Un avenir radieux
Essai sur la mythologie marxiste
(Jean Libis)
Editions Tracus Arte, Bucarest 2013
Traduction en roumain : Lazar Popescu
Dans les années 2006-2007, j’ai écrit une étude consacrée au marxisme politique. Auparavant j’avais étudié un grand nombre d’ouvrages sur la question et j’étais extrêmement préoccupé de comprendre, si tant est que cela soit possible, comment une mouvance de cette importance avait pu engendrer un tel désastre.
Ayant fait lire le manuscrit à plusieurs personnes, et persuadé que mon analyse avait sa raison d’être sur un plan philosophique, quoique, de toute évidence elle dût déplaire aux divers compagnons de route, je l’ai également confié à un éditeur français, dans le seul but d’obtenir son avis. Sa réponse a été fort nette : « Ton livre, me dit-il, est impubliable en France ».
Pertinente prémonition !
Parmi mes lecteurs figuraient aussi quelques roumains francophones. Deux d’entre eux furent enthousiasmés par le texte et se mirent en quête d’un éditeur en Roumanie. L’affaire prit un certain temps et elle finit par aboutir. En mars 20I3 paraît aux Editions Tracus arte la traduction en roumain de mon étude, intitulée : Un viitor luminos. Eseu asupra mitologiei marxiste. Ce titre est lui-même la traduction littérale de : Un avenir radieux. Essai sur la mythologie marxiste.
Comme bien entendu la plupart de mes amis et lecteurs français ne sont pas susceptibles de lire le texte roumain, j’ai décidé d’en rédiger une présentation succincte.
Je profite aussi de cette occasion pour exprimer ma vive gratitude à l’égard des lecteurs roumains qui ont pris en charge cette aventure : Ramona BORDEI-BOCA (universitaire et lectrice attentive) ; Ionel BUSE (responsable éditorial) ; Lazar POPESCU (traducteur) ; Corin BRAGA (directeur de la collection Phantasma aux Editions Tracus Arte).
Synopsis
La question du communisme marxiste, de son histoire et de ses conséquences désastreuses est et reste à mon sens totalement obsédante. Elle touche de si près à la notion de croyance collective qu’elle s’apparente tout à la fois à une religion, à une mythologie moderne, et à une idéologie politique particulièrement captieuse et retorse. Si elle n’était que théorique, elle prêterait sans doute à sourire. Mais elle s’accompagne d’innombrables victimes, que l’Histoire n’a toujours pas officiellement réhabilitées, alors que le procès de Nüremberg a condamné sans ambiguïté les crimes et les génocides commis par le régime nazi.
L’œuvre de Marx, difficile et multiple, riche d’une économie politique résolument nouvelle, contient cependant déjà le ver dans le fruit. Dogmatique, porteuse de violence, parfois foncièrement équivoque, elle véhicule un prophétisme souvent masqué par ses commentateurs. De surcroît elle s’enracine dans un optimisme délibéré, qui contient en germe sa propre négation. Les textes sont parlants à cet égard : Marx et ses zélateurs ont incontestablement rêvé d’une société parfaite, totalement libérée et transparente à elle-même. Fantasme vertigineux et destructeur !
À partir de là se met en place la désignation des ennemis. Si le paradis communiste ne se réalise pas aux lendemains de la Révolution de 1917, c’est, répète Lénine avant Staline, que d’innombrables ennemis la grèvent de l’intérieur. La chasse aux ennemis du peuple est ouverte, et elle s’accompagnera de déportations massives, de crimes politiques récurrents, de procès perpétuellement truqués. Sans oublier les terribles famines imputables aux inconséquences d’une politique totalement irréaliste.
À partir d’un certain seuil, l’historien ne sait plus très bien si les zélateurs du communisme marxiste sont taraudés par une illusion inextinguible ou si peu à peu ils entretiennent sciemment un mensonge pour nourrir leur appétit de pouvoir et en même temps d’illusion. Cette ambiguïté est telle qu’elle s’accompagne de nombreuses productions délirantes voire pathologiques : dans la société future, pourquoi ne pas cultiver des oranges dans le grand nord sibérien ? Et l’homme futur, aux dires même d’un Trotski, ne ressemblera-t-il pas à la fois à Aristote, à Gœthe, et à Marx lui-même ? Pourquoi ne pas retracer entièrement le cours de la Volga, voire assécher le delta du Danube ?
