Rodica Chira
Université “1 Decembrie 1918”, Alba-Iulia, Roumanie
rogabchira@yahoo.fr
Sur Le livre des ombres de Serge Lehman /
Serge Lehman’s The Book of shadows
Abstract: The coherence of the twenty-five short stories of Le Livre des Ombres – The Book of shadows (L’Atalante Publishing House, 2005), an anthology of science-fiction belonging to Serge Lehman, is conferred by the “Prologos”, whose elements are included in the preamble of each story, as well as by the “Epilogos”. The directory thread is held by Orson Malaverne, a scribe belonging to the distant future who tries to reconstruct history, the “space-time” of the “world before the world” now disappeared. Under the sign of the word history, with the help of fracts, everything can be found here: galactic wars, utopia (Nulle part à Liverion), universes directed by the will of a deity invented through using the technique (La Perle), “children” stories (L’inversion de Polyphème), policy-oriented stories, scientific discoveries and human weakness, time travels. We shall only insist on some of these stories.
Keywords: Serge Lehman; Science-fiction; History; Space-time; Chronotope; The Bible; Speculative fiction.
Serge Lehman, de son nom patronymique Pascal Fréjean, est le pseudonyme le plus connu de cet écrivain français de science-fiction qui signe aussi Corteval, Don Hérial, Karel Dekk et publie surtout au Fleuve Noir, aux Editions J’ai lu et dans plusieurs magazines. On parle de lui comme d’un « auteur à éclipses ». Né le 12 juillet 1964, à Viry-Châtillon (département de l’Essonne), il se prend de passion pour la SF à l’âge de neuf ans en lisant Voyage au centre de la Terre de Jules Verne. Sa nouvelle Dans l’abîme (1994), de même que son roman F.A.U.S.T. (1997) sont récompensés par le Grand Prix de l’Imaginaire. Pour le recueil de nouvelles La Sidération (1995), il obtient le Prix Rosny-Aîné[1].
Dans Le livre des ombres[2], recueil publié en 2005 aux éditions L’Atalante, il rassemble certaines de ses meilleures nouvelles. Vingt-cinq histoires représentant des textes indépendants publiés dans un intervalle de quelques années sont ingénieusement rassemblées par un fil directeur qui assure la cohérence de l’ensemble. Cette cohérence est conférée par le « Prologos », dont des éléments sont repris dans le préambule qui introduit chaque histoire, aussi bien que par l’« Epilogos ». Le fil directeur est déroulé par Orson Malaverne, un scribe appartenant à un futur éloigné qui essaie de restituer l’histoire, « l’espace-temps » disparu du « monde d’avant le monde » (« Prologos », p. 17) – l’ancienne Terre –, afin de permettre aux habitants de Grandor de continuer à vivre, toute civilisation ayant besoin d’un sens, d’un rattachement au passé qui lui permette de se projeter dans le futur. Le sens du mot histoire est double : d’un côté la science, celle qui établit des données vérifiables (préoccupation qui n’existait que sur la Terre), de l’autre la dimension mythique. C’est cette dernière qui est évoquée au début du « Prologos », par le besoin de réactualiser à l’infini la « guerre des Sept Minutes », le temps que le père d’Orson mettait chaque matin à l’aube à raconter l’éternelle bataille entre le bien, représenté par Cal, et le mal, représenté par l’Avatar et les Hiffis.
