Stefano Lazzarin
Université Jean Monnet, Saint-Étienne, France
stefano.lazzarin@univ-st-etienne.fr
Les mille et une morts du fantastique. Brève histoire d’une naissance laborieuse
One Thousand and One Deaths of the Fantastic
Abstract: Is the fantastic an outdated literary genre? Since its birth in the late eighteenth century, writers and critics have been repeatedly mourning its death. Using Balzac’s L’illustre Gaudissart (1833), Maupassant’s Le fantastique (1883), and Todorov’s Introduction à la littérature fantastique (1970) as case studies, this paper addresses the rationale behind the recurrent critical mourning of the fantastic genre.
Keywords: fantastic genre; obsolescence of literary genres; vogue words, belief in supernatural; Freudian psychoanalysis.
Curieuse histoire que celle du fantastique : un véritable feuilleton, qui ne nous épargne pas les coups de théâtre – à partir des premiers vagissements du nouveau-né, pourrait-on dire… Si le vocable « fantastique » existe en français depuis le XVIe siècle, dans une acception qui le différencie assez peu du merveilleux et du bizarre, il prend, en effet, sa signification « générique » à l’époque romantique, par une coïncidence entre deux ou trois traductions maladroites ou fautives. En 1828 Jean-Jacques Ampère, qui rend compte dans les pages du Globe de la biographie d’Hoffmann publiée par l’ami d’enfance de celui-ci, Julius Eduard Hitzig[1], écrit : « À Leipsik [sic], sous le feu des bombes françaises, il [Hoffmann] compose un autre opéra et conçoit ses Contes fantastiques à la manière de Callot »[2]. Contes fantastiques : le titre allemand du recueil d’Hoffmann était Phantasiestücke in Callots Manier, c’est-à-dire « Morceaux de fantaisie à la manière de Callot », avec une double référence – musicale et picturale – au genre de la fantaisie ; par son ingénieux raccourci linguistique, Ampère vient de convertir les « morceaux » en « contes », et la « fantaisie » en « genre fantastique », évacuant bien entendu la musique et la peinture pour laisser le champ libre à la littérature… Loève-Veimars, le traducteur et médiateur le plus important qu’Hoffmann ait trouvé en terre de France, ne fera pas autrement, lançant en collaboration avec l’éditeur Renduel la grande opération commerciale des Contes fantastiques d’Hoffmann, dès l’année suivante[3]. Mais les bourdes ne sont pas encore terminées. Le 12 avril 1829, la Revue de Paris publie la traduction française d’une longue étude de Walter Scott sur Hoffmann, qui sera reprise, immédiatement après, et toujours en 1829, dans le premier volume – justement – des prétendues Œuvres complètes Renduel ; ce texte de Scott, qui a le privilège de servir de préface à l’édition française de référence de l’œuvre hoffmannienne, avait été publié pour la première fois au mois de juillet 1827, dans la Foreign Quarterly Review[4]. Trois parutions, et trois titres, remarquablement différents : si la version anglaise met l’accent sur l’élément thématique du surnaturel (« On the Supernatural in Fictitious Composition »), les deux versions françaises déplacent l’attention vers le registre ou le genre littéraire, que ce soient le merveilleux, comme dans le texte de la Revue de Paris (« Du merveilleux dans le roman »), ou alors le fantastique, comme dans la préface des Œuvres complètes (« Sur Hoffmann et les compositions fantastiques »). Qui plus est, si l’on compare les textes anglais et français dans leur totalité, on s’aperçoit que le traducteur a systématiquement rendu « fantastic mode » par « genre fantastique », comme lorsqu’il introduit pour la première fois le concept : « This may be called the Fantastic mode of writing, – in which the most wild and unbounded license is given to an irregular fancy, and all species of combination, however ludicrous, or however shocking, are attempted and executed without scruple »[5] ; « [ce type de composition] est celui qu’on pourrait appeler le genre fantastique, où l’imagination s’abandonne à toute l’irrégularité de ses caprices et à toutes les combinaisons des scènes les plus bizarres et les plus burlesques »[6]. En somme, cette deuxième – ou troisième – mauvaise traduction va dans le même sens que la (les) précédente(s) : le terme « fantastique » commence, dès lors, à désigner un ensemble de textes littéraires ayant un certain nombre de caractères communs. Ce sens proprement littéraire du mot est celui même que nous connaissons aujourd’hui : s’il est vrai, comme on l’a souvent dit, que les genres naissent avec la réflexion sur les genres – pas de fantastique, en somme, sans une « pensée du fantastique » – nous pouvons dire que le fantastique est enfin né.
Vous avez dit « désuet » ?
