Simona Mărieş (Gruian)
Universitatea Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca, Romania
simimaries@yahoo.com
La démystification des mythes dans l`imaginaire postmoderne
Demystification of Myths in Postmodern Imaginary
Abstract: The purpose of this study is to highlight the phenomenon of demystifying the ancient myths in the postmodern imaginary. The pages of this study try to demonstrate the differences between the man from the past and the present one, emphasizing the idea of metamorphosis of the nowadays imaginary. Current imaginary is a source of knowledge and a source of reappraisal of the past as questioning issues long forgotten, it reconstructs on this basis a new cultural matrix, which is characterized by originality and authenticity. Today the myth represents an endless matrix because, due to its transformation over the time, it gives to the artist the possibility for ingenious combinations. This paper focuses on demonstrating how various ancient myths interpenetrate in postmodernism, where we are the witnesses of the intertextuality show. Seen from a particular perspective, the power of text regeneration – as it is perceived by the postmodern – proves the mythical regeneration power of the creative imaginary. The study brings in the foreground critical visions upon postmodern imaginary of personalities such as Liviu Petrescu, Northrop Frye, Ihab Hassan, Lyotard, Baudrillard, Jacques Derrida, writers in whose opinion the postmodernism is a synonym for decentralization, deconstruction, fragmentary issues, and on the other hand, writers like U. Eco, G. Vattimo, G. Durand, John Barth, who consider the demystification a new postmodern myth. The focus of this paper is also directed towards the phenomenon of the mythical insertion in postmodern text and towards the typology “superman table”, bringing into discussion the Norse mythology from “Harry Potter” and “Lord of the Rings”.
Keywords: Myth; Rite; Imaginary; Postmodernism; Demystification; Deconstruction.
Le monde mythique nous permet, d’une part, le retour au sein de l’ «univers maternel», et, d’autre part, circonscrit le besoin de se connaître soi-même ressenti par l’homme contemporain, en lui offrant la chance de s’expliquer les inquiétudes en ce qui concerne son destin dans l’univers. Vivant une dérive acerbe de l’harmonie des mondes mythiques, loin de ce «paradis perdu», pour trouver la substance et l’origine, à l’individu contemporain ne lui reste rien à faire que réitérer, pour re-construire ou pour déconstruire l’imaginaire des siècles. De nos jours, le temps est sans aucun doute un temps du chaos, du dialogisme et des interférences de toute sorte, parce que, soumis au développement économique, à la mondialisation, au développement explosif de la science, nous nous sommes éloignés beaucoup de ce que nous avons été auparavant. Or, la littérature, l’art en général sont les résurgences grâce auxquelles nous pouvons «parler avec cet étranger en nous », nous rapprocher de la sacralité. Par conséquent, nous devons mettre en évidence, dès le commencement, la différence, la dichotomie entre l’homme du passé et l’homme de nos jours, en insistant sur l’idée de la métamorphose de la fantaisie contemporaine. L’imaginaire actuel est une source de connaissances et de réévaluation du passé, parce que, en remettant en discussion les questions oubliées, il reconstruit sur la base de celles-ci une nouvelle matrice culturelle mise sous le signe de l’originalité et de l’authenticité. Actuellement le mythe est une matrice inépuisable car, en raison de son caractère protéiforme, de ses transformations au fil du temps, il donne à l’artiste la possibilité de réaliser les combinaisons des plus ingénieuses.
Il est très intéressant aussi de suivre la manière dans laquelle se « défont » ou s’entremêlent des divers mythes anciens dans la postmodernité, où nous avons assisté au spectacle de la grandeur de la fable. D’un certain point de vue, le pouvoir de régénération du texte, tel qu’il est aperçu par les postmodernes, démontre aussi le pouvoir de régénération mythique de l’imaginaire créatif. Puisqu’on ne retrouve pas de genres littéraires purs, ou comme les différents courants culturels s’entremêlent, nous ne pouvons pas parler d’une mythologie pure.
