Ana Isabel Moniz
Universidade da Madeira, Portugal
anamoniz@uma.pt
«L’autobiographie ou les mots pour (re)composer sa vie»
Autobiography Or The Words To (Re) Construct Life
Abstract: This paper proposes a reflection on the genre of autobiographical literature and authors who, either intentionally or casually, ‘write their lives’, laying bare the problematics of the boundary separating truth and fiction, life and writing. What is autobiography? What is its theoretical canon? How is one to delimit its boundaries? Would it be acceptable to consider as fiction the texts that ‘emanate from life’, that evoke or call on life experience? The intention is to reflect on these issues with reference to the works of Julien Gracq and António Lobo Antunes. Julien Gracq, an anti-canonical figure, opposes the traditional classification of literary genres, refusing to circumscribe literature to the closed space of a unique genre. His writing (namely La forme d’une ville, Autor des sept collines and Les Eaux étroites) includes experiences that arise from lived moments and revisited landscapes, joining real and imaginary. An attempt to answer the above questions will also be made by analysing D’este viver aqui neste papel descripto – Cartas de Guerra by António Lobo Antunes, which are viewed as a set of real experiences and information put forth by the author, in his own name. It is an intimate form of narrative, generated without a declared or even supposed aesthetic intention.
Keywords: autobiographical literature; fiction; life and writing; Julien Gracq; António Lobo Antunes.
Inscrit dans sa condition ou bien dans sa nature, l’Homme est la somme de multiple expériences, “des pièces numérotées d’[un] puzzle [qui configure] l’existence”[1], comme l’a écrit António Lobo Antunes. Néanmoins, son essence ne se résume pas seulement à l’ensemble des instants réels en un moment donné, mais aussi à ces autres endroits qui ne sont plus ou qui auraient pu se passer, parce que déjà vécus ou simplement imaginés. Enregistrer, sciemment ou pas, les expériences qui s’agrègent dans une « tranche de vie » est une problématique qui fera l’objet de notre communication.
Dans le parcours que nous nous proposons de suivre, nous réfléchirons sur la littérature autobiographique à partir de deux cas d’auteurs qui volontairement ou indirectement «écrivent leur vie», en articulant les binômes vérité et fiction, autobiographie et écriture. Ces écrivains sont Julien Gracq et António Lobo Antunes.
Rebelle aux canons et aux classements traditionnels des genres littéraires, Julien Gracq se refuse à circonscrire le champ littéraire dans l’espace clos d’un genre unique. Dans Les Eaux étroites, un mode d’écriture que l’on peut considérer fragmenté (et où l’on peut inclure La Forme d’une ville, Autour des sept collines), s’inscrivent des expériences de moments vécus, de paysages revisités en conjuguant le réel et l’imaginaire.
Partant de Lettres de la Guerre – de ce vivre ici sur ce papier décrit, d’António Lobo Antunes[2], nous essaierons de réfléchir également sur ce récit intimiste, de forme épistolaire, créé sans intentions esthétiques déclarées, voire même supposées. Le volume réunit sa correspondance avec sa femme depuis les endroits où il s’est trouvé pendant la guerre coloniale en Angola, entre 1971 et 1973, ce qui confère à ces lettres l’indéniable statut de document authentique. Comme il est dit dans le livre, l’idée de les publier est partie des filles de Lobo Antunes et sans doute justifiée par la place que l’auteur occupe actuellement dans le milieu littéraire international.
Aussi avons-nous là, côte à côte, deux œuvres de nature distincte : celle de Julien Gracq qui renvoie à des registres fragmentés où l’auteur empirique conjugue le réel et la fiction, et celle de Lobo Antunes, un ensemble de lettres personnelles correspondant aux aérogrammes envoyés à sa femme alors qu’il se trouvait être jeune médecin mobilisé en Angola.
Il nous faudra dans un premier moment poser les questions qui s’imposent quand on se propose de réfléchir sur l’écriture qui permet d’écrire la vie : qu’est-ce qu’en fin de compte l’autobiographie ? Quels sont les canons théoriques qui l’encadrent ? Comment délimiter ses frontières ? Peut-on considérer l’autobiographie comme une fiction, alors que les textes découlent du vécu, évoquent ou convoquent des expériences de vie ?
Nous essayerons de répondre aux questions formulées plus haut en la posant comme un ensemble d’expériences et de références réelles racontées par l’auteur, à la première personne, partant de la définition proposée par Philippe Lejeune dans son Pacte autobiographique : “un récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité”[3].
