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Fantomele şi mitul inocenţei infantile
Jean Marigny
Université Stendhal-Grenoble III, France
Jean.marigny@orange.fr
Les fantômes et le mythe de l’innocence enfantine
Ghosts and the Myth of Children’s Innocence
Abstract: This paper deals with the treatment of ghost children in English fantastic literature. These characters are recurrent in Victorian literature. Unlike adult ghosts who are often malevolent, they are generally the innocent victims of a cruel fate which they did not deserve and are consequently harmless. Their presence is only a sad reminder of what they suffered in their lifetime. This conception was respected by twentieth century writers until the seventies. Novels such as The Other by Thomas Tryon or Julia by Peter Straub completely shatter the myth of children’s innocence. It is clearly a post-Freudian conception. Freud and his disciples have demonstrated that young children, far from being the immaculate angels we like to imagine, have strong sexual impulses which my lead them to a criminal behaviour. As Sabine Büssing puts it, children in contemporary literature have become the “strangers in the house”.
Keywords: Fantastic literature; Ghosts; Children; Evil; Innocence.
Pendant la période victorienne qui est considérée comme l’Âge d’Or des histoires de fantômes, on voit souvent des spectres d’enfants dans les récits fantastiques. Ils sont généralement conformes à la conception qu’avaient les victoriens de l’enfance et, à la différence des fantômes adultes qui sont souvent maléfiques, ils apparaissent souvent comme les victimes d’un sort cruel qu’ils n’ont pas mérité. Dans une nouvelle de M. R. James, « Cœurs perdus » (« Lost Hearts », 1895), par exemple, une maison, Aswarby Hall dans le Lincolnshire est hantée par deux fantômes d’enfants, un garçon et une fille. Stephen Elliott, petit orphelin qui a été adopté par son cousin entre deux âges, M. Abney, le propriétaire d’Aswarby Hall, voit les deux fantômes d’enfants d’abord dans ses rêves puis dans la réalité et il est effrayé quand il regarde de plus près la poitrine du petit fantôme : « Sur le côté gauche de sa poitrine s’ouvrait une plaie noire et béante »[1]. Convoqué par son cousin, Stephen entre dans son bureau et, sur la table, il découvre des documents dans lesquels M. Abney reconnaît le meurtre de deux enfants, un garçon et une fille, afin d’obtenir la vie éternelle en absorbant leur âme. Une phrase dit : « Le meilleur moyen d’effectuer l’absorption désirée consiste à extraire le cœur du sujet vivant, à le réduire en cendres et à mélanger celles-ci à une pinte de vin rouge, de préférence, du porto »[2]. Le dénouement de l’histoire est assez sinistre : « On trouva M. Abney dans son fauteuil, la tête rejetée en arrière, son visage exprimant la colère, l’effroi et une douleur mortelle. Une épouvantable plaie au flanc gauche terrible mettait le cœur à nu »[3]. Le lecteur comprend que les deux enfants fantômes ont pris leur revanche.
La nouvelle de M. R. James est probablement le seul exemple de la littérature victorienne dans lequel les fantômes d’enfants deviennent des assassins. Dans la littérature de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, les fantômes d’enfants, en règle générale sont totalement inoffensifs. Leur présence, la nuit dans une maison, n’est là que pour rappeler tristement ce qu’ils ont souffert de leur vivant. Loin d’être effrayants, ce sont de gentilles petites créatures, comme la petite Elsbeth dans « Their Dear Little Ghost » (Leur cher petit fantôme) d’Elia Wilkinson Peattie (1898), une petite fille qui meurt quelques jours avant Noël. Le lendemain du jour de Noël, ses frères ont une foule de cadeaux mais, évidemment, il n’y a rien pour la petite fille. La narratrice, qui est la marraine d’Elsbeth, entend pleurer le fantôme. Le Noël suivant, elle décide de disposer des jouets dans la chambre d’Elsbeth. Pendant la nuit, elle entend rire l’enfant et, le lendemain matin, tous les jouets ont disparu. Le petit fantôme les a emportés et il ne viendra plus hanter la maison de ses parents. Une autre histoire émouvante est « Le fantôme perdu » (« The Lost Ghost », 1903) de Mary Eleanor Wilkins-Freeman. Une nuit, une jeune institutrice qui loue une chambre dans une maison appartenant à deux veuves, Abby Bird et sa sœur Amelia Dennison, voit une étrange petite fille au teint pâle, vêtue d’une chemise de nuit, qui murmure qu’elle a perdu sa mère. Le lendemain elle interroge ses hôtes sur cette étrange visiteuse et elle apprend que la maison est hantée par le fantôme d’une petite fille qui est morte de faim après avoir été enfermée dans sa chambre et abandonnée là par son irresponsable mère. Quelques jours plus tard, l’une des deux veuves meurt soudain et la narratrice voit son fantôme marcher dans le jardin tenant la petite fille par la main. Le petit fantôme a enfin trouvé une mère. Dans « L’intercesseur » (« The Intercessor », 1911), nouvelle de May Sinclair, on retrouve la même idée. Le protagoniste, un écrivain du nom de Garvin, loue une chambre dans une maison isolée en campagne appartenant à la famille Falshaw. Les époux Falshaw sont des gens maussades et rustres qui habitent là avec leur nièce Onny. Chaque nuit, Garvin entend pleurer un enfant et il suppose qu’il est enfermé dans une pièce par les Falshaw. Une nuit, il voit une petite fille entrer dans sa chambre, monter sur son lit et l’enlacer. Il comprend finalement que c’est un fantôme mais il n’a pas peur d’elle et une étrange relation s’établit entre eux. Grafton apprend du médecin de famille que les Falshaw avaient une fille qui était totalement délaissée par sa mère et qui s’est noyée accidentellement en tombant dans une citerne. Pleine de remords, la mère a entièrement rejeté le souvenir de sa fille morte. À force de patience, Garvin réussira à réconcilier le petit fantôme et sa mère, d’où le titre de la nouvelle « L’intercesseur ».
Les fantômes dont nous avons parlé viennent hanter les vivants parce qu’ils sont à la recherche de quelque chose ou de quelqu’un qui leur a manqué de leur vivant ou après leur mort. Parfois, c’est le remords qui les fait apparaître parmi les vivants. Dans « La porte ouverte » (« The Open Door, 1882, nouvelle de Margaret Oliphant, Roland, le fils du colonel Mortimer qui a loué la vieille maison de Brentwood en Écosse, entend chaque nuit dans le parc une voix jeune qui s’écrie « O maman, laisse-moi entrer ». Le colonel Mortimer décide de fouiller le parc de fond en comble pour trouver le détenteur de cette voix mystérieuse mais en vain. Une nuit, il est accompagné d’un médecin et du pasteur du coin, le Dr Moncrieff. Les trois hommes entendent l’orateur invisible et le Dr Moncrieff reconnaît la voix d’un garçon mort il y a quelques années. Ce garçon a fait une fugue laissant sa mère désespérée. Apprenant qu’elle est tombée malade, il est revenu mais c’était trop tard : il a trouvé sa mère sur son lit de mort. Le fantôme veut rejoindre sa mère au paradis mais il en est empêché par son sentiment de culpabilité. Une prière prononcée par le pasteur finit par libérer son âme. Ce genre de fantôme n’a rien d’effrayant mais il suscite plutôt notre pitié.
Les fantômes d’enfants de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle ne sont jamais maléfiques. Ils peuvent même jouer un rôle positif. Dans « Le grenier » (« The Attic », 1912) d’Algernon Blackwood par exemple, le fantôme d’un petit garçon mort un an avant le début de la nouvelle, redonne la paix à l’âme d’un vieil usurier français du nom de Petavel qui s’est pendu dans le grenier et qui a depuis lors hanté la maison. À la fin de l’histoire, le narrateur voit s’éloigner le vieil homme et le petit garçon main dans la main. Grâce à l’intercession de l’enfant, Petavel a été pardonné pour son suicide, et son âme peut aller au ciel. Dans certains cas, la présence d’un enfant fantôme peut apporter la paix et le réconfort aux vivants. Dans la nouvelle de Hugh Walpole « Le petit fantôme » (« The Little Ghost, 1922), le narrateur qui souffre d’une dépression nerveuse à la suite du décès précoce de son meilleur ami décide de quitter son domicile à Wimbledon et de passer une quinzaine de jours au bord de la mer. Invité par des amis de son frère, il passe son temps dans une maison du XVIIIe siècle. Une nuit, dans sa chambre, il voit une silhouette dans l’obscurité. Les nuits suivantes, il sent une présence près de lui et, au lieu d’en avoir peur, il s’y habitue. Lors de sa dernière nuit dans la maison, il voit enfin une petite fille apparemment effrayée par les bruits faits par des enfants qui jouent. Il essaie de la réconforter et il y a un instant d’harmonie parfaite entre le narrateur et le petit fantôme. Il a soudain l’impression que son propre chagrin s’est dissipé comme si le petit fantôme l’avait réconcilié à l’idée de la mort. À son retour à Londres, il apprendra que le fantôme lui a laissé un cadeau, une poupée portant un nom et une date : « Ann Trelawney, 1710 ». Les petits fantômes peuvent être amicaux et même jouer avec des enfants vivants. Dans « Camarades de jeu » (« Playmates ») de A. M. Burrage (1927), une petite orpheline, Monica, est adoptée à l’âge de huit ans par un certain Everton, célibataire d’un certain âge qui était le meilleur ami de son père. Everton, historien et érudit, ne fait guère attention à sa pupille. Quand il décide de déménager quatre ans plus tard pour habiter une vieille maison dans le Suffolk, Monica est abandonnée à elle-même et elle passe ses journées à jouer avec des fillettes imaginaires dans une pièce qu’elle appelle la « salle de classe ». Everton a la surprise de constater que sa pupille utilise des tournures de phrases et des termes surannés qu’elle n’a jamais appris. Le pasteur local, Parslow, révèle enfin la vérité : la maison où habitent Everton et Monica était, il y a un siècle, une école de filles. Jusqu’à sa fermeture définitive à la suite d’une épidémie de diphtérie. Sept écolières moururent en quelques jours et leurs fantômes sont devenus les compagnes de jeu de Monica. La même idée est utilisée de manière différente par Rosemary Timperley, dans une nouvelle plus récente, « Harry » (1955). Christine est une orpheline âgée de huit ans qui a été adoptée comme bébé par les James. Ses parents adoptifs n’ont jamais su d’où elle venait, comme le règlement de la Société d’adoption de Greyhorne l’interdit. Mrs James est très anxieuse parce que Christine parle constamment avec un compagnon imaginaire qu’elle appelle Harry et elle affirme que c’est son frère. Mrs James, néanmoins, décide de demander à la directrice de la société d’adoption, Miss Cleaver d’où vient Christine. Elle apprend finalement que les parents de Christine habitaient dans un quartier pauvre de Londres et qu’ils avaient deux enfants, Christine, qui était alors un bébé et un frère aîné, Harry, qui avait quatorze ans. Quand le père désespéré décida de commettre un suicide collectif en ouvrant le gaz dans la maison, Harry réussit à sauver sa petite sœur en sautant par la fenêtre de sa chambre. Le bébé était sain et sauf mais son frère s’est tué en sautant. Cette histoire émouvante, cependant, a un dénouement sinistre. Lorsque Mrs James arrive en retard à l’école pour chercher Christine, la directrice lui dit que son frère est déjà venu la chercher. On ne reverra plus jamais la petite fille.
Dans toutes les nouvelles que nous avons mentionnées les enfants fantômes sont avant tout des victimes. Ils ne font preuve d’aucune hostilité envers les vivants et ils essaient plus ou moins de réparer un tort qui leur a été fait de leur vivant, à eux ou à leurs parents proches. Dans « Walnut Tree House » (« La Maison au noyer ») de Charlotte Riddell (1868) par exemple, Edgar Stainton qui vient d’hériter une vieille maison en très mauvais état venant de son lointain cousin, Alfred Stainton, apprend de l’agent immobilier que les lieux sont hantés. Il passe la nuit dans la maison et voit le fantôme d’un petit garçon triste et émacié portant des vêtements en lambeaux. Le lendemain, le notaire de la famille lui explique que le premier propriétaire de la maison, Felix Stainton, a adopté malgré lui les enfants de sa fille décédée, un garçon et une fille. Étant avare, il les a privés de nourriture jusqu’à ce que la petite fille tombât gravement malade. L’une de ses tantes l’a retirée de la maison mais le petit garçon est resté seul et il en est mort de chagrin. Pris de remords, Felix Stainton a rédigé un testament en faveur de sa petite-fille lui léguant sa maison. Mais le testament a été perdu après sa mort et la maison est revenue finalement à son neveu Alfred, et, après la mort de ce dernier, à Edgar. Celui-ci réussit à retrouver la véritable propriétaire de la maison, Mary, la sœur du petit garçon et, ayant retrouvé le testament manquant il lui rend la propriété dont elle avait été spoliée. Voyant que sa sœur est heureuse et que le tort qui lui avait été fait a été réparé, le petit fantôme peut enfin trouver la paix.
Dans la littérature contemporaine, il y a toujours des fantômes d’enfants qui sont pitoyables, inoffensifs et victimes des adultes. C’est le cas de deux romans récents, The Loveliest Dead (Les adorables morts) de Ray Garton (2006), et Le Secret de Crickley Hall (The Secret of Crickley Hall) de James Herbert (2007). Les deux romans racontent l’histoire d’une famille qui s’installe dans une vieille demeure hantée par des fantômes d’enfants. Dans The Loveliest Dead, la maison où arrive la famille Kellar a été naguère habitée par un tueur en série du nom de Leonard Baines. Les fantômes sont ceux des enfants qui ont été enlevés, séquestrés dans la cave, abusés sexuellement, torturés et tués par Baines. L’esprit de Baines est toujours présent dans la maison et il veut une nouvelle victime, le jeune Miles Kellar. Il parvient même à posséder le corps du père de Miles afin de pouvoir le torturer. À la fin du roman, cependant, les fantômes des petites victimes exercent une terrible vengeance sur leur tortionnaire :
Le gros homme, Leonard Bains crie – et son hurlement est un son aigu et angoissant. Lily le voit par intermittence au moment où les garçons l’attaquent. Ils déchirent son T-shirt, son maillot de corps, sa peau. Ils lui arrachent les yeux et lui griffent la bouche tandis que son chapeau de cow-boy tombe et disparaît dans la profonde obscurité, tout éclaboussé de sang.[4]
Dans Le Secret de Crickley Hall, la vieille demeure où les Caleigh sont venus habiter est une ancienne école fondée pendant la Seconde Guerre mondiale pour les enfants dont les parents sont morts à Londres pendant le Blitzkrieg. Les pauvres orphelins ont été placés sous l’autorité d’un gardien sadique, Augustus Cribben qui a pris plaisir à les battre et même à les torturer. En 1943, il y a eu une terrible inondation et les corps sans vie des enfants et de leur tortionnaire ont été retrouvés dans l’eau. L’intrigue du roman se situe à notre époque et les fantômes des enfants sont revenus comme pour avertir la famille Caleigh d’une nouvelle tragédie. Crickley Hall est de nouveau inondé, le fantôme de Cribben est revenu et les Caleigh sont en danger. Comme dans le roman précédent, les fantômes d’enfants prennent leur revanche :
Ils s’agglutinèrent autour de Cribben comme des abeilles en colère autour d’un promeneur qui aurait dérangé leur ruche, fonçant sans arrêt sur lui comme pour le piquer, tandis que lui, faisait inutilement des moulinets avec sa canne, criant sa colère silencieusement.[5]
Terrassé par les enfants, le fantôme de Cribben meurt finalement pour la seconde fois et l’un des témoins de la scène comprend que
[…] c’était ainsi que Cribben était mort à l’origine, que c’était une répétition de ses derniers moments, et que, à moins que son esprit disparût et cessât de hanter Crickley Hall, il ne reposerait jamais en paix.[6]
Ces deux exemples récents montrent qu’aujourd’hui la façon d’envisager les fantômes d’enfants en littérature est tout à fait différente de ce qu’elle était au début du siècle. Dans la littérature du XIXe siècle et du début du XXe siècle, les fantômes d’enfants étaient des victimes, mais ils étaient passifs et inoffensifs. Maintenant, ils sont pleins de haine et sont capables de se venger cruellement de ceux qui les ont tués ou torturés. La nouvelle tendance de la littérature contemporaine est de montrer des enfants surnaturels qui sont totalement diaboliques.