Devenu adulte et désigné à embrasser cette très ancienne occupation de scribe dans un monde qui ne s’intéresse plus à l’écriture, Orson Malaverne rassemble des histoires, les range dans un ordre cohérent et les met sur papier sans oublier le préambule. Travail difficile vu que, pour ce faire, il doit traverser le canyon du Pli du Songe, sa « géographie religieuse » (p. 89) en fait, afin de se mettre à l’écoute des hommes-mères. Tant que les hommes-mères du canyon du Pli du Songe racontent leurs histoires et que les pèlerins y croient, Grandor ne va pas disparaître. Grandor[3] semble être une autre planète où les Terriens espéraient toujours arriver, et certains d’entre eux y sont parvenus. Ils sont appelés dieux, et les hommes-mères ne sont que leur réincarnation. Orson Malaverne n’est pas un homme-mère parce qu’il ne peut pas entrer en transe comme les autres ; mais il n’est pas loin de cet état par le don de l’écriture. Par son livre, il pourrait créer « un second Pli du Songe à l’intérieur du premier, un canyon de mots où accomplir leur propre pèlerinage » (p. 30). Les histoires racontées par les hommes-mères sont transmises par les fractes. Puisque dans « le monde d’avant le monde » les fractes sont absents, les dieux ont inventé des signes afin de conserver leurs histoires. Les fractes sont des fragments de pierre, des reliques sacrées, et si on les regarde plus attentivement on peut distinguer sur leur surface des symboles minuscules. « Ils [les hommes-mères] leur associent des sons et les combinent entre eux de façon à reproduire la forme sonore des mots et des phrases. Après, il leur suffit de reprendre toute la séquence depuis le début et de prononcer correctement les sons pour que la signification leur revienne en mémoire. » (« Prologos », p. 25). On peut y deviner une forme d’écriture. Une « sorte de transe » est ainsi créée, qui permet d’enregistrer « les légendes du Pli sans menacer la stabilité de Grandor ». Les hommes-mères contrôlent la transe « en remaniant le vocabulaire de l’histoire originale pour l’adapter aux réalités de Grandor » (p. 17).
Le lecteur doit faire preuve de patience, il n’est pas facile d’avancer, de toujours comprendre du premier coup le message de chaque page : il faut revenir sur ce qui précède, interpréter, réinterpréter. Sous le signe du mot histoire, avec ses deux sens mentionnés plus haut, il y a de tout : guerres galactiques (Un songe héliotrope), utopie (Nulle part à Liverion), univers qui se dirigent d’après la volonté d’une divinité inventée à l’aide de la technique (La Perle), des histoires « d’enfants » (L’inversion de Polyphème), histoires axées sur la politique (Panique sur Darwin Alley), découvertes scientifiques et faiblesse humaine (L’hypothèse de Russo), voyages dans le temps (La sidération), etc.
Rangé dans la catégorie de la Fantasy, le volume dans son ensemble se révèle être une exemplification très réussie de science-fiction spéculative. Cette dernière, beaucoup plus complexe, met en question, au-delà de l’aventure spatiale et de la technique, l’être humain et sa place dans le monde. De qui ou de quoi s’agit-il dans ce livre ? Quelle est la différence entre un personnage réel et un personnage inventé ? Le personnage inventé est-il une illusion ? Comme dans la vie, le « réel » découvert dans ces nouvelles est le résultat de l’imagination d’individus particuliers ; mais le rapport à l’imaginaire collectif n’est jamais absent. Dans la constitution d’un monde, il y a d’abord l’impulsion initiale, généralement attribuée à une force surnaturelle, à la suite de quoi le monde, on peut même dire le livre, crée ses propres formes de vie qui fonctionnent d’après des lois universelles avant tout (Katoptron).
À chaque époque, ses outils. Si dans les temps révolus, dépourvus de moyens techniques, la divinité était représentée comme une force impalpable et toute puissante qui disposait à son gré de tout et de tous, de nos jours l’imagination se donne la possibilité d’assumer par la technique la direction de l’univers tout entier. On a parfois l’impression que la force qui contrôle est une machine, une technologie qui « range » le monde. Qui est l’objet de ce contrôle total ? L’être humain, évidemment, ou ses descendants errant dans le cosmos, sur la Voie, cette galaxie qui inclut Grandor. Ils ne sont pas encore en mesure de la dépasser. Le jeu est étrange de par les forces qui sont en lutte. Il y a le combat contre les indestructibles Hiffis, les forces du mal qui, de manière paradoxale, ne représentent rien d’autre que notre double maléfique : « Au bout du compte, les experts livraient toujours le même diagnostic ; les Hiffis ne détruisaient jamais rien : ils forçaient simplement leurs victimes à se suicider ou à se massacrer entre elles. » (La route du Grand Dehors, p. 498). Les « guerres » entre le bien et le mal se disputent avant tout en chaque être humain.