Sous cette pantalonnade, se constitue et se durcit un pouvoir de plus en plus masqué, organisé et liberticide. Au nom d’un avenir radieux, se met en place une gigantesque politique de répression, de déportation, de condamnations. Si les procès staliniens en constituent une des plus terrifiantes manifestations, des processus semblables s’organisent sous la férule du président Mao – encensé par quelques intellectuels parisiens ! – et dans la jungle effarante de l’utopie polpotienne. Sans oublier les figures cauchemardesques d’un Kim Il Sung ou d’un Ceaucescu. La liste n’est pas close.
L’histoire du communisme marxiste nous montre péremptoirement que le fantasme du paradis terrestre était resté bien vivant dans une ère qui se voulait scientifique, rationaliste et athée. Ce fantasme a engendré son contraire, sous la forme de catastrophes sans précédent, qui entrent tragiquement en résonance avec l’ampleur et la nature des crimes nazis : plusieurs historiens sérieux ont abordé cette question comparative, explosive entre toutes, longtemps occultée par l’idéologie régnant après la seconde guerre mondiale.
De cette immense désillusion, peut-être pouvons-nous néanmoins tirer quelques leçons d’ordre philosophique et politique. L’idée d’une libération intégrale de l’homme par l’homme n’est-elle pas davantage une pulsion de l’imaginaire qu’un horizon socio-politique cohérent ? La véritable raison philosophique n’est-elle pas celle qui affronte ses propres limites, et se garde de croire que celles-ci soient solubles dans l’Histoire ? Et l’authenticité de la pensée ne consiste-t-elle pas à regarder sans complaisance, ce qui, dans la condition humaine, appartient au domaine de la finitude et contient de ce fait une dimension tragique irréductible ? Cela ne signifie pas qu’on puisse ni qu’on doive s’en accommoder platement. L’homme reste un animal insatisfait et révolté, mais c’est là son destin proprement métaphysique. La politique n’a de sens cohérent que si elle s’inscrit dans une perspective de régulation et non dans la visée d’une apothéose illusoire.
Un avenir radieux
Essai sur la mythologie marxiste
(Jean Libis)
Editions Tracus Arte, Bucarest 2013
Traduction en roumain : Lazar Popescu
Dans les années 2006-2007, j’ai écrit une étude consacrée au marxisme politique. Auparavant j’avais étudié un grand nombre d’ouvrages sur la question et j’étais extrêmement préoccupé de comprendre, si tant est que cela soit possible, comment une mouvance de cette importance avait pu engendrer un tel désastre.
Ayant fait lire le manuscrit à plusieurs personnes, et persuadé que mon analyse avait sa raison d’être sur un plan philosophique, quoique, de toute évidence elle dût déplaire aux divers compagnons de route, je l’ai également confié à un éditeur français, dans le seul but d’obtenir son avis. Sa réponse a été fort nette : « Ton livre, me dit-il, est impubliable en France ».
Pertinente prémonition !
Parmi mes lecteurs figuraient aussi quelques roumains francophones. Deux d’entre eux furent enthousiasmés par le texte et se mirent en quête d’un éditeur en Roumanie. L’affaire prit un certain temps et elle finit par aboutir. En mars 20I3 paraît aux Editions Tracus arte la traduction en roumain de mon étude, intitulée : Un viitor luminos. Eseu asupra mitologiei marxiste. Ce titre est lui-même la traduction littérale de : Un avenir radieux. Essai sur la mythologie marxiste.
Comme bien entendu la plupart de mes amis et lecteurs français ne sont pas susceptibles de lire le texte roumain, j’ai décidé d’en rédiger une présentation succincte.
Je profite aussi de cette occasion pour exprimer ma vive gratitude à l’égard des lecteurs roumains qui ont pris en charge cette aventure : Ramona BORDEI-BOCA (universitaire et lectrice attentive) ; Ionel BUSE (responsable éditorial) ; Lazar POPESCU (traducteur) ; Corin BRAGA (directeur de la collection Phantasma aux Editions Tracus Arte).