Cette évolution a vraiment commencé dans les années 1970, tout d’abord avec un roman de Thomas Tryon, Le Visage de l’Autre (The Other, 1971) où un jeune garçon devient un criminel sadique sous l’influence de son frère jumeau décédé. Le défunt n’apparaît cependant sous la forme d’un fantôme sauf aux yeux de son frère. Le roman le plus terrifiant de ce genre est Julia publié en 1977 par l’écrivain américain Peter Straub qui bouscule le mythe de l’innocence enfantine en faisant le portrait d’une perverse enfant fantomatique. L’héroïne, Julia Lofting, une Américaine habitant à Kensington, est à la fois obsédée par le souvenir de sa fille Kate, morte à l’âge de neuf ans dans de terribles circonstances, et harcelée par le fantôme d’une autre fillette, Olivia morte au même âge que Kate. On apprend que Kate s’était étouffée accidentellement en avalant un biscuit et que sa mère, pour lui sauver la vie, avait essayé de pratiquer une trachéotomie, ce qui avait provoqué la mort de la fillette. Olivia avait eu une mort terrible et presque similaire, lorsque sa mère l’avait égorgée après avoir compris que sa fille était un monstre qui avait torturé et tué un petit garçon âgé de trois ans. Julia rencontre pour la première le petit fantôme en plein jour dans un parc londonien. Elle a l’apparence d’une enfant ordinaire et Julia est attirée par elle :
La petite fille blonde, d’environ neuf ou dix ans (l’âge de Kate) et qui ressemblait suffisamment à Kate pour donner le vertige à Julia, surgit en courant de nulle part d’un pas aérien, longeant Ilchester Place et, faisant des moulinets avec ses bras à l’angle de la rue, s’engagea en virevoltant dans l’allée de Holland Park.[7]
Le lendemain, Julia voit la petite fille pour la deuxième fois. Elle parle à d’autres enfants et elle semble avoir une forte influence sur eux. Peu à peu, Julia ressent une présence étrange dans l’appartement où elle habite et la petite fille blonde s’insinue dans ses rêves. En lisant des vieux journaux dans une bibliothèque, Julia tombe sur une affaire de meurtre qui s’est produit dans les années 1930 à Kensington. Une fillette du nom d’Olivia Rudge, soupçonnée d’avoir tué un petit garçon de quatre ans, avait été égorgée par sa mère. Julia comprend peu à peu que la petite fille blonde est le fantôme d’Olivia et elle veut en savoir plus sur son histoire. Elle commence à enquêter et elle essaie d’interroger des témoins survivants de la tragédie. Le fantôme provoquera méthodiquement leur mort et, à la fin du roman, il incitera Julia à sauter du toit de son immeuble. Ce qui révolte le lecteur dans ce roman, c’est que tous les meurtres sont commis par une fillette de neuf ans. Nous sommes très loin des gentils fantômes d’enfants de la littérature victorienne.
Dans un autre roman publié en 1979, Ghost Story, Peter Straub imagine un autre fantôme d’enfant maléfique. L’histoire qu’il raconte s’inspire manifestement du Tour d’écrou (The Turn of the Screw) de Henry James où l’on voyait deux enfants subir l’influence maléfique d’un couple de fantômes. L’un des personnages du roman de Peter Straub, Sears James, raconte à ses amis que, lorsqu’il était un jeune instituteur, il était persuadé que l’un de ses élèves, Fenny Bates, était soumis à l’influence maléfique de son frère aîné Gregory, un adulte qui s’était tué en tombant d’une échelle. Comme la narratrice du Tour d’écrou, James avait essayé désespérément de forcer le jeune garçon à reconnaître cette influence maléfique mais il n’avait fait que provoquer sa mort sous le coup de la vive émotion qu’il avait provoquée. Bien des années après, le fantôme du jeune garçon est revenu pour hanter et harceler les vivants. À la différence des fantômes traditionnels qui sont immatériels et inoffensifs, Fenny a un corps tangible qui lui permet de torturer et de tuer ses victimes. Il commettra donc une série de meurtres horribles.
L’idée d’enfants sous l’influence maléfique de fantômes apparaît également dans un roman de Theodus Carroll, Evil is a Quiet Word (Le mal est un mot serein) publié en 1975. Une fillette de treize ans, Clarissa, est confiée à la garde de Louise, la gouvernante, et de Max, le jardinier, pendant que ses parents voyagent en Europe. Les deux adultes ont remarqué que la fillette passe la plupart de son temps à jouer avec un couple d’enfants imaginaires. Ils comprennent bientôt que les compagnons de jeu de Clarissa sont les fantômes de jumeaux, un garçon et une fille, morts il y a un siècle à l’âge de dix ans dans de tragiques circonstances. Les fantômes ont une influence maléfique sur la fillette jusqu’au moment où ils la persuadent de se suicider en se jetant au devant d’un train. Elle sera sauvée au dernier moment par le jardinier.
De nombreux romans d’horreur et de terreur impliquant des fantômes d’enfants ont été publiés dans les années 1980 et 1990. Dans The Unquiet Dead (Les morts récalcitrants) de la romancière anglaise Margaret Bingley (1987), les enfants d’une petite ville sont sous la domination des esprits d’enfants morts dans un incendie l’année précédente. Les enfants morts veulent se venger des adultes de la ville et ils possèdent littéralement l’esprit des enfants vivants pour leur faire commettre une série de meurtres. L’un des plus horribles épisodes est raconté dans le prologue où un bébé tue sa propre mère avec un couteau de cuisine.
Le roman terrifiant de Ruby Jean Jensen, Lost and Found (Perdue et retrouvée) publié en 1990 est une autre histoire de fantôme vengeur. L’héroïne du roman, Magret Tracle, fille d’un pasteur sévère et rigoriste, a été violée par un homme marié du nom de Clyde à l’âge de seize ans. Elle a réussi à cacher sa grossesse à ses parents et elle a donné naissance à une petite fille qu’elle a abandonnée dans la forêt. De retour chez elle, Magret a avoué la vérité à son oncle Everett qui est parti chercher le bébé pour découvrir qu’il était mort. Il a enterré l’enfant sur place et il a décidé de n’en parler à personne. Dix-huit ans plus tard, Sheena, la fille de Magret et ses camarades de jeu, faisant une promenade dans la forêt trouvent un bébé de sexe féminin tout nu à l’endroit même ou a eu lieu la tragédie. Quand les enfants vont chercher du secours, leurs parents et la police ne trouvent rien : le bébé a disparu. Il est évident pour le lecteur que les fillettes ont vu le fantôme du bébé de Magret. Par la suite, le fantôme réapparaît plusieurs fois à des endroits différents. Ce qui est surprenant c’est que, en quelques jours, il a grandi : le nouveau-né est devenu une fillette de dix ans. Dès qu’il a trouvé sa forme définitive, le fantôme tue méthodiquement les gens dont il veut se venger à l’aide d’un couteau de cuisine. L’oncle de Magret, Everett, est sa première victime, bientôt suivi par sa femme et par Clyde, le père du bébé, puis par Leigh, la fille aînée de Magret. À la fin du roman, Magret sauve sa fille survivante Sheena en offrant sa propre vie au fantôme vengeur.
Un autre tueur fantomatique est décrit par Graham Masterton dans son roman Hel (Sleepless) publié en 1995. Le but poursuivi par sa protagoniste fantôme, Peggy, cependant n’est pas de se venger de quiconque mais de protéger ses sœurs comme une sorte d’ange gardien ou, plus exactement, de démon tutélaire. Peggy, une petite fille de cinq ans s’est noyée en marchant sur la surface gelée d’une piscine. Bien des années après, ses sœurs Elizabeth et Laura voient Peggy chaque fois qu’elles semblent courir un risque. Le fantôme tue tous les gens qui semblent menacer ses sœurs en les faisant mourir de froid. Le premier meurtre est celui d’un jeune pasteur qui a abusé sexuellement d’Elizabeth. Sa mort est particulièrement horrible. Par la suite, de nombreuses victimes sont tuées de la même façon, étant donné que le fantôme est apparemment incapable de faire la différence entre les bons et les méchants. Heureusement, à la fin du roman, les deux sœurs découvrent enfin un moyen de se débarrasser de ce dangereux fantôme qui fait de leur vie un enfer.
Tous ces exemples montrent que les fantômes d’enfants dans la littérature ont subi une véritable métamorphose dans les années 1970. Tandis que leurs homologues victoriens apparaissaient comme les esprits inoffensifs d’éternelles victimes, les fantômes postmodernes sont dépeints comme des tueurs sans pitié. Le mythe victorien de l’innocence enfantine a été complètement remis en question. On peut voir dans l’importance grandissante de la psychanalyse dans la culture contemporaine l’une des raisons de cette évolution. Freud et ses disciples ont démontré que les enfants, loin d’être les petits anges que nous imaginions, ont une vie sexuelle et qu’ils peuvent même avoir des pulsions meurtrières. Une autre raison de cette évolution est que la littérature fantastique moderne est plus choquante et plus horrible qu’elle ne l’était au début du XXe siècle, comme si les lecteurs contemporains aimaient qu’on leur fasse violence. Les meurtres sont d’autant plus dérangeants qu’ils sont commis par de jeunes enfants. Les romans et les films d’horreur contemporains donnent de l’enfance une image inhabituelle et ambiguë. Comme Sabine Büssing l’a exprimé dans le titre de son essai sur les enfants dans la littérature d’horreur, les enfants qui étaient naguère le principal centre d’intérêt de la famille sont devenus des « étrangers dans la maison. »
Bibliographie :
Sources primaires
Margaret Bingley, The Unquiet Dead (les morts récalcitrants), Londres, Grafton Books, 1988.
Algernon Blackwood, « The Attic », The Westminster Gazette, 20 décembre 1912. Trad. : « Le Grenier », in, Xavier Legrand-Ferronière, dir., La Porte ouverte ; Histoires de fantômes d’enfants, Paris, éditions Joëlle Losfeld, 2000.
M. Burrage, « Playmates », in Some Ghost Stories, Londres, Palmer, 1927. Trad. : « Camarades de jeu », in La Porte ouverte, Paris, Joëlle Losfeld, 2000.
Thoeodus Carroll, Evil Is a Quiet Word (Le Mal est un mot serein), New York, Warner Books, 1975.
Ray Garton, The Loveliest Dead (Adorables morts), New York, Leisure Books, 1995.
James Herbert, The Secret of Crickley Hall, Londres, Pan Books, 2007. Trad. : Le Secret de Crickley Hall, Paris, Bragelonne, 2008.
M.R. James, « Lost Hearts », Pall Mall Magazine, décembre 1895. Trad. : « Cœurs perdus », in, Roger Caillois, dir., Anthologie du fantastique, Paris, Le Club Français du Livre, 1958.
Ruby Jean Jensen, Lost and Found (Perdue et retrouvée), New York, Zebra Books, 1990.
Graham Masterton, Spirit, Londres, Penguin Books, 1995. Trad : Hel, Paris, Pocket, 1977.
Margaret Oliphant, « The Open Door », Blackwood’s Magazine, janvier 1882. Trad. : « La Porte ouverte », in La Porte ouverte, Paris, Joëlle Losfeld, 2000.
Elia Wilkinson Peattie, « Their Dear Little Ghost » (Leur cher petit fantôme), Outlook, octobre 1898.
Charlotte Riddell, « Walnut House » (La maison au noyer), in Weird Stories, Londres, James Hogg, 1882.
May Sinclair, « The Intercessor », English Review, juillet 1911. Trad. : « L’Intercesseur », in La Porte ouverte, Paris, Joëlle Losfeld, 2000.
Peter Straub, Julia, Londres, Jonathan Cape, 1977. Trad. : Julia, Paris, Seghers, 1979.
Peter Straub, Ghost Story, Londres, Jonathan Cape, 1979. Trad., Ghost Story ; Les fantômes de Millburn, Paris, Seghers, 1979.
Rosemary Timperley, « Harry », in Cynthia Asquith, dir., The Third Ghost Book, Londres, Pan Books, 1955.
Thomas Tryon, The Other, New York, Millipede, 1971. Trad. : Le Visage de l’autre, Paris, Le Livre de Poche, 1977.
Hugh Walpole, « The Little Ghost » in The Wind and the Rose-Bush and Other Stories of the Supernatural, New York, Doubleday, 1903. Trad. : « Le Fantôme perdu », in La Porte ouverte, Paris, Joëlle Losfeld, 2000.
Sources secondaires
Gillian Avery, Nineteenth Century Children, Londres, Hodder & Stoughton, 1967.
Sabine Büssing, Aliens in the Home : The Child in Horror Fiction, Westport, Greenwood Press, 1987.
Peter Coveney, The Image of Childhood, Harmondsworth, Penguin Books, 1967.
Peter Coveney, Poor Monkey : The Child in Literature, Londres, Barrie & Rockliff, 1965.
Jacques Finné, Panorama de la littérature fantastique américaine, tome 3 ; Du renouveau au déluge, Liège, CÉFAL, 2006.
Sophie Geoffroy-Menoux, Miroirs d’outre-monde ; Henry James et la création fantastique, Paris, L’Harmattan, 1996.
David Punter, The Literature of Terror ; A History of Gothic Fiction from 1785 to the Present Day, Londres & New York, Longman, 1980.
Muriel G. Shine, The Fictional Children of Henry James, Chapel Hill, The University of Carolina Press, 1989.
Jean-Louis Steinmetz, La Littérature fantastique, Paris, PUF, 1990.
Notes
[1] M. R. James, « Cœurs perdus », in R. Caillois, dir., Anthologie du fantastique, Paris, Le Club Français du Livre, 1958, p. 39.
[4] Ray Garton, The Loveliest Dead, New York, Leisure Books, 2006, p. 359-360 (notre propre traduction).
Fantomele: Naşterea imaginaţiei raţionale
Véronique Adam
Université Toulouse 2 le Mirail, Université Grenoble 3-Stendhal, France
veroniqueadam@gmail.com
Le fantôme : naissance d’une imagination rationnelle
Phantoms: The Birth of the Rational Imagination
Abstract: Between 1570 and 1651, many French treaties or cheap newspapers deal with ghosts and most of them are published several times. They find both a wise and popular audience. If they try to build a new and pure science of the ghost and exhibit their own rationality, they also reveal, study and maybe for the first time, human psychology. Their ghost is about humanity and human science. By crossing their scientific point of view with their fantasy picture of the ghost, they draw a new topic of the ghost staging their own fantasy. The final question is to determine what the ghost stands for. As far as they are concerned, the ghost has nothing to see with a lie or an illusion. It is a real and truthful mental image, a mimetic representation, but far away from the nature.
Keywords: Ghost; Demonology; Psychology; Le Loyer; Taillepied; Lavater.