Le récit La Perle met en scène l’apparition d’une petite planète, Paho, que les habitants, les Pahonis, appellent de ce nom sans se rendre compte qu’il est parfaitement bien choisi. Leur divinité, Urruk, a plusieurs représentations réalisées dans un métal, l’umbrium, que les descendants des Terriens veulent exploiter. Mais on finit par découvrir que ce métal n’existe pas à l’état natif : il n’est qu’un alliage, un
produit de synthèse élaboré par une civilisation que nous ne connaissons pas, et dont elle se servait pour construire des vaisseaux. […] A l’époque où Antanica était encore une étoile nue juste cernée d’un disque protoplanétaire, l’un de ces vaisseaux s’est stabilisé en orbite. Il n’est jamais reparti […] sa masse était telle qu’il a joué à lui seul le rôle d’attracteur gravitationnel du système. En quelques dizaines de millions d’années, l’essentiel du matériel contenu dans le disque circumsolaire s’est concentré sur lui. C’est ainsi que s’est formée Paho. (p. 351)
La divinité que les Pahonis appellent Urruk, le faiseur-de-monde, prouve n’être que le fossile d’« un des membres de l’équipage originel, bien à l’abri dans son scaphandre en umbrium ». De plus, la mort des membres de l’équipage « a dû disperser un peu de matériel génétique dans la biosphère » en préservant la filiation. C’est ainsi que ces populations sont nées.
La nouvelle L’inversion de Polyphème, racontée par Lesseps, homme-mère du Pli mais aussi dieu dans les anciens temps de la Terre, est située dans le temps historique ; à cette époque le temps était précisément enregistré, « une obsession dont nous, hommes de Grandor, sommes dispensés » (p. 90-91) par l’invocation de la date : deux cents ans après 1787. L’action est censée se passer aux Loges, un village de la France. Les Engoulevents, une petite bande d’élèves en vacances, dévoreuse de textes de science-fiction, en ont constitué une bibliothèque dans une cabane située à une certaine distance du village. Cette cabane est aussi leur lieu de rencontre ; trois garçons et une fille, dont Paul, le plus âgé (une quinzaine d’années), qui a un œil de verre ; celui-ci les conduit un jour vers l’île, « un énorme bloc de granit » qui se dressait au milieu des champs sur la ferme d’un Arabe. Au sommet de ce bloc « s’étendait un plateau irrégulier envahi par les buissons » (p. 114) et dominé par un grand saule. À la même heure du jour, ses branches étaient inondées d’une lumière étrange, semblable « au film d’un nuage projeté en accéléré » (p. 116) et qui se confondait avec celle du soleil. Les arbres de l’autre côté de la route donnent l’impression qu’ils marchent. Au centre de la boule de cristal fixée sur un petit rocher sous cette lumière « une autre vision prenait forme » : une vraie mer dont la houle est traversée par le dos « d’un gros animal noir ». Des dinosaures s’avançaient sur le sol tandis que dans le ciel « un navire auréolé de lumière et porté par des ailes gigantesques planait comme un oiseau de proie. Il comportait un pont découvert le long duquel j’ai perçu des silhouettes raides et déterminées. Des hommes en noir. Ils observaient la plage. » Le troupeau de dinosaures « longeait le rivage avec des enfants juchés sur le dos » (p. 119). Avant que la lumière étrange se dissipe, un de ces enfants, un garçon de douze à treize ans, tombe dans un trou, près du rocher. La troupe qui l’entraîne dans la petite maison est effrayée par les yeux qui la fixent quelques instants depuis la butte de terre formée par la création du trou et devenue tête. Paul essaie d’expliquer qu’il a vécu ce dont le roman Flatland (1884)[4] d’Edwin Abbott parle : les images que la troupe avait découvertes du haut du rocher, il les voit partout, chaque jour, car il a la capacité de passer par la quatrième dimension à l’aide de son œil de verre. Ainsi, le lézard qu’on voit dans le monde à trois dimensions est un dinosaure dans l’autre. Pour que le garçon « tombé » de cette quatrième dimension ne meure, il doit être rendu à son monde, ce qui se produit grâce à l’aide de Paul, mais aussi par son sacrifice ; en effet, l’œil de verre situé au début du côté droit passe du côté gauche, et Paul est atteint par la folie et interné. J’ai insisté sur cette nouvelle, une des plus longues du volume pour deux raisons : le dessin de Gess, illustrateur du volume, figure sur la première couverture ; par ailleurs on assiste à la réactualisation d’une théorie par un texte de vulgarisation scientifique représenté par la science-fiction.
