Olympia G. ANTONIADOU
Université Aristote, Thessalonique, Grèce
MONDIALISATION ET IDENTITÉ : LE CAS DE VASSILIS ALEXAKIS
Vers un discours sur la mondialisation/
Globalisation and Identity: Vassilis Alexakis’s case
Abstract: This article seeks to demonstrate how Alexakis, a Greek-French-speaking author, through his writing, produced in a set claimed to be multicultural, escapes the risk to undermine his identity self-determination, how he is ensured on his own originality through this mosaic and, how he finally acquires a universal dimension. At first sight, the concepts of identity and universalization seem radically opposite: the personal versus the universal one. The case of Alexakis, on the contrary, testifies how the identity, by its nature into full becoming, can go through several stages and acquire, finally, universal dimensions, although often anchored in the local. Typical representative of all emigrants, with the constant reference to his own situation of emigrant, all his work is a game of identity unfolding, aiming at deciding which culture (that of birth, the Greek one, or that of adoption, the French one) he belongs to. This bi-directional course takes various forms being expressed through a specific set of themes, common to the entire human community (death, love, language, exile). The solution to this dilemma is given through an African “minor” language, the sango, which shows him the way to dodge the French-Greek bi-polarity. Thanks to this dialect, his writing is set up to a planetary standard, since it is a writing which implies the feeling of belonging to the same interdependent community, of a mutual sharing of values across nationalities, borders and cultures, towards the respect of the others, including its differences, in favor of the cultural diversity and the pluri-linguism. This attempt opened the door to a more widened reception of Alexakis’ work and it could be used as a starting point towards the concept of a global human identity.
Keywords: Greek literature, Vassilis Alexakis, universalism, identity, bilinguism
La mondialisation[1], une activité principalement mercantile, propulsée par le désir de profits, est un concept qui concerne d’abord le marché financier visant à l’abolition des frontières entre les marchés du monde et secondairement le marché de l’information. La littérature pour sa part, en tant que produit symbolique (Bourdieu, 1992: 210), entre dans ce contexte socio-économique de la fin du siècle et devient un des paramètres du processus. Si l’on admet que la mondialisation est aujourd’hui la toile de fond de la littérature, on peut légitimement se demander s’il existe un lieu où se jouent les rapports entre la littérature, activité d’inspiration imaginaire et la mondialisation. Pour le mode d’interaction spécifique entre les deux on doit « essayer d’établir des parallèles et de trouver des analogies entre la notion de mondialisation qui concerne l’économie et la société de notre temps et la représentation de cette réalité par des moyens de logos » (Siaflékis, 2000: 181). Selon Barthes, la littérature se distingue de la mondialisation par son statut discursif dont les trois supports fondamentaux, sont la mathésis, le savoir, la mimésis, la représentation et la sémiosis, la production du sens (Barthes, 1978: 17). La littérature, au centre des polysystèmes culturels et sémiotiques, est un des instruments les plus aptes à « globaliser » l’imaginaire individuel et collectif de l’homme contemporain.
Aujourd’hui, deux siècles après la « découverte » des cultures par Voltaire (Voltaire 1739, 1756)[2], la littérature affirme de plus en plus sa vocation internationale. Le franchissement des frontières linguistiques et culturelles, la rencontre perpétuelle avec de nouvelles formes de culture partout sur notre planète, lui attribuent la qualité d’une composante de l’époque de la globalisation. Or, étudier la littérature uniquement en tant que produit de cette époque, me paraît extrêmement difficile, tellement elle garde son autonomie, en tant que discours, par rapport à d’autres activités spirituelles et préserve sa fonction référentielle (Siaflékis, 2000 : 181).
La mondialisation ne correspond que superficiellement à l’universalisme[3]. Entre l’une et l’autre s’interposent (sur le plan économique tout autant que sur la plan culturel) des forces qui, d’une part, dévoilent le caractère idéologique et problématique de l’universalisation économique ou littéraire et d’autre, elles mettent en valeur les données locales, nationales, marginales et identitaires des économies, des cultures ou des littératures qui cherchent une reconnaissance internationale. En ce qui concerne la littérature, la tension dialectique qui s’exerce entre le local, le national, la marginal et l’identitaire d’une part, et le mondial, d’autre part, devient porteuse de transformations dans le canon universel (Krysinski, 2000: 154).
Les systèmes littéraires authentiques, qui s’appuient sur la tradition et sur l’histoire, diffèrent des régimes globalitaires, qui utilisent uniquement la raison instrumental et pragmatique.
La reconstruction et la construction de l’identité passent par la mise en œuvre d’une dialectique de la mémoire et de la conscience immédiate entre le passé et le présent. Dans l’approche diachronique de l’identité nationale se superposent des mythes et des récits qui sont les garants da son authenticité (Krysinski, 2000: 155).
Si l’on s’efforce de cerner les enjeux d’une analytique de la globalisation par la littérature, il semble, selon le modèle proposé par Mireille Calle-Gruber, qu’ils concernent trois domaines essentiellement : a) quant à la langue, un procès de déconstruction place le rapport de propriété (la langue dite maternelle) à l’enseigne de la partition des voix ; b) quant à la visée totalisante, un procès critique s’élabore par la pensée de la communauté et du commun ; c) quant au rôle de l’intellectuel, un procès autoréfléxif en fait un être de partages, d’intermittences et de retrait (Calle-Gruber, 2000 : 208).
Il est évident que la mondialisation, souvent présentée comme phénomène négatif, entraîne avec elle certains processus positifs (Pratt 1995: 58-65) auxquels la littérature n’est pas restée indifférente. Il est incontestable que la communication et le marché, deux modèles dominants ont contribué à la création de ce qu’on pourrait nommer la conscience globale de l’« axiologie de valorisation globale » :
Il s’agit d’une littérature qui s’adresse donc au destinataire global. Les succès internationaux de certains romans pourraient être vus comme l’expression d’une conjonction heureuse – un kaïros – entre la nature de ces romans et les besoins du marché mondial (Krysinski, 2000: 153).
Ces romanciers se sont imposés comme narrateurs du monde entier, tout en créant dans des productions romanesques particulières, mais à vocation globale. Un éventuel attentat de formuler une définition du « romancier universel », offrirait une bonne occasion de réfléchir à la philosophie du temps historique et de replacer celui-ci dans le contexte de deux domaines la littérature et la mondialisation. Le temps peut être saisi par deux mesures complémentaires, « la longue durée » et « la courte durée » ; Octavio Paz précise :
La première désigne les grands rythmes qui, à travers des modifications d’abord imperceptibles, altèrent les vieilles structures, en créant de nouvelles et mènent ainsi à leur terme des transformations sociales lentes mais irréversibles. La « courte durée », par contre, est le domaine de l’événement par excellence.
et propose la synthèse suivante :
Du point de vue de la « courte durée », les figures ne se répètent pas : l’histoire est création incessante, nouveauté, le royaume de l’unique et du singulier. Mais du point de vue de « la longue durée », on perçoit des répétitions, des recommencements ; bref, des rythmes. Les deux visions sont justes. (Paz, 1985 : 8).
