Cécilia Barret
Université de Limoges, France
cecilia.barret@free.fr
De deux « contre-histoires », ou la révolution du roman historique des années 1960-1970
Two ”counter histories” : The revolution of the historical novel, 1960-1970
Abstract: Romanesque fiction of the second half of the 20th century gave rise to a new type of historical novel, one which did not adhere to the conventions of the genre, exploring the unfamiliar dimensions of history. To accomplish this, Raymond Queneau’s Les Fleurs bleues (1965) and Günter Grass’ Le Turbot (1977) trace the evolution of their characters throughout the course of their unorthodox lives. These journeys in time offer, in accordance with these characters’ often marginal points of view, a highly controversial vision of history. They contradict the representation of history as a continual progress, by proposing an original temporal paradigm in which temporalities, cultures, and multiple spaces coexist. Moreover, Grass and Queneau dispute the norms of verisimilitude: they invent an apocryphal history, which is completely unrealistic, yet much more real in keeping with their paradoxical world views.
Keywords: historical novel; time; history; representation of reality.
Le genre du roman historique est à l’origine de nature hybride. Conjuguant les aspirations de l’histoire et de la littérature, il est nécessairement tendu entre la réalité, la vérité historique, et une écriture purement fictionnelle. C’est ce rapport souvent hiérarchique entre réalité et fiction, entre histoire et littérature, qui fonde et qui oriente le genre, selon la hiérarchie que choisit de pratiquer l’auteur, en faisant jouer les tensions et les rivalités entre les catégories.
I . D’une littérature admirative à une littérature critique de l’historiographie
Rivalités originelles entre Clio et Calliope
Cette concurrence existe dès que l’histoire apparaît, chez les Grecs. Les premiers historiens, et plus particulièrement celui que l’on considère comme le « père de l’histoire », Hérodote, placent déjà l’histoire en position de rivalité face à la littérature épique de l’époque, dont le représentant est Homère. Hérodote l’enquêteur, celui qui recueille les témoignages concrets, veut tourner le dos aux vieilles légendes, et c’est en s’attelant à ce qu’il voit et à ce qu’il entend, c’est-à-dire au visible, au réel, qu’il s’estime le plus apte à rendre compte de l’histoire de sa cité. Ce creuset entre histoire et poésie se transforme en séparation normative avec la Poétique d’Aristote. Dans cet ouvrage, Aristote théorise ce en quoi consiste la poésie, et cela en opposition avec l’histoire :
Il est clair, après ce que nous avons dit, que le rôle du poète ne consiste pas à dire ce qui s’est passé mais ce qui pourrait arriver, ce qui est possible selon le vraisemblable ou le nécessaire. En effet, l’historien et le poète ne se distinguent pas parce que l’un s’exprime en vers alors que l’autre le fait en prose […], mais ils diffèrent l’un de l’autre parce que l’un dit ce qui s’est passé alors que l’autre dit ce qui pourrait se passer. C’est pourquoi la poésie est quelque chose de plus philosophique et qui a plus de valeur que l’histoire : la poésie exprime plutôt le général, l’histoire le particulier.[1]
Aristote dresse donc une frontière nette entre les deux discours autour de la notion fondamentale de réalité : l’histoire a pour objet la réalité passée et avérée, alors que le champ de la poésie est fait d’imagination, de fiction, créées selon la vraisemblance et non selon la vérité des faits. D’un côté de la frontière, on trouve le monde factuel, et de l’autre un monde possible, selon un rapport hiérarchique qui profite à la poésie. Cependant, malgré cette distinction, l’histoire reste liée pour lui aux Belles Lettres : bien qu’inférieure et plus proche du réel, elle est un genre comparable à la poésie.
Le roman historique et le siècle de l’Histoire : domination du modèle historiographique
C’est au tournant du XVIIIe et du XIXe siècles que va s’amplifier le creuset entre les deux discours. Des bouleversements sans précédents secouent l’époque : la maturation de la révolution industrielle, la succession et la révolution de régimes politiques encore inconnus. Tout cela amène les hommes à essayer de comprendre ces bouleversements et pour cela, à se situer au sein d’une diachronie où les changements sont le fait de collectifs humains. La tâche de l’historien est alors de recenser et d’analyser ces processus historiques : c’est la naissance de l’historiographie savante. L’histoire bascule à ce moment dans le champ scientifique. Elle acquiert le titre de science par la création d’instituts spécialisés, de revues savantes, de monuments historiques. Il s’opère alors un renversement de valeur entre les deux discours et le prestige de l’histoire et de ses principes rationnels grandit vis-à-vis de la littérature. Les romanciers de l’époque vont jusqu’à se réclamer « historiens ». Cela se confirme si l’on s’intéresse aux sous-titres des grands romans du XIXe : Le Rouge et le Noir est sous-titré Chronique du dix-neuvième siècle, les Rougon-Macquart : Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire. La Comédie humaine de Balzac se veut aussi une œuvre historique, dressant le tableau de la société française du siècle. C’est alors que se crée un nouveau genre littéraire qui croise histoire et fiction : le roman historique, un genre à la frontière des deux discours. Celui-ci se veut un point de jonction, une frontière perméable par laquelle peuvent se concentrer les savoirs. Mais cette frontière est un lieu de passage unilatéral, puisque l’histoire, quant à elle, s’émancipe totalement des Belles Lettres. Le domaine de la fiction est alors « envahi » par le modèle historique. Les techniques de la critique historique (causalité, linéarité, objectivité du scripteur) deviennent les techniques du roman réaliste, dans une sorte d’hégémonie. Comme les historiens, les romanciers (Dumas, Balzac, Flaubert) se documentent, et proposent des reconstitutions fidèles d’époques antérieures par des catalogues, des descriptions d’objets, des archaïsmes linguistiques. Ils reprennent aussi les grandes conceptions du temps propres à la philosophie de l’histoire qui se développe alors : le progrès, notion héritée des Lumières, ou encore la figure du héros, du « grand homme » hégélien qui participe à l’avancée de la Raison dans le monde des hommes, et dont le modèle de référence est Napoléon.