On a du mal parfois à établir des connexions entre les différentes histoires. Je suis d’accord avec Nathalie Labrousse lorsqu’elle trouve des ressemblances avec la Bible, car le livre de Serge Lehman
[…] donne l’impression d’entrecroiser des sources hétérogènes pour accoucher finalement d’une forme de spiritualité complexe, ambiguë. Peut-être, après tout, parce qu’on ne sait toujours pas (on ne saura jamais) si le concept de religion vient de relegere (recueillir, relire) ou de religare (relier). Ce que l’on voit émerger dans ce recueil, c’est bien la religion d’un monde, dont le pourquoi, comme il est d’usage, reste entier à la fin du recueil : révélé, il reste néanmoins un Mystère.[5]
La pensée est involontairement dirigée vers le premier chapitre de l’Ecclésiaste :
08 Tout discours est fatigant, on ne peut jamais tout dire. L’oeil n’a jamais fini de voir, ni l’oreille d’entendre.
09 Ce qui a existé, c’est cela qui existera ; ce qui s’est fait, c’est cela qui se fera ; il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
10 Y a-t-il une seule chose dont on dise : « Voilà enfin du nouveau ! » – Non, cela existait déjà dans les siècles passés.
11 Seulement, il ne reste pas de souvenir d’autrefois ; de même, les événements futurs ne laisseront pas de souvenir après eux.[6]
L’assimilation au Vieux Testament est suggérée aussi par l’idée du livre dans le livre. La nouvelle Le livre des ombres (qui donne le titre au volume) présente des enchères : plusieurs livres sont à vendre dix années après la disparition de leur détenteur, la princesse Ariella l’Argyrogénète, une dame qui semble avoir vécu « près de huit siècles ». Ce livre, très cher, est « un objet fractal – virtuellement infini. Tout ce qui a été écrit un jour, tout ce qui est écrit en ce moment et sera écrit à l’avenir s’y trouve. Le Livre est l’histoire. La nation qui le possède est assurée, à terme, de régner sur le monde. […] Au-delà d’un certain seuil, le Livre cesse d’être accessible au langage. Pour parler de lui, il faut exprimer une image de l’infini… » (p. 594, 597). Quand l’ouvrage est adjugé, l’intercesseur « demande à l’acheteur de l’ouvrir au hasard et d’en lire une page. Et cette page est toujours la même depuis que le Livre existe : elle raconte l’histoire de l’acheteur, sans rien omettre. Elle lui dit où et quand il doit mourir… » (p. 597). Le possesseur finit par être possédé. Les ombres se révèlent être « l’autre nom du temps », le Livre ayant le rôle de mettre « la conscience à l’épreuve du temps » (Ibid.). Certaines pages ne sont pas visibles pour tout le monde ; elles sont visibles seulement pour la personne à laquelle elles sont consacrées.