De 1571 à 1651, on voit se multiplier en France, les éditions d’ouvrages évoquant des prodiges, des apparitions d’esprits, de fantômes et de spectres. Ils mentionnent soit un événement contemporain, comme le surgissement de 12000 fantômes en 1608[1], soit rappellent une série de prodiges repris depuis l’antiquité. Les multiples rééditions de plusieurs de ces ouvrages témoignent de l’engouement pour ces publications, quelle que soit leur nature : Ludwig Lavater dont on réédite le Traité des fantômes[2] une douzaine de fois en latin ou en français, Noël Taillepied[3] qui voit son le Traité de l’apparition des esprits publié six fois à quelques années d’intervalles et Pierre Le Loyer[4] qui fait lui aussi rééditer son Discours et histoires de spectres, trois fois, en le corrigeant pour répondre aux ouvrages parus entre ses éditions. Ce succès témoigne de l’égal intérêt des calvinistes comme Lavater et des catholiques comme Le Loyer et Taillepied, pour la question des apparitions et des phénomènes relevant de la démonologie. Elle est devenue un enjeu de polémique entre les deux religions, mais il y est moins question de Dieu que du développement et des errements de l’imagination et de la psychologie humaine. Tout en autorisant leurs auteurs à se faire reconnaître comme autorité théologique – comme en témoignent les avant-propos rédigés dans l’ouvrage de Le Loyer par les Régents de la faculté de théologie–, ces ouvrages se font aussi l’écho de trois traités bien connus, celui de Johann Wier, de Jean Bodin et de Jean de Nynaud[5]. Ils organisent tout le débat autour de la question des sorciers, des démons, des anges, et par là des faiblesses humaines face aux leurres et aux fantasmes. Au-delà des clivages religieux dont ils témoignent, ils assurent aussi une fonction de commentaires ou de compilations d’anecdotes, de faits singuliers qu’ils collectent également en évaluant leur caractère fictionnel ou réel, aussi bien qu’une myriade d’ouvrages, des « canards[6] » marqués par un savoir plus populaire et parfois cantonnés à la description de prodiges et de catastrophes bien sûr fréquentes dans ce passage entre deux siècles où l’on voit parfois même une « épidémie[7] » de sorcellerie. Si l’on retrouve entre ces écrits sur les fantômes, le clivage bien étudié par Robert Mandrou[8] entre les milieux éclairés et le peuple, l’intérêt de ces volumes réside surtout dans leur travail de définition de la notion d’imagination, dans l’esquisse d’une psychologie des témoins de ces fantômes, comme dans la volonté de rationnaliser des phénomènes surnaturels. Le fantôme peut être vrai, et il est en tout cas le révélateur d’un imaginaire très humain à l’œuvre.
Nous examinerons donc la manière dont se construit une science humaine des spectres qui tente de mêler dans la figure du fantôme, une démarche rationnelle et méthodique et le spectacle de l’imagination humaine. En marge de cette science humaine du fantôme, on découvrira que le spectre révèle l’univers imaginaire de l’auteur, qui invente pour le spectre une topique cohérente. Cette rencontre d’un esprit scientifique et d’une création de l’imaginaire, tout en s’opposant à la science de la nature, convoque la question de la mimesis empruntée à la philosophie et la littérature et ce faisant fait échapper le fantôme aux accusations de mensonge et de leurre : au lieu d’un fantasme trompeur, le spectre devient une image mentale douée de vérité.
La rationalité du fantôme : naissance d’une science humaine
Le titre choisi par N. Taillepied (Psicologie) comme l’avant-propos et le second livre[9] du Traité de P. Le Loyer témoignent à l’instar de ce que proposera R. Mandrou, de la volonté de mêler une étude de psychologie sociale et mentale à une science : la peur, la passion ou la fantaisie sont étudiées en fonction de la faiblesse de ceux qui en manifestent ou en maîtrisent les effets. Dans les canards, plus populaires, le témoignage des paysans est conforté par celui des gentilshommes et de la noblesse :
Plusieurs paysans furent tellement alarmés, que croyant cette armée [de 12000 spectres et fantômes] être véritablement des hommes de guerre, s’en allèrent à leurs maisons pour emporter aux châteaux voisins ce qu’ils avaient de plus cher. Plusieurs gentilshommes montèrent à cheval pour reconnaître cela, et les suivirent, ils remarquèrent que cette armée s’approchant d’un bois taillis pour le passer et pour ne rompre point leur ordre, ils s’enlevèrent tous par dessus le bois, et touchaient des pieds la feuille des arbres, puis furent vus ayant passé le bois encore à terre cheminant jusque vers une forêt, où toujours la noblesse du pays les suivait pour savoir ce qu’ils deviendraient[10].
En revanche, la vision des démons, dans les traités plus savants, est soit fausse lorsqu’elle est le fait de personnages faibles, soit véritable et devient signe d’élection et de sainteté, lorsqu’elle est destinée à des témoins dignes de foi. On examine l’authenticité du fantôme en fonction de la nature de son spectateur et de sa propension à l’imagination. On tente ainsi de créer conjointement une science au sens strict des fantômes – Le Loyer veut même offrir une « science des spectres », au même titre que les mathématiques sont une science[11]– et une psychologie de la peur. Produits de l’imagination, spectres, fantômes, esprits et visions se voient inscrits dans une organisation conceptuelle et rationnelle de phénomènes surnaturels. On n’est pas alors étonné de voir que certains ouvrages, à fondement scientifiques, comme les traités d’alchimie[12], choisissent de mettre en exergue l’idée de « prodiges » ou d’apparition dans leurs titres pour nommer les ouvrages dans lesquels on pourra reconnaître des transmutations chimiques et dans lesquels on veut montrer les merveilles de la pensée et non les errements de l’imagination : l’esprit scientifique semble passer par le spectre et le fantôme. Inversement, l’idée de transmutation, empruntée à l’alchimie, est aussi permanente dans les descriptions des apparitions d’esprit, dès lors qu’on veut leur donner une authenticité : eux aussi sont passées par cette démarche mi magique, mi rationnelle qui explique leur changement de matière, un esprit invisible devenu corps visible et tangible. Ce qu’on pourrait prendre pour des ouvrages de merveilles, sont en réalité des traités soucieux de démontrer l’existence de phénomènes certes surnaturels, mais réels et scientifiquement démontrables. De tels écrits reposent sur un paradoxe : au prodige surnaturel de l’imagination capable de percevoir cette merveille et de la force divine ou démoniaque qui l’imprime dans une forme visible à l’homme, on oppose la rationalité de son observation et de la démarche méthodique de l’auteur. Ce dernier propose une taxinomie de phénomènes imaginaires, révèlant la présence même de l’imagination humaine à l’œuvre, tout en se voulant porteur de science et de vérité.
Ainsi, l’auteur inscrit son traité dans une forme argumentative et logique, tout aussi paradoxale, puisqu’on va repérer une méthode rationnelle, mais elle sera marquée, on le verra plus loin, par une représentation imaginaire cohérente du spectre. Examinons pour l’heure la rationalité à l’œuvre. Le Loyer pour établir la réalité des spectres, les inscrit dans des cadres taxinomiques, refusant justement la pensée analogique trop marquée par l’image et la métaphore. Les fantômes sont d’abord insérés dans une typologie solidement validée par des autorités antiques ou chrétiennes : on distingue les spectres qui sont vraiment visibles mais sans aucune origine naturelle (ils sont « contre-nature »), des autres formes purement illusoires et justement liées à un excès de l’imagination, réelles ou non, mais naturelles, au contraire des spectres. La distinction entre réalité et caractère naturel est inattendue, puisque bon nombre de scientifiques humanistes faisaient reposer la notion de réalité d’un élément, et en particulier celle du fantôme, sur sa présence effective dans la nature et sa consistance atomique ou élémentaire : ainsi Cardan[13], cité par Le Loyer, se voit réfuter justement parce qu’il postule une consistance et une épaisseur d’éléments naturels dans le corps du fantôme, ce que refuse Le Loyer. Le traité est donc une double critique de la pensée par analogie et d’une conception qui placerait en son cœur la nature. Il garde néanmoins une démarche empirique puisqu’il veut examiner le monde surnaturel et naturel pour y repérer tous les types de fantômes.
Dès lors, on organise et on explique la présence ou l’absence du spectre en fonction de la cause et de la conséquence de sa manifestation : d’origine divine, provoquant l’étonnement, le spectre s’oppose à ce qui est naturel et induit la peur. Ainsi ce qui est naturel ou ce qui n’est pas réel, ne peut jamais être spectral : les fantômes, à l’instar des visions qui ne sont pas d’origine divine, sont alors expliqués par une référence à Plutarque et aux causes qu’il leur assigne. Ils sont crées par les humeurs et n’ont aucune réalité, car « l’imagination des furieux, insensés et mélancoliques […] se persuadent de ce qui n’est pas[14] ». Les spectres provoquent des émotions, mais ne sont pas des projections de l’esprit humain déréglé par le mouvement des humeurs. Le fantôme devient donc un pur produit humain, symptôme d’un trouble organique et humoral, alors que le spectre préserve son origine supérieure, divine ou démoniaque, restant en cela purement spirituel. Aux fantômes s’ajoutent les « prodiges », qui annoncent « quelque mal à venir » et sont assimilés à des phénomènes surnaturels comme des comètes[15]. La référence au phénomène naturel permet à Le Loyer de contester encore l’autorité de savants comme Cardan ou les épicuriens, comme la vision apocalyptique propagée par les canards imprimés au même moment : si l’on donne une épaisseur matérielle aux corps qui surgissent brutalement, si l’on montre leur contemporanéité, on ne leur donne pas pour autant le statut de véritables fantômes ou spectres. Cette épaisseur leur donne une corporéité tangible dont sont dépourvus les spectres. Paradoxalement, pouvoir toucher les résidus d’un prodige fabuleux (sang d’une pluie venue du ciel, éclat de terre) dément le caractère fantomatique de ce prodige, puisqu’il est visible de tous, provoquée par un chaos naturel et surtout inscrit dans une temporalité prospective. L’enjeu pour Le Loyer est le suivant : il faut absolument désincarner le spectre et en le privant de matérialité et d’une temporalité (il n’annonce pas l’avenir, puisqu’il n’est ni présent, ni passé, mais évanescent et éphémère), il lui donne une existence purement spirituelle, mais authentique et réelle.
La représentation imaginaire du spectre
Bien sûr en désincarnant le spectre, il risque de le montrer trop inconsistant pour être perceptible et inscrit dans un instant de réalité. L’épaisseur du spectre va naître de deux phénomènes : le désir du spectre de se rendre visible en se projetant dans une image visible, la peur de l’homme qui dans « un mouvement de l’âme », met « en action » le sang qui crée et engendre le spectre[16]. Ces deux manifestations psychologiques suggèrent que le spectre ne peut exister sans la présence d’un être humain : dans une sorte d’équilibre parfait, le spectre doit être visible pour quelqu’un, sinon il n’a pas d’existence, nous y reviendrons. Cette intentionnalité du spectre va aussi de pair avec une représentation imaginaire récurrente.
Le spectre est en effet d’abord repérable à sa mobilité : plusieurs fois dans le très long traité de Le Loyer, on trouve cette allusion au mouvement du spectre. Cette animation devient un critère d’évaluation du spectre contre les autres formes fantomatiques. Ainsi les « exhalaisons sèches de la terre » sont « enflammés en la région de l’air », et forment les comètes, mais celles-ci ne sont que « fixes et arrêtées[17] ». La mobilité du spectre va ainsi de pair avec la peur et l’émotion prise littéralement qu’il provoque. Sans doute l’auteur joue-t-il sur la double origine de l’âme, animus et anima. L’esprit du spectre n’a rien à voir avec l’air ou la fumée, bien trop naturels et tangibles pour un vrai fantôme. Le Loyer imagine un fantôme de pur mouvement, inscrit même dans un élan automatique, alors que l’air pseudo-fantomatique a nécessairement une origine motrice extérieure à lui : le spectre a bien en propre « un guide et un moteur à part[18] ». La rencontre de ce mouvement induit par le spectre autoguidé (et non contrôlé par les astres ou la terre, comme dans les sciences naturelles), et de la peur, dévoile la psychologie humaine : le spectre est une apparition d’esprit divin dans une projection mentale humaine. Le mécanisme d’impression du spectre repose sur un mouvement psychique : après avoir pris un corps « animé ou inanimé », les démons « se meuvent » et opèrent « sur notre puissance imaginative, par la motion et transmutation des choses sensibles[19] ». Les traités de démonologie évoquaient le retour des morts sous forme de fantômes, pour le Loyer, les spectres peuvent aussi prendre forme dans des êtres vivants, pourvu qu’ils puissent les mouvoir au sens propre et figuré. L’essence du spectre n’est pas dans le corps ou l’esprit mais dans l’élan entre ces deux pôles.
Une longue cohorte se meut alors : spectres de démons, têtes d’enfant parlantes ou cadavres de morts. Elle est empruntée aux exemples de la bible et en particulier des évangiles (on trouve même, comme caution, en fin de volume un index des citations bibliques), mais on peut aussi voir que ces anges et démons se trouvent dans les textes recueillant le savoir populaire. Au gré de ces énumérations, on découvre alors une autre tentative d’organiser ces éléments spirituels, au-delà d’une typologie des espèces, en une géographie personnelle. Le Loyer, comme en écho aux canards racontant des faits incroyables et exotiques, va en effet repérer les lieux et temps propices à la manifestation des spectres. S’il n’y a pas de changement concernant le temps (la nuit est le moment préféré des spectres), les lieux privilégiés des spectres sont plus inattendus : les pays du Nord, le Japon et la Turquie qui revient citée par Taillepied et Le Loyer. Si les Ottomans sont naturellement liés aux mystères des barbares, les autres contrées sont plus originales, surtout pour un orientaliste comme Le Loyer. Cette géographie et cette temporalité du spectre donnent à ce fantôme spirituel une prévisibilité et un caractère familier dans ces contrées. Il existe surtout à l’inverse de la catastrophe et de la contamination en particulier. Ces dernières sont ailleurs imputées aux pays du Sud et vues comme exceptionnelles même dans ces contrées. En territorialisant le spectre au Nord et en lui donnant une temporalité spécifique, inscrit dans un merveilleux exotique plus acceptable qu’un univers fantastique qui surgirait dans le pays de son lecteur, l’auteur lui confère une matérialité réduite certes (pas de corps, pas de matière), mais tout de même inscrite dans un mouvement géo-localisable. S’il n’est fait d’aucun élément naturel, il est inscrit dans un contexte terrestre. Le spectre de ce traité qui se veut théologique, choisit, on devine pourquoi, surtout les terres où se sont implantées les Jésuites. Tout en montrant l’omniprésence des spectres, Le Loyer fait aussi remarquer que l’arrivée des Jésuites permet de diminuer leurs apparitions : la conquête de l’espace des spectres est ainsi rendue acceptable par la présence authentique des religieux.
Je confesse bien que les Chrétiens qui sont toujours en cette île [le Japon] brident la puissance diabolique qui n’est telle et si grande comme elle était avant que les pères jésuites y plantassent la foi[20].
La géographie des spectres correspond à des lieux à évangéliser ou en cours d’évangélisation. Il n’est pas question de mettre en avant les faiblesses des habitants, mais plutôt la force de la foi qui élimine les fantômes, non pas parce qu’elle fait passer du mensonge à la vérité, mais parce qu’elle élimine la menace symbolique mais bien réelle, que les fantômes se devaient de représenter (absence de religion, menace du diable). Pour légitimer la vérité du spectre tout en minimisant la puissance du spectre d’origine démoniaque, on inverse donc le modèle du sorcier utilisé par J. Bodin ou J. Nynaud : les sorciers jouaient de leurres pour feindre l’existence de démons et acquérir un pouvoir sur le peuple, les Jésuites font disparaître, par leur présence, les vrais spectres et sont le signe de la puissance de la foi comme de la vérité des fantômes envoyés par le diable. La géographie du spectre se double alors d’un enjeu de pouvoir : la christianisation des pays à l’échelle mondiale montre l’avancée et la puissance de la foi sur les démons dans une évangélisation inscrite dans la métaphore de la germination (« planter »), qui repose sur la puissance du verbe divin propagé par les Pères et leurs techniques.
La présence à rebours des démons dans certains lieux plus familiers, vagues et proches de la terre du lecteur, mais incontrôlés, témoigne du même enjeu de pouvoir : Le Loyer examine les déserts, les forêts, après avoir observé les sépulcres, les carrefours et les temples païens. Chacun de ces lieux montre la volonté de certains démons de s’emparer par la peur de cet espace. L’exemple des mines permet de préciser la typologie des démons :
Les uns sont fâcheux et terribles, les autres ne sont ni bons ni mauvais et les derniers ne sont aucunement doux et paisibles. Les terribles apparaissent communément et […] prétendent juridiction pour se dire les maîtres et possesseurs [de l’or et l’argent des mines] et intenter contre les hommes non seulement un interdit possessoire, ainsi [mais] une revendication et un chalengement[21].
