Ruxandra Cesereanu
Université Babes-Bolyai, Cluj-Napoca, Roumanie
RuxCes@yahoo.com
Cérémonies funèbres et sacrificielles dans la tragédie grecque
Funeral and Sacrificial Ritual in Greek Tragedy
Abstract: Les situations de crise, dans la trame de la tragédie grecque, mettent toujours sur la scène des cérémonies et rites divers, soient-ils funèbres, sacrificiels, de purification, oraculaires, de guerre, nuptiaux ou d’autres. Les cérémonies funèbres et sacrificielles sont les plus souvent retrouvées, se rapportant exclusivement au fait que la tragédie grecque est faite de différents cycles de la violence. Puisque Euripide est l’auteur de l’œuvre duquel on a retenu le plus grand nombre des tragédies, il est implicitement l’auteur chez l’auquel on rencontre aussi les plus nombreux rites des ceux cités et classés ci-dessus.
Keywords : Euripide, tragédie grecque, cérémonies funèbres et sacrificielles, cycles de la violence.
Les situations de crise, dans la trame de la tragédie grecque, mettent toujours sur la scène des cérémonies et rites divers, soient-ils funèbres, sacrificiels, de purification, oraculaires, de guerre, nuptiaux ou d’autres. Les cérémonies funèbres et sacrificielles sont les plus souvent retrouvées, se rapportant exclusivement au fait que la tragédie grecque est faite de différents cycles de la violence. Puisque Euripide est l’auteur de l’œuvre duquel on a retenu le plus grand nombre des tragédies, il est implicitement l’auteur chez l’auquel on rencontre aussi les plus nombreux rites des ceux cités et classés ci-dessus. En ce qui suit, on approchera, subséquemment, particulièrement les cérémonies funèbres et sacrificielles, surtout parce que ces premières-ci ont maintenu, partiellement, leur validité dans la société contemporaine européenne (chrétienne), aussi, qui a retenu des éléments de la mythologie païenne ou les a ajustés, en les adaptant aux traditions chrétiennes.
Des rites funèbres spécifiques dominent la tragédie Alceste. Les cérémonies du deuil, après la mort d’Alceste, le personnage protagoniste, requéraient que, devant les édifices-abris des morts, de l’eau bénite se trouvât, dans des récipients, pour que ceux qui avaient touché ou vu le cadavre puissent se purifier, en y lavant leurs mains. Sur les sanctuaires des dieux de l’enfer, les familles des morts rangeaient des mèches, des branches de cyprès ; en outre, ils y offraient des animaux. Le mort était toujours lavé et habillé en vêtements nouveaux, et la maison qui l’abritait était parée du myrte. Après la mort d’Alceste, son mari Admet établit une année de deuil et impose plusieurs obligations rituelles : les assujettis devaient se raser les cheveux et porter des vêtements de deuil, les chevaux devaient avoir leurs crinières tondue, tout son de flûte ou lyre était interdit. Pendant les funérailles, le mort est entouré par des vases précieuses, des couronnes de fleurs, des calices au lait, au miel et au vin. Cependant, Alceste est une tragédie atypique, parce que l’héroïne sera ressuscitée par Héraclès (il s’agit d’une fin exceptionnelle, si l’on compare avec la surcharge mortuaire qui marque, en général, la tragédie grecque) : après la résurrection, l’héroïne doit être soumise à un rite, à savoir, elle doit être muette au cours des trois jours, afin d’être purifiée de sa propre mort et du temps passé en enfer.