Un aspect important de la globalisation contemporaine de la culture est la conscience d’exilé, devenue un composant important de la littérature contemporaine, tout comme l’exil[4]. Pendant tout le XXe siècle, des raisons politiques et économiques ont forcé une partie considérable de la population du monde à émigrer. La globalisation implique une sorte de disparition des frontières, alors que l’exil consiste en perte de ses racines, de sa terre. La tentative d’éliminer des frontières et d’élever les cultures locales projette des auteurs dans une sorte d’exil global, dans laquelle la perception de l’espace joue un rôle important : l’espace se transforme en distance, dans la perception d’être ailleurs de sa langue, son passé et sa culture, puis de plus en plus importance est donnée à la mémoire et à la littérature comme capable exprimer la mémoire. La globalisation de la littérature et de la culture renforce l’état de l’exil de l’auteur. Non seulement est maintenant l’exil la seule identité possible pour beaucoup d’auteurs contemporains, en opposition aux excès commis par le nationalisme, mais l’exil a également été intériorisé chez des auteurs qui ne sont pas en exil mais qui éprouvent le sentiment d’être exilés dans un monde étranger. Parallèlement à la globalisation, il y a une sorte de déracinement global qui incite des auteurs à trouver leur patrie seulement dans leur écriture, dans l’« espace de la mémoire et des mots » (Ambrosioni, 2000: 261).
Si l’on admet que la mondialisation se propose d’engendrer un modèle humain uniforme, l’« homme unidimensionnel », « l’homme ‘mondial’, c’est-à-dire l’atome infra-humain, vidé de culture, de sens et de conscience de l’autre » (Pratt, 1995: 56) on comprend pourquoi dans l’âge de la globalisation peut-être plus que jamais, les auteurs prennent conscience de l’universalité en recherchant dans le local, dans leur mémoire, dans l’héritage culturel de leur terre et de leur langue.
L’itinéraire identitaire de Vassilis Alexakis
L’itinéraire romanesque de Vassilis Alexakis présente un intérêt particulier, puisqu’il s’étend à une époque des changements sociopolitiques radicaux. Si on essayait de schématiser le parcours identitaire d’Alexakis, qui s’étend au niveau synchronique à plusieurs aspects (celui de la langue, celui de la conscience d’écrivain, celui de la conscience personnelle et enfin celui de la thématique), on pourrait en distinguer trois grandes étapes au niveau diachronique.
Première étape
Vassilis Alexakis émigre en France au moment où un coup d’Etat éclate en Grèce et où
l’Europe occidentale – l’Europe du Marché Commun – épuisée de ses divisions et concurrences se prête à changer de “mentalité” et à s’orienter vers un esprit d’unicité” montre bien non seulement la crise de l’hellénisme face à l’esprit occidental moderne mais décrit surtout l’embarras de l’homo europeus face à l’affrontement des cultures de son vieux continent, souligne l’ambiguïté de l’existence individuelle, valorise le passé et le présent d’un devenir civilisateur (Fréris, 1990 : 143).
C’est aussi une des époques du grand mouvement migratoire des Grecs vers l’Europe, l’Amérique et l’Australie, une époque où l’idéologie dominante est celle de la nation et de la civilité bien distinctes[5]. Les émigrés grecs, de peur de perdre leur identité grecque, forment des grandes communautés solides et concrètes. Le cas d’Alexakis présente quelques particularités, puisque la France constituait la destination préférée de la diaspora intellectuelle et en grande partie volontaire, à l’opposition des autres destinations choisies par des émigrés disons « économiques ». À l’envers, le modèle français d’intégration de l’époque, l’assimilation ou l’assimilationniste, se situait aux antipodes des perspectives multiculturelles[6]. Dans un tel contexte sociopolitique, Alexakis, tout en s’expérimentant avec plusieurs et divers types littéraires et artistiques (aphorismes, essais, histoires illustrées, dessins humoristiques, nouvelles, romans), il fait son début d’écrivain, en visant, au premier plan, au public français.
Le héros du premier roman d’Alexakis, Les Girls du City Boum-Boum[7], Paul Dumoulin, comprend les autres mais refuse de s’adapter préférant l’isolement dans le monde de ses rêves et la fuite de la réalité. Il ne s’agit pas d’un tableau d’ensemble de la société mais d’une catégorie de la communauté sociale, celle de la presse. C’est l’époque où Alexakis commence sa carrière d’écrivain, travaillant d’abord en tant que journaliste, et qui essaie de s’adapter à sa nouvelle vie en France.
Son deuxième roman, La Tête du chat[8], à une structure plus complexe, consiste, à première vue, à la protestation contre l’inégalité sociale. L’auteur, récemment émigré en France, « a fui la Grèce peut-être parce qu’une classe sociale venait d’abolir toute notion des droits des hommes et […] s’est installé en France, où les inégalités sociales ne lui échappent pas du tout » (Fréris, 1990: 145). P. Arnaud devient le symbole de deux aspects d’« émigré » : du révolutionnaire, aspirant à un avenir plus humain et de l’étranger qui est obligé de supporter les particularités du système du pays d’accueil. Au fil de ce roman, qui pourrait être saisi comme un exposé sociologique de l’époque, les deux protagonistes jouent le rôle des représentants de deux mondes confrontés, celui des riches et celui des pauvres.
L’héros de son troisième roman, Talgo[9], Grigoris, un universitaire grec réussi vivant en France, marié à une française, ayant un fils et visitant souvent son pays natal, laisse apparaître beaucoup plus nettement les éléments, dirions-nous autobiographiques, sous la forme des ressemblances avec Alexakis. Grigoris veut à tout prix transmettre à son fils, qui ne parle pas le grec, les éléments civilisateurs de son pays natal. Grigoris, porte parole d’Alexakis, avoue la peur d’une déculturation[10] suivie inévitablement d’acculturation[11] imminente, à laquelle il veut échapper : « […] moi, je transporte le vide : je suis le chargé de mission du vide, l’ambassadeur du vide, l’envoyé spécial du vide : mon véritable pays est le vide » (Alexakis, 1983 : 87-88). De plus, Talgo contient un attentat de résurrection du passé de la Grèce des années 1960-70, comparé, une fois de plus, à la réalité du présent, à l’actualité aussi bien grecque que française. « La mobilité du héros entre les deux pays permet à l’auteur d’embrasser l’ensemble de deux sociétés et de faire comprendre au lecteur la difficulté d’appartenir à deux cultures simultanément » (Fréris, 1990 : 149).
Jusqu’à ce point, les principaux personnages des romans d’Alexakis sont portés par une aspiration à se délivrer de l’assimilation sociale, laquelle prend l’allure d’une conquête libératrice sur le plan individuel, une trahison du groupe social où ils vivent, le plus souvent exprimée et concrétisée sous la forme de l’isolement qui les exclut de la mentalité de leur environnement. On devrait remarquer que le centre plutôt que le simple cadre d’action dans l’œuvre d’Alexakis n’est autre que la tentative de l’écrasement de l’individu par la société. Par l’intermédiaire des références à la Grèce[12], l’auteur s’identifie avec ses personnages, il rejette avec son premier roman son pays natal, dans son deuxième il rejette et il dénonce le paradis du pays d’accueil, et enfin, avec le troisième, il essaie de les concilier. Bref,
Dans le premier roman, Alexakis est en quête d’un « paradis perdu », dans le second il nous tient un discours socio-politique, dans le troisième, il nous confesse son appartenance à deux pôles culturels et son refus de rejeter l’un d’eux (Fréris, 1990 : 150).