A cette volonté de puissance lancée par les démons, Le Loyer apporte une nuance : tout le monde ne peut pas les voir, il faut avoir « des organes et des sens propres et aptes à les recevoir[22] ». La maîtrise se voit donc partager entre les fantômes des démons qui possèdent un territoire et ceux qui peuvent les voir et en témoigner ; l’ange en cela devient une figure particulière à qui il est « nécessaire[23] » d’apparaître même d’une manière fantastique. On voit alors surgir une relation dans laquelle le spectre, l’esprit ou l’ange ne peuvent « subsister l’un sans l’autre[24] » et doivent être apparus et avoir été vus pour qu’on accepte leur présence et existence. La relation du spectre et de l’humain s’inscrit donc dans une relation proche de celle du maître et de l’esclave telle que la théoriseront Hegel et Marx[25] : le démon fait acte de possession en s’emparant d’un espace dans lequel évolue l’homme, mais il a besoin de son regard pour exister et à rebours, il peut se laisser prendre son pouvoir et son existence par l’homme de foi.
Le Loyer ajoute alors parallèlement à la visibilité de ces anges et démons, un dernier élément qui rend inimitable le vrai spectre et permet de montrer la supériorité de l’ange. Le bruit de l’ange et du démon, qui peut être simplement sonore (comme dans l’exemple de Dion cité plus haut) ou signifiant et verbal, peut se muer en voix. Alors, il montre à la fois sa présence mais reprend aussi un aspect essentiel : le démon comme l’ange existent pour communiquer avec le vivant et c’est finalement autant sur la voix que la visibilité du spectre que repose la réalité de sa présence. On notera au passage que Le Loyer ne s’attarde pas sur une éventuelle beauté du chant des anges ou un quelconque esthétisme de ceux-ci : il y a pour lui des spectres à l’aspect monstrueux et il explique qu’il ne veut surtout pas parler du genre et de l’apparence des anges. Il se contente de remarquer qu’ils n’ont pas de corps, mais en prennent, préférant ainsi St Thomas d’Aquin à St Augustin[26]. En revanche, si la qualité du discours de l’ange et sa teneur peuvent finalement montrer sa supériorité, c’est davantage pour montrer leur possibilité : reprenant l’argument selon lequel, les anges et démons n’ont pas de poumons, il souligne que puisqu’ils peuvent prendre corps, ils sont donc aussi capables de se mouvoir en « corps d’air »[27]. Là encore, il s’oppose à l’imaginaire de St Augustin qui les voyait comme des corps de lumière et de feu[28] et semble reprendre en filigrane son opposition entre la comète vue supra, ce corps d’air exhalé d’une terre sèche et le corps d’air de l’ange, exhalé d’un esprit immatériel et mobile.
Progressivement l’auteur concède donc à cette puissance de l’imagination et de l’esprit, un pouvoir religieux qui se manifeste dans les lieux réels comme dans l’espace mental, sans pour autant recevoir une quelconque matérialité : ni atome, ni éléments naturels ne composent le démon. La matérialité est déplacée sur les lieux et les corps qu’il vient hanter.
Le recueil se termine par l’énoncé des croyances de plusieurs civilisations et religions (indiens, barbares, arabes, juifs, païens), avec en point d’acmé, les évangiles. Toutes convergent vers la définition d’un spectre mobile dont l’existence est avérée mais dont la présence peut être feinte ou douteuse (notamment quand on évoque le retour des morts chez les musulmans). L’existence rationnelle du spectre naît de la précision de la typologie dans laquelle il s’inscrit, de la caution savante sur laquelle repose le discours, mais aussi du souci constant de vérité, d’universalité et de réalité conférée au spectre surnaturel. On le voit, la définition du monde imaginaire du spectre correspond à la création du monde et de l’homme : faire apparaître dans la masse des éléments naturels et des visions qui se confondent avec lui, ses contours, lui donner un temps et des lieux, le laisser s’animer de son propre mouvement. Cette démarche fait passer le spectre de la théologie à une sorte de science humaine, puisqu’au travers de ses manifestations, on devine l’étude naissante d’une ethnologie des peuples et de la psychologie humaine.
L’image du fantôme
À partir de là, on perçoit chez l’auteur, le danger de cette projection spectrale : puisqu’elle est un reflet d’un esprit, elle peut être imitée : Le Loyer signale en effet qu’on peut imiter le spectre. Saint-Augustin voyait déjà le spectre comme « une image d’un corps absent[29] » : le spectre est en effet lui-même l’objet possible d’un simulacre. Certains peuvent « se dire avoir des visions », d’autres peuvent prendre « la forme [d’un démon] pour faire peur[30] ». Ceux qui feignent l’existence de ces fantômes, peuvent être « des personnages qui ont plus de noms, de vogue et d’autorité parmi les peuples[31] ». Ce dernier point semble suggérer la légitimité de l’imitation du spectre, mais on voit l’écueil du raisonnement de Le Loyer : les autorités universelles et savantes sur lesquels il s’appuie, peuvent aussi faire croire à un leurre bien distinct du vrai spectre. Véritable tour de Babel, le traité de Le Loyer convoque finalement des hérétiques jouant aux spectres[32], personnages pourtant bien différents des figures savantes de l’antiquité contrefaisant le fantôme. L’imitation du spectre est un artifice païen ou hérétique, alors que le véritable spectre est chrétien. Néanmoins, compte tenu de la ténuité entre la vision juste et l’hallucination ou le leurre, seules l’intention et la finalité du spectre peuvent permettre de le distinguer comme vrai ou illusoire. Nous retrouvons ainsi repris l’argument de Bodin, Nynaud ou Wier qui soulignaient déjà que le sorcier démoniaque imitait fort bien pour le peuple, la magie divine, alors que le magicien soucieux de suivre les préceptes de Dieu, crée le phénomène magique à partir d’une imitation de la nature dont il connaît les secrets. Chez Le Loyer, la religion a pris la place de la nature et c’est elle qu’on imite. On comprend mieux alors pourquoi la matière imaginaire du spectre ne devait en rien être naturelle. Le spectre est un modèle autonome qui n’a pas besoin de la nature, mais de Dieu ou au moins du Diable. Progressivement, la fantaisie du spectre est effacée et son caractère illusoire est déplacé sur ceux qui le produisent, et non sur lui. La notion d’imitation et de représentation ne peut en effet dans ce traité reposer sur l’impératif d’une vraisemblance ou d’une conformité à la réalité naturelle comme dans le cas de la mimesis littéraire, puisque justement le spectre est plusieurs fois qualifié de « fantastique » et de « surnaturel ».
Cette démarcation entre la représentation mentale du spectre et l’imitation littéraire est cependant elle aussi bien paradoxale : lorsque Le Loyer donne un exemple de manifestations de spectre de démons, son récit se charge de comparaisons assez surprenantes dans ce contexte :
Quant aux apparitions des démons qui auraient présagé du malheur à venir, il s’en remarque à suffisance, et ne se lit guère autres choses ès histoires. Je commencerai par le spectre qui se montra à Dion Syracusain : il était un jour en sa maison couché sur son lit veillant et tout pensif, il entendit un grand bruit et se levant pour savoir que c’était [sic], dressa ses yeux vers un bout de galerie, et aperçut le visage d’une des Furies comme elles sont dépeintes aux tragédies. Cette femme balayait la maison de Dion. De cette vision s’étonna assez Dion et envoya quérir ses amis, et après leur avoir dit ce qu’il avait vu, les pria de demeurer cette nuit avec lui. Mais le spectre ne fut vu depuis. Et quelques jours après dit Plutarque, le fils de Dion, de désespoir et de rage de la soigneuse garde que son père faisait de lui, se jeta du haut en bas d’un plancher et se rompit le col. Puis longtemps après, Dion se vit inhumainement massacrer par Callippus qu’il estimait être l’un de ses meilleurs amis. Ainsi la maison et famille de Dion en peu de jours fut toute détruite et par manière de dire, balayée et exterminée de Syracuse comme le spectre de la Furie qui n’était qu’un diable, avait semblé l’en avertir par le balai[33].
La référence à une figure mythologique, à la tragédie et au symbole inattendu du balai, est destinée à faire comprendre la nature de l’événement et du spectre, mais elle montre aussi la volonté de l’auteur de faire comprendre cette vision tout en jouant de certaines contradictions : il avait en effet consacré dans son premier livre, une dizaine de pages[34] à décrire les procédés des bateleurs qui proposent sur scène dans ce que Le Loyer appelle « comédie » ou « tragédie » de montrer des spectres ou des phénomènes merveilleux ( un éléphant sur une corde, un chien mort qui ressuscite). Il avait alors insisté sur le leurre de ces représentations. La comparaison avec la tragédie est à la fois destinée à aider le lecteur à se représenter la scène mais montre aussi la qualité de l’imitation tragique dont on retrouve aussi la structure : le spectre est un présage qui annonce comme un prologue, le destin de la famille de Dion. Ainsi, si dans le premier livre Le Loyer distingue le prodige (qui annonce un événement souvent catastrophique à venir) du spectre, en revanche dans les récits qu’il propose pour montrer les manifestations du spectre, il confond prodige et spectre.
Mais l’auteur du traité théologique utilise sciemment des modes d’imitations et construit son catalogue d’exemples à rebours de sa typologie des formes spectrales : les formes hallucinatoires non spectrales, fort germaines de celles-ci, sont finalement reprises en filigranes dans son recueil en une somme d’exemples de spectres, modèle qu’avait justement choisi N. Taillepied et qui sont justement conformes à la connaissance de ses lecteurs : on retrouve bien un axe clé de la théorie de la vraisemblance (représenter ce que croit possible le public, plutôt que de représenter ce qui est réel mais inconnu de lui). La force de la compilation d’exemples mettant en scène des anges et des démons, doubles de ces spectres, exemples connus et universels, permet à l’auteur de donner à son traité une caution religieuse et une authenticité aux spectres, peu importe qu’ils ressemblent aux visions, fantômes et autres hallucinations. Sans doute la mention de Dion couché sur un lit, rappelle-t-elle aussi la possibilité d’un songe, dont Le Loyer pourtant soulignait la différence avec le spectre.
A trop vouloir jouer sur la frontière entre le leurre du fantôme et la vérité du spectre, on ne s’étonne pas que ces ouvrages apparemment savants, dont le livre de Le Loyer est le plus emblématique, soient progressivement contaminés aux yeux de la postérité par leur objet : ainsi pour Louis Moreri, auteur du dictionnaire de référence sur les grands hommes du dix-septième siècle, si Lavater est loué pour son érudition et peut être lu par tous les partis[35], Le Loyer, rempli de la même érudition, se voit néanmoins gagner comme Taillepied par la nature de son sujet : s’il avait fait une « lecture prodigieuse », ce serait un savant avec un « si grand mélange de folie » et sa « connaissance extraordinaire » serait due selon Le Loyer lui-même à la grâce de Dieu, « qui opérait dans son esprit tous ses merveilleux effets[36] ». Gabriel Naudé conforte cette idée en parlant de « rêverie » dans son évocation d’une des thèses de Le Loyer[37]. Taillepied, qui veut « insinuer que les âmes reviennent », est quant à lui l’auteur d’ « un recueil de contes ridicules[38] ».
Le Loyer et Taillepied sont ainsi victimes des mêmes erreurs que ceux qu’ils accusent de se laisser prendre par l’imagination de leurs sens. Mais au regard de l’histoire littéraire, on voit naître au rythme de leurs publications, des histoires inouïes de fantômes et de spectres. Ces auteurs n’ont pas réussi à donner corps aux spectres surnaturels qu’ils entrevoyaient comme des signes divins ; ils ont néanmoins réussi à leur donner une vérité et une vraisemblance telle que les romans qui les convoquent, vantent sans qu’on ne remarque plus le paradoxe sur lequel reposait ces traités (parler rationnellement d’êtres irrationnels), leur capacité à proposer des histoires spectaculaires mais vraies, et témoignent des effets des lectures de tels traités comme du surgissement de fantômes. On pourra ainsi conclure en notant qu’au moment où s’arrêtent les rééditions des ouvrages de Lavater, Taillepied et Le Loyer, on voit se multiplier dans les ouvrages de fiction, des histoires d’anges et de démons. Alors que le roman comique, soucieux d’un réalisme parfois grivois, se voit brider par l’essor du classicisme, ces histoires de fantômes, fortes de la vraisemblance et de la rationalité offertes par les théologiens, de la fonction de modèle assigné au spectre et à sa capacité à évaluer la psychologie humaine, perdurent. Romans psychologiques et fantastiques, elles marquent justement la naissance du roman moderne entre introspection humaine et passage à la fiction, comme en témoigne ce roman en plusieurs volumes constamment réédités de la fin du XVIIe siècle jusqu’à la révolution et dont l’auteur est justement un abbé, Laurent Bordelon, L’histoire des imaginations extravagantes de Monsieur Oufle, causées par la lecture des livres qui traitent de la magie, du grimoire. Description du sabbat, Amsterdam, [sans éditeur], 1789.
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Nynaud, Jean (de), De la lycanthropie, transformation et extase des sorciers, Paris, Millot, 1615.
Seguin, Jean-Pierre, « L’Information en France avant le périodique, cinq cent canards imprimés entre 1529 et 1631 », arts et traditions populaires, t. 11, juillet-décembre 1963, p. 203-280.
Taillepied, Noël, Psichologie, ou Traité de l’apparition des esprits, à scavoir des âmes séparées, fantosmes, prodiges et accidents merveilleux qui précèdent quelquefois la mort des grands personnages ou signifient changemens de la chose publique, Paris, G. Bichon, 1588.
Trevor-Roper, Hugh, The European Witch-Craze of the Sixteenth and Seventeenth Centuries and Other Essays, New York, Harper Torchbooks, 1969.
Wier, Johann Histoires, disputes et discours des illusions et impostures des diables, des magiciens infâmes, sorcières et empoisonneurs, Paris, Chouet, 1579.
Notes
[1] L’espouvantable et prodigieuse vision des fantosmes au nombre de douze mille. Advenus au pays d’Angoulmois, et veuz par les habitans de là, en grande admiration, Paris, Louis Perrin, 1608.
[2] J. Lavater, Trois livres des apparitions des esprits, fantosmes, prodiges et accidens merveilleux qui précèdent souventes fois la mort de quelque personnage renommé… traduits d’aleman en françois, conférez… et augmentez sur le latin… Avecques… un brief discours sur le fait de la magie, et quel pouvoir les magiciens et sorciers peuvent avoir d’invoquer… les esprits. Le tout recueilli de la ″Démonomanie″ de M. Bodin et autres divers livres tant grecs que latins [1569], Zurich, G. Des Marescz, 1581.
[3] N. Taillepied, Psichologie, ou Traité de l’apparition des esprits, à scavoir des âmes séparées, fantosmes, prodiges et accidents merveilleux qui précèdent quelquefois la mort des grands personnages ou signifient changemens de la chose publique, Paris, G. Bichon, 1588.
[4] P. Le Loyer, Discours et histoires des spectres, visions et apparitions des esprits, anges, démons et ames, se monstrans visibles aux hommes [1586], Paris, Buon, 1608.
[5] J. Wier, Histoires, disputes et discours des illusions et impostures des diables, des magiciens infâmes, sorcières et empoisonneurs, Paris, Chouet, 1579 ; J. de Nynaud, De la lycanthropie, transformation et extase des sorciers, Paris, Millot, 1615 ; J. Bodin, De la Démonomanie des sorciers, Paris, J. du Puys, 1580.
[6] J.P. Seguin, « L’Information en France avant le périodique, cinq cent canards imprimés entre 1529 et 1631 », arts et traditions populaires, t. 11, juillet-décembre 1963, p. 203-280.
[7] H. Trevor-Roper, The European Witch-Craze of the Sixteenth and Seventeenth Centuries and Other Essays, New York, Harper Torchbooks, 1969
[10] L’espouvantable et prodigieuse vision des fantosmes au nombre de douze mille. Advenus au pays d’Angoulmois, et veuz par les habitans de là, en grande admiration, Paris, Louis Perrin, 1608, p. 12.
[12] Voir par exemple l’ouvrage du médecin Beauvallet, Les Prodiges chimiques, [pas d’éditeur], 1621.
[25] Voir par exemple la traduction et les commentaires sur cette dialectique de P.J. Labarrière, G. Jarczyk, Les Premiers combats de la reconnaissance, Paris, Aubier, 1987.
[29] De genesi ad litteram, in Oeuvres, Paris, Desclée de Brouwer, 1972, vol. 49, p. 351.Sur ce point voir H. Huot, « Spectres ou pas spectres : telle était la question », Ethnologie française, n°XXXIII, 2003, p. 575-582.