Dans la tragédie Les Suppliantes, les pleureuses d’Argos veulent enterrer ceux qui sont morts dans la guerre contre Thèbes ou bien les incinérer. Afin de rendre leur supplication convaincante, elles portent des rubans bandelettes et des rameaux à laine, elles égratignent leurs joues, elles pleurent et se frappent, leurs cheveux sont rasés et leurs habits sont de deuil. Leur chant funèbre est exact et violent : « déchirez vos visages,/ faites ruisseler le sang de vos ongles blancs, / blessez votre peau ». Nonobstant tout cela, il y a une sorte de rassurance nourrie par le chant funèbre, qui entraîne « le plaisir des sanglots » et « le plaisir bien douloureux » ! Après avoir recouvré des thébains les cadavres des guerriers argiens, Thésée lui-même dirige les rites funéraires des commandants : les cadavres sont lavés, mis sur des lits funéraires et habillés. Les guerriers argiens pleurent leurs chefs disparus, en accueillant à une main élevée (marque du deuil) leurs cadavres. À leur tour, les femmes argiennes exposent des visages déchirés, leurs cheveux sont coupés ; elles ne portent pas de couronnes et leurs têtes sont couvertes en cendre, en tant que pleureuses. Les morts seront incinérés, et ensuite les ossements seront enterrés. À la fin de la tragédie Les Suppliantes, la déesse Athéna instruit Thésée de demander à Adrastos, le chef argien, qu’il n’entreprend jamais une guerre contre la cite athénienne, justement parce que Thésée avait été l’allié des Argiens dans la récupération des morts de la guerre contre Thèbes. La déesse Athéna conseille Thésée que le vœu soit célébré par un rite spécial : trois moutons doivent être abattus sur un trépied, et que sur le trépied on grave le vœu ; ensuite, le trépied va être offert à Delphi au dieu Apollo, en tant que garant du serment. Le couteau avec lequel les moutons ont été abattus va être enterré, proche des bûchers funéraires des chefs argiens morts, de manière que, si jamais les Argiens se trouvaient tentés d’entreprendre une guerre contre la cité athénienne, le couteau-totémique en les détourne et qu’il les soit de mauvais augure, les maudissant. Enfin et surtout, la déesse Athéna conseille Thésée que le lieu d’incinération ne soit pas semé et cultivé, mais qu’il reste sacré, vierge.
La tragédie Électre est dominée, relatif au leitmotiv, par des rites du deuil, ces derniers-ci concernant le tombeau du roi tué, Agamemnon. Rentré furtivement en Mycènes, Oreste présente une offrande de tresses, il sacrifie un mouton et trempe le bûcher dans du sang, en vertu de la conviction que les âmes des morts nourrissaient du sang et, ainsi, elles pouvaient être ressuscitées symboliquement. Électre, de manière particulière, joue le rôle-même d’une pleureuse : elle se déchire la peau, elle se cogne la tête lorsqu’elle dit « le chant d’Hadès », sa tête est rasée de manière scythique, elle est sale et dépenaillée ; enfin, le deuil obstiné la rend semblable à une mendiante. Légitimée par son deuil, Électre rejette la participation aux rites destinés à Héra par les vierges ; de l’autre côté, puisqu’elle avait été répudiée socialement et politiquement par Clytemnestre et limitée au statut d’un intouchable, Électre n’a pas le droit de participer aux fêtes sacrées, dans les cortèges religieux. Sa seule fonction et mission de foi se trouve dans le deuil pour Agamemnon. Avec Oreste et le Vieux, l’ancien pédagogue du roi Agamemnon (qui révère le tombeau du roi en y portant du vin et des rameaux de myrte), elle fait un trio quasi-religieux : les personnages s’agenouillent et frappent le sol sur le tombeau avec leurs mains, afin d’invoquer le mort fameux. Dans la deuxième pièce au sujet de l’Orestie, intitulée Oreste (quoiqu’elle soit écrite bien plus tard), les rites de deuil et de célébration des morts se maintiennent. Cette fois-ci, Hermione (fille d’Hélène, sœur de Clytemnestre) est envoyée au tombeau de la reine tuée, en portant de diverses offrandes : des tresses des cheveux d’Hélène, du lait, du miel, du vin rouge versé dans la terre. L’offreuse monte sur le tumulus et dit une prière, en implorant la bénédiction de l’esprit de celle qui est morte. Électre, dont la mort – comme châtiment – est annoncée par le jugement punitif de la cité, suivant le matricide (bien qu’en fin de compte Électre soit pardonnée), est pleurée violemment par le chœur : les femmes se servent de leurs ongles afin de se déchirer les joues, elles se frappent les tempes avec les poings, leurs cheveux sont rasées. Une autre fois, les pleureuses dansent de manière macabre, suivant le rythme des cris de pleur.