Ces trois romans d’Alexakis constituent une sincère critique de la société d’accueil par un immigré, ou, en d’autres termes, de la société française, et plus généralement, européenne, par un « étranger » qui voit d’un autre point de vue son entourage et remarque ses « paradoxes », tout en faisant, automatiquement, la comparaison avec la réalité de son pays natal. C’est la distance avec la Grèce qui lui a donné le recul nécessaire pour écrire dans une autre langue, à l’instar des autres Grecs de la diaspora, mais aussi afin de renouveler son intérêt pour des éléments de sa culture qu’il avait délibérément laissés à part, comme des autres Grecs da sa génération qui ont préféré oublier le passé et de se tourner vers l’Occident. Alexakis avoue lors d’un interview, qu’il écrivait en français, pendant les premières années en France, parce que c’était la période de la junte en Grèce et il n’y pouvait rien publier, tout en soulignant qu’il avait du mal à prendre conscience qu’il ne se référait pas à la Grèce et qu’à travers ses écrits son identité grecque n’était pas apparente[13].
Deuxième étape
Après la publication du Contrôle d’identité[14], à titre apparemment significatif, où l’auteur est doublé d’un personnage hanté par la quête de son identité, Paul et où la réponse semble venir de M.Beau : « On se ressemble tous, il n’y a pas de doute…et en même temps, on est tant de personnages chacun » (Alexakis, 1985 :183), Alexakis publie, en 1989, son récit autobiographique[15], Paris-Athènes[16], avec lequel il ouvre grande la porte de la parfaite illustration de la situation universelle de l’écrivain grec de la diaspora. D’un ton profondément confessionnel, l’auteur évoque les efforts d’un individu de ne pas être assimilé totalement par la société française, voire la société d’accueil, sa prise de conscience de mieux s’exprimer en français qu’en grec et enfin sa constatation de se sentir « français » au Québec et simple « étranger », comme tout autre immigré, en France. De ce discours confessionnel émerge une mélancolie provenue de la fatigue de vivre une sorte de « bigamie » ou de « ménage à trois », autrement dit ce perpétuel « entre-deux ». Entre Paris-Athènes, – l’ordre privilégiant la destination préférée. Dans son effort de réconcilier cette sorte de dédoublement et d’y puiser un certain équilibre, il choisit à écrire en français, dans la langue de l’Autre, choix qui suppose d’insurmontables difficultés : « il faut toujours se défaire de quelques bagages culturels, de s’adapter souvent à une autre authenticité, il faut à tout prix utiliser un véhicule langagier, un instrument linguistique, servant et exprimant une société souvent mise en accusation » (Fréris, 1995 : 390).
Alexakis refuse se laisser emporter par l’esprit français (il ne fait pas encore la distinction entre « français » et « francophone ») faisant la critique non pas de point de vue d’un Français métropolitain mais d’un Grec qui vient d’adopter la culture française avec une remarquable insistance de vouloir rester malgré tout Grec, malgré l’identification parallèle à la culture adoptive[17]. Bien qu’Alexakis n’appartienne pas à la classe ouvrière des immigrés, il est considéré français et il est accepté par les institutions françaises (il est par ailleurs journaliste au Monde et à « France Culture »), bref, il est parvenu à être reconnu par la culture adoptive, il reste toujours attaché à la culture maternelle, envisageant la culture adoptive comme une sorte de « marâtre » (Fréris, 1995: 392). Finissant par sentir étranger, il avoue :
Au temps où je cherchais du travail à Paris, j’imitais assez bien l’accent français, de sorte qu’on ne devinait pas toujours que j’étais étranger ; Plus tard, j’ai désapprouvé mon mimétisme et je n’ai plus tenté de dissimuler mes difficultés de prononciation. Je parle avec de plus en plus d’accent : les animateurs de l’émission France-Culture à laquelle je participe se posent même des questions sur mon compte, il se demandent si je n’en rajoute pas (Alexakis, 1989: 77).
Le sentiment de n’appartenir nulle part crée à Alexakis l’impression d’exister uniquement pour et par la littérature :
Que j’écrive en grec ou en français, que l’action […] se situe à Athènes ou à Paris […], c’est toujours le même genre d’histoire que je raconte. Ou bien elle présente un intérêt quelconque dans les deux langues, ou bien elle n’en présente à aucune (Alexakis, 1989 : 16).
Remarquable est la solution « réconciliante » que donne l’écrivain au dilemme de son éditeur qui ne peut pas décider à le loger à la littérature française ou étrangère : « la tradition e la Grèce moderne est conforme à celle de la France » (Alexakis, 1989 : 122).
L’auteur qui vit et travaille en France, garde de la Grèce une image idéalisée, enrichie par une allure « exotique ». « Je suis aussi sévère pour Paris qu’on peut l’être à l’égard d’une épouse. En revanche, j’ai pour Athènes l’indulgence qu’on réserve à sa maîtresse » (Alexakis, 1989 : 148). Vers la fin de ce récit, Alexakis évoque pour la première fois la différence entre « français » et « d’expression française » : tout en commençant à se frayer un passage de son dilemme : « La Grèce était pratiquement absente de mes livres, que mes personnages […] ce n’était pas forcément des Français. C’étaient des personnages d’expression francophone » (Alexakis, 1989: 22). Par ailleurs, il constate qu’il a pris des habitudes qui lui étaient complètement étrangères et qu’il a fini par perdre une partie de lui même :
Je me reconnaissais dans mes personnages, cependant aucun d’entre eux n’était un immigré. J’avais presque oublié que j’étais moi-même – après la naissance de mes enfants, la validité de ma carte de séjour passa de trois à dix ans. Le mot immigré ne me plaisait pas trop, étranger me paraissait plus élégant, plus rare, plus digne de moi en somme (Alexakis, 1989: 190).
L’impression qui nous est donnée à la fin est que Paris-Athènes est un trajet entre le passé et le présent, un combat de s’adapter à des valeurs nouvelles pour conclure à la fin :
Je crois que je suis à la fois mieux et moins bien en France que je le pensais. Il m’était difficile d’admettre en effet que j’avais vécu presque en étranger une aussi grande partie de ma vie. Mais il me semble que j’ai vécu en étranger mon adolescence aussi, et mon enfance. Il n’est pas indispensable de changer de pays pour se sentir étranger (Alexakis, 1989 : 210-211).