La littérature de nos jours est sans doute un ars combinatoria. Du point de vue étymologique, le terme «mythe» à ses racines dans le mot grec “mithos” qui signifie «histoire », le mythe est « l’un des plus anciens états culturels de l’esprit humain qui nourrit presque toutes les formes artistiques ultérieures ». Selon Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, indépendamment des systèmes interprétatifs, les Mythes « permettent de percevoir une dimension de la réalité humaine et de montrer la fonction symbolisante de l’imagination en action »[1].La reproduction dans la littérature est due en grande partie aux constructions littéraires basées sur des noyaux mythiques et grâce à leur métamorphose d’une époque historique à l’autre. Nous pouvons affirmer que le théâtre antique grecque représente la symbiose transposée sur la scène entre la littérature et le mythe et il est une des formes essentielles de la délimitation de l’imaginaire antique social, avec ses « modèles » et ses « anti-modèles ». Au-delà de la fonction sociale du mythe (le côté didactique et le caractère de « Pharmakon » spirituel) on a attribué aux mythes spirituels des fonctions diverses. Au IVe siècle, Evhémère a conçu les mythes comme une représentation de la vie passée des peuples, de leur histoire et leurs héros, de sorte que le mythe devient «une dramaturgie de la vie sociale ou de l’histoire poétisée»[2].
En réfléchissant sur le rôle des mythes, Paul Diehl développe une véritable dramaturgie intrinsèque de l’âme humaine en insistant sur leur caractère éthico-religieux, de sorte qu’il conclut que chacune des figures légendaires de la mythologie grecque représente une fonction du psychique humain et que les relations entre celles-ci expriment la vie psychique des hommes (Esprit – Zeus, l’harmonie des désirs – Apollon, l’inspiration intuitive – Pallas Athéna, le refoulement – Hadès, l’élan évolutif – l’héros, la situation conflictuelle du psychique humain – la lutte contre les monstres)[3]. En tant que formes de transmission des mythes, des moyens par l’intermédiaire desquels a été réalisée leur transposition dans l’imaginaire collectif et au-delà, on peut mentionner : des transcriptions d’œuvres littéraires (Iliade, Odyssée, Mahabharata, le poème de Gilgamesh, etc.), des transcriptions magiques (Le livre des morts de l’Egypte ancienne), des transcriptions religieuses (La Bible, Le Coran ou L’Avesta), des transcriptions philosophiques (Védas, Upanishads), des transcriptions encyclopédiques (Livre des montagnes et des mers), transcriptions populaires (Kalevala, Edda ancienne), des transcriptions historiques (poème chinois Huaiantsé). Une des formes les plus pertinentes de la réception d’un mythe que nous pouvons retrouver chez Lucian Boia est que, en examinant diverses typologies du mythe, il réussit à faire la distinction entre les mythes traditionnels et les mythes modernes. Ainsi, «Nous concevons le mythe comme une construction imaginaire: récit, représentation ou idée, qui vise à comprendre l’essence des phénomènes cosmiques et sociaux fondés sur des valeurs intrinsèques de la communauté et d’assurer sa cohésion. L’Histoire en tant que structure formelle, l’empreinte des forces sacres et l’intervention des forces surnaturelles et de personnages fabuleux (les dieux, les héros) sont des traits distinctifs de mythe traditionnel »[4]. D’autre part, ce qu’on appelle les mythes modernes (celui des extraterrestres ou de l’Apocalypse) « sont souvent présentés comme des idées abstraites et des symboles» parce que le « mythe fournit une clé permettant l’accès à la fois à un système d’interprétation et à un code éthique (un modèle de comportement) »[5].