Histoire singulière, donc, et qui fournit, par ailleurs, de nombreux autres épisodes à notre curiosité. Puisque nous avons évoqué la naissance, comment ne pas penser au contraire symétrique et parfait de celle-ci, la mort ? D’autant plus que, comme nous le montre le travail du groupe de recherche clermontois sur « L’anachronique et le désuet »[7], il n’y a pas que les origines des genres littéraires qui soient dignes d’intérêt, selon la perspective la plus communément adoptée par la critique, mais aussi leur(s) disparition(s), temporaires ou définitives… Il peut y avoir profit à « [a]bandonner la perspective d’analyse qui est souvent adoptée par les spécialistes […], afin de nous intéresser moins à la naissance et aux sources des genres et des formes qu’à leur disparition et à leurs traces dans la littérature postérieure »[8]. Or, évoquer la mort du fantastique pourrait sembler totalement déplacé, car le patient a l’air de se porter comme un charme. Le fantastique, un genre désuet ? Certes non, si l’on en juge d’après le témoignage de nos sens : l’âge d’or de ce genre se situe sans doute au XIXe siècle, mais pendant tout le XXe siècle, et jusqu’à l’heure actuelle, légion sont les écrivains qui continuent de se réclamer de ce mot un peu galvaudé – « fantastique ». Cependant, s’il faut en croire quelques illustres producteurs et lecteurs du genre, la réponse pourrait bien être affirmative : oui, le fantastique est ou a été désuet à différentes époques de sa longue histoire ; oui, les funérailles du genre ont été célébrées, et pas qu’une fois. En effet, dès la naissance du fantastique dans les bouleversements de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, et tout au long de son histoire, des voix s’élèvent périodiquement pour annoncer sa mort imminente, ou déplorer son décès récent. Dans notre communication, nous voudrions écouter quelques-unes de ces voix, choisies, entre autres, sur la base d’un critère de représentativité. Il s’agira d’enquêter sur leur logique, plutôt que sur leur véridicité : nous n’essayerons pas d’établir si ce crime présumé – l’assassinat du fantastique – a bel et bien eu lieu, ni quels en seraient les éventuels coupables ; ce sont les mobiles des investigateurs qui nous intéressent. En d’autres termes : pourquoi instruisent-ils une enquête ? Pour quelles raisons proclame-t-on la mort du genre à telle ou telle époque, à l’intérieur de telle ou telle littérature ?
Les années 1830, splendeurs et misères du fantastique
Revenons à la France de Louis-Philippe, aux années 1830, à la grande vogue des Contes fantastiques d’Hoffmann. Constat surprenant : la littérature et la presse de cette décennie ne sont qu’un chœur de lamentations ; à l’instant même où l’on s’arrache des mains la dernière livraison de l’édition Renduel, les écrivains romantiques expriment – dans leurs comptes rendus, articles, préfaces, essais, et à l’intérieur même de leurs récits – une lassitude funèbre. Charles Nodier, Jules Janin, Théophile Gautier reconnaissent, chacun à sa manière, que le fantastique est un chapitre clos, qu’il est déjà en train de fatiguer le public. La plupart des récits fantastiques de Gautier sont des diableries à la manière d’Hoffmann ; l’écrivain français ne cache d’ailleurs pas l’influence de son homologue allemand, bien au contraire : ses textes sont semés de clins d’œil, et dans la peau d’un critique, Gautier a consacré non moins de trois études à Hoffmann, distribuées sur une période d’une vingtaine d’années[9]. On pourrait cependant se demander si Onuphrius, ou les vexations fantastiques d’un admirateur d’Hoffmann (1832), la parodie la plus déchaînée et la plus effrontée qu’il ait écrite, ne révèle pas, avec l’admiration pour le modèle, la conscience de sa désuétude croissante. « [C]enton de thèmes et d’emprunts », qui constitue le paradigme absolu du récit hoffmannien, Onuphrius dresse, en même temps, le bilan d’une saison qui est en train de se conclure : cette « volonté de surenchère », qui « fait parcourir à Onuphrius toutes les mésaventures fantastiques possibles et connues »[10], épuise celles-ci alors même qu’elle les dénombre. Le 19 février de cette même année, l’auteur anonyme du compte rendu des Contes bruns, dans le Journal des Débats, remarque qu’« [à] force de contes fantastiques […] il est arrivé que les auteurs se sont fatigués d’en produire, et surtout le public d’en écouter »[11] ; le même ennui, le même présage d’une fin, habitent les écrits de Jules Janin. Voici le « prince de la critique » – lui, qui pourtant avoue avoir intitulé son recueil de 1832 Contes fantastiques exclusivement pour satisfaire aux attentes du public[12] ! – se moquer du refrain à la mode, dans son style si caractéristique, que Balzac prêtera à Lucien de Rubempré dans Illusions perdues :