Avec La Langue maternelle[18] Vassilis Alexakis se réconcilie avec ses racines grecques, tout en s’accueillant aux seins de la langue française. Bien que ce roman ait tous les motifs connus qui caractérisent l’œuvre d’Alexakis, présente une série des nouveautés quant à la thématique. Le retour du héros narrateur accompagnée par l’évocation d’une série d’événements vécus dans leur majorité au pays natal, lui font partager avec le lecteur la constatation la différence entre le Grec et l’Européen ainsi que de l’image que l’Autre se fait de la Grèce et que les Grecs font des Autres. Ce mystère qu’il essaie d’élucider semble contenir toutes ses incertitudes. Il semble se rapproprier sa langue et sa culture maternelles, lesquelles il a failli oublier, en racontant les aléas de ses recherches, et en notant dans un carnet des mots qui commencent tous par un « epsilon »[19]. Ces mots, quarante au total, illustrent le périple inattendu de Pavlos à travers la Grèce, les paysages qu’il traverse, ses rencontres et ses souvenirs (Kantcheff, 1996). Comme le dit l’un des personnages rencontrés, un archéologue aveugle, ces mots composent « un portrait ». Non celui de Pavlos, mais celui d’une absence. L’absence d’une femme, d’une mère surtout, morte quelque temps auparavant (comme celle de Vassilis Alexakis), que la mémoire du narrateur fait revivre en plusieurs petites scènes très émouvantes. Pour Alexakis, la recherche de la langue maternelle est bien plus qu’un divertissement. À chaque fois qu’il retrouve un mot oublié, c’est sa mère qui réapparaît devant lui, c’est comme il restaure son passé.
L’enquête sur la lettre « E » de Delphes n’est pas anodine. Elle prend même, peu à peu, une dimension existentielle. À la fin de son enquête, le narrateur semble avoir trouvé la réponse à l’énigme qui le hante, une fois rendu à la tombe de sa mère défunte : le sens de la lettre « E » est l’équivalent du manque, du grec ellipsis. La mort de sa mère correspond à son tour à une sorte d’éventuel découpage brutal et violent de ses racines ou évidement au dénuement du lien principal avec sa culture maternelle. En d’autres termes,
Il ne s’agit pas d’une œuvre qui vise à défendre les définitions précises d’une identité nationale ou internationale, ou encore à se soumettre à un devenir civilisateur. Nous avons affaire à une simple stratégie littéraire comparatiste sur le plan culturel, à une tactique qui note les éléments arbitraires et superficiels de chaque côté, projetant surtout la méthode avec laquelle le héros-narrateur vit la logique de deux traditions culturelles d’où les éléments prennent leur sens réel et leur relation évidente se décrit. C’est-à-dire que nous avons affaire, avec l’œuvre d’Alexakis, à une vraie attitude post-moderne, non pas parce que la manière, dont il combine ses préférences aboutit à un élément d’une importance déterminante de sa personnalité, ni parce qu’il a tendance à tout niveler, mais parce que de son oeuvre romanesque ressort un immense respect envers l’autonomie logique interne des traditions civilisatrices (Fréris, 1997 : 152).
Avant[20] apparaît dans l’œuvre de Vassilis Alexakis comme un moment de basculement. Au fond le titre dit parfaitement ce qu’il en est : il y avait un avant et il y aura un après. Mais Alexakis se fait un plaisir de nous emmener sur une fausse piste : « Pourquoi ai-je intitulé ce texte Avant ? Normalement, j’aurais dû l’appeler Après » (Alexakis, 1992 : 10). Après ce livre, la langue deviendra, pour Alexakis, le thème central de ses romans. Ce roman consiste aussi le début d’un impossible retour qui va permettre une renaissance. « L’écriture peut vous dire des choses que vous ne désirez pas entendre » (Alexakis, 1992 :23). De son manuscrit, écrit dans le noir, Alexakis en parle comme si c’était un bébé (image évoquant la vie intra-utérien) et Gabriel (nom qui évoque l’archange qui annonce la naissance) voit leur sortie comme une nouvelle naissance. Il y a un non-dit entre tous ces personnages, une évidence (Olivier demande « – Mais on n’est pas morts ? » Sa mère lui répond « – Non, mon chéri, bien sûr que non » (Alexakis, 1992 : 59), même si on ne se l’avoue jamais, qu’il n’y a pas de retour possible, que les vivants peuvent rejoindre les morts, mais jamais l’inverse, ils se jouent la comédie mais ils savent bien qu’ils ne reviendront pas dans le monde des vivants. Le père, avant tout le passeur, celui qui fait le lien entre les morts et les vivants est celui qui enterre les morts, qui leur permet de retourner à la terre, aux ancêtres. « Quand j’étais enfant, mon père m’avait emmené au service municipal des pompes funèbres » (Alexakis, 1992 : 136). (Dans Les Mots étrangers le père du narrateur dirigera le service des pompes funèbres). Chez Alexakis la mort fait tout simplement partie de la vie et la langue sert à dire ce que l’on a vu, pour que les autres ressentent un peu mieux le sens de la vie.
Après La Langue maternelle, son roman libératoire, avec Papa et autres nouvelles[21] l’auteur de Paris-Athènes apaisé, comme déculpabilisé, peut désormais indifféremment s’évader en français vers des lieux soit parisiens, soit athéniens. Seule importe l’atmosphère, souvent absurde, de ces nouvelles. Les narrateurs, essentiellement de sexe masculin, n’ont pas le beau rôle. Des figures surgissent de leur passé et hantent leurs pensées. L’amour, l’amitié, la fidélité et la fantaisie jouent les traits d’union entre ces différentes nouvelles[22].
Dans son roman suivant, Le coeur de Marguerite[23], l’auteur insiste sur le thème de l’écriture tout en le reliant avec l’amour et il profite du prétexte d’un amour orageux pour disséquer l’amour passion et pour se poser des questions sur l’amour et l’écriture. Les réponses viennent au fur et à mesure. Y a-t-il un lien entre l’amour, l’écriture et la vie ? Eckermann, affirme : « il n’y a pas de bon et de mauvais sujet, il n’y a que de bons et de mauvais écrivains ». Pour l’auteur, l’imagination c’est ce qui fait paraître la réalité inventée et le fantasme réel, lorsqu’il y a un échange qui s’opère entre l’écriture et la vie. Il consiste apparement à l’idée que l’on se fait de la vie. « Vassilis Alexakis ne parle que de vie intime » non pas à cause du manque d’imagination, mais puisque « sa vie même est imaginaire » (Delbourg, 1999). De même, les allusions se comprennent aisément: l’exilé est l’amoureux délaissé. On ne raconte pas l’amour, on construit l’absence de l’autre par des signes, des objets, des traces qui peuvent prendre la forme des romans.
Alexakis traverse alors une étape transculturelle, terme à tort conçu comme synonyme à l’« interculturel », puisque le préfixe « trans- » renvoie au passage et au changement[24].
Vassilis Alexakis joue de la double identité avec une aisance insulaire. Il donne l’image de l’exil heureux, même quelques fois un coup de cafard le rappelle à l’inconfort du cosmopolitisme. Voilà pourquoi, sans doute, qu’il soit à Paris ou dans l’île de Tinos, il donne l’impression d’être de passage. Il part de chez lui pour aller chez lui, en passant chez lui et cela suffit à son désir d’ailleurs. […] À la rubrique profession, je n’en vois qu’une qui lui convienne parfaitement : étranger (Meunier, 2000).
Dans la tendance de maintenir l’équilibre entre le « nous-collectif », fidèle à la tradition, et l’Autre, « le pur occidental », la thématologie présente une situation romanesque commune aux deux cultures, la grecque et la française (Fréris, 2004 :121). L’écrivain, par conséquent, a une attitude positive vis-à-vis de la culture adoptée, qui est acceptée, reconnue et comprise sans pour autant prédominer la culture « maternelle ». L’écrivain, ayant déjà fait sa présence aux lettres françaises ou plutôt francophones, mais aussi bien grecques, il est en train de sculpter une identité franco-grecque dans un cadre plus ample, voire européen. En ce qui concerne les formes littéraires à travers lesquelles il s’exprime, Alexakis s’incline presque absolument vers le roman, souvent soupçonné autobiographique[25].