Egalement, par sa substance même, le mythe est une «histoire sacrée»[6], comme disait M. Eliade, il est « la structure » et pas « la matière », il est une sorte d’amalgame de réalité (historique ou non) et de fiction en même temps, qui s’inscrit dans le système de coordonnées de l’imaginaire. Paul Veyne a attiré l’attention sur l’impossibilité de discerner entre la vérité et la fiction dans les mythes, « l’exemple des Grecs montre une impuissance millénaire ; ils n’ont jamais pu dire : le mythe est totalement faux, parce qu’il ne s’appuie sur rien»[7]. Aucun acte qui vise une interprétation critique, une analyse ou une transformation des mythes de l’antiquité à l’époque contemporaine ne peut se fonder, par conséquence, sur des critères du type Vrai ou Faux, parce que, «Tant que nous continuons à dire la vérité, nous ne pourrons pas comprendre que la culture ne signifie rien et nous arrivons à notre époque sans avoir le même recul que nous avons eu au cours des siècles passés, quand on a parlé des mythes et des dieux »[8]. Quel serait le parcours de la métamorphose du mythe dans l’Antiquité? En bref, on pourrait dire que: une première forme du mythe a été sans aucun doute le rituel agraire de Dionysos où nous assistons à une symbiose de la sacralité, de la magie et la religion. L’épopée une fois apparue, le mythe est investi de significations sociales. L’Éthique et l’esthétique travaillent ensemble dans la tragédie pour réaliser une «mythologie de vertus tragiques, où la mentalité concernant la tragédie est structurée comme « idéologie » de la notion de tragique et comme concept de la connaissance confuse, ainsi la mythologie est devenue une vraie « idéologie du tragique » «l’expression même de la conscience confuse qui a pénétré la tragédie, en tant que principe primitif de la connaissance et de l’explication »[9].
Selon Paul Ricœur, pour Freud, la tragédie antique représente une passerelle entre création littéraire, mythe et travestissement onirique vu le fait que, dans son étude comparée d’Œdipe roi de Sophocle et de Hamlet de Shakespeare (une analyse du complexe d’Œdipe, en fait) il utilise la méthode appliquée dans l’interprétation des rêves, le processus de production du rêve étant quasi-identique au processus de production littéraire. Selon Freud, la personnalité humaine comprend trois instances: le Moi, le Je et Le Sur-Moi. Dans la vision de Freud, le Moi constitue le médiateur entre les deux autres instances, fonctionnant comme une sorte de régulateur, pour imposer un équilibre entre les demandes de l’instinct et les censures du Sur-Moi. Dans son «Introduction à la psychanalyse»[10], le psychanalyste autrichien soutient que le contenu latent de l’œuvre d’art représente une somme de désirs refoulés de l’artiste qui reviennent dans son message, l’œuvre n’étant qu’une configuration de désirs et de traumas cachés de l’individu.
Dans « Folies à Plusieurs » (2002), Mikkel Borch-Jacobsen souligne le fait que Freud soutient l’universalité du complexe d’Œdipe de façon totalement arbitraire, « en défaut de tout matériel clinique, en vue de trouver une explication ad hoc aux penchants incestueux supposés des personnes soumises à l’analyse. Ces penchants ne seraient pas dus à un complexe d’Œdipe véritable, mais ils seraient plutôt suggérés aux personnes analysées par Freud même, dans sa tendance de poser les assises de l’étiologie sexuelle des névroses. »
Reprenant la terminologie de Carus, Carl Gustav Jung considère les symboles mythologiques comme «des archétypes de l’inconscient collectif », la littérature étant une expression déguisée des désirs collectifs réprimés à cause de la civilisation. Pour Jung, le rêve est une image symbolique qui opère à travers des images et des idées semblables aux idées primitives ou aux mythes (éléments de l’inconscient), qu’on peut retrouver dans les rêves de tous les hommes. Ainsi ressent-on la présence de l’inconscient collectif, une sorte de «mémoire» de l’espèce, sa «voix» intrinsèque, qu’on peut associer avec le pouvoir de l’homme primitif de créer des mythes, le mythe étant, selon la définition d’Eliade, « le récit de ce qui s’est passé illo tempore, le récit de ce que les dieux ou les êtres divins ont fait au commencement du Temps »[11]. Raconter un mythe, dans la même vision de Eliade, revient à « dire ce qui s’est passé à l’origine »[12].