Renversement de valeur entre histoire et littérature dans la deuxième moitié du XXe siècle
Cette fascination pour l’histoire et son caractère « réaliste » va être renversée dans la deuxième moitié du XXe siècle. Une véritable révolution se produit, et particulièrement en ce qui concerne le rapport hiérarchique entre histoire et fiction. Celle-ci se produit en réaction aux événements du siècle, les fascismes et, en particulier, le nazisme et la Shoah, qui contredisent le concept historiographique du progrès indubitable, ou encore face à la montée des nationalismes, et le nombre de censures et réécritures imposées par l’Histoire officielle pour aider les régimes en place à maintenir leur pouvoir. De nombreuses réflexions vont en découler, présentant l’histoire comme une falsification, comme une fiction qui se donne pour réelle. Certains philosophes et historiens vont montrer que l’Histoire officielle n’est pas séparée de la fiction par une ligne démarcative claire, et vont remettre en question la coupure épistémologique initiée par Aristote. Roland Barthes se demande ainsi dans un article de 1967, intitulé « Le discours de l’histoire », « si l’analyse structurale permet de garder l’ancienne typologie des discours, s’il est bien légitime d’opposer toujours le discours romanesque, le récit fictif au récit historique »[2]. Selon lui, le récit historique use du même outil que la fiction : l’illusion réaliste. Selon l’historien Michel de Certeau, le récit d’histoire relève de la manipulation pure et simple :
Là se jouent, comme sur une scène, le « style » et les fantasmes de l’acteur, son art d’accréditer son discours, son habileté à faire oublier au lecteur ce dont il ne parle pas, à lui faire prendre la partie pour le tout d’une époque, à faire croire, par toutes les ruses du récit, qu’un scénario raconte ce qui s’est passé.[3]
La frontière entre Histoire et fiction devient là encore perméable, mais le transfert change de sens : c’est l’histoire qui est censée utiliser les techniques du roman, principalement la narration, le fait de raconter une histoire et de faire croire au lecteur qu’elle est vraie. C’est ce que développent les réflexions du Linguistic Turn des années 1970, qui applique les principes de la critique littéraire aux textes historiques. On assiste à une inversion de la relation hiérarchique: l’histoire, genre du réel, est dégradée en genre mensonger, et la littérature peut alors être considérée comme plus apte à décrire les histoires des peuples.
Cette critique de l’histoire se retrouve dans le domaine littéraire, et plus particulièrement au sein du roman historique des années 1960-1970. Pour expliquer ce fait, nous pouvons reprendre comme postulat les réflexions génériques de Jean Molino dans son article « Qu’est-ce que le roman historique ? »[4] Dans ce texte, l’auteur se positionne contre l’idée de l’apogée du roman historique au XIX° siècle – thèse défendue par Georg Lukács dans sa critique incontournable du genre, Le Roman historique[5]. Jean Molino refuse la vision téléologique d’une histoire littéraire menant à l’apogée du genre. Au contraire, selon lui, chaque époque a son roman historique, reflétant sa conception propre de l’histoire et du temps. Cela crée autant de « microgenres » au sein du « macrogenre » qu’est le roman historique, entendu au sens large comme récit utilisant l’histoire.
Suivant cette terminologie, un « microgenre » apparaît lors de la deuxième partie du XX° siècle témoignant de cette relecture du discours historiographique traditionnel. Il se distingue à tel point de sa version dix-neuvièmiste que certains critiques parlent – principalement dans le cadre de la littérature sud-américaine où a pris naissance, sous les augures d’Alejo Carpentier, un mouvement d’une très grande ampleur – de « nouveau roman historique »[6]. Cette révolution du genre apparaît aussi dans les pays européens et devient l’enjeu de la réflexion de nombreux auteurs, réflexion qui se poursuit encore aujourd’hui. Nous nous en tiendrons ici à deux représentants européens de cette mutation générique : Les Fleurs bleues de Raymond Queneau[7] (1965) et Le Turbot de Günter Grass[8] (1977). Ces deux romans sont « classés » par les critiques littéraires au sein du genre du roman historique[9]. Il est vrai qu’ils en reprennent les traits caractéristiques, évoquant le passé et faisant apparaître des personnalités historiques au sein de la diégèse. Ces deux oeuvres s’apparentent à des fresques historiques : Le Turbot relate l’existence des habitants de Danzig (Gdansk), du néolithique à nos jours, tandis que Les Fleurs bleues figurent la cavalcade historique du duc d’Auge, de 1264 à 1964. Il s’agit à chaque fois de suivre, au fil des époques, les diverses incarnations d’un personnage. Par ce retour du personnage au cours de l’histoire, le rythme des romans rejoint celui des sagas familiales du XIXe siècle, que l’on trouvait alors sous forme de feuilletons, de séries. Il s’agissait de grandes trilogies ou tétralogies courant sur plusieurs générations, et montrant le devenir d’un peuple selon la trame historiographique linéaire.