Quand on a dit fantastique, tout est dit. Mais quel est le sujet de votre pièce ? À quoi on répond : Fantastique ! Mais où avez-vous pris vos personnages ? – Fantastique ! Mais votre drame est-ce un drame ?… Fantastique ! Est-ce une comédie ? Fantastique ! Mais vous n’avez pas de dénouement ? – Fantastique ! Mais croyez-vous à Dieu ou croyez-vous au Diable ? – Fantastique ! Fantastique est une réponse toute moderne à tout ce qui est incroyable, à toutes les compositions qui n’ont ni queue, ni tête. Autrefois les auteurs avaient une raison tout aussi bonne à donner. Au lieu de s’écrier : Fantastique ! ils pouvaient s’écrier : Opéra-comique ! Alors comme à présent tout était dit.[13]
L’année d’après, c’est au tour de Nodier – qui s’était, lui aussi, plusieurs fois essayé au nouveau genre – de manifester sa désaffection. Dans l’incipit de Jean-François les Bas-Bleus (1833), il remarque : « Le fantastique est un peu passé de mode, et il n’y a pas de mal. L’imagination abuse trop facilement des ressources faciles ; et puis ne fait pas du bon fantastique qui veut »[14]. À force d’ingurgiter des récits fantastiques – et d’ailleurs des récits tout court[15] – le public commence à avoir la nausée ; danger d’étouffement, comme Nodier le souligne trois années plus tard, dans M. Cazotte : « N’entendez-vous pas, mes amis, une voix qui s’élève et retentit dans la postérité de la semaine prochaine, une voix qui crie : “Délivrez-nous du fantastique, Seigneur, car le fantastique est ennuyeux”. Quant à moi, je le trouve depuis longtemps aussi insipide que ces vérités triviales qui ne valent plus la peine d’être répétées »[16]. On le voit, chez Gautier comme chez Nodier, chez les chroniqueurs anonymes comme chez le journaliste le plus en vue de l’époque, l’explication est toujours la même : trop de fantastique tue le fantastique. C’est l’avalanche de récits, écrits par n’importe qui et à n’importe quelle occasion, qui entraîne le dégoût : c’est par l’excès que le genre nouvellement découvert par Hoffmann risque inopinément de périr.
Bienvenue dans la fabrique des idées (et des genres)
Le père du genre serait-il en passe de devenir son fossoyeur ? Les Contes fantastiques d’Hoffmann, que les mêmes écrivains romantiques avaient salués quelques années plus tôt comme la découverte d’un continent littéraire[17], ne seraient-ils, tout compte fait, qu’une fin de parcours ? Et l’avenir radieux du fantastique se muerait-il, par un retournement singulier, en un décès prématuré ? Le diagnostic le plus lucide semble être, à ce propos, celui de Balzac.
L’auteur de La Comédie Humaine n’a pas toujours nourri les mêmes convictions à propos du genre à la mode, ni de son inventeur. Comme le souligne Pierre-Georges Castex, « Balzac, en 1831, s’appliquait à prouver, par exemple dans La Peau de chagrin ou dans les premières pages de Sarrasine, qu’un écrivain français peut bien rivaliser avec Hoffmann dans l’art de décrire des visions hallucinées. Bientôt, il semble vouloir réagir ; dans un article de La Caricature consacré aux Contes bruns, il félicite les auteurs du recueil (parmi lesquels nous devons le ranger) “de n’avoir pas glissé dans quelque coin de leur titre le mot fantastique, programme malsain d’un genre dans toute sa nouveauté, il est vrai, mais qu’on a déjà trop usé par l’abus du nom seulement” »[18]. Et dans une lettre du 2 novembre 1833 à Mme Hanska, après s’être vanté d’avoir « lu Hoffmann en entier », Balzac juge carrément l’auteur allemand surfait : « il est au-dessous de sa réputation, il y a quelque chose, mais pas grand-chose »[19]. L’attitude de Balzac face au grand phénomène littéraire de son temps changerait donc radicalement vers 1832-1833. En tout état de cause, Balzac s’est penché sur l’éclosion foudroyante du fantastique, et sur ce qui lui semble être sa déchéance tout aussi rapide, qu’il essaie de rattacher à l’histoire de la monarchie de Juillet (dans cette recherche d’une dimension historique il faut voir la nouveauté essentielle de son apport). Dans les premières pages de L’Illustre Gaudissart (1833), on lit ceci :
Le déménagement de 1830 enfanta, comme chacun le sait, beaucoup de vieilles idées, que d’habiles spéculateurs essayèrent de rajeunir. Depuis 1830, plus spécialement, les idées devinrent des valeurs ; et comme l’a dit un écrivain assez spirituel pour ne rien publier, on vole aujourd’hui plus d’idées que de mouchoirs. Peut-être, un jour, verrons-nous une Bourse pour les idées ; mais déjà, bonnes ou mauvaises, les idées se cotent, se récoltent, s’importent, se portent, se vendent, se réalisent et rapportent. S’il ne se trouve pas d’idées à vendre, la Spéculation tâche de mettre des mots en faveur, leur donne la consistance d’une idée, et vit de ses mots comme l’oiseau de ses grains de mil. Ne riez pas ! Un mot vaut une idée dans un pays où l’on est plus séduit par l’étiquette du sac que par le contenu. N’avons-nous pas vu la Librairie exploitant le mot pittoresque, quand la littérature eut tué le mot fantastique ?[20]