Avec « La renaissance de la tragédie », qui a représenté une « archéologie de la pensée selon laquelle il y aurait en nous quelque chose de plus profond que nous-mêmes »[13], Nietzsche utilise le couple antagoniste « apollinien – dionysiaque » introduit par Bachofen, qu’il tient pour la meilleure alternative dans l’interprétation de la tragédie grecque. Selon Nietzsche, « (l)’art est le destin suprême et l’activité proprement métaphysique de cette vie »[14], alors que « l’évolution de l’art est en étroite relation avec la dualité du dionysiaque et de l’apollinien »[15]. Dans la vision nietzschéenne, le chœur de la tragédie grecque signifierait l’autoréflexion de l’homme dionysiaque, de sorte que des personnages tels que Œdipe ou Prométhée ne constituent que des simulacres de Dionysos. Les manifestations des Grecs auraient gardé intacts les principes originels du rite de Dionysos, tandis que celles des barbares ne seraient que « des formes d’éloignement des fêtes et des rites dionysiaques de leurs attributs originaires… les manifestations dionysiaques authentiques sont ces actes et ces procès existentiels qui révèlent à l’homme la possibilité de réunir dans un même tout les contenus oppositionnels principaux de sa vie ». L’homme dionysiaque authentique est celui qui « a réussi à introduire dans un ensemble harmonieux les énergies de l’inconscient et les énergies du conscient »[16]. Les deux forces, le dionysiaque et l’apollinien, représentent deux principes antinomiques qui figurent, d’une part, le côté obscur, ténébreux, inconscient et irrationnel (l’absurde ultérieur de Camus ?) et, d’autre part, le côté spirituel, rationnel ou abstrait, la force intellectuelle, la réflexivité.
En prenant les mythes pour des moules de l’imaginaire, on peut avancer que la littérature serait conçue comme un art qui se projette au niveau de l’écriture et de l’imaginaire à travers ces formes. Dans « Myth, Fiction and Displacement », Northrop Frye affirme que « la mythologie, en tant que structure globale […] représente la matrice de la littérature »[17]. Selon son avis, les mythes seraient des « moules narratifs abstraits » qu’on peut repérer dans les littératures de divers siècles. La littérature moderne propose une écriture esthétique où la démystification devient son ressort interne, le mythos étant déconstruit au profit de la poïesis, de l’architecture textuelle. Dans l’extrême contemporain, les mythes sont, d’une part, dépouillés de leur connotation sacrée à cause de leurs interprétations multipliées, et, d’autre part, ils interviennent dans la « genèse » textuelle, en creusant son architecture tout comme l’eau ronge la pierre dans une grotte qui vient d’apparaître.
Tout d’abord, nous devons nous mettre d’accord avec Ihab Hassan, selon qui le postmodernisme serait une manière particulière de renouvellement artistique. Le théoricien appuyait sur l’idée qu’il y a entre le postmodernisme et le modernisme un dialogisme spécifique, vue les deux courants culturels et artistiques s’entremêlent. D’ailleurs, Liviu Petrescu considérait le postmodernisme comme « le troisième âge de la modernité »[18]. En mettant en discussion les interpénétrations de ces deux courants artistiques, les vestiges de la modernité dans la postmodernité, Patapievici parvenait à la conclusion suivante : « De la modernité, la postmodernité a gardé les idées suivantes : « Gott ist tot », toute connaissance véritable n’est que la connaissance de quelque chose de construit (d’inventé). Elle (la postmodernité) est conditionnée du point de vue psychologique par les idées modernes suivantes, qu’elle inverse : les sciences naturelles sont du type historique (tandis que, chez les modernes, toute science véritable doit être une science du type mathématique) et les objets de la nature possèdent des droits légaux (chez les modernes il n’y avait que les personnes conduites par des intérêts ou des responsabilités qui possédaient de tels droits). Il s’ensuit que seule l’idée de Dieu provient de la modernité, reprise soit d’une manière directe (Dieu est mort), soit sous une forme inversée (ranimer la Nature, mais sans Dieu). Aussi tout débat portant sur le postmodernisme doit-il partir de la constatation qu’il constitue un effet post-traumatique de la modernité, fondé sur l’inversion de certaines hypothèses épistémologiques fondamentales de celle-ci et sur le maintien de son principe ontologique fondateur, c’est-à-dire le nihilisme »[19].
