Category Archives: Vol. 26
Réélaboration du mythe dans la prose initiatique de A. E. Baconsky, Echinoxul nebunilor şi alte povestiriThe Re-elaboration of Myth in A. E. Baconsky’s initiatic prose work, Echinoxul nebunilor şi alte povestiri (“The Madmen’s Equinox and Other Stories”)
Danilo De Salazar
Université de la Calabre – Rende (CS), (Italie)
danilo.desalazar@gmail.com
Réélaboration du mythe dans la prose initiatique
de A. E. Baconsky, Echinoxul nebunilor şi alte povestiri /
The Re-elaboration of Myth
in A. E. Baconsky’s initiatic prose work,
Echinoxul nebunilor şi alte povestiri (“The Madmen’s Equinox and Other Stories”)
Abstract: According to most critics, it is possible to recognize in A. E. Baconsky’s prose work, Echinoxul nebunilor şi alte povestiri, an initiatic aspect, mirrored in the very structure of the ten short stories comprising the volume. Our hermeneutical excursus aims to show the elements referable to rite – in particular, to man’s reintegration with Mythical Time and to the reconciliation of being with the great cosmic cycles, to which Mircea Eliade paid much attention. The author adopts and re-elaborates these myths, embedding them, more or less explicitly, in the narrative plot. This is the case of the Zalmoxis, Orestes, Icarus and Ulysses myths – finely recalled by Baconsky in his references to sirens and to the Cyclops Polyphemus. Our study of the revival of myth within Baconsky’s short stories is accompanied by an accurate analysis of Baconskyan imagery that, on the basis of the researches led by Gaston Bachelard, Gilbert Durand and Jean Libis, reveals itself particularly fertile as regards the aerial element and, above all, the watery one. In this perspective, we seek to further focus on the passage from myth to complex, discovering its extreme vitality on the level of imaginative dynamism in the figures of Jonah and Charon.
Keywords: A. E. Baconsky; Myth; Rite; Initiatic Prose; Water; Sea; Wind.
En procédant à l’exploration du cogito du rêveur, auquel est dédié un chapitre entier de La Poétique de la rêverie, Gaston Bachelard propose une analyse du je et reconnaît trois catégories selon le niveau de conscience maintenu : “Le « je » du sommeil – s’il existe ; le « je » de la narcose – s’il garde valeur d’individualité ; le « je » de la rêverie, maintenu dans une telle vigilance qu’il peut se donner le bonheur d’écrire”[1]. Selon l’épistémologue français, l’homme, à travers la rêverie, pénètre dans une sorte de région des ombres[2], à mi-chemin entre l’être et le non-être, un espace qui sert de “« médiateur plastique » entre l’homme et l’univers”[3]. La compréhension du rapport entre l’homme et le cosmos, ou plus en général du mystère de la vie, constitue le thème essentiel d’Echinoxul nebunilor şi alte povestiri (L’équinoxe des fous et autres récits)[4] d’A. E. Baconsky, comme le met déjà en évidence la structure narrative du volume entier, qui se fonde sur le sens insaisissable de réponses longtemps poursuivies. Il n’est permis au lecteur que de pressentir quelques signes (le message indéchiffrable transmis par les oiseaux en vol, les fresques énigmatiques retrouvées dans une maison dans les marais, une lettre qui annonce un meurtre…), pour partager ensuite avec le protagoniste un sentiment d’anxiété et de frustration, provoqué par l’impossibilité d’en saisir le signifié profond, par l’incapacité précisément de dévoiler le mystère de son existence[5].
Le schéma narratif magistralement construit autour du protagoniste des dix récits qui composent le volume se déroule dans une atmosphère fuyante et riche en références symboliques, où le lecteur plonge en s’associant au jeu de substitution et de renversement de rôles des personnages et en percevant une sensation d’égarement spatio-temporel, typique du rêve ou plus précisément du cauchemar. De plus, nous considérons que le choix de l’auteur d’abolir ou de dissimuler l’identité des actants (en négligeant les noms ou parfois en employant des moyens spécifiques comme la mise en abyme, l’inversion des rôles ou encore en utilisant une description énigmatique des visages) a comme but principal la dé-subjectivité du personnage, ce dernier étant le protagoniste d’une histoire qui va bien au-delà des pages du livre, une histoire qui précipite dans le temps mythique[6]. Echinoxul nebunilor est l’histoire universelle de l’homme, soumise à la loi des grands cycles, dont le récit se fait rite et célébration : “Depuis longtemps je l’avais oublié moi-même [mon nom, n.d.t.], depuis que, sous le signe imposé par l’intersection des grands cycles qui se croisaient dans ma biographie, je m’étais débarrassé de tout ce qui pouvait me souvenir de moi-même”[7].
Traces homériques dans l’exploration gnoséologique
« Autrefois j’ai abandonné ma maison, en suivant un mendiant aveugle qui parcourait le monde avec son chien – et je n’ai plus regardé en arrière »[8]. Ainsi commence le voyage périlleux du protagoniste de Farul (Le phare), récit qui ouvre Echinoxul nebunilor şi alte povestiri. Le voyage doit être entendu ici comme la métaphore d’une recherche existentielle proprement dite, comme la tentative de dévoiler ce mystère qui, comme un linceul, s’étend de la première jusqu’à la dernière page du volume, enroulant et impliquant le lecteur dans une entreprise cognitive dont on découvre bientôt l’impossibilité. Comme la plupart des critiques l’ont relevé, le personnage principal des dix récits qui composent le livre est toujours le même[9] et nous approuvons ce que Nicolae Creţu a observé : « Le héros des proses de Echinoxul nebunilor (il n’existe sans doute qu’un héros que nous redécouvrons toujours derrière ses masques successifs) est l’Homme, un Ulysse du mythe total, ontique, se débattant avec les défis fondamentaux de la vie »[10]. L’analogie est encore plus appropriée si l’on considère aussi des passages du livre où la référence au poème homérique est explicite. Nous remarquerons l’assimilation, qui n’est certainement pas aléatoire, du phare au cyclope Polyphème (« Je voyais dans son œil de Polyphème pétrifié un monde de vide et de mort propagée »[11]) et surtout l’évocation des sirènes : « Et il n’y aura plus aucune sirène qui mettra fin au jeu sombre et qui annoncera la mort à travers son chant, la seule à laquelle je me sentais condamné »[12]. Jean Libis, dans L’Eau et la mort, consacre un chapitre entier à l’érotisme de l’eau et s’arrête sur le mythe des sirènes, en y apercevant non seulement le réseau symbolique unissant l’eau, la féminité et la mort, mais en en saisissant un aspect encore plus profond :
Pourtant, d’un autre côté, le mythe reste étonnamment vivace et fécond, pour peu qu’on se donne la peine […] de relire attentivement l’épisode homérique. Les sirènes y apparaissent détentrices d’un savoir : non seulement elles connaissent tous les maux endurés par les héros de la guerre de Troie, mais elles savent aussi « tout ce que voit passer la terre nourricière ». Quel est donc le contenu de ce Savoir, si radical, si essentiel, qu’il a besoin du plus beau chant pour prendre forme, et qui est à ce point inaudible par les mortels qu’il les égare et les détruit ? […] Qu’est-ce donc que nous désirons entendre à ce point qu’il y va de notre existence même et qu’il nous faille nous boucher les oreilles avec de la cire pour que soit continué le Périple, qui est aussi le retour au bercail ?[13]
Ce « savoir essentiel », ce que le protagoniste « désire entendre à ce point qu’il y va de son existence », est l’existence même : chaque voyage pour en découvrir le sens le plus profond n’est qu’une Odyssée ; l’Ithaque coïncide irrémédiablement avec l’origine et avec la destination vers laquelle se dirige, dans le texte, l’alter ego de l’écrivain. La conscience intime de la caducité engendre chez les hommes une angoisse qui pénètre toute l’atmosphère où les histoires racontées s’inscrivent. Cette angoisse est liée aussi au sentiment de frustration provoqué par l’impossibilité concrète d’un retour à un état idéal de joie authentique (« Je vivais heureux dans un monde fantastique, peuplé par des créatures grandes et généreuses, masques de certains idéaux de plus en plus brumeux »[14]), concevable seulement comme rupture tragique avec la situation immanente. C’est exactement dans cette condition d’inachèvement que Libis – en se référant aux méditations de Maurice Blanchot – repérera l’élément commun à l’homme et au roman[15].
Perspectives cosmologiques du mythe
« A. E. Baconsky écrit une prose au caractère initiatique, où l’initiation du lecteur-néophyte se déroule parallèlement à celle du narrateur-témoin acteur »[16] : en nous référant aux études de Mircea Eliade sur le mythe, nous nous concentrerons sur l’importance particulière que ce dernier revêt dans les récits contenus dans Echinoxul nebunilor, œuvre où Laurenţiu Ciobanu remarque un passage « naturel de l’existence dans le mythe et du mythe dans l’existence »[17]. Parfois le mythe est évoqué de façon explicite, comme dans le cas d’Orphée et Eurydice, auquel est consacré un récit entier, le cinquième, tandis que, d’autres fois, la référence est implicite : le passage suivant ne se réfère-t-il pas à l’épopée sanglante des Atrides? « Il s’agira d’une tragédie sur le jeune fils d’un roi, qui a tué sa mère, sur une vengeance héritée de génération en génération entre frères, une vengeance inachevée, qui traverse le temps comme une flamme empoisonnée et sacrée, nourrie par des vestales inconnues »[18]. Nous pourrions peut-être même percevoir dans le personnage d’Oreste ce sentiment de culpabilité obscure auquel Nicolae Creţu se réfère lorsqu’il écrit :
Dans un espace intérieur incertain, qui suggère l’aventure onirique, se passent les expériences fondamentales de la vie ; tous les chemins qui semblent mener vers quelque chose d’autre, vers un salut de soi-même sont explorés, l’homme seul, en proie à ses obsessions, rongé par le sentiment d’une culpabilité obscure[19].
La même atmosphère étouffante pénètre aussi les pages finales du récit Înceţoşatul Orfeu (Orphée le brumeux) où l’Ade trouve son correspondant dans le « bordel » (« la maison peinte de bleu »), lieu où le protagoniste n’arrivera pas à sauver son Eurydice et où il semble être spirituellement piégé :
Parfois je suis avec moi, délivré d’un monde dont à l’improviste je suis devenu prisonnier, je reste les yeux ouverts, les prunelles dilatées et tourmentées par les vérités qui se dévoilent à ceux qui sont capables de transformer les souffrances en cristaux de glace. Mais trop souvent je me réveille accablé de nouveau par les nuits fétides qui m’ont conquis – et toutes les horreurs s’élèvent devant moi, colonnes tyranniques de la perdition, entre lesquelles je passe à l’aveuglette vers mon horizon écroulé. Alors je reviens à ma vie de la maison peinte en bleu. Je suis peut-être toujours là. Je ne l’ai jamais peut-être abandonnée[20].
Nous voudrions interpréter la référence de l’écrivain au personnage d’Icare selon une perspective différente : un renvoi qui semble bien loin des valeurs superficielles et moralisantes qui ont étés très souvent attribuées à l’histoire racontée dans ce mythe. Dans le passage en question, tiré du récit Cel-mai-mare (Le-plus-grand), on peut lire : « Nous avions appris seulement que nous aurions dû le rencontrer une nuit sur la rive, à côté des vagues monotones, qui lavaient le sable, sur lequel se dessinaient sans cesse leurs ailes d’Icares tombés et enterrés dans le jaune de la plage »[21]. Jean Libis observe qu’on n’a pas suffisamment remarqué que « le personnage d’Icare parcourt une trajectoire typiquement cosmologique »[22] et ajoute avec perspicacité :
Il s’évade de la complexité tellurique, symbolisée par le labyrinthe, épouse dans un second temps la plénitude de l’espace aérien, puis tente de s’approcher du feu suprême. Son immersion funeste dans le sein de la mer constitue donc le quatrième moment d’une pérégrination successivement dédiée aux quatre Eléments. En d’autres termes, l’investigation imaginaire du monde prend fin dans l’engloutissement thalassal[23].
Dans cette perspective, le passage de Baconsky gagne une énergie nouvelle : ses Icares deviennent le reflet du caractère cyclique et universel, soutenu par l’aspect presque messianique du récit. En analysant le texte avec attention, nous pouvons en effet repérer le schéma cyclique dans le mouvement répétitif et monotone des vagues (l’élément aquatique) qui, sans cesse, tracent des ailes (l’air) sur la plage (la terre). Le quatrième élément, c’est-à-dire le feu, est représenté par la couleur jaune, que l’on peut directement associer au soleil. La présence d’une plage jaune à l’intérieur d’une scène qui se situe dans l’obscurité ne fait qu’encourager la nécessité d’une approche analytique capable de porter l’attention de l’image de la réalité à la réalité de l’image : « L’imagination n’est pas, comme le suggère l’étymologie, la faculté de former des images de la réalité ; elle est la faculté de former des images qui dépassent la réalité, qui chantent la réalité »[24]. La richesse des images condensées dans une page de Baconsky et le soin avec lequel chaque phrase a été ciselée réclament une lecture profonde, vu qu’il s’agit d’un véritable poème des éléments.
Finitude et souvenir d’un autre soi
S’il y a un récit qui met en lumière l’impossibilité de saisir le sens de la vie, c’est sans doute Aureola neagră (L’auréole noire) où à la fin le protagoniste constate, non sans stupeur et désillusion, la disparition de l’autel de Zalmoxis, retrouvé sous le sable apporté sur le rivage par la Mer Noire. En nous arrêtant sur le récit qu’on vient de citer et en analysant attentivement le passage où est décrite la découverte d’un mur (l’auteur nous laisse entendre qu’il s’agit d’un fragment d’autel), nous découvrirons quelques éléments qui ne peuvent être négligés et qui, au contraire, sont fondamentaux pour notre parcours herméneutique : « On entendit un sifflement comme d’un serpent, mais nous ne pûmes comprendre d’où il venait – et sur les pierres découvertes un tourbillon de cendre légère parut, qui s’éleva et disparut dans l’atmosphère »[25]. Déjà au premier abord nous reconnaissons deux symboles qui vont vers la même direction thématique évoquée par la figure de Zalmoxis, associé selon la tradition au salut et à l’immortalité de l’âme : en effet le serpent[26] et le tourbillon[27] de cendre, grâce à la conformation en spirale qui en marque les formes sur le plan de l’imagination, renvoient inévitablement à ce que Gilbert Durand définit comme « la permanence de l’être à travers les fluctuations du changement »[28]. Ces deux « images » s’inscrivent aussi dans la constellation symbolique centrée sur le vent, une présence constante dans les dix récits composant le volume. Le vent, porteur d’un message mystérieux, amorce un double changement : le premier est celui du milieu où l’action se déroule qui, tout à coup, prend des couleurs et des sonorités nouvelles ; le second – dont le premier est selon nous un reflet et non pas une cause – se déroule à l’intérieur du personnage principal. Le vent est, dans sa nature, une manifestation du mystère et cette caractéristique a des précédents dans plusieurs traditions culturelles : il suffit de penser à la tradition biblique selon laquelle le vent est associé à l’esprit de Dieu ou au Vâyu indien. Dans les récits de Baconsky, le mystère, dont le vent se fait l’épiphanie, est le mystère de l’existence individuelle projetée dans le cosmos, en rapport avec le caractère cyclique de l’univers, un processus auquel l’homme participe en cherchant d’en comprendre les lois[29] :
L’auberge paraissait déserte, elle paraissait plus grande, plus élancée, comme un chasse-esprits planté au carrefour de certains temps renversés qui n’auraient succombé à aucun crépuscule. Elle semblait le squelette d’une autre auberge, plus ancienne, déterrée par la phalange éolienne et construite pour accueillir des pèlerins fous et des fugitifs[30].
Ce passage d’Aureola neagră stimule encore notre analyse, en nous poussant à concentrer notre attention sur l’image de la « phalange éolienne » en tant qu’évocatrice de la chasse infernale, un thème que Bachelard définit comme « le conte naturel du vent hurlant, du vent aux mille voix, aux voix plaintives et aux voix agressives »[31]. La réponse immédiate à cette réflexion nous est donnée après quelques lignes, à la fin du cinquième chapitre du récit : « Je vis courir dans le champ, à travers l’obscurité, des torches allumées et j’entendis le piaffement d’un galop lointain »[32]. En continuant le parcours proposé par Bachelard, nous n’hésiterons pas à assimiler la chasse infernale à l’image mythologique des Érynnies, les poursuivantes d’Oreste[33], en attribuant ainsi à l’élément la capacité de manifester des sentiments plus profonds, comme le regret, la vengeance et, surtout, le souvenir d’un temps perdu. À ce propos, le philosophe cite un passage de Gabriele D’Annunzio tiré de Contemplazione della morte: « Et le vent était comme le regret de ce qui n’est plus, était comme l’anxiété des créatures non formées encore, chargé de souvenirs, gonflé de présages, fait d’âmes déchirées et d’ailes inutiles »[34]. On distingue ici une certaine affinité avec l’imaginaire éolien de Baconsky : « Tous les sons qui naissaient [du vent] pendant le jour et la nuit m’étaient proches et chers, parce que le murmure, le bruissement, le souffle, le soupir perdu m’amenaient des échos d’un monde invisible et fabuleux, vers lequel mes années, comme un triangle de dix-huit grues sans destination, volaient »[35]. Les dix-huit ans – moment caractérisé par une forte valeur initiatique, en tant que passage de l’adolescence à l’âge mûr – sont ici associés à un triangle de grues qui émigrent pour faire retour à un monde inconnu dont l’écho retentit dans le vent.
Entre la mer et le marais : sur le quai de l’existence
Si, d’un côté, le riche et suggestif imaginaire éolien domine l’atmosphère des récits de A. E. Baconsky, qui réussit ainsi à imprimer une tonalité de mystère et d’angoisse à son texte, de l’autre, l’élément aquatique, loin d’être insignifiant, constitue au contraire une véritable matrice fabulatrice de l’œuvre. Analysant le rôle de l’élément aquatique dans le texte littéraire, Jean Libis reconnaît : « Chez certains écrivains, l’eau est un véritable cosmos d’écriture. Il semble alors qu’elle devienne un objet romanesque à part entière, et accompagne le destin d’une œuvre »[36]. Echinoxul nebunilor est une œuvre totalement empreinte d’eau : les vagues retentissent tout au long de ses pages et un destin de mort et renaissance est inscrit dans leur mouvement. Ainsi, à la fin du volume, s’annonce un cycle nouveau : le printemps arrive et, avec lui, arrivent aussi des hommes transportés par la mer, pour construire de nouveau la ville. Le récit trouve sa mort juste au moment où une nouvelle vie s’ouvre à l’intrigue. Nous observons le même processus dans Artiştii din insulă (Les artistes de l’île) où des branches et des surgeons naissent sur les corps des femmes gravés dans les troncs d’arbres : le printemps, en négligeant la forme, donnera une vie nouvelle à ceux qui n’étaient plus que des monuments funèbres (« Je tressaillis à la vue des statues réveillées pour une vie qui était leur mort »[37]). Nous pensons qu’à la source de cette attention insistante sur le thème de la renaissance il y a une exigence ontologique de l’homme. En effet, comme l’a écrit Jung : « Jamais la Vie n’a pu croire à la Mort ! »[38]. C’est peut-être pour cette raison que le protagoniste du récit Farul pénètre dans le marais avec obstination, bien que ce lieu soit de plus en plus présage de mort[39]. Du point de vue de l’imaginaire, le marais représente le fidèle contrepoint de la mer : si l’élément aquatique avec sa dimension thalassale et infinie met l’être humain en contact avec une réalité cosmique qui répond aux lois des grands cycles universels, le marais, grâce à la contamination avec l’immanent (avec l’élément tellurique), se charge de connotations négatives et permet à l’homme de découvrir l’inexorabilité de la mort, en le soumettant à la loi du devenir. « La mer […] conduit l’imagination aux limites de son extensibilité »[40] tandis que le marais captieux évoque l’anéantissement définitif : l’imagination est projetée vers le bas, vers la profondeur insondable de l’enfer et l’être humain ressent la même frustration qui est produite par le rêve où la pesanteur interdit le mouvement. Les rêveries qui concernent le marais ne peuvent que rappeler à l’homme sa condition d’impuissance, sa finitude : « Dans tous les cas, l’indétermination et la viscosité désignent la condition infernale, à savoir la nostalgie de la forme fixe »[41]. On comprend alors la profondeur de la réflexion suivante : « Je me sentais prophète et mage aux yeux étoilés, sans douleur, sans désirs, sans âge, comme ce phare se sera peut-être senti, exilé sur une côte perdue entre une époque qui devait être passée déjà depuis longtemps et une autre qui n’arrivera jamais »[42].
Deux époques, toutes les deux insaisissables comme, d’un côté, la mer vers laquelle l’imagination est toujours ouverte et comme, de l’autre, le marais qui active des rêveries centripètes en projetant l’être humain vers un temps tellement proche qu’il devient insondable. Comme un phare, l’homme ne réussit à éclairer que la surface d’une petite partie de l’infini vers lequel il est projeté, mais est en même temps incapable d’éclairer la partie la plus profonde de lui-même. Comme l’affirme Bachelard, « La connaissance de l’essentiel a pour contrepartie la mort »[43]. En effet, dans les récits de Baconsky, le protagoniste peut seulement apercevoir l’essentiel, mais il ne peut pas en avoir une confirmation[44]. L’itinéraire de l’homme baconskyen ne finit pas par une défaite, mais par un appel cruel à constater sa finitude irrémédiable, dont le refus condamnerait l’être à un tourment implacable : « Ton âme est le serpent qui t’étrangle […]. Il ne te laisse jamais tourner le regard. Tu cherches toujours le chemin au-delà des choses, tu veux toujours en voir l’autre face, celle vers laquelle seuls les yeux aux paupières fermées à jamais regardent »[45].
Jean Libis, dans le chapitre dédié à la létalité de l’eau, développe le concept d’ »abolition du principe d’individuation »[46] :
Le processus d’individuation est d’emblée, dans sa phase active, un processus d’intégration, et donc de soumission ontologique : […] en s’individualisant la matière s’inscrit autant que possible dans l’ordre universel de la forme. Tant et si bien que la croissance de l’individu, aussi bien que sa décroissance, sont frappées chacune à leur manière du sceau de la « dilution »[47].
Après les réflexions de Mircea Eliade sur le mythe de l’éternel retour, le critique trace un parcours que nous suivrons pour l’analyse des valeurs qu’acquiert, dans la prose de Baconsky, l’élément aquatique par rapport à la mort :
La mort est d’abord la sanction d’une émancipation ontologique, la nécessité d’un retour à l’ordre ; ensuite elle est l’abolition de la contingence, et ce qui sauve la pensée dans ses prétentions à l’universalité. En d’autres termes il faut que l’individu soit sacrifié à la substance ; ou, plus exactement, qu’il s’y résorbe[48].
C’est seulement dans cette optique que nous réussirons à saisir l’importance réelle des mots que le protagoniste du récit Farul utilise pour justifier l’union profonde de son être avec l’élément thalassal : « Je suis fait pour la mer. Une folie ou une maladie étrange m’avait amené sur ses rivages, dans la solitude où chaque chose semblait se dissiper dans son non-être »[49]. Selon une expression célèbre de Gaston Bachelard, nous pouvons définir le protagoniste des récits comme un être « voué » à l’eau, « un être en vertige »[50], prêt à s’abandonner à l’élément qui, plus que les autres, « exerce sur les formes individualisées une sorte d’attraction mortifère »[51] et qui, grâce à ses propriétés purifiantes et régénératrices, annonce une renaissance et associe le destin de l’homme au destin des cycles cosmiques qui trouvent en lui la garantie de renouvellement[52]. Dans le récit Echinoxul nebunilor, le personnage principal se rend compte de sa participation à ce caractère cyclique universel, comme dans le passage suivant, où se révèle une allusion directe à la métempsychose :
J’avais toujours l’impression d’être ressuscité d’une mort qui autrefois, il y a des siècles, avait été chantée par des bardes vagabonds et d’avoir en moi-même l’âme immense et désolée de certaines races passées l’une dans l’autre, métamorphosées dans la succession des années et dans le rythme capricieux de certains cycles terminés toujours en avance. Mon identité se perdait en se dissipant en milliers, en centaines de milliers d’hommes[53].
Du mythe au complexe : Caron
À cette dispersion de l’identité (« Il me semblait être condamné à souffrir, en les vivant, toutes les souillures de certaines biographies étrangères, de certaines existences exilées des temps, afin qu’elles se purifient à travers le filtre de ma vie même »[54]), répond, au niveau cosmique, la dilution de la nuit (« En dehors, l’obscurité continuait à se diluer »[55]) qui doit être considérée comme la régression vers un temps dont on ne se souvient pas (« Troublée, la mémoire restait prisonnière d’un ossuaire immense »[56]). Il semble qu’il s’agisse ici du retour in illo tempore, c’est-à-dire l’époque mythique où les « espèces […] n’étaient pas encore fixées et les formes étaient fluides »[57], un processus symboliquement provoqué par le cycle lunaire. Dans son Traité d’histoire des religions, Mircea Eliade évoque les hiérophanies lunaires, considérées comme des « révélations […] d’une sacralité fondamentale sous-jacente au Cosmos »[58] et qui permettent, pour cette raison, de marquer le temps du rite. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter aussi le choix de l’équinoxe, en tant que moment favorable pour célébrer le rituel d’une vengeance dont le protagoniste – dans le sixième récit – sera, en même temps, victime et bourreau[59]. Cet événement fait toujours partie du schéma cyclique des morts et des renaissances qui représente le fondement de chaque rite[60]. À propos des cérémonies d’initiation, Eliade reconnaît :
Si le symbolisme aquatique et lunaire a joué un rôle si important dans la vie spirituelle de l’homme archaïque, c’est justement parce qu’il rendait évidents et transparents l’abolition et le rétablissement ininterrompus des « formes », la disparition et la réapparition cyclique, l’éternel retour (en fait l’éternel retour aux origines). Sur tous les plans – depuis la cosmologie jusqu’à la sotériologie –, l’idée de régénération est liée à la conception d’un temps nouveau, c’est-à-dire à la croyance en un commencement absolu auquel l’homme peut parfois accéder[61].
C’est le contact avec la matière qui assure cet accès : dans notre cas, le retour à “l’eau matricielle et principielle, d’où sourd la totalité des êtres, et vers quoi elle retourne”[62]. Si la mort est “l’absolument réel, l’ananké à l’état pur”[63], ajoutons qu’“au bout de chaque travail de l’imaginaire, l’enjeu est encore et toujours la mort, le lien inséparable et insupportable avec ce point de non-retour, qu’on doit modérer, soutenir, vaincre, ou dissiper”[64]. À cette nécessité typiquement humaine se relie l’image de la barque des morts[65], où est mise en évidence la dimension thanatologique[66] de l’eau et, en même temps, sa puissance régénératrice[67]. L’image, présente très souvent en littérature, est l’expression de ce que Gaston Bachelard a appelé le “Complexe de Caron” :
L’imagination profonde, l’imagination matérielle veut que l’eau ait sa part dans la mort ; elle a besoin de l’eau pour garder à la mort son sens de voyage. On comprend dès lors que, pour de telles songeries infinies, toutes les âmes, quel que soit le genre de funérailles, doivent monter dans la barque de Caron[68].
Retrouver une trace plus ou moins explicite de ce complexe ne sera pas difficile pour le lecteur des récits de Baconsky. Nous nous arrêterons seulement sur deux cas où l’évocation de la barque des morts est la plus manifeste. Dans le premier passage, la scène est décrite dans les détails et revêt le caractère d’une véritable cérémonie rituelle:
Nous l’embarquâmes en l’étendant sur le fond plein d’eau de la barque et après avoir pris les rames nous nous éloignâmes rapidement vers le Sud, où l’eau était plus profonde […]. Comme dans un rêve j’entendis la voix du gardien qui me disait de laisser les rames. Lorsque je me retournai vers lui, je le vis debout au bout de la barque, occupé à entailler une branche de peuplier à l’aide d’un petit couteau […]. En quelques instants, une petite croix en bois, liée avec une ficelle, pendait au cou du mort. Puis nous le jetâmes dans la mer et, alors que nous retournions, le soleil émergeait obliquement, couronnant nos têtes comme si nous étions les samaritains du crime[69].
Relevons le caractère éminemment religieux de certains éléments, tels que la croix et la référence à la parabole du Bon Samaritain (Évangile de Luc: 10, 25-37), celle que Jésus utilise pour expliquer comment on peut conquérir la vie éternelle[70]. Baconsky, en se référant au cadavre, avait mis en évidence un aspect important : “Il semblait être un homme robuste, entre deux âges, brûlé par le soleil et tanné par l’eau de la mer, qui allait l’accueillir en lui donnant pour toujours les transparences du néant”[71], en accord avec la pensée de Bachelard, qui considère la mort dans l’eau comme une transformation de l’élément même en un néant substantiel[72].
Le second passage met en évidence une autre valeur spécifique de la mort en mer, pour en dévoiler l’aspect maternel[73] : “Les pêcheurs se signèrent tournés vers l’Orient et en le soulevant le placèrent dans une barque, pour le ramener vers le sommeil migrateur dont ils l’avaient réveillé”[74]. Pour comprendre le sens réel de ces mots, nous devons penser au sommeil comme mort euphémisée et saisir l’analogie symbolique entre l’image de la barque et celle du berceau qui, à son tour, est isomorphe au ventre maternel[75]. Il s’agit d’une correspondance confirmée ultérieurement par le sens de repos, de protection et de régénération que ces images suggèrent et dont l’auteur est pleinement conscient lorsqu’il écrit : “La mer savait me récompenser de tout”[76] ; “Avec un bain de mer je serais guéri complètement”[77] ; “La mer m’accueillit tendrement comme toujours”[78].
Jonas et la réintégration dans le temps cosmique
Il faut réussir à pénétrer l’image lorsqu’on parle de maternité de l’eau, en en explorant la profondeur, pour en saisir le sens limite, c’est-à-dire le retour à l’origine : on apercevra alors ce que Bachelard, dans La Terre et les rêveries du repos, décrit comme le Complexe de Jonas[79], un processus lié aux rêveries intimes et déterminé par les images d’avalement[80]. C’est un avalement auquel la nuit participe aussi et qui, avec son obscurité, rend possible la dissolution des formes : “Nous les regardâmes en silence, un à côté de l’autre comme deux obélisques pétrifiés sur le rivage, jusqu’à ce que la nuit et l’horizon les engloutirent”[81] ; “Ils se dirigèrent vers la mer, sautèrent dans la barque, et la nuit engloutit tout de suite leurs silhouettes ainsi que l’embarcation qui les avait amenés”[82]. Comme dans l’histoire biblique où le prophète revoit le jour, le Complexe de Jonas bachelardien envisage toujours une renaissance :
La sortie du ventre est automatiquement une rentrée dans la vie consciente et même dans une vie qui veut une nouvelle conscience. On mettra facilement cette image de la sortie de Jonas en rapport avec les thèmes de la naissance réelle – avec les thèmes de la naissance de l’initié après l’initiation – avec les thèmes alchimiques de rénovation substantielle[83].
Le schéma cyclique, qui constitue le cœur des récits de Baconsky, se relie alors à ce regressus ad uterum, dont l’image du dauphin[84] est, d’après nous, une expression ayant une valeur symbolique évoquée par l’auteur même : “Des brises intermittentes avaient soufflé la cendre du vieil établissement des pêcheurs où, un matin, comme un symbole, un dauphin mort apparut sur la plage”[85]. Qu’il s’agisse d’une dissolution dans le néant substantiel ou d’un retour à l’archétype maternel, la destination de ce voyage par mer semble ainsi être toujours la réintégration dans l’ordre cosmique[86]. Elle est rendue possible, selon l’auteur, par la communion avec l’élément thalassal, garant de la participation de l’homme à la régénération cosmique, dans une alternance perpétuelle de morts et de renaissances : “Je pensais sans cesse au parcours des mers, le seul, le triple, le fou, aux côtes lointaines où en arrivant on renaît, à chaque fois autre que soi”[87].
Bibliographie
Gaston Bachelard, L’Air et les songes, Paris, Librairie Générale Française, 2001.
Gaston Bachelard, La Poétique de la rêverie, Paris, P.U.F., 2005.
Gaston Bachelard, La Terre et les rêveries du repos, Paris, Corti, 2004.
Gaston Bachelard, L’Eau et les rêves, Paris, Librairie Générale Française, 2001.
A. E. Baconsky, Opere, II. Proză. Versuri, București, Academia Română, Fundaţia Naţională pentru ştiinţă şi Artă, 2009.
Crina Bud, “Literatură şi ziduri”, in A. E. Baconsky, Biserica neagră, Echinoxul nebunilor şi alte povestiri, préf. Crina Bud, Bucureşti, Curtea Veche Publishing, 2011, p. 15–26.
Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont / Jupiter, 2008.
Laurenţiu Ciobanu, “A. E. Baconsky : «Echinoxul nebunilor»”, Cronica, 1967, a. II, n. 42 (89), p. 8.
Nicolae Creţu, “A. E. Baconsky : «Echinoxul nebunilor»”, Iaşul literar, 1968, XIX, n. 2, p. 54-57.
Gilbert Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, DUNOD, 1992.
Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, Paris, Éditions Payot et Rivages, 2011.
Gheorghe Glodeanu, “Poetica fantasticului”, in Dimensiuni ale romanului contemporan, Baia Mare, Editura Gutinul, 1998, p. 98–102.
Jean Libis, L’Eau et la mort, Dijon, Centre Régional de Documentation Pédagogique de Bourgogne, 1996, p. 182.
Paolo Mottana, “Introduzione all’edizione italiana”, in J. Libis, L’acqua e la morte, Bergamo, Moretti & Vitali, 2004.
Notes
[1] G. Bachelard, La Poétique de la rêverie, Paris, P.U.F., 2005, p. 146.
[2] Gaston Bachelard précise : “L’être du rêveur envahit ce qui le touche, diffuse dans le monde. Grâce aux ombres, la région intermédiaire qui sépare l’homme et le monde est une région pleine, et d’une plénitude à la densité légère. Cette région intermédiaire amortit la dialectique de l’être et du non-être”, Ibidem, p. 144.
[3] Ibidem, p. 144.
[4] A. E. Baconsky, Opere, II. Proză. Versuri, Bucureşti, Academia Română, Fundaţia Naţională pentru Ştiinţă şi Artă, 2009.
[5] À ce propos, il nous semble pertinent de citer ce que Crina Bud a observé, en expliquant que “Le moment de découverte de certains motifs synergiques […] est suivi d’un sens d’illumination. Il s’agit de ce que A. E. Baconsky a nommé – en ne se référant pas à lui-même, mais à Ion Ţuculescu – une illumination contemplative, « une recherche fiévreuse des matrices originaires, […] un sens de l’âge de ceux qui n’ont pas d’âge, frénésie du contemplatif mélancolique, ascète ravagé par la somptuosité ». Le personnage-narrateur est accoutumé à toutes ces combinaisons paradoxales et il se présente très souvent comme une victime de certaines révélations, parce que les conditions de l’illumination se produisent malgré son apathie”, C. Bud, “Literatură şi ziduri”, in A. E. Baconsky, Biserica neagră, Echinoxul nebunilor şi alte povestiri, préf. C. Bud, Bucureşti, Curtea Veche Publishing, 2011, p. 21.
[6] Cette expression doit être entendue selon le sens eliadien (cf. M. Eliade, Traité d’histoire des religions, Paris, Éditions Payot et Rivages, 2011, p. 384-404).
[7] “Eu însumi îl uitasem de mult, de când, sub zodia impusă de răspântia marilor cicluri ce se încrucişau în biografia mea, mă lepădasem de tot ce putea să-mi aducă aminte de mine”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 87.
[8] “Odată am dispărut de acasă, luându-mă după un cerşetor orb care umbla prin lume în tovărăşia câinelui său – şi nu m-am mai uitat înapoi”, Ibidem, p. 13.
[9] Dans l’introduction à l’édition de 2011, Crina Bud souligne : “La migration des images d’un texte à l’autre donne l’impression de certaines cartes juxtaposées, qui révéleraient un même but spirituel. Le lecteur qui s’obstine à en saisir la signification risque de s’irriter et de se sentir, en quelque sorte, découragé devant le labyrinthe de sens, encore plus lorsque, de temps en temps, il croit en avoir découvert le code. Les récits ressemblent aux fragments d’une mosaïque immense dont les pièces ne peuvent pas être utilisées dans leur ensemble, mais, puisant çà et là, la composition des fragments crée une représentation cohérente, qui suggère la totalité” (C. Bud, Op. cit., p. 20). Les éditeurs de l’édition de l’Académie Roumaine, Pavel Ţugui et Oana Safta ont, avec Teodor Baconsky, relevé l’existence de deux manuscrits concernant l’œuvre en question, dont les datations révèlent une contiguïté temporelle étonnante, comme si l’auteur y avait travaillé parallèlement : “Il semble que l’auteur a commencé à travailler à ce cycle de récits pendant la première partie de l’année 1965. Il existe parmi ses manuscrits un cahier à la couverture jaune […]. En 1986, avec Teodor Baconsky, le fils de l’écrivain, nous avons établi que ce manuscrit est la première variante du volume des récits […]. Ce Cahier-manuscrit est daté : « 17. VII. 1966 ». On dirait que Baconsky a travaillé à ses proses sur des pages « en parallèle », parce qu’il existe un second manuscrit […] qui a comme date : « 18. VII. 966 ». Ce manuscrit représente la forme définitive du livre Echinoxul nebunilor şi alte povestiri” (A. E. Baconsky, Op. cit., p. 771).
[10] N. Creţu, “A. E. Baconsky : « Echinoxul nebunilor »”, Iaşul literar, 1968, a. XIX, n. 2, p. 54.
[11] “Vedeam în ochiul lui de Polyphem pietrificat o lume de vid şi de moarte iradiată”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 38.
[12] “Și nici o sirenă nu se va mai găsi să pună capăt sumbrului joc şi să vestească moartea prin cântec, singura la care mă simţeam condamnat”, Ibidem, p. 73.
[13] J. Libis, L’Eau et la mort, Dijon, Centre Régional de Documentation Pédagogique de Bourgogne, 1996, p. 182.