Mais il ne s’agit plus dans les années 1960-1970 de suivre le modèle de l’Histoire officielle, mais bien plutôt de construire des « contre-histoires » polémiques. Cette dénomination de « contre-histoire » se réfère au tournant épistémologique qui réexamine l’histoire comme falsification et tente de proposer des versions alternatives. On pense ici au travail de Michel Foucault, et à sa reprise de la généalogie nietzchéenne dans son opposition « au déploiement métahistorique des significations idéales et des indéfinies téléologies »[10]. Plus pragmatiquement, est « contre-histoire » tout récit qui va contre l’histoire officielle et ses présupposés, qu’il s’agisse de concepts (continuité, unicité, progrès, intelligibilité, grandeur de l’histoire, entre autres), de préceptes d’écriture (linéarité, causalité, objectivité), ou encore de contenu. L’usage du pluriel « contre-histoires » redouble le principe, en développant l’idée selon laquelle il n’existe pas une Histoire, clairement orientée selon une origine et une fin, mais des histoires, enchevêtrées, mêlées les unes aux autres. Cette dimension de contradiction de l’historiographie traditionnelle sera analysée au sein de deux traits précis : le refus du concept du progrès et le déni de l’histoire comme figuration de « grands » événements. A travers ces quelques points, et ces deux romans, nous pourrons esquisser le profil de ce nouveau « migro-genre » historique, et comprendre la révolution qu’il opère en inversant le rapport hiérarchique entre histoire et littérature hérité du « Siècle de l’Histoire », le XIXe.
II. « Contre histoires » : le roman historique contre les pratiques traditionnelles de l’historiographie
Condamnation du progrès linéaire au profit d’un mélange des temps
Les Fleurs bleues de Raymond Queneau et Le Turbot de Günter Grass utilisent une très longue durée pour décrire les pérégrinations de leurs protagonistes : respectivement sept siècles et « grosso modo quatre mille ans de passé »[11]. Ce choix permet aux auteurs de dessiner « une grande fresque de l’existence humaine »[12], comme le note Alain Montandon à propos du livre de Grass. Cette durée n’est pas sans rappeler les « grands récits » dont parle Jean-François Lyotard[13], qui mettent en scène l’émancipation du genre humain. C’est ainsi que le roman de Sue, Les Mystères du peuple ou histoire d’une famille de prolétaires à travers les âges (1849-1856) relate l’évolution de la Gaule romaine jusqu’à l’annonce de la démocratie universelle. De génération en génération s’affirme une vision téléologique et progressiste de l’histoire.
Mais si les romans de Queneau et de Grass reprennent en partie la trame de la fresque historique, ils en condamnent le principe, c’est-à-dire la démonstration d’un progrès linéaire à l’oeuvre au cours des siècles. Le passage d’époque en époque ne montre ni la différence entre passé et présent, ni le primat de l’époque contemporaine sur les précédentes. Au contraire, il s’appuie sur une vision cyclique de l’histoire, comme retour du même. Cette cyclicité s’illustre principalement par le retour du protagoniste à plusieurs âges de l’histoire. Dans Les Fleurs bleues, le duc d’Auge fait son apparition tous les 175 ans : en 1264, 1439, 1614, 1789 et 1964. Dans Le Turbot, le narrateur relate ses douze vies, en compagnie de douze cuisinières successives : au néolithique avec Ava puis Wigga, à la fin du Xe siècle avec Mestwina, lors du gothique XIVe siècle avec la sainte Dorothée de Montau, au XVIe siècle avec l’abbesse Margarete Rush, à l’âge baroque avec Agnès Kurbiella, sous le règne du « vieux Fritz » avec la cuisinière des communs Amanda Woyke, à l’époque de la Révolution française et de l’Empire napoléonien avec Sophie Rotzoll, dans la deuxième moitié du XIXe siècle avec la « protosocialiste » Lena Stubbe, puis au XXe siècle avec la féministe Sybille Mielhau, et enfin Ilsebill. Ce retour du personnage s’apparente à la métempsycose grecque, ou encore aux avatars de l’hindouisme, auxquels il est fait allusion au chapitre III du Turbot. Il s’agit du même personnage qui se réincarne et revient soit sous la même identité, soit de manière protéiforme. Les deux romanciers préfèrent ainsi se référer à une vision du temps cyclique, plutôt qu’à la vision linéaire héritée du christianisme, et figurée par la Bible, de la Genèse jusqu’à la Fin des Temps. Ce rejet de la trame occidentale s’accompagne d’un refus de l’idéologie qu’elle sous-tend : le progrès. En effet, les apparitions des personnages ne figurent en aucun cas un progrès ou une perfectibilité du genre humain. Dans chacun des deux romans, l’histoire est le lieu de la permanence de la lutte des hommes entre eux.
