume Fournier (The Hunger Games, New York, Scholastic Press, 2008), Pocket Jeunesse., 2009, p. 24.
[6] Suzanne Collins, Hunger Games. L’embrasement, traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume Fournier (The Hunger Games, New York, Scholastic Press, 2009), Pocket Jeunesse., 2010, p. 179-180.
[7] Jean-Michel Racault, L’utopie narrative en France et en Angleterre. The Voltaire Foundation at the Taylor Institution, Oxford, 1991, p. 31.
[11] Citée par J.-M. Racault, op. cit., p. 4, de La letteratura utopica inglese, Ravenna, 1979, p. 8.
[13] Suzanne Collins, Hunger Games II, ed. cit, p. 207-209. Lors de l’édition des Jeux à laquelle il participe comme tribut, Haymitch découvre « une bande de terre nue et sèche qui s’achève en à-pic », au pied de laquelle « on aperçoit des rochers. […] Un caillou roule sous son pied et tombe dans le gouffre. Une minute plus tard, alors qu’il s’est assis pour souffler un moment, le caillou émerge du vide et retombe juste à côté de lui. […] Il lance une grosse pierre dans le vide et attend. Quand la pierre lui revient dans la main, il éclate de rire. » C’est grâce à cette découverte qu’une hâche qui tombe dans le même précipice revient pour tuer son adversaire et pour faire de lui le tribut vainqueur.
[14] Mustafa Dikeç, « L’espace, le politique et l’injustice » : « La notion de ‘spatialité de l’injustice’ se fonde sur l’idée que la justice a une dimension spatiale, et qu’on peut observer et analyser différentes formes d’injustice qui se manifestent dans l’espace. L’‘injustice de la spatialité’, elle, renvoie non aux manifestations spatiales de l’injustice mais aux dynamiques structurelles qui produisent et reproduisent l’injustice par le biais de l’espace. » Un double intérêt donc, pour les manifestations spatiales de l’injustice d’un côté, pour les processus qui produisent les injustices spatiales de l’autre. Dans ce contexte, Dikeç cite le sociologue Loïc Wacquant qui, en 1999, parlait des « images dystopiques de la ville américaine » en faisant référence aux émeutes des banlieues américaines qui ont influencé les banlieues françaises. Il s’agit de l’article « America as social dystopia: The politics of urban disintegration, or the French uses of the ‘American Model’ », in P. Bourdieu et al. (eds), The Weight of the World: Social Suffering in Contemporary Society, Trans. by P. P. Ferguson et al. [La misère du monde, 1993, Editions du Seuil, Paris] (Stanford University Press, Stanford), pp. 130-39.
Document en ligne, http://www.jssj.org/archives/01/media/dossier_focus_vt6.pdf, p. 2, 8, consulté le 30 août 2012.
[16] R. Baccolini et T. Moylan citent Jameson Fredric, The Seeds of Time,New York: Columbia UP, 1994, p. 56, in art. cité, p. 8.
[22] À cela se rajoutent les noms de quelques personnages. Les stylistes s’appellent : Venia, Octavia, Portia, Flavius, Cinna. Claudius (Templesmith) est le médiateur ou le modérateur aux jeux ; il est celui qui s’occupe des interviews dans le cas des tributs, aussi bien que celui qui annonce les règles du jeu (par exemple quand les règles changent par rapport aux éditions précédentes « les deux tributs d’un même district seront déclarés vainqueurs s’ils sont les deux derniers en vie » (vol. I, p. 250). Un des tributs s’appelle Cato, d’autres personnages, Seneca, Caesar, Plutarch.
[26] J.-M. Racault, op.cit., p. 21, cite Descartes du Discours de la méthode, IV, in Œuvres et lettres, Bibliothèque de la Pléiade (Paris, 1958), p. 153.
[28] Wolf Lepenies, Ascensiunea şi declinul intelectualilor în Europa, Cluj-Napoca, Casa Cărţii de Ştiinţă, 2005, p. 102. Cité de Vorlesungen über die Ästhetik, in Id., Werke, vol. XIII, éd. par Eva Moldenhauer et Karl Markus Michel, Suhrkampf, Frankfurt a.M., 1970, p.16, paraphrasé par nous d’après l’« Introduction » de la traduction roumaine », Prelegeri de estetică de D.D. Roşca, vol. I, Bucureşti, Ed. Academiei R.S.R., 1966, p. 9.
[29] Un seul exemple nous paraît édifiant. La mise en parallèle de la signification de la Moisson dans Panem avec celle de l’antiquité grecque et du monde chrétien.
Du bouc émissaire au plaisir tragique, le sens du mot moisson peut être lié toujours à la Grèce antique, à la purification de la cité. L’adjectif katharos, associe la propreté matérielle, celle du corps (il s’applique à l’eau, au grain également), et la pureté de l’âme, morale ou religieuse. Purifier la cité « nettoyer, purifier, purger » renvoie en particulier au rituel d’expulsion pratiqué à Athènes la veille des Thargélies. Au cours de ces fêtes, traditionnellement dédiées à Artémis et à Apollon, on offrait un pain, le thargêlos [θάργηλος], fait des prémices de la moisson ; mais il fallait d’abord purifier la cité, en expulsant des criminels (cf. lexique d’Harpocration : « Les Athéniens, lors des Thargélies, excluent deux hommes, comme exorcismes purificatoires, de la cité, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes »), puis des boucs émissaires, selon le rituel du pharmakos [ϕαρμακός]. Apollon lui-même est dit katharsios [καθάρσιος], purificateur, d’ailleurs contraint à la purification après le meurtre de Python à Delphes : selon le Socrate du Cratyle, il est bien nommé apolouôn [ἀπολούων], « qui lave », dans la mesure où la musique, la médecine et la divination qui le caractérisent sont autant de katharseis [καθάρσεις] et de katharmoi [καθαρμοί], de pratiques de purification (405a-c). Barbara Cassin, Jacqueline Lichtenstein, Elisabete Thamer, Dictionnaires le Robert, Le Seuil, 2003. Cf. http://robert.bvdep.com/public/vep/Pages_HTML/CATHARSIS.HTM.