Toutefois, aux questions déjà formulées sur l’autobiographie et à la définition qu’en a donnée Philippe Lejeune s’ajoute le problème de l’intentionnalité de l’auteur. Toute autobiographie se présente, en effet, comme une sélection, un récit de morceaux choisis d’une vie, par rapport à tout ce qui n’est pas raconté, à toute cette partie du vécu laissée sous silence, qui détermine au bout du compte l’entendement de tout ce que les pages écrites font jaillir. Cela revient à dire qu’il convient de déterminer jusqu’à quel point la non inclusion de certains aspects peut ou non affecter le supposé fil de la vérité, ce à quoi l’autobiographie prétend presque toujours : “ce que je te cache, je ne l’avoue pas, je n’en parle pas”[4], dira António Lobo Antunes dans son œuvre Que farei quando tudo arde.
Une deuxième question s’attache au fait qu’un récit implique une structure fictionnelle intrinsèque. Bien qu’elle ait un support réel, celle-ci se présentera toujours comme un produit d’une intention esthétique, où l’on abrège ou l’on étire les temps historiques, où l’on place des personnages dans des espaces et des atmosphères qui viennent d’être construits, une fois que le narrateur, malgré son statut d’entité omnisciente, ne parvient jamais à obtenir la conscience totale du milieu empirique dans lequel il baigne. La lacune espace-temps de l’écriture viendra, ainsi, conditionner la recomposition de la vie-écrite du narrateur-auteur, un obstacle que Paula Morão souligne quand elle affirme qu’“en recherchant le « moi, je » dans le passé, le sujet veut réorienter l’à-venir, en se corrigeant lui-même ou en infléchissant son parcours, en construisant une utopie de soi qu’il souhaite pouvoir accomplir”[5].
C’est-à-dire qu’il semble exister, de facto, un paradoxe entre la vie vécue et la vie racontée. Tout en créant chez le lecteur l’illusion qu’il est devant un ensemble de faits réels racontés par l’auteur lui-même/sujet de l’énonciation, l’autobiographie devient, en conséquence, fiction dans ce jeu de “faire semblant”, selon l’expression de Pavel[6], car elle se fonde sur une structure narrative qui implique toutes sortes d’omissions, d’additions ou de redistributions chronologiques, par voie d’une intention esthétique. En ce sens, tout récit se présente alors comme une fiction.
Il est certain qu’en littérature la subjectivité de l’écriture implique, avec plus ou moins de clarté, la projection de circonstances qui renvoient à l’auteur[7]. À ce propos, Helena Carvalhão Buescu affirme que “le texte sait et révèle de qui il vient et vers qui il va”[8]. Toutefois, Maria Alzira Seixo, dans son étude consacrée aux romans de Lobo Antunes, observe qu’on ne doit pas forcer la reconnaissance de situations coïncidant avec des expériences de la vie personnelle de l’écrivain, comme des stratégies d’approche du texte, forçant ainsi les rapports de cohérence, mais que l’on doit plutôt tenter de comprendre un texte dans son rapport avec le réel: “la question autobiographique n’a de sens que si le trait qui renvoie à la figure de l’écrivain, à sa circonstance et à son expérience, vient créer une interpellation du texte par rapport à celui qui le lit et obliger cette interpellation à suivre un chemin de conjecture selon les labyrinthes de la production artistique”[9]. C’est donc par cette voie qu’on essaiera de réfléchir sur la problématique de l’autobiographie dans la production d’António Lobo Antunes et celle de Julien Gracq.
En ce qui concerne Lobo Antunes, l’un des écrivains portugais les plus en vue de l’actualité et proposé comme candidat au prix Nobel, son livre Lettres de la Guerre rassemble des lettres personnelles, une sorte de “journal de l’amour absent”[10], selon sa propre expression, qui raconte des expériences vécues par celui qui les raconte et qui offre également, outre les données biographiques qu’elles transmettent au lecteur, d’importantes références historiques et politiques permettant de dévoiler la cartographie de sa vie.
Pour ce qui est de la problématique de l’autobiographie, la préface du livre vient, d’emblée, encadrer les quelques questions posées plus haut. Lettres de la Guerre réunit les aérogrammes envoyés à son épouse par ce jeune médecin psychiatre qu’était alors Lobo Antunes. Mobilisé par l’armée portugaise et envoyé en Angola, dans les années où cette ancienne colonie portugaise s’était engagée dans la lutte pour son indépendance, il part peu après s’être marié et se trouvera privé du bonheur d’accompagner la gestation, la naissance et les premiers mois de vie de sa progéniture. Il s’efforcera de compenser cette longue séparation par le biais de lettres qu’il écrit très régulièrement, presque quotidiennement. Le contexte de leur production explique, en partie, la nature compulsive du style : dans une atmosphère de dépaysement où la guerre gronde, ces lettres d’amour supplient leur destinatrice de lui donner le change comme un palliatif à l’insupportable douleur de l’absence[11].