L’auteur du Livre des ombres surprend par la construction de ses textes. Le contenu et la mise en page s’accordent parfaitement (Un songe héliotrope). Chaque histoire est un fracte, l’univers apparaît comme une composition fractale. Ce dernier terme apparaît d’ailleurs dans plusieurs nouvelles : l’infiniment grand est une reprise à l’infini de l’infiniment petit. Le fracte est un fragment. C’est par le fragment que l’on réussit à reconstituer l’univers. Un fragment, mille fois répété dans des structures finalement régies par un certain ordre qui pourrait aller à l’infini[7]. Les mularis, par exemple, est une histoire dans une autre histoire. Puisque les homme-mères racontent leur histoire d’une autre vie, celle du monde d’avant le monde à l’aide de la transe et des fractes. Nous pouvons également voir la saga de Michel Ackab (même nouvelle) le personnage Achab de Moby Dick. Cette fois, il n’y lutte pas contre une baleine géante, nous sommes dans l’océan interplanétaire et la Murène, une « entité panstellaire très agressive » (p. 611), détruit tout par le feu.
Dans Nulle part à Liverion, le temps de la narration ne correspond pas au temps linéaire : le premier épisode se situe au retour de Paul de Liverion alors que la chronologie commanderait de le placer à la fin de la nouvelle, juste avant l’épilogue. Dans cet épisode introductif, la rencontre de Paul avec Jonahsen manifeste clairement le contraste existant entre liberté intérieure et liberté extérieure, perçu comme une conséquence du voyage à Liverion. Cette transformation du personnage principal est perceptible dès le sixième épisode dans le message que Maria, sa femme, lui envoie via telmat : « La manipulation de Jonahsen n’a pas d’importance. Je suis allée à la fondation hier. J’ai écouté aux portes… Paul, tu es en train de leur échapper. Jusqu’à l’intervention de Wishman, ils pensaient qu’ils te tenaient. Mais il s’est passé quelque chose. Tu as trouvé quelque chose et ils ne savent pas ce que c’est. Alors continue ! Même s’ils te suivent, même s’ils croient toujours que tu vas les mener à ce qu’ils cherchent. Ta logique n’est pas la leur. » (Ibid., p. 254) Ni la pression psychologique imposée par la présence des B-men, ni les arguments de Wishman n’ont de pouvoir sur lui. Wishman est celui qui accomplit un désir, mais sans aucune intention de ce genre car il n’est qu’un collaborateur de l’Instance. Les « Brilliant Men » symbolisent l’univers de la performance dans un monde où prime la concurrence ; cadres d’entreprise très attachés à leur entreprise, ils peuvent aussi servir d’hommes de main s’il le faut. Une fois la liberté intérieure acquise, la liberté extérieure n’est limitée qu’en apparence. L’espace et le temps se confondent. Le personnage de la fin de la nouvelle s’identifie à celui du début et semble avoir acquis le don soit de l’ubiquité, soit du détachement de la temporalité ce qui revient au même. Ainsi, le monde représenté et le monde qui représente se recoupent.
Le rapport entre le monde représenté et le monde qui représente – celui du narrateur-auteur – nous renvoie à l’évidence que, tout comme l’événement qui y est représenté, « toute œuvre a un début et une fin[8] ». L’événement raconté dans l’œuvre et celui de la narration en soi ont lieu à des moments et en des lieux différents tout en restant inséparables. L’auteur-créateur se déplace librement dans son époque – il commence son histoire par la fin – sans altérer cependant le cours objectif du temps dans l’événement représenté[9].
Se situant en dehors des chronotopes du monde qu’il représente[10], l’auteur-créateur se trouve en effet sur la tangente de ce chronotope. Le monde qu’il évoque est celui du héros qui participe à l’événement représenté et la narration qu’il dirige est organisée en fonction de la vision du héros.