[35] L. Moreri, Le Grand dictionnaire historique, ou le Mélange curieux de l’histoire sacrée et profane [1680], Paris, Le Mercier, 1759, T. VI, p. 189.
Zburătorul: Amantul înaripat în mitologia românească
Carmen Săpunaru Tămaş
Osaka University, Japon
carmentamas@yahoo.com
Zburatorul : l’Amant Ailé dans la Mythologie Roumaine
The Winged Lover in Romanian Mythology
Abstract: In Romanian folklore and mythology, Zburatorul (literally, “the flying man”) is a spirit which visits young women at night, under the shape of a handsome young man and drains them of power and vitality through erotic activities. Although this motif is by no means unique in the world collection of tales and legends, I consider it an interesting enterprise to analyze the symbolism of the “winged lover” (he is often depicted as a winged man, winged serpent, dragon or fire tornado) in a country where he is more known than the world famous Dracula. In my paper I shall try to define this mythological figure by discussing various Romanian folklore texts, from songs depicting his effect on women or their longing for him, to charms used to prevent him from visiting the women, while at the same time comparing Zburatorul with similar spirits encountered in other cultures.
Keywords: Romanian folklore; Incubus; Succubus; Nightmare; Erotic dream; Vampire; Love spirit.
Au moment où je relisais cet article, cela faisait quelques jours que la Saint Valentin était passée, et qu’une fête roumaine identique, appelée Dragobete approchait. D’un point de vue sociologique, il est réellement intéressant d’observer combien ces fêtes liées à l’amour peuvent susciter les réactions les plus diverses: la joie, l’enthousiasme, l’ennui, la rébellion. D’une part il y a ceux qui les soutiennent à bras le corps (encouragés par les commerçants qui utilisent le symbole de ces fêtes à des fins mercantiles), étant pris d’une fièvre d’achats, échafaudant des plans de dîner fantaisiste, et de l’autre, il y ceux qui les rejettent et dénoncent la société de consommation et les coutumes créées récemment par le capitalisme. Quoi qu’il en soit, aucune des deux réactions n’affecte le million de femmes qui rêvent d’une journée romantique, d’un dîner aux chandelles, et cerise sur le gâteau, du beau ténébreux : mystérieux, charmant prêt à les faire fondre et chavirer. Bien que sa création n’ait sans doute aucun lien avec ces fêtes, une récente série de livres qui a suscité un phénomène mondial – très proche de l’hystérie causée par Harry Potter – semble s’adresser aux fantasmes les plus enfouis des femmes : l’amant idéal, quelqu’un correspondant à leur désir mais qui ne peut pas appartenir à ce monde.
Je parle ici de la Saga Twilight de l’américaine Stephenie Meyer et, à bon escient, car c’est l’un des rares écrits modernes qui a pour thème l’incube, le sujet que nous abordons ici. La Saga Twilight, une série de romans à valeur littéraire douteuse, est devenue extrêmement populaire parmi les femmes. Pourquoi ? Parce que chaque femme ayant lu ce roman s’imagine amoureuse et réciproquement aimée d’une magnifique créature qui continuerait à lui rendre visite, malgré tout le mal que cela pourrait causer. À travers les siècles, les coutumes sociales, les mouvements de libération féministes, le progrès de la chirurgie esthétique, … les femmes sont encore programmées à penser d’une certaine manière et à se sentir attirées par le dangereux incube.
Zburatorul, – en roumain, littéralement, l’homme volant –, est un esprit qui, au milieu de la nuit, sous la forme d’un beau jeune homme, rend visite aux jeunes filles, leur vole vitalité et force, lors d’ébats amoureux. Les chansons populaires roumaines le décrivent comme un esprit qui « attaque » les jeunes filles dans l’obscurité de la forêt, « embrassant et mordant leur front et leurs lèvres ». Invisible (« des mains que mes yeux ne pouvaient voir / me volait toutes mes baies […] cassant en mille morceaux mon collier/de ses si doux baisers[1] »), il perturbait profondément les jeunes femmes à qui il rendait visite : « Oh ! mère, mon cœur me fait mal et je ne suis que peine. / Mon buste est couvert de bleus et les cacher serait vain / Un feu brûle en moi, j’en frissonne encore / même mes lèvres sont en feu, mais je suis toute blanche, vois-tu. »
Un premier compte-rendu à ce sujet a été fait au début du XVIIIe siècle par Dimitrie Cantemir, un prince Roumain, qui écrivit dans son livre Descriptio Moldaviae : « on croit que Zburatorul est un revenant, un beau jeune homme qui, la nuit, rend visite aux jeunes filles, plus particulièrement aux jeunes mariées. Même si les personnes veillent afin de l’attraper, il ne peut être vu, de plus, il souille leur demeure en passant la nuit à se livrer à des jeux amoureux interdits. Toutefois, j’ai entendu parler de certains maris que Prométhée avait façonné de sa meilleure argile qui ont réussi à attraper certain de ces revenants et réalisant qu’ils étaient de chair et d’os, leur ont infligé une belle correction[2]. »
L’observation ironique de Cantemir interroge sur le fait de savoir si Zburatorul était réellement une créature venant du royaume des morts, ou si il n’était pas juste un prétexte pour s’adonner à des relations adultérines. Ce thème est cependant bien trop répandu en Roumanie (et dans bien d’autres cultures) pour être ainsi expliqué. L’« amant ailé » est un être complexe qui peut être associé à « zmeu » (le démon Roumain des contes de fées souvent décrit comme ayant des ailes, ou pouvant simplement voler) ; au vampire (toutefois il ne boit pas de sang et ne blesse en aucun cas physiquement ses victimes) ; ou encore à l’esprit de l’amant mort qui rend visite à sa Dulcinée. Toutefois, il est assez ardu de définir cet esprit : il est certainement une créature de l’autre monde, mais a-t-il jamais eu de liens avec le royaume des morts ? Est-ce un esprit errant ou un dieu païen ?
Dans certaines chansons folkloriques, on dépeint cet esprit comme ayant des ailes et entrant dans la maison des filles par la cheminée, sous la forme d’un « dragon de lumière avec une queue de feu / ayant sur le corps des pierres précieuses qui font pâlir les étoiles ». Une fois à l’intérieur, il prend forme humaine et se change en un beau jeune homme « grand et élancé avec les cheveux couleur or / et aucun sang ne coulant dans les veines » qui tourmente les femmes de ses avances amoureuses. A ce stade, on peut présumer sans crainte que Zburatorul n’est pas un vampire, car ce qui le distingue des vampires (ou encore les strigoi, ainsi qu’ils sont appelés dans la culture populaire roumaine) repose que le fait qu’ils ont vécu en tant qu’humain et ne sont devenus des êtres maléfiques qu’après leur mort. Zburatorul, lui, apparaît clairement comme une créature surnaturelle, que l’on peut comparer au thème de l’épouse céleste présente des légendes asiatiques –une déesse qui épousa un mortel et vécut avec lui pendant un temps–, ou même, au mythe du dieu qui s’unissait avec des mortelles, omniprésent dans la mythologie grecque, par exemple, mais qui, à l’instar du sombre personnage du vampire, blesse volontairement ses victimes, et dans la plupart des cas, leur apporte la mort. De plus, Zburatorul est décrit comme étant d’une beauté surnaturelle comme le personnage des fictions modernes plus que le vampire des folklores généralement laid. Paul Barber, dans son analyse détaillée du mythe du vampire en Europe, fit la distinction suivante : « Le vampire des fictions a tendance à être grand, mince, et à avoir le teint cireux, le vampire folklorique est potelé et a le teint rougeâtre, voir sombre. Les deux ne pourraient socialement pas se rencontrer, car le vampire des fictions a tendance à incarner la noblesse et à vivre dans un château, tandis que le vampire folklorique est d’origine paysanne et réside (durant la journée du moins) dans la tombe où il a été enseveli[3] ».
Depuis que Paul Barber a achevé son étude, le vampire des fictions a quelque peu évolué et on peut dire qu’il vit dans des villas modernes et conduit de luxueuses décapotables, ainsi une autre différence est devenu apparente ici : Zburatorul est lié à la nature, il apparaît plutôt comme une entité de vent et de lumière, malgré quelques mauvaises actions. C’est une magnifique créature attirée par la beauté. Les filles décrites dans les chansons populaires sont toujours belles, et en réalité, la fille et son amant ailé pourrait représenter le couple idéal dans l’imaginaire roumain : elle, a un teint de porcelaine, les cheveux noirs comme le jais, lui, est grand et mince avec des cheveux couleur épis de blé. Beaucoup de contes de fées roumains sont basés sur une intrigue simple : une belle servante est kidnappée par un zmeu (le personnage maléfique souvent associé au dragon), une brute ailée venue de l’autre monde, puis elle est sauvée par le prince charmant, généralement mince et beau. Notons que la servante n’est souvent sauvée qu’après avoir passé quelque temps dans l’autre royaume, en tant qu’épouse du zmeu, ce qui dénote un lien intéressant entre les relations sexuelles (pré-maritales) avec une créature surnaturelle avant d’être soumis aux règles morales de la société.
Zburatorul apparaît comme la combinaison du dragon et du prince charmant, visitant les femmes de son choix à moins qu’il ne soit forcé de le faire. Des chercheurs roumains ont tenté d’expliquer ce mythe comme étant une métaphore de la transformation physiologique de la jeune fille durant la puberté, quand elle connaît l’éveil des sens et devient consciente de sa sexualité. La fille qui se plaint à sa mère au sujet de sentiments et de sensations qu’elle ne peut identifier (« mon cœur bât sourdement dans ma poitrine », « je ressens des frissons », « les larmes me montent aux yeux/ j’ai besoin de quelque chose mais je ne sais quoi » ), pourrait bien être une adolescente rêvant d’amour. Zburatorul assaille néanmoins aussi les jeunes mariées, pour qui la sexualité et les relations sexuelles ne sont plus, en théorie, un mystère.
Une interprétation plus juste serait celle qui associe Zburatorul à un incube : c’est un démon qui ne possède pas, mais qui hante les femmes en âge d’être mariée (nubile), détournant leur force. De plus, tout comme l’incube possède une femelle homologue en la figure de la belle succube, les traditions roumaines mentionnent Zburataroaica[4], un séduisant esprit qui charme les jeunes hommes. Des croyances identiques apparaissent dans la culture celte, où les dussi, des démons poilus, fréquentent le lit des femmes afin de satisfaire leur désir mais provoquant chez elles la folie; dans la culture Hindou les bhuts (démons) enlèvent des femmes et les fatiguent par leur tentatives amoureuses; chez les sémites, certains djinns qui engrossent les femmes ; dans la culture maya, ekoneil est un serpent imaginaire qui suce les seins des femmes ; ou encore hatuaporo, le samoan lui aussi engrosse des femmes et cause des cauchemars[5].
Dans la mythologie nordique, on a pu voir le Näk, un esprit de l’eau, qui de temps en temps prend « une apparence jeune » afin d’attirer des filles. Le Näk suédois a une passion pour les femmes enceintes et prend l’apparence du mari, bien que ses sabots équins demeurent. La femme qui ne s’en aperçoit pas, elle devient folle[6].
En se basant sur le schéma de pensées initié par Platon, Havelock Ellis considère que ces croyances sont liées aux hallucinations érotiques d’hystérie, et aux rêves érotiques en général, où les femmes se croient elles-mêmes en proie à des étreintes sexuelles, et ou les hommes pensent qu’ils font l’amour avec des femmes magnifiques[7]. Dans une étude sur la sorcellerie au Ghana, Hans W. Debrunner a noté : « quand la sorcellerie devint une survivance psychologique et que de réelles rencontres n’eurent plus cours, la sexualité réprimée se vengea de manière irrationnelle par une névrose obsessionnelle du « succube » pour les hommes, et de l’ « incube » pour les femmes[8].
L’amant qui apparaît en rêve est un thème qui a bien été analysé depuis l’ Antiquité, Artémidore d’Ephèse (L’interprétation des rêves) fut l’un des premiers à se focaliser sur les rêves érotiques et leur symbolisme ; plus récemment, Charles Stewart fit un petit essai critique sur ce même thème mais en déplaçant le sujet dans le temps, liant la traditionnelle vision de l’incube à l’idée plus moderne de l’enlèvement par des extraterrestres : « L’exemple de l’enlèvement par des extraterrestres amène mon analyse jusqu’au présent, et dans une certaine mesure jusqu’à l’avenir. Cela libère de la tendance à considérer l’histoire du rêve érotique comme un domptage progressif de l’image effrayante modulant l’expérience du désir sexuel. Bon nombre de comptes rendus d’enlèvements par des extraterrestres ressemblent à l’histoire de l’union de femmes mortelles avec des fils de Dieu (les Veilleurs) dans la Genèse 6, ou au mécanisme des succubes et incubes médiévaux, mais cette histoire ne met pas toujours en évidence une continuité dans le cauchemar érotique. Le rêve ou le cauchemar représente un modèle attractif dans le processus historique parce qu’il transmet l’idée de compulsion[9]. »
L’interprétation de Charles Stewart concorde parfaitement avec l’image de Zburatorul : cet être magique impose sa présence aux femmes. Cependant, malgré le fait qu’il perturbe et trouble les femmes à qui il rend visite, Zburatorul ne les tue pas, et ne leur fait aucun mal. En sa faveur, on peut donc dire qu’il ressemble davantage à ces dieux qui avaient des aventures avec les humaines : certes, la réputation de la femme est désormais entachée au sein de la communauté, mais la personne « élue », n’est pas elle-même, spécialement malheureuse. Un aspect identique est connu dans le folklore roumain : la fille se plaint de ne pas comprendre ce qui lui arrive mais elle dit aussi « J’ai peur, mais je l’aime », pendant qu’elle attend amoureusement l’arrivée de l’esprit.
Quoi qu’il en soit, l’apparition de l’amant ailé représente une intrusion dans la normalité : ce qui doit être évité ou arrêté. Selon des données recueillies par la spécialiste du folklore Sanda Golopentia, la protection contre Zburatorul n’est efficace qu’après avoir pris un bain fait de 9 sortes de plantes : « hysope en haie, hysope d’eau douce, ache de montagne, valériane, mandragore, résine, racine de rose, gaillet odorant (reine des bois, petit muguet). Ces plantes et ces racines sont cueillies dans les bois et les champs par de vieilles femmes et des tziganes durant le mois de mai. La femme malade se baigne tous les mardis ou vendredis dans un baquet d’eau fraîche dans laquelle ces plantes ont été bouillies[10] », au même moment, des incantations sont chantées dans le but de rompre le sortilège que Zburatorul a pu jeter à la femme.
Deux orientations dans l’interprétation de ce mythe apparaissent comme évidentes : Zburatorul est soit un esprit malin qui tourmente les femmes de ses avances sexuelles, soit un dieu charmant qui visite le monde des humains après être tombé amoureux d’une femme. La dernière version semble la plus plausible car, même en tant qu’incube, Zburatorul n’est pas mauvais. Les pires effets décrits dans le folklore roumain d’une rencontre avec l’amant ailé, ne sont en effet que fatigue et pâleur du teint (ce qui pourrait aussi être le résultat d’une rencontre avec un dieu).
Mais le mythe de l’incube, – y compris celui de Zburatorul – ne trouverait-il pas son origine dans la croyance des enfants conçus lors des unions entre dieux et humaines et promis à un destin hors du commun ? Mais de façon plus logique, le mythe de l’amant venu de l’autre-monde serait une façon de donner une explication normalisée aux les mystères de la sexualité et de la création. La conception d’un autre être humain, type le plus sacré de création, serait explicable par l’intervention même des dieux, ou en imitation du comportement des dieux. De plus, Zburatorul n’a pas pour habitude de tourmenter les filles, mais de les initier par une sorte de mariage sacré ou de hiérogamie avant qu’elles ne deviennent épouses et mères, et membres à part entière de la communauté.
Traduit en français par Myrna Hombel
Notes
[1] Ndt : à moins que cela ne soit indiqué, toutes les traductions ont été faites du roumain à l’anglais par l’auteur, puis de l’anglais au français par le traducteur. L’auteur s’étant basé sur des livres en anglais, les références ont été gardées telles quelles.
[2] Dimitrie Cantemir, Descriptio Moldaviae, Editura Academiei Republicii Socialiste Romania 1973, p. 343.