Ce principe d’une histoire considérée comme éternel retour des maux de l’humanité s’illustre dans Les Fleurs bleues par la présence à chaque époque de la violence, ce mauvais côté de l’histoire souvent expurgé au profit d’un patriotisme enthousiaste. Des Croisades aux deux Guerres mondiales, en passant par la Guerre de Cent Ans, l’histoire est bien telle que la présente Queneau dans un petit livre qu’il a écrit à destination du lectorat des Fleurs bleues : Une Histoire modèle. Dans cet ouvrage inachevé, le romancier dépeint sa vision de l’histoire comme « science du malheur des hommes »[14], un malheur qui pourrait selon lui apparaître et disparaître selon un rythme périodique. Ces cycles historiques lui sont certainement inspirés par les recherches contemporaines en histoire sur ce sujet, dont certaines sont publiées au sein de l’Encyclopédie de la Pléiade dont il s’occupe alors[15]. Ce retour du même aboutit à un mélange des temps, qui va complètement à l’encontre de la coupure établie par l’historiographie traditionnelle entre passé et présent[16]. Ce télescopage des temporalités apparaît par le biais des anachronismes, très présents dans le texte de Queneau. L’un d’entre eux stigmatise le retour de la violence humaine. Il s’agit de l’emploi du terme C.R.S., transcrit phonétiquement en « céhéresses » sous la plume de l’auteur oulipien. Ces fameuses « Compagnies Républicaines de Sécurité » apparaissent dans le récit dès le règne de saint Louis, où ce dernier envoie au duc d’Auge rebelle ses « céhéresses », à savoir « compagnies royales de sécurité »[17]. De tout temps la même violence est l’usage du pouvoir. Ce mélange des temps est aussi à l’oeuvre dans le roman de Grass, et en cela Le Turbot illustre la conception de son auteur condensée en un mot-valise : Vergegenkunft, c’est-à-dire une sorte de « pasprétur »[18] où passé, présent et futur sont enchevêtrés. Dans son roman, Grass montre comment se reproduisent au cours des siècles des événements similaires, confrontant à chaque reprise la classe sociale dominante à la classe dominée, écrasée par la première dans ses tentatives de révolte. C’est ainsi que la répression de l’insurrection des artisans de Danzig contre les patriciens, datée de mai 1378, se confond avec celle de la grève insurrectionnelle des ouvriers des chantiers navals de Gdansk, en décembre 1970 :
[…] si l’on porte au même débit les ouvriers abattus par balles de Gdansk et de Gdnya et les leaders exécutés de l’insurrection des artisans médiévaux, ça n’a rien arrangé politiquement, ni de nos jours ni jadis […]. Depuis 1378, il y a eu ce changement à Danzig ou à Gdansk : les patriciens s’appellent autrement de nos jours.[19]
Cette mascarade de l’histoire, qui entend modifier les noms pour donner la sensation du changement, est démystifiée. Le progrès, bondissant d’un grand événement à un autre, est relégué au second plan, au profit d’un temps en spirale, figure symbolique prééminente pour chacun des deux auteurs. C’est en effet la spirale de Bernouilli qui fut proposée par Queneau, membre de la Société de Pataphysique, pour donner sa devise à la revue de cette Société : eadem mutata resurgo (« déplacée je réapparais à l’identique »). Et c’est la spirale de la coquille d’escargot que l’on retrouve chez Grass, avec cet animal symbole de la lenteur, que l’auteur évoque de manière autobiographique dans Journal d’un escargot. Ce refus d’une histoire progressiste jalonnée de grands événements amène à une critique de la grandeur de l’histoire, qui profite à l’histoire mineure, la micro-histoire.
Refus de la « mémoire imposée » et de ses « grands » événements
Dans La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paul Ricœur parle des us et des abus de l’exercice de la mémoire. La mémoire, fondamentalement vulnérable, peut en effet être manipulée, instrumentalisée en vue d’enjeux idenditaires, tant collectifs que personnels :
[…] la mémoire imposée est armée par une histoire elle-même « autorisée », l’histoire officielle, l’histoire apprise et célébrée publiquement […] la mémorisation forcée se trouve ainsi enrôlée au bénéfice de la remémoration des péripéties de l’histoire commune tenues pour les événements fondateurs de l’identité commune. La clôture du récit est mise ainsi au service de la clôture identitaire de la communauté. Histoire enseignée, histoire apprise, mais aussi histoire célébrée.[20]
Cette « mémoire imposée » est souvent corrélée à la grandeur de l’histoire nationale. Elle se targue de faits et de personnages dits de premier plan, dont les commémorations officielles font souvent écran aux pratiques véritables, du passé comme du présent. Un centre se dessine par opposition à la marge, constituée d’existences et d’individus considérés comme mineurs.
Les Fleurs bleues et Le Turbot opèrent une permutation subversive de la marge et du centre. Le traitement des événements historiques majeurs les ravale au rang d’anecdotes, ou de simple arrière-plan. Grass suit en ce point celui qu’il considère comme son maître en littérature : Alfred Döblin.
C’est ainsi que Döblin place les accents : victoire, défaite, actions d’Etat, tout ce qui, fixé par une date, s’est inscrit comme guerre de Trente ans, n’est pour lui qu’accessoire, ne vaut souvent que la peine d’être mis à l’écart.[21]
C’est ainsi que la Révolution française, symbole du changement et du progrès moral de l’humanité, fait primordial pour l’historiographie du XIXe siècle, est volontairement mise à l’écart par les deux auteurs. Le duc d’Auge dans Les Fleurs bleues lui est complètement indifférent, tant il est occupé à se cacher au fin fond du Périgord après avoir tué l’amant de sa femme. Alors que sa présence aux Etats généraux serait requise, il trouve une tout autre occupation. Profondément anticlérical, il enquête dans les grottes du Périgord sur l’existence des préadamites, ces hommes qui auraient vécu avant Adam, et donc avant le péché originel. Il espère faire une découverte qui modifierait la date de la Création du monde fixée par la théologie chrétienne. Le duc d’Auge fait dos à l’avenir ouvert par la Révolution, et se tourne vers la Genèse, vers les commencements du monde. Le progrès est détourné en régression, l’événement majeur devient un brouhaha lointain, qui ne retient guère l’attention du protagoniste ayant « d’autres chats à fouetter »[22]. Sa seule inquiétude est de savoir si son ami Donatien de Sade a été libéré lors de la Prise de la Bastille. Cette allusion de Queneau au marquis, plutôt qu’aux héros révolutionnaires sacralisés par l’histoire de France, lève le voile « du mauvais côté de la morale », et surtout « du mauvais côté de l’histoire »[23].