La tragédie Les Troyennes décrit plusieurs types de rites de deuil et d’enterrement. La première à pratiquer un tel rite est l’ancienne reine troyenne Hécube : dans le rôle d’esclave des Achéens, sa tête est complètement rasée, en signalant le deuil, déplorant le désastre majeur (concernant les morts aussi que ceux qui sont encore vifs), conséquence de la guerre troyenne. Le deuxième personnage tenant un rôle particulier est la pythie Cassandre : pendant sa préparation afin de devenir l’esclave (érotique) d’Agamemnon, celle-là théâtralise de façon rituelle sa désacralisation dans la manière des noces ténébreuses – Hécube la voit dans le rôle d’une « ménade égarée », portant des torches, parée du laurier et des rubans en laine, dansant violemment, comme une bacchante, vénérant Hyménée, mais aussi la déesse Hécate. Cassandre danse de manière sacrée, en annonçant qu’elle y est menée par Apollo ; en fait, elle annonce et exorcise sa propre mort, en annonçant le destin inéluctable des Atrides, en modifiant symboliquement sa propre mort dans un mariage pendant lequel l’époux (Agamemnon) sera tué d’abord, et ensuite l’épouse (Cassandre elle-même). À la fin du dance sacré, Cassandre laisse les parures de prophétesse d’Apollo, parce que, en portant le mauvais destin chez les Atrides, elle se considère une « furie ». Un des rites funèbres essentiels dans la tragédie Les Troyennes est celui de l’enterrement d’Astyanax : le cadavre de l’enfant est lavé dans la rivière Scamandre, ensuite il est mis sur le bouclier d’Hector (père d’Astyanax) et paré des insignes, emblèmes et totems par d’autres guerriers troyens. Ensuite, le chœur performe une lamentation scandée, y prêtant un jeu ponctué : « Heurtez vos têtes, encore et encore, / meurtrissez-les par vos mains/ dans le rythme du mouvement des rames. » À la fin de la tragédie, lorsqu’on incendie Troie, Hécube et le Chœur, allongés, frappent le sol par leurs mains, en invoquant les morts, pendant une cérémonie concomitante de lamentation et d’adieu.
Dans Les Phéniciennes, le rôle de la pleureuse professionnelle est attribué à Antigone. En pleurant sa famille disparue, Antigone se voit dans le rôle de « bacchante des morts », coryphée du cortège funèbre, ménade d’Hadès ; en fait, elle danse et pleure rythmiquement, en racontant l’histoire de la famille des Labdacides et de leur malédiction. Antigone identifie dans la mort violente d’Étéocle et de Polynice une « libation cruelle/ reçue d’Hadès, versée par Ares », la terre étant mouillée dans le sang des frères damnés par leur père. Son rôle de pleureuse sera repris en Antigone, même si celle-ci est la célèbre tragédie écrite par Sophocle et non pas par Euripide.
Dans la tragédie grecque, les rites sacrificiels représentent des excès funèbres en l’honneur d’un héros, pour l’âme d’un mort glorieux, d’habitude ; d’autres fois, leur fonction est de dompter le destin en préalable déterminé comme un destin néfaste, à l’effet concret de dompter, en fait, les éminences grises divines. Dans la tragédie Les Héraclides, les suppliants de la famille de l’héros réputé suggèrent, en tant que mise de l’adhérence de leur prière d’exile, un sacrifice humain : ceci sera Macaria, fille d’Héraclès, qui se donne volontairement au sacrifice, ce qui constitue une occasion pour que l’auteur peinte la cérémonie respective. La vierge est parée des rubans, on coupe une mèche de ses cheveux, on la purifie avec de l’eau lustrale, on répand autour d’elle des grains d’orge, (c’est le prélude de l’offrande). Le sacrifice de Macaria sera accompli, théoriquement, par égorgement, pour que le sang y jaillisse de façon spectaculaire, parce qu’on considère que le sang d’une vierge est particulièrement propice pour le sacrifice et pour sa sélection par les dieux. Macaria n’a qu’une demande : qu’après sa mort on consacre à elle plusieurs cérémonies funèbres afin de compenser ses noces manquées et le fait qu’elle fut morte vierge, manquant l’occasion d’arriver à être une femme et à procréer.