Dans le même ordre d’idées, « la fête de la Pentecôte fait partie des trois fêtes dites de « Pèlerinage ». La Bible lui donne différents noms : Fête des Moissons (Exode 34 :16) – Fête des Semaines (Exode 34 :12) – Fête des Prémices (Nombres 28 :26). La tradition rabbinique l’appelle aussi « Fête des Clôtures » du cycle pascal. Cette appellation marque la liaison qui a toujours été établie dans la liturgie juive entre Pessah (Pâque) et Chavouoth (Pentecôte), liaison concrétisée, dès les temps bibliques, par l’OMER : l’offrande de la première gerbe de la moisson (Lévitique 23 : 9-17). Cette offrande devait être faite le lendemain du jour de Pâques ; après quoi, on pouvait manger de la nouvelle récolte. » Cf. http://www.rosee.org/rosee/page41.html. Sites consultés le 22 septembre 2012.
[30] Didier Colin, Dictionnaire des mythes, des symboles et des légendes, Hachette Livre (Hachette Pratique), 2006, p. 309.
Rodica Gabriela Chira
Université « 1 Decembrie 1918 », Alba Iulia, Roumanie
rogabchira@yahoo.fr
Hunger Games – a dystopian stake
Abstract: Suzanne Collins’ trilogy is a dystopian stake that yields to different approaches. Through associations with utopia, the characteristics of dystopia are revealed. Unlike utopia, in a dystopia the dislocation of the main character – Katniss Everdeen in our case – is unnecessary. She is placed in the middle of events from the very beginning, thus being able to discover a new face of the surrounding reality. Moreover, through the assimilation with mythical or past historical events, Collins’ dystopian novel acquires mythical values helping us conclude that, in the evolution of humanity, the same patterns are encountered. Only they adapt to the requirements of each epoch. As Theseus or Heracles, Katniss passes through an initiation which brings her to consciousness. This is to certify the important role of such SF dystopian narratives capable of going beyond a simple didactic or diverting purpose.
Keywords: Suzanne Collins; Science-Fiction; Dystopia; Narrative and Counter-Narrative; Mythology; History; Game.
Le nombre d’écrits dystopiques qui s’encadrent dans la science-fiction depuis 2000 est impressionnant : plus de cinquante auxquels se rajoutent plus de quarante films[1]. Parmi les auteurs, pour la plupart du temps des anglophones, comptent beaucoup de femmes. En France, la trilogie Hunger Games de Suzanne Collins (publiée à partir de 2008 aux États-Unis), est parue en traduction française entre 2009 et 2011, pour qu’en 2012 passe sur les écrans l’action du premier volume. Le livre figure sur les étagères des librairies parmi les titres recommandés à partir de l’âge de 13 ans. L’enjeu est important pour cette raison également. Car par ce roman on peut attirer l’attention sur bien des tares de la société contemporaine : l’absence de perspectives rassurantes pour la jeune génération, la politique envahissante de l’économie du marché, les programmes télévisés du genre téléréalité, parfois la violence en direct, peuvent conduire vers une éthique du non être. La trilogie Hunger Games[2] est une dystopie encadrée dans la science-fiction spéculative. Elle peut se constituer en réflexion philosophique sur la définition de l’homme. Nous y assistons en effet, par le biais de la trame narrative, à l’évolution d’un groupe d’adolescents, à leur initiation dans la vie en milieu extrêmement hostile. Avec la spécification que c’est ce milieu hostile qui, généralement, conduit vers le décantage. Les conditions difficiles mettent en évidence le caractère.
Enjeu du jeu
Partant des définitions données par L. T. Sargent[3], l’utopie est une société non-existante décrite avec des détails considérables et normalement localisée dans l’espace et le temps tandis que la dystopie ou « utopie négative » est une société non-existante décrite avec des détails considérables et normalement localisée dans l’espace et le temps avec l’intention de l’auteur de faire croire au lecteur qu’elle est considérablement plus mauvaise que celle dans laquelle ce dernier vit. On peut affirmer que Hunger Games propose un jeu. Un jeu dont l’enjeu est la mise en valeur des acquis tant de la littérature que de l’expérience de l’humanité au cours des siècles.
Car notre texte dystopique joue sur la dystopie et l’utopie par la présence du Capitole où les jeunes vivent dans un monde illusoire, en total isolement du reste du pays. Il joue en même temps sur la mémoire : le livre en soi est présenté sous forme de mémoires, celles de Katniss, le personnage principal. Les mémoires de la jeune fille s’entremêlent avec celles de l’humanité, la construction du roman étant basée sur la mythologie aussi bien que sur la réalité immédiate. Sont invoqués et évoqués ainsi le mythe de Thésée, les Jeux Olympiques de la Grèce antique, l’Empire Romain avec les luttes des gladiateurs dans les arènes aussi bien que la réalité et la téléréalité de nos jours.
Par le jeu interprétatif du monde dystopique de Panem, nous voulons souligner le caractère répétitif des schémas existentiels.
Jeux intertextuels
Dans un premier temps nous « jouons » autour de quelques mots – dystopie, utopie, mémoires, langage – par le biais de l’espace et du temps.
À la différence de l’utopie narrative où la visite du héros est guidée dans une société utopique censée nous conduire vers une réponse comparative qui accuse la société même du visiteur, le texte dystopique nous introduit d’habitude, dès le début dans le nouveau monde terrible. Toutefois, même dans l’absence d’un mouvement bouleversant vers un ailleurs, l’élément de séparation textuelle reste valable puisque l’accent est souvent mis sur un personnage qui questionne la société dystopique[4].
Le roman de Suzanne Collins s’ouvre sur le Jour de la Moisson, un des trois sujets sensibles de la famille de l’héroïne et du district Douze en général, les deux autres étant représentés par la disette et les Hunger Games. En réalité, tous les trois vont de pair, les maladies sont moins provocatrices de mort que la faim, le nom du pays pouvant être vu comme une énorme mise en dérision de sa population.