Troisième étape
La période de la fin du XXe et le début du XXIe siècle est celle de l’émergence des fameux et souvent ambigus termes du multiculturalisme[26] et de l’universalité[27], l’époque du « village global » et de l’ « État multiculturel », où les demandes d’accommodement et de reconnaissance des différences forment la base du dialogue démocratique entre minorités et majorité. Une telle discussion doit permettre l’actualisation permanente et pacifique du code de vie commune de telle sorte que celui-ci soit susceptible de garantir aux différents styles de vie une place égale dans la société[28]. Selon Charles Taylor, les identités découlent toujours de relations dialogiques avec les autres, c’est-à-dire d’un système d’échanges entre les individus et un environnement donné, au long d’une dialectique du « donner » et du « recevoir » (Constant, 2000 : 103).
C’est au sein de cette nouvelle dimension qu’Alexakis écrit son dernier roman, Les Mots étrangers[29], roman à la fois triste et gai, qui réussit la prouesse d’être rêvé en grec, écrit en français et vécu en sango. On y assiste à un voyage de deuil, où Nicolaïdès, alter ego transparent de Vassilis Alexakis, prend la lubie d’apprendre une langue africaine, le sango. En se lançant dans l’étude d’une langue africaine, il revient à la vie et se recrée un avenir, oscillant entre une nostalgie étouffée et une vague gaieté. Il s’agit d’une histoire qui s’écrit donc en trois langues, le grec, le français et le sango, mais celle qui est le moins représentée dans le roman est peut-être celle qui est le plus présente. Alexakis, arrivé à sa maturité, après avoir longtemps vécu à cheval entre le grec, sa langue maternelle, et le français, langue de la liberté qu’il habite par choix, il finit par ajouter une troisième donnée à cette éprouvante exercice dichotomique, le sango, langue véhiculaire de la Centrafrique, qui s’impose à lui, presque à son insu.
Tout a commencé par un constat, une sensation, un sentiment. Le narrateur des Mots étrangers qui ressemble à Vassilis Alexakis comme un frère s’est demandé s’il n’avait pas épuisé le sujet de ses allers-venues entre Paris et Athènes. Il s’est rendu compte que le trajet lui-même était devenu d’une banalité affligeante : plusieurs avions relient aujourd’hui les deux capitales et ils sont presque toujours pleins (Revue de presse du Prix Littéraire 1997-1998, 2002).
C’est une langue mal adaptée aux temps modernes, aux progrès scientifiques, mais cette insuffisance ajoute à la tendresse que lui voue un romancier si peu soucieux d’être à la mode. S’il a pris cette décision ludique et poétique, sans arrière-pensée, c’est parce que son père venait de mourir. C’est pour parler de la mort de son père – qu’il a choisi de dire en sango Baba ti mbi a kui :
Je n’avais pas prévu que la mort de mon père me coûterait tant. Ne l’aimais-je pas suffisamment? Pensais-je qu’il ne m’aimait pas assez? Je croyais néanmoins que sa disparition me blesserait moins que celle de ma mère, qu’elle laisserait un vide moins grand. A Paris j’ai constaté que je m’étais trompé. Je songeais tant à lui que j’évitais de faire du bruit pour ne pas le déranger (Alexakis, 2002 : 22-23). […]
Est-ce pour me distraire que je me suis remis à songer à cette langue africaine que j’avais envisagé de découvrir? Ce projet, qui m’était sorti de la tête pendant mon séjour en Grèce, m’a paru plus excitant que jamais. Comment aurait réagi mon père s’il m’avait entendu réciter des mots africains? Il aurait souri, bien sûr. Peut-on apprendre une langue uniquement pour amuser un absent ? (Alexakis, 2002 24).
Lentement, tout doucement, à l’écart des modes, Vassilis Alexakis nous parle de la vie et de la mort, simplement. Après la disparition de sa mère, il se sentait très seul et très désabusé, de moins en moins grec, et si peu français, ou plutôt las d’être condamné au bilinguisme, prisonnier de cette alternative. C’est alors qu’il éclata en sango. L’apprentissage de cette troisième langue fut sa rédemption. Elle l’a fait
retourner en enfance, de découvrir le monde avec un alphabet vierge, d’être à nouveau émerveillé, de croire à l’existence du Tarzan légendaire de son adolescence. Les pages qu’il rapporte de ce pays sont magnifiques de simplicité, de presque innocence. Un écrivain grec de langue française y débarque pour faire l’éloge, devant ceux qui la parlent, d’une langue qu’on n’écrit pas ni n’enseigne (Garcin, 2002).
Vassilis Alexakis avait écrit La langue maternelle ; on pourrait dire qu’il vient d’écrire « la langue paternelle ». À sa manière secrète et nostalgique, ce livre d’Alexakis constitue l’exact pendant paternel du bel hommage de La Langue maternelle. Mais c’est aussi la langue que le grand-père ne connaissait pas, il n’a fait que passer à Bangui, comme le français fut une langue étrangère au père qui n’est semble jamais venu à Paris. C’est sans doute là ce qu’il y a de plus intéressant dans ce roman. Alexakis nous parle de la langue qu’il a appris à lire sur les dalles de marbre des cimetières, ici son père est directeur du service municipal des pompes funèbres, de la langue que l’on voulait museler, enfermer dans ses archaïsmes, « l’État grec avait érigé en langue officielle un idiome savant, la catharevoussa (de catharos, pur), qui était censé prouver l’indéfectible continuité de l’hellénisme à travers les siècles » (Alexakis, 2002 : 39) mais qui n’a cessé de vivre en dépit de tous ceux qui voulaient lui apprendre ce qu’elle devait être : « ils sont présomptueux, car ils estiment savoir mieux que la langue elle-même ce qui est bon pour elle » (Alexakis, 2002 : 242). Et l’on sent bien que derrière ce combat pour que la langue vive, combat de tous les jours parce qu’une langue que l’on n’apprend ou que l’on ne parle plus, meurt, Alexakis voit sa langue maternelle qu’il avait failli oublier dans les années qui ont suivi son établissement à Paris ; c’est dans la langue populaire que s’est construite la résistance grecque, dans une langue qui a su vivre y compris en empruntant à l’occupant et qui a refusé le dictat des clercs et c’est avec cette légèreté que Vassilis Alexakis nous parle de son histoire personnelle et nationale ; il sait d’ailleurs nous rappeler que le combat du français face au latin. Après nous avoir donné cette merveilleuse leçon d’humilité à l’égard des langues, Alexakis préfère terminer en écrivant en sango. Vassilis Alexakis, à l’époque de la globalisation, traite le thème de la disparition des dialectes et des langues dites « petites » tout en nous envoyant le message, de sa propre façon, que les « petites » langues (comme l’est aussi le grec par rapport à l’anglais) préservent des « petits mondes » qui nous aident à mieux vivre (Hartoulari, 2003).