[14] “Hălăduiam într-o lume fantastică, populată de fiinţe înalte şi generoase, măşti ale unor idealuri din ce în ce mai înceţoşate”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 53.
[15] “Cet inachèvement radical, qui implique une déficience ontologique et qui constitue la signe même de la mortalité, est au cœur de la méditation de Maurice Blanchot […]. Écrire un roman, c’est avouer implicitement que le monde est incompréhensible, que l’homme est seulement voué à son destin temporel, sexuel et mortifère”, J. Libis, Op. cit., p. 34.
[16] G. Glodeanu, “Poetica fantasticului”, in Dimensiuni ale romanului contemporan, Baia Mare, Editura Gutinul, 1998, p. 100.
[17] L. Ciobanu, “A.E. Baconsky : « Echinoxul nebunilor »”, Cronica, 1967, II, n. 42 (89), p. 8.
[18] “Va fi o tragedie despre fiul tânăr al unui rege, care şi-a ucis mama, despre o răzbunare moştenită din neam în neam între fraţi, o răzbunare neîmplinită, ce străbate prin timp ca o flacără otrăvită şi sacră, alimentată de vestale necunoscute”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 86.
[19] N. Creţu, Op. cit., p. 54.
[20] “Uneori sunt cu mine, eliberat de lumea căreia pe negândite i-am devenit prizonier, sunt cu ochii deschişi, cu pupilele lărgite şi mistuite de adevărurile ce se dezvăluie celor capabili să treacă suferinţele în cristale de gheaţă. Dar prea adesea mă trezesc iaraşi copleşit de nopţile fetide ce m-au cucerit – şi toate ororile se ridică în faţă, tiranice columne ale pierzaniei, printre care trec în neştire spre orizontul meu prăbuşit. Atunci îmi reiau existenţa din casa zugrăvită în albastru. Poate că sunt acolo mereu. Poate că n-am părăsit-o niciodată”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 81.
[21] “Aflasem doar că ne va fi dat să-l întâmpinăm într-o noapte pe ţărm, lângă valurile monotone, ce spălau nisipul, desenându-şi întruna aripile de Icari prăbuşiţi, îngropaţi în galbenul plajei”, Ibidem, p. 56.
[22] J. Libis, Op. cit., p. 32.
[23] Ibidem.
[24] G. Bachelard, L’Eau et les rêves, Paris, Librairie Générale Française, 2001, p. 25.
[25] “Un fluierat ca de şarpe se auzi, dar nu ne-am putut da seama de unde vine – şi pe lespezile descoperite se iscă un vârtej de cenuşă subţire, înălţându-se şi pierind în văzduh”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 67.
[26] Voir : J. Chevalier et A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont / Jupiter, 2008, p. 867-879.
[27] Au début du chapitre « Le Vent », contenu dans L’Air et les songes, Gaston Bachelard affirme : “Le vent, dans son excès, est la colère qui est partout et nulle part, qui naît et renaît d’elle-même, qui tourne et se renverse. Le vent menace et hurle, mais ne prend une forme que s’il rencontre de la poussière […]. Et le premier être créé par cette colère créante, c’est un tourbillon. L’objet premier de l’homo faber dynamisé par la colère, c’est le vortex”, G. Bachelard, L’Air et les songes, Librairie Générale Française, 2001, p. 292.
[28] G. Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, DUNOD, 1992, p. 361.
[29] Nous percevons l’intensité de cette recherche dans les pages de Cel-mai-mare (Le-plus-grand), un récit où à l’attente du Messie est associée une sensation profonde d’impuissance humaine : “Toate încercările de răspuns erau neputincioase conjecturi, păreri efemere şi goale, ce nu făceau decât să sporească nedumeririle tuturora” (“Chaque tentative de trouver une réponse était une conjecture vaine, un avis éphémère et vide, qui servait seulement à accroître la perplexité de tous”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 56).
[30] “Hanul părea pustiu, părea mai mare, mai deşirat, ca o sperietoare de duhuri împlântată la răspântia unor timpuri întoarse, pe care nici un amurg nu le mai putea îndupleca. Părea scheletul unui alt han, de demult, dezgropat de falanga eoliană şi ridicat să întâmpine pelerini nebuni şi fugarii”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 70.
[31] G. Bachelard, L’Air et les songes, Op. cit., p. 299.
[32] “Prin intuneric văzui peste câmp alergând torţe aprinse şi auzii ropotul unui galop îndepărtat” A. E. Baconsky, Op. cit., p. 70.
[33] Citant Schwartz, Bachelard affirme : “Aux images de chasse infernale, Schwartz associe l’image des « chasseresses à la chevelure de serpents ». L’analyse « imaginaire » de la notion d’Érynnies peut partir de ce rapprochement. […] Comme la chasse infernale, l’Érynnie totalise le poursuivant et le poursuivi”, G. Bachelard, L’Air et les songes, Op. cit., p. 301.
[34] Trad. : “E il vento era come il rammarico di ciò che non è più, era come l’ansia delle geniture non formate ancora, carico di ricordi, gonfio di presagi, fatto d’anime lacere e d’ali vane”, G. D’Annunzio apud G. Bachelard, L’Air et les songes, Op. cit., p. 298.
[35] “Toate sunetele ce se năşteau [din vânt] ziua şi noaptea îmi erau apropiate şi dragi, pentru că murmurul, foşnetul, răsuflarea, oftatul pierdut îmi aduceau ecouri dintr-o lume nevăzută şi fabuloasă, către care zburau anii mei ca un triunghi de optsprezece cocori fără ţintă”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 34.
[36] J. Libis, Op. cit., p. 190.
[37] “Am tresărit la vederea statuilor trezite la o viaţă care era moartea lor”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 108.
[38] C. G. Jung apud G. Bachelard, L’Eau et les rêves, Op. cit., p. 87.
[39] À ce propos, il nous semble que le passage où le protagoniste trébuche sur le corps d’un cheval mourant dans le marais peut servir d’exemple. Dans les yeux de l’animal (qui est psychopompe) on découvre un présage de mort très clair : “Înecat într-o baltă de sânge, agoniza sfâşiat de dureri, ce-l făceau să zvâcnească şi să-şi întunece şi mai mult ochii plini de luciri ciudate ; în oglinzile lor negre fulgeră o clipă imaginea capului meu hirsut, purtând drept aureolă ştreangul pretimpuriu legănat veşnic deasupra lui” (“Noyé dans une mare de sang, il agonisait tourmenté par la douleur, qui le faisait tressaillir et qui assombrissait de plus en plus ses yeux remplis de scintillements étranges ; dans leurs glaces noires, l’image de ma tête hirsute resplendit, sur laquelle, comme une auréole, la corde prématurée oscillait perpétuellement”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 24.
[40] J. Libis, Op. cit., p. 51.
[41] Ibidem, p. 90.
[42] “Mă simţeam profet şi mag cu ochi înstelaţi, fără dureri, fără dorinţe, fără vârstă, aşa cum se va fi simţit şi farul acela, exilat pe o coastă pierdută între o vreme care ar fi trebuit să treacă de mult şi alta ce nu va veni niciodată”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 35.
[43] J. Libis, Op. cit., p. 69. L’italique est un choix de l’auteur.
[44] Nous citons, à titre d’exemple, non seulement le passage tiré d’Aureola neagră, mais aussi le récit Farul (Le phare), où l’identité de la femme du marais, avec laquelle le protagoniste a passé la nuit, reste inconnue. De plus, dans le même récit, après la découverte de l’identité réelle de son oncle, le jeune homme n’aura plus la possibilité de prendre contact avec lui.
[45] “Sufletul tău e şarpele ce te sugrumă […]. Nu te lasă niciodată să-ţi întorci privirea. Cauţi mereu drumul de dincolo de lucruri, vrei mereu să vezi faţa lor cealaltă, aceea spre care privesc numai ochii cu pleoapele pe totdeauna închise”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 102. L’italique est un choix de l’auteur.
[46] J. Libis, Op. cit., p. 35-45.
[47] Ibidem, p. 36-37.
[48] Ibidem, p. 36.
[49] “Pentru mine era marea. O nebunie sau o boală ciudată mă adusese pe ţărmul ei, în acea solitudine unde toate păreau că se mistuie în propria lor nefiinţă”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 12.
[50] G. Bachelard, L’Eau et les rêves, Op. cit., p. 13.
[51] J. Libis, Op. cit., p. 38.
[52] Dans le paragraphe Symbolisme de l’immersion, Mircea Eliade observe : “Dans l’eau, tout se « dissout », toute « forme » est désintégrée, toute « histoire » est abolie ; rien de ce qui a existé auparavant ne subsiste après une immersion dans l’eau, aucun profil, aucun « signe », aucun « événement ». L’immersion équivaut, sur le plan humain, à la mort, et sur le plan cosmique, à la catastrophe (le déluge) qui dissout périodiquement le monde dans l’océan primordial. Désintégrant toute forme et abolissant toute histoire, les eaux possèdent cette vertu de purification, de régénération, et de renaissance ; parce que ce qui est immergé en elle « meurt », et, se relevant des eaux, est pareil à un enfant sans péchés et sans « histoire », capable de recevoir une nouvelle révélation et de commencer une nouvelle vie « propre »”, M. Eliade, Op. cit., p. 203-204.
[53] “Mi se părea mereu că am înviat dintr-o moarte pe care demult, cu secole în urmă, o cântaseră barzi rătăcitori şi că port în mine sufletul mare şi nemângâiat al unor neamuri trecute unul în altul, metamorfozate în succesiunea anilor şi în ritmul capricios al unor cicluri încheiate întotdeauna înainte de timp. Identitatea mi se pierdea risipită în mii, în sute de mii de oameni”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 88.
[54] “Mi se părea că sunt blestemat să suport, trăindu-le, toate ordurile unor biografii străine, ale unor existenţe exilate din timpuri, ca să se purifice trecând prin filtrul propriei mele vieţi”, Ibidem, p. 79-80.
[55] “Bezna de afară se dilua mereu”, Ibidem, p. 55.
[56] “Derutată, memoria rămânea captiva unui imens osuar”, Ibidem, p. 83.
[57] M. Eliade, Op. cit., p. 390.
[58] Ibidem, p. 385.
[59] Cf. A. E. Baconsky, Op. cit., p. 82-90.
[60] Il y a beaucoup d’éléments, disséminés dans les textes, qui pourraient renvoyer à la cérémonie rituelle : par exemple, nous pensons aux autels sacrificiels, aux formules prononcées dans des langues mystérieuses, au choix jamais accidentel des nombres, et ainsi de suite. En outre, nous pourrions associer le livre entier à un rite. À l’apui de cette idée, nous pensons, par exemple, à la fin ouverte du dernier récit, où le recommencement est symbolisé par l’arrivée du printemps et par l’accostage d’un navire avec des hommes à bord venus pour reconstruire la ville.
[61] M. Eliade, Op. cit., p. 400-401.
[62] J. Libis, Op. cit., p. 30.
[63] Ibidem, p. 11.
[64] Trad. : “Al fondo di ogni lavoro dell’immaginario, la posta in gioco è ancora e sempre la morte, il legame inscindibile e intollerabile con questo punto di non ritorno, che si tratta di temperare, sostenere, sconfiggere, o dissolvere”, P. Mottana, “Introduzione all’edizione italiana”, in J. Libis, L’acqua e la morte, Bergamo, Moretti & Vitali, 2004, p. 11.
[65] En ce qui concerne cette image, Jean Libis affirme : “Il se pourrait en effet que la barque des morts trouve un point d’ancrage dans le réel sous la forme d’une pratique rituelle effective. Les observations anthropologiques attestent que, dans certaines cultures, le mort est exposé sur l’eau dans une pirogue, et parfois abandonné au gré des eaux”, J. Libis, Op. cit., p. 77.
[66] “L’eau est bel et bien ce « cosmos de la mort », où s’abîment les tensions imaginatives de l’être humain”, Ibidem, p. 35.
[67] Dans le paragraphe dédié à l’analyse du déluge, Libis remarque : “Si l’eau contient en germe une capacité considérable de destruction, elle ne représente certes pas la mort absolue. Elle demeure un principe ontologique, un lieu d’éclosion qui cuve aussi une surpuissance secrète”, Ibidem, p. 95.
[68] G. Bachelard, L’Eau et les rêves, Op. cit., p. 90-91.
[69] “Îl urcarăm lungindu-l pe fundul plin de apă al bărcii şi luând vâslele ne-am îndreptat repede spre sud, unde apa era mai adâncă […]. Ca prin somn auzii glasul paznicului îndemnându-mă să las vâslele. Când m-am întors spre el, stătea în picioare la capătul bărcii, cioplind cu un cuţit scurt o creangă de plop […]. În câteva clipe, o cruce mică de lemn atârna legată cu sfoară la gâtul mortului. Apoi îl prăvălirăm în apă, şi în timp ce porneam înapoi, se ivea pieziş soarele, încununându-ne creştetul ca unor samariteni ai fărădelegii”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 15–16.
[70] Jean Libis, en analysant un passage tiré de L’enfant de la haute mer de Jules Supervielle, note : “[On donne, n. d. t.] forme poétique à un axiome fondamental de notre imaginaire : celui qui meurt par l’eau acquiert le don de sempiternité, fût-ce au prix d’un changement de substance”, J. Libis, Op. cit., p. 159.
[71] “Părea un bărbat voinic, între două vârste, ars de soare şi tăbăcit de apele mării, care aveau să-l primească în sinea lor, dându-i pe totdeauna transparenţele neantului”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 15.
[72] Cf. G. Bachelard, L’Eau et les rêves, Op. cit., p. 108.
[73] Pour un approfondissement du thème de la maternité de l’eau, voir : G. Bachelard, L’Eau et les rêves, Op. cit., p. 132-152.
[74] “Pescarii se închinară spre răsărit şi ridicându-l îl aşezară într-o barcă, pornind să-l ducă spre somnul migrator din care îl treziseră”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 90.
[75] Cf. G. Durand, Op. cit., p. 237 et sqq.
[76]“Marea ştia să mă răsplătească pentru toate”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 14.
[77] “O baie în mare avea să mă înzdrăvenească pe de-a-ntregul”, Ibidem, p. 20.
[78] “Marea m-a primit tandră ca totdeauna”, Ibidem, p. 29.
[79] Pour un approfondissement de ce thème, voir le chapitre que Bachelard lui dédie dans La Terre et les rêveries du repos (G. Bachelard, La Terre et les rêveries du repos, Paris, Corti, 2004, p. 147-204).
[80] Gilbert Durand précise : “Le Jonas est euphémisation de l’avalage puis antiphrase du contenu symbolique de l’avalage”, G. Durand, Op. cit., p. 233.
[81] “I-am privit în tăcere, alături amândoi ca nişte obeliscuri încremenite pe ţărm, până când orizontul şi întunericul i-au înghiţit”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 45.
[82] “Porniră spre mare, săriră în barcă, şi în curând noaptea înghiţea deopotrivă făpturile lor şi nava ce-i adusese”, Ibidem, p. 77.
[83] G. Bachelard, La Terre et les rêveries du repos, Op. cit., p. 171-172.
[84] “Symbolique liée à celles des eaux et des transfigurations. […] Le dauphin est devenu le symbole de la régénérescence. On en voyait l’image auprès du trépied d’Apollon, à Delphes”, J. Chevalier et A. Gheerbrant, Op. cit., p. 338.
[85] “Brize intermitente măturaseră scrumul fostei aşezări a pescarilor, în dreptul căreia, ca un simbol apăru într-o dimineaţă un delfin mort”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 39.
[86] Cf. J. Libis, Op. cit., p. 77-78.
[87] “Mă gândeam întruna la drumul mărilor, singurul, întreitul, nebunul, la coastele îndepărtate unde ajungând te naşti din nou, de fiecare dată altul şi altul”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 20.
Danilo De Salazar
Université de la Calabre – Rende (CS), (Italie)
danilo.desalazar@gmail.com
Réélaboration du mythe dans la prose initiatique
de A. E. Baconsky, Echinoxul nebunilor şi alte povestiri /
The Re-elaboration of Myth
in A. E. Baconsky’s initiatic prose work,
Echinoxul nebunilor şi alte povestiri (“The Madmen’s Equinox and Other Stories”)
Abstract: According to most critics, it is possible to recognize in A. E. Baconsky’s prose work, Echinoxul nebunilor şi alte povestiri, an initiatic aspect, mirrored in the very structure of the ten short stories comprising the volume. Our hermeneutical excursus aims to show the elements referable to rite – in particular, to man’s reintegration with Mythical Time and to the reconciliation of being with the great cosmic cycles, to which Mircea Eliade paid much attention. The author adopts and re-elaborates these myths, embedding them, more or less explicitly, in the narrative plot. This is the case of the Zalmoxis, Orestes, Icarus and Ulysses myths – finely recalled by Baconsky in his references to sirens and to the Cyclops Polyphemus. Our study of the revival of myth within Baconsky’s short stories is accompanied by an accurate analysis of Baconskyan imagery that, on the basis of the researches led by Gaston Bachelard, Gilbert Durand and Jean Libis, reveals itself particularly fertile as regards the aerial element and, above all, the watery one. In this perspective, we seek to further focus on the passage from myth to complex, discovering its extreme vitality on the level of imaginative dynamism in the figures of Jonah and Charon.
Keywords: A. E. Baconsky; Myth; Rite; Initiatic Prose; Water; Sea; Wind.
En procédant à l’exploration du cogito du rêveur, auquel est dédié un chapitre entier de La Poétique de la rêverie, Gaston Bachelard propose une analyse du je et reconnaît trois catégories selon le niveau de conscience maintenu : “Le « je » du sommeil – s’il existe ; le « je » de la narcose – s’il garde valeur d’individualité ; le « je » de la rêverie, maintenu dans une telle vigilance qu’il peut se donner le bonheur d’écrire”[1]. Selon l’épistémologue français, l’homme, à travers la rêverie, pénètre dans une sorte de région des ombres[2], à mi-chemin entre l’être et le non-être, un espace qui sert de “« médiateur plastique » entre l’homme et l’univers”[3]. La compréhension du rapport entre l’homme et le cosmos, ou plus en général du mystère de la vie, constitue le thème essentiel d’Echinoxul nebunilor şi alte povestiri (L’équinoxe des fous et autres récits)[4] d’A. E. Baconsky, comme le met déjà en évidence la structure narrative du volume entier, qui se fonde sur le sens insaisissable de réponses longtemps poursuivies. Il n’est permis au lecteur que de pressentir quelques signes (le message indéchiffrable transmis par les oiseaux en vol, les fresques énigmatiques retrouvées dans une maison dans les marais, une lettre qui annonce un meurtre…), pour partager ensuite avec le protagoniste un sentiment d’anxiété et de frustration, provoqué par l’impossibilité d’en saisir le signifié profond, par l’incapacité précisément de dévoiler le mystère de son existence[5].
Le schéma narratif magistralement construit autour du protagoniste des dix récits qui composent le volume se déroule dans une atmosphère fuyante et riche en références symboliques, où le lecteur plonge en s’associant au jeu de substitution et de renversement de rôles des personnages et en percevant une sensation d’égarement spatio-temporel, typique du rêve ou plus précisément du cauchemar. De plus, nous considérons que le choix de l’auteur d’abolir ou de dissimuler l’identité des actants (en négligeant les noms ou parfois en employant des moyens spécifiques comme la mise en abyme, l’inversion des rôles ou encore en utilisant une description énigmatique des visages) a comme but principal la dé-subjectivité du personnage, ce dernier étant le protagoniste d’une histoire qui va bien au-delà des pages du livre, une histoire qui précipite dans le temps mythique[6]. Echinoxul nebunilor est l’histoire universelle de l’homme, soumise à la loi des grands cycles, dont le récit se fait rite et célébration : “Depuis longtemps je l’avais oublié moi-même [mon nom, n.d.t.], depuis que, sous le signe imposé par l’intersection des grands cycles qui se croisaient dans ma biographie, je m’étais débarrassé de tout ce qui pouvait me souvenir de moi-même”[7].
Traces homériques dans l’exploration gnoséologique
« Autrefois j’ai abandonné ma maison, en suivant un mendiant aveugle qui parcourait le monde avec son chien – et je n’ai plus regardé en arrière »[8]. Ainsi commence le voyage périlleux du protagoniste de Farul (Le phare), récit qui ouvre Echinoxul nebunilor şi alte povestiri. Le voyage doit être entendu ici comme la métaphore d’une recherche existentielle proprement dite, comme la tentative de dévoiler ce mystère qui, comme un linceul, s’étend de la première jusqu’à la dernière page du volume, enroulant et impliquant le lecteur dans une entreprise cognitive dont on découvre bientôt l’impossibilité. Comme la plupart des critiques l’ont relevé, le personnage principal des dix récits qui composent le livre est toujours le même[9] et nous approuvons ce que Nicolae Creţu a observé : « Le héros des proses de Echinoxul nebunilor (il n’existe sans doute qu’un héros que nous redécouvrons toujours derrière ses masques successifs) est l’Homme, un Ulysse du mythe total, ontique, se débattant avec les défis fondamentaux de la vie »[10]. L’analogie est encore plus appropriée si l’on considère aussi des passages du livre où la référence au poème homérique est explicite. Nous remarquerons l’assimilation, qui n’est certainement pas aléatoire, du phare au cyclope Polyphème (« Je voyais dans son œil de Polyphème pétrifié un monde de vide et de mort propagée »[11]) et surtout l’évocation des sirènes : « Et il n’y aura plus aucune sirène qui mettra fin au jeu sombre et qui annoncera la mort à travers son chant, la seule à laquelle je me sentais condamné »[12]. Jean Libis, dans L’Eau et la mort, consacre un chapitre entier à l’érotisme de l’eau et s’arrête sur le mythe des sirènes, en y apercevant non seulement le réseau symbolique unissant l’eau, la féminité et la mort, mais en en saisissant un aspect encore plus profond :
Pourtant, d’un autre côté, le mythe reste étonnamment vivace et fécond, pour peu qu’on se donne la peine […] de relire attentivement l’épisode homérique. Les sirènes y apparaissent détentrices d’un savoir : non seulement elles connaissent tous les maux endurés par les héros de la guerre de Troie, mais elles savent aussi « tout ce que voit passer la terre nourricière ». Quel est donc le contenu de ce Savoir, si radical, si essentiel, qu’il a besoin du plus beau chant pour prendre forme, et qui est à ce point inaudible par les mortels qu’il les égare et les détruit ? […] Qu’est-ce donc que nous désirons entendre à ce point qu’il y va de notre existence même et qu’il nous faille nous boucher les oreilles avec de la cire pour que soit continué le Périple, qui est aussi le retour au bercail ?[13]
Ce « savoir essentiel », ce que le protagoniste « désire entendre à ce point qu’il y va de son existence », est l’existence même : chaque voyage pour en découvrir le sens le plus profond n’est qu’une Odyssée ; l’Ithaque coïncide irrémédiablement avec l’origine et avec la destination vers laquelle se dirige, dans le texte, l’alter ego de l’écrivain. La conscience intime de la caducité engendre chez les hommes une angoisse qui pénètre toute l’atmosphère où les histoires racontées s’inscrivent. Cette angoisse est liée aussi au sentiment de frustration provoqué par l’impossibilité concrète d’un retour à un état idéal de joie authentique (« Je vivais heureux dans un monde fantastique, peuplé par des créatures grandes et généreuses, masques de certains idéaux de plus en plus brumeux »[14]), concevable seulement comme rupture tragique avec la situation immanente. C’est exactement dans cette condition d’inachèvement que Libis – en se référant aux méditations de Maurice Blanchot – repérera l’élément commun à l’homme et au roman[15].
Perspectives cosmologiques du mythe
« A. E. Baconsky écrit une prose au caractère initiatique, où l’initiation du lecteur-néophyte se déroule parallèlement à celle du narrateur-témoin acteur »[16] : en nous référant aux études de Mircea Eliade sur le mythe, nous nous concentrerons sur l’importance particulière que ce dernier revêt dans les récits contenus dans Echinoxul nebunilor, œuvre où Laurenţiu Ciobanu remarque un passage « naturel de l’existence dans le mythe et du mythe dans l’existence »[17]. Parfois le mythe est évoqué de façon explicite, comme dans le cas d’Orphée et Eurydice, auquel est consacré un récit entier, le cinquième, tandis que, d’autres fois, la référence est implicite : le passage suivant ne se réfère-t-il pas à l’épopée sanglante des Atrides? « Il s’agira d’une tragédie sur le jeune fils d’un roi, qui a tué sa mère, sur une vengeance héritée de génération en génération entre frères, une vengeance inachevée, qui traverse le temps comme une flamme empoisonnée et sacrée, nourrie par des vestales inconnues »[18]. Nous pourrions peut-être même percevoir dans le personnage d’Oreste ce sentiment de culpabilité obscure auquel Nicolae Creţu se réfère lorsqu’il écrit :
Dans un espace intérieur incertain, qui suggère l’aventure onirique, se passent les expériences fondamentales de la vie ; tous les chemins qui semblent mener vers quelque chose d’autre, vers un salut de soi-même sont explorés, l’homme seul, en proie à ses obsessions, rongé par le sentiment d’une culpabilité obscure[19].
La même atmosphère étouffante pénètre aussi les pages finales du récit Înceţoşatul Orfeu (Orphée le brumeux) où l’Ade trouve son correspondant dans le « bordel » (« la maison peinte de bleu »), lieu où le protagoniste n’arrivera pas à sauver son Eurydice et où il semble être spirituellement piégé :
Parfois je suis avec moi, délivré d’un monde dont à l’improviste je suis devenu prisonnier, je reste les yeux ouverts, les prunelles dilatées et tourmentées par les vérités qui se dévoilent à ceux qui sont capables de transformer les souffrances en cristaux de glace. Mais trop souvent je me réveille accablé de nouveau par les nuits fétides qui m’ont conquis – et toutes les horreurs s’élèvent devant moi, colonnes tyranniques de la perdition, entre lesquelles je passe à l’aveuglette vers mon horizon écroulé. Alors je reviens à ma vie de la maison peinte en bleu. Je suis peut-être toujours là. Je ne l’ai jamais peut-être abandonnée[20].
Nous voudrions interpréter la référence de l’écrivain au personnage d’Icare selon une perspective différente : un renvoi qui semble bien loin des valeurs superficielles et moralisantes qui ont étés très souvent attribuées à l’histoire racontée dans ce mythe. Dans le passage en question, tiré du récit Cel-mai-mare (Le-plus-grand), on peut lire : « Nous avions appris seulement que nous aurions dû le rencontrer une nuit sur la rive, à côté des vagues monotones, qui lavaient le sable, sur lequel se dessinaient sans cesse leurs ailes d’Icares tombés et enterrés dans le jaune de la plage »[21]. Jean Libis observe qu’on n’a pas suffisamment remarqué que « le personnage d’Icare parcourt une trajectoire typiquement cosmologique »[22] et ajoute avec perspicacité :
Il s’évade de la complexité tellurique, symbolisée par le labyrinthe, épouse dans un second temps la plénitude de l’espace aérien, puis tente de s’approcher du feu suprême. Son immersion funeste dans le sein de la mer constitue donc le quatrième moment d’une pérégrination successivement dédiée aux quatre Eléments. En d’autres termes, l’investigation imaginaire du monde prend fin dans l’engloutissement thalassal[23].
Dans cette perspective, le passage de Baconsky gagne une énergie nouvelle : ses Icares deviennent le reflet du caractère cyclique et universel, soutenu par l’aspect presque messianique du récit. En analysant le texte avec attention, nous pouvons en effet repérer le schéma cyclique dans le mouvement répétitif et monotone des vagues (l’élément aquatique) qui, sans cesse, tracent des ailes (l’air) sur la plage (la terre). Le quatrième élément, c’est-à-dire le feu, est représenté par la couleur jaune, que l’on peut directement associer au soleil. La présence d’une plage jaune à l’intérieur d’une scène qui se situe dans l’obscurité ne fait qu’encourager la nécessité d’une approche analytique capable de porter l’attention de l’image de la réalité à la réalité de l’image : « L’imagination n’est pas, comme le suggère l’étymologie, la faculté de former des images de la réalité ; elle est la faculté de former des images qui dépassent la réalité, qui chantent la réalité »[24]. La richesse des images condensées dans une page de Baconsky et le soin avec lequel chaque phrase a été ciselée réclament une lecture profonde, vu qu’il s’agit d’un véritable poème des éléments.
Finitude et souvenir d’un autre soi
S’il y a un récit qui met en lumière l’impossibilité de saisir le sens de la vie, c’est sans doute Aureola neagră (L’auréole noire) où à la fin le protagoniste constate, non sans stupeur et désillusion, la disparition de l’autel de Zalmoxis, retrouvé sous le sable apporté sur le rivage par la Mer Noire. En nous arrêtant sur le récit qu’on vient de citer et en analysant attentivement le passage où est décrite la découverte d’un mur (l’auteur nous laisse entendre qu’il s’agit d’un fragment d’autel), nous découvrirons quelques éléments qui ne peuvent être négligés et qui, au contraire, sont fondamentaux pour notre parcours herméneutique : « On entendit un sifflement comme d’un serpent, mais nous ne pûmes comprendre d’où il venait – et sur les pierres découvertes un tourbillon de cendre légère parut, qui s’éleva et disparut dans l’atmosphère »[25]. Déjà au premier abord nous reconnaissons deux symboles qui vont vers la même direction thématique évoquée par la figure de Zalmoxis, associé selon la tradition au salut et à l’immortalité de l’âme : en effet le serpent[26] et le tourbillon[27] de cendre, grâce à la conformation en spirale qui en marque les formes sur le plan de l’imagination, renvoient inévitablement à ce que Gilbert Durand définit comme « la permanence de l’être à travers les fluctuations du changement »[28]. Ces deux « images » s’inscrivent aussi dans la constellation symbolique centrée sur le vent, une présence constante dans les dix récits composant le volume. Le vent, porteur d’un message mystérieux, amorce un double changement : le premier est celui du milieu où l’action se déroule qui, tout à coup, prend des couleurs et des sonorités nouvelles ; le second – dont le premier est selon nous un reflet et non pas une cause – se déroule à l’intérieur du personnage principal. Le vent est, dans sa nature, une manifestation du mystère et cette caractéristique a des précédents dans plusieurs traditions culturelles : il suffit de penser à la tradition biblique selon laquelle le vent est associé à l’esprit de Dieu ou au Vâyu indien. Dans les récits de Baconsky, le mystère, dont le vent se fait l’épiphanie, est le mystère de l’existence individuelle projetée dans le cosmos, en rapport avec le caractère cyclique de l’univers, un processus auquel l’homme participe en cherchant d’en comprendre les lois[29] :
L’auberge paraissait déserte, elle paraissait plus grande, plus élancée, comme un chasse-esprits planté au carrefour de certains temps renversés qui n’auraient succombé à aucun crépuscule. Elle semblait le squelette d’une autre auberge, plus ancienne, déterrée par la phalange éolienne et construite pour accueillir des pèlerins fous et des fugitifs[30].
Ce passage d’Aureola neagră stimule encore notre analyse, en nous poussant à concentrer notre attention sur l’image de la « phalange éolienne » en tant qu’évocatrice de la chasse infernale, un thème que Bachelard définit comme « le conte naturel du vent hurlant, du vent aux mille voix, aux voix plaintives et aux voix agressives »[31]. La réponse immédiate à cette réflexion nous est donnée après quelques lignes, à la fin du cinquième chapitre du récit : « Je vis courir dans le champ, à travers l’obscurité, des torches allumées et j’entendis le piaffement d’un galop lointain »[32]. En continuant le parcours proposé par Bachelard, nous n’hésiterons pas à assimiler la chasse infernale à l’image mythologique des Érynnies, les poursuivantes d’Oreste[33], en attribuant ainsi à l’élément la capacité de manifester des sentiments plus profonds, comme le regret, la vengeance et, surtout, le souvenir d’un temps perdu. À ce propos, le philosophe cite un passage de Gabriele D’Annunzio tiré de Contemplazione della morte: « Et le vent était comme le regret de ce qui n’est plus, était comme l’anxiété des créatures non formées encore, chargé de souvenirs, gonflé de présages, fait d’âmes déchirées et d’ailes inutiles »[34]. On distingue ici une certaine affinité avec l’imaginaire éolien de Baconsky : « Tous les sons qui naissaient [du vent] pendant le jour et la nuit m’étaient proches et chers, parce que le murmure, le bruissement, le souffle, le soupir perdu m’amenaient des échos d’un monde invisible et fabuleux, vers lequel mes années, comme un triangle de dix-huit grues sans destination, volaient »[35]. Les dix-huit ans – moment caractérisé par une forte valeur initiatique, en tant que passage de l’adolescence à l’âge mûr – sont ici associés à un triangle de grues qui émigrent pour faire retour à un monde inconnu dont l’écho retentit dans le vent.
Entre la mer et le marais : sur le quai de l’existence
Si, d’un côté, le riche et suggestif imaginaire éolien domine l’atmosphère des récits de A. E. Baconsky, qui réussit ainsi à imprimer une tonalité de mystère et d’angoisse à son texte, de l’autre, l’élément aquatique, loin d’être insignifiant, constitue au contraire une véritable matrice fabulatrice de l’œuvre. Analysant le rôle de l’élément aquatique dans le texte littéraire, Jean Libis reconnaît : « Chez certains écrivains, l’eau est un véritable cosmos d’écriture. Il semble alors qu’elle devienne un objet romanesque à part entière, et accompagne le destin d’une œuvre »[36]. Echinoxul nebunilor est une œuvre totalement empreinte d’eau : les vagues retentissent tout au long de ses pages et un destin de mort et renaissance est inscrit dans leur mouvement. Ainsi, à la fin du volume, s’annonce un cycle nouveau : le printemps arrive et, avec lui, arrivent aussi des hommes transportés par la mer, pour construire de nouveau la ville. Le récit trouve sa mort juste au moment où une nouvelle vie s’ouvre à l’intrigue. Nous observons le même processus dans Artiştii din insulă (Les artistes de l’île) où des branches et des surgeons naissent sur les corps des femmes gravés dans les troncs d’arbres : le printemps, en négligeant la forme, donnera une vie nouvelle à ceux qui n’étaient plus que des monuments funèbres (« Je tressaillis à la vue des statues réveillées pour une vie qui était leur mort »[37]). Nous pensons qu’à la source de cette attention insistante sur le thème de la renaissance il y a une exigence ontologique de l’homme. En effet, comme l’a écrit Jung : « Jamais la Vie n’a pu croire à la Mort ! »[38]. C’est peut-être pour cette raison que le protagoniste du récit Farul pénètre dans le marais avec obstination, bien que ce lieu soit de plus en plus présage de mort[39]. Du point de vue de l’imaginaire, le marais représente le fidèle contrepoint de la mer : si l’élément aquatique avec sa dimension thalassale et infinie met l’être humain en contact avec une réalité cosmique qui répond aux lois des grands cycles universels, le marais, grâce à la contamination avec l’immanent (avec l’élément tellurique), se charge de connotations négatives et permet à l’homme de découvrir l’inexorabilité de la mort, en le soumettant à la loi du devenir. « La mer […] conduit l’imagination aux limites de son extensibilité »[40] tandis que le marais captieux évoque l’anéantissement définitif : l’imagination est projetée vers le bas, vers la profondeur insondable de l’enfer et l’être humain ressent la même frustration qui est produite par le rêve où la pesanteur interdit le mouvement. Les rêveries qui concernent le marais ne peuvent que rappeler à l’homme sa condition d’impuissance, sa finitude : « Dans tous les cas, l’indétermination et la viscosité désignent la condition infernale, à savoir la nostalgie de la forme fixe »[41]. On comprend alors la profondeur de la réflexion suivante : « Je me sentais prophète et mage aux yeux étoilés, sans douleur, sans désirs, sans âge, comme ce phare se sera peut-être senti, exilé sur une côte perdue entre une époque qui devait être passée déjà depuis longtemps et une autre qui n’arrivera jamais »[42].
Deux époques, toutes les deux insaisissables comme, d’un côté, la mer vers laquelle l’imagination est toujours ouverte et comme, de l’autre, le marais qui active des rêveries centripètes en projetant l’être humain vers un temps tellement proche qu’il devient insondable. Comme un phare, l’homme ne réussit à éclairer que la surface d’une petite partie de l’infini vers lequel il est projeté, mais est en même temps incapable d’éclairer la partie la plus profonde de lui-même. Comme l’affirme Bachelard, « La connaissance de l’essentiel a pour contrepartie la mort »[43]. En effet, dans les récits de Baconsky, le protagoniste peut seulement apercevoir l’essentiel, mais il ne peut pas en avoir une confirmation[44]. L’itinéraire de l’homme baconskyen ne finit pas par une défaite, mais par un appel cruel à constater sa finitude irrémédiable, dont le refus condamnerait l’être à un tourment implacable : « Ton âme est le serpent qui t’étrangle […]. Il ne te laisse jamais tourner le regard. Tu cherches toujours le chemin au-delà des choses, tu veux toujours en voir l’autre face, celle vers laquelle seuls les yeux aux paupières fermées à jamais regardent »[45].
Jean Libis, dans le chapitre dédié à la létalité de l’eau, développe le concept d’ »abolition du principe d’individuation »[46] :
Le processus d’individuation est d’emblée, dans sa phase active, un processus d’intégration, et donc de soumission ontologique : […] en s’individualisant la matière s’inscrit autant que possible dans l’ordre universel de la forme. Tant et si bien que la croissance de l’individu, aussi bien que sa décroissance, sont frappées chacune à leur manière du sceau de la « dilution »[47].
Après les réflexions de Mircea Eliade sur le mythe de l’éternel retour, le critique trace un parcours que nous suivrons pour l’analyse des valeurs qu’acquiert, dans la prose de Baconsky, l’élément aquatique par rapport à la mort :
La mort est d’abord la sanction d’une émancipation ontologique, la nécessité d’un retour à l’ordre ; ensuite elle est l’abolition de la contingence, et ce qui sauve la pensée dans ses prétentions à l’universalité. En d’autres termes il faut que l’individu soit sacrifié à la substance ; ou, plus exactement, qu’il s’y résorbe[48].