Grands événements et grands hommes sont aussi délaissés chez Grass, la Révolution française, et son héritier Napoléon, servent uniquement de toile de fond à la vie quotidienne d’un jeune couple de personnages :
Sept ans durant, tandis que derrière les forêts de la Révolution s’effectuait et qu’on célébrait la guillotine, humanitaire instrument du progrès, nous allâmes aux champignons avec de belles idées.[24]
Les idéaux de la Révolution brillent aux yeux des deux jeunes gens, mais assez vite vient la désillusion, en particulier sous l’occupation française de Danzig, la jeune Sophie étant au service du gouverneur napoléonien Rapp qu’elle finira par empoisonner, en usant de champignons vénéneux… Là encore, la Révolution est démasquée, elle et ses acolytes perdent leurs habits de grandeur. Sont ainsi dévaluées les deux imposantes figures de « Robespierre et Napoléon en démasquant chez l’un le complexe de Tartufe, chez l’autre celui de la grosse tête »[25].
Contre la « commémorite » et la patrimonialisation du passé national, les auteurs opèrent donc un déplacement de l’intérêt de l’Histoire, non pas comme négation de celle-ci, mais comme mise en valeur de son point d’ancrage oublié : le quotidien, ces existences minuscules traditionnellement rejetées par le canon historiographique. Cette histoire apocryphe[26] trouve son double dans l’évolution de la discipline historique au cours des années suivantes, qui se tourne vers la micro-histoire, une analyse centrée sur le mode de vie des petites gens et des individus d’importance mineure. Cette école de la micro-histoire s’épanouira dans les années 1980, avec l’ouvrage fondateur de Carlo Ginzburg, Le Fromage et les vers. L’univers d’un meunier au XVI° siècle, reconstitution de la vie et du mode de pensée d’un meunier par l’étude des moindres traces et témoignages. Un même renouvellement de l’historiographie allemande s’opère avec, entre autres, Histoire de la vie quotidienne du peuple allemand de Jürgen Kuczynski, que Grass lira avec intérêt. Les généalogies glorieuses sont abandonnées au profit de générations d’hommes et de femmes du commun : les cuisinières kachouches de Grass, les marginaux duc d’Auge et Cidrolin dans Les Fleurs bleues. L’intérêt se porte plus sur l’histoire des mœurs, les habitudes du quotidien, en particulier l’alimentation, qui prend une place gargantuesque dans les deux romans. Le Turbot, dont le premier titre fut Kartoffelschalen (« Epluchures de pommes de terre »), est pour son auteur une « histoire de notre nourriture, de l’âge de pierre jusqu’à nos jours »[27], élément central de l’existence humaine « masqué par le puritanisme religieux et l’intellectualisme des « lumières » »[28]. De même, les tripes, boudins, ou autres pâtés d’alouette, abondent dans Les Fleurs bleues, où les protagonistes sont toujours à la recherche d’un bon repas, plutôt qu’en quête d’une action héroïque.
Les deux romanciers se positionnent ainsi clairement contre la hiérarchie historiographique, opposant la grande à la petite histoire. Toutefois, s’ils choisissent la seconde, ce n’est pas, au sens où l’entend Georg Lukacs, pour refléter schématiquement les mouvements contradictoires de la première, selon une idéologie progressiste[29]. Il s’agit plutôt de dévoiler les aspects inconnus de celle-ci, son versant caché. Et si les auteurs font souvent preuve d’une érudition documentaire importante, ils font surtout appel à leur imaginaire pour convoquer cette contre-histoire des « petits ».
III. Le renversement de la hiérarchie entre réalité et fiction
Des versions imaginaires et polémiques de l’histoire
Cette critique des techniques de l’historiographie traditionnelle aboutit à la mise en place d’un autre modèle, opérant un retour à la fiction. La proposition d’une version hétérodoxe de l’histoire s’accompagne en effet d’un recours massif à l’imaginaire, dans une inversion du rapport entre réalité et fiction, ligne démarcative originelle des deux discours que sont l’histoire et la littérature. Si l’histoire est montrée comme falsificatrice alors même qu’elle se veut discours réaliste par excellence, c’est alors paradoxalement la fiction et son irréalisme qui peuvent livrer une vérité possible de l’histoire.
Günter Grass défend cette thèse dans un discours tenu lors d’une rencontre d’écrivains en 1981. Il tisse des liens étroits entre littérature et mythe, qu’il entend comme garants de la mémoire collective :
La vérité ne s’exprime plus, à la rigueur, que dans les contes et légendes, tandis que les contraintes objectives de notre époque, associées d’une manière tellement rationnelle, nous privent de toute découverte vécue. […] La littérature vit du mythe. Elle crée des mythes, elle en détruit. A chaque fois, elle raconte la vérité d’une autre manière. Sa mémoire engrange ce dont nous devrions nous souvenir.[30]
Cela n’est donc pas un hasard si l’auteur choisit avec Le Turbot la forme du conte populaire. Le roman est la réécriture d’un conte, retranscrit à l’origine par les frères Grimm. Du pêcheur et de sa femme relate l’histoire d’un pêcheur, dont la femme est toujours insatisfaite, et qui un jour pêche un turbot magique. Ce poisson doué de parole, et de grands pouvoirs, réalisera les vœux de l’épouse, jusqu’à une certaine limite, où il n’accèdera plus à ses demandes exorbitantes. Grass reprend la figure essentielle du turbot magique, il la transforme et en fait le conseiller depuis la préhistoire de la cause masculine, qui s’émancipe grâce à son aide du matriarcat originel. L’auteur imagine en effet les premiers hommes vivant sous la coupe des femmes, au sein d’une gynécocratie, que le turbot souhaite transformer en phallocratie.