On peut parler ainsi de deux grandes directions du postmodernisme occidental: d’une part, le paradigme représenté par Ihab Hassan, Lyotard et Baudrillard, des écrivains qui voient dans la postmodernité la déconstruction, la décentralisation, le fragmentarisme et, d’autre part, le paradigme représenté par U. Eco, G. Vattimo, G . Durand, John Barth qui y voient le « pluricentrisme » et « la cohabitation ». « (L)’écart entre les deux classes est opéré par l’opposition entre la notion de fragmentation spécifique à l’école post-structuraliste et celle de réintégration, spécifique à la pensée néo-hermétique »[20].
Un changement radical en ce qui concerne la manière de percevoir l’œuvre littéraire est le déplacement de la notion d’œuvre (structure ordonnée autour d’un centre) au concept de texte, vu en tant qu’écriture, qui est doué du pouvoir de la transcendance. Quelques « renouvellements » concernant le texte post-moderniste actuel, on peut les retrouver dans l’œuvre de Ioana Em. Petrescu[21], qui identifie deux types de textes : le texte général, continu, qui exclut l’organisation centripète, le texte n’étant pas une « structure fermée », « le texte inconscient » qui est « tissu pur de traces, de différences, où le sens et la force sont unis, un texte qui n’existe nulle part. La marque préférée du postmodernisme est le dialogisme avec le passé, dialogisme où le passé (mythe, histoire, etc…) devient un problème de représentation, de construction, d’interprétation, ainsi qu’on peut parler d’une reconfiguration textuelle grâce à la « reconstruction » du passé. Le passé est rebâti grâce aux « codifications » répétées ou multipliées obtenues par des moyens artistiques telles que la parodie, l’évocation, l’imitation, la citation.
La poétique postmoderne est une poétique antimimétique. J. Baudrillard lance la théorie de la théorie du simulacre qui soutient que la réalité a été successivement neutralisée par les médias, qui tout d’abord la reflétaient, puis l’ont masquée et l’ont corrompue, étant obligés ensuite de masquer son absence, pour qu’ils produisent finalement au lieu d’un simulacre du réel, la destruction de la signification et de toute relation avec la réalité[22] . A la Société de consommation, lui est spécifique le simulacre ou la hyperréalité, « un modèle de la réalité, sans origine et sans réalité ». Linda Hutcheon affirme que, en fait, le postmodernisme n’est pas une dégénérescence dans la hyperréalité mais « une remise en question de ce que la réalité peut signifier et de la manière dont on peut la connaître»[23]. Un autre concept développé dans le postmodernisme est celui de métafiction, un concept qui a ses racines dans la poétique de l’autoréférentialité du discours littéraire soutenue par le groupe Tel Quel.
Parmi les principales notions de la postmodernité on peut mentionner : l’auteur, l’écriture, l’écrit, le texte, le lecteur, la lecture, la relecture, à côté de celle de la « mort de l’auteur » qui a été empruntée du groupe « Tel Quel », qui soutient l’idée de autorégénération du texte, le moi auctorial devient impersonnel, polyphonique. Un aspect essentiel du monde moderne et postmoderne, est la problématique de la réception des mythes. En ce siècle de la vitesse, où le développement scientifique est notable, je dirais que nous assistons à un déclin des valences des mythes. Les mondes imaginaires qui « hantent l’imaginaire humain convergent plutôt vers l’écran de l’ordinateur, vers l’espace virtuel. Peu de gens se rappellent les mythes d’antan, ils les perçoivent comme des «histoires» d’enfance et ne leur donnent aucune importance. Mais ces mythes représentent notre patrimoine culturel, sont une sorte de matrice par laquelle nous pouvons rapporter notre existence à l’avenir.