C’est seulement dans cette optique que nous réussirons à saisir l’importance réelle des mots que le protagoniste du récit Farul utilise pour justifier l’union profonde de son être avec l’élément thalassal : « Je suis fait pour la mer. Une folie ou une maladie étrange m’avait amené sur ses rivages, dans la solitude où chaque chose semblait se dissiper dans son non-être »[49]. Selon une expression célèbre de Gaston Bachelard, nous pouvons définir le protagoniste des récits comme un être « voué » à l’eau, « un être en vertige »[50], prêt à s’abandonner à l’élément qui, plus que les autres, « exerce sur les formes individualisées une sorte d’attraction mortifère »[51] et qui, grâce à ses propriétés purifiantes et régénératrices, annonce une renaissance et associe le destin de l’homme au destin des cycles cosmiques qui trouvent en lui la garantie de renouvellement[52]. Dans le récit Echinoxul nebunilor, le personnage principal se rend compte de sa participation à ce caractère cyclique universel, comme dans le passage suivant, où se révèle une allusion directe à la métempsychose :
J’avais toujours l’impression d’être ressuscité d’une mort qui autrefois, il y a des siècles, avait été chantée par des bardes vagabonds et d’avoir en moi-même l’âme immense et désolée de certaines races passées l’une dans l’autre, métamorphosées dans la succession des années et dans le rythme capricieux de certains cycles terminés toujours en avance. Mon identité se perdait en se dissipant en milliers, en centaines de milliers d’hommes[53].
Du mythe au complexe : Caron
À cette dispersion de l’identité (« Il me semblait être condamné à souffrir, en les vivant, toutes les souillures de certaines biographies étrangères, de certaines existences exilées des temps, afin qu’elles se purifient à travers le filtre de ma vie même »[54]), répond, au niveau cosmique, la dilution de la nuit (« En dehors, l’obscurité continuait à se diluer »[55]) qui doit être considérée comme la régression vers un temps dont on ne se souvient pas (« Troublée, la mémoire restait prisonnière d’un ossuaire immense »[56]). Il semble qu’il s’agisse ici du retour in illo tempore, c’est-à-dire l’époque mythique où les « espèces […] n’étaient pas encore fixées et les formes étaient fluides »[57], un processus symboliquement provoqué par le cycle lunaire. Dans son Traité d’histoire des religions, Mircea Eliade évoque les hiérophanies lunaires, considérées comme des « révélations […] d’une sacralité fondamentale sous-jacente au Cosmos »[58] et qui permettent, pour cette raison, de marquer le temps du rite. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter aussi le choix de l’équinoxe, en tant que moment favorable pour célébrer le rituel d’une vengeance dont le protagoniste – dans le sixième récit – sera, en même temps, victime et bourreau[59]. Cet événement fait toujours partie du schéma cyclique des morts et des renaissances qui représente le fondement de chaque rite[60]. À propos des cérémonies d’initiation, Eliade reconnaît :
Si le symbolisme aquatique et lunaire a joué un rôle si important dans la vie spirituelle de l’homme archaïque, c’est justement parce qu’il rendait évidents et transparents l’abolition et le rétablissement ininterrompus des « formes », la disparition et la réapparition cyclique, l’éternel retour (en fait l’éternel retour aux origines). Sur tous les plans – depuis la cosmologie jusqu’à la sotériologie –, l’idée de régénération est liée à la conception d’un temps nouveau, c’est-à-dire à la croyance en un commencement absolu auquel l’homme peut parfois accéder[61].
C’est le contact avec la matière qui assure cet accès : dans notre cas, le retour à “l’eau matricielle et principielle, d’où sourd la totalité des êtres, et vers quoi elle retourne”[62]. Si la mort est “l’absolument réel, l’ananké à l’état pur”[63], ajoutons qu’“au bout de chaque travail de l’imaginaire, l’enjeu est encore et toujours la mort, le lien inséparable et insupportable avec ce point de non-retour, qu’on doit modérer, soutenir, vaincre, ou dissiper”[64]. À cette nécessité typiquement humaine se relie l’image de la barque des morts[65], où est mise en évidence la dimension thanatologique[66] de l’eau et, en même temps, sa puissance régénératrice[67]. L’image, présente très souvent en littérature, est l’expression de ce que Gaston Bachelard a appelé le “Complexe de Caron” :
L’imagination profonde, l’imagination matérielle veut que l’eau ait sa part dans la mort ; elle a besoin de l’eau pour garder à la mort son sens de voyage. On comprend dès lors que, pour de telles songeries infinies, toutes les âmes, quel que soit le genre de funérailles, doivent monter dans la barque de Caron[68].
Retrouver une trace plus ou moins explicite de ce complexe ne sera pas difficile pour le lecteur des récits de Baconsky. Nous nous arrêterons seulement sur deux cas où l’évocation de la barque des morts est la plus manifeste. Dans le premier passage, la scène est décrite dans les détails et revêt le caractère d’une véritable cérémonie rituelle:
Nous l’embarquâmes en l’étendant sur le fond plein d’eau de la barque et après avoir pris les rames nous nous éloignâmes rapidement vers le Sud, où l’eau était plus profonde […]. Comme dans un rêve j’entendis la voix du gardien qui me disait de laisser les rames. Lorsque je me retournai vers lui, je le vis debout au bout de la barque, occupé à entailler une branche de peuplier à l’aide d’un petit couteau […]. En quelques instants, une petite croix en bois, liée avec une ficelle, pendait au cou du mort. Puis nous le jetâmes dans la mer et, alors que nous retournions, le soleil émergeait obliquement, couronnant nos têtes comme si nous étions les samaritains du crime[69].
Relevons le caractère éminemment religieux de certains éléments, tels que la croix et la référence à la parabole du Bon Samaritain (Évangile de Luc: 10, 25-37), celle que Jésus utilise pour expliquer comment on peut conquérir la vie éternelle[70]. Baconsky, en se référant au cadavre, avait mis en évidence un aspect important : “Il semblait être un homme robuste, entre deux âges, brûlé par le soleil et tanné par l’eau de la mer, qui allait l’accueillir en lui donnant pour toujours les transparences du néant”[71], en accord avec la pensée de Bachelard, qui considère la mort dans l’eau comme une transformation de l’élément même en un néant substantiel[72].
Le second passage met en évidence une autre valeur spécifique de la mort en mer, pour en dévoiler l’aspect maternel[73] : “Les pêcheurs se signèrent tournés vers l’Orient et en le soulevant le placèrent dans une barque, pour le ramener vers le sommeil migrateur dont ils l’avaient réveillé”[74]. Pour comprendre le sens réel de ces mots, nous devons penser au sommeil comme mort euphémisée et saisir l’analogie symbolique entre l’image de la barque et celle du berceau qui, à son tour, est isomorphe au ventre maternel[75]. Il s’agit d’une correspondance confirmée ultérieurement par le sens de repos, de protection et de régénération que ces images suggèrent et dont l’auteur est pleinement conscient lorsqu’il écrit : “La mer savait me récompenser de tout”[76] ; “Avec un bain de mer je serais guéri complètement”[77] ; “La mer m’accueillit tendrement comme toujours”[78].
Jonas et la réintégration dans le temps cosmique
Il faut réussir à pénétrer l’image lorsqu’on parle de maternité de l’eau, en en explorant la profondeur, pour en saisir le sens limite, c’est-à-dire le retour à l’origine : on apercevra alors ce que Bachelard, dans La Terre et les rêveries du repos, décrit comme le Complexe de Jonas[79], un processus lié aux rêveries intimes et déterminé par les images d’avalement[80]. C’est un avalement auquel la nuit participe aussi et qui, avec son obscurité, rend possible la dissolution des formes : “Nous les regardâmes en silence, un à côté de l’autre comme deux obélisques pétrifiés sur le rivage, jusqu’à ce que la nuit et l’horizon les engloutirent”[81] ; “Ils se dirigèrent vers la mer, sautèrent dans la barque, et la nuit engloutit tout de suite leurs silhouettes ainsi que l’embarcation qui les avait amenés”[82]. Comme dans l’histoire biblique où le prophète revoit le jour, le Complexe de Jonas bachelardien envisage toujours une renaissance :
La sortie du ventre est automatiquement une rentrée dans la vie consciente et même dans une vie qui veut une nouvelle conscience. On mettra facilement cette image de la sortie de Jonas en rapport avec les thèmes de la naissance réelle – avec les thèmes de la naissance de l’initié après l’initiation – avec les thèmes alchimiques de rénovation substantielle[83].
Le schéma cyclique, qui constitue le cœur des récits de Baconsky, se relie alors à ce regressus ad uterum, dont l’image du dauphin[84] est, d’après nous, une expression ayant une valeur symbolique évoquée par l’auteur même : “Des brises intermittentes avaient soufflé la cendre du vieil établissement des pêcheurs où, un matin, comme un symbole, un dauphin mort apparut sur la plage”[85]. Qu’il s’agisse d’une dissolution dans le néant substantiel ou d’un retour à l’archétype maternel, la destination de ce voyage par mer semble ainsi être toujours la réintégration dans l’ordre cosmique[86]. Elle est rendue possible, selon l’auteur, par la communion avec l’élément thalassal, garant de la participation de l’homme à la régénération cosmique, dans une alternance perpétuelle de morts et de renaissances : “Je pensais sans cesse au parcours des mers, le seul, le triple, le fou, aux côtes lointaines où en arrivant on renaît, à chaque fois autre que soi”[87].
Bibliographie
Gaston Bachelard, L’Air et les songes, Paris, Librairie Générale Française, 2001.
Gaston Bachelard, La Poétique de la rêverie, Paris, P.U.F., 2005.
Gaston Bachelard, La Terre et les rêveries du repos, Paris, Corti, 2004.
Gaston Bachelard, L’Eau et les rêves, Paris, Librairie Générale Française, 2001.
A. E. Baconsky, Opere, II. Proză. Versuri, București, Academia Română, Fundaţia Naţională pentru ştiinţă şi Artă, 2009.
Crina Bud, “Literatură şi ziduri”, in A. E. Baconsky, Biserica neagră, Echinoxul nebunilor şi alte povestiri, préf. Crina Bud, Bucureşti, Curtea Veche Publishing, 2011, p. 15–26.
Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont / Jupiter, 2008.
Laurenţiu Ciobanu, “A. E. Baconsky : «Echinoxul nebunilor»”, Cronica, 1967, a. II, n. 42 (89), p. 8.
Nicolae Creţu, “A. E. Baconsky : «Echinoxul nebunilor»”, Iaşul literar, 1968, XIX, n. 2, p. 54-57.
Gilbert Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, DUNOD, 1992.
Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, Paris, Éditions Payot et Rivages, 2011.
Gheorghe Glodeanu, “Poetica fantasticului”, in Dimensiuni ale romanului contemporan, Baia Mare, Editura Gutinul, 1998, p. 98–102.
Jean Libis, L’Eau et la mort, Dijon, Centre Régional de Documentation Pédagogique de Bourgogne, 1996, p. 182.
Paolo Mottana, “Introduzione all’edizione italiana”, in J. Libis, L’acqua e la morte, Bergamo, Moretti & Vitali, 2004.
Notes
[2] Gaston Bachelard précise : “L’être du rêveur envahit ce qui le touche, diffuse dans le monde. Grâce aux ombres, la région intermédiaire qui sépare l’homme et le monde est une région pleine, et d’une plénitude à la densité légère. Cette région intermédiaire amortit la dialectique de l’être et du non-être”, Ibidem, p. 144.
[4] A. E. Baconsky, Opere, II. Proză. Versuri, Bucureşti, Academia Română, Fundaţia Naţională pentru Ştiinţă şi Artă, 2009.
[5] À ce propos, il nous semble pertinent de citer ce que Crina Bud a observé, en expliquant que “Le moment de découverte de certains motifs synergiques […] est suivi d’un sens d’illumination. Il s’agit de ce que A. E. Baconsky a nommé – en ne se référant pas à lui-même, mais à Ion Ţuculescu – une illumination contemplative, « une recherche fiévreuse des matrices originaires, […] un sens de l’âge de ceux qui n’ont pas d’âge, frénésie du contemplatif mélancolique, ascète ravagé par la somptuosité ». Le personnage-narrateur est accoutumé à toutes ces combinaisons paradoxales et il se présente très souvent comme une victime de certaines révélations, parce que les conditions de l’illumination se produisent malgré son apathie”, C. Bud, “Literatură şi ziduri”, in A. E. Baconsky, Biserica neagră, Echinoxul nebunilor şi alte povestiri, préf. C. Bud, Bucureşti, Curtea Veche Publishing, 2011, p. 21.
[6] Cette expression doit être entendue selon le sens eliadien (cf. M. Eliade, Traité d’histoire des religions, Paris, Éditions Payot et Rivages, 2011, p. 384-404).
[7] “Eu însumi îl uitasem de mult, de când, sub zodia impusă de răspântia marilor cicluri ce se încrucişau în biografia mea, mă lepădasem de tot ce putea să-mi aducă aminte de mine”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 87.
[8] “Odată am dispărut de acasă, luându-mă după un cerşetor orb care umbla prin lume în tovărăşia câinelui său – şi nu m-am mai uitat înapoi”, Ibidem, p. 13.
[9] Dans l’introduction à l’édition de 2011, Crina Bud souligne : “La migration des images d’un texte à l’autre donne l’impression de certaines cartes juxtaposées, qui révéleraient un même but spirituel. Le lecteur qui s’obstine à en saisir la signification risque de s’irriter et de se sentir, en quelque sorte, découragé devant le labyrinthe de sens, encore plus lorsque, de temps en temps, il croit en avoir découvert le code. Les récits ressemblent aux fragments d’une mosaïque immense dont les pièces ne peuvent pas être utilisées dans leur ensemble, mais, puisant çà et là, la composition des fragments crée une représentation cohérente, qui suggère la totalité” (C. Bud, Op. cit., p. 20). Les éditeurs de l’édition de l’Académie Roumaine, Pavel Ţugui et Oana Safta ont, avec Teodor Baconsky, relevé l’existence de deux manuscrits concernant l’œuvre en question, dont les datations révèlent une contiguïté temporelle étonnante, comme si l’auteur y avait travaillé parallèlement : “Il semble que l’auteur a commencé à travailler à ce cycle de récits pendant la première partie de l’année 1965. Il existe parmi ses manuscrits un cahier à la couverture jaune […]. En 1986, avec Teodor Baconsky, le fils de l’écrivain, nous avons établi que ce manuscrit est la première variante du volume des récits […]. Ce Cahier-manuscrit est daté : « 17. VII. 1966 ». On dirait que Baconsky a travaillé à ses proses sur des pages « en parallèle », parce qu’il existe un second manuscrit […] qui a comme date : « 18. VII. 966 ». Ce manuscrit représente la forme définitive du livre Echinoxul nebunilor şi alte povestiri” (A. E. Baconsky, Op. cit., p. 771).
[10] N. Creţu, “A. E. Baconsky : « Echinoxul nebunilor »”, Iaşul literar, 1968, a. XIX, n. 2, p. 54.
[11] “Vedeam în ochiul lui de Polyphem pietrificat o lume de vid şi de moarte iradiată”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 38.
[12] “Și nici o sirenă nu se va mai găsi să pună capăt sumbrului joc şi să vestească moartea prin cântec, singura la care mă simţeam condamnat”, Ibidem, p. 73.
[13] J. Libis, L’Eau et la mort, Dijon, Centre Régional de Documentation Pédagogique de Bourgogne, 1996, p. 182.
[14] “Hălăduiam într-o lume fantastică, populată de fiinţe înalte şi generoase, măşti ale unor idealuri din ce în ce mai înceţoşate”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 53.
[15] “Cet inachèvement radical, qui implique une déficience ontologique et qui constitue la signe même de la mortalité, est au cœur de la méditation de Maurice Blanchot […]. Écrire un roman, c’est avouer implicitement que le monde est incompréhensible, que l’homme est seulement voué à son destin temporel, sexuel et mortifère”, J. Libis, Op. cit., p. 34.
[16] G. Glodeanu, “Poetica fantasticului”, in Dimensiuni ale romanului contemporan, Baia Mare, Editura Gutinul, 1998, p. 100.
[18] “Va fi o tragedie despre fiul tânăr al unui rege, care şi-a ucis mama, despre o răzbunare moştenită din neam în neam între fraţi, o răzbunare neîmplinită, ce străbate prin timp ca o flacără otrăvită şi sacră, alimentată de vestale necunoscute”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 86.
[20] “Uneori sunt cu mine, eliberat de lumea căreia pe negândite i-am devenit prizonier, sunt cu ochii deschişi, cu pupilele lărgite şi mistuite de adevărurile ce se dezvăluie celor capabili să treacă suferinţele în cristale de gheaţă. Dar prea adesea mă trezesc iaraşi copleşit de nopţile fetide ce m-au cucerit – şi toate ororile se ridică în faţă, tiranice columne ale pierzaniei, printre care trec în neştire spre orizontul meu prăbuşit. Atunci îmi reiau existenţa din casa zugrăvită în albastru. Poate că sunt acolo mereu. Poate că n-am părăsit-o niciodată”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 81.
[21] “Aflasem doar că ne va fi dat să-l întâmpinăm într-o noapte pe ţărm, lângă valurile monotone, ce spălau nisipul, desenându-şi întruna aripile de Icari prăbuşiţi, îngropaţi în galbenul plajei”, Ibidem, p. 56.
[25] “Un fluierat ca de şarpe se auzi, dar nu ne-am putut da seama de unde vine – şi pe lespezile descoperite se iscă un vârtej de cenuşă subţire, înălţându-se şi pierind în văzduh”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 67.
[26] Voir : J. Chevalier et A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont / Jupiter, 2008, p. 867-879.
[27] Au début du chapitre « Le Vent », contenu dans L’Air et les songes, Gaston Bachelard affirme : “Le vent, dans son excès, est la colère qui est partout et nulle part, qui naît et renaît d’elle-même, qui tourne et se renverse. Le vent menace et hurle, mais ne prend une forme que s’il rencontre de la poussière […]. Et le premier être créé par cette colère créante, c’est un tourbillon. L’objet premier de l’homo faber dynamisé par la colère, c’est le vortex”, G. Bachelard, L’Air et les songes, Librairie Générale Française, 2001, p. 292.
[29] Nous percevons l’intensité de cette recherche dans les pages de Cel-mai-mare (Le-plus-grand), un récit où à l’attente du Messie est associée une sensation profonde d’impuissance humaine : “Toate încercările de răspuns erau neputincioase conjecturi, păreri efemere şi goale, ce nu făceau decât să sporească nedumeririle tuturora” (“Chaque tentative de trouver une réponse était une conjecture vaine, un avis éphémère et vide, qui servait seulement à accroître la perplexité de tous”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 56).
[30] “Hanul părea pustiu, părea mai mare, mai deşirat, ca o sperietoare de duhuri împlântată la răspântia unor timpuri întoarse, pe care nici un amurg nu le mai putea îndupleca. Părea scheletul unui alt han, de demult, dezgropat de falanga eoliană şi ridicat să întâmpine pelerini nebuni şi fugarii”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 70.
[32] “Prin intuneric văzui peste câmp alergând torţe aprinse şi auzii ropotul unui galop îndepărtat” A. E. Baconsky, Op. cit., p. 70.
[33] Citant Schwartz, Bachelard affirme : “Aux images de chasse infernale, Schwartz associe l’image des « chasseresses à la chevelure de serpents ». L’analyse « imaginaire » de la notion d’Érynnies peut partir de ce rapprochement. […] Comme la chasse infernale, l’Érynnie totalise le poursuivant et le poursuivi”, G. Bachelard, L’Air et les songes, Op. cit., p. 301.
[34] Trad. : “E il vento era come il rammarico di ciò che non è più, era come l’ansia delle geniture non formate ancora, carico di ricordi, gonfio di presagi, fatto d’anime lacere e d’ali vane”, G. D’Annunzio apud G. Bachelard, L’Air et les songes, Op. cit., p. 298.
[35] “Toate sunetele ce se năşteau [din vânt] ziua şi noaptea îmi erau apropiate şi dragi, pentru că murmurul, foşnetul, răsuflarea, oftatul pierdut îmi aduceau ecouri dintr-o lume nevăzută şi fabuloasă, către care zburau anii mei ca un triunghi de optsprezece cocori fără ţintă”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 34.
[37] “Am tresărit la vederea statuilor trezite la o viaţă care era moartea lor”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 108.
[39] À ce propos, il nous semble que le passage où le protagoniste trébuche sur le corps d’un cheval mourant dans le marais peut servir d’exemple. Dans les yeux de l’animal (qui est psychopompe) on découvre un présage de mort très clair : “Înecat într-o baltă de sânge, agoniza sfâşiat de dureri, ce-l făceau să zvâcnească şi să-şi întunece şi mai mult ochii plini de luciri ciudate ; în oglinzile lor negre fulgeră o clipă imaginea capului meu hirsut, purtând drept aureolă ştreangul pretimpuriu legănat veşnic deasupra lui” (“Noyé dans une mare de sang, il agonisait tourmenté par la douleur, qui le faisait tressaillir et qui assombrissait de plus en plus ses yeux remplis de scintillements étranges ; dans leurs glaces noires, l’image de ma tête hirsute resplendit, sur laquelle, comme une auréole, la corde prématurée oscillait perpétuellement”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 24.
[42] “Mă simţeam profet şi mag cu ochi înstelaţi, fără dureri, fără dorinţe, fără vârstă, aşa cum se va fi simţit şi farul acela, exilat pe o coastă pierdută între o vreme care ar fi trebuit să treacă de mult şi alta ce nu va veni niciodată”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 35.
[44] Nous citons, à titre d’exemple, non seulement le passage tiré d’Aureola neagră, mais aussi le récit Farul (Le phare), où l’identité de la femme du marais, avec laquelle le protagoniste a passé la nuit, reste inconnue. De plus, dans le même récit, après la découverte de l’identité réelle de son oncle, le jeune homme n’aura plus la possibilité de prendre contact avec lui.
[45] “Sufletul tău e şarpele ce te sugrumă […]. Nu te lasă niciodată să-ţi întorci privirea. Cauţi mereu drumul de dincolo de lucruri, vrei mereu să vezi faţa lor cealaltă, aceea spre care privesc numai ochii cu pleoapele pe totdeauna închise”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 102. L’italique est un choix de l’auteur.
[49] “Pentru mine era marea. O nebunie sau o boală ciudată mă adusese pe ţărmul ei, în acea solitudine unde toate păreau că se mistuie în propria lor nefiinţă”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 12.
[52] Dans le paragraphe Symbolisme de l’immersion, Mircea Eliade observe : “Dans l’eau, tout se « dissout », toute « forme » est désintégrée, toute « histoire » est abolie ; rien de ce qui a existé auparavant ne subsiste après une immersion dans l’eau, aucun profil, aucun « signe », aucun « événement ». L’immersion équivaut, sur le plan humain, à la mort, et sur le plan cosmique, à la catastrophe (le déluge) qui dissout périodiquement le monde dans l’océan primordial. Désintégrant toute forme et abolissant toute histoire, les eaux possèdent cette vertu de purification, de régénération, et de renaissance ; parce que ce qui est immergé en elle « meurt », et, se relevant des eaux, est pareil à un enfant sans péchés et sans « histoire », capable de recevoir une nouvelle révélation et de commencer une nouvelle vie « propre »”, M. Eliade, Op. cit., p. 203-204.
[53] “Mi se părea mereu că am înviat dintr-o moarte pe care demult, cu secole în urmă, o cântaseră barzi rătăcitori şi că port în mine sufletul mare şi nemângâiat al unor neamuri trecute unul în altul, metamorfozate în succesiunea anilor şi în ritmul capricios al unor cicluri încheiate întotdeauna înainte de timp. Identitatea mi se pierdea risipită în mii, în sute de mii de oameni”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 88.
[54] “Mi se părea că sunt blestemat să suport, trăindu-le, toate ordurile unor biografii străine, ale unor existenţe exilate din timpuri, ca să se purifice trecând prin filtrul propriei mele vieţi”, Ibidem, p. 79-80.
[60] Il y a beaucoup d’éléments, disséminés dans les textes, qui pourraient renvoyer à la cérémonie rituelle : par exemple, nous pensons aux autels sacrificiels, aux formules prononcées dans des langues mystérieuses, au choix jamais accidentel des nombres, et ainsi de suite. En outre, nous pourrions associer le livre entier à un rite. À l’apui de cette idée, nous pensons, par exemple, à la fin ouverte du dernier récit, où le recommencement est symbolisé par l’arrivée du printemps et par l’accostage d’un navire avec des hommes à bord venus pour reconstruire la ville.
[64] Trad. : “Al fondo di ogni lavoro dell’immaginario, la posta in gioco è ancora e sempre la morte, il legame inscindibile e intollerabile con questo punto di non ritorno, che si tratta di temperare, sostenere, sconfiggere, o dissolvere”, P. Mottana, “Introduzione all’edizione italiana”, in J. Libis, L’acqua e la morte, Bergamo, Moretti & Vitali, 2004, p. 11.
[65] En ce qui concerne cette image, Jean Libis affirme : “Il se pourrait en effet que la barque des morts trouve un point d’ancrage dans le réel sous la forme d’une pratique rituelle effective. Les observations anthropologiques attestent que, dans certaines cultures, le mort est exposé sur l’eau dans une pirogue, et parfois abandonné au gré des eaux”, J. Libis, Op. cit., p. 77.
[66] “L’eau est bel et bien ce « cosmos de la mort », où s’abîment les tensions imaginatives de l’être humain”, Ibidem, p. 35.
[67] Dans le paragraphe dédié à l’analyse du déluge, Libis remarque : “Si l’eau contient en germe une capacité considérable de destruction, elle ne représente certes pas la mort absolue. Elle demeure un principe ontologique, un lieu d’éclosion qui cuve aussi une surpuissance secrète”, Ibidem, p. 95.
[69] “Îl urcarăm lungindu-l pe fundul plin de apă al bărcii şi luând vâslele ne-am îndreptat repede spre sud, unde apa era mai adâncă […]. Ca prin somn auzii glasul paznicului îndemnându-mă să las vâslele. Când m-am întors spre el, stătea în picioare la capătul bărcii, cioplind cu un cuţit scurt o creangă de plop […]. În câteva clipe, o cruce mică de lemn atârna legată cu sfoară la gâtul mortului. Apoi îl prăvălirăm în apă, şi în timp ce porneam înapoi, se ivea pieziş soarele, încununându-ne creştetul ca unor samariteni ai fărădelegii”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 15–16.
[70] Jean Libis, en analysant un passage tiré de L’enfant de la haute mer de Jules Supervielle, note : “[On donne, n. d. t.] forme poétique à un axiome fondamental de notre imaginaire : celui qui meurt par l’eau acquiert le don de sempiternité, fût-ce au prix d’un changement de substance”, J. Libis, Op. cit., p. 159.
[71] “Părea un bărbat voinic, între două vârste, ars de soare şi tăbăcit de apele mării, care aveau să-l primească în sinea lor, dându-i pe totdeauna transparenţele neantului”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 15.
[73] Pour un approfondissement du thème de la maternité de l’eau, voir : G. Bachelard, L’Eau et les rêves, Op. cit., p. 132-152.
[74] “Pescarii se închinară spre răsărit şi ridicându-l îl aşezară într-o barcă, pornind să-l ducă spre somnul migrator din care îl treziseră”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 90.
[79] Pour un approfondissement de ce thème, voir le chapitre que Bachelard lui dédie dans La Terre et les rêveries du repos (G. Bachelard, La Terre et les rêveries du repos, Paris, Corti, 2004, p. 147-204).
[80] Gilbert Durand précise : “Le Jonas est euphémisation de l’avalage puis antiphrase du contenu symbolique de l’avalage”, G. Durand, Op. cit., p. 233.
[81] “I-am privit în tăcere, alături amândoi ca nişte obeliscuri încremenite pe ţărm, până când orizontul şi întunericul i-au înghiţit”, A. E. Baconsky, Op. cit., p. 45.
[82] “Porniră spre mare, săriră în barcă, şi în curând noaptea înghiţea deopotrivă făpturile lor şi nava ce-i adusese”, Ibidem, p. 77.
[84] “Symbolique liée à celles des eaux et des transfigurations. […] Le dauphin est devenu le symbole de la régénérescence. On en voyait l’image auprès du trépied d’Apollon, à Delphes”, J. Chevalier et A. Gheerbrant, Op. cit., p. 338.
On the Nature of Portals in Fantasy LiteratureOn the Nature of Portals in Fantasy Literature
Marius Conkan
Babeş-Bolyai University, Cluj-Napoca, Romania
mariusconkan@yahoo.com.sg
On the Nature of Portals in Fantasy Literature
Abstract: This paper aims to analyze the nature of portal in fantasy literature. The portal is at the heart of mapping and building imaginary objects, creatures and situations that configure the alternative space. The symbolic journey a character makes through the portal is the matrix of fantasy fictions. Beyond the arguments that aim at revealing the structures of imaginary worlds, there are some questions that still need answers: What is a portal? A frontier, a process or maybe both? Are we talking about physical space, or rather about an internal and abstract dimension?
Keywords: Fantasy literature; Imagination; Portal; Border; Secondary world.
What is a portal? What role does it play in fantasy literature? Using the portal as a theoretical lens, could we access a new perspective on this kind of literature? What is the rabbit hole through which Alice descends in Wonderland, or the wardrobe where the Pevensie brothers enter Narnia? Can these intermediary spaces take on a conceptual and cultural importance, beyond their thematic function of transporting characters into alternative worlds?
I tackled this issue, as a first step, in my study entitled “Intermediary Spaces in Fantasy Literature”[1]. There I focused on tracing some of the main directions from which one can start conceiving a morphology of space in fantasy literature, despite not having analyzed the entire theoretical nature of the portal. On the one hand during the Renaissance scarred by a tromendous censorship of the imaginary, the magical thinking was a metaphorical portal towards the ocult world of the spirits. On the other hand the concept of portal was refined in Romanticism by transferring the fantastic from the methaphysical to the psychological level. Hence, the romantic double is a symptomatic portal opening the human spiritual abyss and the unconscious[2]. In the same study, I showed how the portal can display a metaphorical and conceptual function next to a thematic and literal one. The metaphorical and conceptual trait is showcased in the way in which researchers like C. N. Manlove, Gary K. Wolfe, Brian Attebery etc. have defined fantasy literature as a territory of the impossible that violates and restructures the laws of reality[3].
In the radical dichotomy between a consistent (possible) reality and alternative worlds (supernatural and impossible) we encounter a theoretical border, a red thin line, that can be difficult to cross. But what if we were to understand such a frontier as a metaphorical portal? Why should the perceived reality and the impossible one be opposed to one another and what is the structure of this settled frontier between them? Aren’t thematic portals in fantasy fiction a mirror and a sign of the limits that researchers touch upon when dealing with this type of fiction? I am convinced that if we were to take the thematic portals (id est intermediary spaces) as a starting point, we can find more arguments for a complex understanding of fictional worlds (fantastic or not). These worlds are related and at the same time separated from the actual world by a metaphorical portal. In other words, a close analysis of the passages towards the fantastic world will not only ensure the proper concepts that enable a different perspective on the frontiers (and passages) between actuality and fiction, but also assure a better understanding of the relationship between the actual world and the imaginary constructions inside of it (heterotopias).
The Lion, the Witch and the Wardrobe, by C. S. Lewis, is the second book[4] in The Chronicles of Narnia and contains one of the most famous portals in fantasy literature: the wardrobe (maybe only the rabbit hole in Alice’s Adventures in Wonderland can surpass in fame this well-known piece of furniture). The novel tells the story of the Pevensie brothers (Lucy, Edmund, Susan and Peter), that enter Narnia through a wardrobe and are guided by the lion Aslan. They all join forces in order to destroy the dystopia imposed by Jadis, the White Witch, and, thus, to reestablish the paradisiac nature of Narnia. Lucy, the youngest of the Pevensies, is the first to enter the land of Aslan and this is how C. S. Lewis describes the scene:
Looking into the inside, she saw several coats hanging up — mostly long fur coats. There was nothing Lucy liked so much as the smell and feel of fur. She immediately stepped into the wardrobe and got in among the coats and rubbed her face against them, leaving the door open, of course, because she knew that it is very foolish to shut oneself into any wardrobe. Soon she went further in and found that there was a second row of coats hanging up behind the first one. It was almost quite dark in there and she kept her arms stretched out in front of her so as not to bump her face into the back of the wardrobe. She took a step further in — then two or three steps — always expecting to feel woodwork against the tips of her fingers. […] Next moment she found that what was rubbing against her face and hands was no longer soft fur but something hard and rough and even prickly. “Why, it is just like branches of trees!” exclaimed Lucy. […] A moment later she found that she was standing in the middle of a wood at night-time with snow under her feet and snowflakes falling through the air[5].
C. S. Lewis does not offer any rational explanations that would decrypt and trace this miraculous crossing through the wardrobe. We encouter such rational explanations especially in science fiction, a literature that sets the stage for a distant future and depicts alternative worlds as a product of technological progress. These worlds are mapped and accessed through scientifical portals, after the latter’s rational mechanism is deciphred. But this is not the case in the scene described by C. S Lewis. There is a brief and mysterious account of the moment in which Lucy enters Narnia and thus turning the wardrobe from an ordinary object, with a specific utility in the actual world (see the image of the mothball), into a magical portal. Hence, the sense of wonder, in this case, is obtained through overlapping two distinct features of the wardrobe: the first nature is the rational one, characterizing an object of domestic utility, while the other attribute is magical and irrational, turning the wardrobe into a point of passage towards Narnia. The narrative perspective and Lucy’s reaction display the way in which the two antithetic traits of the wardrobe interact and communicate with one another. Lucy crosses and opens the wardrobe like any other known space. Throughout the novel, Lucy is the only character that exhibits a fundamental magical thinking and never questions the existence of Narnia or that of the lion Aslan. The passage through the wardrobe is narrated like a meaningless account. What we witness in fact is how Lewis enhances the miraculous feature of the portal. There is a symmetry in the images that hallmark the contradictions of the two worlds intertwined by the portal, because the rational (actual) nature of the wardrobe is mirrored and reversed in its irrational (magical) part: the moth powder (an image of a rather aged order) is replaced in Narnia by snow; the fur coats (images of death) disappear in Narnia to become living and fabulous creatures; the tree turned into the wardrobe is actually a symmetrical image of the pine tree; in the room left behind by Lucy, daylight appears while Narnia is already engulfed by night. Hence, I will focus on three stategies that generate the sense of wonder and recreate the magical feature of the portal.
The first is the narrative strategy and serves C. S. Lewis to recount, from a familiar and rational point of view, a miraculous happening (the path through the wardrobe, towards another world). The magic of the wardrobe persists, as the narrator describes Lucy’s journey toward Narnia, without turning it into an extraordinary voyage. The second strategy consists of turning an object that has a precise utility into a vehicle that carries one into the Other World. This „becoming” of the wardrobe is depicted authentically by juxtaposing its two main features (a simple object, but also a passage towards an unknown world). The third strategy enables a symmetry of images that show a reverse/mirroring of the initial space in the alternative world. Such symmetries provide a slow and imperceptible crossing (for reader and character alike) into Narnia. Being similar from a denotative point of view (see the moth powder versus the snow), these images either recieve radical and antithetic connotations (the fur coats versus the creatures of the lion Aslan), or compose a symbolical and common map of the two worlds, related solely through the wardrobe (the moth powder is a sign of a rational and enclosed world, and can be placed in Narnia on a symbolic level with the eternal winter created by Jadis the witch).
Therefore, all these narrative and imaginary strategies turn the wardrobe into a magical portal and mediate, using a familiar framework, the way in which characters enter and connect to the alternative world. Thus, the sense of wonder appears through rational and precise structures that grant to an object (wardrobe) unreal functions (the wardrobe as a passage towards the Other World). But the object will take on these imaginary traits in such a natural manner and will ultimately reproduce the illusion of reality. Hence, characters and readers alike believe that the wardrobe really opens an alternative world. In other words, a possible object (wardrobe), having a clearly defined meaning in the actual world (we do keep clothing inside), recieves an imaginary meaning (the wardrobe is the pathway towards Narnia). Moreover, these two meanings do not appear in contrast or in an antithetical relation, but rather display continuity and dialogue (the wardrobe can also be a vehicle towards other worlds). This strategy characterizes the entire production of imaginary objects in fantasy literature and is, in fact, a two-step action.
Firstly, the possible object recieves an imaginary meaning or one is transferred from an other possible object (the wardrobe turns into a vehicle). At this level, the effort of producing imaginary objects is purely combinatorial, as the sentence Lucy enters through the wardrobe into Narnia lacks a context to be credible. Fantasy literature is not a figment of the imagination and does not chaotically combine possible structures (as it is the case in surrealist literature, for e.g.). The initial meaning and the newly aquired one will enter a dialogue, through a proper narrative context and after the possible object recieves an imaginary meaning. On this second level, the wardrobe is at the same time a piece of furniture and a gateway towards an unknown realm. Furthermore, Lucy and the reader are persuaded that the wardrobe will keep both its meanings (see how C. S. Lewis describes the passage towards Narnia suggests this). To be more precise, the way in which an object recieves imaginary meanings is told as an ordinary and veridical fact, but we actually witness a subtle subversion of logical reality. This is how magical portals are created in other famous fantasy novels, like the rabbit hole in Alice’s Adventures in Wonderland or the picture in The Voyage of the Dawn Treader (1952), by C. S. Lewis. These are portals that overlay, in a credible narrative context, the possible object (the rabbit hole and the picture) and their imaginary meanings (the rabbit hole and the picture are gateways to Wonderland and Narnia), so that ordinary objects are transformed into structures with fantastic traits. The magical feature of portals does not solely involve ascribing to a rabbit hole or a picture the quality of being a passage towards the alternative world, but also how such familiar objects of reality are percieved as vehicles towards other worlds. Such an effort awards consistency and autonomy to the alternative worlds that, despite containing imaginary objects, inexistent in the actual world, can be built on a system of veridical relationships between these particular elements.
George MacDonald, one of the first fantasts, showcases a similar understanding of the consistency and the autonomy of fantasy worlds: “[the] world once invented, the highest law that comes next into play is, that there shall be a harmony between the laws by which the new world has begun to exist; and in the process of his creation, the inventor must hold by this laws. The moment he forgets out of them, he makes the story, by its own postulates, incredible”[6]. Just as reality functions according to rigorous laws that deliver and nurture its consistency, the fantasy world must be woven and guided by its own internal laws that make it credible and not merely a product of fancy. By mentioning these laws that deliver the bone structure of fantasy fiction, MacDonald comes close to the way in which imaginary objects are created by juxtaposing their multiple possible meanings. Hence, the internal law of fantasy fiction generates familiar frameworks for impossible objects and events. The latter feeds on possible structures that are transformed, combined and continued into new scenarios, without altering their original meaning. To quote, in this respect, Brian Attebery: “Fantasy invokes wonder by making the impossible seem familiar and the familiar seem new and strange. When you put a unicorn in a garden, the unicorns gains solidity and the garden takes on enchantment”[7].