Panem, du célèbre syntagme Panem et circenses est ainsi « le pays qui s’est relevé des cendres et qu’on appelait autrefois l’Amérique du Nord ». Suite à des catastrophes naturelles « sécheresses, ouragans, incendies, la montée des océans qui a englouti une si grande partie des terres, la guerre impitoyable pour les maigres ressources restantes » s’est constitué ce nouveau pays, « un Capitole rayonnant bordé de treize districts qui a apporté paix et prospérité à ses citoyens. Puis sont venus les jours obscurs, le soulèvement des districts contre le Capitole. Douze ont été vaincus, le treizième a été éliminé. Le traité de la Trahison nous a accordé de nouvelles lois pour garantir la paix et, pour rappeler chaque année que les jours obscurs ne devaient pas se reproduire, il nous a donné les Hunger Games »[5].
Dans l’espace de Panem l’harmonie est impossible vu le fait que la population a fauté. Elle est mise en situation de payer par le supplice perpétuel de la faim aussi bien que par les tributs qu’ils sont obligés de délivrer chaque année pour les Jeux de la Faim. Il n’y a pas d’issue à cet enfer perpétuel ; les générations successives doivent payer à l’infini et les gagnants des jeux eux-mêmes ne sont pas exempts de menaces : l’Expiation, cette troisième édition spéciale des Jeux, qui a lieu tous les vingt-cinq ans, « en hommage des victimes de la rébellion des districts », « afin de rappeler aux rebelles que même les plus forts d’entre eux ne sauraient l’emporter sur le Capitole » moissonne des tributs « parmi les vainqueurs survivants »[6]. C’est un stratagème mis en place pour éviter une nouvelle révolte qui menace. Il n’y a aucun espoir.
Katniss Everdeen, le personnage principal du roman, est celle qui raconte. Vu le fait qu’il s’agit d’une narration dystopique, le choix de l’auteure fait sens ; le lecteur devine également que si ce personnage participe aux jeux, il va gagner, autrement il ne pourrait pas raconter. Ou bien si, si sa relation était découverte par quelqu’un d’autre dont l’identité serait révélée à la fin, mais ce n’est pas le spécifique de ce genre de récits. Katniss s’individualise donc en véritable personnage, et cette personnalisation, tout comme dans certaines utopies du XVIIIe siècle (voir Voltaire avec Candide, ou Swift), introduit « une problématique conflictuelle : conflit de la différence et de l’identité, de la passion et de l’ordre social, de l’individu et de la collectivité, de la rationalité étatique et de l’aspiration personnelle »[7]. Par Katniss, l’ordre étatique se révèle oppressif, totalitaire. Son nom a d’ailleurs une signification symbolique : c’est « le nom indien du Sagittaire » qui fera plus tard d’elle la Fille du Feu, surtout que la région d’où elle provient est minière. À cela se rajoute ce que son meilleur ami, Gale, entend lorsqu’elle se présente : Catnip, à savoir, « herbe des chats ». Dans la région, le katniss est également une plante de marécages dont les tubercules bleuâtres sont aussi bons que les pommes de terre. Une personnalité se révèle ainsi au travers de ces significations : une adolescente qui va à la découverte de la vie, de la maturité, par une initiation extrêmement dure. Elle découvre le monde et se découvre en même temps avec ses points forts et ses points faibles en apprenant à accepter les deux. Un objet à valeur symbolique est également lié à son nom : on peut avoir dans les Jeux des porte-chance comme la broche de Madge, la fille du maire, offerte à Katniss immédiatement après sa sélection : un geai moqueur, un oiseau d’or entouré d’un anneau qui a, lui aussi, une histoire.
Dans notre narration dystopique, une relation de causalité s’établit entre le passé et le futur : ce dernier est expliqué par le premier, tout comme dans le cas de l’utopie[8]. Si les utopies traditionnelles sont généralement dirigées vers le passé, « un passé agraire idéalisé » plutôt que vers un futur industrialisé qui ne représentait pas le signe de la terre promise[9], la dystopie nous situe dans un pays et un territoire connus, dont la projection dans le futur est effectivement menaçante. Si l’utopie est « positionnée » dans un non lieu, notre dystopie est placée dans un cadre familier, celui de l’Amérique. Sauf que, c’est une Amérique du futur, résultat des méfaits de l’industrialisation et de l’économie du marché. Le monde que le personnage narrateur est en train de découvrir n’est autre que son propre pays avec ses différentes facettes, généralement cachées ou interdites au plus grand nombre.
Le terme dystopie peut désigner dans ce contexte tout ce que le terme utopie engendre, à savoir « des objets aussi divers et aussi mal cernés que des ‘états d’esprit’, des catégories mentales, des mouvements sociaux, des aspirations collectives, des constructions politiques »[10], manifestés, évidemment, dans un monde totalitaire. Hunger Games est une dystopie narrative, « un tout narrativo-politique » qualificatif attribué par Vita Fortunati[11] avec référence à l’utopie, « à condition de donner au mot politique une acception élargie qui ne se borne pas aux seules constructions institutionnelles, mais englobe l’ensemble des pratiques humaines de la cité : idéologies, échanges économiques, relations sociales, urbanisme, etc. »[12].