Réécrivant de manière polémique l’histoire des deux sexes, l’auteur, s’il convoque la fantaisie des contes de fées, et sa dose d’irréalisme, ne se départit jamais d’une visée référentielle. Le monde merveilleux qu’il construit est une mise en scène qui vient souligner un fait indéniable de l’histoire : son aspect misogyne, puisqu’il s’agit d’une histoire d’hommes, exclusivement. Le roman entend réparer, pour reprendre l’expression significative de Juan Goytisolo, ce « mémoricide »[31] qu’est l’absence de femmes dans le discours historiographique. Il veut donner une autre version de la féminité que celle véhiculée par le conte des frères Grimm : une femme avide, insatiable, harcelant son époux de demandes irréalisables. C’est ainsi qu’une deuxième version apparaît dans le roman, bien loin de la première. Un passage intitulé « L’autre vérité » revient sur la genèse du conte au sein du groupe des poètes Romantiques (Arnim, Brentano, Grimm, Runge), et montre qu’il existait en réalité deux versions populaires de celui-ci, l’une misogyne, l’autre dénonçant l’envie de pouvoir dévastatrice de l’homme. Les poètes choisirent la première, et ce choix fut à l’image de l’histoire humaine dans son ensemble. En donnant cette « autre vérité », Grass compte écrire une contre-histoire de la participation anonyme des femmes, et ce grâce à son imagination, puisque cette participation relève du non-écrit de l’histoire.
Le merveilleux remplit aussi une fonction polémique dans Les Fleurs bleues. Le roman consiste en une alternance entre deux rêves, celui du féodal duc d’Auge et celui du contemporain Cidrolin. L’un rêve qu’il est l’autre, comme dans l’apologue de Tchouang-tseu placé en prière d’insérer[32]. La dimension onirique du récit permet l’insertion d’éléments irréalistes, comme la présence de chevaux doués de parole. Cette référence au monde mythologique – Xanthe, le cheval d’Achille, parlait lui aussi – n’est pas gratuite. De ce fait, l’auteur revient sur la distinction entre l’homme et l’animal, les personnages humains se comportant parfois dans le récit comme dénués de toute rationalité. Cet élément permet d’aborder l’histoire humaine dans sa part instinctuelle, part souvent cachée par l’histoire comme nous avons pu le constater à propos du retour de la violence au fil des époques. Le merveilleux prend donc une dimension cognitive.
Remise en question des notions de réalité et de vérité
L’histoire officielle, soit-disante réalité avérée, est ainsi écartée et c’est la fiction qui vient donner une « version plus complète de la réalité »[33], comme le propose l’écrivain mexicain Carlos Fuentes, l’un des représentants majeurs de la nueva novela historica sud-américaine. Les auteurs se libèrent du réalisme, de la vraisemblance, de l’objectivité, anciens garants d’une version une et homogène de l’histoire. Le « métarécit » explose en un « multirécit »[34], où se chevauchent faits avérés et faits imaginés, comme autant de versions possibles de l’histoire. Le distinguo entre Histoire et histoire(s) prête à confusion, comme le rappelle l’épigraphe d’un roman historique anglais, Le Pays des eaux de Graham Swift, paru en 1983:
Historia, ae, f. 1° enquête, investigation, savoir. 2° a) narration des événements passés, histoire. b) toute sorte de narration : récit, conte, histoire.[35]
Dans ce roman, l’analogie est vite dressée entre histoire et conte de fées[36], l’histoire étant assimilée à une fable que s’invente l’homme face à l’incertitude, au chaos qu’est la réalité[37]. Le romancier français Claude Simon rejoint cette conception de l’histoire comme fable. Selon lui, la coutume nous porte à voir l’histoire comme un « petit récit d’où l’on tire une moralité », mais en réalité, c’est l’inverse qui se produit : « c’est qu’en fait le véritable processus de fabrication de la fable se déroule exactement à l’envers de ce schéma et qu’au contraire c’est le récit qui est tiré de la moralité. »[38] Ces réflexions d’auteurs de romans historiques de différentes aires culturelles marquent bien, au-delà du corpus choisi pour cette étude, la méfiance et le rejet des auteurs envers le discours historiographique. Les falsifications historiques du XXe siècle sont certainement à la source de ce bouleversement, en particulier le nazisme, dont on sait quelle expérience et quel rôle de révélateur il a pu jouer dans la vie de Grass. Salman Rushdie décrit les choses ainsi, dans un texte qu’il consacre à l’auteur allemand :