Et pourquoi ai-je pensé à une langue mineure ? […] par compassion pour les petites langues qui ont de plus en plus mal à se faire entendre ? Le grec aussi est une langue menacée (Alexakis, 2002 : 13).
Depuis son adolescence, Vassilis Alexakis voyage entre deux cultures et deux langues, la grecque et la française, avec le sentiment de s’être trouvé une espèce de petite patrie personnelle où se sentir chez lui, ici et là-bas, selon les fluctuations de son être intime. Il a fait de ce partage existentiel le thème de deux romans à forte composante autobiographique, Paris-Athènes et La Langue maternelle. Dira-t-on alors qu’il prend le large avec Les Mots étrangers, où son double fait l’apprentissage du sango, une langue africaine peu connue, parlée par un million de locuteurs en Centrafrique ? Oui et non, car ce départ le ramène en fait à ses origines.
Pourquoi apprendre cette langue, alors qu’il a eu toutes les peines du monde, enfant, à reconnaître les lettres de l’alphabet grec, puis à assimiler le français à l’âge adulte ? Maintenant que ce dernier est devenu un outil de travail, il lui semble qu’il l’a toujours su, qu’il ne connaît donc aucune langue étrangère.
Tout a commencé par un constat, une sensation, un sentiment. Le narrateur des Mots étrangers qui ressemble à Vassilis Alexakis comme un frère s’est demandé s’il n’avait pas épuisé le sujet de ses allers-venues entre Paris et Athènes. Il s’est rendu compte que le trajet lui-même était devenu d’une banalité affligeante : plusieurs avions relient aujourd’hui les deux capitales et ils sont presque toujours pleins (Revue de presse du Prix Littéraire 1997-1998, 2002).
Il espère sans doute que cette troisième langue finira par le rajeunir. Il souhaite qu’elle l’aide à retrouver ses sensations d’enfant quand l’alphabet et la grammaire grecs l’impressionnaient, ainsi que ses élans de jeune homme que le français a aussitôt enchanté et ravi. Il doit bien y avoir encore une autre raison, plus secrète, la vraie raison qui l’aura décidé à mener aussi sérieusement ce projet. Vassilis Alexakis n’a pas choisi l’Afrique par hasard. Tout d’abord puisque ce pays et cette langue sont bien inscrits dans son histoire familiale. En écrivant baba ti mbi a kui, la nouvelle de la mort de son père paraît moins grave, son chagrin moins lourd. Peut-être que si baba meurt en sango il continuera de vivre dans les deux autres langues.
Un discours vers une identité « mondiale »
« Contrairement à l’opinion commune qui la rattache à l’immuable et au naturel, l’identité est avant tout une construction sociale dynamique et en perpétuel devenir. Elle tient du mythe et de l’idéologie et se façonne dans une situation déterminée, en fonction d’enjeux de pouvoirs » (Constant, 2000: 105). L’identité et les références culturelles d’Alexakis implosent et introduisent le motif de la dispersion de l’identité culturelle. « La plume court au fil de la pensée, des sensations, des souvenirs, des faits, tantôt en Grèce, vécus par un grec, tantôt en France, ressentis par un étranger, toujours exprimés en langue française mais ressentis par un grec ». « Il faudrait […] voir en lui [Alexakis] un être qui a réussi à conquérir, au prix certes d’efforts et de sacrifices, une nouvelle identité sans avoir perdu l’ancienne […] » ; le cas d’Alexakis [se présente comme] un « hybride culturel » (Oktapoda-Lu, 2001 : 295), qui, sous son aspect, « élève le personnel au général, l’autobiographique au social, le national à l’international » (Orphanidou-Fréris, 1998 :122).
Alexakis utilise ses romans pour investiguer des problèmes aussi bien personnels qu’universels. Il s’inspire fortement du local pour écrire des romans dont les problématiques n’en sont pas moins universelles : l’identité, la rupture, l’isolement, la mort, l’amour. Les histoires qu’il raconte sont profondément ancrées dans le personnel, mais elles recoupent systématiquement l’universel. On rencontre chez Alexakis une sorte d’individualisation des types humains, l’histoire d’une collectivité des exilés de toute sorte, à l’épreuve du mondial, le lieu d’action élevé au niveau du macrocosme vue sous le prisme de la distance de la perspective d’une personne vivant sur les bords. Ce qui fait la sensation d’Alexakis vraiment déplacée et exilée en France est principalement cette manipulation des images qui semblent opérer son passé. C’est la liberté et la solitude de ceux qui n’appartiennent plus à un endroit, qui sont exilés de leur passé et de leur traditions, la liberté et la solitude de ceux qui écrivent dans un village, disons, « global ». Et il semble qu’il est seulement dans la solitude et dans le silence de l’écriture que les exilés contemporains peuvent trouver leur patrie. À cet égard et bien qu’elle se situe en dehors de la littérature française ou grecque, l’œuvre d’Alexakis est une allégorie qui vise à donner une image à la fois historique et actuelle de l’identité. L’écriture d’Alexakis est une « écriture de transhumance » puisqu’il s’efforce d’écrire « non dans la fidélité, ni dans la collaboration : simplement ailleurs » (Calle-Gruber, 2000 : 214).
Chacun de ses livres est une « stèle bilingue »[30]. En fait, et de façon exemplaire, toute narration, toute biographie ou autobiographie, tout témoignage est pour Alexakis d’abord écriture. C’est-à-dire d’abord « scène des langues » (Calle-Gruber, 2000 : 214). Et jamais une seule: toujours deux, et plus, qui s’entre-lisent et entre-disent. Œuvrer dans la langue adverse pour planter racines, c’est écrire toujours dans la distance de la séparation Soi-Autre. Dans l’âge de l’hybridation linguistique, Alexakis souligne son état d’exil par son aliénation linguistique, par une langue ordonnée, une langue enracinée dans le sol de du pays natal et le paysage, imbibée de la vie domestique et des objets du pays d’accueil. L’expérience de l’héritage des deux pays marque ses romans, provocant la tradition littéraire. C’est pourquoi les romans d’Alexakis sont des romans des frontières et ils discutent l’état postmoderne en préservant toujours dans les mots la valeur de la mémoire et l’acquis culturel de l’histoire et en plus, essayant d’empêcher la globalisation de la généralisation et de l’oubli collectif.
« L’écriture de l’entrelangues induit à une spéléologie du moi pour une tentative de restitution de ‘mon’ Histoire » (Calle-Gruber, 2000: 215). Alexakis opère cette douloureuse réécriture, alternée et altérée en l’occurrence des récits et témoignages du passé. Si l’on considère l’ensemble de l’œuvre, on note aisément qua l’essence de l’écriture d’Alexakis est à plusieurs égards moins la quête de quelque identité que celle de la singularité dans l’altérité. Écrire dans la langue de l’Autre, c’est se voir vu, fantasmé par l’Autre, se tenir sous son œil, absent à soi-même. On procède, pour ce faire, à une tentative de réappropriation par quoi l’écriture s’emploie à la retraversée de multiples regards. « Cette inscription de soi-à-l’étranger, dans l’ambivalence d’un mouvement de ré-union et de deuil, advient selon les modalités en effet repérables » (Calle-Gruber, 2000: 215). La littérature s’élabore ainsi au titre de la perte : écrire, c’est faire un travail de deuil. L’écrivain grec en la langue française, n’en finit pas de faire son deuil : de l’origine, de la mère, de l’Histoire ; l’écrivain n’a d’autre espace que celui, sur la page, du partage des voix. « Je crois qu’on raconte toujours l’histoire d’une rupture, avec une femme, un milieu, un métier, avec un pays, une langue, avec soi-même » (Alexakis, 1992 : 37).