Le fantastique serait donc déjà mort, enterré par la littérature qui en a fait un usage immodéré ; qui plus est, son héritier serait tout trouvé : ce « pittoresque » qui constitue, en effet, l’un des maîtres mots de l’époque. C’est donc d’une réduction double, et à deux niveaux différents, qu’il s’agit : en premier lieu, dans la France des années 1830, les idées laissent désormais la place aux mots, les concepts aux formules creuses, et les genres littéraires se réduisent eux-mêmes à des enveloppes vides, à des vocables en vogue ; en deuxième lieu, le cycle biologique des unes et des autres s’abrège considérablement : les idées naissent et meurent beaucoup plus vite, les empires et les dominations des genres se succèdent frénétiquement, ces mots qui ont supplanté idées et genres ne durent plus que l’espace de quelques mois. Tout cela s’explique, d’après Balzac, par l’énorme transformation – politique, sociale et économique – qui est au cœur de sa réflexion sur la littérature en tant qu’institution : c’est – pour utiliser une formule célèbre de György Lukács – la « capitalisation de l’esprit » qui est en cause[21]. Comme l’écrira Baudelaire dans l’un de ses poèmes en prose, les poètes ont perdu leur « auréole »[22] ; la massification des intellectuels et la marchandisation du travail intellectuel vont de pair : la littérature est devenue « une exploitation », « l’intelligence et ses produits […] [doivent] naturellement obéir au mode employé par les exploitations manufacturières »[23]. D’où l’usure croissante de ces produits de consommation que sont les idées, les auteurs, les livres, les genres : la postérité ne se projette plus que sur « la semaine prochaine », d’après l’expression de Nodier citée plus haut. Le fantastique à la manière d’Hoffmann représenterait, dès lors, l’exemple le plus voyant de ces processus : par la vitesse déconcertante de sa courbe vitale, ce genre serait l’emblème du sort de la littérature dans les sociétés actuelles.
Dissipatio Ph. G.
On connaît la suite de l’histoire : malgré les sombres prévisions des écrivains romantiques et les pénétrantes analyses de Balzac, le fantastique survécut et prospéra. Il est certes difficile de lire dans le livre de l’avenir ; en particulier, ce que Nodier, Janin et Balzac ne pouvaient pas prévoir était l’avènement d’un second Hoffmann, susceptible de renouveler les fastes de son prédécesseur : Edgar Allan Poe. Mais à présent, traversons d’un vol de faucon ce XIXe siècle qui est un peu l’âge classique du fantastique occidental, et posons notre regard sur ses deux dernières décennies. On retrouve, en effet, à cette époque le constat de désuétude du genre sous la plume de Guy de Maupassant.
Ses chroniques ne cessent de faire état de la disparition de la croyance, du mystère, du surnaturel ; c’est un véritable Leitmotiv, dont on peut suivre les attestations au fil des années. 1881 : « le surnaturel baisse comme un lac qu’un canal épuise ; la science, à tout moment, recule les limites du merveilleux »[24] ; 1883 : « Lentement, depuis vingt ans, le surnaturel est sorti de nos âmes. Il s’est évaporé comme s’évapore un parfum quand la bouteille est débouchée. En portant l’orifice aux narines et en aspirant longtemps, longtemps, on retrouve à peine une vague senteur. C’est fini »[25] ; 1884 : « Le surnaturel baisse comme un lac qu’un canal épuise ; la science, de jour en jour, recule les limites du merveilleux »[26] ; et ainsi de suite. L’avènement de la Science a modifié le statut du surnaturel, qui n’apparaît plus comme le signe d’un au-delà, mais coïncide avec l’inconnu et l’inexplicable ; à son tour, l’espace de l’inconnu va s’amenuisant un peu plus chaque jour :
Le merveilleux ! Jadis il couvrait la terre. […] Mais des hommes sont venus, des philosophes d’abord, puis des savants, et ils sont entrés hardiment dans cette épaisse et redoutée forêt des superstitions ; ils ont haché sans cesse, ouvrant des routes d’abord pour permettre à d’autres de venir ; puis ils se sont mis à défricher avec rage, faisant le vide, la plaine, la lumière autour de ce bois terrible. Chaque jour ils resserrent leurs lignes, élargissant les frontières de la science ; et cette frontière de la science est la limite des deux camps. En deçà, le connu qui était hier l’inconnu ; au-delà, l’inconnu qui sera le connu demain.[27]
Le monde est désormais vide de toutes ces présences qui le peuplaient autrefois :
Nos petits-enfants s’étonneront des croyances naïves de leurs pères à des choses si ridicules et si invraisemblables. Ils ne sauront jamais ce qu’était autrefois, la nuit, la peur du mystérieux, la peur du surnaturel. C’est à peine si quelques centaines d’hommes s’acharnent encore à croire aux visites des esprits, aux influences de certains êtres ou de certaines choses, au somnambulisme lucide, à tout le charlatanisme des spirites. C’est fini.[28]