Il a grandi, comme il l’a dit, dans une maison et un milieu où la vision nazie du monde était considérée tout simplement comme la réalité objective. Ce n’est qu’à l’arrivée des Américains, à la fin de la guerre, que le jeune Grass a commencé à comprendre ce qui s’était réellement passé en Allemagne, que les mensonges et les distorsions des Nazis n’étaient pas la simple vérité. Quelle expérience : découvrir que l’image entière qu’on a du monde est fausse, et pas seulement fausse, mais fondée sur une monstruosité. Quelle tâche pour un individu : la reconstruction de la réalité à partir des décombres. […] la réalité est un objet fabriqué, elle n’existe pas avant qu’on l’ait faite, et, comme n’importe quel autre objet fabriqué, elle peut être bien ou mal faite, et on peut aussi, bien sûr, la défaire. Ce que Grass a appris dans son voyage, à travers les frontières de l’Histoire, ce fut le Doute. Maintenant, il se méfie de tous ceux qui prétendent posséder des formes absolues de connaissance ; il suspecte toute explication globale, tout système de pensée qui prétend être complet.[39]
Signant la crise des notions de réalité et de vérité propre à l’époque contemporaine, le roman historique des années 1960-1970, et ses nombreux héritiers, rejouent donc la tension entre réalité et fiction au profit de la seconde. Une révolution générique apparaît alors, quasiment au sens astronomique du terme : le genre opère une révolution sur lui-même, par un retour à la fiction, au légendaire, au merveilleux, à la fable écartée par le discours historique depuis ses origines grecques, depuis le divorce entre Homère et Hérodote. Le recours au mythe et à l’imaginaire vient contrecarrer une rationalité historiographique univoque, et par là même souvent lacunaire et mystificatrice. Les parties non écrites de l’histoire, méconnues ou bien tues, trouvent un « lieu de mémoire »[40] dans l’espace de ce nouveau roman historique, dont la dimension politico-éthique est, de ce fait, grandissante[41]. D’un mémorial de l’histoire monumentale, il devient iconoclaste, brisant les idoles du grand récit unitaire, jouant avec les lignes de la chronologie du progrès, imposant les minorités au premier plan. Il manifeste cette nouvelle conception de l’histoire propre à l’époque contemporaine et lui renvoie son image, dans une logique proche de celle de Cervantès : en tant que fiction historique qui, parce qu’elle ne cache pas sa dimension de mensonge, peut nous révéler une part de vérité.
Notes
[1] Aristote, Poétique, traduit du grec par Barbara Gernez, Paris, Les Belles Lettres, « Classiques en poche », 2002, p. 35.
[2] Roland Barthes, « Le discours de l’histoire », Œuvres complètes, Paris, Seuil, 1994, t. II, p. 417.
[3] Michel de Certeau, « L’Histoire, une passion nouvelle, table ronde avec : Philipe Ariès, Michel de Certeau, Jacques Le Goff, Emmanuel Le Roy Ladurie, Paul Veyne », La Nouvelle histoire, Le Magazine littéraire, n° 123, avril 1977, p. 20.
[4] Jean Molino, « Qu’est-ce que le roman historique ? », Revue d’histoire littéraire de la France, n° 2-3, 1975, pp. 195-234.
[5] Georg Lukacs, Le Roman historique, traduit de l’allemand par Robert Sailley, Paris, Editions Payot, « Petite Bibliothèque Payot », 2000 (1965).
[6] Voir sur ce point Marta Cichoka, Entre la nouvelle histoire et le nouveau roman, Réinventions, relectures, écritures, Paris, L’Harmattan, « Littératures comparées », 2007, pp. 147-190.
[7] Raymond Queneau, Les Fleurs bleues, Œuvres complètes III, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2006 (1965).
[8] Günter Grass, Le Turbot, traduit de l’allemand par Jean Amsler, Paris, Seuil, 1979. V.O. : Günter, Grass, Der Butt, Steidl, Göttingen, 1993 (1977).
[9] « Sans recourir au jargon de la critique, suggérons la lecture d’un roman historique ludique, poétique, comique, fantaisiste, à la réjouissante intertextualité : Les Fleurs bleues de Raymond Queneau », Gérard, Gengembre, Le Roman historique, Paris, Klincksieck, « 50 Questions », 2006, p. 144. L’auteur cite aussi Günter Grass au sein des « auteurs confirmés [qui] écrivent des romans historiques », p. 142. Le Turbot est en effet principalement analysé dans les relations qu’il entretient avec l’histoire. Citons quelques exemples de communications sur le sujet : David, Jenkinson, « Conceptions of History » et Timothy, Mc Farland, « The Transformation of Historical Material : The Case of Dorothea von Montau », Günter Grass’s Der Butt : Sexual Politics and the Male Myth of History, textes édités par Philip Brady, Timothy McFarland, J. John White, Oxford, Clarendon, 1990 ; Friedrich, Ulfers, « Myth and History in Günter Grass’ DerButt » et Anke, Burkhardt, Ursula, Tesch, Friedrich, Voit, « Geschichten zur Geschichte. Zum neuen Roman von Günter Grass Der Butt », Adventures of a Flounder : Critical Essays on Günter Grass’ Der Butt, textes édités par Gertrud Bauer Pickar, Münich, Fink, 1982.
[10] Michel Foucault, « Nietzche, la généalogie, l’histoire », Dits et Ecrits 1954-1988, Paris, Gallimard, « Quarto », t. I, pp. 1004-1005.
[11] Günter Grass, Le Turbot, op. cit., p. 87. V.O. : « runde viertausend Jahre Vergangenheit », p. 94.
[12] Alain Montandon, « Günter Grass et le cinquième évangéliste », Frontières du conte, études rassemblées par François Marotin, Paris, Editions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1982, p. 145.