À l’écho des romans d’Alexakis, on saisit la contribution à la formation d’un nouvel esprit universel, de l’amalgame de tous les individus en un bloc national différencié, où « les différences multiculturelles au lieu de diviser, unissent, au lieu de retrancher les gens ou les nations, les réconcilient, au lieu d’imposer le monologue autoritaire, contribuent à l’enrichissement et au renouveau des éléments traditionnels » (Fréris, 2004:121). Alexakis arrive à concilier la littérature, ce lieu d’accueil et d’exercice de l’altérité avec la globalisation et ses visées d’emprise et de gain, en créant une littérature hors même des limites de la littérature européenne ou francophone visant à la notion de Weltliteratur proposée par Gœthe selon des paramètres nouveaux. Tandis qu’avant la publication des Mots étrangères, son public fût plutôt franco-grec, l’horizon d’attente de son œuvre est désormais beaucoup élargi, une fois son dernier roman lui ayant ouvert grande la porte à un public interethnique :on l’invite à des colloques soit linguistiques, soit qui traitent des problèmes langagiers, dans de nombreux pays où il y a des langues opprimées (à Mali, à Pérou et même en France, pour ne citer que quelques points de réception de son œuvre au niveau mondial)[31]. Auteur enfin accepté non pas seulement par le public français ou grec, (finissant par être considéré grec par les Grecs et français par les Français)[32], francophone ou grecophone, mais aussi d’un public au rang universel, hanté presque toujours d’une quête identitaire sous plusieurs formes, qu’est-ce qu’il reste, à la fin, de son identité ? L’auteur avoue :
« J’appartiens à la Grèce, c’est ici que je suis allé à l’école, ici se trouvent tous mes souvenirs, ma langue, mes expériences. […] Je ne suis pas un auteur français et je ne serais pas un auteur plus grand si je serais resté seulement en Grèce. Je me sens comme les footballeurs […] Moi, je joue un peu en France »[33]. Et quant à son identité « mondiale », il confesse, en commentant sa réception par les Centrafricains : « J’ai oublié que je suis blanc. […] La couleur noire de la peau est un vêtement sombre qu’on porte quand on émigre »[34].
Alexakis a fini par trouver un point de liaison entre deux notions radicalement opposées : d’une part, l’identité, le personnel, et de l’autre la mondialisation, l’universel. L’écriture d’Alexakis a enfin enjambé le risque de se perdre dans le labyrinthe identitaire et de miner son autodétermination et elle s’est assurée sur sa propre originalité au-delà de la mosaïque multiculturelle. Sa thématique, qui appelle à un partage des valeurs par-delà les nationalités, les frontières et les cultures et qui invite à un respect total et mutuel de l’autrui, en faveur de la diversité culturelle et du plurilinguisme, est une thématique propre à toute la communauté humaine. Cette tentative a ouvert à Alexakis grande la porte vers une réception plus élargie de son oeuvre et elle pourrait servir de point de départ vers la conception d’une identité humaine mondiale, via la voie de la littérature qui
embrasse l’Autre, mais ce n’est pas à des fins de globalisation. Au contraire, elle embrasse l’Autre pour célébrer la spécificité […]. Pour s’y sourcer. […] C’est cela la visionnaire force d’irruption / interruption du poétique : non pas changer le globe […] mais changer de globe – inventer : d’ailleurs et autrement. Radicalement (Calle-Gruber, 2000: 217 et 219).
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NOTES
[1] La mondialisation désigne le fait du devenir mondial, de se répandre dans le monde entier. L’adjectif « mondial » (de la fin du XIXe siècle, du « mondain » et du latin ecclésiastique « mundialis », relatif du mot « monde », « est relatif à la terre entière, celui qui intéresse toute la terre ». Voir le Nouveau Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, de Paul Robert, (texte remanié et amplifié sous la direction de Josette Rey-Debove et d’Alain Rey), Paris / Bruxelles, Le Robert – Bureau van Dijk, 1996, p. 1605.
[2] Voltaire, Essai sur les Mœurs et l’esprit des nations (1756), Éd. par René Pomeau, 2 vols. Paris, Garnier, 1963 [Voltaire 1756] et Voltaire, Le siècle de Louis XIV (1739), Éd. par René Pomeau, in Œuvres historiques, Paris, Gallimard (Pléiade), 1957 [Voltaire 1739]
[3] L’universalisme (1872 ; de universaliste) désigne le caractère d’une doctrine, d’une religion universaliste (mondialisme). À termes philosophiques, il s’agit d’une doctrine qui considère la réalité comme un tout unique, dont dépendent les individus (opposé à l’individualisme, l’atomisme) Voir la Version électronique du Nouveau Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, de Paul Robert, (texte remanié et amplifié sous la direction de Josette Rey-Debove et d’Alain Rey), Paris/Bruxelles, Le Robert, Bureau van Dijk, 1996.
[4] Cinq siècles avant la création et la discussion intense du terme « globalisation », à la fin du XXe siècle, la conquête coloniale amorça, il y a cinq cents ans, la première phase d’une globalisation planétaire, non seulement militaire et politique, mais également économique et culturelle.
[5] Par le terme « civilité » on désigne « l’attachement commun à l’ordre social et la responsabilité envers lui en dépit de la divergence d’intérêt des citoyens. Dans le débat autour du multiculturalisme, il s’agit de trouver un point d’équilibre entre civilité et altérité ». Fred Constant, Le Multiculturalisme, Paris, Flammarion, coll. « Dominos », 2000, p. 103.
[6] L’« Assililation(nisme) » est cette doctrine sociopolitique qui préconise en effet l’effacement des différences ethniques au nom d’un civisme connu comme universel et lié à la Déclaration des droits de l’homme. Ibid., p.102.
[7] Les Girls du City boum-boum, Paris, Julliard, 1975. Il s’agit de l’aventure d’un journaliste français, Paul Dumoulin, qui travaille dans un hebdomadaire, fasciné mais peu apprécié par les femmes.
[8] La Tête du chat, Paris, Seuil, 1978. Dans ce roman où règne le mystère, un employé, bourgeois commun issu du prolétariat, P. Arnaud essaie de tuer l’écrivain J.-L. Dubourg, le représentant de la grande bourgeoisie.
[9] Talgo, Paris, Éditions du Seuil, 1983. Ce roman, sous la forme d’une longue lettre d’amour jamais envoyée, sert de point de départ d’une histoire, racontée par Hélène, une jeune Grecque. Elle évoque sa liaison avec Grigoirs et elle essaie d’en saisir le sens.
[10] La « déculturation » (de dé- et culture, d’après « acculturation » désigne la dégradation, perte de l’identité culturelle d’un groupe ethnique et par extension l’abandon, le rejet de certaines normes culturelles. Voir la Version électronique du Nouveau Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française.