[4] La divergence linguistique est due à la différence entre le masculin et le féminin dans les noms roumains.
[6] John Arnott MacCulloch, Eddic Mythology, The Mythology of All Races II, Cooper Square Publishers, Inc. 1964, p. 211.
[7] Havelock Ellis, Studies in the Psychology of Sex I
http://www.gutenberg.org/files/13610/13610-h/13610-h.htm#1_II-E (retrieved on February 24, 2011).
[8] Hans W. Debrunner, Witchcraft in Ghana: a study on the belief in destructive witches and its effect on the Akan tribes, Presbiterian Book Depot Ltd. 1961, p. 84.
Reprezentări ale strigoilor în cultura tradiţională românească
Creaturi fantastice în basmele româneşti : aspecte simbolice
De la corpurile fantomă la corpurile imaginate. Între Africa şi Europa: unitatea cognitivă a răspunsurilor culturale la paralizia somnului
Balada morţilor: ”Faţa de masă” de pe Table Mountain ca spirite ale morţilor
Sibusiso Hyacinth Madondo
University of South Africa
Madonsh@unisa.ac.za
Ballad of the Fallen:
The ‘Table Cloth’ of the Table Mountain as the Spirits of the Dead
Abstract: One of the most spectacular sights in Cape Town is the steeply rising Table Mountain as a backdrop to the city. According to local foundation myths and legends this mountain is the metamorphosed body of the giant known as Umlindi Weningizimu (Watcher of the South) who was wounded in the fight between the giants and the Great Dragon of the Sea. The legend has spawned numerous myths about the phantoms haunting the mountain. Over and above the local version of the myth, the great Portuguese poet, Luis Vaz de Camoẽs in his epic poem The Luisiades introduced another version in which Table Mountain is the metamorphosed body of the cursed titan Adamastor, who fell in love with Thetys and in retribution Doris (Thetys’ mother) exiled him to the South of the African continent and transformed him into Table Mountain. In postulating the above-mentioned myths, it seems logical to consider the storms with which Cape Town has always been associated, as the frustrated spirit of the passionate Adamastor trying to come back to life and wriggling in excruciating pain. Nineteenth century historians also relate the incident of a night vision of the very bright carbuncle that is purported in myth and legend to crown the head of a serpent. The vision lasted for the whole month. A later Afrikaner version relating to the cloud on top of Table Mountain (this is referred to as “the table cloth” attributes it to the story of Captain van Hunks who beat the devil in a smoking competition and were both transformed into a pall of mist that now covers Table Mountain). Whoever the cloud over Table Mountain represents, sailors have developed the saying which they use when they see it: “The table is set” and immediately they know they must soon get to work before the storm arrives.
Keywords: South Africa; Table Mountain; watcher of the south; adamastor; Captain van Hunks.
Over the heaving plain’s the great ship sped
Day after day: then towered, two leagues ahead,
The Table of the Gods, its bright cloth spread,
As though but yesternight they banqueted
Arthur Vine Hall, “Table Mountain[1]”
One of the most spectacular sights in Cape Town is the steeply rising Table Mountain as a backdrop to the city which has given its name to a constellation mons mensae named by the French astronomer Louis de la Caille (March 15, 1713-March 21, 1762) who used the mountain as the basis for his scientific observations of the southern sky. Table Mountain was so named because of its appearance, the level plateau of approximately 3 kilometres (2 miles) from end to end which looks like the mensa of the table. It is 1,086 metres (3,563 ft) in height and is flanked by Devil’s Peak (Duiwelspiek) or Wind Hill to the east and Lion’s Head (Leeuwen Kop) to the west. The indigenous name of Table Mountain given by the Khoi inhabitants was Hoerikwaggo (sea-mountain) One of the most remarkable features associated with Table Mountain is the turbulent winds that wrecked ships in the Bay area, for this reason the Portuguese first named the area, the Cape of Storms before calling it the Cape of Good Hope (cabo de Bom Esperanza). Peter Kolb, writing in the eighteenth century, reported about the ravaging winds in his book The Present State of the Cape of Good Hope as follows:
I have one particular more to mention with regard to this Hill, and that is, that during the dry season, from September to March, and frequently in the other months, a white cloud hovers on the top of the Hill. This cloud is look’d upon to be the cause of the terrible south-east winds that are felt at the Cape; which winds held the Cape, for a considerable time, in very ill repute with all the European trading nations. ‘T is usually saying among sailors approaching the Cape, as soon as they discover the cloud: ‘the Table is cover’d or the cloth is laid on the Table; intimating, that they must prepare immediately for a storm; and accordingly to work, they immediately go, and that with as much activity as if the storm was already upon ‘em.[2]
In spite of global climate change, the weather in Cape Town has not changed much or at all, as Nicolas Louis de la Caille’s precise description of the formation of the “table cloth” the raging winds of Cape Town in his diary Travels at the Cape 1751-53 attests it:
November 3. A violent wind got up this morning, continuing at the town all that evening and the next night. I noticed that first of all there was a series of small clouds which the wind drove towards the hills which run from the eastern entrance of the False Bay (Hangklip), and then as far as the Table Mountain where they came to a halt. These little clouds were followed by somewhat larger ones, but well separated from one another, which also stopped on the Table Mountain by 4 p.m. All the hills were covered by a mass of clouds extending for some distance down their slopes but joining up with those covering the summit of the Table. At 5 o’clock the clouds seemed to become less dense towards the south, and to be almost all gathered together on the Table, which was then covered with a mass of very white but very dense clouds; the wind was then blowing violently at the town and in the roads. During the night, I observed that this large cloud covering the Table dissipated itself little by little and that the wind took some portions of it away towards the north-west, so that at 2 a.m. the thickness of the cloud decreased, and by 4 a.m. hardly any of it was left: the wind ceased to be violent, and blow only moderately during the rest of the morning, the barometer standing always at 28 inches and 3 lines. I observed also that a similar mass of clouds also formed on the Hottentot-Holland mountains, from Hangklip onwards; but these mountains did not remain covered so long as did those of the Table, all the sky not in the direction of the mountains remained perfectly clear.[3]
The calculated, rhythmic movement of the clouds from Hottentot-Holland mountains to Table Mountain and their hovering over the mountain on a daily basis around the same time resembles that of a living entity, like the tides of Mont Saint Michel, is mind-boggling and forms the basis of the origin of a myth or myths. Human imagination always associates such cosmic movements with the existence of the supernatural, the miracle, the magic or the sign of being haunted by an invisible spirit, a boggle etc. In many mythical narratives, the divinities’ appearances are always accompanied by ghastly winds which frighten the hero. The pun on the words “wind”, “breath” and “spirit” or “ghost” should be noted well in this regard. The example of the descent of the Holy Spirit on the Apostles in the form of “a rushing mighty wind” (Acts of the Apostles 2:2) can be quoted as one of the innumerable examples in this regard.
One version of the myths associated with Table Mountain identifies the “table cloth” or the clouds enshrouding the top of Table Mountain with a monster, a serpent. Kolb relates an incident of a night vision of the very bright carbuncle that is purported in myth and legend to crown the head of a serpent. The “apparition” was very frightening for the inhabitants of the Cape and it lasted for almost the whole month of the time of its appearance:
I was assur’d by several credible persons, that a little before my arrival at the Cape, there appeared in the night time, for near a month together, on top of this hill, something like a large carbuncle-stone: a resplendent something, resembling, in the imagination of many, a serpent with a crown upon its head, and by many taken for one, to their infinite terror and astonishment. Being seen only during the night, none were found hardy enough to venture up to the top at that time, to discover what it was; and in the day-time, it seems, nothing like it was to be found. I was assur’d likewise, that the same appearance was seen some years before, in the same place, and for about the same time. I must leave this matter with my reader as I found it, for I know not what to make of it.[4]
The fact that the apparition was seen at night confirms that it is a monster-ghost as most spectral sightings usually takes place during the night. Historians, like Middleton, dismiss this vision as a figment of imagination which makes people think that they see a serpent crowned with a carbuncle on the summit of the mountain which is not only peculiar to the inhabitants of Cape Town. Middleton quotes the incident of a similar sighting in the Cape of Samoa during the journey to the Levant. He attributes it to an atmospheric electricity phenomenon which has not been clearly identified by physicists.[5] Whatever the vision represented, the elements of myth (the serpent-phantom, the carbuncle, or the fabulous stone of fictitious narratives) and the writer’s scepticism about the story are all present to make the anonymous serpent rival the likes of Nessie of Loch Ness and other aquatic entities who are neither fish nor fowl, nor good herring, evasive and illusive as the grail itself which shows itself only to the happy few.
A later popular Afrikaner version relating to the cloud spread across the top of Table Mountain attributes the “table cloth’ to the story of a retired pirate, Captain Van Hunks who was married to a nagging wife and used to go to the slopes of the mountain to escape helping her with the household chores and enjoy smoking his clay pipe. One day, he was challenged by the devil to a smoking competition and they smoked for hours and even the devil could not beat him. It is said that the furious competition continued until they were both finally transformed into a pall of mist that now forms the famous “table cloth” of Table Mountain.[6]
According to the local foundation myth and legends the mountain is the transformed body of the giant known as Umlindi Weningizimu (Watcher of the South). Tixo (God of the Sun) and Djobela (Earth Goddess) gave birth Qamata who created the world. The Great Dragon of the Sea being jealous of Qamata’s creation tried to stop him they were locked in a battle. Djobela, the Earth Goddess, came to his rescue by creating four giants to guard the corners of the earth. Djobela placed the biggest one at the gateway to the south, where Table Mountain is now located. After many battles, the giants died but before their death they requested the Earth Goddess to transform them into mountains so that they could guard the world even after death. The greatest giant became Umlindi Weningizimu which is now known as Table Mountain.[7] This myth is probably not of African origin as it features a lot of European mythemes and has no other African variants. Permanent transformation of objects into something else does not feature much in African myths.
Over and above the local version of the myth, the great Portuguese poet, Luis Vaz de Camoẽs in his epic poem The Lusíads introduced another version in which Table Mountain is the transformed body of the cursed Titan Adamastor, who fell in love with Thetys and in retribution Doris (mother of Thetys) exiled him to the southern tip of the African continent and transformed him into Table Mountain. Postulating the abovementioned myths it seems logical to consider the storms with which Cape Town has always been associated, as the frustrated spirit of the passionate Adamastor trying to come back to life and wriggling in excruciating pain.
The “local” myth as well as that of Camoẽs concerning the origins of Table Mountain are based on the narratives of metamorphosis as clearly exemplified in Ovid’s Metamorphoses and other similar narratives. The structure of this myth is a universal one of a churlish lover who pursues a beautiful maiden, meets the tragic fate of being changed into an animal or any other object, a mountain in the case of Adamastor. Ovid’s influence on Camoẽs is evident in Adamastor’s telling how he was transformed into a gigantic mountain:
My flesh was moulded into hard clay.
My bones compressed to rock;
These limbs you see, and this trunk
Were stretched out over the waters,
The gods moulded my great bulk
Into this remote promontory,
And of all tortures, the most agonizing
Is that Tethys, surrounds me, tantalizing.
The Lusíads. Canto V, 59[8].
Over and above the obvious use of the themes of metamorphosis or the death of the Titan as he is forced to revert to the primordial clay from which he originated and assume the gigantic shape of Table Mountain. The poet also makes use of the motif of the fairy kiss that leads to the enchantment of the Titan who having been hurled down from Olympus, is condemned to spend eternity at the furthermost end of the African continent. Adamastor meets the same fate as Merlin and Vergil the magician: both are held captive by the spell of their lovers. As a result of his captivity, Adamastor is hostile to all the ships that drift to the shores of the Cape Peninsula. In the hands of the Portuguese poet, the “table cloth” of Table Mountain becomes the symbol of terror and hostility and portends of imminent tragedy, the death of sailors due to scurvy and other diseases:
A cloud above the mast loomed huge and high
Blackening out completely the night sky.
So fearful it looked, so overpowering,
It put great terror in our hearts.
The Lusíads, Canto V, 38.
While exploiting the myth of the transformation of the Titan into Table Mountain, Camoẽs amuses himself by playing on the universal relationship giant-mountain which is found in many myths and folktales, a technique that Durand correctly terms “gulliverisation”[9]. In Gulliver’s Travels for instance, the Lilliputians refer to the gigantic hero as Man-Mountain and in Chrêtien de Troyes’ romance Yvain or the Knight of the Cart, the giant’s name is Harpin of the Mountain (Harpin de la Montagne). Evidently, the giant feels at home in the mountain.
Adamastor’s brutality is linked to the hostility of the inhabitants of the land who resisted colonisation and attacked the imperialist. This is probably what led to the origin of the notion of the swaart gevaar (black danger) which has influenced a number of Afrikaner writers. Adamastor has also fascinated many writers such as Victor Hugo in Les Miserables as well as Alexander Dumas who evokes him in his novel The Count of Monte Cristo[10]. In Camoẽs poem he is portrayed in an ambiguous manner, a theophany and a horrific ghost, extremely repulsive and fearful:
Even as I spoke an immense shape
Materialised in the night air.
Grotesque and of enormous stature,
With heavy jowls, and unkempt beard,
Scowling from shrunken, hollow eyes,
Its complexion earthy and pale,
Its hair grizzled and matted with clay,
Its mouth coal black, teeth yellow with decay.
The Lusíads, Canto V, 39.
Adamastor’s portrait in the strophe quoted above reads like a palimpsest. The reader can see the vestiges of the Olympian origins of the fallen deity, through his gigantic size. On the other hand his captivity makes him look like a savage being. His condition as a revenant is explained by “hollow eyes” and hair “matted with clay” and that he can only be seen at night, the appropriate time for the sighting of the spirits of the dead.
Notes
[2] Peter Kolbe, The Present State of the Cape of Good Hope, London, West End of St. Paul’s, 1731, New York, Johnson Reprint Corp, 1968, Volume II, p. 14.
[3] Nicolas de la Caille, Travels at the Cape 1751-53. : An Annotated Translation of Journal historique du voyage fait au Cap de Bonne Espérance, Translated and edited by R. Raven-Hart, Cape Town and Rotterdam, A.A. Balkema, 1976, pp.13-14.
[6] See Penny Miller, Myths and Legends of Southern Africa, Cape Town. McManus Bros (Pty) Ltd. 1979, p.61.
[7] See Carnic Hampton and Andrew McLleron, Table Mountain to Cape Point, Cape Town, Struik Publishers, 2006. “This may not be an African legend as the Chinese practice feng shui (or geomancy) also refers to dragons of water and mountain. Water that flows down the ridges of a mountain is called Dragon’s Veins, and the point in which water accumulates is the Dragon’s hair, a rich store of qs (energy, pronounced “chec”. Table Mountain is a living dragon, and in feng shui is indeed considered the protector of the south, known as the Black Warrior”, p. 6.
[8] All quotations from The Lusiads are taken from the following edition: Luiz Vaz de Camoẽs, Translated with an Introduction and Notes by Landeg White, Oford, Oxford University Press, “Oxford World Classics”, 1997
[9] See Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire:Introduction l’archétypologie générale, Paris, Bordas, 1969, pp. 239-243 and 325-329.
[10] Alexandre Dumas, The Count of Monte –Cristo, Illustrated by A A Dixon, London and Glasgow, Collin’s Clear Type Press, 1995: “They were within fifteen miles of Monte-Cristo when the sun began to set behind Corsica, whose mountains appeared against the sky, and showing their rugged peaks in bold-relief. This mass of stones like the giant Adamastor, rose threateningly before the bark, from which it shaded the sun that gilded its lower parts.p.83. He also mentions him in his other works such as Vingt ans après, (Chapter LXXVII), Georges (Chapter I), Causeries (Chapter IX) and Mes memoires, (Chapter CXVIII). Adamastor also features in Voltaire’s Essai sur la poésie épique, in Victor Hugo’s Les misérables (Chapter III).