The internal law of fantasy fiction enters a reciprocal and direct relationship with the production of imaginary objects, as I previously mentioned. In portal-quest fantasy fiction[8], the first imaginary object to display such laws is, of course, the portal. Nothing seems to disturb the quasi-realist narration, that is until one of the characters goes through a portal. But, in the moment in which an ordinary object is turned, in a credible manner, into a portal, the internal laws of the fantasy world is put into action. Hence, for example, Tumnus the fawn with his umbrella, the first creature Lucy meets in Narnia, will look normal to her. The law of the fantasy world is, therefore, reflected in the way in which an ordinary object becomes a magical portal. This path is also contained in the relationship between the primary and the secondary imagination, as Coleridge has shown. The secondary imagination will reshape the creation of the primary one:
The Imagination then I consider either as primary, or secondary. The primary Imagination I hold to be the living power and prime agent of all human perception, and as a repetition in the finite mind of the eternal act of creation in the infinite I AM. The secondary Imagination I consider as an echo of the former, co-existing with the conscious will, yet still as identical with the primary in the kind of its agency, and differing only in degree, and in the mode of its operation. It dissolves, diffuses, dissipates, in order to recreate: or where this process is rendered impossible, yet still at all events it struggles to idealize and to unify. It is essentially vital, even as all objects (as objects) are essentially fixed and dead[9].
The secondary imagination involves a process that enables the recreation of a possible object (as an element of the ‘real’ world) in fantasy literature as an imaginary object (and, thus, impossible). The secondary imagination, through a conscient and deliberate creative act, “dissolves,” “diffuses,” and “dissipates” the primary functions of objects. Coleridge sees in the secondary imagination the process through which all literature is created. How secondary imagination operates in the portal-quest fantasy fiction is visible, first and foremost, in building the magical portal. As an agent of human perception, primary imagination maps the existing nature of the object, even before its rendering as a portal towards other worlds. While hiding in the wardrobe, Lucy’s perception on the piece of furniture is filtered by the primary imagination that integrates the meaning and the nature of the wardrobe in the system of her known reality. Afterwards, the primary imagination is continued and overtaken by the secondary one that will award the wardrobe a previously inexistent nature, without severing the meaning given by the primary imagination. This meaning will enter a dialogue with the wardrobe’s second nature (vehicle carrying towards an unknown world) and will create the sense of wonder. Hence, the wardrobe is the place where the primary imagination and secondary one interfere, so that the portal reflects the neccessary mechanism that delivers imaginary objects in fantasy literature. In other words, the way in which an ordinary object turns into an imaginary one depends on the manner in which a wardrobe, a rabbit hole and a picture become magical portals, without ever losing their primary meaning. On the contrary, the primary and secondary meaning of the object become one and contribute decisively to the emergence of the sense of wonder. The shadow of Peter Pan[10], for example, despite being coiled up and placed by Mrs. Darling in a drawer, does not showcase a sense of wonder through the loss of the practical meaning of what a shadow really is, but rather through the way in which the depiction of a familiar context attaches the meaning of another possible object (a fabric that can be coiled up). Furthermore, despite knowing it is a shadow (on the level of primary imagination), Mrs. Darling percieves Peter Pan’s shadows as a piece of clothing and puts it into the drawer (on the level of the secondary imagination) and, thus, constructing a credible irreality.
That is how fantasy literature spawns the sense of wonder. Fantasy literature transfers on objects and things extrinsic traits, but keeps their primary (possible) nature in consubstantiality, verosimilitude and familiarity with their second (impossible) nature. Hence, fantasy literature does not oppose reality, but overlays in a rational manner multiple forms of reality and numerous, incompatible functions of objects. Fantasy is reality as a broken mirror finding its coherence and consistency in this sort of fragmentation. The fantast will not remake the broken glass in order to solve a puzzle, while trying to recreate an original image, but will suture all incompatible and incongruent pieces together, in order to concieve new structures that have their own essence, as it is the case for the imaginary objects, creatures and situations. Such fictional worlds, in J. R. R. Tolkien’s own words, are a product of the Sub-creation that reassambles images and concepts of the real world[11]. Tolkien sheds a different light on the relationship established by Coleridge between primary and secondary imagination, especially by distinguishing between the primary world – as a product of the divine creation – and the secondary world – built by the Sub-creator (these concepts are often used and discussed by researchers of fantasy literature). Close to George MacDonald’s arguments, that touch upon the necessity of an internal law granting consistency and credibility to the fantastic world, Tolkien argues that the Sub-creator must build the secondary world as such, that it can be percieved as real. This perception is linked to the Secondary Belief and presupposes that the reader believes in the fantastic world, as he or she believes in the primary one.
All these standpoints above can be brought together if we peel off any mystical shell and investigate the poetics of fantasy fictions. The latter is synthesized in the way in which objects, characters and their connections in the secondary world are created, animated and activated by an initial crossing through portals – aspects I discussed in the current paper. Such a perspective places the portal at the heart of mapping and building imaginary objects, creatures and situations that configure the alternative space. The symbolic journey a character makes through the portal (from the primary imagination to the secondary one, from the ex-nihilo creation to the Sub-creation, from a primary to a secondary world) is the matrix of fantasy fictions. Beyond these arguments that aim at revealing the structures of imaginary worlds, there are some questions that still need answers: What is a portal? A frontier, a process or maybe both? Are we talking about physical space, or rather about an internal and abstract dimension?
Potential answers can be found in Thomas Pavel’s theory on possible worlds. Despite not having used and analyzed the concept of portal, per se, or the manner in which such a term can help redefine imaginary world, Thomas Pavel offers a theoretical framework that can be extendend, reshaped and reformed, if we apply the concept of the portal. His paper “The Borders of Fiction”[12], that was later modified an integrated in his book Fictional Worlds[13], exhibits the distinction between profane reality and the mythical world by:
[Describing] the ontology of societies which use myths, one needs at least two different ontological levels: the profane reality, characterized by ontological paucity and precariousness, and a mythical level, ontologically self-sufficient, unfolding in a privileged space and in a cyclical time. Gods and heroes inhabited the sacred space; but this space was not seen as fictional; if anything, it was ontologically superior, endowed with more truth[14].
Fantasy literature contains imaginary worlds created through revisiting and recycling classical myths. These worlds are, on the one hand, complex and sophisticated constructions, built on the narrative structures of the fairy tale. On the other hand, they forge new myths (starting with old ones) and reach a form of sacrality. For example, the land of Narnia is a hybrid, a mixture of ancient greek, celtic and christian myths that manufacture an original myth, the one of the lion Aslan – and all characters firmly believe in the truth and in the functionality of this myth. Furthermore, the relationship Thomas Pavel identifies between the profane reality that is ontologically precarious, and the mythical level, ontologically superior and having more truth, is similar to the connection between the primary and the secondary world Tolkien thackles in “On Fairy Stories.” The secondary world (accessed through magical thinking) is charged with a higher degree of ontology then the primary world. The latter is temporary abandoned by the characters with the main purpose of taking a journey of initiation towards other realms. Thomas Pavel calls the crossing from a profane reality to a mythical level – in Tolkien’s words from the primary to the secondary (sacred) world – mythification:
The transferring of an event across the border of legend can be labeled mythification. The distant kinship between mythification and what the Russian formalists called defamiliarization is worth noticing: for what else is it to project an event into a mythical territory if not to put it into a certain kind of perspective, to set it at a comfortable distance, to elevate it into a higher plane, so that it may easily be contemplated and understood?[15]
From this point of view, the portal is the actual process of mythification, as it transferrs the primary world into the secondary (sacred) one. For example, the wardrobe as an imaginary space is the projection of an internal portal that mythifies characters. The Pevensies, ordinary pupils in the primary world, are mythified in the land of Aslan. Hence, the mythifying portal is a pathway towards accessing higher planes of consciousness[16] and portal-quest fantasy fiction involves crossings, transitions, negotiation and experience[17] – stages present in a journey of initiation into the imaginary world.
The portal is not only the mythification process itself, but also an open border between rational and magical thinking, between I and non-I, and between conscious and the unconscious. The portal designates but also erases all disjunctions and contradictions that exist between two worlds different in nature, as it will dismantle any similar manifestations between the characters’ primary and imaginary identity. On the level of building secondary worlds, the manner in which normal objects and spaces are turned into a magical portal uncovers the way in which all imaginary objects, characters and situations are shaped in fantasy literature. But as an internal structure, the portal carries all characters into secondary worlds that are internalized through magical thinking. These worlds guide, on a mythical level, unconscious fears and reformulate characters. The wardrobe is, in the end, a projection of an internal portal Lucy has to approach and enter, in order to find the land of Narnia hidden inside of her.
Bibliography
Attebery, Brian, The Fantasy Tradition in American Literature, Bloomington, Indiana University Press, 1980.
Braga, Corin, 10 studii de arhetipologie, Polirom, 2006.
Campbell, Lori M., Portals of Power, Jefferson, McFarland & Company, 2010.
Coleridge, Samuel Taylor, Biographia Literaria, The Project Gutenberg EBook, 2004.
Hume, Kathryn, Fantasy and Mimesis, New York, Methuen, 1984.
Lewis, C. S., The Lion, the Witch and the Wardrobe, HarperCollins e-books, 2008.
MacDonald, George, “The Fantastic Imagination” (1893), Introduction from The Light Princess and other Fairy Tales. Web: http://gaslight.mtroyal.ca/ortsx14.htm, accessed on 20. 02. 2014.
Manlove, C. N., Modern Fantasy: Five Studies, Cambridge, Cambridge University Press, 1975.
Mendlesohn, Farah, Rhetorics of Fantasy, Middletown, Wesleyan University Press, 2008.
Pavel, Thomas, “The Borders of Fiction,” in Poetic Today, Vol. 4, No. 1/1983, pp. 83-88.
Pavel, Thomas, Fictional Worlds, Cambridge, Harvard University Press, 1986.
Tolkien, J. R. R., “On Fairy Stories,” Web: http://public.callutheran.edu/~brint/Arts/Tolkien.pdf, accessed on 20. 02. 2014.
Wolf, Mark J. P., Building Imaginary Worlds, New York, Routledge, 2012.
Wolfe, Gary K., Critical Terms for Science Fiction and Fantasy, New York, Greenwood Press, 1986.
This work was supported by a grant of the Romanian National Authority for Scientific Research, CNCS – UEFISCDI, project number PN-II-ID-PCE-2011-3-0061.
Notes
[1] Marius Conkan, “Intermediary Spaces in Fantasy Literature,” in Iulian Boldea (ed.), Studies on literature, discourse and multicultural dialogue, Târgu-Mureş, Arhipelag, 2013.
[2] See Corin Braga, 10 studii de arhetipologie, Polirom, 2006.
[3] See Brian Attebery, The Fantasy Tradition in American Literature, Bloomington, Indiana University Press, 1980, p. 2: „Any narrative which includes as a significant part of its make-up some violation of what the author clearly believes to be natural law – that is fantasy.”; Kathryn Hume, Fantasy and Mimesis, New York, Methuen, 1984, p. xii: „By fantasy I mean the deliberate departure from the limits of what is usually accepted as real and normal.”; C. N. Manlove, Modern Fantasy: Five Studies, Cambridge, Cambridge University Press, 1975; Gary K. Wolfe, Critical Terms for Science Fiction and Fantasy, New York, Greenwood Press, 1986, p. 38-40.
[4] The Lion, the Witch and the Wardrobe (1950) is the first published book in The Chronicles of Narnia series; following the storyline this book is the second part, being anticipated by The Magician’s Nephew (1955) where the genesis of Narnia is described.
[5] C. S. Lewis, The Lion, the Witch and the Wardrobe, HarperCollins e-books, 2008, p. 6-7.
[6] George MacDonald, “The Fantastic Imagination” (1893), Introduction from The Light Princess and other Fairy Tales. Web: http://gaslight.mtroyal.ca/ortsx14.htm, accessed on 20. 02. 2014.
[7] Brian Attebery, op. cit., p. 3.
[8] Farah Mendlesohn, in Rhetorics of Fantasy, identifies and discusses four types of fiction present in fantasy literature: portal-quest, immersive, intrusive and liminal. Portal-quest fantasy fiction (a concept taken from Medlesohn for this study) relies on portals in order to access fantastic world.
[9] Samuel Taylor Coleridge, Biographia Literaria, The Project Gutenberg EBook, 2004, p. 194.
[10] See J. M. Barrie, Peter Pan şi Wendy, Translated by Ovidiu Constantinescu and Andrei Bantaş, Chişinău, Prut Internaţional, 2008.
[11] See J. R. R. Tolkien, “On Fairy Stories,” Web: http://public.callutheran.edu/~brint/Arts/Tolkien.pdf, accessed on 20. 02. 2014.
[12] Thomas Pavel, “The Borders of Fiction,” in Poetic Today, Vol. 4, No. 1/1983, p. 83-88.
[13] Idem, Fictional Worlds, Cambridge, Harvard University Press, 1986.
[14] Idem, “The Borders of Fiction”, p. 85.
[15] Idem, Fictional Worlds, p. 77.
[16] See Lori M. Campbell, Portals of Power, Jefferson, McFarland & Company, 2010, p. 6: the portals are „all those living beings, places, and magical objects that act as agents for a hero(ine) to travel between worlds and/or to access higher planes of consciousness.”
[17] See Farah Mendlesohn, Rhetorics of Fantasy, Middletown, Wesleyan University Press, 2008.
Marius Conkan
Babeş-Bolyai University, Cluj-Napoca, Romania
mariusconkan@yahoo.com.sg
On the Nature of Portals in Fantasy Literature
Abstract: This paper aims to analyze the nature of portal in fantasy literature. The portal is at the heart of mapping and building imaginary objects, creatures and situations that configure the alternative space. The symbolic journey a character makes through the portal is the matrix of fantasy fictions. Beyond the arguments that aim at revealing the structures of imaginary worlds, there are some questions that still need answers: What is a portal? A frontier, a process or maybe both? Are we talking about physical space, or rather about an internal and abstract dimension?
Keywords: Fantasy literature; Imagination; Portal; Border; Secondary world.
What is a portal? What role does it play in fantasy literature? Using the portal as a theoretical lens, could we access a new perspective on this kind of literature? What is the rabbit hole through which Alice descends in Wonderland, or the wardrobe where the Pevensie brothers enter Narnia? Can these intermediary spaces take on a conceptual and cultural importance, beyond their thematic function of transporting characters into alternative worlds?
I tackled this issue, as a first step, in my study entitled “Intermediary Spaces in Fantasy Literature”[1]. There I focused on tracing some of the main directions from which one can start conceiving a morphology of space in fantasy literature, despite not having analyzed the entire theoretical nature of the portal. On the one hand during the Renaissance scarred by a tromendous censorship of the imaginary, the magical thinking was a metaphorical portal towards the ocult world of the spirits. On the other hand the concept of portal was refined in Romanticism by transferring the fantastic from the methaphysical to the psychological level. Hence, the romantic double is a symptomatic portal opening the human spiritual abyss and the unconscious[2]. In the same study, I showed how the portal can display a metaphorical and conceptual function next to a thematic and literal one. The metaphorical and conceptual trait is showcased in the way in which researchers like C. N. Manlove, Gary K. Wolfe, Brian Attebery etc. have defined fantasy literature as a territory of the impossible that violates and restructures the laws of reality[3].
In the radical dichotomy between a consistent (possible) reality and alternative worlds (supernatural and impossible) we encounter a theoretical border, a red thin line, that can be difficult to cross. But what if we were to understand such a frontier as a metaphorical portal? Why should the perceived reality and the impossible one be opposed to one another and what is the structure of this settled frontier between them? Aren’t thematic portals in fantasy fiction a mirror and a sign of the limits that researchers touch upon when dealing with this type of fiction? I am convinced that if we were to take the thematic portals (id est intermediary spaces) as a starting point, we can find more arguments for a complex understanding of fictional worlds (fantastic or not). These worlds are related and at the same time separated from the actual world by a metaphorical portal. In other words, a close analysis of the passages towards the fantastic world will not only ensure the proper concepts that enable a different perspective on the frontiers (and passages) between actuality and fiction, but also assure a better understanding of the relationship between the actual world and the imaginary constructions inside of it (heterotopias).
The Lion, the Witch and the Wardrobe, by C. S. Lewis, is the second book[4] in The Chronicles of Narnia and contains one of the most famous portals in fantasy literature: the wardrobe (maybe only the rabbit hole in Alice’s Adventures in Wonderland can surpass in fame this well-known piece of furniture). The novel tells the story of the Pevensie brothers (Lucy, Edmund, Susan and Peter), that enter Narnia through a wardrobe and are guided by the lion Aslan. They all join forces in order to destroy the dystopia imposed by Jadis, the White Witch, and, thus, to reestablish the paradisiac nature of Narnia. Lucy, the youngest of the Pevensies, is the first to enter the land of Aslan and this is how C. S. Lewis describes the scene:
Looking into the inside, she saw several coats hanging up — mostly long fur coats. There was nothing Lucy liked so much as the smell and feel of fur. She immediately stepped into the wardrobe and got in among the coats and rubbed her face against them, leaving the door open, of course, because she knew that it is very foolish to shut oneself into any wardrobe. Soon she went further in and found that there was a second row of coats hanging up behind the first one. It was almost quite dark in there and she kept her arms stretched out in front of her so as not to bump her face into the back of the wardrobe. She took a step further in — then two or three steps — always expecting to feel woodwork against the tips of her fingers. […] Next moment she found that what was rubbing against her face and hands was no longer soft fur but something hard and rough and even prickly. “Why, it is just like branches of trees!” exclaimed Lucy. […] A moment later she found that she was standing in the middle of a wood at night-time with snow under her feet and snowflakes falling through the air[5].
C. S. Lewis does not offer any rational explanations that would decrypt and trace this miraculous crossing through the wardrobe. We encouter such rational explanations especially in science fiction, a literature that sets the stage for a distant future and depicts alternative worlds as a product of technological progress. These worlds are mapped and accessed through scientifical portals, after the latter’s rational mechanism is deciphred. But this is not the case in the scene described by C. S Lewis. There is a brief and mysterious account of the moment in which Lucy enters Narnia and thus turning the wardrobe from an ordinary object, with a specific utility in the actual world (see the image of the mothball), into a magical portal. Hence, the sense of wonder, in this case, is obtained through overlapping two distinct features of the wardrobe: the first nature is the rational one, characterizing an object of domestic utility, while the other attribute is magical and irrational, turning the wardrobe into a point of passage towards Narnia. The narrative perspective and Lucy’s reaction display the way in which the two antithetic traits of the wardrobe interact and communicate with one another. Lucy crosses and opens the wardrobe like any other known space. Throughout the novel, Lucy is the only character that exhibits a fundamental magical thinking and never questions the existence of Narnia or that of the lion Aslan. The passage through the wardrobe is narrated like a meaningless account. What we witness in fact is how Lewis enhances the miraculous feature of the portal. There is a symmetry in the images that hallmark the contradictions of the two worlds intertwined by the portal, because the rational (actual) nature of the wardrobe is mirrored and reversed in its irrational (magical) part: the moth powder (an image of a rather aged order) is replaced in Narnia by snow; the fur coats (images of death) disappear in Narnia to become living and fabulous creatures; the tree turned into the wardrobe is actually a symmetrical image of the pine tree; in the room left behind by Lucy, daylight appears while Narnia is already engulfed by night. Hence, I will focus on three stategies that generate the sense of wonder and recreate the magical feature of the portal.
The first is the narrative strategy and serves C. S. Lewis to recount, from a familiar and rational point of view, a miraculous happening (the path through the wardrobe, towards another world). The magic of the wardrobe persists, as the narrator describes Lucy’s journey toward Narnia, without turning it into an extraordinary voyage. The second strategy consists of turning an object that has a precise utility into a vehicle that carries one into the Other World. This „becoming” of the wardrobe is depicted authentically by juxtaposing its two main features (a simple object, but also a passage towards an unknown world). The third strategy enables a symmetry of images that show a reverse/mirroring of the initial space in the alternative world. Such symmetries provide a slow and imperceptible crossing (for reader and character alike) into Narnia. Being similar from a denotative point of view (see the moth powder versus the snow), these images either recieve radical and antithetic connotations (the fur coats versus the creatures of the lion Aslan), or compose a symbolical and common map of the two worlds, related solely through the wardrobe (the moth powder is a sign of a rational and enclosed world, and can be placed in Narnia on a symbolic level with the eternal winter created by Jadis the witch).
Therefore, all these narrative and imaginary strategies turn the wardrobe into a magical portal and mediate, using a familiar framework, the way in which characters enter and connect to the alternative world. Thus, the sense of wonder appears through rational and precise structures that grant to an object (wardrobe) unreal functions (the wardrobe as a passage towards the Other World). But the object will take on these imaginary traits in such a natural manner and will ultimately reproduce the illusion of reality. Hence, characters and readers alike believe that the wardrobe really opens an alternative world. In other words, a possible object (wardrobe), having a clearly defined meaning in the actual world (we do keep clothing inside), recieves an imaginary meaning (the wardrobe is the pathway towards Narnia). Moreover, these two meanings do not appear in contrast or in an antithetical relation, but rather display continuity and dialogue (the wardrobe can also be a vehicle towards other worlds). This strategy characterizes the entire production of imaginary objects in fantasy literature and is, in fact, a two-step action.
Firstly, the possible object recieves an imaginary meaning or one is transferred from an other possible object (the wardrobe turns into a vehicle). At this level, the effort of producing imaginary objects is purely combinatorial, as the sentence Lucy enters through the wardrobe into Narnia lacks a context to be credible. Fantasy literature is not a figment of the imagination and does not chaotically combine possible structures (as it is the case in surrealist literature, for e.g.). The initial meaning and the newly aquired one will enter a dialogue, through a proper narrative context and after the possible object recieves an imaginary meaning. On this second level, the wardrobe is at the same time a piece of furniture and a gateway towards an unknown realm. Furthermore, Lucy and the reader are persuaded that the wardrobe will keep both its meanings (see how C. S. Lewis describes the passage towards Narnia suggests this). To be more precise, the way in which an object recieves imaginary meanings is told as an ordinary and veridical fact, but we actually witness a subtle subversion of logical reality. This is how magical portals are created in other famous fantasy novels, like the rabbit hole in Alice’s Adventures in Wonderland or the picture in The Voyage of the Dawn Treader (1952), by C. S. Lewis. These are portals that overlay, in a credible narrative context, the possible object (the rabbit hole and the picture) and their imaginary meanings (the rabbit hole and the picture are gateways to Wonderland and Narnia), so that ordinary objects are transformed into structures with fantastic traits. The magical feature of portals does not solely involve ascribing to a rabbit hole or a picture the quality of being a passage towards the alternative world, but also how such familiar objects of reality are percieved as vehicles towards other worlds. Such an effort awards consistency and autonomy to the alternative worlds that, despite containing imaginary objects, inexistent in the actual world, can be built on a system of veridical relationships between these particular elements.
George MacDonald, one of the first fantasts, showcases a similar understanding of the consistency and the autonomy of fantasy worlds: “[the] world once invented, the highest law that comes next into play is, that there shall be a harmony between the laws by which the new world has begun to exist; and in the process of his creation, the inventor must hold by this laws. The moment he forgets out of them, he makes the story, by its own postulates, incredible”[6]. Just as reality functions according to rigorous laws that deliver and nurture its consistency, the fantasy world must be woven and guided by its own internal laws that make it credible and not merely a product of fancy. By mentioning these laws that deliver the bone structure of fantasy fiction, MacDonald comes close to the way in which imaginary objects are created by juxtaposing their multiple possible meanings. Hence, the internal law of fantasy fiction generates familiar frameworks for impossible objects and events. The latter feeds on possible structures that are transformed, combined and continued into new scenarios, without altering their original meaning. To quote, in this respect, Brian Attebery: “Fantasy invokes wonder by making the impossible seem familiar and the familiar seem new and strange. When you put a unicorn in a garden, the unicorns gains solidity and the garden takes on enchantment”[7].
The internal law of fantasy fiction enters a reciprocal and direct relationship with the production of imaginary objects, as I previously mentioned. In portal-quest fantasy fiction[8], the first imaginary object to display such laws is, of course, the portal. Nothing seems to disturb the quasi-realist narration, that is until one of the characters goes through a portal. But, in the moment in which an ordinary object is turned, in a credible manner, into a portal, the internal laws of the fantasy world is put into action. Hence, for example, Tumnus the fawn with his umbrella, the first creature Lucy meets in Narnia, will look normal to her. The law of the fantasy world is, therefore, reflected in the way in which an ordinary object becomes a magical portal. This path is also contained in the relationship between the primary and the secondary imagination, as Coleridge has shown. The secondary imagination will reshape the creation of the primary one:
The Imagination then I consider either as primary, or secondary. The primary Imagination I hold to be the living power and prime agent of all human perception, and as a repetition in the finite mind of the eternal act of creation in the infinite I AM. The secondary Imagination I consider as an echo of the former, co-existing with the conscious will, yet still as identical with the primary in the kind of its agency, and differing only in degree, and in the mode of its operation. It dissolves, diffuses, dissipates, in order to recreate: or where this process is rendered impossible, yet still at all events it struggles to idealize and to unify. It is essentially vital, even as all objects (as objects) are essentially fixed and dead[9].
The secondary imagination involves a process that enables the recreation of a possible object (as an element of the ‘real’ world) in fantasy literature as an imaginary object (and, thus, impossible). The secondary imagination, through a conscient and deliberate creative act, “dissolves,” “diffuses,” and “dissipates” the primary functions of objects. Coleridge sees in the secondary imagination the process through which all literature is created. How secondary imagination operates in the portal-quest fantasy fiction is visible, first and foremost, in building the magical portal. As an agent of human perception, primary imagination maps the existing nature of the object, even before its rendering as a portal towards other worlds. While hiding in the wardrobe, Lucy’s perception on the piece of furniture is filtered by the primary imagination that integrates the meaning and the nature of the wardrobe in the system of her known reality. Afterwards, the primary imagination is continued and overtaken by the secondary one that will award the wardrobe a previously inexistent nature, without severing the meaning given by the primary imagination. This meaning will enter a dialogue with the wardrobe’s second nature (vehicle carrying towards an unknown world) and will create the sense of wonder. Hence, the wardrobe is the place where the primary imagination and secondary one interfere, so that the portal reflects the neccessary mechanism that delivers imaginary objects in fantasy literature. In other words, the way in which an ordinary object turns into an imaginary one depends on the manner in which a wardrobe, a rabbit hole and a picture become magical portals, without ever losing their primary meaning. On the contrary, the primary and secondary meaning of the object become one and contribute decisively to the emergence of the sense of wonder. The shadow of Peter Pan[10], for example, despite being coiled up and placed by Mrs. Darling in a drawer, does not showcase a sense of wonder through the loss of the practical meaning of what a shadow really is, but rather through the way in which the depiction of a familiar context attaches the meaning of another possible object (a fabric that can be coiled up). Furthermore, despite knowing it is a shadow (on the level of primary imagination), Mrs. Darling percieves Peter Pan’s shadows as a piece of clothing and puts it into the drawer (on the level of the secondary imagination) and, thus, constructing a credible irreality.
That is how fantasy literature spawns the sense of wonder. Fantasy literature transfers on objects and things extrinsic traits, but keeps their primary (possible) nature in consubstantiality, verosimilitude and familiarity with their second (impossible) nature. Hence, fantasy literature does not oppose reality, but overlays in a rational manner multiple forms of reality and numerous, incompatible functions of objects. Fantasy is reality as a broken mirror finding its coherence and consistency in this sort of fragmentation. The fantast will not remake the broken glass in order to solve a puzzle, while trying to recreate an original image, but will suture all incompatible and incongruent pieces together, in order to concieve new structures that have their own essence, as it is the case for the imaginary objects, creatures and situations. Such fictional worlds, in J. R. R. Tolkien’s own words, are a product of the Sub-creation that reassambles images and concepts of the real world[11]. Tolkien sheds a different light on the relationship established by Coleridge between primary and secondary imagination, especially by distinguishing between the primary world – as a product of the divine creation – and the secondary world – built by the Sub-creator (these concepts are often used and discussed by researchers of fantasy literature). Close to George MacDonald’s arguments, that touch upon the necessity of an internal law granting consistency and credibility to the fantastic world, Tolkien argues that the Sub-creator must build the secondary world as such, that it can be percieved as real. This perception is linked to the Secondary Belief and presupposes that the reader believes in the fantastic world, as he or she believes in the primary one.
All these standpoints above can be brought together if we peel off any mystical shell and investigate the poetics of fantasy fictions. The latter is synthesized in the way in which objects, characters and their connections in the secondary world are created, animated and activated by an initial crossing through portals – aspects I discussed in the current paper. Such a perspective places the portal at the heart of mapping and building imaginary objects, creatures and situations that configure the alternative space. The symbolic journey a character makes through the portal (from the primary imagination to the secondary one, from the ex-nihilo creation to the Sub-creation, from a primary to a secondary world) is the matrix of fantasy fictions. Beyond these arguments that aim at revealing the structures of imaginary worlds, there are some questions that still need answers: What is a portal? A frontier, a process or maybe both? Are we talking about physical space, or rather about an internal and abstract dimension?
Potential answers can be found in Thomas Pavel’s theory on possible worlds. Despite not having used and analyzed the concept of portal, per se, or the manner in which such a term can help redefine imaginary world, Thomas Pavel offers a theoretical framework that can be extendend, reshaped and reformed, if we apply the concept of the portal. His paper “The Borders of Fiction”[12], that was later modified an integrated in his book Fictional Worlds[13], exhibits the distinction between profane reality and the mythical world by:
[Describing] the ontology of societies which use myths, one needs at least two different ontological levels: the profane reality, characterized by ontological paucity and precariousness, and a mythical level, ontologically self-sufficient, unfolding in a privileged space and in a cyclical time. Gods and heroes inhabited the sacred space; but this space was not seen as fictional; if anything, it was ontologically superior, endowed with more truth[14].
Fantasy literature contains imaginary worlds created through revisiting and recycling classical myths. These worlds are, on the one hand, complex and sophisticated constructions, built on the narrative structures of the fairy tale. On the other hand, they forge new myths (starting with old ones) and reach a form of sacrality. For example, the land of Narnia is a hybrid, a mixture of ancient greek, celtic and christian myths that manufacture an original myth, the one of the lion Aslan – and all characters firmly believe in the truth and in the functionality of this myth. Furthermore, the relationship Thomas Pavel identifies between the profane reality that is ontologically precarious, and the mythical level, ontologically superior and having more truth, is similar to the connection between the primary and the secondary world Tolkien thackles in “On Fairy Stories.” The secondary world (accessed through magical thinking) is charged with a higher degree of ontology then the primary world. The latter is temporary abandoned by the characters with the main purpose of taking a journey of initiation towards other realms. Thomas Pavel calls the crossing from a profane reality to a mythical level – in Tolkien’s words from the primary to the secondary (sacred) world – mythification:
The transferring of an event across the border of legend can be labeled mythification. The distant kinship between mythification and what the Russian formalists called defamiliarization is worth noticing: for what else is it to project an event into a mythical territory if not to put it into a certain kind of perspective, to set it at a comfortable distance, to elevate it into a higher plane, so that it may easily be contemplated and understood?[15]
From this point of view, the portal is the actual process of mythification, as it transferrs the primary world into the secondary (sacred) one. For example, the wardrobe as an imaginary space is the projection of an internal portal that mythifies characters. The Pevensies, ordinary pupils in the primary world, are mythified in the land of Aslan. Hence, the mythifying portal is a pathway towards accessing higher planes of consciousness[16] and portal-quest fantasy fiction involves crossings, transitions, negotiation and experience[17] – stages present in a journey of initiation into the imaginary world.
The portal is not only the mythification process itself, but also an open border between rational and magical thinking, between I and non-I, and between conscious and the unconscious. The portal designates but also erases all disjunctions and contradictions that exist between two worlds different in nature, as it will dismantle any similar manifestations between the characters’ primary and imaginary identity. On the level of building secondary worlds, the manner in which normal objects and spaces are turned into a magical portal uncovers the way in which all imaginary objects, characters and situations are shaped in fantasy literature. But as an internal structure, the portal carries all characters into secondary worlds that are internalized through magical thinking. These worlds guide, on a mythical level, unconscious fears and reformulate characters. The wardrobe is, in the end, a projection of an internal portal Lucy has to approach and enter, in order to find the land of Narnia hidden inside of her.
Bibliography
Attebery, Brian, The Fantasy Tradition in American Literature, Bloomington, Indiana University Press, 1980.
Braga, Corin, 10 studii de arhetipologie, Polirom, 2006.
Campbell, Lori M., Portals of Power, Jefferson, McFarland & Company, 2010.
Coleridge, Samuel Taylor, Biographia Literaria, The Project Gutenberg EBook, 2004.
Hume, Kathryn, Fantasy and Mimesis, New York, Methuen, 1984.
Lewis, C. S., The Lion, the Witch and the Wardrobe, HarperCollins e-books, 2008.
MacDonald, George, “The Fantastic Imagination” (1893), Introduction from The Light Princess and other Fairy Tales. Web: http://gaslight.mtroyal.ca/ortsx14.htm, accessed on 20. 02. 2014.
Manlove, C. N., Modern Fantasy: Five Studies, Cambridge, Cambridge University Press, 1975.
Mendlesohn, Farah, Rhetorics of Fantasy, Middletown, Wesleyan University Press, 2008.
Pavel, Thomas, “The Borders of Fiction,” in Poetic Today, Vol. 4, No. 1/1983, pp. 83-88.
Pavel, Thomas, Fictional Worlds, Cambridge, Harvard University Press, 1986.
Tolkien, J. R. R., “On Fairy Stories,” Web: http://public.callutheran.edu/~brint/Arts/Tolkien.pdf, accessed on 20. 02. 2014.
Wolf, Mark J. P., Building Imaginary Worlds, New York, Routledge, 2012.
Wolfe, Gary K., Critical Terms for Science Fiction and Fantasy, New York, Greenwood Press, 1986.
This work was supported by a grant of the Romanian National Authority for Scientific Research, CNCS – UEFISCDI, project number PN-II-ID-PCE-2011-3-0061.
Notes
[1] Marius Conkan, “Intermediary Spaces in Fantasy Literature,” in Iulian Boldea (ed.), Studies on literature, discourse and multicultural dialogue, Târgu-Mureş, Arhipelag, 2013.
[3] See Brian Attebery, The Fantasy Tradition in American Literature, Bloomington, Indiana University Press, 1980, p. 2: „Any narrative which includes as a significant part of its make-up some violation of what the author clearly believes to be natural law – that is fantasy.”; Kathryn Hume, Fantasy and Mimesis, New York, Methuen, 1984, p. xii: „By fantasy I mean the deliberate departure from the limits of what is usually accepted as real and normal.”; C. N. Manlove, Modern Fantasy: Five Studies, Cambridge, Cambridge University Press, 1975; Gary K. Wolfe, Critical Terms for Science Fiction and Fantasy, New York, Greenwood Press, 1986, p. 38-40.
[4] The Lion, the Witch and the Wardrobe (1950) is the first published book in The Chronicles of Narnia series; following the storyline this book is the second part, being anticipated by The Magician’s Nephew (1955) where the genesis of Narnia is described.
[6] George MacDonald, “The Fantastic Imagination” (1893), Introduction from The Light Princess and other Fairy Tales. Web: http://gaslight.mtroyal.ca/ortsx14.htm, accessed on 20. 02. 2014.
[8] Farah Mendlesohn, in Rhetorics of Fantasy, identifies and discusses four types of fiction present in fantasy literature: portal-quest, immersive, intrusive and liminal. Portal-quest fantasy fiction (a concept taken from Medlesohn for this study) relies on portals in order to access fantastic world.
[10] See J. M. Barrie, Peter Pan şi Wendy, Translated by Ovidiu Constantinescu and Andrei Bantaş, Chişinău, Prut Internaţional, 2008.
[11] See J. R. R. Tolkien, “On Fairy Stories,” Web: http://public.callutheran.edu/~brint/Arts/Tolkien.pdf, accessed on 20. 02. 2014.
Les symboles du passage : la porte et l’escalierSymbols of passage: the gate and the stairs
Crina-Magdalena Zărnescu
Université de Piteşti, Roumanie
crina_zarnescu@yahoo.fr
Les symboles du passage : la porte et l’escalier /
Symbols of passage: the gate and the stairs
Abstract: The universe has since time immemorial been considered unique and unitary. The visible meets the invisible, the sensorial meets the intelligible, the sacred meets the profane, the human meets the divine. There are spaces of communication, of passage, of correspondence where humans comes into contact with the cosmos by an imagined hereafter which makes them aware of a genuine fundamental unity. This paper analyses some passage symbols as the gate and the stairs, whose semantic is rendered even more intense by their encounter with the myth on the diachronic-vertical axis and with arts on the synchronic-horizontal axis.
Keywords: Fantasy; Portal; Gate; Stairs; Symbol; Myth; Fractal.
Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut : ce qui est en haut, est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose.