Trente-quatre ans plus tard environ, ses filles, Maria José et Joana Lobo Antunes, décident de les mettre sous presse, en justifiant dans la préface la raison de leurs motivations : “Le choix de les publier n’est pas nôtre : c’est la volonté expresse de notre mère, destinataire et conservatrice de cette correspondance jusqu’à une date récente. Elle nous a toujours dit que nous pourrions la lire et la publier après sa mort, et ce moment est à présent venu”[12]. Et c’est également dans la préface, avant de donner à connaître l’intention de leur geste, que les filles de l’auteur et responsables de cette édition expliquent la nature du livre : “Les lettres de ce livre furent écrites par un homme de vingt-huit ans, dans le cadre intime de sa relation avec sa femme, isolé de tout et de tous durant deux ans de guerre coloniale en Angola, sans qu’il pense qu’elles seraient publiées un jour. […] Mais quelle qu’en soit l’approche, littéraire, biographique, document de guerre ou histoire d’amour, nous savons qu’elles sont extraordinaires sous tous ces aspects”[13].
Les circonstances particulières de la production de ce livre évoquées dans la préface, celui de l’espace intime d’une relation à deux et celui de sa publication – un aspect probablement jamais considéré au moment de leur écriture – le placent dans une zone inquiétante en termes de classement littéraire qui offre la possibilité d’un certain hybridisme. Il pourra être perçu par le lecteur comme un texte autobiographique parce qu’il s’agit d’un récit rétrospectif résolument non fictionnel qu’un sujet de l’énonciation en tant que personne réelle fait de sa propre existence. Néanmoins, du point de vue de l’auteur, il nous semble que celui-ci ne pourra certainement pas le considérer comme texte autobiographique, ni comme fiction, car là n’était pas son intention au moment de les écrire, mais seulement comme des documents issus d’un paquet de lettres auquel les années ont fait prendre du volume, représentant des bribes de son existence et de sa vie intérieure dans l’espace de sa relation personnelle et intime avec son épouse.
D’autre part, pour presque toute sa production fictive, l’écriture syncopée, fragmentaire, associée à la pensée, met en scène les convulsions et les troubles vécus par la société portugaise, dès la guerre de l’Afrique, les excès de la Révolution et la crise de valeurs qui s’est, alors, installée au Portugal. C’est un discours fictif où s’enlacent des liens profonds avec la vie elle-même à laquelle le lecteur artificieusement se joint parce qu’il y reconnaît les espaces de la pensée et de la mémoire.
Dans la production littéraire de Julien Gracq, on pourra noter deux périodes d’écriture distinctes. Un premier et long moment compris entre 1938 et 1970, dominé par la fiction et intercalé de quelques textes apparentés à des essais, renvoyant également à son expérience poétique. C’est, surtout, dans cette pratique littéraire que s’intègre la production romanesque[14], une modalité d’expression écrite que l’auteur a par la suite abandonné, mais dans tous les cas un récit de fiction qui, d’une certaine manière, s’approche du paradigme littéraire créé par le roman du XIXe siècle, qui consiste dans la linéarité des événements narrés. On y a encore recourt à l’histoire comme une implication d’événements, nécessaire pour le récit, bien qu’il n’obéit pas à la dynamique des aventures qui se succèdent et structurent le roman traditionnel de type balzacien.
Dans la période située entre les années 70 et 90, il publie des œuvres difficiles à classer – des anthologies de textes variés, notes personnelles, fragments d’un parcours personnel, notes de voyage – ou encore des réflexions dans le cadre de la critique essayiste, un ensemble de textes qui, allant de Préférences à Lettrines, de La Forme d’une ville à Autour des sept collines, abordent la dimension autobiographique dans les termes que Jean-Yves Tadié emploie: “Autrefois, l’autobiographie accompagnait le roman […] ; maintenant elle le remplace”[15]. Gracq abandonnera progressivement la fiction pour privilégier des productions qui s’encadrent dans des genres bien distincts et où l’on peut suivre le parcours idéologique et poétique qui oriente sa production littéraire, notamment à travers des entretiens, des essais critiques et des pamphlets.