De la spiritele răzbunătoare la fantomele tragice. Viziunile fantomatice în cultura japoneză
Shogo Kanayama
Gatsuzoji Temple, Japon
www.gatsuzouji.or.jp
Des esprits vengeurs aux fantômes tragiques
La vision du fantôme dans la culture japonaise /
Phantoms in Japanese Culture
Abstract: The belief that at death the soul separates from the body and becomes a spirit is universal; in Japan these spirits are divided into two categories: benevolent spirits (nigitama) and malevolent spirits (aratama). It is the Japanese belief that neglecting to worship the ancestors’ spirits can have evil consequences, while paying the due respect to vengeful spirits can turn them into gods of good luck. Historically, ghosts are first mentioned during the Heian period, in works such as Nihon Ryōki or Konjaku Monogatari. Later, a new word, goryo, was introduced to designate the spirits of powerful men who died bearing grudges or a desire for revenge and who became ghosts that cause epidemics and destruction.
The beginning of the Edo period marked the golden age of the kabuki theater, when ghost stories became popular. The development of the Japanese theater when hand in hand with the development of ukiyoe (woodblock prints), as the artists started to create more and more ghost images. This paper focuses on the development of particular ghost motifs and themes, as well as on the evolution in the ghost imagery along centuries in Japanese culture.
Keywords: Japanese mythology; Malevolent ghosts; Kaidan; Izumo Shrine.
L’ancien Japon représente le territoire où des tribus venues du continent ou des îles du sud furent naturalisées, amenant avec elles des croyances indigènes, et c’est ainsi que la culture japonaise en est venue à refléter différentes images de l’autre monde : dans le ciel, sous la terre, sous la mer ou encore sur le faîte des montagnes. Cet autre monde était un royaume où les mortels pouvaient voyager librement, jusqu’au jour où ils ont brisé le tabou « de ne pas regarder » et « de ne pas manger (la nourriture du monde souterrain) » par la suite le chemin fut définitivement scellé (ce passage est retranscrit dans le Kojiki et le Nihonshoki qui sont d’anciennes chroniques japonaises). Avec les progrès de l’agriculture, les communautés des villages récemment formés ont commencé à adorer les esprits des ancêtres qui sont par la suite devenus des kami, c’est-à-dire des esprits divins, qui, pensait-on, résidaient sur les cimes des montagnes. Les esprits des ancêtres quittaient leur demeure à l’automne et au printemps quand, prenant la forme de dieux, ils descendaient dans les villages afin de protéger les récoltes.
Comme on peut le remarquer dans les écrits de l’historien des Han, Sima Qian (transcription de Chavannes : Se Ma T’sien), la vénération des ancêtres pourrait prendre son origine en Chine. En effet, dans les Mémoires Historiques, Qian a noté que lors de la défaite de la dynastie des Yin face aux fondateurs de la dynastie des Han en 1046 av J-C, ces derniers ne tuèrent pas tous les membres de la famille vaincue. Au contraire, ils les exilèrent en s’assurant qu’ils glorifieraient le nom de ceux qui avaient péri durant la bataille. Ce geste vient du fait qu’ils croyaient que si tous les membres de la famille étaient tués, il n’y aurait plus personne pour accomplir les rituels nécessaires à l’apaisement des esprits des morts, qui retourneraient alors en tant qu’esprits féroces et apporteraient le mal et la destruction. Au Japon, beaucoup de personnes pensent que les esprits qui sont négligés par leur famille, ou qui n’ont personne pour aller sur leur tombe, voir encore les âmes qui ont quitté ce monde en ayant de la rancune, ou un désir de vengeance, ne deviennent pas des esprits d’ancêtres mais plutôt ce que l’on appelle des onryo, c’est-à-dire des esprits maléfiques qui n’apportent que le malheur. La croyance selon laquelle l’âme ne recevant pas de service mémoriel pacificateur se vengera contre les mortels a connu un développement particulier au Japon. A savoir, une âme vengeresse dont la rancune est apaisée par des cérémonies de vénérations particulières, peut devenir un dieu du bonheur qui apporte joie et paix.
Par exemple, le temple d’Izumo, l’un des plus grands temples du Japon, connu de nos jours pour être le lieu de prière par excellence, pour obtenir un mariage heureux, est aussi connu depuis le Moyen-Âge comme l’endroit ou la déesse Amaterasu a confiné l’esprit courroucé (enragé, vengeur) du dieu Okuninushi. Se voyant offert un tel lieu d’adoration, et en recevant des rituels de pacification successifs, le dieu maléfique devint un dieu du bonheur qui comblait les vœux de ceux qui le priaient.
Nous évoquerons tout d’abord, des onryo (esprits vengeurs) des figures historiques du VIIIe au XIIe siècle, époque durant laquelle l’Empereur possédait encore le pouvoir politique, puis analyserons les yurei, un nom couramment utilisé dans la langue japonaise pour designer un fantôme.
Cette nouvelle image des fantômes se développe sur une période approximative de 400 ans, une époque troublée par les luttes pour le pouvoir, et a été influencée à la fois par les légendes chinoises et les histoires bouddhiques sur l’enfer.
Ainsi, du XVIe au XIXe siècle, un nouveau concept devint populaire au sein du peuple japonais et son élan fut stimulé par la littérature populaire, le théâtre (le Nô et le Kabuki), et les diverses illustrations accompagnant les meilleures ventes d’histoires de fantômes.
Selon la mythologie japonaise, l’empereur est un descendant direct des dieux, ce qui signifie qu’en théorie, un pays dirigé par un tel souverain ne devrait pas connaître de désastres naturels, de plaies (épidémies) ou de famine. Quand de tels événements survenaient, les oracles parvenaient à la conclusion qu’ils avaient été provoqués par la rancune des âmes des défunts n’ayant pas eu de rites de passage. En fait, l’histoire de cette période est marquée par de nombreuses vieilles querelles entre les membres de la famille impériale. Des nobles et d’importantes figures politiques de cette époque furent conduits à la ruine, et exilés, sous de fausses accusations ; plusieurs d’entre eux moururent en gardant rancune à leurs ennemis. Quand un tel décès se produisait, il était immédiatement suivi de celui d’une personnalité ou d’un cataclysme naturel, et l’on pensait naturellement que ce malheur avait été engendré par la rancœur d’un esprit vengeur.
Par exemple en 775, une aristocrate ayant accès direct au trône, la princesse Inoe, et son fils, furent mis en prison sous prétexte d’avoir jeté une malédiction sur l’empereur. Après un an et demi d’emprisonnement, la princesse Inoe mourut, et peu de temps après sa mort, il y eu un tremblement de terre et une forte tempête. En 784, l’empereur Kammu, commença à dessiner des plans afin de déplacer la capitale de Nara à Nagaoka quand son vassal favori fut assassiné. Les soupçons se portèrent sur le frère de ce dernier, le prince Sawara, qui fut condamné à l’exil. Sur la route de l’exil, protestant contre ces accusations mensongères, le prince Sawara cessa de s’alimenter, ne cessant de clamer son innocence, mais il mourut. Peu après sa mort, un membre de la famille de l’empereur décéda d’une mort violente alors que Nagaoka était secouée par un séisme et frappée d’une épidémie. Craignant la colère de l’esprit vengeur, l’empereur Kammu abandonna Nagaoka habitée depuis dix ans seulement et en 794, établit la capitale à Kyôto. De plus, dans le but d’apaiser ces esprits, il ajouta le prince Sawara (sous le nom posthume de Sudo) et la princesse Inoe (sous celui de Yoshino) à l’arbre généalogique impérial, et fit construire des temples en leur honneur.
Ces esprits qui connurent la mort en raison de fausses accusations, furent nettement différenciés de ceux qui périrent durant une simple guerre, et furent particulièrement craints car l’on pensait qu’ils portaient de profondes et amères rancunes. On les appelait goryo (esprit vénérable), et le sentiment de malaise s’étendant au sein de la population, on décida en 863, de célébrer dans la capitale, une cérémonie à leur intention afin de les apaiser. La cérémonie – goryo-e –, consistant à réciter des sutras continua à être pratiquée durant des années dans tout le pays en afin de stopper les épidémies, prétendument causées par des fantômes, ou pour soulager les craintes du peuple. On honore encore de nos jours, au temple Kami Goryo et à celui de Shimo Goryo, les esprits qui avaient d’abord apporté le malheur sur la maison impériale.
Au Xe siècle, alors que des familles nobles liés matrimonialement à la famille impériale, commencèrent à prendre les rênes du pouvoir, les esprits onryo les plus craints furent ceux de Sugawara no Michizane, et de l’empereur Sutoku. Ils sont connus pour leur rancœur contre certaines personnes. Sugawara no Michizane était un éminent érudit bien au fait du confucianisme, qui avait participé au gouvernement de l’empereur Daigo. Cependant, du fait d’allégations mensongères lancées par son ennemi, Fujiwara Tokihira, en 901, il fut banni de la capitale et mourut de chagrin dans son lieu d’exil, Dazaifu. Peu après, Kyôto fut pendant longtemps frappée par des épidémies et la sécheresse. Tokihira, ainsi qu’un autre membre de sa famille moururent de maladie en 909, et le successeur de Michizane subit une mort violente en 913. De plus, en 930, les alentours du palais impérial furent frappés par la foudre, ce qui causa un incendie dans lequel la famille Fujiwara toute entière périt. L’empereur Daigo lui-même, mourut sous le choc et la société fut plongée dans le chaos. Terrifiés par l’esprit vengeur de Michizane, les membres du gouvernement décidèrent de construire des temples en son honneur et de le vénérer en tant que dieu de la foudre. Ses temples furent baptisés Tenmangu et furent en premier lieu érigés à Kyôto et Dazaifu, s’étendant par la suite au pays tout entier. De nos jours, Michizane est vénéré en tant que dieu des « étudiants » et ses temples sont largement visités en période d’examens.
En 1156, le 75e empereur, Sutoku (dont le vrai nom était Akihito), entra en conflit avec son frère le prince Goshirakawa ; ce dernier le vainquît et l’exila à Sanuki. Pendant sa séquestration, Sutoku décida de se repentir de ses péchés et chercha le pardon des âmes de ceux qu’il avait tués durant la bataille. C’est ainsi qu’il devint un prêtre bouddhiste et passa trois années à copier des sutras. Une fois son travail achevé, il souhaita que ses écrits sacrés soient gardés dans le mausolée impérial de son père et envoya à son frère une lettre à cet endroit. Pourtant, l’empereur Goshirakawa ignora sa demande, déchira les sutras, et lui renvoya les morceaux. Sutoku devint fou de rage ; ses traits prirent une apparence démoniaque, ses cheveux étaient décoiffés, ses ongles avaient poussé et il se mordit la langue, écrivant de son propre sang, une malédiction à l’encontre de l’empereur Goshirakawa au dos des sutras qu’il avait copié. « Faits que je devienne le plus puissant démon de ce pays et que tu deviennes un roturier, alors qu’un roturier sera assis sur ton trône. ». Ayant ainsi maudit la famille impériale, Sutoku mourut en 1164, à l’âge de 46 ans et ses restent furent enterrés sur le mont Shiramine, à Sanuki, son lieu d’exil. Dix ans après sa mort, les uns après les autres, les membres de la famille de Goshirakawa commencèrent à mourir de causes mystérieuses, et en 1177, Kyôto subit à deux reprises de grands incendies. Craignant la vengeance outre-tombe de Sutoku, Goshirakawa inscrivit son nom à l’arbre généalogique de la famille impériale, fit ériger un temple à sa mémoire sur le mont Shiramine et construisit un mausolée dans l’ancien palais impérial à Kyôto, espérant ainsi apaiser l’esprit maléfique.
Cependant, le onryo de Sutoku ne fut point apaisé. D’ailleurs, Taira, un noble qui détenait en même temps que l’empereur Goshirakawa les rênes du pouvoir politique, mourut lors d’une bataille, et la prophétie devint réalité quand le pouvoir passa au main du guerrier insurgé, Minamoto no Yoritomo. Le cas de Sutoku n’était pas le seul de cette époque, car le 81e empereur, Antoku, le 82e empereur, Gentoku, et le 84e empereur, Juntoku souffrirent les mêmes tourments (l’exil suivi de la mort). Toutefois, en ce qui les concerne, l’empereur suivant craignant leur rage les inscrivit dans l’arbre généalogique et, à titre posthume, ajouta à leur nom le caractère « toku » (徳) qui signifie « vertu » (ou encore « noble caractère »). L’interprétation de ce caractère peut aussi être retrouvée dans les analectes de Confucius, qui suggère une autre façon de réussir à apaiser les esprits vengeurs, et permet d’éviter les malheurs qu’ils pourraient causer. Après avoir pris le pouvoir politique, Minamoto no Yoritomo tenta de trouver un moyen de calmer l’esprit de Sutoku et de ramener la paix et la tranquillité dans le pays. Toutefois, à chaque fois qu’un désastre naturel ou qu’une bataille survenait, le sentiment de crainte et de terreur qu’avait inspiré l’esprit de Sutoku revenait et cela même après la mort de Goshirakawa. Cependant, quand la classe guerrière arriva au pouvoir, cet esprit en vint à être associé principalement à la maison impériale, et devint leur déité tutélaire. Il est nécessaire de faire remarquer ici, que même 700 ans après la mort de Sutoku, lors de la restauration de Meiji, alors que la maison impériale contrôlait à nouveau le pouvoir, l’empereur Meiji fit déplacer le temple de Sanuki à Kyôto, et fit établir le temple de Shiramine, un nouveau lieu où Sutoku est encore prié, pour la paix et la stabilité du pays. D’ailleurs en 1964, 800 ans après les faits, lors des jeux olympiques de Tôkyô, l’empereur Showa dépêcha spécialement un émissaire impérial afin de prier l’esprit de Sutoku, indiquant ainsi la force de la croyance en cet onryo. Et de nos jours, bien des siècles plus tard, la maison impériale est toujours censée le prier pour tenter d’apaiser sa rage. De plus, le temple de Shiramine est aussi le lieu de naissance d’un jeu traditionnel japonais appelé kemari, un jeu de bal au pied joué par les courtisans de l’ancien Japon, et actuellement, nombreux sont les joueurs de football et de volley-ball qui s’y rendent avant un match, et dans l’autel principal, sont d’ailleurs conservées les balles offertes par les équipes nationales du Japon.
Les exemples ci-dessus, proposent d’appréhender historiquement la naissance et l’évolution de la croyance en goryo et onryo, ces esprits vengeurs. Mais une autre explication à ce phénomène serait d’ordre psychologique : dominés par un sentiment de culpabilité, certains conspirateurs politiques prirent probablement conscience du traitement injuste infligé à leurs opposants, pris de crainte à l’idée de représailles de la part des âmes des victimes. Quels que soient les protagonistes de ces récits sur les esprits vengeurs, le goryo-e, le rituel d’apaisement, devint une tradition populaire répandue, lorsque de telles histoires se répétaient, ou chaque fois qu’un désastre naturel survenait, se transmettant à travers la littérature populaire, et finalement devenant des thèmes majeurs dans le Nô et le Kabuki.
En Chine, durant le IIe siècle av. J.-C., on croyait que les âmes des défunts demeuraient sur le mont Tai, plus exactement sur le pic de l’empereur de Jade, où le dieu rendait son jugement sur les vies (avant et après la mort). Dans les enfers, se trouvait un registre où étaient inscrits tous les détails sur la vie des humains, leur chance et leur malchance. Cependant, il y avait quelquefois des erreurs lors de la transcription de ces détails, ou alors, le dieu chargé du registre était corrompu par les les humains qui revenaient à la vie ou voyageaient librement entre les deux mondes. Il se développa alors, « la légende du voyage aux enfers » importée au Japon au VIIIe siècle. En 787, un prêtre du temple Yakushiji adapta cette légende en japonais et la publia sous le titre de Nihon Ryoiki (Compte rendu depuis le mondes esprits), et en 985, un autre moine, Genshin, écrivit une description détaillée de l’enfer et de ses tourments, dans son livre l’Essentiel de la naissance en Terre Pure. En 1110, des histoires d’Inde, de Chine et du Japon furent compilées dans la langue vernaculaire sous le nom de Konjaku (Recueil d’histoire de jadis), et devinrent rapidement très populaires au Japon. Tous ces écrits sont basés sur le concept d’une justice punitive, et furent créés dans le but de propager les idées bouddhiques. Ainsi, la plupart des fantômes qui viennent dans ces récits hanter le monde des humains, sont encouragés à l’aide de chants de sutras, à rejoindre le Nirvana. Toutefois, soulignons que ce fut la première manifestation d’esprits relevant du commun des mortels dans la littérature et l’histoire, ce qui suggéret « popularisation » du concept de fantôme (yurei).