Les cérémonies de la tragédie Hécube cadrent sur le sacrifice de Polyxène, la plus jeune princesse troyenne, par les Achéens. La demande du sacrifice est émise par l’esprit d’Achille qui veut un sacrifice sanglant sur son tombeau, un sacrifice à arracher d’entre les vierges troyennes prisonnières, étant donné qu’Achille fut mort pendant la guerre troyenne. Initialement, on y passe le nom de Cassandre, mais la fameuse pythie et princesse troyenne était déjà devenue l’esclave (y compris érotique) d’Agamemnon. Celui qui suggère que Polyxène soit offerte est Ulysse, même si le sacrificateur à proprement parlé, celui qui égorgera la victime, est Néoptolème, fils d’Achille. Hécube condamne Ulysse de manière verbale, en soulignant le fait qu’on devrait sacrifier sur le tombeau d’Achille des taureaux et des vachettes, abandonnant ainsi les sacrifices humains ; lorsqu’elle suggère une possible offrande humaine, Hécube indique Hélène, la belle qui avait allumé la guerre troyenne. Finalement, Hécube est décidée de se sacrifier elle-même, mais on la refuse, parce que l’argument d’Ulysse n’a aucun amendement : l’esprit d’Achille demande exclusivement le sang jeune d’une vierge. Puisque le sacrifice de Polyxène est, cependant, abusif et illicite, Ulysse évite d’être touché par la possible suppliante, il tient à distance ses genoux, sa main droite et son menton qui, dans le cas où celle à sacrifier les touchaient cérémonieusement, auraient dû inspirer Ulysse de renoncer au sacrifice de la vierge. Néanmoins, finalement, Polyxène elle-même s’assume le sacrifice rituel. Talthybios, un des messagers achéens, est celui qui décrit explicitement la cérémonie. Premièrement, Néoptolème, l’immolateur et le fils d’Achille, offre un calice d’or rempli au vin, ensuite il dit le nom de la vierge à sacrifier. Polyxène déchire ses vêtements jusqu’à sa taille ; elle ne sait pas le rite auquel on va la soumettre : le sacrificateur plantera l’épée dans sa poitrine (c’était la première manière de sacrifice) ou bien il l’égorgera (c’était la deuxième manière de sacrifice). Néoptolème favorise la deuxième option, justement afin d’engager la visualisation violente et démonstrative de l’acte sacrificiel (« et des vagues de sang montèrent »). Au moment-même du sacrifice, Polyxène couvre son sein pour que sa féminité dépouillée ne soit pas provocatrice et marquée de l’impudeur devant les hommes guerriers qui la sacrifient. Après la mort de la vierge, les Achéens la couvrent dans du feuillage et ils haussent un bûcher des rameux de pin. Ensuite, Hécube demande aux femmes troyennes de l’eau de mer et des bijoux, afin de laver et d’embellir Polyxène, appelée emphatiquement « épouse non-mariée » et « vierge non-vierge », parce que, par son sacrifice, Polyxène a été symboliquement fiancée à la mort et à l’esprit d’Achille.
Dans la tragédie Les Suppliantes, Evadne, épouse de Capanée (l’un des morts argiens dans la guerre contre Thèbes) décide de se sacrifier elle-même, en se lançant violemment dans le bûcher funèbre de son mari, afin de s’unir avec celui-ci dans la mort. Evadne se considère « pareille à une bacchante insensée », cependant il ne s’agit pas d’une bacchante de Dionysos, mais d’Hadès. Son comportement plein d’abnégation est, assurément, un rappel d’un rite de sacrifice humain, lorsque la famille proche d’un mort d’ascendance noble (guerrier, roi, prince, prêtre, prophète, etc.) était tuée ou ils choisissaient volontairement le suicide, afin de s’unir avec le mort et l’illustre.