Quel que soit le critère utilisé pour classer cette œuvre plurielle, nous ne pouvons ne pas considérer dans son approche l’inscription de moments vécus, de paysages (re)visités, en conjuguant l’écrit, le lu et le vécu et, par coup, en modelant le réel à travers l’imaginaire. En ce sens, un texte de fiction semble être indissociable de ses conditions pragmatiques, qu’il s’agisse du contexte historique et culturel, de ses conditions de production ou de réception, une perspective qui va dans le sens de la réflexion de Wittgenstein portant sur l’acte de langage, quand il affirme que les textes de fiction se présentent comme des « forme de vie ».
Si l’on peut ici évoquer la dimension autobiographique de ces textes, il n’est pas moins vrai, comme le remarque Bernard Vouilloux au sujet de cette catégorie, qu’elle “n’est pas un genre (ou n’en a pas) : elle se les donne presque tous, noyautant le récit, le journal, le dialogue”[16].
Ce qu’on pourrait peut-être affirmer c’est que chez Gracq l’ambiguïté de l’indéfinition des genres littéraires découle surtout de la vision poétique qui marque le discours de l’ensemble de ses textes. C’est ce qui nous amène à constater que ces registres ne sont pas aussi diversifiés comme on pourrait le croire à première vue. Si aux yeux de Gracq “le commentaire sur l’art d’écrire est mêlé de naissance, inextricablement, à l’écriture”[17], sa pensée pourra également s’intégrer au bout du compte dans l’ambiguïté du romanesque, comme dans Les Eaux étroites, où la descente d’un fleuve amènera le protagoniste – narrateur, alter-ego de l’auteur, à tisser une série de réflexions qui se dédoubleront dans une autre descente à l’intérieur de lui-même. “[…] la fiction ici s’autorise parfaitement de l’expérience, et […] si nous interrogeons notre profonde mémoire, nous savons que ces châteaux au bois dormant et ces terres gâtes nous les avons à quelque détour de notre vie une fois au moins rencontrés”[18]. Il s’agit alors de cette “promenade entre toutes préférée, à l’excursion sans aventure et sans imprévu qui nous ramène en quelques heures à notre point d’attache, à la clôture de la maison familière”[19].
Retour au “point d’attache”, bribes d’une vie découlant d’une réflexion que nous dirions « autobiographique ». Malgré les distinctes formes d’expressions qui, à première vue, se détachent de l’ensemble de son oeuvre, l’auteur se propose de fondre l’écriture de la fiction et l’écriture de la critique dans une même pratique, dans une même substance littéraire, envisagée sous différents angles[20]. C’est la configuration de cette pratique de l’écrit qui a conduit Philippe Berthier[21] à attirer l’attention sur la nécessité de sortir du cadre de la vraisemblance formelle ou psychologique des textes. Si un récit de fiction peut inclure des réflexions de critique essayiste, ce qui chez Gracq, néanmoins, ne sera pas une pratique aussi évidente, le même phénomène pourra fonctionner dans le sens inverse. Selon l’auteur, il ne faudra pas dévier ses textes critiques d’un fonds romanesque, restes de fiction réunis dans une sorte d’atelier ou de réservoir matériel fondés dans les “archives imaginaires”, selon sa propre expression[22], étant donné qu’il s’agit finalement toujours du même monde qui constitue l’un des traits les plus marquants de la modernité de Gracq.
À travers la superposition de voix qui se croisent au long du voyage de l’écriture, dans ces “deux parcours rituels […] qui n’auraient jamais dû se recouper”[23], le lecteur trouvera les marques d’une identité discursive où l’imaginaire ne finit pas de s’inscrire. Comme s’il s’agissait de ce voyage qui traverse Les Eaux étroites, en rapprochant “le présent et l’imparfait, [qui] inextricablement, se mêlent dans le défilé d’images de cette excursion”[24]. La barque, vue comme la métaphore de sa propre écriture, ouvre l’unique possibilité de revisiter le pays de l’enfance, pourtant éloigné de l’espace référentiel comme un lieu virtuel : “Dès qu’on s’engageait sur l’Évre, on pénétrait dans un canton retranché de la terre, dont la barque seule pouvait livrer la clef”[25].
Apparemment mise au banc par la critique structuraliste, la composante autobiographique a finalement retrouvé sa place au milieu des Études Littéraires, sans cesser d’y occuper pour autant une place ambiguë, étant donné la frontière fragile qui la sépare (ou la rapproche) de la fiction.