Ainsi, dans notre Capitole, on pourrait dire que même la population qui vit dans un bien-être « total », la population à laquelle rien ne manque théoriquement, est tenue dans une totale ignorance. De ce point de vue, sa liberté n’est pas plus large que celle des habitants des districts, elle est fausse en effet et se limite à ce que le matériel pourrait offrir. Le syntagme Panem et circenses est tout aussi valable pour eux qui, il est vrai, mangent du pain à leur faim et même plus (à un moment donné, lors d’un banquet, est utilisée une variante moderne des vomitoires). Le bonheur existe-t-il dans un cadre pareil ? Peut-on même en poser ce problème ? Le réel que cette société engendre est en vérité une illusion bien plus grave et bien plus douloureuse qu’ils ne pourraient l’imaginer. Les dirigeants, qui « savent » tout, doivent être les plus malheureux de tous pour vivre en permanence sous le signe de l’inquiétude, de la peur de ne pouvoir maintenir le fonctionnement artificiel d’un monde. Ceux qui ont peur eux-mêmes, n’ont que la peur à semer. Comment pourraient-ils en faire autrement tant que l’on ne reçoit que ce que l’on donne, comme la réaction en boomerang des Jeux de la Faim auxquels Haymitch lui-même avait participé ?[13]
[…] l’espace n’est pas un donné, ou un support passif du politique ; il joue un rôle causal, transformateur, et il est lui-même en devenir. En ce sens, l’espace est à la fois un élément positif ou un élément négatif du politique, puisqu’il peut limiter les champs du possible en politique autant qu’il peut les ouvrir.[14]
Il permet l’existence d’une « spatialité de l’injustice » et d’une « injustice de la spatialité ». Par son analyse des valeurs de l’espace urbain en tant que lieux du politique, Mustafa Dikeç nous fait penser au Capitole comme ville politique, les douze districts de Panem pouvant bien représenter le « reste », constitué par ceux qui « sont pris au piège de l’espace » ou « enchaînés à un lieu » par une politique du « zonage ». Ces éléments se retrouvent non seulement entre le Capitole et les « zones », mais dans le cadre même du Capitole où tous les habitants ne jouissent pas des mêmes conditions de vie. Il y a dans chaque district la partie riche et la partie pauvre de la population. Katniss appartient à l’une des familles de mineurs du douzième. Ce district est encerclé par un « grillage de barbelés […] électrifié vingt-quatre heures sur vingt-quatre »[15]. Au-delà du grillage se trouve la forêt où abondent les dangers : des carnassiers prédateurs. Le quartier pauvre, appelé la Veine sépare la population pauvre de la classe commerçante, les deux étant liées en quelque sorte par la Plaque, le marché noir. Les rapports entre les districts, chacun spécialisé en certains produits, sont très réduits.
Dans leur article sur la dystopie et les histoires, R. Baccollini et T. Moylan développent une idée qui s’applique parfaitement à notre texte et que nous reprenons dans ce qui suit. Il s’agit, dans notre cas également, d’une construction autour d’une narration de l’ordre hégémonique et d’une contre-narration de la résistance[16]. Le texte ouvre in medias res, dans la société cauchemardesque. La séparation cognitive est d’abord anticipée par l’immédiateté et la normalité de l’emplacement. Il n’est pas nécessaire de rêver à ou de voyager vers cet endroit de la vie de tous les jours. Comme en beaucoup des textes de science-fiction, le protagoniste aussi bien que le lecteur sont déjà dans le monde en question, immergés dans cette société de manière irréfléchie. Toutefois, une contre-narration se développe pas à pas, par le déplacement du citoyen dystopique du contentement apparent vers une expérience de l’aliénation et de la résistance. La structure stratégique de la narration et de la contre-narration est réalisée par l’utilisation sociale et antisociale du langage. Le conflit du texte tourne autour du contrôle du langage. L’ordre officiel, hégémonique est basé tant sur la contrainte que sur le consentement. La force matérielle de l’économie et l’apparat d’État contrôlent l’ordre social et le maintiennent. Mais le pouvoir discursif exercé dans la reproduction du sens et l’interpellation des sujets est une force complémentaire et nécessaire. Le langage est une arme pour le maintien de la structure dystopique. Par conséquent, la résistance du protagoniste dystopique commence souvent par une confrontation et la réappropriation du langage jusque là interdit, ou bien devenu propagande. Ce processus par lequel on reprend le contrôle du langage, des représentations, de la mémoire et de l’interpellation est une arme et une stratégie cruciales vers le déplacement de la résistance d’une prise de conscience initiale vers une action qui conduit à un événement crucial qui tend à changer la société. À l’opposé du plan utopique de déplacement, d’éducation et de retour d’un visiteur informé, la dystopie produit son propre « compte rendu » didactique sur l’affrontement résulté de la confrontation critique avec les contradictions de la société présente dès la première page[17].
L’évolution de Katniss est reflétée dans le langage. Une enfance difficile du point de vue matériel mais entée sur un caractère fort conféré par l’harmonie familiale et l’amour se trouvent à l’origine de sa personnalité. C’est à partir de l’âge de presque douze ans qu’elle est obligée de transgresser l’interdit en dépassant les « frontières » imposées par les autorités à la recherche de la nourriture. Le véritable courage naît en conditions de crise profonde. Les privations entées sur l’amour libèrent.
Elles représentent d’abord une lutte pour la survie : « De toute façon, Gale et moi sommes d’accord : entre crever de faim et recevoir une balle dans la tête, mieux vaut une mort rapide »[18]. Le phénomène qui provoque l’humilité et par lequel la population de Panem peut être dominée est de nature purement psycho-physiologique : la faim et, lors des jeux proprement dits, la soif. Mais, dans le cas de Katniss, ces privations prennent vite la forme du sacrifice de soi exprimé tant par les paroles que par les actes. Lorsque le tirage au sort fait entendre le nom de Prim, sa petite sœur, Katniss reste muette pour quelques instants pour vite reprendre ses esprits : « Je suis volontaire ! m’écriai-je. Je me porte volontaire comme tribut ! »[19]. Les mots prononcés par Katniss, comme ceux de Thésée qui veut sauver les jeunes d’Athènes, « Je me porte volontaire », dans le plus pauvre et le plus noir des districts, où rien d’intéressant n’arrive, surprennent et bloquent Effie Trinquet, la déléguée du Capitole, aussi bien que le maire : ils ne savent que dire, le « public » garde le silence, il n’applaudit pas. Au contraire, un premier signe de révolte se manifeste : « Une personne, puis deux, puis quasiment toute la foule porte les trois doigts du milieu de la main gauche à ses lèvres avant de les tendre vers moi. C’est un vieux geste de notre district, rarement utilisé, qu’on voit parfois lors des funérailles. Un geste de remerciement, d’admiration, d’adieu à ceux que l’on aime. » La réaction de Haymitch, ex-combattant dans les jeux, est elle aussi annonciatrice de futurs événements : « Elle me plaît ! […] Plus que vous tous ! […] Plus que vous tous ! crie-t-il en pointant le doigt vers la caméra. S’adresse-t-il aux spectateurs, ou bien est-il soûl au point d’insulter le Capitole ? »[20]. Ce Capitole qui disait indirectement au peuple de Panem : « Regardez, nous prenons vos enfants, nous les sacrifions, et vous n’y pouvez rien. Si vous leviez seulement le petit doigt, nous vous éliminerions jusqu’au dernier. Comme nous l’avons fait avec le district Treize »[21].