En quoi consiste ce dés-ensorcellement ; cette dé-mythisation ; cette dé-sacralisation du monde? La désacralisation implique l’itinéraire du mythe à la fin duquel il perd ses attributs archaïques de sacré, les aspects liés au rituel mythique, il devient une forme et un instrument de l’esthétique, mais aussi de l’imaginaire. Les mythes ont perdu une partie de leur sacralité, ils sont tombés dans le banal, dans le profane. Tandis que Gilbert Durand parle de l’existence d’une remythisation d’un re-ensorcellement du monde, Gianni Vattimo décrit l’attitude de l’homme contemporain face au mythe à l’aide de trois modèles typologiques d’attitude: l’archaïsme, le relativisme culturel et l’irrationalisme modéré : Vattimo considère la démythisation seulement un autre mythe de la modernité. « La récupération du mythe » reste toujours marquée par l’expérience culturelle de la démythisation. Le livre de Vattimo, Après la mort de Dieu , publié récemment aux Editions Ancienne Cour, nous paraît illustrative pour l’étude du phénomène de l’éloignement de l’homme actuel de sacralité. Du point de vue de Mircea Eliade, même si « expulsé dans les zones obscures du psychique ou dans les activités secondaires, ou même irresponsables de la société », un mythe, tout comme les symboles qu’il met en évidence, ne disparaît jamais de l’actualité psychique : il change seulement son apparence et il cache ses fonctions.
Jacques Derrida propose un nouveau concept (Structure, le signe et le jeu dans le discours des sciences humaines 1965), celui de la déconstruction qui signifie la capacité d’une structure à «défaire» les structures adjacentes avec des significations indépendantes.
Dans les livres de JK Rowling et Tolkien, aussi la série « Harry Potter » et « Le Maître des Anneaux » on perçoit un imaginaire particulier. Les mondes fictifs de ces livres représentent un inventaire de la mythologie : des personnages mythologiques, des incantations, des rites de magie, des pratiques magiques. Il me semble très intéressant à observer la manière dans laquelle celles-ci se « dissocient » en diverses significations et apportent leur contribution iconique, à la création du monde fictif. Je dirais que l’enjeu de ces deux ouvrages n’est pas l’illustration de tels mythes anciens, mais plutôt le désir de les amener à nos jours. Dans le livre La condition postmoderne[24], Jean-François Lyotard affirmait que « la méfiance en métahistoire », cette spécificité étant une conséquence du développement rapide des sciences, est spécifique pour l’ère postmoderne. La littérature devient un terrain d’expériences diverses où ce qui est important est la spectacularité de l’image et les combinaisons les plus diverses. Maintenant, « la fonction narrative perd ses foncteurs, le grand héros, les grands dangers, les grandes aventures et le grand but. Elle se partage en plusieurs éléments de langage narratif, mais aussi dénotatifs, normatifs, etc., chacun ayant des valences pragmatiques sui generis»[25]. On doit être très attentif au nouveau type d’écriture du roman postmoderne, en accordant plus d’importance au personnage-héros et aux divers types de « sondage » des significations textuelles. Pour observer et analyser le caractère du personnage héros Harry Potter – un nouveau type de sorcier, plus moderne, de nos jours – nous avons recours à l’expression « du surhomme habituel » – terme proposé par U. Eco. Le surhomme habituel s’inscrit dans la ligne du surhomme nietzschéen, Zarathoustra, ou celui de Dumas, Edmond Dantès, seulement que cette postmodernité acquiert de nouvelles significations, en devenant un «produit» pour tous les lecteurs, « construit selon la nouvelle formule commerciale dite roman pour les consommateurs comme une histoire contradictoire dont l’idéologie, la logique des structures narratives et la dialectique du marché éditorial s’interpénètrent dans un ballon problématique pas facile à manipuler »[26]. A côté des héros mentionnés, Eco réalise une analyse complexe des structures narratives de la prose de Fleming, James Bond étant considéré un tel « produit » artistique d’un auteur qui «a choisi la voie du conte de fées qui demande d’être consommé en tant que vérité » car, « Fleming est un réactionnaire, tout comme le conte est réactionnaire à ses origines, tout conte ; c’est l’ancestral et le dogmatique conservatisme statique et des mythes qui transmettent une sagesse de base »[27]. Les tomes de Rowling et Tolkien, Harry Potter et Lord of the Rings sont deux exemples d’écriture où se reconfigurent les mythes anciens, des rituels magiques, des pratiques alchimiques oubliées depuis longtemps. La technique des auteurs consiste à prendre des fragments (des mythes), de la mythologie nordique et les apporter à nos jours, l’œuvre devenant un véritable puzzle de la fantaisie de cette mythologie, mais en même temps elle devient un nouveau produit. L’influence de la mythologie celtique, mais surtout de celle du nord, dans les œuvres de Tolkien est évidente : les arbres qui parlent, les elfes, les nains, les géants, les éléments du feu et de la glace, les créatures anciennes qui vivent dans les entrailles de la terre, les noms des personnages.