Dans les oeuvres citées, les auteurs semblent s’incliner vers une apparente déconstruction des genres littéraires du récit. D’ailleurs, leurs oeuvres semblent ne pas se laisser classer dans l’espace clos d’un genre donné. En fait, écrire tend à se poser comme un acte qui exclut, d’emblée, toutes impositions conceptuelles. Comme le dit Gracq, on écrit parce qu’“on a envie tout bonnement de communiquer quelque chose : une remarque, une sensation, une expérience”, ou bien parce qu’“il arrive que l’écrivain ait envie tout simplement d’ «écrire»”[26].
À la lecture du texte remonte à la surface des épisodes de la vie de celui qui écrit. Chez António Lobo Antunes les histoires se mêlent aux mémoires rapportées par la nostalgie d’un passé perdu, fragments de vie qui déclenchent des images cristallisées dans le temps et en nous. C’est le cas particulier du voyage introspectif qui convoque dans son discours les temps vécus en Angola, mais surtout la douleur de la perte des siens et de lui-même.
Chez Julien Gracq, l’imagination onirique se superpose à la vie réelle, vu que les images et les thèmes récurrents de son oeuvre sont les révélateurs de l’incessante communication avec cette autre réalité, plus vaste, inscrite dans l’antériorité, peut-être même supérieure à la vie individuelle. L’imagination, telle comme elle apparaît définie dans Préférences, est “un résidu de souvenirs. Au fond, l’imagination est un effet de sentiments.”[27]
S’il est certain que la vie, les voyages, les souvenirs affleurent au fil des textes de ces deux écrivains, ouvrant les voies de lecture de l’imaginaire, l’héritage littéraire, qu’ils ont reçu au fil de leurs lectures, ne s’effacera pas non plus, en suggérant au lecteur d’autres chemins invisibles.
Dans la critique, comme dans la fiction, il s’impose de reconquérir l’espace vital des mots, de leurs combinatoires, de la magie évocatrice qui leur permettent d’établir un dialogue et de promouvoir des effets de sens. Comme affirme Maria Alzira Seixo, “l’Autobiographie c’est ce que l’on veut donner (communiquer, partager) de la vie que l’on écrit, et il est peu probable qu’il puisse en exister une autre”[28].
Notes
[2] Traduit en seize langues, António Lobo Antunes a, actuellement, près de vingt-six livres publiés.
[5] Paula Morão, “O secreto e o real – Caminhos contemporâneos da Autobiografia e outros artigos intimistas”, Românica – Revista de Literatura, 3, 1994, p. 28 (traduction libre).
[7] Si les romans d’António Lobo Antunes semblent des fictions il est certain qu’ils n’excluent pas des aspects de sa vie personnelle, ainsi que des expériences de sa carrière (il est médecin), comme le prouvent ses chroniques et ses interviews.
[8] Helena Carvalhão Buescu, in Em busca do Autor Perdido, Lisboa, Edições Cosmos, 1998, p. 25 (traduction libre).
[9] Maria Alzira Seixo, Os romances de António Lobo Antunes, Lisboa, Dom Quixote, 2002, p. 475 (traduction libre).
[10] António Lobo Antunes, Lettres de la guerre – de ce vivre ici sur ce papier décrit, traduit par Carlos Batista, Paris, Christian Bourgois Éditeur, p. 344.
[11] Le désespoir dû à « saudade » est bien visible dans la graphie de l’aérogramme du 5 avril 1972, dont la grandeur des lettres semble représenter la dimension de la douleur de l’absence. Voir António Lobo Antunes, Lettres de la guerre, pp. 461-462.
[14] Gracq publiera Au château d’Argol (1938), suivi d’Un beau ténébreux (1945), Le Rivage des Syrtes (1951), Un balcon en forêt (1958) et La Presqu’île (1970).
[15] Jean-Yves Tadié, O romance no século XX, Lisboa: Publicações D. Quixote, Colecção Nova Enciclopédia, p. 40 (traduction libre).
[17] Julien Gracq, En lisant en écrivant (1980), in Œuvres Complètes, Paris, Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», 1995, T. II, p. 560.
[20] À propos de la diversité des genres qui marque l’écriture de Julien Gracq, l’auteur cherchera à donner une explication : “Un écrivain est surtout sensible à l’évolution de son écriture, qui l’éloigne de ses premiers livres […]. J’ai le vif sentiment, pour mes premiers livres, d’étapes d’immaturité personnelle que j’ai franchies l’une après l’autre”. Voir l’interview de Julien Gracq à Jean Roudaut, in Julien Gracq, Œuvres Complètes, T. II, p. 1227. Toujours sur ses réflexions au sujet des livres qu’il a écrits, consulter l’entretien donné à Jean Carrière, Id. Ibidem, surtout les pages 1255 à 1262.