Hermès Trismégiste
On se demande pourquoi ces derniers temps la littérature de science-fiction ou fantasy a pris un tel essor, multipliant le nombre de fans et envahissant des territoires vastes de la création littéraire et cinématographique. Serait-ce ce désir de l’individu de revivre l’enfance quand tout était possible et de se libérer des contraintes du monde « adulte », ou, peut-être, de trouver un contrepoids à une société mercantile qui semble avoir anéanti le rêve et l’imagination ? Quoi qu’il en soit, par ce genre de création l’homme rencontre au plus profonde de lui-même l’homo religiosus qui vivait aux temps immémoriaux dans l’intimité du sacré et du magique. Comme disait Mircea Eliade le profane se laisse parfois transpercer par les signes annonciateurs d’un autre monde apparemment invisible ou englouti dans le visible souvent trompeur et qui complète ainsi l’individu « unidimensionnel ». Par l’imaginaire l’homme acquiert « la troisième dimension » qui confère à son existence le sentiment de vivre intensément par une surabondance du vécu, cette « éternité retrouvée » dont parle G. Durand[1]. L’espace-temps de l’imaginaire est différent par rapport au temps-espace intelligible et s’agrandit/ se dilate ou se diminue selon les vœux du personnage ou conformément à sa configuration. Par le fantastique, l’écrivain insère ou dissout le temps historique, chronologique – cette fatalité qui pèse sur l’homme, selon M. Eliade – dans un temps « atemporel », infini qui confère à l’individu la possibilité de mener une vie immensurable et immesurable par l’horloge. Cette fuite vers le point zéro de l’existence temporelle proclame le droit à l’éternité et inaugure le triomphe sur « l’entropie temporelle » ! [2]
L’univers est perçu depuis les temps les plus reculés comme unique et unitaire. Le visible se donne la main avec l’invisible, le sensoriel avec l’intelligible, le sacré avec le profane, l’homme avec la divinité comme dans une sorte de solidarité ontologique. Il y a des endroits de communication, de passage, de correspondance qui nous amènent à découvrir un monde d’analogies où tout signifie et entre en résonance pour rendre cohérent ce profond sentiment de communion spirituelle.
Le passage devient dans une lecture mythologique d’un simple mot insignifiant du dictionnaire un symbole chargé de significations qui relie l’imaginaire mythique au symbolisme littéraire, linguistique, artistique ou psychanalytique. Le passage est signalé par une série d’indices plus ou moins cryptiques à partir d’une simple ligne de démarcation géographique entre des pays différents et identités différentes – identité vs altérité – jusqu’aux portes et portails ou vortex qui apparaissent dans des textes et films, en tant que métaphores de la correspondance, de l’ouverture vers un monde autre, soumis à des réglementations insolites qui échappent à l’entendement commun. Le passage sous-tend, donc, une transgression des limites et qui implique, à la fois, un certain niveau de compréhension, de culture, de civilisation et, surtout, d’élévation spirituelle. Il faut avoir cette aptitude à percevoir le magique, à saisir l’invisible pour que l’individu dépasse l’état de « verrouillé » selon le langage potterien et appréhende les merveilles d’un autre monde. En passant, il faut rappeler que l’ouverture supposée par le passage va de pair avec la clôture et l’isolation (subjective) engendrées par le rythme de l’univers ainsi que par la rythmicité de la respiration –expiration/inspiration – ou pneuma, essence de l’existence et souffle vital. Le passage incite l’esprit aussi de par son ambiguïté sémantique, due, d’habitude, au glissement paradigmatique d’une séquence à une autre, à se laisser téléporter discrètement du réel au fantastique, du sacré au profane, du présent au passé dans une sorte de va-et-vient magique. Au niveau symbolique, le passage est susceptible de relever des problèmes ontologiques et métaphysiques du fait que le personnage est mis à l’épreuve dans cet autre monde où il s’achemine pour recouvrer son identité. Le passage parle alors d’une initiation et de la responsabilité dont le héros fait preuve en s’assumant certains devoirs. Au niveau rhétorique, le passage s’étaie sur une série de références subtiles qui densifient les rapports connotatifs entre le virtuel et le manifeste en investissant la métaphore d’une force de suggestion encore plus prégnante. L’au-delà fait coïncider espace et temps, considérés, par exemple, dans la physique quantique, comme des dimensions relatives parce que subjectives. Il y a un grand nombre de symboles du passage tels la porte, le seuil, le miroir, la cave, la grotte, le creux (d’arbre), l’escalier etc., mais qui peuvent être groupés ou insérés selon leur degré de ressemblance dans telle ou telle catégorie symbolique. Ainsi, la porte rassemble suivant l’ouverture sémiotique le miroir, le vortex, le seuil, la cave, la grotte, le creux (d’arbre), tandis que l’escalier ou l’échelle tout ce qui se rattache au symbolisme de l’ascension et de la verticalité, à savoir l’axe du monde, l’arbre cosmique, la ziggourat babylonienne, la tour, la croix et même la bibliothèque, si on pense à la bibliothèque imaginée par Borges et qu’on se représente comme un assemblage de lignes verticales et horizontales, de galeries, d’étages qui supposent autant de passages vers d’autres ouvertures mystérieuses.
1. La porte, le portail, le vortex. La porte a une longue tradition dans tous les mythes païens ou dans la religion judéo-chrétienne et remonte à des milliers d’années. Elle rassemble tout le réseau sémantique qui porte sur l’idée de passage soit sur l’horizontale des mondes parallèles, soit sur la verticale du monde divin qui abolit les contraintes temporelles dans un présent éternel. Jésus Christ – « Je suis la Porte », la porte entre l’Ancien et le Nouveau Testament – témoignait par son sacrifice de l’absolution de l’homme pêcheur devenu immortel et annonçait le passage de la vie terrestre à la vie supraterrestre, dans cet itinéraire qui inscrit l’homme dans son évolution de la terre vers le ciel. Son sémantisme riche lui accroît l’ambiguïté. La porte est l’invitation doublée d’une interdiction, elle est aussi l’aboutissement et le commencement, quelque étrange que paraisse ce voisinage lexical mais le passage qu’elle symbolise marque à la fois la fermeture d’un monde connu, la fin d’un voyage, et l’ouverture vers un monde inconnu, mystérieux, voire même terrifiant. Dans presque tous les mythes et légendes où il y a une porte il y a également une interdiction supposant une punition. Franchir le seuil c’est accepter les conséquences qui sont d’habitude de nature ontologique. Le franchissement du seuil fait partie de l’aventure initiatique à laquelle le protagoniste acquiesce. L’interdiction qui redouble le mystère rend encore plus tentante l’entrée dans cet au-delà. Pensons à deux contes de fées célèbres « Barbe-Bleu » de Charles Perrault ou bien « Jeunesse sans vieillesse et vie sans mort » de P. Ispirescu où le passage s’accompagne d’une punition.
Dans La poétique de l’espace, Gaston Bachelard évoque les vertus polyphoniques du symbolisme de la porte souvent contradictoires et permutables :
La porte c’est tout un cosmos de l’Entr’ouvert. C’en est du moins une image princeps, l’origine même d’une rêverie où s’accumulent désirs et tentations, la tentation d’ouvrir l’être en son tréfonds, le désir de conquérir tous les êtres réticents. La porte schématise deux possibilités fortes, qui classent nettement deux types de rêveries. Parfois, la voici bien fermée, verrouillée, cadenassée. Parfois, la voici ouverte, c’est-à-dire grande ouverte.[3]
L’interdiction doublée d’une punition est soit supposée, soit concrétisée par la présence des figures de monstres, variantes de cerbères, qui gardent l’entrée dans cet autre monde mystérieux. Ces gardiens – des êtres fabuleux – viennent comme toutes les autres figures syncrétiques des civilisations anciennes où ils représentaient à la fois des génies protecteurs d’un espace sacré contre des forces maléfiques et des démons ou des émanations diaboliques d’un monde infernal. Somme toute, le gardien est le signe du passage d’un monde à l’autre, d’une épreuve, voire même d’un reflet des angoisses ou des peurs qui gisent dans le subconscient de l’individu face à l’inconnu. Tous les animaux fabuleux qui apparaissent dans la série Harry Potter et rythment l’évolution spirituelle du jeune homme évoquent autant les obstacles surgis devant lui que les réverbérations de ces propres craintes. Passer ces épreuves, franchir les obstacles et les seuils supposent une confrontation avec soi-même, un affranchissement de ses propres monstres (le chaos qui règne à l’intérieur) et des limites humaines pour recouvrer l’harmonie et restructurer sa personnalité ainsi aguerrie. Il s’ensuit que le seuil qui fait partie aussi du symbolisme du passage se rattache à la porte et à l’idée de transcendance. Il est toujours protégé par des entités douanières. Le seuil symbolise à la fois l’union et la séparation et par sa présence implicite dans l’ensemble ésotérique de la porte il constitue un élément essentiel du passage. Franchir le seuil, rester sur le seuil ou être rejeté en-dehors, en voilà trois situations liés aux rites archaïques de passage qui signifient les deux premières le désir d’être accueilli, doublé d’une certaine hésitation et la troisième le refus net et l’interdiction. Ces expressions sont passées dans le vocabulaire usuel tout en conservant par leur côté imagé les traces du symbolisme mythique.
Le trou ou le creux (d’un arbre) et le miroir qui engloutissent Alice dans le roman de Lewis Carroll, Alice in Wonderland, sont autant de variantes de la porte en tant que passage. Ce creux ou trou qui s’apparente à la même famille symbolique que les autres éléments de passage fait téléporter la petite fille dans un autre monde. Le voyage dans ce monde à l’envers en est un initiatique. Elle acquiert par la suite un autre rapport avec les choses et les êtres de son monde et en parvient plus réfléchie. Le petit livre de Lewis Carroll est exploité différemment par les metteurs en scène. Qu’elle ingurgite des champignons hallucinogènes, qu’elle traverse un miroir ou tombe accidentellement dans le creux d’un arbre, Alice prend contact à travers ces « passages » avec un monde imaginaire amplifié par l’imagination de chaque personnage à part. C’est comme si elle passait d’un monde à l’autre à l’intérieur d’un même monde, paraît-il en spirales, créés par l’imagination individuelle et, selon les dimensions de cet autre monde, elle s’agrandissait ou se rapetissait. Tim Burton, le metteur en scène de la plus récente variante d’Alice, met en valeur des trajectoires différentes à peine esquissées par l’auteur, surchargeant le côté agressif du combat entre le bien et le mal. Alice, une sorte d’avatar de Jeanne d’Arc transposée dans un monde mythique, prend conscience des valeurs de sa propre vie réelle par la confrontation avec des éléments surnaturels qui transforment le comique des « personnages et des situations » dans un tragique existentiel. Les cartes deviennent les interfaces du Mal. Dans Les Chroniques de Narnia, les enfants rencontrent leur projection idéalisée entrant dans le monde imaginaire par la porte d’une armoire magique qui sépare l’enfance d’une jeunesse responsable et engagée. Ce monde merveilleux les investit des forces à peine rêvées pour qu’ils puissent devenir des justiciers et rétablir un ordre aboli, dans le monde réel et qu’ils fuyaient à cause de la Seconde Guerre mondiale.
2. L’escalier est un ensemble unifié formé de lignes horizontales et verticales qui évoquent métaphoriquement un réseau très structuré des rapports entre le monde humain et le monde divin à l’intérieur de l’Existence universelle et les étapes qu’il faut parcourir pour accéder à un niveau supérieur. Lui-même symbole de passage, l’escalier ouvre la série d’éléments hiérophaniques qui correspondent à l’axis mundi : arbre, colonne, (colonne vertébrale) pont, ziggourat, voire même bibliothèque, échelle infinie de la connaissance supérieure. Le conte Jack et le haricot magique exploite l’idée d’axe qui unit la terre au ciel sous la forme de l’arbre cosmique ou l’arbre du monde qui apparaissait dans les traditions anciennes comme une sorte d’acquiescement du ciel de révéler aux humains les secrets divins. Ce sont aussi, selon M. Eliade, les marques de l’hiérophanie, les irruptions du sacré dans le monde profane. Mais, dans le conte, le haricot-escalier n’est qu’une opportunité pour Jack de trouver dans l’empire de l’ogre l’oie aux œufs d’or et s’enrichir par la suite. Un succédané symbolique de l’arbre est la harpe volée par Jack, un vrai psychopompe, qui relie par sa musique le ciel à la terre. On voit bien qu’il y a une série de variantes symboliques de l’escalier, bien ancrées depuis toujours dans la conscience humaine d’une unité foncière de l’univers où tout est en relation et les coupures, les fissures, s’il en existe, ne font qu’attirer l’attention sur la refonte de tous les éléments selon le pattern originaire.
L’escalier rythme surtout l’idée d’évolution spirituelle par l’ascension qu’on fait du monde humain vers le monde divin, des connaissances confinées au monde visible et réel vers les vérités supérieures, transcendantes et fondamentales. Variante métonymique de la bibliothèque, il constitue un « modèle cosmique » qui rappelle ses correspondances chez Borges ou Eco avec, sans doute, les charges philosophiques et sémiotiques appropriées à leur vision et investissant, par la suite, d’autres corrélations thématiques. Les étages et étagères coïncident avec les échelons comme autant de niveaux hiérarchiques représentant des mondes, à savoir les degrés de l’Existence universelle et de l’élévation spirituelle. Les marches ascendantes sont les reflets des anges dans l’imagerie ésotérique en tant qu’émanations supérieures de l’être divin. Dans la Bible et le Talmud de Jérusalem l’échelle « qui relie le haut et le bas possède le sens de l’octave car à chaque degré correspond un autre niveau. »[4] Le Christ et la croix, l’homme, le mont et l’arbre, le monastère se rattachent tous au symbolisme ascensionnel. Mais l’escalier indique une ascension graduelle et une voie de communication, à double sens, entre différents niveaux. Dans la série Harry Potter l’escalier évoque tous ces rapports symboliques rendus encore plus significatifs par le mouvement que font les parties de l’escalier quand les élèves de l’école des sorciers, le collège de Poudlard, le montent pour être à un moment donné déposés à tel ou tel étage. C’est une sorte d’escalier-ascenseur qui rappelle l’ascenseur des textes de M. Eliade, Pe strada Mântuleasa (Rue Mântuleasa) ou bien In curte la Dionis (Dans la cour de Dionysos) et qui fait partie d’une série symbolique marquée par l’idée de passage. Ainsi, le corridor, la galerie, l’escalier, l’étage, l’ascenseur, éléments du monde profane, deviennent dans la rhétorique symbolique de l’écrivain les manifestations d’un monde mythique, les dérivés du registre du passage qui se rattachent aussi au mythe du labyrinthe, du double et de tout véhicule qui facilitent l’ascension ou la descente vers un autre univers. Les rites du passage qu’on retrouve dans toutes les coutumes humaines symbolisé par l’échelle et sous de différentes formes dans la Bible parlent tous du voyage initiatique que fait l’âme du monde sensible au monde inintelligible, voyage qui évoque aussi l’existence d’un monde archétypal idéal, selon la conception platonicienne. M. Eliade synthétise ainsi tous les dérivés du symbolisme ascensionnel par la transcendance de la vocation humaine et la pénétration dans des niveaux cosmiques supérieurs.[5] Au fait, tous ces éléments symboliques du passage ainsi que l’idée qui les ressource, s’intègrent dans la conception d’un univers unique et unitaire où tout est en relation et correspondance.
Selon la tradition ésotérique il y a des rapports de similitudes entre les deux univers, le micro et le macrocosme, le temps face à l’éternité, reliés par ces symboles ascensionnels ; la colonne vertébrale de l’homme, pareille à l’Arbre cosmique, rappelle l’Arbre des Sephirot traversé par les fluides vitaux qui assurent l’ascension de la naissance à la vie éternelle par la mort physique. Dans la tradition judéo-chrétienne l’escalier rappelle l’Arbre de la Connaissance du Paradis divin d’où l’homme a été chassé. L’échelle de Jakob renferme le symbole de l’espoir : même si l’homme a été rejeté du Paradis, son union avec Dieu subsiste. Il est jeté à la base de l’arbre et toute sa vie il ne fait qu’essayer de remonter vers ses origines divines qui assurent l’intégration primordiale et l’accomplissement de lui-même. Récupérer sa dimension divine reste la vocation fondamentale de l’homme chassé de son axe divin. Dans l’Evangile selon Jean, Jésus Christ dit : « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie » pour compléter plus loin « Je suis la Porte », affirmation qu’il faut comprendre dans le sens de l’ascension de l’homme vers le monde divin. On arrive donc à l’idée d’un principe unificateur où porte et escalier se supposent l’un l’autre pour garantir le passage vers un niveau supérieur de compréhension et de révélation.
Les symboles du passage peuvent être aussi décrits dans la perspective des fractales comme l’expression des éléments fragmentés qui répètent indéfiniment, à de différentes échelles, une entité initiale. Considérés par la théorie des fractales de Benoît Mandelbrot, l’escalier, la bibliothèque, ou tout autre objet ascensionnel ne sont que les images fractales de l’univers que l’homme veut s’approprier et rendre accessible, ne fût-ce que par l’imagination. Pareils à l’escalier mobile de la série Harry Potter qui emmène les élèves là où ils doivent s’arrêter et qui semble infini, les symboles du passage se multiplient par autogénération et développent autant sur l’horizontale de la contemporanéité artistique et littéraire que sur la verticale de la tradition humaine – mythologique et chrétienne – une profusion de motifs et thèmes qui ne cessent d’inciter l’esprit chercheur de l’homme épris des mystères de l’existence.
Bibliographie
Gaston. Bachelard, La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1981.
Pierre Brunel (dir.) Mythes et littérature. Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1994.
J. Chevalier & A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont, 1982.
Gilbert Durand, Figures mythiques et visages d l’œuvre. De la mythocritique à la mythanalyse, Paris, Dunod, 1992.
Mircea Eliade, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, 1965.
Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Paris, Gallimard, 1969.
René Guénon, Symboles de la science sacrée, Paris, Gallimard, 1977.
Michel Leiris, « Le sacré dans la vie quotidienne », in Le Collège de Sociologie, 1937-1939, éd. Denis Hollier, Paris, Gallimard, 1979, rééd. Folio, 1995.
Annick de Souzenelle, Le symbolisme du corps humain, Paris, Albin Michel, 1991.
Notes
[1] Gilbert Durand, Figures mythiques et visages d l’œuvre. De la mythocritique à la mythanalyse, Paris, Dunod, 1992, p.281.
[2] Idem, p. 290.
[3] Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1981, p. 200.
[4] J. Chevalier& A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont, 1982, p. 384
[5] Ibidem, p. 386.
Crina-Magdalena Zărnescu
Université de Piteşti, Roumanie
crina_zarnescu@yahoo.fr
Les symboles du passage : la porte et l’escalier /
Symbols of passage: the gate and the stairs
Abstract: The universe has since time immemorial been considered unique and unitary. The visible meets the invisible, the sensorial meets the intelligible, the sacred meets the profane, the human meets the divine. There are spaces of communication, of passage, of correspondence where humans comes into contact with the cosmos by an imagined hereafter which makes them aware of a genuine fundamental unity. This paper analyses some passage symbols as the gate and the stairs, whose semantic is rendered even more intense by their encounter with the myth on the diachronic-vertical axis and with arts on the synchronic-horizontal axis.
Keywords: Fantasy; Portal; Gate; Stairs; Symbol; Myth; Fractal.
Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut : ce qui est en haut, est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose.
Hermès Trismégiste
On se demande pourquoi ces derniers temps la littérature de science-fiction ou fantasy a pris un tel essor, multipliant le nombre de fans et envahissant des territoires vastes de la création littéraire et cinématographique. Serait-ce ce désir de l’individu de revivre l’enfance quand tout était possible et de se libérer des contraintes du monde « adulte », ou, peut-être, de trouver un contrepoids à une société mercantile qui semble avoir anéanti le rêve et l’imagination ? Quoi qu’il en soit, par ce genre de création l’homme rencontre au plus profonde de lui-même l’homo religiosus qui vivait aux temps immémoriaux dans l’intimité du sacré et du magique. Comme disait Mircea Eliade le profane se laisse parfois transpercer par les signes annonciateurs d’un autre monde apparemment invisible ou englouti dans le visible souvent trompeur et qui complète ainsi l’individu « unidimensionnel ». Par l’imaginaire l’homme acquiert « la troisième dimension » qui confère à son existence le sentiment de vivre intensément par une surabondance du vécu, cette « éternité retrouvée » dont parle G. Durand[1]. L’espace-temps de l’imaginaire est différent par rapport au temps-espace intelligible et s’agrandit/ se dilate ou se diminue selon les vœux du personnage ou conformément à sa configuration. Par le fantastique, l’écrivain insère ou dissout le temps historique, chronologique – cette fatalité qui pèse sur l’homme, selon M. Eliade – dans un temps « atemporel », infini qui confère à l’individu la possibilité de mener une vie immensurable et immesurable par l’horloge. Cette fuite vers le point zéro de l’existence temporelle proclame le droit à l’éternité et inaugure le triomphe sur « l’entropie temporelle » ! [2]
L’univers est perçu depuis les temps les plus reculés comme unique et unitaire. Le visible s
“The Fantasy Complex” Close Reading: The Hobbit & The Lord of the Rings “The Fantasy Complex” Close Reading: The Hobbit & The Lord of the Rings
Tolkien’s Style of Fantasy: Hypotyposis, Metalepsis, HarmonismTolkien’s Style of Fantasy: Hypotyposis, Metalepsis, Harmonism
Utopia between Science-Fiction and IdeologyUtopia between Science-Fiction and Ideology
Simina Raţiu
Babeş-Bolyai University, Cluj-Napoca, Romania
ratiusimina@gmail.com
Utopia between Science-Fiction and Ideology
Abstract: The present study provides an insight into the utopian writing from the end of the nineteenth century and beginning to the twentieth, identifying the functions it fulfils and the processes through which it is able to solidify within the collective unconscious a new perspective regarding the functioning and governing rules of society or a new ideology. After identifying, classifying and defining the functions fulfilled by the literary construct emerging from utopia alongside SF, the research aims at organising the concepts of utopia, ideology and anti-utopia on an ascending ladder, thus marking the process through which utopia degenerates into ideology, as well as the anti-utopia’s ability to deconstruct utopia and ideology.
Keywords: Utopia; Science-Fiction; Ideology; Anti-utopia; Possible worlds.
Introduction
The following research started from the livresque encounter with Valerius Maximus who, in Factorum et dictorum memorabilium[1], uses a brilliant parable regarding the fictional worlds, parable which proved to be significant for the issues discussed in this article. In a conversation he once had with the philosopher, Alexander the Great stated that his plan was that of conquering the entire world. The philosopher offered him an answer which I consider to be fundamental for the cultural and human appropriation of any fictional text; he reclaims the nonsense of conquering the entire real world, visible in the existential context of so many parallel worlds. However, I cannot help but feeling something more within this parable than a game of language and imagination, namely an ontological legitimation of the worlds within words. Utopia (and here I refer to the utopian genre, which includes all the positive or negative versions found closer or further from the understanding of what is real), the main interest of the present study, broadly establishes itself for the reader as the projection of an alter-world, ready to be conquered step by step, in a monopolising gesture of being taken into possession. Utopia and its subgenres actually represent positive or negative versions of the so-called “real world”, or, to be clearer, of the “understanding of reality”.
Utopia
First of all, utopia is the literature of hope. In other words, utopia is the product of fictional projections: some of them come from articulating the hopes and fears of the time in which it was conceived and written, while others from their denial. The parallel world, imagined by the writer, always comes as an answer to the world in which he lives and writes. Apart from the real world, that belonging to the author, which functions as a landmark for other genres of fictional writing as well, any utopia contains within itself, through definition, two worlds: one is the landmark-world, the world of the author, the one from which the miraculous journey starts (which can be temporal or spatial), while the second is the world being discovered and subjected to a careful process of observation and comparison with the first. To paraphrase Arrigo Colombo, utopia represents the project and process of constructing a righteous and fraternal society.[2] The project of this world unwinds within an archetype structured in four main directions: virtue (namely justice, and more than that, brotherly love), communion (of goods, labour, life), prosperity (understood as the fair access to goods, as the right and liberty of having needs, respectively to work), and last but not least peace and happiness. The process, which is continuous and universal and which comprises within itself the project of this society, is centred upon the means of achieving, of constructing a society superior to the already existing one, by accomplishing and validating it.[3]
Nineteenth-Century Utopia
Secondly, the nineteenth-century utopia is the subject of change. In other words, “the West initiates new and problematic relations with History. The nineteenth century takes into account the results of the industrial revolution, thus exploiting, at a narrative level, the mythical dimension of progress, often related to the unilateral scientific and technological development.”[4] From this period forth, the journeys to heaven-like spaces tend to be replaced by time travells. The terrestrial paradise becomes incorporated into the image of a society which has distinct forms of organisation and gvernance. All these changes are possible and are being reclaimed since the technological and scientific progress. The future is mythicised, thus playing the role of the parallel world, of a utopian nature, and providing the necessary space for the unfolding of socialist projections. Jerome K. Jerome’s The New Utopia, H. G. Wells’ The Time Machine and When the Sleeper Wakes or Looking Backward by Edward Bellamy, as well as The Year 3000 by Paolo Mantegazza are just a few examples of utopias (I am referring here to utopia in a broad sense) in which the protagonists are capable of transgressing the limits of time, thus entering a world different from their own, a world intensely engaged politically and ideologically. From the socialist utopia to the anarchic visions, from the legislative projects belonging to the beginning of the century (those of Saint-Simon, Owen, Cabet, Fourier) to the rewriting and reinterpretation of journeys to heaven-like islands (Erewhon by Samuel Butler and The Island of Dr. Moreau by H.G. Wells), the nineteenth century has stored all types of utopian projections. Also, from a bicycle-like machine, but with an engine thoroughly described and engaged in scientific and technical explanations (The Time Machine) to a improvised balloon based on ancient science (Erewhon), or machines which mediate all human interactions (The Machine Stops), the period discussed here is highly populated and rendered by mechanisms and machines which, in the end, robotise and alienate.
How the Literature of Hope Is Achieved during the Nineteenth Century
The discussion regarding the nineteenth century utopia and the hyper-technologising tendencies of this period would not be complete without reflecting upon the strategies and forms which construct these fictional projections on one hand, and on the functions that this type of writing fulfils, on the other. The more schematic premise which represents the basis of my thesis is the one according to which one of the techniques used in creating utopian, hyper-technologized, parallel worlds (in balance with the trends of that given time), legitimising them afterwards, is the use of science fiction. Thus, science fiction creates mental projections which originate from reality, validating them through scientific explanations and delivering them to the reader with the assertion of verisimilitude. In other words, “SF deals with objects, characters, places, means of action, with a xeno-encyclopaedia that is not part of the encyclopaedia that compiles the representation of the reader’s world. A new imaginary universe can arise from the interactions between different added signifiers, which are given, in the eyes of the reader while reading, a certain verisimilitude by referring, either closely or distantly, to science, or at least its vocabulary, to fictional-words, which occure within a techno-culture.”[5] This approach to the SF genre (as a manner or, in other words, integrating part of utopia through which the latter delivers more easily to the reader certain world, forms of government, ideology etc. proposals) allows a more clear delineation of the functions met by the two concepts discussed here. Being often overlapping (for example K. Amis talks in the same paragraph about the history of science fiction, but also about the discovery of unknown lands, remote islands inhabited by a legendary gladiator and discovered by the explorers from utopias, without delineating the two concepts[6]), science fiction and utopia were in turn generated, as well as generating elements. According to Darko Suvin, “Strictly and precisely speaking, utopia is not a genre but the socio-political subgenre of science fiction. Paradoxically, it can be seen as such only now that SF has expanded into its modern phase, “looking backward” from its englobing of utopia. Further, that expansion was in some not always direct ways a continuation of classical and nineteenth century utopian literature. Thus, conversely, SF is at the same time wider than and at least collaterally descended from utopia; it is, if not a daughter, yet a niece of utopia – a niece usually ashamed of the family inheritance but unable to escape her genetic destiny”.[7] Somehow deriving from Suvin’s vision which places science fiction and utopia within the same family, I choose, for the porpoise of the following study, the option according to which the two concepts (utopia and SF) work together as processes, as narrative strategies in the creation of parallel worlds. However, the fact that the two concepts do not need each other in order to exist (there are utopias which lack SF, as well as excellent science fiction works from which utopianism is absent) has to be mentioned. Yet, the context within which the two intertwine creates, as I shall prove in what follows, both a tempting type of writing due to the pleasure it offers by reading about parallel worlds, as well as a convincing bridge towards ideology. I believe that by interconnecting their functions, the resulting parallel world has all the advantages needed in order to solidify within the collective unconscious new rules for the functioning or governing of societies or new ideologies. According to the same author mentioned earlier, “SF is distinguished by the narrative dominance or hegemony of a fictional ‘novum’ (novelty, innovation) validated by cognitive logic.”[8] Or, following the same line of thought “what differentiates SF from the ‘supernatural’ literary genres (mythical tales, fairy tales, and so on, as well as horror and/or heroic fantasy in the narrow sense) is the presence of scientific cognition as the sign or correlative of a method (way, approach, atmosphere, sensibility) identical to that of a modern philosophy of science.”[9] Thus, in this hyper-technologized world, SF establishes itself as a technique, as the most compatible genre with the prototypical mental structures, beliefs, programs and means of relating to history and otherness of the great mass. While the SF style creates and introduces within fiction an alter-reality, explaining it by appealing to scientific cognition, other types of fictional writing are not based on this condition of verisimilitude, which is vital for an age where science and technology become, step by step, triumphant over all areas of culture and life. Thus,: “The world of fantasy fiction doesn’t pretend to be a real reality, so it doesn’t arouse the same expectations as most other fiction; it doesn’t seem to insist that readers should behave in a certain way. The fantasy world is just there, to understand, to love – to enter.”[10] Unlike fantasy, the world into which the reader of scientific utopia enters – where the presence of SF established itself as a way of raising the narrative meaning, as I will show in what follows – offers an ideological load that corresponds to his/her known reality.
In an analysis regarding the functions fulfilled by utopia and science fiction, the first one, applicable only to utopia, is that of challenging the existing reality. Raymond Trousson[11] believes that utopia has the dynamic role of challenging the existing reality. This feature, which Trousson brings into question, places utopia within the sphere of marginality and transforms it into a social reaction of the groups that are not in power, born precisely out of the “diagnosis given to the social and economic situation.”
In the study Fictional Strategies and Political Message in Utopias,[12] Vita Fortunati argues that utopian literature has imposed a certain form of literary expression which deals with social institutions and political power in a critical manner; this brought alongside the advantage of free speech which the utopian writers have the possibility of using in regards to certain subversive themes. Ideas that might have been understood as heretical or assaulting, regarding the time and place in which the writer lives, can be expressed freely in utopian writings. However, the disadvantage regarding utopian literature, mentioned by Vita Fortunati, targets the message’s difficulty, the decoding strategies the reader must use in finding the hidden meaning, strategies which are not always aimed at this subversive nature, critical of society. Therefore, the author places the utopian writing within a double meaning type of discourse: on the one hand a jeu d’esprit, a dream that offers a refreshing digression from reality, and, on the other, a subtle critique of society, hidden beyond this dream of perfection. According to the author, the decoding and usage of this side of the utopian discourse will always need the reader’s willingness.
The first function fulfilled by both SF and utopia is the ontological one: these must create an alter-world, a parallel world. In any equation which involves the nineteenth century utopia, the world created is a narrative that depicts fortress or a society with perfect governing techniques, proving to be a new reflection of the world in its full complexity, with organisational forms, functioning laws and saving modus vivendi. To paraphrase Arrigo Colombo, literary utopia is a fantastic and unreal project, a mere mental exercise, a game.[13] According to the same author, the act of writing a utopia is, by excellence, a creative process accomplished by constantly appealing to the imaginary, the fantastic; furthermore, it can overlap the role of the game and the pleasure of playing, of fantasising and inventing.[14] In its turn, science fiction is understood by scholars as a “mental experiment”, “in and through possible worlds”.[15] Therefore, the genuine meaning of the two concepts discussed in the present study is, initially, that of creating fictional worlds or, in other words, fictional world matrices. Due to the fact that the two concepts embody and contain within themselves, at the same time, the uncreated potentiality, the two literary genres have the function of bringing into the world the uncreated, in its infinite variations, and of providing it to the reader, who then takes it into possession and uses it for his/her own aesthetic delight.
This first function fulfilled by both utopia and science fiction is further continued, at the levels of ideas, by a superior one – namely the mimetic function. In both literary genres, the constructed world is in accordance with the known one. Thus, the authors rely upon the introduction of new concepts in the clothing of the already known and well-established ones as social structures prototypes. Utopia, and here I refer to a utopia stripped of science fiction, suggests a parallel and superior world to the existing one, constructed however by constantly referring to what is real, or more precisely the convention of what is real. Although utopia conveys, at a narrative level, a nonlocum, namely the place that does not exist anywhere, at a conceptual and imaginary level this place is imagined starting from and referring to the same structures which make up reality. Even this “novum” contained by SF, which Suvin discusses, starts and reclaims itself from the reader’s known world by being delivered in the form of scientific, plausible explanations. In order to create this sensation of verisimilitude, SF writings, belonging to the end of the nineteenth century and beginning of the twentieth, place themselves under the umbrella of science’s omnipotence, solving everything by simply appealing to it. The two genres are actually imaginary readings which create the illusion of their ability to be validated as possible, or even likely to be achieved in reality. Or, as Roger Bozzetto argued, “SF deals with objects, characters, places, means of action, with a xeno-encyclopaedia that is not part of the encyclopaedia that compiles the representation of the reader’s world. A new imaginary universe can arise from the interactions between different added signifiers, which are given, in the eyes of the reader while reading, a certain verisimilitude by referring, either closely or distantly, to science, or at least its vocabulary, to fictional-words, which occur within a techno-culture.” [16]
This function is the one facilitating, preparing and paving the way to ideology. Originating from reality and creating a fictional world which bears anchored to itself the illusion of verisimilitude, the nineteenth-century utopia and science fiction translate into literature (under the form of digestible reading) the ideologies of those times (either the official ones, which manifest themselves, or the marginal ones which, through subversive means, seek the opportunity of establishing themselves as official).
Apart from the fact that utopia and science fiction simultaneously fulfil the ontological and mimetic (establishing a world in accordance with the entrenched mental structures, thus paving the way for the acceptance of new ideologies) functions, the generative is the third one achieved when the two genres act like a corpus. This function is actually understood as the capacity of the resulting structure’s centripetal force, on the one hand, to make other fictional works gravitate around it, by narratively and conceptually generating and nurturing them, while on the other, to influence the grand historical design. First of all, utopia (as a society of justice) acts as a role model, as a project which the historical process pursues and constructs[17], to the extent to which the real historical project becomes “less efficient” as it is placed further away from the utopian one.[18] Secondly, SF writers suggest new objects, actions and processes, as a result of imagination and scientific discovery, (raising towards impossible the meanings/elements which science has as applicable) which are in turn generating concepts and meanings matrices for other utopian projections. For example, Roger Bozzetto argues that “SF writers commit, more or less consciously, to creating a secondary encyclopaedic culture, which avoids resuming the same explanations. In the first chapter of The Time Machine, H.G. Wells suggests a theory of time travel based on a series of analogies. The following authors will step away from it, and the possibility of travel will be considered as an acquired good of the ‘SF encyclopaedia’”[19]. Furthermore, “a mutual imaginary fund is therefore created, from which following writers draw their inspiration, and which readers first tame and then assimilate. Each new theme leads to others which in turn serve for new stories […].”[20] “Many stories use and articulate those themes as a scientific and/or technological substratum – at least at the level of the vocabulary.”[21] Therefore, this formula is valid for narratives or, by extension, for all the world’s narratives, from the launching of new content and up to infinity, but also for the historical reality. On the one hand, the contents introduced by the types of literary works discussed in this study (utopia with a SF nature placed at end of the nineteenth century and beginning of twentieth) become a good, functional generator of new meanings. The dark chaos of objects, events, possible beings originates, therefore, from a predetermined order. On the other hand, the legislative projects, forms of government and propaganda originate from and are centred upon a utopian projection.
Assuming that, just as Todorovcu Tzvetan argues in regards to the fantastic, “the fantastic possesses, at first glance, a tautological function: it allows the description of a fantastic universe, and this universe has, because of this, no reality outside language; the description and the described are not very different in nature”[22] , I would place the SF genre somewhere halfway between reality and non-reality. As argued before, if the fantastic has not got an object in reality, if it only creates a world out of words, science fiction fulfils, in its turn, the path towards this castle of words only halfway, meaning that it uses for its foundation concepts, objects, laws from the reader’s own reality (science, medicine, technology etc.).
I think that this attribute of creating a new and ideologically unrestricted structure, which may comprise in its construction the threatening unknown or an “alternative understanding of the world” (expression belonging to Katherine Verdery[23]), this infinite freedom and even potentiality of creating new universes, facilitates, once again, the success of inherent ideological structures suggested, consciously or unconsciously, towards their acceptance, approval and appropriation from part of the implied reader. Therefore, the liberating function attributed to SF paves, alongside the issues discussed above (common to science fiction and utopia, both individually and taken together, in the creation of a unique corpus), the way to ideology.
By bringing together the five functions discussed above, it can be observed that the corpus created by the nineteenth century utopia, to which it is added, as in a magical blend, SF, not only facilitates, but also provides the right context for the implicit ideology’s success: first it creates a world which disregards the dominant ideology or reality’s limitation, and delivers it to the reader, tricking, confusing and giving him/her the sensation that the new which he/she is being offered is part of the prototypical mental structures, his/her cognitive logic and structures, something plausible, real.
After placing within an ascending scheme the concepts I have discussed so far, this would the point when the corpus created by utopia and SF degenerates into ideology. Of course, the presence of science fiction is not a sine qua non condition for the process of transforming utopia into ideology, but it is an element that favours the emergence of the latter and facilitates its access and effect towards the reader (benefit attributed to the functions previously discussed). Thus, according to Sorin Antohi[24], ideology is part of a utopian project that possesses a subversive purpose, socially engaged and deliberately manipulating and mystifying. In other words, Antohi believes that ideology is nothing more than the transcription of utopia in terms of deforming and concealing the interest of a certain class. The author refers mainly to the deformation and concealment of the “real relations between classes (especially the relations of production, the main stake for the struggle between classes, according to Marx).”[25] Anti-utopia is placed (as Colombo argues, in the very century, which makes the object of this study, literary utopia runs out and by denying itself takes the form of an almost total dystopia[26]) at the very top of the scheme, as the image which embodies the first two and deconstructs them. More precisely, by conveying the meaning of negative projection upon the convention of reality, embodied as a form of asocial organization which causes the worlds to self-destruct, anti-utopia relates to the ideology and utopia already existing within itself, presenting them with the image of their own self-destruction. For example, in The Iron Heel, London offers a utopian image of perfection and balance, which socialism might be able to bring into the world. This utopian structure which almost presents itself as a socialist manifesto (by assuming the ideological layer, and thus the subversive, manipulative substratum) is discussed and deconstructed, for example, in one of H.G. Wells (anti-)utopian writings, When the Sleeper Wakes, where the utopian world, carrier of the socialist ideology, fails in an annihilating war.