Je parlerais seulement un peu sur l’imaginaire du livre de J.K. Rowling, Harry Potter, parce que le livre a développé un véritable culte parmi les fans. Le problème qui s’impose est celui de la fiction qui est définie par un mélange de mythes nordiques, apportés à nos jours. La fragmentation et le symbolisme font d’Harry Potter un vrai surhomme habituel pour reprendre le terme de U. Eco. L’époque postmoderne a aussi besoin de « modèles » et la recette d’une telle fantaisie semble avoir été bénéfique pour l’auteur. On peut identifier dans ce livre au moins trois plans: l’un de la « réalité » dans laquelle Harry est un enfant normal qui vit avec son oncle et sa tante, un plan fantastique – l’école de magie et un plan fantastique lié aux éléments mythologiques déjà consacrés: l’Elf « domestique » Dobby, l’Oiseau Phoenix, les lutins, les trolls, des bêtes hideuses. Ainsi, le mythe Harry Potter est créé sur une construction mythique, l’écrivain voulant prouver comment se réalise la construction d’un genre initiatique qui a à la base des fragments des contes mythologiques. Les éléments du monde moderne sont nombreux : le fait que Harry arrive à l’école de magie Hogwarts en train – ou la voiture qui vole dans « La chambre des Secrets » sont des éléments du progrès économique et soutiennent la dichotomie entre les deux réalités (fictions). Dans un certain sens, les mondes fictionnels aux éléments de la mythologie scandinave de la série Harry Potter deviennent des mondes fictifs remarquables (Toma Pavel). Les nombreux éléments occultistes, que certains pourraient considérer « sataniques », nuisibles, font en fait, le délice du livre, le mythe soutenant cette fois les fils invisibles des «textes», ils renforcent encore l’idée qu’un livre est né d’une autre une chaîne infini et soutenant ainsi l’intertextualité. Si R. Barthes (« Le mythe est un mot »…, le signe mythologique peut être un mot, une image, un objet ..) avait remarqué que le mythe comprend trois éléments : le signifiant, le signifié et le signe, le mythe devient ainsi un signe sémiologique seconde, le métalangage devient lui aussi un mythe postmoderne? Bien sûr, pour pouvoir approfondir le sens d’une prose post-moderne une des clefs de «décodage»/ décryptage est la théorie des fractales, de Benoît Mandelbrot, qui vient soutenir les théories deconstructivistes (chaotiques, mais en même temps régulières) et qui prouvent la thèse conformément à laquelle la partie reproduit l’ensemble.