Un rite très intéressant de sacrifice (peut-être le plus intéressant de l’œuvre d’Euripide) est présent dans la tragédie Électre. Le régicide Égisthe prépare, en l’honneur des nymphes, le sacrifice d’un taureau, et le rite est narré minutieusement : premièrement, on répand des grains d’orge sur le sanctuaire (les grains portent bonheur), ensuite on coupe des mèches des poils de l’animal, et puis on les jette dans le feu ; ensuite, le taureau est tué en lui appliquant un coup fatal. Oreste, qui assiste (en gardant son incognito stratégique) Égisthe, s’offre de couper l’animal immolé, mais, en fait, il tuera Égisthe, en lui plantant le couperet dans la colonne vertébrale. Au niveau symbolique, aussi qu’au niveau réel, Égisthe remplacera le taureau sacrifié ; en fait, les deux frères, Électre et Oreste, perçoivent le meurtre du régicide dans les termes d’un sacrifice solennel. Électre devient même frénétique, comme dans une union cosmique, et c’est pourquoi elle met sur la tête d’Oreste une couronne de vainqueur – par ce geste-ci, en fait elle proclame Oreste dans la fonction du nouveau roi-prêtre. Le meurtre de Clytemnestre est, à sa tour, traité dans la manière d’un sacrifice rituel : la reine est invitée à la cérémonie de purification après le faux accouchement d’Électre, afin d’assister à l’offrande d’un taureau, le sacrifice étant suivi par un festin. Mais le rite qui a lieu redouble le sacrifice d’Égisthe, parce qu’au lieu du taureau promis, Clytemnestre sera sacrifiée et tuée, le sacrifice étant rendu comme hommage aux dieux de l’enfer, comme une offrande pour le meurtre d’auparavant d’Agamemnon. Le coryphée voit les deux frères (Électre et Oreste) dans le rôle des sacrificateurs-prêtres ; on offre une description des frères tenant des trophées ensanglantés des ceux sacrifiés : les frères sont tachés de sang parce que le sang des victimes les a éclaboussés (en sacrifiant des animaux, les sacrificateurs mouillaient leurs mains dans leurs sang !). Oreste, aussi qu’Électre offre le sacrifice sanglant à Gaïa et à Zeus.
Dans Iphigénie en Tauride, la fonction d’Iphigénie est celle de vestale d’un culte ténébreux et sanglant de la déesse Artémis. Dans le rite sacrificiel de Tauride, où Iphigénie était prêtresse, il y avait deux étapes : la purification de la victime et sa préparation pour le sacrifice (lavage, habillement, etc. – il fallait que les sacrifiés aient les corps intègres, sans de blessures, intacts) et le sacrifice proprement dit. Après le sacrifice, le corps de la victime était jeté dans un creux d’une grotte sous le sanctuaire, et ensuite on l’y incinérait. De l’autre côté, c’est toujours dans le texte d’Euripide qu’on identifie que, à une autre occasion, les sanctuaires de la déesse Artémis étaient parés des restes humains, respectivement des corps décapités des ceux sacrifiés (ultérieurement, après l’incinération des restes humains, on y portait des offrandes, de l’huile, des fleurs, du miel). Jouant contrecœur le rôle de sacrificateur, sans que celui-ci soit approprié pour elle, Iphigénie se soumet au culte d’Artémis par piété : une fois, elle-même avait été sauvée du sacrifice (en Aulis) par la déesse, une biche étant sacrifiée à son lieu. Mais dans la pièce d’Euripide, Iphigénie arrive à simuler un rite préliminaire au sacrifice, de la manière suivante : après avoir reconnu Oreste et Pylade, étrangers qui étaient arrivés en Tauride, portés à elle afin de les préparer pour le sacrifice, Iphigénie construit un cérémonial entier afin de sauver son frère ; cependant, le cérémonial-farce est organisé justement suivant le plan d’un rite de sacrifice. Iphigénie présente Oreste, devant le roi Thoas de Tauride, comme un parricide, et donc un impur, id est quelqu’un qu’on ne peut pas sacrifier (l’héroïne soutient que la statue de la déesse Artémis aurait fermé les yeux, étant salie par l’atteinte visuelle d’Oreste ; c’est pourquoi la statue-même de la déesse devait être purifiée). En sa qualité de prêtresse, Iphigénie requiert aux habitants de Tauride de se retraire dans la cité, pour qu’ils ne voient pas les visages impurs d’Oreste et de Pylade, en conseillant le roi Thoas de purifier le temple d’Artémis par feu, pendant que les éventuels sacrifiés, Oreste et Pylade, aussi que la statue en bois d’Artémis se baigneront dans la mer, pour qu’ensuite les deux hommes soient sacrifiés en même temps avec des agneaux nouveau-nés. Ce rite est théâtralisé et simulé de manière qu’Iphigénie, Oreste et Pylade réussissent s’enfuir de Tauride. Bien qu’il soit un rite faux, c’est-à-dire utilisé comme prétexte par Iphigénie, son contenu, en tant que cérémonie, était réel.