[11] L’« acculturation » (du mot anglais « culture ») désigne le « processus par lequel un groupe humain assimile tout ou partie des valeurs culturelles d’un autre groupe humain » ou « l’adaptation d’un individu à une culture étrangère avec laquelle il est en contact » (exemple : « L’acculturation d’un immigré »). Ibid.
[12] Notons à propos, Dimos, dans Les Girls du City boum boum, les allusions aux régimes autoritaires dans La Tête du chat et le cadre social de Talgo.
[13] Interview à Mania Staïkou, (en grec), O Kosmos tou Ependiti / Investor’s world, 31 mai-1 juin 2003, p. 2.
[14] Contrôle d’identité, Paris, Éditions du Seuil, 1985. Dans ce roman il y a onze personnes dont les histoires se ressemblent. Parmi eux, Paul, qui a perdu la mémoire et qui, en interrogeant les autres, en particulier son amie Miss Gina, cherche à déchiffrer toutes sortes d’énigmes.
[15] Sur les éléments autobiographiques du roman Paris-Athènes, voir Nicole Ollier, « Vassilis Alexakis à la Médiathèque de Talence », dans Desmos/le lien, Paris, no :6 , 6/2001, pp. 35-45.
[17] Cette constatation est remarquable quand il essaie de consoler une amie Algérienne, Yamina, qui lui rend visite après avoir obtenu la nationalité française. Elle lui montre sa carte d’identité disant : « ça me gêne de te la montrer », Paris-Athènes, op.cit., p. 47.
[18] La Langue maternelle, Paris, Fayard, 1995. Pavlos, le narrateur, journaliste à Paris depuis plus de vingt ans, retourne à Athènes sans raison apparente. Perplexe, désœuvré, il observe la ville, ce qui se passe autour de lui. Il laisse son attention s’arrêter sur une question a priori sans conséquence: pourquoi une lettre isolée, l’epsilon, ornait-elle l’entrée du temple d’Apollon où officiait la Pythie de Delphes ? Pavlos se prend au jeu de cette énigme. Il mène une enquête déambulatoire qui l’entraîne dans les rues d’Athènes, aux terrasses des cafés, dans les bibliothèques, chez son frère en province, à Delphes, mais avant tout dans sa langue maternelle qu’il avait oubliée.
[20] Avant, Paris, Éditions du Seuil, 1992, Les gens qui sont ici ne se voient pas, sans que nous apprenions jusqu’à la fin du livre la raison. Ils semblent distinguer le jour de la nuit uniquement grâce au bruit du métro de la station le plus proche et ils s’épuisent à creuser une gallérie, sans être même plus sûr du temps qui passe. Des couples se font et se défont. Ils se réjouissent dès que l’on enterre quelqu’un mais on n’apprend pas enfin ce qu’il leur est arrive.
[23] Le Coeur de Marguerite, Paris, Stock, 1999. Un réalisateur de documentaires pour la télévision grecque est amené à voyager en Australie pour son travail. A 40 ans, âge de bilan, il décide de devenir écrivain car sa vie ne le satisfait plus. Il tombe amoureux d’une femme mariée avec deux enfants. Il s’interroge sur la signification de cette histoire, et sur le roman qui pourrait la raconter. Fasciné par un vieil écrivain allemand du nom Eckermann, il parvient à faire sa connaissance et à évoquer devant lui son manuscrit resté inachevé. Des questions telles que pourquoi on écrit et on tombe amoureux trouveront leur réponse au terme d’une odyssée intérieure.
[24] La notion de transculturel a « l’avantage de désigner toutes les procédures d’influence et d’infiltration d’éléments d’une culture dans une autre mais aussi de traduire également le mouvement, la transformation, la mise en relation, le processus même de l’interculturalité, alors que la notion de métissage renvoie plutôt à un résultat d’emprunt ou d’imprégnation mutuelle ». Georges Fréris, « La francophonie grecque : un combat identitaire européen ? », Le français dans le monde. Recherches et applications, Numéro spécial « Altérité et identités dans les littératures de langue française », Paris, FIPF / CLE International, juillet 2004, p. 120.
[25] Selon Philippe Lejeune, les romans autobiographiques sont « les textes de fiction dans lesquels le lecteur peut avoir des raisons de soupçonner, à partir des ressemblances qu’il croit deviner, qu’il y a identité. » Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », 1975, p. 25.
[26] Le terme « multiculturalisme » (mestiz fin XIIe), du latin mixticius, et mixtus, « mélange » désigne la coexistence de plusieurs cultures dans un même pays ; l’adjectif « multiculturel », synonyme du pluriculturel illustre celui qui relève de plusieurs cultures différentes. Voir la Version électronique du Nouveau Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française.
[27] L’« universalisation » (1795 ; de universaliser) est le fait de répandre largement, d’étendre à tous les hommes, à toute la terre (mondialisation) ou le passage du particulier ou de l’individuel à l’universel. L’« universalité » (1375 ; lat. philos. universalitas, de universalis) en philosophie, est le caractère de ce qui est universel ou considéré sous son aspect de plus grande généralité, ou le caractère d’un esprit universel (1601) et finalement le caractère de ce qui concerne la totalité des hommes, de ce qui s’étend à tout le globe (fin XVIIe siècle). Ibid.
[28] La « théorie ou le modèle de Reconnaissance » : selon Charles Taylor, la reconnaissance des identités est une exigence démocratique, et ce en vertu de quatre arguments : 1. L’appartenance à une culture ou à une communauté structure fortement la personnalité d’un individu. 2. La diversité des cultures est une richesse qui doit être préservée, car aucune d’entre elles ne peut se prétendre supérieure et universelle. 3. Un code de vie commune doit tenir compte des conceptions « bien » et du « juste » des groupes culturels qui constituent une collectivité donnée. 4. Dans une société pluriethnique, les cultures ne doivent pas simplement être tolérées et reléguées à la sphère du privée, elles exigent également d’être reconnues dans l’espace public, notamment sous la forme de l’octroi de droits collectifs spécifiques aux minorités. Fred Constant, op. cit., pp. 101 et 107. Voir aussi Charles Taylor, (Amy Gutmann, ed.), Multiculturalism and “The politics of recognition”, Princeton University Press, 1996.
[29] Les Mots étrangers, Paris, Stock, 2002. Enfermé dans son appartement parisien, Nicolaïdès, au lieu d’écrire le roman promis à son éditeur, apprend le sango, une langue qu’il juge inutile. Mais il comprend peu à peu qu’elle sert d’exutoire au chagrin inattendu causé par la perte de son père. S’absorber dans une telle tâche semble à une « cure de jouvence » et lui donne l’impression de repartir à zéro, d’être le prolongement du petit enfant qu’il était autrefois et qui, tout seul, a appris à lire en déchiffrant les pierres tombales du cimetière voisin de la maison familiale. Il imagine le sourire de son père découvrant à quoi il occupe ses journées et continue son voyage dans les mots jusqu’en Centrafrique, là où il pourra enfin pleurer son père.
[31] Voir à propos l’interview de Vassilis Alexakis à Mairy Papayiannidou, To Vima (en grec), 15 juin 2003, p. 6-7.
[32] Vassilis Alexakis a reçu plusieurs prix littéraires aussi en France qu’en Grèce et il est aussi inclu dans le Dictionnaire des auteurs français paru en 1997.