[15] Voir sur ce point voir L’Histoire et ses méthodes, Paris, Gallimard, « Encyclopédie de la Pléiade », 1961, et plus particulièrement Guy Beaujouan, « Le Temps historique », pp. 52-67.
[16] Voir sur cette idée de « coupure » de l’histoire, entendu comme « discours de la séparation », Michel de Certeau, « Ecritures et histoires », L’Ecriture de l’histoire, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1975.
[18] Brigitte Krulic, « Le souvenir surgit comme un chat. Entretien avec Günter Grass », Ecrivains, identité, mémoire : miroirs d’Allemagne, 1945-2000, Paris, Autrement, « Mémoires », 2001, p. 85.
[19] Günter Grass, Le Turbot, op. cit., p. 138-139. V.O. : « […] wenn man die erschossenen Arbeiter von Gdansk und Gdynia mit den hingerichteten Rädelsführern des mittelalterlichen Handwerkeraufstandes verrechnet, besserte sich gegenwärtig wie dazumal politisch nur wenig […]. Seit 1378 hat sich in Danzig oder Gdansk soviel verändert : Die Patrizier heißen jetzt anders. », p. 154.
[21] Günter Grass, « Sur mon maître Döblin », Essais de critique. 1957 – 1985, traduit de l’allemand par Jean Amsler, Paris, Seuil, 1986 (1980), p.76.
[23] Anne-Marie Jaton, Lecture(s) des « Fleurs bleues » de Raymond Queneau, Pisa, Edizioni Ets, « Poiesis e critica mitica », 1998, p. 48.
[24] Günter Grass, Le Turbot, op. cit., p. 409. V.O. : « Sieben Jahre lang gingen wir, während hinter den Wäldern die Revolution stattfand und die Guillotine als humaner Fortschritt gefeiert wurde, in die Pilze und hatten eine schöne Idee. », p. 454.
[25] Ibid., p. 366. V.O. : « Robespierre und Napoleon, indem sie den einen als « Heuchler », den anderen als « Gernegroß » entlarvte », p. 408.
[26] Voir Brian Mc Hale, « Apocryphal history », Postmodernist fiction, London-New-York, Routledge, 1987, pp. 90-93.
[27] Günter Grass, Atelier des métamorphoses. Entretiens avec Nicole Casanova, Paris, Pierre Belfond, « Entretiens », 1979, p. 172.
[29] Selon le critique marxiste, le roman historique vit son apogée au XIXe siècle, et trouve son modèle dans l’œuvre de Walter Scott, qui crée un « personnage moyen », représentatif d’un courant socio-historique : « Il s’efforce de figurer les luttes et les antagonismes de l’histoire au moyen de personnages qui, dans leur psychologie et dans leur destin, restent toujours des représentants de courants sociaux et de forces historiques », Le Roman historique, op. cit., p. 34. Il considère la Révolution comme le point culminant d’un long processus qui serait la lutte des classes dans l’histoire, lutte dont serait issue la société bourgeoise. L’instauration du capitalisme qui s’ensuit s’accompagnerait d’une dégénérescence du roman historique, limité à la vie privée et à une vision exotique et pseudo-monumentale de l’histoire.
[30] Günter Grass, « Littérature et mythe », discours tenu lors de la Rencontre des Ecrivains à Lahti (Finlande) en 1981, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni dans le dossier consacré à l’auteur par Le Magazine Littéraire, n° 381, octobre 1999, pp. 60-61.
[31] Juan Goytisolo, « Mémoire, oubli, amnésie, souvenir et mémoricide », Cogitus interruptus, traduit de l’espagnol par Abdelatif Ben Salem, Paris, Fayard, 2001 (1999), pp. 15-30. Dans cet ouvrage, dont la sixième partie s’intitule « Günter Grass-Juan Goytisolo. Dialogue à propos de l’oubli, des tabous et de la mémoire courte », le romancier espagnol revient, à la suite de Grass, sur le rôle de « l’intellectuel sans mandat », celui qui écrit l’histoire sans exécuter les desiderata du pouvoir politique.
[32] « On connaît le célèbre apologue chinois : Tchouang-tseu rêve qu’il est un papillon, mais n’est-ce point le papillon qui rêve qu’il est Tchouang-tseu ? De même dans ce roman, est-ce le duc d’Auge qui rêve qu’il est Cidrolin ou Cidrolin qui rêve qu’il est le duc d’Auge ? »
[33] Carlos Fuentes, Le Sourire d’Erasme, Epopée, utopie et mythe dans le roman hispano-américain, traduit de l’espagnol par Eve-Marie et Claude Fell, Paris, Gallimard, « Le Messager », 1992 (1990), p. 112.
[35] Graham Swift, Le Pays des eaux, traduit de l’anglais par Robert Davreu, Paris, Gallimard, « Folio », 1986 (1983).
[37] Ibid., p. 63 : « Je vous présente l’histoire, la fabrication, la diversion, le drame qui éclipse la réalité. »
[39] Salman Rushdie, « Günter Grass », Patries imaginaires : essais et critiques, 1981-1991, traduit de l’anglais par Aline Chatelin, Paris, Christian Bourgeois éditeur, 1993 (1991), pp. 308-309.
[40] « […] les lieux de mémoire ne sont pas ce dont on se souvient, mais là où la mémoire travaille ; non la tradition elle-même, mais son laboratoire », Pierre Nora, « Entre mémoire et histoire. La problématique des lieux », Les Lieux de mémoire, tome I, Paris, Gallimard, « Quarto », 1997 (1984), p. 18.