Or, l’attitude de l’écrivain vis-à-vis de ce changement est ambiguë : il hésite entre l’adhésion au scepticisme voltairien et schopenhauerien[29], et la nostalgie pour l’âge des croyances, exprimant parfois l’une et l’autre dans la même phrase, ou le même passage. Par exemple ici : « C’est fini, fini. Les choses ne parlent plus, ne chantent plus, elles ont des lois ! La source murmure simplement la quantité d’eau qu’elle débite ! Adieu mystères, vieux mystères du vieux temps, vieilles croyances de nos pères, vieilles légendes enfantines, vieux décors du vieux monde ! »[30]. Mais si Maupassant est partagé quant au signe – positif ou négatif – qu’il faut attribuer à cette révolution gnoséologique, il ne l’est pas quand il s’agit de déterminer ses conséquences dans l’ordre de la littérature. Celles-ci lui semblent inéluctables ; la cessation du mystère et de la peur implique le décès d’un genre littéraire entier, qui avait fait sa raison d’être précisément de la représentation du mystère et de la peur : « De là va certainement résulter la fin de la littérature fantastique »[31] . Dissipatio Phantastici Generis, pourrait-on dire, en reprenant le titre d’un roman de science-fiction écrit par Guido Morselli un siècle plus tard, qui raconte la disparition de l’espèce humaine à la suite d’un phénomène d’évaporation inouï[32]… L’évaporation du fantastique ! Les minutes du genre sont comptées, et Maupassant, logiquement, s’adresse aux écrivains pour leur rappeler l’urgence de la tâche. S’ils désirent, pour la dernière fois, faire résonner le grand chant du mystère, qu’ils le fassent aussitôt, avant qu’il ne soit trop tard : « Hâtez-vous, ô poètes, vous n’avez plus qu’un coin de forêt où nous conduire. Il est à vous encore ; mais, ne vous y trompez pas, n’essayez point de revenir dans ce que nous avons exploré. […] Vous n’avez plus le droit de nous tromper. Nous n’avons plus la puissance de vous croire»[33].
Fantastique, psychanalyse et structuralisme
On a pu dire que le XXe siècle est celui de l’« avènement de la critique ». Sans discuter en détail cette affirmation, ce qui nous mènerait trop loin, nous pouvons l’appliquer au domaine qui nous occupe ici : il est indubitable qu’une critique universitaire sur le fantastique naît aux alentours de la Grande Guerre, avec les travaux de Joseph Retinger, Hubert Matthey, Dorothy Scarborough, et Sigmund Freud lui-même[34]. Cependant, il est tout aussi incontestable que le moment « fort » dans l’histoire des théories du fantastique, au XXe siècle, est représenté par la publication d’un ouvrage au succès retentissant, qui allait faire couler des flots d’encre : l’Introduction à la littérature fantastique (1970) de Tzvetan Todorov[35].
Dans son livre, le théoricien franco-bulgare reprend l’hypothèse lancée par les écrivains romantiques, puis par Maupassant : il déclare le fantastique défunt, nommant aussi le responsable d’un telle disparition prématurée – la psychanalyse. Cette étude structurale parfaite d’un genre qu’est l’Introduction à la littérature fantastique présente, en effet, un tournant argumentatif majeur : dans le dernier chapitre[36], une fois complétée l’enquête sur la structure du fantastique, Todorov s’oriente vers ses fonctions. Comme il le dit lui-même : « Une fois le genre constitué, nous pouvons le considérer de l’extérieur, du point de vue de la littérature en général ou même de la vie sociale ; et reposer notre question initiale, mais en lui donnant une autre forme : non plus “qu’est-ce que le fantastique ?” mais “pourquoi le fantastique ?” »[37]. Or, parmi les réponses fournies par le critique, c’est la première, portant sur la fonction sociale du genre, qui nous intéresse ici. Le fantastique permet de « franchir certaines limites inaccessibles tant qu’on n’a pas recours à lui »[38] : sous couvert d’événements surnaturels, il nous parle des thèmes interdits, contournant la censure qui pèse, par exemple, sur les tabous sexuels et sociaux. C’est pourquoi, écrit encore Todorov, « la psychanalyse a remplacé (et par là même a rendu inutile) la littérature fantastique. On n’a pas besoin aujourd’hui d’avoir recours au diable pour parler d’un désir sexuel excessif, ni aux vampires pour désigner l’attirance exercée par les cadavres : la psychanalyse, et la littérature qui, directement ou indirectement, s’en inspire, en traitent en termes non déguisés. Les thèmes de la littérature fantastique sont devenus, littéralement, ceux-là mêmes des recherches psychologiques des cinquante dernières années »[39]. Le fantastique se serait éteint dans la personne de celui qui en avait annoncé la mort prochaine, à la fin du siècle précédent : « le fantastique a eu une vie relativement brève. Il est apparu d’une manière systématique vers la fin du XVIIIe siècle, avec Cazotte ; un siècle plus tard, on trouve dans les nouvelles de Maupassant les derniers exemples esthétiquement satisfaisants du genre »[40].