Étrangement, la tragédie Iphigénie à Aulis a été écrite par Euripide après Iphigénie en Tauride, bien que la trame des deux tragédies soit inversée chronologiquement. Iphigénie à Aulis est une pièce imprégnée des rites nuptiaux entrecroisés avec des rites funèbres et sacrificiels, étant donné que le mariage présumé de l’héroïne accomplira en fait sa mort et son sacrifice, même si, dans la fin, l’Iphigénie réelle, de chair, est substituée par une biche. Puisque les prophètes ont requis le sacrifice d’Iphigénie, afin d’assurer la nature faste de la guerre troyenne, la vierge est trompée, afin de la sacrifier, par le procédé des rites nuptiaux, en l’appelant mensongèrement pour se marier à Achille. On y décrit et conserve tous les rites de purification pour le mariage, même s’ils sont faux, Iphigénie étant en fait appelée afin d’être sacrifiée. Puisque, finalement, l’héroïne s’assumera le sacrifice, la cérémonie est présentée soigneusement : Iphigénie elle-même montre au Chœur la façon de purifier le sanctuaire, de jeter l’orge dans le feu, de l’asperger avec de l’eau lustrale. A sa tour, l’héroïne verra sa tête mouillée dans de l’eau par Agamemnon, et ensuite elle sera ceinte par des guirlandes. Le présumé époux, Achille, asperge le sanctuaire avec de l’eau et y répand de l’orge. Cependant, au moment-même du sacrifice, on trouvera une biche au lieu d’Iphigénie ; c’est pourquoi le Messager remarque que par cette substitution Iphigénie « est morte et, en même temps, elle est ressuscitée » ; elle a pris part à un enlèvement saint, achevé par les dieux, qui l’ont charroyée dans un pays paisible et lumineux (cependant, Tauride ne l’en sera pas du tout, le culte d’Artémis y pratiqué étant ténébreux !).
On identifie un autre rite sacrificiel dans la tragédie Les Phéniciennes. Pour que la cité de Thèbes soit défendue contre les envahisseurs, le prophète Tirésias annonce que Ménécée, le fils mineur de Créon (roi de Thèbes), doit être sacrifié. Pourquoi Ménécée ? Parce que Hémon, le fils majeur de Créon, était considéré impur à cause de ses fiançailles à Antigone). La victime doit être poignardée dans un lieu spécial : il s’agit de la grotte où le dragon tué par Cadmos avait vécu ; le sacrifice est destiné à calmer Ares (père du dragon tué auparavant) et Gaïa ; l’ancienne mort du dragon pourrait être contrebalancée symboliquement et effectivement seulement par la mort du fils pur de Créon, parce que Créon est un descendant de Cadmos – or, le fondateur de la famille et l’ancien sacrificateur doit, à sa tour, sacrifier un de ses descendants. Bien que Créon s’oppose au sacrifice de son fils, celui-ci se sacrifiera lui-même pour la cité, en se poignardant et se jetant dans l’ancienne grotte du dragon. Le suicide de Ménécée est rituel : après le sacrifice, celui-ci sera traité en accord avec tous les rites funèbres déjà connus.
Des rites similaires sont présents aussi chez les autres deux poètes tragiques, Esquille et Sophocle (particulièrement dans Antigone et Électre), mais leur portée et ampleur (grâce au grand nombre des tragédies conservées) se retrouvent surtout dans l’œuvre d’Euripide.
Bibliographie
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