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La mort. L’opacité. La clôture. La Métaphysique des ténèbres dans la ville moderneDeath. Obscurity. Closure The Metaphysics of Darkness in Modern Cities
Iulia Micu
Université Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca, Roumanie
juliamicu@gmail.com
La mort. L’opacité. La clôture.
La Métaphysique des ténèbres dans la ville moderne
Abstract: Our study aims to identify and analyse death in art by using some of the canonical texts of the beginning of the 20th century: Austrian writer Hugo von Hofmannsthal’s two plays in verse, Der Tod des Tizian and Der Tor und der Tod, Thomas Mann’s Der Tod in Venedig and Marcel Proust’s Á la recherche du temps perdu. Beyond its inevitable decadent heritage, one may observe the way these representations feed on images, situations, thoughts, in order to show, to bring into the light what escapes in the absence, to the shadows. We also suggest that this quest – which leads to the metamorphosis of the individual into artist – is reflected by the spatial organisation of an imaginary city.
Keywords: Hugo von Hofmannsthal; Thomas Mann; Marcel Proust; Art; Estheticism; Melancholy; Death; Artist; Imaginary city.
Questions préliminaires ou comment jouer la mélancolie d’une ville
Avant de passer à l’exposition théorétique, il nous semble utile de nous arrêter sur l’analyse d’une image – Une ville abandonnée (1904) de Fernand Khnopff. Symbole de la mélancolie d’une cité aquatique, la toile contenant à la fois le danger et la limite de l’art à l’aube de l’âge moderne : rester figé dans l’opacité et dans la clôture. Le peintre rend une version très personnelle de la place Memling de Bruges – Venise du Nord – qui ressemble à une autre image, littéraire cette fois-ci, construite par un des contemporains de Khnopff: l’écrivain symboliste Georges Rodenbach. Dans Bruges-la-Morte, Rodenbach nous signale que le premier but de son écriture est celui d’évoquer une ville construite comme un personnage essentiel, une ville associée aux états d’âme, qui conseille, dissuade et détermine à agir. Écoutons toutefois ce que l’auteur affirme dans l’Avertissement:
Voilà ce que nous avons souhaité de suggérer: la Ville orientant une action ; ses paysages urbains, non plus seulement comme des toiles de fond, comme des thèmes descriptifs un peu arbitrairement choisis, mais liés à l’événement même du livre. C’est pourquoi il importe, puisque ces décors de Bruges collaborent aux péripéties, de les reproduire également ici, intercalés entre les pages: quais, rues désertes, vieilles demeures, canaux, béguinage, églises, orfèvrerie du culte, beffroi, afin que ceux qui nous liront subissent aussi la présence et l’influence de la Ville, éprouvent la contagion des eaux mieux voisines, sentent à leur tour l’ombre des hautes tours allongée sur le texte[1].
À l’instar de Rodenbach, Khnopff imagine une ville qui semble abandonnée, mais dont l’architecture n’est pas dégradée. Nous serions tentés de parler d’une « esthétique de la ruine » malgré l’impossibilité de réduire ce tableau à ce type de sensibilité romantique. Les maisons brugeoises restent les témoins d’une existence désormais disparue ou cachée. Les pavés, les façades – avec leurs fenêtres – sont représentés de façon très minutieuse. Cette minutie traduit également la lenteur de l’inscription qui ne s’achève que par une cristallisation graphique qui fige les choses, les façades des architectures d’abord mortes. Ainsi, un double mouvement se met en place : un mouvement vers l’horizon qui se mélange au ciel et un autre mouvement vers la profondeur de l’image. Il est possible que Khnopff ait repris l’image d’une Bruges autrefois riche – financièrement et artistiquement – conduite à la décadence après le retrait de la mer. Cette cité figée serait ainsi l’expression synthétique d’un désir de voir l’espace comme souvenir érigé en mythe. Mais la lecture peut être inversée: le tableau pourrait également devenir l’expression d’une ville qui se meurt, dans un mouvement qui fait ressortir conjointement le retrait de l’idéal et de la réalité.
Dessiner le contexte. Les indices et les objectifs d’un parcours esthétique
Le XIXe siècle finissant, tout comme l’aube du XXe siècle sont riches de nouvelles perspectives, d’interrogations en ce qui concerne la littérature. Le déclin du Naturalisme ouvre la voie vers un Symbolisme qui apporte des visions nouvelles, des thèmes nouveaux autant que de nouvelles questions. Dans un monde et dans une époque des mutations, le statut de l’Art et des artistes, leur image et leur fonction se métamorphose. Leur univers imaginaire semble devenir celui d’une apocalypse et aussi celui d’une révélation.
La mort, image rayonnante, s’installe dans chaque œuvre d’art, au cœur même de la Beauté et sa force destructrice se révèle en quelque sorte complémentaire à la puissance créatrice de l’artiste. Ainsi, chaque écriture mêle son propre destin au destin de celui qui l’a créée et amorce la recherche profondément trouble et ambigüe d’une illumination.
Par conséquent, la mort de l’artiste nous apparaît comme un thème récurrent, enraciné certes à l’intérieur d’un espace culturel, d’une époque et d’un monde dont il nous offre l’image concentrée, avec tous les éléments historiques, thématiques, esthétiques qui s’y rattachent. Tout cela nous permet de découvrir un ensemble de visions analogues dans les œuvres de trois auteurs que nous avons choisis comme guides pour traverser la mort et surtout pour accomplir la quête. Nous analyserons deux textes du jeune écrivain autrichien Hugo von Hofmannsthal Der Tod des Tizian –1892 (La Mort du Titien) et Der Tor und der Tod -1893 (Le Fou et la Mort), la nouvelle de Thomas Mann: Der Tod in Venedig– 1912 (La Mort à Venise) et quelques pages proustiennes de Á la recherche du temps perdu. Les trois auteurs proposent une approche de la mort esthétisée, la mort dans l’Art, avec son héritage décadent. Cette représentation qui se nourrit d’images, de situations et de réflexions, a pour but de rendre présent ce qui s’échappe dans l’absence, dans l’indicible.