Therefore, in order to achieve a sense of continuity in what the analysis and interpretation are concerned, I shall point out that ideology’s main function is that of manipulating, while in the case of anti-utopia this role is fulfilled by the critical function. As shown in this study, utopia (individually and independently from the SF genre) has the function of challenging the existing reality, namely the ontological, mimetic and generative functions, common for science fiction as well; ideology represents distorted and concealed utopia due to persuasive proposes, while anti-utopia, placed in a permanent relation with utopia and ideology, firstly re-discusses, in a reflexive and critical manner works of fiction about a perfectly organised world, while, secondly it fulfils the function of cleansing the collective psyche from the fantasies of perfection.
Conclusions
Following the analysis conducted in the present article, I will summarise the approach that underpins it, as well as its main findings. The general conclusions regarding the utopian space belonging to the end of the nineteenth century and beginning of the twentieth are due to the literary critics and theorists quoted along the study. I choose to follow, for the porpoise of my article, Arrigo Colombo’s idea of utopia (utopia as the project of a righteous / just and fraternal society) and I identified and supported the demonstration regarding the SF genre by referring to studies belonging to Darko Suvin and Roger Bozzetto.
Starting from Suvin’s premise, according to which science fiction and utopia belong to the same family, I focused my attention on scientific utopia, defined by hyper-technologized visions, which also embody techniques and strategies belonging to SF; in addition I chose the possibility of achieving parallel worlds as the result of the collaboration between the two concepts. I have proved that due to the functions identified during the course of the study (challenging reality in the case of utopia, the ontological, mimetic, generative, functions for the corpus consisting of utopia and SF, and, last but not least, the liberating function in the case of SF), the emerging parallel world has all the advantages needed in order to solidify within the collective unconscious new rules for the functioning or governing of societies or new ideologies In other words, in this hyper-technologised world, SF establishes itself as a technique, as the most compatible genre with the prototypical mental structures, beliefs, programs and means of relating to history and otherness of the great mass.
Therefore, utopia challenges, on the one hand, reality, but establishes from the combination of utopia and SF an alter-world which disregards the dominant ideology or reality’s limitation, and delivers it to the reader, tricking, confusing and giving him/her the sensation that the new which he/she is being offered is part of the prototypical mental structures, his/her cognitive logic and structures, something plausible, real. These discursive strategies degenerate into ideology which deforms and conceals reality, in order to manipulate. As I have shown, anti-utopia establishes itself as the image of a superior literary form which embodies both utopia and ideology (or depending on the case, the corpus formed by utopia and SF), deconstructing them.
The conclusions presented here are actually the result of a introspection underwent through the end of the nineteenth century, beginning of the twentieth century utopia (Jerome K. Jerome, The New Utopia; H. G. Wells, The Time Machine, When the Sleeper Wakes, The Island of Doctor Moreau; Edward Bellamy, Looking Backward; Samuel Butler, Erewhon; E. M. Forster, The Machine Stops; Jack London, The Iron Heel) and, more precisely, through the strategies and forms that construct these fictional projections.
The creation of an ascending axis which organises the concepts according to the functions they fulfil, turns the present study not only into a relevant interpretation, but also a passionate one.
This work was supported by Romanian National Authority for Scientific Research within the Exploratory Research Project PN-II-ID-PCE-2011-3-0061.
Bibliography
K. Amis, L’univers de la science-fiction, Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1962.
Sorin Antohi, Civitas Imaginalis, Iaşi, Polirom, 1999.
Massimo Baldini, La storia delle utopie, Rome, Armando, 1994.
Massimo Baldini, Il linguaggio delle utopie. Utopia e ideologia: una rilettura epistemologica, Rome, Edizioni Studium, 1974.
Edward Bellamy, Looking Backward: A. D. 2000-1887, Boston, Ticknor, 1888.
Maria Luisa Berneri, Viaggio attraverso Utopia, trans. Andrea Chersi, Carrara, Movimento Anarhico Italiano, 1981.
Roger Bozzetto, Genul science-fiction, trans. Livia Iacob, Iaşi, Institutul european, 2010.
Edward Bulwer-Lytton, The Coming Race, London, Blackwood, 1871.
Arrigo Colombo, L’utopia. Rifondazione di un’idea e di una storia, Bari, Edizioni Dedalo, 1997.
Vittor Ivo Comparato, Utopia, Bologna, Il Mulino, 2005.
Vita Fortunati, Nadia Minerva (dir.), Per una definizione dell′utopia: Metodologie e discipline a confronto, Ravenna, Longo, 1992, p. 18.
Charles Fourier, The Theory of the Four Movements, Cambridge, Press Syndicate of the University, 1996.
Jerome. K. Jerome, The New Utopia, London, Libertarian Alliance, 1987.
Krishan Kumar, Utopia and Anti-Utopia in Modern Times, New York, Basil Blackwell, 1987
Jack London, The Iron Heel, New York, Penguin Group, 2006.
Paolo Manteganzza, L’anno 3000, Bologna, Area 51 Publising, 2013.
Valerius Maximus, Factorum et dictorum memorabilium libri, in http://www.hs-augsburg.de/~harsch/augustana.html, visiting date: 20 ianuarie 2014.
William Morris, News from Nowhere, London, Reeves and Turner, 1891.
Deborah O’Keefe, Readers In Wonderland, The Liberating Worlds Of Fantasy Fiction, NewYork,The Continuum International Publishing Group Inc, 2004.
Darko Suvin, Metamorphoses of Science Fiction On the Poetics an History of a Literary Genre, London, Yale University Press, 1979.
Tzvetan Todorov, Introducere în literatura fantastică, trad. Virgil Tănase, Editura Univers, Buc, 1973.
Raymond Trousson, Voyages aux pays de nulle part, Brussels, Edition de l’Université de Bruxxelles, 1999.
G. Uscătescu, Tempo di utopia, Pisa, Giardini, 1967.
Katherine Verdery, Compromis şi rezistenţă, trans. Mona and Sorin Antohi, ed. Humanitas, Bucureşti, 1994.
H. G. Wells, Five Great Science Fiction novels, New York, Dover Publications, 2004.
Jean-Jacques Wunenburger, Utopia sau criza imaginarului, trans. Tudor Ionescu, Cluj-Napoca, Dacia, 2001.
Notes
[1] Valerius Maximus, Factorum et dictorum memorabilium libri, in http://www.hs-augsburg.de/~harsch/augustana.html, visiting date: 20 ianuarie 2014
[2] Arrigo Colombo, L’utopia. Rifondazione di un’idea e di una storia, Bari, Edizioni Dedalo, 1997, p. 16.
[4] Roger Bozzetto, Genul science-fiction, trans. Livia Iacob, Iaşi, Institutul european, 2010, p. 26.
[7] Darko Suvin, Metamorphoses of Science Fiction On the Poetics an History of a Literary Genre, London, Yale University Press, 1979, p. 61.
[10] Deborah O’Keefe, Readers In Wonderland, The Liberating Worlds Of Fantasy Fiction, NewYork,The Continuum International Publishing Group Inc, 2004, p. 12.
[11] Trousson, Raymond. ″Utopie et utopisme″ in Per una definizione dell′utopia: Metodologie e discipline a confronto. Ed. Nadia Minerva, Ravenna, Longo, 1992, p. 32.
[12] Fortunati, Vita. ″Fictional Strategies and political message in utopias″, in Per una definizione dell′utopia: Metodologie e discipline a confronto, Ed. Nadia Minerva, Ravenna, Longo, 1992, p. 18.
[13] Arrigo Colombo, L’utopia. Rifondazione di un’idea e di una storia, Bari, Edizioni Dedalo, 1997, p. 428.
[15] Roger Bozzetto, Genul science-fiction, trans. Livia Iacob, Iaşi, Institutul european, 2010, p. 16.
[17]Arrigo Colombo, L’utopia. Rifondazione di un’idea e di una storia, Bari, Edizioni Dedalo, 1997, p. p 427
[19] Roger Bozzetto, Genul science-fiction, trans. Livia Iacob, Iași, Institutul european, 2010, p 78.
[22] Tzvetan Todorov, Introducere în literatura fantastică, trans. Virgil Tănase, Editura Univers, Buc, 1973, p. 114.
Simina Raţiu
Babeş-Bolyai University, Cluj-Napoca, Romania
ratiusimina@gmail.com
Utopia between Science-Fiction and Ideology
Abstract: The present study provides an insight into the utopian writing from the end of the nineteenth century and beginning to the twentieth, identifying the functions it fulfils and the processes through which it is able to solidify within the collective unconscious a new perspective regarding the functioning and governing rules of society or a new ideology. After identifying, classifying and defining the functions fulfilled by the literary construct emerging from utopia alongside SF, the research aims at organising the concepts of utopia, ideology and anti-utopia on an ascending ladder, thus marking the process through which utopia degenerates into ideology, as well as the anti-utopia’s ability to deconstruct utopia and ideology.
Keywords: Utopia; Science-Fiction; Ideology; Anti-utopia; Possible worlds.
Introduction
The following research started from the livresque encounter with Valerius Maximus who, in Factorum et dictorum memorabilium[1], uses a brilliant parable regarding the fictional worlds, parable which proved to be significant for the issues discussed in this article. In a conversation he once had with the philosopher, Alexander the Great stated that his plan was that of conquering the entire world. The philosopher offered him an answer which I consider to be fundamental for the cultural and human appropriation of any fictional text; he reclaims the nonsense of conquering the entire real world, visible in the existential context of so many parallel worlds. However, I cannot help but feeling something more within this parable than a game of language and imagination, namely an ontological legitimation of the worlds within words. Utopia (and here I refer to the utopian genre, which includes all the positive or negative versions found closer or further from the understanding of what is real), the main interest of the present study, broadly establishes itself for the reader as the projection of an alter-world, ready to be conquered step by step, in a monopolising gesture of being taken into possession. Utopia and its subgenres actually represent positive or negative versions of the so-called “real world”, or, to be clearer, of the “understanding of reality”.
Utopia
First of all, utopia is the literature of hope. In other words, utopia is the product of fictional projections: some of them come from articulating the hopes and fears of the time in which it was conceived and written, while others from their denial. The parallel world, imagined by the writer, always comes as an answer to the world in which he lives and writes. Apart from the real world, that belonging to the author, which functions as a landmark for other genres of fictional writing as well, any utopia contains within itself, through definition, two worlds: one is the landmark-world, the world of the author, the one from which the miraculous journey starts (which can be temporal or spatial), while the second is the world being discovered and subjected to a careful process of observation and comparison with the first. To paraphrase Arrigo Colombo, utopia represents the project and process of constructing a righteous and fraternal society.[2] The project of this world unwinds within an archetype structured in four main directions: virtue (namely justice, and more than that, brotherly love), communion (of goods, labour, life), prosperity (understood as the fair access to goods, as the right and liberty of having needs, respectively to work), and last but not least peace and happiness. The process, which is continuous and universal and which comprises within itself the project of this society, is centred upon the means of achieving, of constructing a society superior to the already existing one, by accomplishing and validating it.[3]
Nineteenth-Century Utopia
Secondly, the nineteenth-century utopia is the subject of change. In other words, “the West initiates new and problematic relations with History. The nineteenth century takes into account the results of the industrial revolution, thus exploiting, at a narrative level, the mythical dimension of progress, often related to the unilateral scientific and technological development.”[4] From this period forth, the journeys to heaven-like spaces tend to be replaced by time travells. The terrestrial paradise becomes incorporated into the image of a society which has distinct forms of organisation and gvernance. All these changes are possible and are being reclaimed since the technological and scientific progress. The future is mythicised, thus playing the role of the parallel world, of a utopian nature, and providing the necessary space for the unfolding of socialist projections. Jerome K. Jerome’s The New Utopia, H. G. Wells’ The Time Machine and When the Sleeper Wakes or Looking Backward by Edward Bellamy, as well as The Year 3000 by Paolo Mantegazza are just a few examples of utopias (I am referring here to utopia in a broad sense) in which the protagonists are capable of transgressing the limits of time, thus entering a world different from their own, a world intensely engaged politically and ideologically. From the socialist utopia to the anarchic visions, from the legislative projects belonging to the beginning of the century (those of Saint-Simon, Owen, Cabet, Fourier) to the rewriting and reinterpretation of journeys to heaven-like islands (Erewhon by Samuel Butler and The Island of Dr. Moreau by H.G. Wells), the nineteenth century has stored all types of utopian projections. Also, from a bicycle-like machine, but with an engine thoroughly described and engaged in scientific and technical explanations (The Time Machine) to a improvised balloon based on ancient science (Erewhon), or machines which mediate all human interactions (The Machine Stops), the period discussed here is highly populated and rendered by mechanisms and machines which, in the end, robotise and alienate.
How the Literature of Hope Is Achieved during the Nineteenth Century
The discussion regarding the nineteenth century utopia and the hyper-technologising tendencies of this period would not be complete without reflecting upon the strategies and forms which construct these fictional projections on one hand, and on the functions that this type of writing fulfils, on the other. The more schematic premise which represents the basis of my thesis is the one according to which one of the techniques used in creating utopian, hyper-technologized, parallel worlds (in balance with the trends of that given time), legitimising them afterwards, is the use of science fiction. Thus, science fiction creates mental projections which originate from reality, validating them through scientific explanations and delivering them to the reader with the assertion of verisimilitude. In other words, “SF deals with objects, characters, places, means of action, with a xeno-encyclopaedia that is not part of the encyclopaedia that compiles the representation of the reader’s world. A new imaginary universe can arise from the interactions between different added signifiers, which are given, in the eyes of the reader while reading, a certain verisimilitude by referring, either closely or distantly, to science, or at least its vocabulary, to fictional-words, which occure within a techno-culture.”[5] This approach to the SF genre (as a manner or, in other words, integrating part of utopia through which the latter delivers more easily to the reader certain world, forms of government, ideology etc. proposals) allows a more clear delineation of the functions met by the two concepts discussed here. Being often overlapping (for example K. Amis talks in the same paragraph about the history of science fiction, but also about the discovery of unknown lands, remote islands inhabited by a legendary gladiator and discovered by the explorers from utopias, without delineating the two concepts[6]), science fiction and utopia were in turn generated, as well as generating elements. According to Darko Suvin, “Strictly and precisely speaking, utopia is not a genre but the socio-political subgenre of science fiction. Paradoxically, it can be seen as such only now that SF has expanded into its modern phase, “looking backward” from its englobing of utopia. Further, that expansion was in some not always direct ways a continuation of classical and nineteenth century utopian literature. Thus, conversely, SF is at the same time wider than and at least collaterally descended from utopia; it is, if not a daughter, yet a niece of utopia – a niece usually ashamed of the family inheritance but unable to escape her genetic destiny”.[7] Somehow deriving from Suvin’s vision which places science fiction and utopia within the same family, I choose, for the porpoise of the following study, the option according to which the two concepts (utopia and SF) work together as processes, as narrative strategies in the creation of parallel worlds. However, the fact that the two concepts do not need each other in order to exist (there are utopias which lack SF, as well as excellent science fiction works from which utopianism is absent) has to be mentioned. Yet, the context within which the two intertwine creates, as I shall prove in what follows, both a tempting type of writing due to the pleasure it offers by reading about parallel worlds, as well as a convincing bridge towards ideology. I believe that by interconnecting their functions, the resulting parallel world has all the advantages needed in order to solidify within the collective unconscious new rules for the functioning or governing of societies or new ideologies. According to the same author mentioned earlier, “SF is distinguished by the narrative dominance or hegemony of a fictional ‘novum’ (novelty, innovation) validated by cognitive logic.”[8] Or, following the same line of thought “what differentiates SF from the ‘supernatural’ literary genres (mythical tales, fairy tales, and so on, as well as horror and/or heroic fantasy in the narrow sense) is the presence of scientific cognition as the sign or correlative of a method (way, approach, atmosphere, sensibility) identical to that of a modern philosophy of science.”[9] Thus, in this hyper-technologized world, SF establishes itself as a technique, as the most compatible genre with the prototypical mental structures, beliefs, programs and means of relating to history and otherness of the great mass. While the SF style creates and introduces within fiction an alter-reality, explaining it by appealing to scientific cognition, other types of fictional writing are not based on this condition of verisimilitude, which is vital for an age where science and technology become, step by step, triumphant over all areas of culture and life. Thus,: “The world of fantasy fiction doesn’t pretend to be a real reality, so it doesn’t arouse the same expectations as most other fiction; it doesn’t seem to insist that readers should behave in a certain way. The fantasy world is just there, to understand, to love – to enter.”[10] Unlike fantasy, the world into which the reader of scientific utopia enters – where the presence of SF established itself as a way of raising the narrative meaning, as I will show in what follows – offers an ideological load that corresponds to his/her known reality.
In an analysis regarding the functions fulfilled by utopia and science fiction, the first one, applicable only to utopia, is that of challenging the existing reality. Raymond Trousson[11] believes that utopia has the dynamic role of challenging the existing reality. This feature, which Trousson brings into question, places utopia within the sphere of marginality and transforms it into a social reaction of the groups that are not in power, born precisely out of the “diagnosis given to the social and economic situation.”
In the study Fictional Strategies and Political Message in Utopias,[12] Vita Fortunati argues that utopian literature has imposed a certain form of literary expression which deals with social institutions and political power in a critical manner; this brought alongside the advantage of free speech which the utopian writers have the possibility of using in regards to certain subversive themes. Ideas that might have been understood as heretical or assaulting, regarding the time and place in which the writer lives, can be expressed freely in utopian writings. However, the disadvantage regarding utopian literature, mentioned by Vita Fortunati, targets the message’s difficulty, the decoding strategies the reader must use in finding the hidden meaning, strategies which are not always aimed at this subversive nature, critical of society. Therefore, the author places the utopian writing within a double meaning type of discourse: on the one hand a jeu d’esprit, a dream that offers a refreshing digression from reality, and, on the other, a subtle critique of society, hidden beyond this dream of perfection. According to the author, the decoding and usage of this side of the utopian discourse will always need the reader’s willingness.
The first function fulfilled by both SF and utopia is the ontological one: these must create an alter-world, a parallel world. In any equation which involves the nineteenth century utopia, the world created is a narrative that depicts fortress or a society with perfect governing techniques, proving to be a new reflection of the world in its full complexity, with organisational forms, functioning laws and saving modus vivendi. To paraphrase Arrigo Colombo, literary utopia is a fantastic and unreal project, a mere mental exercise, a game.[13] According to the same author, the act of writing a utopia is, by excellence, a creative process accomplished by constantly appealing to the imaginary, the fantastic; furthermore, it can overlap the role of the game and the pleasure of playing, of fantasising and inventing.[14] In its turn, science fiction is understood by scholars as a “mental experiment”, “in and through possible worlds”.[15] Therefore, the genuine meaning of the two concepts discussed in the present study is, initially, that of creating fictional worlds or, in other words, fictional world matrices. Due to the fact that the two concepts embody and contain within themselves, at the same time, the uncreated potentiality, the two literary genres have the function of bringing into the world the uncreated, in its infinite variations, and of providing it to the reader, who then takes it into possession and uses it for his/her own aesthetic delight.
This first function fulfilled by both utopia and science fiction is further continued, at the levels of ideas, by a superior one – namely the mimetic function. In both literary genres, the constructed world is in accordance with the known one. Thus, the authors rely upon the introduction of new concepts in the clothing of the already known and well-established ones as social structures prototypes. Utopia, and here I refer to a utopia stripped of science fiction, suggests a parallel and superior world to the existing one, constructed however by constantly referring to what is real, or more precisely the convention of what is real. Although utopia conveys, at a narrative level, a nonlocum, namely the place that does not exist anywhere, at a conceptual and imaginary level this place is imagined starting from and referring to the same structures which make up reality. Even this “novum” contained by SF, which Suvin discusses, starts and reclaims itself from the reader’s known world by being delivered in the form of scientific, plausible explanations. In order to create this sensation of verisimilitude, SF writings, belonging to the end of the nineteenth century and beginning of the twentieth, place themselves under the umbrella of science’s omnipotence, solving everything by simply appealing to it. The two genres are actually imaginary readings which create the illusion of their ability to be validated as possible, or even likely to be achieved in reality. Or, as Roger Bozzetto argued, “SF deals with objects, characters, places, means of action, with a xeno-encyclopaedia that is not part of the encyclopaedia that compiles the representation of the reader’s world. A new imaginary universe can arise from the interactions between different added signifiers, which are given, in the eyes of the reader while reading, a certain verisimilitude by referring, either closely or distantly, to science, or at least its vocabulary, to fictional-words, which occur within a techno-culture.” [16]
This function is the one facilitating, preparing and paving the way to ideology. Originating from reality and creating a fictional world which bears anchored to itself the illusion of verisimilitude, the nineteenth-century utopia and science fiction translate into literature (under the form of digestible reading) the ideologies of those times (either the official ones, which manifest themselves, or the marginal ones which, through subversive means, seek the opportunity of establishing themselves as official).
Apart from the fact that utopia and science fiction simultaneously fulfil the ontological and mimetic (establishing a world in accordance with the entrenched mental structures, thus paving the way for the acceptance of new ideologies) functions, the generative is the third one achieved when the two genres act like a corpus. This function is actually understood as the capacity of the resulting structure’s centripetal force, on the one hand, to make other fictional works gravitate around it, by narratively and conceptually generating and nurturing them, while on the other, to influence the grand historical design. First of all, utopia (as a society of justice) acts as a role model, as a project which the historical process pursues and constructs[17], to the extent to which the real historical project becomes “less efficient” as it is placed further away from the utopian one.[18] Secondly, SF writers suggest new objects, actions and processes, as a result of imagination and scientific discovery, (raising towards impossible the meanings/elements which science has as applicable) which are in turn generating concepts and meanings matrices for other utopian projections. For example, Roger Bozzetto argues that “SF writers commit, more or less consciously, to creating a secondary encyclopaedic culture, which avoids resuming the same explanations. In the first chapter of The Time Machine, H.G. Wells suggests a theory of time travel based on a series of analogies. The following authors will step away from it, and the possibility of travel will be considered as an acquired good of the ‘SF encyclopaedia’”[19]. Furthermore, “a mutual imaginary fund is therefore created, from which following writers draw their inspiration, and which readers first tame and then assimilate. Each new theme leads to others which in turn serve for new stories […].”[20] “Many stories use and articulate those themes as a scientific and/or technological substratum – at least at the level of the vocabulary.”[21] Therefore, this formula is valid for narratives or, by extension, for all the world’s narratives, from the launching of new content and up to infinity, but also for the historical reality. On the one hand, the contents introduced by the types of literary works discussed in this study (utopia with a SF nature placed at end of the nineteenth century and beginning of twentieth) become a good, functional generator of new meanings. The dark chaos of objects, events, possible beings originates, therefore, from a predetermined order. On the other hand, the legislative projects, forms of government and propaganda originate from and are centred upon a utopian projection.
Assuming that, just as Todorovcu Tzvetan argues in regards to the fantastic, “the fantastic possesses, at first glance, a tautological function: it allows the description of a fantastic universe, and this universe has, because of this, no reality outside language; the description and the described are not very different in nature”[22] , I would place the SF genre somewhere halfway between reality and non-reality. As argued before, if the fantastic has not got an object in reality, if it only creates a world out of words, science fiction fulfils, in its turn, the path towards this castle of words only halfway, meaning that it uses for its foundation concepts, objects, laws from the reader’s own reality (science, medicine, technology etc.).
I think that this attribute of creating a new and ideologically unrestricted structure, which may comprise in its construction the threatening unknown or an “alternative understanding of the world” (expression belonging to Katherine Verdery[23]), this infinite freedom and even potentiality of creating new universes, facilitates, once again, the success of inherent ideological structures suggested, consciously or unconsciously, towards their acceptance, approval and appropriation from part of the implied reader. Therefore, the liberating function attributed to SF paves, alongside the issues discussed above (common to science fiction and utopia, both individually and taken together, in the creation of a unique corpus), the way to ideology.
By bringing together the five functions discussed above, it can be observed that the corpus created by the nineteenth century utopia, to which it is added, as in a magical blend, SF, not only facilitates, but also provides the right context for the implicit ideology’s success: first it creates a world which disregards the dominant ideology or reality’s limitation, and delivers it to the reader, tricking, confusing and giving him/her the sensation that the new which he/she is being offered is part of the prototypical mental structures, his/her cognitive logic and structures, something plausible, real.
After placing within an ascending scheme the concepts I have discussed so far, this would the point when the corpus created by utopia and SF degenerates into ideology. Of course, the presence of science fiction is not a sine qua non condition for the process of transforming utopia into ideology, but it is an element that favours the emergence of the latter and facilitates its access and effect towards the reader (benefit attributed to the functions previously discussed). Thus, according to Sorin Antohi[24], ideology is part of a utopian project that possesses a subversive purpose, socially engaged and deliberately manipulating and mystifying. In other words, Antohi believes that ideology is nothing more than the transcription of utopia in terms of deforming and concealing the interest of a certain class. The author refers mainly to the deformation and concealment of the “real relations between classes (especially the relations of production, the main stake for the struggle between classes, according to Marx).”[25] Anti-utopia is placed (as Colombo argues, in the very century, which makes the object of this study, literary utopia runs out and by denying itself takes the form of an almost total dystopia[26]) at the very top of the scheme, as the image which embodies the first two and deconstructs them. More precisely, by conveying the meaning of negative projection upon the convention of reality, embodied as a form of asocial organization which causes the worlds to self-destruct, anti-utopia relates to the ideology and utopia already existing within itself, presenting them with the image of their own self-destruction. For example, in The Iron Heel, London offers a utopian image of perfection and balance, which socialism might be able to bring into the world. This utopian structure which almost presents itself as a socialist manifesto (by assuming the ideological layer, and thus the subversive, manipulative substratum) is discussed and deconstructed, for example, in one of H.G. Wells (anti-)utopian writings, When the Sleeper Wakes, where the utopian world, carrier of the socialist ideology, fails in an annihilating war.
Therefore, in order to achieve a sense of continuity in what the analysis and interpretation are concerned, I shall point out that ideology’s main function is that of manipulating, while in the case of anti-utopia this role is fulfilled by the critical function. As shown in this study, utopia (individually and independently from the SF genre) has the function of challenging the existing reality, namely the ontological, mimetic and generative functions, common for science fiction as well; ideology represents distorted and concealed utopia due to persuasive proposes, while anti-utopia, placed in a permanent relation with utopia and ideology, firstly re-discusses, in a reflexive and critical manner works of fiction about a perfectly organised world, while, secondly it fulfils the function of cleansing the collective psyche from the fantasies of perfection.
Conclusions
Following the analysis conducted in the present article, I will summarise the approach that underpins it, as well as its main findings. The general conclusions regarding the utopian space belonging to the end of the nineteenth century and beginning of the twentieth are due to the literary critics and theorists quoted along the study. I choose to follow, for the porpoise of my article, Arrigo Colombo’s idea of utopia (utopia as the project of a righteous / just and fraternal society) and I identified and supported the demonstration regarding the SF genre by referring to studies belonging to Darko Suvin and Roger Bozzetto.
Starting from Suvin’s premise, according to which science fiction and utopia belong to the same family, I focused my attention on scientific utopia, defined by hyper-technologized visions, which also embody techniques and strategies belonging to SF; in addition I chose the possibility of achieving parallel worlds as the result of the collaboration between the two concepts. I have proved that due to the functions identified during the course of the study (challenging reality in the case of utopia, the ontological, mimetic, generative, functions for the corpus consisting of utopia and SF, and, last but not least, the liberating function in the case of SF), the emerging parallel world has all the advantages needed in order to solidify within the collective unconscious new rules for the functioning or governing of societies or new ideologies In other words, in this hyper-technologised world, SF establishes itself as a technique, as the most compatible genre with the prototypical mental structures, beliefs, programs and means of relating to history and otherness of the great mass.
Therefore, utopia challenges, on the one hand, reality, but establishes from the combination of utopia and SF an alter-world which disregards the dominant ideology or reality’s limitation, and delivers it to the reader, tricking, confusing and giving him/her the sensation that the new which he/she is being offered is part of the prototypical mental structures, his/her cognitive logic and structures, something plausible, real. These discursive strategies degenerate into ideology which deforms and conceals reality, in order to manipulate. As I have shown, anti-utopia establishes itself as the image of a superior literary form which embodies both utopia and ideology (or depending on the case, the corpus formed by utopia and SF), deconstructing them.
The conclusions presented here are actually the result of a introspection underwent through the end of the nineteenth century, beginning of the twentieth century utopia (Jerome K. Jerome, The New Utopia; H. G. Wells, The Time Machine, When the Sleeper Wakes, The Island of Doctor Moreau; Edward Bellamy, Looking Backward; Samuel Butler, Erewhon; E. M. Forster, The Machine Stops; Jack London, The Iron Heel) and, more precisely, through the strategies and forms that construct these fictional projections.
The creation of an ascending axis which organises the concepts according to the functions they fulfil, turns the present study not only into a relevant interpretation, but also a passionate one.
This work was supported by Romanian National Authority for Scientific Research within the Exploratory Research Project PN-II-ID-PCE-2011-3-0061.
Bibliography
K. Amis, L’univers de la science-fiction, Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1962.
Sorin Antohi, Civitas Imaginalis, Iaşi, Polirom, 1999.
Massimo Baldini, La storia delle utopie, Rome, Armando, 1994.
Massimo Baldini, Il linguaggio delle utopie. Utopia e ideologia: una rilettura epistemologica, Rome, Edizioni Studium, 1974.
Edward Bellamy, Looking Backward: A. D. 2000-1887, Boston, Ticknor, 1888.
Maria Luisa Berneri, Viaggio attraverso Utopia, trans. Andrea Chersi, Carrara, Movimento Anarhico Italiano, 1981.
Roger Bozzetto, Genul science-fiction, trans. Livia Iacob, Iaşi, Institutul european, 2010.
Edward Bulwer-Lytton, The Coming Race, London, Blackwood, 1871.
Arrigo Colombo, L’utopia. Rifondazione di un’idea e di una storia, Bari, Edizioni Dedalo, 1997.
Vittor Ivo Comparato, Utopia, Bologna, Il Mulino, 2005.
Vita Fortunati, Nadia Minerva (dir.), Per una definizione dell′utopia: Metodologie e discipline a confronto, Ravenna, Longo, 1992, p. 18.
Charles Fourier, The Theory of the Four Movements, Cambridge, Press Syndicate of the University, 1996.
Jerome. K. Jerome, The New Utopia, London, Libertarian Alliance, 1987.
Krishan Kumar, Utopia and Anti-Utopia in Modern Times, New York, Basil Blackwell, 1987
Jack London, The Iron Heel, New York, Penguin Group, 2006.
Paolo Manteganzza, L’anno 3000, Bologna, Area 51 Publising, 2013.
Valerius Maximus, Factorum et dictorum memorabilium libri, in http://www.hs-augsburg.de/~harsch/augustana.html, visiting date: 20 ianuarie 2014.
William Morris, News from Nowhere, London, Reeves and Turner, 1891.
Deborah O’Keefe, Readers In Wonderland, The Liberating Worlds Of Fantasy Fiction, NewYork,The Continuum International Publishing Group Inc, 2004.
Darko Suvin, Metamorphoses of Science Fiction On the Poetics an History of a Literary Genre, London, Yale University Press, 1979.
Tzvetan Todorov, Introducere în literatura fantastică, trad. Virgil Tănase, Editura Univers, Buc, 1973.
Raymond Trousson, Voyages aux pays de nulle part, Brussels, Edition de l’Université de Bruxxelles, 1999.
G. Uscătescu, Tempo di utopia, Pisa, Giardini, 1967.
Katherine Verdery, Compromis şi rezistenţă, trans. Mona and Sorin Antohi, ed. Humanitas, Bucureşti, 1994.
H. G. Wells, Five Great Science Fiction novels, New York, Dover Publications, 2004.
Jean-Jacques Wunenburger, Utopia sau criza imaginarului, trans. Tudor Ionescu, Cluj-Napoca, Dacia, 2001.
Notes
[1] Valerius Maximus, Factorum et dictorum memorabilium libri, in http://www.hs-augsburg.de/~harsch/augustana.html, visiting date: 20 ianuarie 2014
[2] Arrigo Colombo, L’utopia. Rifondazione di un’idea e di una storia, Bari, Edizioni Dedalo, 1997, p. 16.
[4] Roger Bozzetto, Genul science-fiction, trans. Livia Iacob, Iaşi, Institutul european, 2010, p. 26.
[7] Darko Suvin, Metamorphoses of Science Fiction On the Poetics an History of a Literary Genre, London, Yale University Press, 1979, p. 61.
[10] Deborah O’Keefe, Readers In Wonderland, The Liberating Worlds Of Fantasy Fiction, NewYork,The Continuum International Publishing Group Inc, 2004, p. 12.
[11] Trousson, Raymond. ″Utopie et utopisme″ in Per una definizione dell′utopia: Metodologie e discipline a confronto. Ed. Nadia Minerva, Ravenna, Longo, 1992, p. 32.
[12] Fortunati, Vita. ″Fictional Strategies and political message in utopias″, in Per una definizione dell′utopia: Metodologie e discipline a confronto, Ed. Nadia Minerva, Ravenna, Longo, 1992, p. 18.
[13] Arrigo Colombo, L’utopia. Rifondazione di un’idea e di una storia, Bari, Edizioni Dedalo, 1997, p. 428.
[15] Roger Bozzetto, Genul science-fiction, trans. Livia Iacob, Iaşi, Institutul european, 2010, p. 16.
[17]Arrigo Colombo, L’utopia. Rifondazione di un’idea e di una storia, Bari, Edizioni Dedalo, 1997, p. p 427
[19] Roger Bozzetto, Genul science-fiction, trans. Livia Iacob, Iași, Institutul european, 2010, p 78.
[22] Tzvetan Todorov, Introducere în literatura fantastică, trans. Virgil Tănase, Editura Univers, Buc, 1973, p. 114.
Mondes fictionnels : utopie, science-fiction, « fantasy »Fictional Worlds : Utopia, Science-Fiction, Fantasy
« Fantaisie » et fiction : Observations sur un cas cliniqueFantasy and Fiction: Notes on a Clinical Case
Adriana Carrijo
Universidade Federal do Rio de Janeiro, Brasilia
adrianacarrijo@terra.com.br
« Fantaisie » et fiction : Observations sur un cas clinique
Abstract: This text aims at retracing the memory of a psychoanalytical cure of a child by approaching the dimensions of fantasy and fiction. It relies on a very specific psychoanalytical procedure, i.e. the clinical practice. In a message the child wrote to her analyst, where she reveals her anxiety, we found elements from her reading experience of a piece of writing by Jules Verne. The novel allowed the child to tell his fears. Literature here is assured as a resource which makes possible the communication between fiction and fantasy and as a sine qua non condition to overcome the anxiety.
Keywords: Fantasy; Fiction; Jules Verne; Child Analysis.
« Tout ce qu’un homme est capable d’imaginer, d’autres hommes sont capables de réaliser » (Jules Verne)
La relation entre la « fantaisie » et la fiction me conduit, en tant que psychanalyste, à convoquer des ressources pour re-traiter, c’est-à-dire, reprendre, traiter à nouveau, la fonction que la « fantaisie » tient dans le travail clinique avec les enfants, cette fonction-puissance qui incite la capacité analytique à prendre son envol, à rechercher ses inculcations, ses ancrages, ses plis. Je préfère ici le terme français « fantaisie » à phantasme, qui traduit le concept freudien de Fantaisie tout en le rapprochant de son sens d’imagination créatrice, débridée, des fantaisies de l’enfant.
La « fantaisie » débouche toujours dans le concret d’un fait, d’un conte, d’une trace. Par la « fantaisie » le travail de l’analyste se soutient comme un travail avec le mystère de l’humain, avec sa singularité plurielle et démultipliée dans des objets représentés par elle. La « fantaisie » est ainsi la puissance en soi, ce qui meut et é-meut, la puissance qui fait l’éloge de l’existence, qui lui donne un corps.
Pour la psychanalyse, il n’y a pas de moi qui se constitue sans le refoulement et la « fantaisie ». La fonction du refoulement serait ainsi restrictive et adaptative : ce serait le prix à payer pour la névrose ordinaire. L’une des fonctions de la « fantaisie », qui est scénique dans sa nature même, serait ainsi la possibilité de donner de la substance à des pensées et des actions, c’est-à-dire qu’elle est l’expression maximale de la singularité et de l’altérité ou encore la condition même de l’émergence d’un sujet.
Ainsi, même si l’émergence de ce sujet requiert un clivage culturel, ce serait face à l’inévitable tension établie entre la culture et ses entrailles, ces étranges entrailles, qui le rendraient un sujet singulier. Par conséquent, tantôt comme le sujet de l’énoncé, tantôt comme sujet caché, soit dans les espaces publiques, soit dans des espaces secrets, se mettrait en scène la dynamique pendulaire de l’existence.
Il y a quelques années, j’ai reçu un enfant porté par la « fantaisie » ou plutôt par la rêverie. Son imagination très active et sa capacité à se traduire à travers ce qui la nourrissait comme lecture m’ont fort impressionnée. Ce fut à cette occasion que je suis entrée en contact avec certains romans de Jules Verne (1828-1905), notamment l’ouvrage Voyage au centre de la terre, de 1864.
Je relève donc cet espace-« fantaisie » par le biais de ce que j’ai pu essayé alors que j’écoutais analytiquement M.. Je pars d’un mot qu’il m’a adressée, intitulé « Voyage à mon centre ». Dans ce brouillon, M. écrivit :
Qu’est-ce qui me traverse ? Qui suis-je réellement ? Il est difficile de répondre mais je crois que je suis un autre. Oui, je crois être une autre personne. Parce que quelque chose me dit que je ne suis pas nerveux. Il me semble que cet autre gamin appelé M. n’est pas impulsif, anxieux, curieux. Il semble que chez lui il y a un autre moi, différent de lui et qui le rend différent, ce qui le différencie de sa nature. Sa nature est une nature déséquilibrée. Mais, dans son for intérieur des voix disent qu’il peut changer. Alors je me demande : qu’y a-t-il dans ma vie, du succès ou de la défaite ? Il me semble difficile de répondre à cette question, mais je pense que le chemin de la perte me possède. Pourquoi dans tous les lieux par où je passe il arrive des problèmes, à l’école, chez moi… ? Pourquoi il n’y a pas un jour où je puisse être tranquille ? Qui voudra me montrer le chemin de la vie aura de la chance parce que je suis un gamin angoissé qui a besoin de lumière. Ben, l’épisode d’aujourd’hui en reste là, mais je cherche toujours un chemin dans cette aventure appelée « voyage dans mon centre ».