Pour continuer, je veux m’arrêter à quelques symboles et mythes présents dans les cycles des volumes Harry Potter. On trouve dans les pages du roman le miroir à travers lequel nous entrons dans un monde du virtuel, une sorte de labyrinthe du temps. Pour Harry c’est la manière d’entrer en contact avec sa famille, le miroir … « magnifique élevé jusqu’au plafond, d’un cadre doré, est soutenu par deux pieds … Harry marche devant lui. Il a dû couvrir sa bouche avec les mains pour ne pas crier … il a vu non seulement son image dans le miroir, mais aussi l’image d’autres gens derrière lui … “Maman? ” dit-il.” Papa? “. Ils l’ont regardé en souriant … Harry a vu sa famille pour la première fois dans sa vie »[28]. J.K. Rowling explique la présence de la pierre philosophale, du symbole de la vie éternelle dans son livre : « L’alchimie est préoccupée de préparer de la pierre du sorcier une substance légendaire avec des puissances astronomiques. La pierre va transformer tout métal en or pur. Elle produit également l’élixir de la vie qui fait de celui qui le boit un homme immortel. Pendant des siècles, ils ont existé de nombreux rapports sur cette pierre, mais la seule qui existe maintenant se trouve chez Nicolas Flammel, le célèbre alchimiste et amateur d’opéra. Monsieur Flammel Seigneur, qui a fait l’année passé 666 ans, jouit d’une vie tranquille dans Devon avec sa femme Perenelle (658 ans)”[29]
Rowling évoque l’unicorne – dans l’imaginaire occultiste l’unicorne est le symbole du Nouveau Christ – comme une créature mythique de la forêt interdite. Hagrid, Harry, Hermione, Ron et Malfoy entreprennent une expédition pour découvrir qui tue les unicornes: « Regardez là, »dit Hagrid,« Vous voyez la chose brillante sur la terre? La chose brillante? Voilà du sang d’unicorne … cette personne-là, avec un manteau s’est approchée de l’unicorne, il a penché la tête sur la blessure de l’animal et il a commencé sucer son sang ». Les centaures sauvent Harry Potter quand il découvre qu’une personne très méchante a tué l’unicorne pour boire son sang. Tout d’abord on doit noter que dans Harry Potter et la Chambre des Secrets on trouve une référence à la projection astrale dont nous pouvons les définitions les vérifier dans le Dictionnaire du Nouvel Age: « L’abandon du corps physique et le Voyage vers un autre lieu ou autre réalité »: « Ils n’ont pas besoin d’une voiture! » dit Ron avec impatience. » Ils savent se projeter. Tu comprends ce que je veux dire: ils partent d’ici et ils se retournent chez eux ! “[30]. Des éléments de sorcellerie en tant que forme d’occultisme ancien sont présents eux-mêmes: les malédictions « qui peuvent se retourner vers ceux qui ont les envoyées »[31], l’utilisation des amulettes pour « bonne chance et défense », la capacité d’entendre le langage des serpents – « le sceau des magiciens maléfiques »[32], le manteau invisible, le monstre de la Chambre des Secrets, Le Serpent Dragon, ou le petit oiseau mythique Phoenix. L’absorption de l’âme et des énergies du corps, les diabolisations, la lecture des boules de cristal est aussi utilisée dans les pratiques occultes, en particulier par les druides. La littérature et le cinéma en tant qu’arts de l’imagination répondent avec succès au besoin de l’homme postmoderne de rêver les yeux ouverts, de permettre au mythe d’entrer ou de créer tout le temps des mythologies dans lesquelles il peut croire. De ce point de vue, peut-être que nous sommes les témoins d’une re- mythologisation du monde.
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Notes
[3] Paul Diehl, Le symbolisme dans la mythologie grecque, preface de G. Bachelard, Paris, 1966, p. 32.
[7] Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Essai sur l’imagination constituante, Paris, Éditions du Seuil, « Des travaux », 1983.
[10] Sigmund Freud, Introducere în psihanaliză, Buc., Editura Didactică şi Pedagogică, 1980, p. 312.
[13] Friederich Nietzsche, Opere complete II, Naşterea tragediei. Consideraţii inactuale I-IV Scrieri postume 1870-1873, Hestia, Timişoara, 1998, p. 19.