Malgré son influence, et sans doute à cause d’elle, la théorie todorovienne a été en butte à de constantes attaques : comme le remarque un comparatiste italien, Remo Ceserani, « [p]ar sa définition, Todorov s’est attiré des critiques parfois très dures et méprisantes »[41]. L’un des points qui ont suscité le plus de polémiques est précisément le rôle que Todorov attribue à la psychanalyse : en cela, soit dit en passant, on oublie que Pierre-Georges Castex et Peter Penzoldt les premiers avaient essayé, bien avant Todorov, d’établir une connexion entre la diffusion des théories de Freud et l’essoufflement que le récit fantastique semble connaître, à l’aube du XXe siècle[42]. Quoi qu’il en soit, nous ne discuterons pas le bien-fondé de l’opinion de Todorov, mais retiendrons ceci, avant de conclure : la plus célèbre des théories du fantastique formulées au XXe siècle postule la disparition du genre après la grande saison comprise entre Le Diable amoureux et Le Horla ; les instruments d’analyse de la nouvelle science de la narration, ou « narratologie »[43], fonctionnent certes impeccablement, mais à condition d’arrêter l’enquête sur le seuil du nouveau siècle (avec la notable exception de La Métamorphose de Kafka)[44]. L’approche structuraliste serait-elle destinée à n’apporter de bons résultats que lorsqu’elle a, au préalable, simplifié son objet d’étude ?
Les mille et une morts du fantastique
1832-1833 (comptes rendus, préfaces et récits de Gautier, Janin et Nodier), 1833 (L’Illustre Gaudissart), 1883 (« Le Fantastique »), 1970 (Introduction à la littérature fantastique) : il ne s’agit là que de quatre échantillons, la route du genre est pavée de pareilles affirmations. Mais quelle est donc leur logique ? Peut-on identifier un fil rouge qui relierait ces prises de position ?
Certes, ces divers constats partent de prémisses différentes. Les écrivains romantiques soulignent la dévaluation d’un genre qu’on a trop pratiqué, c’est un phénomène d’inflation qu’ils observent : après qu’il a inondé le marché des livres, le fantastique ne vaut plus rien, la loi de l’offre et de la demande trouve ici une application littéraire… La métaphore économique est centrale dans la réflexion de Balzac aussi, cependant l’auteur de La Comédie Humaine élargit la perspective de son analyse ; il est frappé par l’usure des mots et par la consommation rapide des idées : dans une société qui a transformé la littérature en manufacture, les « produits intellectuels »[45] acquièrent une date de péremption rapprochée. Les genres littéraires ne durent plus que l’espace d’une fluctuation du goût : la vitesse des fortunes et infortunes du fantastique est l’emblème d’un immense changement historique, économique et social. C’est également une modification historique qui stimule la réflexion de Maupassant, mais qu’il faudrait qualifier d’anthropologique : la fin de la croyance dans le surnaturel. Dans un monde vide de mystères, dominé par la Science qui fait reculer de plus en plus les limites de l’inconnu, la littérature fantastique n’a plus de raison d’être. Le point de vue de Todorov est celui d’un savant et d’un historien : il essaie, lui aussi, d’établir des connexions entre l’histoire de la littérature et celle de la pensée, mais s’exprime dans le langage des sciences humaines, et suit les conventions du discours sur la littérature, qu’il a lui-même contribué à codifier par son activité de théoricien structuraliste. Son enquête n’a pas de retombées dans le domaine de la fiction littéraire, comme c’était le cas pour les écrivains du XIXe siècle : le constat de décès sert l’unique cause de la « science de la littérature ».
Il n’y a peut-être pas de dénominateur commun entre ces diagnostics, si ce n’est le processus de symbolisation lui-même, ce caractère symptomatique que l’on prête, à chaque fois, aux destinées du fantastique. Pour répondre enfin à notre question initiale, si l’on proclame la mort du genre, c’est qu’on a besoin d’une métaphore saisissante pour incarner le sentiment qu’une modification décisive est en train de s’accomplir, s’est peut-être déjà accomplie – marchandisation de la littérature ou capitalisation de l’esprit, fin des croyances ou déplacement général des tabous. La mort du fantastique est toujours le miroir d’un changement de portée plus générale ; or, quelle autre image pourrait-elle détenir ce singulier pouvoir de représenter autre chose que possède assurément le fantastique ? Car le fantastique, comme le dit encore Todorov, c’est « la quintessence de la littérature »[46]. Là se trouve peut-être la clé de l’étrange paradoxe d’un genre dont on a, à plusieurs reprises, décrété la mort, et qui a toujours ressuscité, tel un phénix, de ses cendres.