Les dynamiques d’introversion décrites par le petit M. m’ont amenée alors à ancrer son traitement dans le texte de Bachelard (1990 [1948]) où l’auteur souligne que « le repliement sur soi ne peut pas toujours rester abstrait. Il prend des allures de l’enroulement sur soi-même, d’un corps qui devient objet pour soi-même, qui se touche soi-même » (Bachelard, 1990 [1948], p.4.)
En effet, dans le mot secret de cet enfant, tout se vaut : il se dédouble, il clive son existence, il avoue son angoisse. Il craint se perdre dans un labyrinthe qui est, à la fois, la métaphore et l’image de son propre inconscient. Effrayé, l’enfant appelle le chemin de la perte y voyant quelque chose d’intrinsèque à cette dynamique qui fait que tantôt l’on possède un inconscient tantôt c’est lui qui nous possède, accomplissant ainsi la dynamique pendulaire de l’existence.
De cet ébat résulterait une forme, une esthétique existentielle qui traverse sa vie animique, établissant les conditions de sa relation avec autrui et le monde, de sa mise en possession de soi, et d’appartenance. Ainsi, ce serait par l’impossibilité de capturer l’objet dans son caractère ontique que M. transfigurerait cet objet en quelque chose d’inhérent à soi. Et c’est précisément face à cette complexité animique que Bachelard se rend à l’imagination et à l’imaginaire. C’est donc devant cet imaginaire à profusion que nous produisons les plis qui abriteront nos secrets les plus intimes, légitimant l’idéal de repos tant vanté par cet auteur.
Dans la tentative de trouver des pistes pour (dé)vier M., je regarde vers l’extérieur essayant de cartographier le monde. Je vois des choses, des corps. M. est arrivé dans mon cabinet avec un diagnostic de hyperactivité, un diagnostic psychique courrant dans les années 1990. Peut-être au moment où j’écris ce texte, en 2014, les spécificités de son comportement et de son écriture seraient-elles interprétées comme de l’autisme. Il y aurait-il l’influence d’un« fluide corporel caché » qui l’accélérait ? C’était le raisonnement médical de l’époque.
Mais comme cela ne me semblait pas suffire, M. cultivait l’habitude de se cacher, de fuir et de parler peu. Cependant M. écrivait. Il écrivait sa vie sous un format épisodique où tantôt il soulignait tantôt il cachait la réalité selon ses désirs les plus intimes et secrets.
Bachelard (1990 [1948], p. 9) avait déjà observé que “cacher est une fonction primaire de la vie. C’est un besoin lié à l’économie, à la constitution des réserves. Et l’intérieur a (aurait) des fonctions de trêve si évidentes que pour classer les rêves d’intimité l’on doit (devrait) donner la même importance à un éclaircissement et à un obscurcissement.
Qu’est-ce donc que l’esthétique de l’hyperactivité de M. cachait ? Qu’est-ce qui aboutirait à une déambulation vide sinon à une tentative de vider l’excès d’angoisse intrinsèque au vivre ? Ne seraient-ils plutôt ces mots cachés et assez ludiques de M. qui ouvriraient la voie jusqu’aux entrailles ? Sans l’espace d’accueil et de compréhension ouvert dans le monde, ce corps serait-il condamné à se dépenser pulsionnellement allant dans tous les sens, faisant allusion à ses déambulations ?
Pour moi, le corps de M. n’a jamais été purement biologique. En effet, le corps comme expression d’une condition auto-poïétique acquiert, à travers les devenirs historiques et sociaux, la capacité de refouler et d’imaginer, ces forces dynamisant plutôt la puissance imaginative/créatrice, menant le sujet à une certaine dé-sujection, dé-sujection nécessaire aux ébats de la vie des relations. Néanmoins, cette vision du corps et surtout cette pratique psychanalytique ne deviennent possibles que par le biais du dialogue avec d’autres disciplines. Autrement on retirerait du cœur de la fabrication des concepts, y compris, pourquoi pas, ceux de la psychanalyse, des explications mirobolantes pour de nouveaux et de vieux symptômes, laissant à l’hyperactivité de M. un seul « nouveau » diagnostic, proche de l’ « angoisse motrice » ou de l’ « angoisse de duplication ».
Hélas, le corps est au cœur des réflexions/interventions cliniques. Le corps seul. Seul le corps. Le corps nu et sans plis. Le corps des-imaginé, dés-imaginant, sans secrets, plein d’accès, de bio-ascèses. Que révèle donc ce corps de notre société ? Dans ce sens, j’en viens plus précisément à la clinique d’enfant post-moderne.
Le contexte psycho-clinique post-moderne de l’enfant ou psychanalyser les enfants dans la post-modernité
Glisser de la scène analytique et de la relation duelle avec mon patient de moins de 10 ans, aller au delà des quatre murs de mon cabinet pour exploiter le décor post-moderne que nous habitons, dévoile à la psychologue clinique et éducationnelle que je suis, de nouvelles formes de constitution/construction subjective à partir de la constatation, pas si évidente, qu’un enfant grandit.
Un appel de plus pour enquêter plus soigneusement les névroses mondaines ne surviendrait pas comme forme impérative au psychanalyste, l’exercice clinique et réflexif attestant la porosité de cet espace envahi par l’avalanche de psychopathologies et de stratégies de réduction des vicissitudes psychiques aux seules déterminations synaptiques, ainsi que par l’essor d’un « marché psy » florissant (je pense à la psychomotricité entre autres) vidant doublement le sujet, le moulant tantôt comme marchandise tantôt comme consommateur des traitements à la mode.
Je parle de la sophistication des théories, du foisonnement des spécialisations pour les « tuteurs de l’enfant », des interventions absurdement précoces, de l’alliance école-clinique et de ce sujet-produit incarnant la typologie offerte à la description, à l’information, aux traitements. C’est que de cette ingénierie jaillissent désormais des sujets non attentifs, hyperactifs, dyslexiques, défiants-opposants. Surgissent également des cliniciens croyant avoir appris une théorie capable de décanter l’impossible, l’impossible de la nature humaine, le fuyant mercure des alchimistes.
La nature humaine, surtout la nature de l’enfant, m’a toujours paru essentiellement hyperactive, attentive à ce qui réveille le désir, défiant les lexiques, s’opposant aux canevas (y compris ceux de Piaget). Quelle substance ces tuteurs post-modernes cherchent-ils alors à trouver ?
Bachelard (1990 [1948], p. 56) nous vient au secours rappelant que « l’alchimiste, dans ses méditations, croit avoir isolé la substance de la monstruosité. Mais l’alchimiste est un esprit élevé. Il laisse aux sorcières la tâche de la quintessence du monstrueux. La sorcière à son tour ne travaille que dans les royaumes animal et végétal. Elle ne connaît pas (ne connaîtrait pas) l’intimité la plus grande du mal, celle qui s’insère dans le minéral perverti ». (p. 56).
Ainsi, je reconnais que le propre de l’enfance est d’être aussi fuyante que le mercure et ceci me met sur la voie pour comprendre le « voyage » épisodique de M. à chaque fuite, car un secret caché (où ? pourquoi ? avec qui ?) revient à chaque retour, un secret dévoilé par écrit, une élaboration à sa manière, de façon épisodique. Alors que le corps de M. comme celui de tant d’enfants se trouve au cœur des discussions cliniques, devient la proie de nouveaux alchimistes qui croient avoir isolé la substance (secrète) de la monstruosité.
Mais qu’est-ce qui veut déterminer cette réduction du corps à sa dimension biologique ? Pourquoi c’est le discours « cérébral » qui prend le devant de la scène post-moderne ? Cet organe, si vanté par le mystérieux agglomérat de jus et de tours qui le forme (ce qui se donne tout à fait à une imagination anatomique), pourquoi cet objet intéresserait un regard scientifique qui prétend que la vérité soit posée sur un champ spécifique, que son regard puisse tout voir ?
Si je suis ce raisonnement, l’enfant ne serait-il traversé par les « régimes de vérité », construits sur le présupposé scientifique qui conçoit l’essentiel comme quelque chose d’intrinsèque/nucléaire, toujours passif au regard du chercheur qui le traque « dans le dedans », à l’intérieur d’une vérité ou d’un paradigme dominant, comme s’il pouvait être dissocié des paramètres historiques et des inattendus ?
De fait, quand j’ai fini mes études, à la fin des années 1990, je portais en moi la certitude et la direction d’un certain raffinement de l’écoute et de l’attention qui mettait en valeur le lien et le transfert mais surtout ma formation m’a amenée à supporter la résistance ou l’intervention des parentes. Désormais, j’avoue me trouver devant des phénomènes nouveaux (un patient qui ne tarde pas à arriver, qui se multiplie avant même de quitter les couches et de parler, qui a des parents qui croient à une prophylaxie psychologique) et, surtout, devant le désenchantement de cet espace intersubjectif de la clinique comme un territoire de dévoilement de l’existence et de l’analyse de la psyché, soit d’une psycho-analyse.
J’écris à partir de mon expérience de clinicienne rythmée par la cadence de la psychanalyse, donc des expressions de l’inconscient et de l’imaginaire, intervention certes plus privée que publique, cependant engagée, davantage politique, quoique plutôt micro-politique que stéréotypé.
Je souhaite alors transposer la plainte parentale comme le pivot qui justifie une interview psychologique qui m’apporterait un nouveau travail analytique. Ainsi, j’accorde mon écoute par l’assimilation de ce qui concerne l’imaginaire de la famille et de l’école entourant le sujet qui arrive à mon cabinet comme un « patient supposé », socialisant son symptôme. Je souligne l’excitation advenue d’une démarche de l’écoute qui accueille les multiples dimensions de la psychanalyse, relevant les encadrements réducteurs d’une clinique construite pour habiter les quatre murs d’un cabinet. Imaginant / (re-)traitant le patient dans le monde et admettant la résonance des aigreurs trans-générationnelles, la clinique exige par conséquent des histoires, des géographies, des cartographies.
Car la clinique, pour ainsi dire, n’est plus le seul cabinet, lieu des conseils, des références/révérences très doctes, et devient un conservatoire/observatoire des expressions des modes de vie et du vivre ensemble, où sujet et société deviennent à leur tour des instances que l’on ne peut plus dissocier. Je refuse donc le rôle du maître qui renforce des aspects universels du développement de l’enfant, surtout ceux qui les marient avec la culture de la performance et de la stimulation cognitive devant aboutir à un meilleur développement (j’emploie ce mot en tant qu’un but capitaliste) de l’enfant, comme s’il se réduisait à une unité cognitive.
Je ferais ainsi objection à l’uniformisation et à l’instruction des symptômes d’une pratique (la clinique) qui se fonde sur le pouvoir et que fabrique du savoir au nom de la rétro-alimentation du « savoir-pouvoir-faire ». Je problématise la qualité de la venue de ce petit patient réduit à un porteur de troubles. J’occupe la place et les cycles, demandant l’autre et de l’autre, afin de comprendre ces impasses.
Quelqu’un me disait récemment : « le cerveau est devenu le nombril de la clinique ». D’où vient cela ? Qu’était donc ce cerveau d’autrefois devenu le nombril ? Doit-on alors considérer que, à propos de l’imaginaire social et des dynamiques du secret, cette thématique gagne de la force par la déconstruction des schèmes utilitaristes et simplistes ?
Grandir et prendre du corps demande de la libido, celle-ci secoue le sujet dans son histoire provoquant des impressions sensorielles distinctes de même qu’un engagement social voué plutôt à un « nous », des forces nécessaires à ce que l’expérience humaine ne se réduise pas à l’hyperactivité ou à l’apathie.
L’inévitable croissance perçue par M. comme pur déplacement pulsionnel était sujette aux excitations et aux hésitations de ce sujet, à des rencontres et des rencontres manquées, à ses propres secrets. Référé à la vie de relation et à sa propre condition d’être vivant, il s’agissait d’une perpétuelle tentative d’ébat avec le temps, les personnes, les imaginaires cliniques qui l’entouraient.
M. était essentiellement action, mouvement et spéculation – mercure fuyant. Mais ce fut précisément cette tension qui a fait ce sujet marcher, hausser le labyrinthe, s’activer. Plus tard, cette même tension/profusion (imaginaire) inquiétante exigera le repos et les retrouvailles avec ses entrailles, ces étranges entrailles. C’est là l’espace potentiel où son secret (ainsi que celui de chacun de nous) doit habiter.
La fonction de la fantaisie comme espace imaginaire potentiel dans la formation de l’analyste
L’émergence d’une nouvelle clinique est toujours indissociable de son contexte historique et social, l’épistémè de la subjectivité de l’enfant dans la profusion psycho-pathologique admet le sentiment de vulnérabilité qui traverse notre société, poursuivant nos défenses, imbriquant les rapports par les représentations des risques et des soins personnels.
Si, autrefois, la pédagogie de l’enfance embrassait le projet de construction d’un être supérieur par son orthodoxie et sa prophylaxie (ce fut l’idéal de l’école moderne), la fluidité des temps post-modernes adopte la « clinique action » comme ressource de la stratégie de reprise du sujet ayant fait faillite. La question manque de faire allusion à ce qu’il supposait contenir, c’est-à-dire, la nature de son essence et de son expérience en tant qu’homme pour cela même qu’il contient (aussi bien comme fluide corporel-clé que de la chimie essentielle le contenant).
On ne doute pas que les instruments et la culture de la mensuration/classification élaborée depuis des siècles – de la pédagogie à la psychologie jusqu’à la neuropédiatrie – soient mis en jeu dans l’expérience de l’enfant post-moderne comme des dispositifs de l’organisation sociale.
Dans ce sens, on cherche à mettre en évidence comment certaines significations imaginaires de l’enfance contemporaine embrassent une complexe ingénierie de sens dans laquelle la conception d’une enfance phasique et/ou d’apparat cognitif actif des formes du vivre ensemble et d’investissement pour l’enfant, toutes étant des représentations cohérentes avec une logique d’ensemble et identitaire, toujours référée par l’autre, par l’adulte et par la société au nom d’un imaginaire social actif.
Attentive au crépuscule des processus de production de subjectivité, des pratiques, des théories, nous nous intéressons davantage au noyau de ces faits, beaucoup moins à celui de ses effets-symptômes (et/ou troubles). Bref, nous nous installons dans une pratique clinique qui admet une force créatrice qui produit et incite cette forme de lien social.
Nous parlions d’un noyau relativement commun, magmatique, d’une masse de signification qui se déplace dans le temps entraînant des croyances, fondant des paradigmes qui activent de nouvelles formes d’être et de vivre ensemble. Nous parlions d’un imaginaire social, d’un lien pulsionnel actif et large, d’une force donc qui intègre et détermine des perceptions, des intentions et des actions dans le cours de l’histoire.
Car c’est cette force vitale, le magma qui vitalise ces liens et qui fonde des institutions, qui contient aussi le vieux sédimenté dans le nouveau, marquant le tissu social comme espace aussi bien de répétition que de création. L’enfance doit par conséquent être contemplée comme institution fondée dans un temps historique chargé d’attentes et de valeurs propres à lui, dans lequel le corps de l’enfant, capturé par un imaginaire social d’époque, fonde le champ de l’enfant comme un espace de quadrillage, développement, de disciplinarisation.
Nous avançons le concept d’imaginaire pour légitimer des actions sur le développement humain et sur sa cognition même. C’est en parcourant ces chemins que nous pourrons contempler le lien parents-spécialistes et proposer de nouvelles directions à une pratique que emprisonne l’expérience de l’enfant et qui, en dernière instance, ségrégue l’enfant de la société, lui conférant un apprivoisement par le statut même de troublé.
À travers ces significations imaginaires de l’enfance contemporaine, qui constituent mon objet d’étude et de réflexion, j’espère pouvoir contribuer non seulement avec la décantation de ce processus de production de la subjectivité dé-calquée dans le corps mais aussi à ajouter à la recherche sociale les impasses inhérentes au travail avec la dimension imaginaire et secrète, des puissances qui ne peuvent pas être exclues de tout travail de terrain, suggérant des actions qui incorporent les notions de densité, d’intensité et de complexité comme des conditions inhérentes elles aussi au travail théorique/méthodologique avec les significations et des cartographies. Cette démarche méthodologique doit par conséquent inclure la participation du corps, du psychisme inconscient et de la conscience de façon indissociable dans le processus d’appréhension et de construction de la réalité.
Le dualisme cartésien qui a fondé la modernité a rendu possible la création de la science moderne et avec ceci le progrès scientifique-technologique des derniers siècles. Il s’agit évidemment d’une conquête humaine à laquelle nous ne pouvons pas renoncer. Mais le dualisme qui l’a portée fut également responsable pour l’unilatéralité de notre manière de penser la vie, une unilatéralité responsable du réductionnisme de nos conceptions ontologiques, épistémologiques et anthropologiques.
Le rôle de la raison doit par conséquent être de redimensionner. Insistant sur l’image de l’alchimiste bachelardien, je cite : « lui qui substantialise tous ses rêves, qui réalise aussi bien ses défaites que ses espoirs forme ainsi de véritables anti-éléments » (Bachelard, 1990 [1948], p. 56-57). C’est pourquoi il est nécessaire d’insister sur l’insertion de la raison dans la complexité des facultés humaines (imaginaires) pour aborder le réel et la vie, la réalité. Ainsi, il faut rendre à la science (ici, la science psy et en particulier la clinique) la complexité des formes par lesquelles nous appréhendons la réalité que seul l’homme est capable de produire/inventer. Enfin, identifiée avec le petit M., je souligne que je suis moi même à la recherche de celles et ceux des mes lecteurs et de mes lectrices voulant m’aider à trouver le chemin voire à me dé-vier de la vie. Et celles-là et ceux-là auront peut-être de la chance car je suis moi même une psychanalyste brésilienne angoissée qui a besoin de lumière ─ si je partage ce secret c’est qu’il est au cœur de ma réflexion.
La fonction de la littérature comme espace potentiel pour le travail de l’analyste ou le voyage de M. à son centre
Je trouve dans les mots de Bachelard (1990) quelques explications à ce que j’expérimente à travers le travail avec les fantaisies et les fictions des enfants :
Toutes les grandes forces humaines, quand même elles se manifestent à l’extérieur, sont imaginées dans une intimité […] Les images de la forme et de la couleur peuvent très bien être des sensations transformées. Les images matérielles nous enveloppent dans une affectivité plus profonde, puis qu’elles prennent leurs racines dans les couches les plus profondes de l’inconscient. Les images matérielles substantialisent un intérêt. […] À partir de cette volonté de regarder l’intérieur des choses, de regarder ce que l’on ne voit pas, ce que l’on ne doit pas voir, se forment d’étranges rêveries tendues. (1990 [1948], p. 2-5)
Il n’y a pas d’enfant qui ne désire pas regarder l’intérieur d’un jouet. Afin de satisfaire une telle curiosité ça vaut la peine de le casser, d’en enlever sa fonction de jouet clivé industriellement. L’inconscient s’exprime ainsi. Il a besoin de déborder, de jaillir des entrailles, du centre de ce que l’on identifie comme la terre, la fonction materne.
Le livre préféré de M., Le Voyage au centre de la terre, la fiction qui a fait apporter l’avalanche de son besoin de s’exprimer soi-même fut ainsi un dispositif analytique central pour l’élaboration d’une expérience d’angoisse pétrifiante. D’ailleurs, il faut dire et souligner que les enfants angoissent malgré les discours naïfs qui entourent l’enfance.
Les angoisses peuvent être mouvantes, é-mouvantes, terriennes, éthérées, fictionnelles, dys-fonctionelles, fonctionnelles… Et l’homme, je le crois, est peut-être quelqu’un de condamné à parler et au-delà, à écrire. La genèse de la culture, il me semble, s’ancre dans ce présupposé. L’état naît avec le passage incarné dans le père vers la loi « écrite », vers la loi « fonction ». L’écriture, pour cela même, consiste à décréter la mort du réel. Quand nous disons réel, nous le remplaçons, nous le dispensons. La psychanalyse est un espace-pratique qui peut rendre possible ce passage nécessaire.
Avec M., ses fantaisies et ses fictions, j’ai dû relever le défi d’exploiter des méandres où aucun bateau n’avait jamais encore mouillé. Par le biais de ma présence et mes efforts pour l’écouter, M. fut rendu plus fort par la possibilité de vivre par projection ses fictions et fantaisies, échappant ainsi à un encadrement pathologique. Car son écriture fut comprise selon d’autres paramètres. Littéralisons la clinique et l’écoute. Rendons vitales nos pratiques re-traitant ce qui sans cette démarche risquerait de redonder en fiction, forclusion, psychose.
Références bibliographiques
Aulagnier, Piera, Um intérprete em busca de sentido, São Paulo, Editora Escuta, 1990. [Un interprète en quête du sens, Paris, Payot, 1991]
Bachelard, Gaston, A terra e os devaneios do repouso: Ensaios sobre as imagens da intimidade, São Paulo, Martins Fontes, 1990. [La terre et les rêveries du repos. Essais sur l’imagination de l’intimité, Paris, José Corti, 1948]
Adriana Carrijo
Universidade Federal do Rio de Janeiro, Brasilia
adrianacarrijo@terra.com.br
Fantasy and Fiction: Notes on a Clinical Case
Abstract: This text aims at retracing the memory of a psychoanalytical cure of a child by approaching the dimensions of fantasy and fiction. It relies on a very specific psychoanalytical procedure, i.e. the clinical practice. In a message the child wrote to her analyst, where she reveals her anxiety, we found elements from her reading experience of a piece of writing by Jules Verne. The novel allowed the child to tell his fears. Literature here is assured as a resource which makes possible the communication between fiction and fantasy and as a sine qua non condition to overcome the anxiety.
Keywords: Fantasy; Fiction; Jules Verne; Child Analysis.
« Tout ce qu’un homme est capable d’imaginer, d’autres hommes sont capables de réaliser » (Jules Verne)
La relation entre la « fantaisie » et la fiction me conduit, en tant que psychanalyste, à convoquer des ressources pour re-traiter, c’est-à-dire, reprendre, traiter à nouveau, la fonction que la « fantaisie » tient dans le travail clinique avec les enfants, cette fonction-puissance qui incite la capacité analytique à prendre son envol, à rechercher ses inculcations, ses ancrages, ses plis. Je préfère ici le terme français « fantaisie » à phantasme, qui traduit le concept freudien de Fantaisie tout en le rapprochant de son sens d’imagination créatrice, débridée, des fantaisies de l’enfant.
La « fantaisie » débouche toujours dans le concret d’un fait, d’un conte, d’une trace. Par la « fantaisie » le travail de l’analyste se soutient comme un travail avec le mystère de l’humain, avec sa singularité plurielle et démultipliée dans des objets représentés par elle. La « fantaisie » est ainsi la puissance en soi, ce qui meut et é-meut, la puissance qui fait l’éloge de l’existence, qui lui donne un corps.
Pour la psychanalyse, il n’y a pas de moi qui se constitue sans le refoulement et la « fantaisie ». La fonction du refoulement serait ainsi restrictive et adaptative : ce serait le prix à payer pour la névrose ordinaire. L’une des fonctions de la « fantaisie », qui est scénique dans sa nature même, serait ainsi la possibilité de donner de la substance à des pensées et des actions, c’est-à-dire qu’elle est l’expression maximale de la singularité et de l’altérité ou encore la condition même de l’émergence d’un sujet.
Ainsi, même si l’émergence de ce sujet requiert un clivage culturel, ce serait face à l’inévitable tension établie entre la culture et ses entrailles, ces étranges entrailles, qui le rendraient un sujet singulier. Par conséquent, tantôt comme le sujet de l’énoncé, tantôt comme sujet caché, soit dans les espaces publiques, soit dans des espaces secrets, se mettrait en scène la dynamique pendulaire de l’existence.
Il y a quelques années, j’ai reçu un enfant porté par la « fantaisie » ou plutôt par la rêverie. Son imagination très active et sa capacité à se traduire à travers ce qui la nourrissait comme lecture m’ont fort impressionnée. Ce fut à cette occasion que je suis entrée en contact avec certains romans de Jules Verne (1828-1905), notamment l’ouvrage Voyage au centre de la terre, de 1864.
Je relève donc cet espace-« fantaisie » par le biais de ce que j’ai pu essayé alors que j’écoutais analytiquement M.. Je pars d’un mot qu’il m’a adressée, intitulé « Voyage à mon centre ». Dans ce brouillon, M. écrivit :
Qu’est-ce qui me traverse ? Qui suis-je réellement ? Il est difficile de répondre mais je crois que je suis un autre. Oui, je crois être une autre personne. Parce que quelque chose me dit que je ne suis pas nerveux. Il me semble que cet autre gamin appelé M. n’est pas impulsif, anxieux, curieux. Il semble que chez lui il y a un autre moi, différent de lui et qui le rend différent, ce qui le différencie de sa nature. Sa nature est une nature déséquilibrée. Mais, dans son for intérieur des voix disent qu’il peut changer. Alors je me demande : qu’y a-t-il dans ma vie, du succès ou de la défaite ? Il me semble difficile de répondre à cette question, mais je pense que le chemin de la perte me possède. Pourquoi dans tous les lieux par où je passe il arrive des problèmes, à l’école, chez moi… ? Pourquoi il n’y a pas un jour où je puisse être tranquille ? Qui voudra me montrer le chemin de la vie aura de la chance parce que je suis un gamin angoissé qui a besoin de lumière. Ben, l’épisode d’aujourd’hui en reste là, mais je cherche toujours un chemin dans cette aventure appelée « voyage dans mon centre ».
Les dynamiques d’introversion décrites par le petit M. m’ont amenée alors à ancrer son traitement dans le texte de Bachelard (1990 [1948]) où l’auteur souligne que « le repliement sur soi ne peut pas toujours rester abstrait. Il prend des allures de l’enroulement sur soi-même, d’un corps qui devient objet pour soi-même, qui se touche soi-même » (Bachelard, 1990 [1948], p.4.)
En effet, dans le mot secret de cet enfant, tout se vaut : il se dédouble, il clive son existence, il avoue son angoisse. Il craint se perdre dans un labyrinthe qui est, à la fois, la métaphore et l’image de son propre inconscient. Effrayé, l’enfant appelle le chemin de la perte y voyant quelque chose d’intrinsèque à cette dynamique qui fait que tantôt l’on possède un inconscient tantôt c’est lui qui nous possède, accomplissant ainsi la dynamique pendulaire de l’existence.
De cet ébat résulterait une forme, une esthétique existentielle qui traverse sa vie animique, établissant les conditions de sa relation avec autrui et le monde, de sa mise en possession de soi, et d’appartenance. Ainsi, ce serait par l’impossibilité de capturer l’objet dans son caractère ontique que M. transfigurerait cet objet en quelque chose d’inhérent à soi. Et c’est précisément face à cette complexité animique que Bachelard se rend à l’imagination et à l’imaginaire. C’est donc devant cet imaginaire à profusion que nous produisons les plis qui abriteront nos secrets les plus intimes, légitimant l’idéal de repos tant vanté par cet auteur.
Dans la tentative de trouver des pistes pour (dé)vier M., je regarde vers l’extérieur essayant de cartographier le monde. Je vois des choses, des corps. M. est arrivé dans mon cabinet avec un diagnostic de hyperactivité, un diagnostic psychique courrant dans les années 1990. Peut-être au moment où j’écris ce texte, en 2014, les spécificités de son comportement et de son écriture seraient-elles interprétées comme de l’autisme. Il y aurait-il l’influence d’un« fluide corporel caché » qui l’accélérait ? C’était le raisonnement médical de l’époque.
Mais comme cela ne me semblait pas suffire, M. cultivait l’habitude de se cacher, de fuir et de parler peu. Cependant M. écrivait. Il écrivait sa vie sous un format épisodique où tantôt il soulignait tantôt il cachait la réalité selon ses désirs les plus intimes et secrets.
Bachelard (1990 [1948], p. 9) avait déjà observé que “cacher est une fonction primaire de la vie. C’est un besoin lié à l’économie, à la constitution des réserves. Et l’intérieur a (aurait) des fonctions de trêve si évidentes que pour classer les rêves d’intimité l’on doit (devrait) donner la même importance à un éclaircissement et à un obscurcissement.
Qu’est-ce donc que l’esthétique de l’hyperactivité de M. cachait ? Qu’est-ce qui aboutirait à une déambulation vide sinon à une tentative de vider l’excès d’angoisse intrinsèque au vivre ? Ne seraient-ils plutôt ces mots cachés et assez ludiques de M. qui ouvriraient la voie jusqu’aux entrailles ? Sans l’espace d’accueil et de compréhension ouvert dans le monde, ce corps serait-il condamné à se dépenser pulsionnellement allant dans tous les sens, faisant allusion à ses déambulations ?
Pour moi, le corps de M. n’a jamais été purement biologique. En effet, le corps comme expression d’une condition auto-poïétique acquiert, à travers les devenirs historiques et sociaux, la capacité de refouler et d’imaginer, ces forces dynamisant plutôt la puissance imaginative/créatrice, menant le sujet à une certaine dé-sujection, dé-sujection nécessaire aux ébats de la vie des relations. Néanmoins, cette vision du corps et surtout cette pratique psychanalytique ne deviennent possibles que par le biais du dialogue avec d’autres disciplines. Autrement on retirerait du cœur de la fabrication des concepts, y compris, pourquoi pas, ceux de la psychanalyse, des explications mirobolantes pour de nouveaux et de vieux symptômes, laissant à l’hyperactivité de M. un seul « nouveau » diagnostic, proche de l’ « angoisse motrice » ou de l’ « angoisse de duplication ».
Hélas, le corps est au cœur des réflexions/interventions cliniques. Le corps seul. Seul le corps. Le corps nu et sans plis. Le corps des-imaginé, dés-imaginant, sans secrets, plein d’accès, de bio-ascèses. Que révèle donc ce corps de notre société ? Dans ce sens, j’en viens plus précisément à la clinique d’enfant post-moderne.
Le contexte psycho-clinique post-moderne de l’enfant ou psychanalyser les enfants dans la post-modernité
Glisser de la scène analytique et de la relation duelle avec mon patient de moins de 10 ans, aller au delà des quatre murs de mon cabinet pour exploiter le décor post-moderne que nous habitons, dévoile à la psychologue clinique et éducationnelle que je suis, de nouvelles formes de constitution/construction subjective à partir de la constatation, pas si évidente, qu’un enfant grandit.
Un appel de plus pour enquêter plus soigneusement les névroses mondaines ne surviendrait pas comme forme impérative au psychanalyste, l’exercice clinique et réflexif attestant la porosité de cet espace envahi par l’avalanche de psychopathologies et de stratégies de réduction des vicissitudes psychiques aux seules déterminations synaptiques, ainsi que par l’essor d’un « marché psy » florissant (je pense à la psychomotricité entre autres) vidant doublement le sujet, le moulant tantôt comme marchandise tantôt comme consommateur des traitements à la mode.
Je parle de la sophistication des théories, du foisonnement des spécialisations pour les « tuteurs de l’enfant », des interventions absurdement précoces, de l’alliance école-clinique et de ce sujet-produit incarnant la typologie offerte à la description, à l’information, aux traitements. C’est que de cette ingénierie jaillissent désormais des sujets non attentifs, hyperactifs, dyslexiques, défiants-opposants. Surgissent également des cliniciens croyant avoir appris une théorie capable de décanter l’impossible, l’impossible de la nature humaine, le fuyant mercure des alchimistes.
La nature humaine, surtout la nature de l’enfant, m’a toujours paru essentiellement hyperactive, attentive à ce qui réveille le désir, défiant les lexiques, s’opposant aux canevas (y compris ceux de Piaget). Quelle substance ces tuteurs post-modernes cherchent-ils alors à trouver ?
Bachelard (1990 [1948], p. 56) nous vient au secours rappelant que « l’alchimiste, dans ses méditations, croit avoir isolé la substance de la monstruosité. Mais l’alchimiste est un esprit élevé. Il laisse aux sorcières la tâche de la quintessence du monstrueux. La sorcière à son tour ne travaille que dans les royaumes animal et végétal. Elle ne connaît pas (ne connaîtrait pas) l’intimité la plus grande du mal, celle qui s’insère dans le minéral perverti ». (p. 56).
Ainsi, je reconnais que le propre de l’enfance est d’être aussi fuyante que le mercure et ceci me met sur la voie pour comprendre le « voyage » épisodique de M. à chaque fuite, car un secret caché (où ? pourquoi ? avec qui ?) revient à chaque retour, un secret dévoilé par écrit, une élaboration à sa manière, de façon épisodique. Alors que le corps de M. comme celui de tant d’enfants se trouve au cœur des discussions cliniques, devient la proie de nouveaux alchimistes qui croient avoir isolé la substance (secrète) de la monstruosité.
Mais qu’est-ce qui veut déterminer cette réduction du corps à sa dimension biologique ? Pourquoi c’est le discours « cérébral » qui prend le devant de la scène post-moderne ? Cet organe, si vanté par le mystérieux agglomérat de jus et de tours qui le forme (ce qui se donne tout à fait à une imagination anatomique), pourquoi cet objet intéresserait un regard scientifique qui prétend que la vérité soit posée sur un champ spécifique, que son regard puisse tout voir ?
Si je suis ce raisonnement, l’enfant ne serait-il traversé par les « régimes de vérité », construits sur le présupposé scientifique qui conçoit l’essentiel comme quelque chose d’intrinsèque/nucléaire, toujours passif au regard du chercheur qui le traque « dans le dedans », à l’intérieur d’une vérité ou d’un paradigme dominant, comme s’il pouvait être dissocié des paramètres historiques et des inattendus ?
De fait, quand j’ai fini mes études, à la fin des années 1990, je portais en moi la certitude et la direction d’un certain raffinement de l’écoute et de l’attention qui mettait en valeur le lien et le transfert mais surtout ma formation m’a amenée à supporter la résistance ou l’intervention des parentes. Désormais, j’avoue me trouver devant des phénomènes nouveaux (un patient qui ne tarde pas à arriver, qui se multiplie avant même de quitter les couches et de parler, qui a des parents qui croient à une prophylaxie psychologique) et, surtout, devant le désenchantement de cet espace intersubjectif de la clinique comme un territoire de dévoilement de l’existence et de l’analyse de la psyché, soit d’une psycho-analyse.
J’écris à partir de mon expérience de clinicienne rythmée par la cadence de la psychanalyse, donc des expressions de l’inconscient et de l’imaginaire, intervention certes plus privée que publique, cependant engagée, davantage politique, quoique plutôt micro-politique que stéréotypé.
Je souhaite alors transposer la plainte parentale comme le pivot qui justifie une interview psychologique qui m’apporterait un nouveau travail analytique. Ainsi, j’accorde mon écoute par l’assimilation de ce qui concerne l’imaginaire de la famille et de l’école entourant le sujet qui arrive à mon cabinet comme un « patient supposé », socialisant son symptôme. Je souligne l’excitation advenue d’une démarche de l’écoute qui accueille les multiples dimensions de la psychanalyse, relevant les encadrements réducteurs d’une clinique construite pour habiter les quatre murs d’un cabinet. Imaginant / (re-)traitant le patient dans le monde et admettant la résonance des aigreurs trans-générationnelles, la clinique exige par conséquent des histoires, des géographies, des cartographies.
Car la clinique, pour ainsi dire, n’est plus le seul cabinet, lieu des conseils, des références/révérences très doctes, et devient un conservatoire/observatoire des expressions des modes de vie et du vivre ensemble, où sujet et société deviennent à leur tour des instances que l’on ne peut plus dissocier. Je refuse donc le rôle du maître qui renforce des aspects universels du développement de l’enfant, surtout ceux qui les marient avec la culture de la performance et de la stimulation cognitive devant aboutir à un meilleur développement (j’emploie ce mot en tant qu’un but capitaliste) de l’enfant, comme s’il se réduisait à une unité cognitive.
Je ferais ainsi objection à l’uniformisation et à l’instruction des symptômes d’une pratique (la clinique) qui se fonde sur le pouvoir et que fabrique du savoir au nom de la rétro-alimentation du « savoir-pouvoir-faire ». Je problématise la qualité de la venue de ce petit patient réduit à un porteur de troubles. J’occupe la place et les cycles, demandant l’autre et de l’autre, afin de comprendre ces impasses.
Quelqu’un me disait récemment : « le cerveau est devenu le nombril de la clinique ». D’où vient cela ? Qu’était donc ce cerveau d’autrefois devenu le nombril ? Doit-on alors considérer que, à propos de l’imaginaire social et des dynamiques du secret, cette thématique gagne de la force par la déconstruction des schèmes utilitaristes et simplistes ?
Grandir et prendre du corps demande de la libido, celle-ci secoue le sujet dans son histoire provoquant des impressions sensorielles distinctes de même qu’un engagement social voué plutôt à un « nous », des forces nécessaires à ce que l’expérience humaine ne se réduise pas à l’hyperactivité ou à l’apathie.
L’inévitable croissance perçue par M. comme pur déplacement pulsionnel était sujette aux excitations et aux hésitations de ce sujet, à des rencontres et des rencontres manquées, à ses propres secrets. Référé à la vie de relation et à sa propre condition d’être vivant, il s’agissait d’une perpétuelle tentative d’ébat avec le temps, les personnes, les imaginaires cliniques qui l’entouraient.
M. était essentiellement action, mouvement et spéculation – mercure fuyant. Mais ce fut précisément cette tension qui a fait ce sujet marcher, hausser le labyrinthe, s’activer. Plus tard, cette même tension/profusion (imaginaire) inquiétante exigera le repos et les retrouvailles avec ses entrailles, ces étranges entrailles. C’est là l’espace potentiel où son secret (ainsi que celui de chacun de nous) doit habiter.
La fonction de la fantaisie comme espace imaginaire potentiel dans la formation de l’analyste
L’émergence d’une nouvelle clinique est toujours indissociable de son contexte historique et social, l’épistémè de la subjectivité de l’enfant dans la profusion psycho-pathologique admet le sentiment de vulnérabilité qui traverse notre société, poursuivant nos défenses, imbriquant les rapports par les représentations des risques et des soins personnels.