Le pouvoir, la force, imposées par un langage voilé qui cache une réalité cruelle sont bien évidentes depuis les premières formules, « Joyeux Hunger Games ! », ou « Bonne chance et puisse le sort vous être favorable ! », prononcées dans des circonstances d’une cruauté inimaginable. De même, les dénominations choisies : Pacificateurs pour la police, Capitole pour la capitale, la Corne d’abondance pour l’aide offerte aux tributs lors de l’entrée dans l’arène et qui devient le lieu des premiers massacres, le tessera, la Moisson, le Grand Cirque[22].
La signification de ces dénominations est contrecarrée par celle qui désigne le porte-chance de Katniss, la broche représentant un geai moqueur :
C’est un drôle d’oiseau qui représente une forme de camouflet pour le Capitole. Pendant la rébellion, ce dernier avait modifié génétiquement plusieurs espèces animales afin de s’en servir comme armes. L’une d’elles, le geai bavard, avait la faculté de mémoriser et reproduire des discussions entières. Exclusivement mâle, il regagnait toujours son gîte à la manière d’un pigeon voyageur. Le Capitole en a lâché un grand nombre au-dessus des régions où se cachaient des ennemis. Les oiseaux recueillaient ce qu’ils entendaient, puis regagnaient leurs centres pour les répéter. Les gens ont mis un moment à comprendre ce qui se passait dans les districts, comment leurs conversations étaient espionnées. Ensuite, bien sûr, les rebelles se sont amusés à inonder le Capitole de mensonges invraisemblables, et tout le monde en a fait des gorges chaudes. Puis les centres ont été fermés et les oiseaux abandonnés dans la nature pour mourir.[23]
Mais la nature ne suit pas les desseins des humains. Si bien que, accouplés à des moqueurs femelles, ces geais ont engendré une nouvelle espèce qui imitait non seulement la voix humaine, sans être cependant capables de prononcer des mots, mais aussi le chant des oiseaux. Ils étaient capables de reproduire des airs complexes s’ils trouvaient agréable la voix humaine qui les interprétait. Lorsque Rue meurt sous les yeux de Katniss, pour défier le Capitole et pour lui montrer qu’elle n’est pas d’accord avec la cruauté et qu’elle ne fait pas son jeu de manière volontaire, celle-ci chante une berceuse à Rue et cueille des fleurs dont elle couvre son corps avant qu’il ne soit « cueilli » à son tour par les hovercrafts. Sa chanson est reprise par les geais moqueurs[24]. Katniss comprend et fait siennes les paroles que Peeta avait prononcées sur la terrasse, avant l’entrée en arène : « […] je veux mourir en étant moi-même. Tu comprends ? […] Je ne veux pas changer dans l’arène. Me transformer en une espèce de monstre que je ne suis pas. […] Je voudrais seulement trouver un moyen de… montrer au Capitole que je ne lui appartiens pas. Que je suis davantage qu’un simple pion dans les Jeux »[25].
Katniss a du mal à mentir ; la rectitude de son caractère ne le lui permet pas ; c’est ce qui l’empêche de faire bonne figure devant les caméras lors des interviews avant et après les Jeux. D’un bout à l’autre de cette trilogie, Katniss reste le symbole de l’opposition face au régime oppressif et de la route vers la maturité – hâtée par sa position et par l’évolution mouvementée des événements – qui la rendent sage. Elle apprend que dire la vérité en face, comme un défi, n’est pas toujours la meilleure solution. À la fin, quand le régime dictatorial de Snow s’effondre par un terrible massacre des enfants du Capitole et par la mort de Prim, Katniss change de tactique : elle fait semblant d’entrer dans le jeu de Coin, la chef de la révolte et dirigeante du district Treize qui fonctionnait en cachette comme une sorte de service de Sécurité, celle-ci proposant de finir cette révolte par une dernière reprise des jeux cruels ayant cette fois comme tributs « les enfants des personnes qui détenaient le plus de pouvoir », c’est-à-dire des enfants du Capitole, au lieu d’éliminer tout sa population. Ce faire semblant est doublé par la prise de conscience d’une autre réalité troublante : si on veut arrêter les massacres et donner un sens à cette révolte sanglante, c’est Coin qui doit être éliminée, et Katniss tue pour la dernière fois.
Jeux-encrages
La mythologie classique y est de mise. La trilogie dystopique prend la forme d’un mythe moderne adapté en fonction des changements opérés par l’époque historique vécue. Dans la Rome antique, l’autorité céleste et terrestre était représentée par le Mons Capitolinus. Aux États-Unis contemporains, au Capitole de Washington D.C. siège le Congrès américain (Sénat et Chambre des représentants) tandis que dans chacune des capitales des cinquante États américains se trouve un capitole qui abrite la législature de l’État. Dans Panem, la seule autorité législative est celle du Capitole et la seule indication qui pourrait renvoyer à une autorité non terrestre réside dans la formule « Puisse le sort vous être favorable ! », formule adressée aux tributs qui vont entrer dans l’arène et dont un seul survivra.
D’après J. M. Racault, « l’imagination n’est pas une faculté d’invention, mais une faculté de combinaisons, nécessairement condamnée, si l’on ose dire, à faire de l’Autre avec du Même : comme la Chimère du Discours de la méthode, façonnée à partir d’‘une tête de lion entée sur le corps d’une chèvre’, l’imagination procède par raboutage de pièces empruntées au réel »[26] plus ou moins rapproché ou à la mythologie ; le roman Hunger Games serait, dans ce contexte, la preuve du fait que, dans le parcours de l’humanité, il y a des schémas qui se répètent perpétuellement mais qui habitent de nouvelles formes et de nouveaux espaces auxquels ils s’adaptent. En fin de compte, la leçon à apprendre est la même, elle s’adresse à chaque fois à ces nouvelles formes qui constituent l’humanité du moment. Qu’y a-t-il de vérifiable de la réalité d’aujourd’hui dans les Hunger Games ? L’économie du marché, le luxe démuni de finalité à long terme offert par les découvertes de la technique, une humanité, qui a oublié son essence et qui se laisse aller dans un bonheur illusoire marqué par le bien-être matériel, par les spectacles qui lui donnent l’impression de vivre par délégation (voir la téléréalité).
