Fantômes, Revenants, Poltergeists, Mânes
Fantômes et revenants présentent un défi redoutable à la théorie traditionnelle de la représentation poétique. Comment re-présenter (c’est-à-dire présenter à nouveau ou imiter par le biais du langage) ce qui n’existe pas et n’a jamais existé, puisque par définition ces créatures fantastiques sont invisibles ? En fait, il est paradoxal que cette non-existence ne signifie pas pour autant que personne n’ait vu de revenants ou n’ait cru en voir. La totalité des civilisations humaines connaît les fantômes, même si elles usent de noms différents pour les désigner.
Ces êtres fantastiques ont fait le sujet d’un colloque organisé par le Centre de Recherche sur l’Imaginaire de Grenoble les 11 et 12 octobre 2010 à la MSH-Alpes, la Maison des sciences de l’homme du CNRS. La stratégie scientifique du colloque visait l’affinement d’une donnée centrale du structuralisme anthropologique tel qu’il se pratique dans les centres de recherche sur l’imaginaire en France et à l’étranger : l’existence d’invariants formels (structures narratives) ou systémiques (combinatoire de thèmes mythiques, comme ceux isolés par S. Thompson dans son Motif-Index of folk-literature). L’enquête a été menée à partir de récits relevant d’un même registre de l’imaginaire : les histoires de revenants, fantômes et poltergeists. Il s’agissait toutefois de dépasser l’analyse archétypale (ou archétypologie) proposée jadis par Gilbert Durand pour viser des voies nouvelles au confluent de la psychiatrie et des sciences cognitives.
Le projet consistait à envisager ces créatures fantastiques que sont les fantômes, revenants et poltergeists de manière comparative à la fois en diachronie et en synchronie. Il s’agissait de dégager les motifs mythiques associés à ces figures et de s’interroger sur leur signification anthropologique. Existe-t-il, malgré la diversité et la variabilité des contextes culturels, des constantes méthodologiquement repérables dans la représentation de ces créatures fantastiques ainsi que des archétypes communs à la base des imaginaires africains et européens ?
Une des conclusions des travaux a été qu’il existe bel et bien des « images » et non des « représentations » de fantômes. Le colloque a permis d’entrevoir des convergences avérées de ces images, en dehors de toute influence culturelle directe. Des explications de nature neuropsychique à propos de cette convergence pourraient maintenant être explorées. Celles-ci feraient appel aux phénomènes hallucinatoires mis en évidence lors de l’expérience dite des corps fantômes (obtenue en laboratoire par stimulation de certaines zones du cortex), en anglais out of body experience. À terme, il serait alors possible d’envisager un « imaginarium » cognitif, c’est-à-dire un répertoire des phénomènes d’illusion mentale dus à des dispositifs psychiques particuliers.
Philippe Walter