Si, autrefois, la pédagogie de l’enfance embrassait le projet de construction d’un être supérieur par son orthodoxie et sa prophylaxie (ce fut l’idéal de l’école moderne), la fluidité des temps post-modernes adopte la « clinique action » comme ressource de la stratégie de reprise du sujet ayant fait faillite. La question manque de faire allusion à ce qu’il supposait contenir, c’est-à-dire, la nature de son essence et de son expérience en tant qu’homme pour cela même qu’il contient (aussi bien comme fluide corporel-clé que de la chimie essentielle le contenant).
On ne doute pas que les instruments et la culture de la mensuration/classification élaborée depuis des siècles – de la pédagogie à la psychologie jusqu’à la neuropédiatrie – soient mis en jeu dans l’expérience de l’enfant post-moderne comme des dispositifs de l’organisation sociale.
Dans ce sens, on cherche à mettre en évidence comment certaines significations imaginaires de l’enfance contemporaine embrassent une complexe ingénierie de sens dans laquelle la conception d’une enfance phasique et/ou d’apparat cognitif actif des formes du vivre ensemble et d’investissement pour l’enfant, toutes étant des représentations cohérentes avec une logique d’ensemble et identitaire, toujours référée par l’autre, par l’adulte et par la société au nom d’un imaginaire social actif.
Attentive au crépuscule des processus de production de subjectivité, des pratiques, des théories, nous nous intéressons davantage au noyau de ces faits, beaucoup moins à celui de ses effets-symptômes (et/ou troubles). Bref, nous nous installons dans une pratique clinique qui admet une force créatrice qui produit et incite cette forme de lien social.
Nous parlions d’un noyau relativement commun, magmatique, d’une masse de signification qui se déplace dans le temps entraînant des croyances, fondant des paradigmes qui activent de nouvelles formes d’être et de vivre ensemble. Nous parlions d’un imaginaire social, d’un lien pulsionnel actif et large, d’une force donc qui intègre et détermine des perceptions, des intentions et des actions dans le cours de l’histoire.
Car c’est cette force vitale, le magma qui vitalise ces liens et qui fonde des institutions, qui contient aussi le vieux sédimenté dans le nouveau, marquant le tissu social comme espace aussi bien de répétition que de création. L’enfance doit par conséquent être contemplée comme institution fondée dans un temps historique chargé d’attentes et de valeurs propres à lui, dans lequel le corps de l’enfant, capturé par un imaginaire social d’époque, fonde le champ de l’enfant comme un espace de quadrillage, développement, de disciplinarisation.
Nous avançons le concept d’imaginaire pour légitimer des actions sur le développement humain et sur sa cognition même. C’est en parcourant ces chemins que nous pourrons contempler le lien parents-spécialistes et proposer de nouvelles directions à une pratique que emprisonne l’expérience de l’enfant et qui, en dernière instance, ségrégue l’enfant de la société, lui conférant un apprivoisement par le statut même de troublé.
À travers ces significations imaginaires de l’enfance contemporaine, qui constituent mon objet d’étude et de réflexion, j’espère pouvoir contribuer non seulement avec la décantation de ce processus de production de la subjectivité dé-calquée dans le corps mais aussi à ajouter à la recherche sociale les impasses inhérentes au travail avec la dimension imaginaire et secrète, des puissances qui ne peuvent pas être exclues de tout travail de terrain, suggérant des actions qui incorporent les notions de densité, d’intensité et de complexité comme des conditions inhérentes elles aussi au travail théorique/méthodologique avec les significations et des cartographies. Cette démarche méthodologique doit par conséquent inclure la participation du corps, du psychisme inconscient et de la conscience de façon indissociable dans le processus d’appréhension et de construction de la réalité.
Le dualisme cartésien qui a fondé la modernité a rendu possible la création de la science moderne et avec ceci le progrès scientifique-technologique des derniers siècles. Il s’agit évidemment d’une conquête humaine à laquelle nous ne pouvons pas renoncer. Mais le dualisme qui l’a portée fut également responsable pour l’unilatéralité de notre manière de penser la vie, une unilatéralité responsable du réductionnisme de nos conceptions ontologiques, épistémologiques et anthropologiques.
Le rôle de la raison doit par conséquent être de redimensionner. Insistant sur l’image de l’alchimiste bachelardien, je cite : « lui qui substantialise tous ses rêves, qui réalise aussi bien ses défaites que ses espoirs forme ainsi de véritables anti-éléments » (Bachelard, 1990 [1948], p. 56-57). C’est pourquoi il est nécessaire d’insister sur l’insertion de la raison dans la complexité des facultés humaines (imaginaires) pour aborder le réel et la vie, la réalité. Ainsi, il faut rendre à la science (ici, la science psy et en particulier la clinique) la complexité des formes par lesquelles nous appréhendons la réalité que seul l’homme est capable de produire/inventer. Enfin, identifiée avec le petit M., je souligne que je suis moi même à la recherche de celles et ceux des mes lecteurs et de mes lectrices voulant m’aider à trouver le chemin voire à me dé-vier de la vie. Et celles-là et ceux-là auront peut-être de la chance car je suis moi même une psychanalyste brésilienne angoissée qui a besoin de lumière ─ si je partage ce secret c’est qu’il est au cœur de ma réflexion.
La fonction de la littérature comme espace potentiel pour le travail de l’analyste ou le voyage de M. à son centre
Je trouve dans les mots de Bachelard (1990) quelques explications à ce que j’expérimente à travers le travail avec les fantaisies et les fictions des enfants :
Toutes les grandes forces humaines, quand même elles se manifestent à l’extérieur, sont imaginées dans une intimité […] Les images de la forme et de la couleur peuvent très bien être des sensations transformées. Les images matérielles nous enveloppent dans une affectivité plus profonde, puis qu’elles prennent leurs racines dans les couches les plus profondes de l’inconscient. Les images matérielles substantialisent un intérêt. […] À partir de cette volonté de regarder l’intérieur des choses, de regarder ce que l’on ne voit pas, ce que l’on ne doit pas voir, se forment d’étranges rêveries tendues. (1990 [1948], p. 2-5)
Il n’y a pas d’enfant qui ne désire pas regarder l’intérieur d’un jouet. Afin de satisfaire une telle curiosité ça vaut la peine de le casser, d’en enlever sa fonction de jouet clivé industriellement. L’inconscient s’exprime ainsi. Il a besoin de déborder, de jaillir des entrailles, du centre de ce que l’on identifie comme la terre, la fonction materne.
Le livre préféré de M., Le Voyage au centre de la terre, la fiction qui a fait apporter l’avalanche de son besoin de s’exprimer soi-même fut ainsi un dispositif analytique central pour l’élaboration d’une expérience d’angoisse pétrifiante. D’ailleurs, il faut dire et souligner que les enfants angoissent malgré les discours naïfs qui entourent l’enfance.
Les angoisses peuvent être mouvantes, é-mouvantes, terriennes, éthérées, fictionnelles, dys-fonctionelles, fonctionnelles… Et l’homme, je le crois, est peut-être quelqu’un de condamné à parler et au-delà, à écrire. La genèse de la culture, il me semble, s’ancre dans ce présupposé. L’état naît avec le passage incarné dans le père vers la loi « écrite », vers la loi « fonction ». L’écriture, pour cela même, consiste à décréter la mort du réel. Quand nous disons réel, nous le remplaçons, nous le dispensons. La psychanalyse est un espace-pratique qui peut rendre possible ce passage nécessaire.
Avec M., ses fantaisies et ses fictions, j’ai dû relever le défi d’exploiter des méandres où aucun bateau n’avait jamais encore mouillé. Par le biais de ma présence et mes efforts pour l’écouter, M. fut rendu plus fort par la possibilité de vivre par projection ses fictions et fantaisies, échappant ainsi à un encadrement pathologique. Car son écriture fut comprise selon d’autres paramètres. Littéralisons la clinique et l’écoute. Rendons vitales nos pratiques re-traitant ce qui sans cette démarche risquerait de redonder en fiction, forclusion, psychose.
Références bibliographiques
Aulagnier, Piera, Um intérprete em busca de sentido, São Paulo, Editora Escuta, 1990. [Un interprète en quête du sens, Paris, Payot, 1991]
Bachelard, Gaston, A terra e os devaneios do repouso: Ensaios sobre as imagens da intimidade, São Paulo, Martins Fontes, 1990. [La terre et les rêveries du repos. Essais sur l’imagination de l’intimité, Paris, José Corti, 1948]
Entre phantasia et realia. Le visage de l’anthropologie de l’ImaginaireBetween phantasia and realia. The anthropology of imagination
Constantin Mihai
Université Constantin Brâncoveanu, Râmnicu Vâlcea, Roumanie
costimihai1977@yahoo.fr
Entre phantasia et realia.
Le visage de l’anthropologie de l’Imaginaire
Abstract: The anthropology of imagination proposes the continuum and the constituent reference to primordial man in which it originates, starting from a unified centre, the sides of which all send to the mirror, to man in the world. The anthropology of imagination, therefore surpasses the dualistic opposition between the I and the non-I, between body and soul, a consequence of the study of the profane cosmos. The anthropology of imagination does not claim to be a simple collection of images, myths, poetical themes, tropes; rather it seeks to elaborate the picture of man’s hopes and fears. What the anthropology of imagination does is to allow for the recognition, indeed the identification of positive thinking with the mythical one, of mythical thinking with the civilized one. Orientating itself towards the horizon of a universal meaning, the anthropology of imagination manages to reconcile the archaeological with the eschatological, the existence of the archetypical limits, of the individual and collective behaviour with the spiritual creative freedom.
Keywords: Anthropology; Imagination; Duality; Myth; The Sacred; Archetypes.
L’anthropologie de l’Imaginaire a renouvelé les recherches académiques en étendant l’étude du dynamisme imaginatif non seulement dans toutes ses expressions religieuses habituelles mais aussi dans toutes les œuvres de l’homme, y compris dans l’histoire et ses philosophies, qui représentent une manifestation de la structure synthétique, la vraie structure historique de l’Imaginaire qui fonctionne dans une logique contradictorielle et dont les invariants créent les synchronismes que les cultures traditionnelles et la Tradition ont valorisés.
Le phénomène religieux a fait également apparaître des activités de mobilisation des images qui dépassent les pouvoirs ordinaires. La mystique a cultivé l’art de rendre sensible le monde surnaturel à travers des visions théologiques, que nous pouvons rattacher à la figuration d’un niveau de réalité ontologique, l’imaginal. Henry Corbin s’oriente dans sa recherche vers le motif exemplaire de « l’homme et son ange », motif d’une anthropologie qui a pour principe une angélologie fondamentale. La figure de l’ange ne cesse de réitérer l’énigme primordiale. L’ange est le thaumaturge et l’archétype de l’humanité, ayant deux ailes: l’une de lumière et l’autre orientée vers les ténèbres.
Nous constatons que l’imaginaire du temps linéaire de l’Europe millénariste joachimite a privilégié la contamination de la culture par une rationalité iconoclaste, par rapport au temps cyclique qui accueille la plupart des grands imaginaires religieux. Ce qui est remarquable dans la théorie de l’Imaginaire d’Eliade et de Corbin, c’est le fait qu’ils arrivent à démontrer que l’Imaginaire dispose d’un illud tempus qui échappe à l’entropie newtonienne.
Le monde de l’Imaginaire mis en évidence par l’étude des religions est un monde spécifique qui est au fondement du monde profane. La réaction des théologiens officiels de l’Église, en dépit de nombreuses réticences d’un Christianisme inquiet d’être dépassé par la modernité, s’est située dans cette tendance de résurrection du symbolique. C’est le cas de Jean Daniélou qui a le grand mérite d’avoir souligné la texture symbolique des religions et, de même, de Jacques Vidal qui a accentué le rapport entre l’homo religiosus et l’homo symbolicus.
L’Imaginaire se manifeste soit sous diverses formes de conduites ou d’aspirations irrationnelles (Bonardel, Bastide), soit sous l’hypostase d’une pédagogie qui est axée sur la resymbolisation des psychismes anémiés (Desoille) ou sur la conceptualisation de la double culture (Morin, Durand). L’Imaginaire, fondée sur la notion de bildung, essaie d’aboutir à une liberté créatrice au lieu d’être abandonné à la fantaisie. L’Imaginaire, dans sa tentative constitutive d’intégrer la raison conceptuelle au mécanisme complexe de la vie des images, s’appuie sur le principe de l’annulation des contraires.
L’Imaginaire culturel suit un trajet anthropologique, repérable dans les limites d’un bassin sémantique propre au cours d’un fleuve. Si l’imaginaire individuel se prête à une mythocritique qui dévoile les grands thèmes d’une œuvre et d’un auteur, selon le principe d’individuation incarné dans les structures, l’Imaginaire collectif se prête à une mythanalyse qui en restitue les unités mythiques.
L’anthropologie de l’Imaginaire substitue délibérément la notion bachelardienne de « profil épistémologique » à celle de « champ épistémologique ». La mise à jour des invariants de l’anthropos exige que l’on se confronte avec tout ce qui, pour les scientistes doit être rejeté, les liens complexes qui unissent l’homme à Dieu. Ceux-ci constituent un référentiel originaire, dont la permanence atteste de leur nature archétypale dynamique.
L’anthropologie de l’Imaginaire cherche, derrière les structures historiques et causales, des noyaux d’images fondatrices. Les anthropologues s’arrêtent trop tôt pour délimiter leur objet. Au lieu de niveler l’homo mythicus, par conversion immédiate du sémantique en syntaxique, de l’image en forme, l’anthropologie de l’Imaginaire constitue une méthodologie qui intègre une herméneutique symbolique et qui par là même ne trahit pas son objet au moment où l’on se le donne comme représentatif de structures mentales.
L’étude de l’homme traditionnel exige une certaine conaturalité entre sa nature et l’instrument de sa description. Quant à la recherche des sens latents, il n’y a aucune régression, mais une adaptation à la nature première de l’homme qui est un «animal symbolique». La méthodologie de toutes les sciences de l’homme est restée victime du rétrécissement post-kantien de l’homme au seul être rationnel. C’est à la connaissance du sujet symbolique, caché dans les structures profondes que sollicite la compréhension de l’homme traditionnel, dont le discours a été réduit à des miettes scientifiques.
L’anthropologie de l’Imaginaire suppose la référence permanente et constitutive à un homme aussi bien primordial que total, en qui s’originent, à partir d’un centre unifié, toutes les facettes qui renvoient, telles au miroir: l’homme au monde, le monde aux dieux et les dieux aux hommes. L’Anthropologie de l’Imaginaire dépasse l’opposition dualiste du Moi et du non-Moi, de l’âme et du corps, conséquence de l’étude du cosmos désacralisé.
S’appuyant sur le présupposé selon lequel la «science sans conscience n’est que ruine de l’âme», l’anthropologie de l’Imaginaire ne met pas l’accent sur l’homme en tant qu’ «épicentre fragile et vide», mais en tant que « lieu de passage où se comprend et se concrétise le secret qui lie la création au Créateur, le secret de Dieu»[1]. L’approche anthropologique de l’Imaginaire se fonde de la sorte sur la démystification de toutes les démythifications qui ont cru pouvoir donner à l’homme moderne la liberté des normes, l’orgueil des victoires par la seule lumière des sciences.
La tâche de l’anthropologue – du spécialiste de la Science de l’Homme – bien démuni de tous les pouvoirs que s’adjugent généreusement les idéologies contemporaines, est-elle à la fois plus modeste et plus fondamentale que celle du prince. Inlassablement contre la marée des modes de l’idéologie et du discours, contre les impérialismes et les monopoles ethnocentristes, il doit, comme Diogène, la lanterne à la main, chercher l’homme véritable, l’Adam éternellement primordial. Et cela sans désespérer de l’efficacité de sa science, car l’homme n’est plus tout à fait «cet inconnu» qu’il était au sortir de la substitution positiviste. Il est scientifiquement permis de «préluder» à cette anthropologie véridique qu’est le Nouvel Esprit Anthropologique. Cette espérance de la science de l’homme apparaît alors, dans un paradoxe qui n’étonnera que les sectateurs attardés du progressisme titanesque, comme une récurrence. Les valeurs, les coutumes, les rites, les mythes, les «leçons» des légendes et des histoires, etc., en un mot toute la Tradition resurgit au cœur même de l’anthropologie[2].
L’anthropologie de l’Imaginaire essaie de déchiffrer les significations profondes du sacré qui sont cachées ou bien «camouflées» dans la structure du profane. Ce type d’anthropologie symbolique offre la possibilité d’envisager une vision plus ample de l’histoire des religions, de la pensée symbolique dans la société traditionnelle qui cherche les signes de la sacralité dans le monde du profane. À partir de la thèse de Mircea Eliade sur la dialectique entre le sacré et le profane, nous pouvons affirmer que l’anthropologie de l’Imaginaire, qui s’appuie sur une herméneutique symbolique, cherche à décrypter les comportements et les situations énigmatiques de l’homme primordial; autrement dit, elle continue à envisager la connaissance de l’homme traditionnel, récupérant et rétablissant tous les sens du symbolique.
L’originalité et l’importance d’une telle démarche résident justement dans la possibilité d’explorer et d’illuminer des univers spirituels qui sont tombés dans l’oubli ou qui sont presque inaccessibles aux non-initiés. L’anthropologue, tout comme l’historien des religions, perçoit la nature du sacré par le biais de la phénoménologie de la manifestation. Il y a une différence bien évidente entre l’approche théologique et l’approche anthropologique. Le théologien oriente son analyse vers le divin, vers sa nature, vers Dieu, s’appuyant sur les données de la Révélation, tandis que l’anthropologue examine la structure et la morphologie de toutes ces manifestations du sacré pour en saisir les contenus. Il ne s’agit donc pas du sacré comme réalité suprême, mais d’un sacré limité par l’acte-même de sa manifestation. L’anthropologue se propose de comprendre la valeur du sacré dans le contexte des hiérophanies redevables aux contraintes spatio-temporelles.
Nous pouvons attribuer à l’anthropologie de l’Imaginaire la tâche d’identifier la présence du transcendant à l’intérieur de l’expérience humaine. Le symbole consiste en un être, en un objet ou en un mythe qui révèle à l’homme primordial la conscience et la connaissance de ses dimensions sociales, en l’aidant à percevoir sa solidarité avec le sacré. Le symbole est apte à dévoiler une modalité du réel ou une structure du monde qui n’est pas visible sur le plan de l’expérience immédiate.
L’anthropologie de l’Imaginaire met l’accent sur la structure et sur la fonction authentique du symbole en tant que prolongement de l’hiérophanie et en tant que forme autonome de révélation. Pour ce type d’anthropologie, la pensée symbolique, qui précède le langage, correspond à la substance de la vie spirituelle. Au fond, le symbole, le mythe et l’image assurent la plénitude de cette vie religieuse. De plus, l’anthropologie de l’Imaginaire ne nie pas les apports de l’histoire ou des sciences humaines – toute l’œuvre de Gilbert Durand en est richement nourrie –, mais elle implique un changement radical de perspective en ce qui concerne la révélation de l’essence humaine.
Nous pouvons découvrir une nature humaine, un noyau commun à tous les hommes si nous ne réduisons pas l’individu à ce qui n’est qu’une part de lui-même. Ainsi se définit un véritable humanisme, grâce à ce que Gilbert Durand nomme un « œcuménisme de l’Imaginaire », qui restitue la vraie figure de l’homme.
L’anthropologie de l’Imaginaire s’oppose à l’historicisme, ce mythe occidental, source d’une fallacieuse idéologie du progrès, celle du temps linéaire et de la mort. La vision des rapports du mythe et de l’histoire, que l’anthropologie de l’Imaginaire propose, est infiniment plus complexe; loin d’être un produit de l’histoire, c’est le mythe qui vivifie l’imaginaire historique et organise les conceptions de l’histoire. Il ne s’agit pas de choisir entre l’histoire et la Tradition, formulation forcément dualiste de la question, mais de préciser les relations entre diachronicités et synchronicités, d’autant plus que les premiers n’ont de sens véritable qu’en référence aux secondes, en vertu du phénomène de récurrence.
D’ailleurs, une anthropologie de l’Imaginaire doit commencer par dégager les « bornes archétypiques » de l’homo sapiens, gages de l’individuation des personnes et de l’harmonie des cités. Il est significatif que, plus que celle de Prométhée ou que celle de Dionysos, c’est la figure d’Hermès qui acquiert la plus grande « prégnance symbolique », car Hermès est justement figure de « récurrence », divinité des « bornes ». Ce nouveau mythe est celui du lien entre les différences, il est celui de l’intercession entre le visible et l’invisible. L’anthropologie de l’Imaginaire est orientée vers l’horizon d’un sens qui, comme les archétypes, ne peut qu’être universel.
C’est pourquoi, l’anthropologie de l’Imaginaire réussit à concilier l’archéologie avec l’eschatologique, l’existence des limites archétypiques, rectrices du comportement individuel et collectif de l’anthropos à la liberté spirituelle créatrice. Le principe du fonctionnement de l’anthropologie de l’Imaginaire est le principe de non-dualité logique. Les implications de cette logique annulent le principe de causalité et tout déterminisme direct. Nous pouvons donc étendre le principe d’antagonisme aux structures du complexe, car toute science est contradiction irréductible entre les catégories du général vers lequel elle tend grâce à la formalisation mathématique, et les catégories du singulier.
L’anthropologie de l’Imaginaire n’a pas pour but d’être seulement une collection d’images, de mythes, de thèmes poétiques, de métaphores, mais de dresser le tableau des espoirs et des craintes de l’homme. C’est pourquoi l’anthropologie de l’Imaginaire permet la reconnaissance, l’identification de la pensée positive à la pensée mythique, et de la pensée mythique à la pensée civilisée, autour d’un noyau commun, celui de l’esprit humain.
Bibliographie
Bastide, Roger, Le Sacré sauvage et autres essais, Paris, Payot, 1975.
Bonardel, Françoise, Philosophie de l’alchimie. Grand Œuvre et modernité, Paris, PUF, 1993.
Corbin, Henry, L’Imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn Arabî, Paris, Flammarion, 1958.
Daniélou, Jean, Essai sur le mystère de l’histoire, Paris, Cerf, 1982.
Dubois, Claude-Gilbert, Les mythologies de l’Occident. Les bases religieuses de la culture occidentale, Paris, Ellipses, 2007.
Dubois, Claude-Gilbert, Récits et mythes de fondation dans l’imaginaire occidental, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2009.
Durand, Gilbert, Introduction à la mythodologie. Mythes et sociétés, Paris, Albin Michel, 1996.
Durand, Gilbert, Science de l’homme et tradition. Le Nouvel esprit anthropologique, Paris, Albin Michel, 1996.
Durand, Gilbert, L’imagination symbolique, Paris, PUF, 2003.
Eliade, Mircea, Images et symboles. Essai sur le symbolisme magico-religieux, Paris, Gallimard, 1952.
Lupasco, Stéphane, Logica dinamică a contradictoriului (La Logique dynamique du contradictoire), Bucarest, Éditions Politica, 1982.
Mihai, Constantin, La Logique d’Hermès. Études sur l’Imaginaire, Craiova, Sitech, 2006.
Mihai, Constantin, Gilbert Durand. Les métamorphoses de l’anthropologie de l’Imaginaire, Craiova, Sitech, 2009.
Morin, Edgar, Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990.
Wunenburger, Jean-Jacques, L’Imaginaire, Paris, PUF, 2003.
Wunenburger, Jean-Jacques, Philosophie des images, Paris, PUF, 2007.
Notes
Constantin Mihai
Université Constantin Brâncoveanu, Râmnicu Vâlcea, Roumanie
costimihai1977@yahoo.fr
Between phantasia and realia.
The anthropology of imagination
Abstract: The anthropology of imagination proposes the continuum and the constituent reference to primordial man in which it originates, starting from a unified centre, the sides of which all send to the mirror, to man in the world. The anthropology of imagination, therefore surpasses the dualistic opposition between the I and the non-I, between body and soul, a consequence of the study of the profane cosmos. The anthropology of imagination does not claim to be a simple collection of images, myths, poetical themes, tropes; rather it seeks to elaborate the picture of man’s hopes and fears. What the anthropology of imagination does is to allow for the recognition, indeed the identification of positive thinking with the mythical one, of mythical thinking with the civilized one. Orientating itself towards the horizon of a universal meaning, the anthropology of imagination manages to reconcile the archaeological with the eschatological, the existence of the archetypical limits, of the individual and collective behaviour with the spiritual creative freedom.
Keywords: Anthropology; Imagination; Duality; Myth; The Sacred; Archetypes.
L’anthropologie de l’Imaginaire a renouvelé les recherches académiques en étendant l’étude du dynamisme imaginatif non seulement dans toutes ses expressions religieuses habituelles mais aussi dans toutes les œuvres de l’homme, y compris dans l’histoire et ses philosophies, qui représentent une manifestation de la structure synthétique, la vraie structure historique de l’Imaginaire qui fonctionne dans une logique contradictorielle et dont les invariants créent les synchronismes que les cultures traditionnelles et la Tradition ont valorisés.
Le phénomène religieux a fait également apparaître des activités de mobilisation des images qui dépassent les pouvoirs ordinaires. La mystique a cultivé l’art de rendre sensible le monde surnaturel à travers des visions théologiques, que nous pouvons rattacher à la figuration d’un niveau de réalité ontologique, l’imaginal. Henry Corbin s’oriente dans sa recherche vers le motif exemplaire de « l’homme et son ange », motif d’une anthropologie qui a pour principe une angélologie fondamentale. La figure de l’ange ne cesse de réitérer l’énigme primordiale. L’ange est le thaumaturge et l’archétype de l’humanité, ayant deux ailes: l’une de lumière et l’autre orientée vers les ténèbres.
Nous constatons que l’imaginaire du temps linéaire de l’Europe millénariste joachimite a privilégié la contamination de la culture par une rationalité iconoclaste, par rapport au temps cyclique qui accueille la plupart des grands imaginaires religieux. Ce qui est remarquable dans la théorie de l’Imaginaire d’Eliade et de Corbin, c’est le fait qu’ils arrivent à démontrer que l’Imaginaire dispose d’un illud tempus qui échappe à l’entropie newtonienne.
Le monde de l’Imaginaire mis en évidence par l’étude des religions est un monde spécifique qui est au fondement du monde profane. La réaction des théologiens officiels de l’Église, en dépit de nombreuses réticences d’un Christianisme inquiet d’être dépassé par la modernité, s’est située dans cette tendance de résurrection du symbolique. C’est le cas de Jean Daniélou qui a le grand mérite d’avoir souligné la texture symbolique des religions et, de même, de Jacques Vidal qui a accentué le rapport entre l’homo religiosus et l’homo symbolicus.
L’Imaginaire se manifeste soit sous diverses formes de conduites ou d’aspirations irrationnelles (Bonardel, Bastide), soit sous l’hypostase d’une pédagogie qui est axée sur la resymbolisation des psychismes anémiés (Desoille) ou sur la conceptualisation de la double culture (Morin, Durand). L’Imaginaire, fondée sur la notion de bildung, essaie d’aboutir à une liberté créatrice au lieu d’être abandonné à la fantaisie. L’Imaginaire, dans sa tentative constitutive d’intégrer la raison conceptuelle au mécanisme complexe de la vie des images, s’appuie sur le principe de l’annulation des contraires.
L’Imaginaire culturel suit un trajet anthropologique, repérable dans les limites d’un bassin sémantique propre au cours d’un fleuve. Si l’imaginaire individuel se prête à une mythocritique qui dévoile les grands thèmes d’une œuvre et d’un auteur, selon le principe d’individuation incarné dans les structures, l’Imaginaire collectif se prête à une mythanalyse qui en restitue les unités mythiques.
L’anthropologie de l’Imaginaire substitue délibérément la notion bachelardienne de « profil épistémologique » à celle de « champ épistémologique ». La mise à jour des invariants de l’anthropos exige que l’on se confronte avec tout ce qui, pour les scientistes doit être rejeté, les liens complexes qui unissent l’homme à Dieu. Ceux-ci constituent un référentiel originaire, dont la permanence atteste de leur nature archétypale dynamique.
L’anthropologie de l’Imaginaire cherche, derrière les structures historiques et causales, des noyaux d’images fondatrices. Les anthropologues s’arrêtent trop tôt pour délimiter leur objet. Au lieu de niveler l’homo mythicus, par conversion immédiate du sémantique en syntaxique, de l’image en forme, l’anthropologie de l’Imaginaire constitue une méthodologie qui intègre une herméneutique symbolique et qui par là même ne trahit pas son objet au moment où l’on se le donne comme représentatif de structures mentales.
L’étude de l’homme traditionnel exige une certaine conaturalité entre sa nature et l’instrument de sa description. Quant à la recherche des sens latents, il n’y a aucune régression, mais une adaptation à la nature première de l’homme qui est un «animal symbolique». La méthodologie de toutes les sciences de l’homme est restée victime du rétrécissement post-kantien de l’homme au seul être rationnel. C’est à la connaissance du sujet symbolique, caché dans les structures profondes que sollicite la compréhension de l’homme traditionnel, dont le discours a été réduit à des miettes scientifiques.
L’anthropologie de l’Imaginaire suppose la référence permanente et constitutive à un homme aussi bien primordial que total, en qui s’originent, à partir d’un centre unifié, toutes les facettes qui renvoient, telles au miroir: l’homme au monde, le monde aux dieux et les dieux aux hommes. L’Anthropologie de l’Imaginaire dépasse l’opposition dualiste du Moi et du non-Moi, de l’âme et du corps, conséquence de l’étude du cosmos désacralisé.
S’appuyant sur le présupposé selon lequel la «science sans conscience n’est que ruine de l’âme», l’anthropologie de l’Imaginaire ne met pas l’accent sur l’homme en tant qu’ «épicentre fragile et vide», mais en tant que « lieu de passage où se comprend et se concrétise le secret qui lie la création au Créateur, le secret de Dieu»[1]. L’approche anthropologique de l’Imaginaire se fonde de la sorte sur la démystification de toutes les démythifications qui ont cru pouvoir donner à l’homme moderne la liberté des normes, l’orgueil des victoires par la seule lumière des sciences.
La tâche de l’anthropologue – du spécialiste de la Science de l’Homme – bien démuni de tous les pouvoirs que s’adjugent généreusement les idéologies contemporaines, est-elle à la fois plus modeste et plus fondamentale que celle du prince. Inlassablement contre la marée des modes de l’idéologie et du discours, contre les impérialismes et les monopoles ethnocentristes, il doit, comme Diogène, la lanterne à la main, chercher l’homme véritable, l’Adam éternellement primordial. Et cela sans désespérer de l’efficacité de sa science, car l’homme n’est plus tout à fait «cet inconnu» qu’il était au sortir de la substitution positiviste. Il est scientifiquement permis de «préluder» à cette anthropologie véridique qu’est le Nouvel Esprit Anthropologique. Cette espérance de la science de l’homme apparaît alors, dans un paradoxe qui n’étonnera que les sectateurs attardés du progressisme titanesque, comme une récurrence. Les valeurs, les coutumes, les rites, les mythes, les «leçons» des légendes et des histoires, etc., en un mot toute la Tradition resurgit au cœur même de l’anthropologie[2].
L’anthropologie de l’Imaginaire essaie de déchiffrer les significations profondes du sacré qui sont cachées ou bien «camouflées» dans la structure du profane. Ce type d’anthropologie symbolique offre la possibilité d’envisager une vision plus ample de l’histoire des religions, de la pensée symbolique dans la société traditionnelle qui cherche les signes de la sacralité dans le monde du profane. À partir de la thèse de Mircea Eliade sur la dialectique entre le sacré et le profane, nous pouvons affirmer que l’anthropologie de l’Imaginaire, qui s’appuie sur une herméneutique symbolique, cherche à décrypter les comportements et les situations énigmatiques de l’homme primordial; autrement dit, elle continue à envisager la connaissance de l’homme traditionnel, récupérant et rétablissant tous les sens du symbolique.
L’originalité et l’importance d’une telle démarche résident justement dans la possibilité d’explorer et d’illuminer des univers spirituels qui sont tombés dans l’oubli ou qui sont presque inaccessibles aux non-initiés. L’anthropologue, tout comme l’historien des religions, perçoit la nature du sacré par le biais de la phénoménologie de la manifestation. Il y a une différence bien évidente entre l’approche théologique et l’approche anthropologique. Le théologien oriente son analyse vers le divin, vers sa nature, vers Dieu, s’appuyant sur les données de la Révélation, tandis que l’anthropologue examine la structure et la morphologie de toutes ces manifestations du sacré pour en saisir les contenus. Il ne s’agit donc pas du sacré comme réalité suprême, mais d’un sacré limité par l’acte-même de sa manifestation. L’anthropologue se propose de comprendre la valeur du sacré dans le contexte des hiérophanies redevables aux contraintes spatio-temporelles.
Nous pouvons attribuer à l’anthropologie de l’Imaginaire la tâche d’identifier la présence du transcendant à l’intérieur de l’expérience humaine. Le symbole consiste en un être, en un objet ou en un mythe qui révèle à l’homme primordial la conscience et la connaissance de ses dimensions sociales, en l’aidant à percevoir sa solidarité avec le sacré. Le symbole est apte à dévoiler une modalité du réel ou une structure du monde qui n’est pas visible sur le plan de l’expérience immédiate.
L’anthropologie de l’Imaginaire met l’accent sur la structure et sur la fonction authentique du symbole en tant que prolongement de l’hiérophanie et en tant que forme autonome de révélation. Pour ce type d’anthropologie, la pensée symbolique, qui précède le langage, correspond à la substance de la vie spirituelle. Au fond, le symbole, le mythe et l’image assurent la plénitude de cette vie religieuse. De plus, l’anthropologie de l’Imaginaire ne nie pas les apports de l’histoire ou des sciences humaines – toute l’œuvre de Gilbert Durand en est richement nourrie –, mais elle implique un changement radical de perspective en ce qui concerne la révélation de l’essence humaine.
Nous pouvons découvrir une nature humaine, un noyau commun à tous les hommes si nous ne réduisons pas l’individu à ce qui n’est qu’une part de lui-même. Ainsi se définit un véritable humanisme, grâce à ce que Gilbert Durand nomme un « œcuménisme de l’Imaginaire », qui restitue la vraie figure de l’homme.
L’anthropologie de l’Imaginaire s’oppose à l’historicisme, ce mythe occidental, source d’une fallacieuse idéologie du progrès, celle du temps linéaire et de la mort. La vision des rapports du mythe et de l’histoire, que l’anthropologie de l’Imaginaire propose, est infiniment plus complexe; loin d’être un produit de l’histoire, c’est le mythe qui vivifie l’imaginaire historique et organise les conceptions de l’histoire. Il ne s’agit pas de choisir entre l’histoire et la Tradition, formulation forcément dualiste de la question, mais de préciser les relations entre diachronicités et synchronicités, d’autant plus que les premiers n’ont de sens véritable qu’en référence aux secondes, en vertu du phénomène de récurrence.
D’ailleurs, une anthropologie de l’Imaginaire doit commencer par dégager les « bornes archétypiques » de l’homo sapiens, gages de l’individuation des personnes et de l’harmonie des cités. Il est significatif que, plus que celle de Prométhée ou que celle de Dionysos, c’est la figure d’Hermès qui acquiert la plus grande « prégnance symbolique », car Hermès est justement figure de « récurrence », divinité des « bornes ». Ce nouveau mythe est celui du lien entre les différences, il est celui de l’intercession entre le visible et l’invisible. L’anthropologie de l’Imaginaire est orientée vers l’horizon d’un sens qui, comme les archétypes, ne peut qu’être universel.
C’est pourquoi, l’anthropologie de l’Imaginaire réussit à concilier l’archéologie avec l’eschatologique, l’existence des limites archétypiques, rectrices du comportement individuel et collectif de l’anthropos à la liberté spirituelle créatrice. Le principe du fonctionnement de l’anthropologie de l’Imaginaire est le principe de non-dualité logique. Les implications de cette logique annulent le principe de causalité et tout déterminisme direct. Nous pouvons donc étendre le principe d’antagonisme aux structures du complexe, car toute science est contradiction irréductible entre les catégories du général vers lequel elle tend grâce à la formalisation mathématique, et les catégories du singulier.
L’anthropologie de l’Imaginaire n’a pas pour but d’être seulement une collection d’images, de mythes, de thèmes poétiques, de métaphores, mais de dresser le tableau des espoirs et des craintes de l’homme. C’est pourquoi l’anthropologie de l’Imaginaire permet la reconnaissance, l’identification de la pensée positive à la pensée mythique, et de la pensée mythique à la pensée civilisée, autour d’un noyau commun, celui de l’esprit humain.
Bibliographie
Bastide, Roger, Le Sacré sauvage et autres essais, Paris, Payot, 1975.
Bonardel, Françoise, Philosophie de l’alchimie. Grand Œuvre et modernité, Paris, PUF, 1993.
Corbin, Henry, L’Imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn Arabî, Paris, Flammarion, 1958.
Daniélou, Jean, Essai sur le mystère de l’histoire, Paris, Cerf, 1982.
Dubois, Claude-Gilbert, Les mythologies de l’Occident. Les bases religieuses de la culture occidentale, Paris, Ellipses, 2007.
Dubois, Claude-Gilbert, Récits et mythes de fondation dans l’imaginaire occidental, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2009.
Durand, Gilbert, Introduction à la mythodologie. Mythes et sociétés, Paris, Albin Michel, 1996.
Durand, Gilbert, Science de l’homme et tradition. Le Nouvel esprit anthropologique, Paris, Albin Michel, 1996.
Durand, Gilbert, L’imagination symbolique, Paris, PUF, 2003.
Eliade, Mircea, Images et symboles. Essai sur le symbolisme magico-religieux, Paris, Gallimard, 1952.
Lupasco, Stéphane, Logica dinamică a contradictoriului (La Logique dynamique du contradictoire), Bucarest, Éditions Politica, 1982.
Mihai, Constantin, La Logique d’Hermès. Études sur l’Imaginaire, Craiova, Sitech, 2006.
Mihai, Constantin, Gilbert Durand. Les métamorphoses de l’anthropologie de l’Imaginaire, Craiova, Sitech, 2009.
Morin, Edgar, Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990.
Wunenburger, Jean-Jacques, L’Imaginaire, Paris, PUF, 2003.
Wunenburger, Jean-Jacques, Philosophie des images, Paris, PUF, 2007.
Notes