On dit aussi qu’au VIIIe siècle, un moine du temple Chinkoji de Kyôto (qui était aussi un homme de lettres issu d’une famille noble), était capable de voyager dans les enfers, chaque nuit à travers un puits situé dans le jardin du temple, et qu’il assistait le dieu Emma (dirigeant des enfers) lors de ses jugements. La ressemblance avec « la légende du voyage aux enfers » chinoise est évidente, la différence résidant dans le fait qu’au temple Chinkoji, le moine (Ono no Takamura) est maintenant adoré en même temps que le dieu Emma.
Du fait qu’à cette époque beaucoup de pauvres se contentaient de conduire les morts hors de la ville, où souvent ils abandonnaient les corps aux bords de la route ou des rivières, les berges et les tombes en vinrent à être assimilées aux limites et aux portes de l’autre monde. Un exemple illustre ce fait dans la 12e histoire du Nihon Ryoiki : «Durant leur pèlerinage à travers plusieurs pays, des moines bouddhistes venus de Corée, croisèrent les ossements d’une personne abandonnée aux bords de la route, battus et fouettés par la pluie et le vent, piétinés par les hommes et les animaux. Émus par le triste destin de cette pauvre âme, les moines lui organisèrent une cérémonie funéraire en bonne et due forme, et lors de la nouvelle année, un fantôme leur apparu, les remercia de leur gentillesse et leur raconta de quelle façon il avait été tué par son frère aîné. »
Dans le 27e volume du Konjaku , la 24e histoire raconte ceci : « un pauvre guerrier se rendant à sa nouvelle affectation, fort éloigné de la capitale, décida d’abandonner sa fidèle épouse et de prendre une nouvelle femme. Après avoir fini son service et être retourné à la capitale, il voulut revoir sa première femme et lui rendit visite. Cette dernière était assise seule dans une maison délabrée, mais ne semblait point avoir de ressentiment vis-à-vis de son mari infidèle. Bien au contraire, elle sembla heureuse d’apprendre que son mari voulait revenir et le couple s’endormit ensemble. Cependant, le matin suivant, le mari se réveilla à côté d’un corps qui n’était plus qu’ossements. Choqué, il enquêta au près des voisins et découvrit que peu après son départ sa femme était tombée malade de chagrin et qu’elle mourut. Mais puisqu’il n’y avait personne pour lui offrir des funérailles, le corps était resté dans la maison. »
Dans la 25e histoire de la même collection, l’incident suivant y est relaté : « une jeune femme et un talentueux flutiste tombèrent amoureux et se marièrent. Cependant trois années plus tard le mari tomba malade et décéda. Une nuit, la veuve éplorée entendit le son d’une flûte et quand elle jeta un coup d’œil à l’extérieur, elle y vit son mari debout. Elle sortit, et son mari lui dit qu’elle lui avait manqué et qu’il était revenu pour la revoir. Il était exactement le même, seule une fumée sortait de son corps, laissant sa femme effrayée et sans voix. Voyant sa femme dans un tel état, le mari lui dit : « trois fois par jour je souffre les tourments de l’enfer, et pourtant je suis quand même venu te voir. Mais mon apparence semble te terrifier, donc je m’en vais. ». Et il partit réellement. »
C’est l’une des histoires qui au-delà de la rencontre avec un fantôme, décrit l’enfer comme un lieu terrifiant.
Les exemples donnés ci-dessus diffèrent nettement de ceux décrivant l’apparence des onryo, les esprits vengeurs. Dans les trois derniers exemples, les fantômes apparaissaient sous leur forme originelle, et en dehors d’un profond attachement pour l’être aimé laissé derrière eux et, malgré la présence d’un certain sentiment de frayeur, ils ne sont pas venus en tant que onryo, avec l’intention de tuer ceux qui leur avaient fait du mal, et ils n’ont causé aucun tort. Si les esprits de ces gens du peuple étaient venus dans le but de dissiper quelques rancunes et de prendre leur revanche, nous pouvons présumer que cette terreur causée par leur seule apparence, suffisait à tuer leurs ennemis. L’image des fantômes communément répandue au Japon est le plus souvent un mélange du concept de cet esprit pitoyable qui retourne dans le monde des vivants en raison d’un attachement profond, et de celui de l’enfer et des esprits vengeurs. Ainsi, naquit l’image du fantôme moderne japonais qui porte en lui de la rancune.
Au XIIIe siècle, le pouvoir politique passa des mains de l’aristocratie à celle de la classe guerrière, situation qui dura environ 700 ans, jusqu’à la restauration de l’ère Meiji, quand l’empereur reprit le pouvoir. Durant cette période, l’onryo, l’esprit vengeur violent si craint de ceux qui avaient le pouvoir, apparut encore. Cette fois sous forme de rouleaux peints tels ceux de Kitano Tenjin, pendant que les récits de fantômes de commandants de l’armée qui avaient péri durant la bataille, se répandaient grâce au ménestrels aveugles. Ces histoires furent développées par Zeami et plus tard par Kanze Nobumitsu (maître du théâtre Nô). Sur la scène du Nô, les tristes protagonistes apparaissaient en tant que fantômes ayant gardé leur forme humaine, et, en plus de raconter les faits, les acteurs jouaient un rôle cathartique (purificateur) car, en même temps, les acteurs masqués exécutaient une cérémonie goryo-e, apaisant ainsi, par des chants et leur jeu les esprits de ceux qu’ils représentaient.
Au même moment, une évolution de ces concepts put être observée. À partir de « l’âme du mort », qui n’était pas nécessairement un fantôme, on a pu être témoin de la transition vers « l’esprit qui revenait afin de soulager son ressentiment » : ainsi le fantôme moderne (yurei) fit son apparition, principalement popularisé par les pièces de Kabuki qui développaient le thème du fantôme plein de ressentiment qui retourne dans le monde des vivants pour se venger, apportant la mort à ces ennemis. Ces pièces sont généralement connues sous le nom de Kaidan.
L’image moderne généralisée du fantôme japonais fut finalisée au XVIIIe siècle, au sein d’une société stable dirigée par la classe guerrière, durant laquelle les peintres de ukiyo-e (estampes en couleurs) peignirent des portraits d’acteurs de Kabuki et des scènes de pièces de théâtre. Ce fut aussi, l’époque où les collections de contes chinois tels Kanazoshi et Otogi boko furent adaptées en japonais, et les versions imprimées sur bois devinrent populaires parmi la haute classe littéraire du petit peuple. Trois de ces contes permettent d’établir l’image du fantôme et sa transmutation en esprit vengeur.
Une des histoires les plus célèbres de fantômes, est celle de la pièce de Kabuki écrite par Tsuruya Namboku et mise en scène pour la première fois le 26 juillet 1825. Ce jour est toujours célébré comme le « jour du fantôme ». La pièce est basée sur des faits réels : à la fin du XVIIe siècle, dans le quartier de Yotsuya à Edo (l’ancien nom de Tokyô), une femme nommée O-Iwa devint folle de rage en raison de la trahison de son mari Iemon, et disparut.
La pièce de Namboku, intitulée l’histoire du fantôme de Yotsuya raconte qu’un homme nommé Iemon fut déclaré coupable d’avoir détourné l’argent d’un domaine féodal, et son beau-père le força à divorcer de sa femme O-Iwa. Plein d’amertume à l’encontre de son beau-père, Iemon le tua. À cette époque, venger la mort d’un membre de la famille étant considéré comme une chose vertueuse, O-Iwa se servit de ce prétexte pour accepter les nouvelles avances d’ Iemon et l’épousa une seconde fois, sans savoir qu’il était le meurtrier de son père. Peu de temps après O-Iwa tomba enceinte, mais mit du temps à se rétablir. De guère las de sa femme souffreteuse, Iemon commença une relation adultérine avec O-Ume, la fille d’un voisin et le père de cette dernière complota avec Iemon afin de tuer O-Iwa en échangeant ses médicaments contre du poison. O-Iwa prit le poison, son visage enfla et ses cheveux tombèrent. Un visiteur lui en révéla la cause et la pauvre femme, désespérée, se jeta dans une douve et mourut. Le soir de la cérémonie de mariage de Iemon et O-Ume, O-Iwa apparut sous la forme d’un fantôme décharné, sans cheveux, au visage enflé et ravagé par des ulcères. Horrifié à en perdre l’esprit, Iemon dégaina son sabre et tua accidentellement O-Ume et son père. Après quoi, il devint fou.
L’histoire suivante est aussi basée sur un fait réel, qui eut lieu au XVIIe siècle près de la rivière Kinu à Nikko. Elle s’intitule Kaidan Kasane ga Fuchi. C’est l’histoire d’un fermier nommé Yoemon qui épousa une veuve, O-Sugi, qui avait une fille de six ans. Cette enfant, Suke, étant hideuse et ne marchant pas correctement, en 1612, Yoemon la poussa dans une rivière et la laissa se noyer. Après cela, O-sugi tomba enceinte de Yoemon et mit au monde une autre fille qui était la copie fidèle de Suke, et ils l’appelèrent Kasane. Trente années plus tard, alors que O-sugi et Yoemon avaient déjà rendu l’âme, Kasane épousa un certain Yagoro qui devint l’héritier de la maison de Yoemon. Néanmons, Yagoro se lassa de son hideuse épouse qu’il trouvait détestable et planifia de la tuer afin d’en épouser une autre. En 1647, il mit son plan à exécution, poussa Kasane dans la rivière et la tua. Après cela, Yagoro se remaria à maintes reprises. Cependant toutes ses femmes moururent les unes après les autres jusqu’au moment où sa sixième épouse donna naissance à une fille prénommée Kiku. Treize années passèrent, et soudainement Kiku commença à écumer et à agir violemment. Elle bondit sur son père et hurla : « Je ne suis pas Kiku, je suis Kasane, la femme que tu as assassinée et je reviens pour me venger ! ». Après cet incident, Kiku fut constamment tourmentée par l’esprit, jusqu’au jour où ses parents demandèrent de l’aide au prêtre d’un temple des alentours. Le prêtre constata que Kiku était possédée par l’esprit de Kasane qui commença à raconter tous les méfaits de Yagoro à travers elle. Le prêtre réussit à exorciser l’esprit mais peu de temps, après Kiku fut de nouveau possédée. Mais cette fois par l’esprit de l’enfant Suke. Et soixante années plus tard, la lumière fut faite sur les évènements épouvantables qui avaient causé la mort de Suke et dont les aînés se souvenaient encore. Le prêtre organisa une cérémonie pour l’âme errante et lui donna un nom posthume, l’aidant ainsi à trouver la paix. On disait que le prêtre venait du temple Hozoji à Nikko, où se trouve actuellement des images de Kasane, Kiku et Suke.
Le dernier exemple est lui aussi tiré d’une histoire vraie. Cette fois le personnage principal est une servante du nom de O-Kiku. Durant la période Edo, un policier nommé Aoyama Shuzen arrêta un voleur et le fit exécuter après l’avoir torturé. Ce voleur avait une fille âgée de seize ans qui se retrouvant orpheline, sans aucun parent pour s’occuper d’elle, entra au service de la maison Aoyama. Un jour, elle brisa une des dix assiettes en porcelaine de Chine du service favori d’Aoyama. L’épouse d’Aoyama la gronda mais ce dernier dit : « C’est un bien trop doux châtiment. Pour remplacer l’assiette qu’elle a cassée, je lui couperai le majeur aujourd’hui et je la ferai exécuter demain. », et il la fit enfermer dans une pièce. Ne pouvant supporter ces cruelles punitions, O-Kiku s’évada de la chambre à l’aide de la corde d’étoffe qui enserrait sa taille, et se jeta dans le puits au fond du jardin. Des mois plus tard, la femme d’Aoyama donna naissance à un petit garçon à qui il manquait un majeur. Choquée, elle tomba malade et resta alitée. Une nuit, elle entendit une voix venant de nulle part et appelant Aoyama. Elle sortit donc jusqu’au puits d’où provenait la voix : « une assiette, deux assiettes… » ainsi de suite jusqu’à la neuvième assiette. « Oh ! je suis si triste… il manque une assiette », dit la voix. Et ainsi apparut le fantôme d’O-Kiku. Effrayé, Aoyama fit venir un prêtre, mais malgré tous les efforts du monde, le fantôme continua d’apparaître chaque soir jusqu’à ce que tous les serviteurs eussent quitté le service de la famille Aoyama. Les rumeurs racontant le comportement lâche d’Aoyama se répandirent, et naturellement, il se suicida. Sa famille mourut avec lui.
Nous devons noter ici que ces trois histoires sont basées sur des faits réels, que les personnages principaux sont des fantômes de femmes ayant connu un tragique destin, et que les auteurs sont des hommes. L’histoire de Kasane peut aussi faire allusion à la discrimination qui existait à cette époque envers les personnes ayant un handicap physique et traite aussi de la possession d’une personne vivante. Autrement dit, contrairement aux contes du Moyen Âge, où les protagonistes étaient les esprits vengeurs d’hommes morts lors de querelles de pouvoir, durant les temps modernes de paix, les fantômes de femmes ayant trouvé la mort dans une rivière ou un puits, après avoir été cruellement maltraitées, apparaissent de plus en plus souvent dans les récits populaires. Cette évolution tire sans doute son origine dans le ressentiment du statut de la femme dans une société dominée par les hommes.
Une autre raison expliquant la hausse du nombre d’histoires de fantômes féminins peut être le taux de mortalité élevé lors de l’accouchement. À une époque où la médecine n’était pas assez avancée pour permettre un accouchement sûr, l’attachement des femmes à leurs enfants non-nés a pu devenir une source d’histoire de fantômes. Parmi ces histoires, celle du fantôme de « la femme accouchant » (Uzume) est très connue, bien que cela soit quasiment une adaptation d’une légende chinoise. Uzume est le fantôme d’une femme qui mourut avec son bébé durant l’accouchement, et qui apparaît en portant un bébé, la partie inférieure de son corps maculée de sang. Un thème similaire est développé dans l’histoire du « fantôme élevant un enfant », fort répandue au Japon, et aussi connue sous le nom du « fantôme achetant des bonbons ». Près du temple Chinkoji à Kyôto, il y avait une boutique de bonbons où chaque soir une femme apparaissait et achetait pour un sou des sucreries et ce, six jours d’affilé, mais au le soir du septième, elle dit ne plus avoir un seul sou, et demanda au tenancier d’avoir pitié d’elle et de lui donner des bonbons. Le propriétaire accéda à sa demande, mais jugeant la femme étrange, il la suivit jusqu’à ce qu’elle rentre dans un cimetière et disparaisse dans une tombe fraîchement creusée. De cette tombe, les pleurs d’un bébé pouvaient se faire entendre, et le propriétaire de la boutique convainquit le prêtre du temple Chinkoji d’ouvrir la tombe. À l’intérieur ils trouvèrent le corps d’une femme morte tenant dans ses bras un nouveau-né vivant qui avait un bonbon à la bouche. Selon les comptes-rendu de la boutique, le propriétaire adopta l’enfant qui devint un prêtre de haut-rang.
En 1953, le tribunal jugea un cas de profanation d’un corps. Cet incident impliquait un jeune homme dont l’épouse enceinte était morte. En ayant consulté sa famille et les villageois, le jeune homme fit appeler le médecin et lui demanda d’ouvrir le ventre de sa femme afin d’y enlever le bébé et de l’enterrer avec le bébé dans les bras. À cette époque, on croyait que si une femme était enterrée avec le fœtus dans son ventre, elle reviendrait en tant que fantôme hanter sa maison. De plus, des cas similaires avaient été rapportés dans les hôpitaux et les hôpitaux universitaires dans différents départements, ce qui explique que les charges n’aient pas été retenues et que l’homme fut déclaré non coupable. Si cette pratique était encore d’actualité soixante dix ans, Nous pouvons donc présumer qu’auparavant c’était une pratique courante d’ôter le fœtus avant d’enterrer une femme morte en couche et que cela était sans doute à l’origine des histoires de fantômes élevant des enfants.
Traduit en français par Myrna Hombel
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