Un échange de messages avec l’auteur au sujet de l’interprétation de cette dernière nouvelle m’a permis de témoigner de la surprise qu’un auteur de talent a lorsqu’il est confronté aux opinions de ses lecteurs. « La route, le seuil, sont en effet des opérateurs qui reviennent souvent dans ce que j’écris. Je n’en avais pas vraiment conscience avant de vous lire. En ce sens, vous avez bien “surpris une partie du message” de la nouvelle, une partie dont j’ignorais le sens. Pour un auteur, c’est toujours une surprise de se relire à travers le regard d’un autre. »[11]
Pourrait-on voir en Orson Malaverne l’écrivain lui-même écrivant sous dictée ce qui lui vient d’un ailleurs peu définissable ? Pourquoi pas ? Le lecteur de ces lignes, a-t-il compris tout ce qu’elles veulent dire ? Croit-il que celle qui les a écrites a mal interprété ce qu’elle a lu et qu’il vaudrait mieux y aller de par soi-même à la découverte de ce qui se cache vraiment derrière ces sept cent pages ? Il n’y aurait pas de plus grande récompense. Car le mérite de ce livre inscrit dans la tradition baroque est de ne donner qu’une réponse provisoire, toujours reprise, toujours à reprendre. Nous sommes laissés sur notre faim.
Bibliographie
Lehman, Serge, Le Livre des Ombres. Illustration de Stéphane Gess, L’Atalante, coll. La dentelle du Cygne n° (132), novembre 2005.
Bakhtine, Mikhaïl, « Formes du temps et du chronotope dans le roman. Observations finales » in Esthétique et théorie du roman, Gallimard, 1978, p. 393-394.
Mandelbrot, Benoît de, Les Objets fractals. Forme, hasard et dimensions, IVe édition, Flammarion, 1995.
Sitographie
Chapitre 1, L’Ecclésiaste dans la traduction liturgique de la Bible – AELF, consulté le 06.02.2011.
http://www.cafardcosmique.com/LEHMAN-Serge, consulté le 04.10.2010.
http://en.wikipedia.org/wiki/Flatland, consulté le 06.02.2011.
http://www.noosfere.com/icarus/livres/niourf.asp?numlivre=2146563750 et
http://www.noosfere.org/heberg/auteurstf3/infolivre.asp?site=58&numlivre=2146563750, consultés le 06.02.2011.
Notes
[2] Serge Lehman , Le Livre des Ombres. Illustration de Stéphane Gess, L’Atalante, coll. La dentelle du Cygne n° (132), novembre 2005, 704 pages.
[3] On a établi trois périodes « dans l’économie générale des mythes du monde d’avant le monde (…) Celle où les dieux vivent tous sur la Terre. Celle où ils étendent leur empire aux autres corps de ce qu’ils nomment le système solaire. Celle, enfin, où ils accèdent à la Voie et deviennent des membres conscients du troisième Omnium. » (p. 172, page explicative au Songe héliotrope)
[4] Flatland est une allégorie religieuse et une satire mathématique, un roman court qui parle d’un monde à deux dimensions en faisant référence à la hiérarchie sociale de la culture victorienne. Son plus grand mérite est d’avoir constitué une introduction à la perception des dimensions. De ce point de vue, le texte jouit de popularité parmi les étudiants en mathématiques, physique est informatique. Cf. http://en.wikipedia.org/wiki/Flatland, consulté le 06.02.2011.
[5] Cf. http://www.noosfere.com/icarus/livres/niourf.asp?numlivre=2146563750 Première parution : 5/9/2006 nooSFere et http://www.noosfere.org/heberg/auteurstf3/infolivre.asp?site=58&numlivre=2146563750, consultés le 06.02.2011.
[6] Chapitre 1 L’Ecclésiaste dans la traduction liturgique de la Bible – AELF, consulté le 06.02.2011.
[7] Il s’agit de la géométrie fractale ou la géométrie des objets irréguliers, fragmentés, découverte il y a plus de trente ans par Benoît de Mandelbrot : Les Objets fractals (1975) Les Objets fractals. Forme, hasard et dimensions IVe édition en 1995, Fractales, hasard et finances (1997).