Notes
[1] Cf. J.-J.Ampère, « Allemagne. Hoffmann », compte rendu de Hoffmanns Leben und Nachlass [« Vie et héritage d’Hoffmann »], herausgegeben von Hitzig, Berlin, 1822, Le Globe, t. VI, n° 81, 2 août 1828, p. 588-589.
[3] Cf. E. T. A. Hoffmann, Œuvres complètes, Paris, Renduel, 1829-1833, 20 vol. Les Contes fantastiques proprement dits (vol. I-VIII) paraissent aux mois de novembre 1829 (1ère livraison, vol. I-IV) et mai 1830 (2nde livraison, vol. V-VIII).
[4] Cf. W. Scott, « On the Supernatural in Fictitious Composition ; and particularly on the Works of Ernest Theodore William [sic] Hoffmann » [1827], dans On Novelists and Fiction, édition d’I. Williams, London, Routledge-Kegan Paul, 1968, p. 312-353 ; et « Du merveilleux dans le roman » [1829], dans E.T.A. Hoffmann, Contes fantastiques, introduction de J. Lambert, Paris, Garnier-Flammarion, 1979, 3 vol., vol. I, p. 39-55.
[7] Voir le projet de recherche sur « L’anachronique et le désuet », que dirigent A. Montandon et S. Neiva dans le cadre du C.R.L.M.C. de l’Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand II), et qui devrait aboutir au Dictionnaire sur la temporalité et la caducité des formes et des genres littéraires (à paraître aux éditions Droz).
[8] Nous citons l’appel à contribution du projet susmentionné, téléchargeable sur le site www.maison-recherche.univ-bpclermont.fr/labos/crlmc/htm (version Word, p. 2).
[9] Cf. T. Gautier, « Contes d’Hoffmann », Chronique de Paris. Journal politique et littéraire, t. III, n° IX, 14 août 1836, p. 133-135 ; « Hoffmann » [1830], dans Spœlberch de Lovenjoul, Histoire des œuvres de Théophile Gautier [1887], Genève, Slatkine, 1968, 2 vol., vol. I, p. 11-14 ; « Les Contes d’Hoffmann, drame fantastique, de MM. Jules Barbier et Michel Carré » [1851], dans Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt-cinq ans, Paris, Hetzel, 1858-1859, 6 vol., vol. VI, p. 230-233.
[10] M. Crouzet, « Notice » [d’Onuphrius], dans T. Gautier, L’Œuvre fantastique, édition de M. Crouzet, Paris, Garnier, 1992, 2 vol., vol. I, p. 23.
[11] Cité dans H. de Balzac, La Comédie Humaine, sous la direction de P.-G. Castex, Paris, Gallimard, 1976-1981, 12 vol., vol. IV, Études de mœurs : Scènes de la vie de province, p. 1339.
[12] Voir J. Janin, « Avant-propos » [mai 1832], dans Contes fantastiques et contes littéraires [1863], édition de J. Decottignies, Genève, Slatkine, 1979, p. 6-7: « Contes fantastiques ! Mon titre est un leurre. Il y a bien peu même de fantaisie en toutes ces pages, et vous n’y trouverez aucune des précieuses qualités de maître Hoffmann […]. Mais […] cette faute n’est pas la mienne, c’est la faute des circonstances, la faute de la mode, et votre faute à vous-mêmes, [ô lecteurs,] qui voulez du fantastique à tout prix et de toutes mains ». À comparer avec C. Nodier, L’Amour et le Grimoire [1832], dans Contes, édition de P.-G. Castex, Paris, Garnier Frères, 1961, p. 517 : « Fantastique si vous le voulez : fantastique, puisqu’il le faut ! ».
[13] J. Janin, [compte rendu de] « Le Revenant, opéra fantastique en cinq tableaux, paroles de M. de Calvimont, musique de M. Gomis », Journal des débats politiques et littéraires, 6 janvier 1834, p. 1 (sans numérotation).
[15] Sur la folie des nouvelles, voir surtout les témoignages de J. Janin, « La Cent millième et une et dernière nouvelle nouvelle », Revue de Paris, n° LIV, 1833, notamment p. 24, et C. Nodier, « Préface inutile » [des Quatre Talismans] [1838], dans Contes, p. 718.