On constate avec surprise que l’intellectuel n’a pas de place dans ce contexte : les enfants, comme Prim, la sœur de Katniss, vont à l’école, mais on ne parle de livres qu’au passage, seulement des programmes télévisés ou de choses très concrètes : « À l’école, presque tout se ramène au charbon. Hormis l’apprentissage de la lecture et des mathématiques, l’essentiel de notre instruction est lié au charbon. À l’exception du sermon hebdomadaire concernant l’histoire de Panem, dans lequel on nous rabâche tout ce que nous devons au Capitole »[27]. Les seuls livres mentionnés au cours de l’histoire sont ceux de plantes, la pharmacie naturelle de la mère de Katniss, sorte de « magicienne » qui s’occupe des malades du district Douze. De même, Peeta, le talentueux boulanger, peint, fait des gâteaux artistiquement décorés. L’art sert également dans l’industrie de la mode et dans celle de la chirurgie esthétique : les habitants du Capitole s’intéressent aux deux. Les émissions télévisées, ces jeux même, avec les jours qui les précèdent, peuvent relever de l’art. Les spectateurs participent en direct aux Jeux de la Faim, aux massacres, et ils éprouvent une joie immense, leurs émotions sont éveillées et purgées. Comment pourrait-on appliquer dans ce contexte l’idée reprise par Wolf Lepenies[28] aux cours hégéliens sur l’esthétique et la philosophie de l’art ? Hegel soutient que le beau de l’art, comme un génie amical, traverse toutes les préoccupations de la vie et pare avec sérénité toutes les circonstances en adoucissant le sérieux des relations et les complications de la réalité, en nous remplissant de manière divertissante les moments de repos ; ainsi, insidieusement, là où on ne peut plus réaliser quelque chose de bon, il occupe du moins la place du mal mieux que le mal lui-même. On dirait que dans les Hunger Games l’art, du moins pour le Capitole, a dépassé ces limites, qu’il n’est plus capable de masquer le mal.
Les renvois à l’histoire, les allusions aux jeux olympiques de l’antiquité grecque, aux luttes des arènes romaines ne sont pas difficiles à discerner. Le canevas est très simple : une société totalitaire, despotique même, ayant une organisation spécifique avec un sérieux appareil de répression masqué sous des dénominations suggestives. Même la coïncidence entre le nombre des jeux olympiques de la Grèce antique et celui des Hunger Games est suggestive. Les conclusions sont tout aussi simples : il y a des schémas qui se répètent, l’humanité ne peut pas trop changer d’une génération à l’autre, d’un siècle à l’autre, d’un millénaire à l’autre. Si Katniss se révolte et ose changer l’habitude des jeux c’est que d’un côté le public a besoin de nouveauté et que, de l’autre côté, le changement de mentalités se produit lentement. Ceux des premiers jeux de la faim avaient plus peur, ils n’étaient pas encore détachés des événements cruels qui leur avaient donné naissance. On peut en même temps remarquer la perte graduelle de repères dans notre monde : si les Jeux Olympiques avaient derrière eux une tradition religieuse, s’ils étaient avant tout organisés en l’honneur des divinités[29], le monde romain les a transformés petit à petit en preuve de sa faiblesse et de sa cruauté. Il faudrait se rappeler, en ce sens, les réflexions de Montesquieu sur les causes de l’ascension et de la décadence de l’empire romain.
De nos jours, « jouer c’est gagner, ou du moins c’en est la perspective. […] Mais cela n’est pas jouer. C’est se soumettre dans la plus totale ignorance, à des calculs de probabilité très poussés qui sont réalisés par des entreprises de jeux de loterie, dont le but est évidemment de se garantir un minimum de gagnants aux prétendus jeux qu’elles proposent »[30]. Observation banale au premier abord, mais combien de choses essentielles se cachent sous le masque de la banalité ? Seulement les spécialistes savent aujourd’hui qu’« autrefois, dans toutes les sociétés primitives et les civilisations antiques, le jeu avait un caractère initiatique. […] à l’origine, le but du jeu était le plus souvent de gagner sa vie, c’est-à-dire de gagner le droit de conserver sa vie, d’en être maître, de la ravir aux dieux. Pour le vainqueur du jeu, il s’agissait en quelque sorte d’une seconde naissance »[31]. Parti d’un point de vue spirituel, le jeu est devenu social, récréatif ou éducatif. De nos jours, les jeux « sont comme des espèces de rappel à l’ordre ». Il revient à chaque être humain de voir de quel ordre il s’agit. De celui dans lequel il se sert de l’imagination des autres pour se laisser dominer ou bien de celui qui « fait appel à l’imagination, à l’inspiration, à la réflexion, à la volonté » personnelles afin de comprendre que « la plupart des légendes mythiques ou des contes populaires sont plus ou moins des mises en scène de personnages évoluant dans un jeu : le jeu de la vie ! »[32]. Faudrait-il compter le nombre des épreuves auxquelles Katniss répond pour les assimiler aux travaux d’Héraclès que Didier Colin met en rapport avec les signes du Zodiaque, chacune de ses victoires représentant une étape de gagnée dans la connaissance et la conscience de soi ? Le labyrinthe qui enferme le Minotaure, vu en analogie avec le cercle, la croix et la spirale peut-il être mis en rapport avec les soixante-quinzièmes Jeux de la Faim imaginés sous forme de cadran d’une montre géante qui offre aux tributs, à intervalles réguliers des surprises mortelles ? La construction du roman, par multiples de trois – chaque volume de la trilogie a trois parties, chaque partie comprend neuf chapitres – invite elle aussi à la réflexion. À l’appui de l’affirmation que les épreuves subies par Katniss peuvent être nommées initiatiques vient le final de la trilogie. Elle a été le symbole de la révolte, elle s’est sacrifiée pour un monde meilleur sans attendre pour cela de gouverner Panem. Au contraire, elle se retire dans sa maison du district Douze pour mener une vie tranquille à côté de Peeta et leurs deux enfants. Par ces derniers, l’espoir refait surface. Car qui voudrait avoir des enfants sous la menace des Jeux ?