Synopsis
La question du communisme marxiste, de son histoire et de ses conséquences désastreuses est et reste à mon sens totalement obsédante. Elle touche de si près à la notion de croyance collective qu’elle s’apparente tout à la fois à une religion, à une mythologie moderne, et à une idéologie politique particulièrement captieuse et retorse. Si elle n’était que théorique, elle prêterait sans doute à sourire. Mais elle s’accompagne d’innombrables victimes, que l’Histoire n’a toujours pas officiellement réhabilitées, alors que le procès de Nüremberg a condamné sans ambiguïté les crimes et les génocides commis par le régime nazi.
L’œuvre de Marx, difficile et multiple, riche d’une économie politique résolument nouvelle, contient cependant déjà le ver dans le fruit. Dogmatique, porteuse de violence, parfois foncièrement équivoque, elle véhicule un prophétisme souvent masqué par ses commentateurs. De surcroît elle s’enracine dans un optimisme délibéré, qui contient en germe sa propre négation. Les textes sont parlants à cet égard : Marx et ses zélateurs ont incontestablement rêvé d’une société parfaite, totalement libérée et transparente à elle-même. Fantasme vertigineux et destructeur !
À partir de là se met en place la désignation des ennemis. Si le paradis communiste ne se réalise pas aux lendemains de la Révolution de 1917, c’est, répète Lénine avant Staline, que d’innombrables ennemis la grèvent de l’intérieur. La chasse aux ennemis du peuple est ouverte, et elle s’accompagnera de déportations massives, de crimes politiques récurrents, de procès perpétuellement truqués. Sans oublier les terribles famines imputables aux inconséquences d’une politique totalement irréaliste.
À partir d’un certain seuil, l’historien ne sait plus très bien si les zélateurs du communisme marxiste sont taraudés par une illusion inextinguible ou si peu à peu ils entretiennent sciemment un mensonge pour nourrir leur appétit de pouvoir et en même temps d’illusion. Cette ambiguïté est telle qu’elle s’accompagne de nombreuses productions délirantes voire pathologiques : dans la société future, pourquoi ne pas cultiver des oranges dans le grand nord sibérien ? Et l’homme futur, aux dires même d’un Trotski, ne ressemblera-t-il pas à la fois à Aristote, à Gœthe, et à Marx lui-même ? Pourquoi ne pas retracer entièrement le cours de la Volga, voire assécher le delta du Danube ?
Sous cette pantalonnade, se constitue et se durcit un pouvoir de plus en plus masqué, organisé et liberticide. Au nom d’un avenir radieux, se met en place une gigantesque politique de répression, de déportation, de condamnations. Si les procès staliniens en constituent une des plus terrifiantes manifestations, des processus semblables s’organisent sous la férule du président Mao – encensé par quelques intellectuels parisiens ! – et dans la jungle effarante de l’utopie polpotienne. Sans oublier les figures cauchemardesques d’un Kim Il Sung ou d’un Ceaucescu. La liste n’est pas close.
L’histoire du communisme marxiste nous montre péremptoirement que le fantasme du paradis terrestre était resté bien vivant dans une ère qui se voulait scientifique, rationaliste et athée. Ce fantasme a engendré son contraire, sous la forme de catastrophes sans précédent, qui entrent tragiquement en résonance avec l’ampleur et la nature des crimes nazis : plusieurs historiens sérieux ont abordé cette question comparative, explosive entre toutes, longtemps occultée par l’idéologie régnant après la seconde guerre mondiale.
De cette immense désillusion, peut-être pouvons-nous néanmoins tirer quelques leçons d’ordre philosophique et politique. L’idée d’une libération intégrale de l’homme par l’homme n’est-elle pas davantage une pulsion de l’imaginaire qu’un horizon socio-politique cohérent ? La véritable raison philosophique n’est-elle pas celle qui affronte ses propres limites, et se garde de croire que celles-ci soient solubles dans l’Histoire ? Et l’authenticité de la pensée ne consiste-t-elle pas à regarder sans complaisance, ce qui, dans la condition humaine, appartient au domaine de la finitude et contient de ce fait une dimension tragique irréductible ? Cela ne signifie pas qu’on puisse ni qu’on doive s’en accommoder platement. L’homme reste un animal insatisfait et révolté, mais c’est là son destin proprement métaphysique. La politique n’a de sens cohérent que si elle s’inscrit dans une perspective de régulation et non dans la visée d’une apothéose illusoire.