[17] Voir par exemple ce qu’écrit Sainte-Beuve, le 7 décembre 1830 : « lorsqu’on avait tout lieu de croire que le tour du monde était achevé dans l’art, et qu’il restait beaucoup à transformer et à remanier sans doute, mais rien de bien nouveau à découvrir, Hoffmann s’en est venu qui, aux limites des choses visibles et sur la lisière de l’univers réel, a trouvé je ne sais quel coin obscur, mystérieux et jusque-là inaperçu » (C. A. Sainte-Beuve, « Hoffmann. Contes nocturnes », dans Œuvres, édition de M. Leroy, Paris, Gallimard, 1956, vol. I, p. 382-383). Dans la deuxième préface [1832] de Smarra, Nodier reprend l’analyse de Sainte-Beuve, et rend explicite le parallèle entre Hoffmann et Colomb : « Je savais bien que les sujets n’étaient pas épuisés, et qu’il restait encore des domaines immenses à exploiter à l’imagination ; mais je le savais obscurément, à la manière des hommes médiocres, et je louvoyais de loin sur les parages de l’Amérique, sans m’apercevoir qu’il y avait là un monde. J’attendais qu’une voix aimée criât : Terre ! » (C. Nodier, « Préface nouvelle » [de Smarra], dans Contes, p. 37). Cette voix tant attendue fut, à n’en pas douter, celle d’Hoffmann.
[18] P.-G. Castex, Le Conte fantastique en France de Nodier à Maupassant, Paris, José Corti, 1951, p. 84. Le numéro de La Caricature auquel Castex fait allusion est celui du 16 février 1832.
[19] H. de Balzac, Lettres à Mme Hanska, édition de R. Pierrot, Paris, Les Éditions du Delta, 1967-1971, 4 vol., vol. I, p. 109.
[20] H. de Balzac, L’Illustre Gaudissart [1833], dans La Comédie Humaine, vol. IV, p. 566. L’« écrivain assez spirituel pour ne rien publier », c’est Lautour-Mézeray.
[21] Voir G. Lukács, « Illusions perdues » [1935], dans Balzac et le réalisme français, préface de G. Gengembre, Paris, La Découverte, 1999, p. 48-68.
[22] C. Baudelaire, Perte d’auréole [Le Spleen de Paris, 1869], dans Œuvres complètes, édition de C. Pichois, Paris, Gallimard, 1975, 2 vol., vol. I, p. 352. Mais pour Baudelaire, ce tournant est à situer plus tard, après la révolution de 1848.
[24] G. de Maupassant, « Adieu Mystères » [8 novembre 1881], dans Chroniques, préface d’H. Juin, Paris, Union Générale d’Éditions, 1980, 3 vol., vol. I, p. 312.
[26] G. de Maupassant, La Peur II [« Le train filait, à toute vapeur, dans les ténèbres »] [25 juillet 1884], dans Contes et nouvelles, édition de L. Forestier, Paris, Gallimard, 1974-1979, 2 vol., vol. II, p. 199.
[29] Ces deux « saccageur[s] de rêves », les « plus grand[s] […] qui ai[en]t passé sur la terre », sont nommés dans G. de Maupassant, Auprès d’un mort [30 janvier 1883], dans Contes et nouvelles, vol. I, p. 728.
[34] Voir respectivement : J. Retinger, Le Conte fantastique dans le Romantisme Français, Paris, Grasset, 1908 ; H. Matthey, Essai sur le merveilleux dans la littérature française depuis 1800 (Contribution à l’étude des genres), Lausanne, Payot, 1915 ; D. Scarborough, The Supernatural in Modern English Fiction, New York-London, Putnam’s Sons, 1917 ; S. Freud, « L’Inquiétante étrangeté » [Das Unheimliche, 1919], dans L’Inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1985, p. 209-263.
[35] Voir T. Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1970. Sur le rôle central auquel nous venons de faire allusion, qu’il nous soit permis de renvoyer à notre étude « Dérive(s) du fantastique. Considérations intempestives sur la théorie d’un genre », Comparatistica, annuaire italien de littérature comparée, n° XIV, 2005, p. 113-136.
[36] Voir T. Todorov, Introduction à la littérature fantastique, chap. X, « Littérature et fantastique », p. 165-184.
[42] Voir respectivement P.-G. Castex, Le Conte fantastique en France de Nodier à Maupassant [1951], p. 401, et P. Penzoldt, The Supernatural in Fiction [1952], New York, Humanities Press, 1965, p. 149.
[43] Todorov lui-même l’avait baptisée ainsi, l’année précédente : « plutôt que des études littéraires, cet ouvrage relève d’une science qui n’existe pas encore, disons la narratologie, la science du récit. Les résultats de cette science ne seront cependant pas dénués d’intérêt pour la connaissance de la littérature puisque le récit en constitue souvent le noyau » (T. Todorov, Grammaire du « Décaméron », The Hague-Paris, Mouton, 1969, p. 10).
[44] Le récit de Kafka constituerait d’après Todorov l’exemple le plus accompli d’un « nouveau » fantastique, qui toutefois ne fait qu’inverser de fond en comble le paradigme narratif du genre élaboré au XIXe siècle (voir T. Todorov, Introduction à la littérature fantastique, p. 177 et suiv.).