En tout état de cause, pour créer cet univers dystopique, Suzanne Collins n’aurait pas pu trouver une assimilation plus appropriée du passé avec le présent que celle visant les séries de téléréalité. Il ne faut penser qu’à la série Big Brother[33] depuis 1999, en référence avec le personnage du roman Nineteen Eighty-Four d’Orwell qui surveille tout le monde. Dans le jeu de cette série, douze participants sont enfermés pendant plusieurs semaines sous surveillance continue d’un système vidéo.
Au seuil de la mort, les tributs des Hunger Games sont conscients du fait qu’ils offrent un spectacle sur le vif. Dans ces conditions, ils jouent la « comédie » : « Un baiser égale un pot de bouillon. Je ne peux pas le dire à haute voix. Cela donnerait à penser au public que notre belle histoire d’amour n’est qu’une comédie destinée à inspirer la sympathie. Ce n’est pas comme ça qu’on obtiendrait de la nourriture. Je dois trouver un moyen crédible de relancer la mécanique »[34]. Ou bien « Le district Douze doit être en ébullition. Il est si rare que nous ayons encore des tributs à ce stade des Jeux. Les gens doivent vibrer pour Peeta et moi, encore plus maintenant que nous sommes ensemble. Si je ferme les yeux, je parviens à imaginer leurs cris d’encouragement devant l’écran. Je vois leurs visages – Sae Boui-boui, Madge ou même les Pacificateurs qui m’achètent mon gibier – en train de nous acclamer »[35].
Pour faire le point
Beaucoup de choses restent encore à dire. Mais partant de ce qui a été déjà dit, nous pouvons conclure que l’histoire de l’humanité est constituée de la répétition à l’infini des schémas existentiels, que le but de l’être humain est la quête de soi qui se réalise le plus souvent par la mise à l’épreuve. Plus les épreuves sont dures, plus on a la possibilité de se découvrir. En fin de compte, les écrits dystopiques ont un rôle positif et la mission de la science-fiction spéculative devient très importante.
Bibliographie
Collins, Suzanne, Hunger Games, traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume Fournier (The Hunger Games, New York, Scholastic Press, 2008), Pocket Jeunesse, 2009.
Collins, Suzanne, Hunger Games. L’embrasement. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume Fournier (The Hunger Games, New York, Scholastic Press, 2009), Pocket Jeunesse, 2010.
Baccolini, Raffaella et Moylan, Tom, « Dystopia and Histories », in Dark Horizons. Science Fiction and the Dystopian Imagination, Raffaella Baccolini et Tom Moylan éds.,New York,London, Routledge, 2003, p. 1-12.
Cassin, Barbara, Lichtenstein, Jacqueline, Thamer, Elisabete, « Catharsis », Dictionnaires le Robert, Le Seuil, 2003, consulté en ligne, http://robert.bvdep.com/public/vep/Pages_HTML/CATHARSIS.HTM, le 22 septembre 2012. Colin, Didier, Dictionnaire des mythes, des symboles et des légendes, Hachette Livre (Hachette Pratique), 2006.
Dikeç, Mustafa, « L’espace, le politique et l’injustice », document en ligne, http://www.jssj.org/archives/01/media/dossier_focus_vt6.pdf, 14 pp., consulté le 30 août 2012.
Lepenies, Wolf, Ascensiunea şi declinul intelectualilor în Europa, Cluj-Napoca, Casa Cărţii de Ştiinţă, 2005.
Racault, Jean-Michel, L’utopie narrative en France et en Angleterre.Oxford, The Voltaire Foundation at theTaylor Institution, 1991.
Johnson-Woods, Toni, Big Bother: Why Did That Reality TV Show Become Such a Phenomenon?,Australia,University ofQueensland Press, 2002.
http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_dystopian_literature, consulté le 12 septembre 2012.
Notes
[2] Hunger Games pour le premier, le même pour les deux autres qui ajoutent en sous-titre L’embrasement, respectivement La révolté. Le premier volume comprend trois parties : « Les tributs » (9), « Les jeux » (18), « Le vainqueur » (27) ; le deuxième : « L’étincelle », « L’expiation », « L’ennemi » ; le troisième : « Les cendres », « L’assaut », « La meurtrière ».
[3] Lyman Tower Sargent, « The Three faces of Utopianism Revisited », Utopian Studies 5.1., 1994, p. 1-37 : « Utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space; Eutopia or positive utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space that the author intended a contemporaneous reader to view as considerably better than the society in which the reader lived; Dystopia or negative utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space that the author intended a contemporaneous reader to view as considerably worse that the society in which that reader lived as distinct from Anti-utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space that the author intended a contemporaneous reader to view as a criticism to utopianism or some particular utopia. » Cité en notes par Raffaella Baccolini et Tom Moylan « Dystopia and Histories », in Dark Horizons. Science Fiction and the Dystopian Imagination, éd. Raffaella Baccolini et Tom Moylan, New York, London, Routledge, 2003 (p. 1-12), p. 9.
[5] Suzanne Collins, Hunger Games, traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume Fournier (The Hunger Games, New York, Scholastic Press, 2008), Pocket Jeunesse., 2009, p. 24.
[6] Suzanne Collins, Hunger Games. L’embrasement, traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume Fournier (The Hunger Games, New York, Scholastic Press, 2009), Pocket Jeunesse., 2010, p. 179-180.
[7] Jean-Michel Racault, L’utopie narrative en France et en Angleterre. The Voltaire Foundation at the Taylor Institution, Oxford, 1991, p. 31.
[11] Citée par J.-M. Racault, op. cit., p. 4, de La letteratura utopica inglese, Ravenna, 1979, p. 8.
[13] Suzanne Collins, Hunger Games II, ed. cit, p. 207-209. Lors de l’édition des Jeux à laquelle il participe comme tribut, Haymitch découvre « une bande de terre nue et sèche qui s’achève en à-pic », au pied de laquelle « on aperçoit des rochers. […] Un caillou roule sous son pied et tombe dans le gouffre. Une minute plus tard, alors qu’il s’est assis pour souffler un moment, le caillou émerge du vide et retombe juste à côté de lui. […] Il lance une grosse pierre dans le vide et attend. Quand la pierre lui revient dans la main, il éclate de rire. » C’est grâce à cette découverte qu’une hâche qui tombe dans le même précipice revient pour tuer son adversaire et pour faire de lui le tribut vainqueur.
[14] Mustafa Dikeç, « L’espace, le politique et l’injustice » : « La notion de ‘spatialité de l’injustice’ se fonde sur l’idée que la justice a une dimension spatiale, et qu’on peut observer et analyser différentes formes d’injustice qui se manifestent dans l’espace. L’‘injustice de la spatialité’, elle, renvoie non aux manifestations spatiales de l’injustice mais aux dynamiques structurelles qui produisent et reproduisent l’injustice par le biais de l’espace. » Un double intérêt donc, pour les manifestations spatiales de l’injustice d’un côté, pour les processus qui produisent les injustices spatiales de l’autre. Dans ce contexte, Dikeç cite le sociologue Loïc Wacquant qui, en 1999, parlait des « images dystopiques de la ville américaine » en faisant référence aux émeutes des banlieues américaines qui ont influencé les banlieues françaises. Il s’agit de l’article « America as social dystopia: The politics of urban disintegration, or the French uses of the ‘American Model’ », in P. Bourdieu et al. (eds), The Weight of the World: Social Suffering in Contemporary Society, Trans. by P. P. Ferguson et al. [La misère du monde, 1993, Editions du Seuil, Paris] (Stanford University Press, Stanford), pp. 130-39.
Document en ligne, http://www.jssj.org/archives/01/media/dossier_focus_vt6.pdf, p. 2, 8, consulté le 30 août 2012.
[16] R. Baccolini et T. Moylan citent Jameson Fredric, The Seeds of Time,New York: Columbia UP, 1994, p. 56, in art. cité, p. 8.
[22] À cela se rajoutent les noms de quelques personnages. Les stylistes s’appellent : Venia, Octavia, Portia, Flavius, Cinna. Claudius (Templesmith) est le médiateur ou le modérateur aux jeux ; il est celui qui s’occupe des interviews dans le cas des tributs, aussi bien que celui qui annonce les règles du jeu (par exemple quand les règles changent par rapport aux éditions précédentes « les deux tributs d’un même district seront déclarés vainqueurs s’ils sont les deux derniers en vie » (vol. I, p. 250). Un des tributs s’appelle Cato, d’autres personnages, Seneca, Caesar, Plutarch.
[26] J.-M. Racault, op.cit., p. 21, cite Descartes du Discours de la méthode, IV, in Œuvres et lettres, Bibliothèque de la Pléiade (Paris, 1958), p. 153.
[28] Wolf Lepenies, Ascensiunea şi declinul intelectualilor în Europa, Cluj-Napoca, Casa Cărţii de Ştiinţă, 2005, p. 102. Cité de Vorlesungen über die Ästhetik, in Id., Werke, vol. XIII, éd. par Eva Moldenhauer et Karl Markus Michel, Suhrkampf, Frankfurt a.M., 1970, p.16, paraphrasé par nous d’après l’« Introduction » de la traduction roumaine », Prelegeri de estetică de D.D. Roşca, vol. I, Bucureşti, Ed. Academiei R.S.R., 1966, p. 9.
[29] Un seul exemple nous paraît édifiant. La mise en parallèle de la signification de la Moisson dans Panem avec celle de l’antiquité grecque et du monde chrétien.
Du bouc émissaire au plaisir tragique, le sens du mot moisson peut être lié toujours à la Grèce antique, à la purification de la cité. L’adjectif katharos, associe la propreté matérielle, celle du corps (il s’applique à l’eau, au grain également), et la pureté de l’âme, morale ou religieuse. Purifier la cité « nettoyer, purifier, purger » renvoie en particulier au rituel d’expulsion pratiqué à Athènes la veille des Thargélies. Au cours de ces fêtes, traditionnellement dédiées à Artémis et à Apollon, on offrait un pain, le thargêlos [θάργηλος], fait des prémices de la moisson ; mais il fallait d’abord purifier la cité, en expulsant des criminels (cf. lexique d’Harpocration : « Les Athéniens, lors des Thargélies, excluent deux hommes, comme exorcismes purificatoires, de la cité, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes »), puis des boucs émissaires, selon le rituel du pharmakos [ϕαρμακός]. Apollon lui-même est dit katharsios [καθάρσιος], purificateur, d’ailleurs contraint à la purification après le meurtre de Python à Delphes : selon le Socrate du Cratyle, il est bien nommé apolouôn [ἀπολούων], « qui lave », dans la mesure où la musique, la médecine et la divination qui le caractérisent sont autant de katharseis [καθάρσεις] et de katharmoi [καθαρμοί], de pratiques de purification (405a-c). Barbara Cassin, Jacqueline Lichtenstein, Elisabete Thamer, Dictionnaires le Robert, Le Seuil, 2003. Cf. http://robert.bvdep.com/public/vep/Pages_HTML/CATHARSIS.HTM.
Dans le même ordre d’idées, « la fête de la Pentecôte fait partie des trois fêtes dites de « Pèlerinage ». La Bible lui donne différents noms : Fête des Moissons (Exode 34 :16) – Fête des Semaines (Exode 34 :12) – Fête des Prémices (Nombres 28 :26). La tradition rabbinique l’appelle aussi « Fête des Clôtures » du cycle pascal. Cette appellation marque la liaison qui a toujours été établie dans la liturgie juive entre Pessah (Pâque) et Chavouoth (Pentecôte), liaison concrétisée, dès les temps bibliques, par l’OMER : l’offrande de la première gerbe de la moisson (Lévitique 23 : 9-17). Cette offrande devait être faite le lendemain du jour de Pâques ; après quoi, on pouvait manger de la nouvelle récolte. » Cf. http://www.rosee.org/rosee/page41.html. Sites consultés le 22 septembre 2012.
[30] Didier Colin, Dictionnaire des mythes, des symboles et des légendes, Hachette Livre (Hachette Pratique), 2006, p. 309.