Nous chercherons dans les images des villes ce qu’on cherche à l’intérieur même du langage, dans la transposition d’une pensée qui se fait ou se déchire comme les mots de Chandos-Brief -1902 (La Lettre de Lord Chandos) un autre texte célèbre d’Hofmannsthal, dans le passage qui place l’écriture dans la proximité du mystère. C’est dans le monde même, dans un monde vu par les yeux de l’artiste ou de l’esthète que nous tenterons d’apercevoir les indices, les annonces du dernier passage. Aussi nous intéresse-t-il la manière dans laquelle la quête ayant pour but la métamorphose de l’individu en artiste se reflète dans l’organisation spatiale d’une ville imaginaire.
Par-delà les frontières d’un monde où règnent l’ordre et la culture, la « santé » et l’exigence du travail, le « soleil noir » de la mélancolie et de la mort éclaire, pour l’artiste, le domaine du « dehors » : celui du chaos, de la maladie et de l’interdit.
Dans Der Tod des Tizian, Hofmannsthal dessine le jardin du Maître – vu comme un être séparé de l’univers-, un lieu symbolique et en même temps une construction artificielle qui se démarque d’un « dehors » inquiétant. (Nous pouvons signaler ici les similarités entre l’intérieur viennois de Claudio, espace claustrant, excessivement esthétisé dans Der Tor und der Tod). Ce « dehors » éveille l’expérience de l’angoisse, surtout pour Gianino, un des disciples du Titien:
Ich war in halbem Traum bis dort gegangen,
Wo man die Stadt sieht, wie sie drunten ruht,
Sich flüsternd schmieget in das Kleid von Prangen,
Das Mond um ihren Schlaf gemacht und Flut.
Ihr Lispeln weht manchmal der Nachtwind her,
So geisterhaft, verlöschend leisen Klang,
Beklemmend seltsam und verlockend bang.
Ich hört es oft, doch niemals dacht ich mehr …
Da aber hab ich plötzlich viel gefühlt:
Ich ahnt in ihrem steinern stillen Schweigen,
Vom blauen Strom der Nacht emporgespült,
Des roten Bluts bacchantisch wilden Reigen,
Um ihre Dächer sah ich Phosphor glimmen,
Den Widerschein geheimer Dinge schwimmen.
Und schwindelnd überkams mich auf einmal:
Wohl schlief die Stadt: es wacht der Rausch, die Qual,
Der Haß, der Geist, das Blut: das Leben wacht.
Das Leben, das lebendige, allmächtge –
Man kann es haben und doch sein’ vergessen! …[2].
Et dans le vertige de la découverte, ses compagnons détournent l’image d’une Vénice ensoleillée, d’une cité en or et marbre qui se profile à l’horizon, un monde « lugubre, insipide » et plein d’horreur maintenant, peuplé par des êtres incapables de reconnaître la Beauté. Dans ces deux drames lyriques de Hofmannsthal, l’espace extérieur est extrêmement hostile, un horizon de fuite, le seuil à partir duquel l’ensemble pourra être reconstitué et réinterprété. Ainsi, comme le professeur Peter Szondi[3] l’avait très bien souligné, l’univers esthétique représenté dans Der Tod des Tizian prend en charge une double figuration à partir d’une image centrale : la mort du Maître. Nous retrouverons, alors, d’un côté, la frénésie de peindre le Maître à sa dernière heure : il montre la voie d’un art triomphant, le Schöner Leben – l’appréhension de la vie comme source de la Beauté – et qui tente d’exprimer la vie elle-même et le désarroi et les errances de l’esprit représenté par ses jeunes disciples, d’un autre côté.
Il est possible d’y voir la quête de l’art à l’aube de l’âge moderne. La beauté classique, l’harmonie, la métamorphose totale de l’âme en art vont s’éteindre avec la mort du Titien. Tous ces traits sont refusés aux disciples (avec lesquels le jeune Hofmannsthal semble s’identifier) les obligeant de se contenter avec une « beauté relative ». La mort du Titien ne signifie pas une libération, elle n’ouvre pas la voie vers un champ d’autonomie, mais elle projette encore une liberté, la liberté de la quête d’une seconde mort, la mort qui va venir, la mort (dans l’art), selon Peter Szondi, des disciples eux-mêmes.
Comme nous pouvons l’observer dans une note très subtile appartenant à Roger Bauer, dans la Modernité de Hofmannsthal[4], parmi les disciples que la mort du Titien, leur Maître, a laissé désemparés, deux sortent du rang des « dilettantes» et occupent dès le début du poème une place privilégiée. Le premier, Desiderio (figure construite probablement à partir de l’image de l’écrivain Stefan George, poète allemand contemporain et une référence importante à la fois pour Hofmannsthal et Thomas Mann) refuse de descendre dans la ville d’en bas, à Venise, où sévit la peste, siège de la laideur et de la vulgarité. Le deuxième, Gianino (probablement le porte-parole d’Hofmannsthal) est prêt à accepter cette réalité dangereuse où est présente une vie vivante et toute-puissante (« Das Leben, das lebendige, allmächtge ») et où règnent l’ivresse, la souffrance, la haine, l’esprit, le sang (« der Rausch, die Qual, / Der Haß, der Geist, das Blut»)[5]. Cette conception d’un univers-totalité où les troubles trouvent leur place peut être considérée comme un legs autrichien et catholique. Cette ambivalence – les deux facettes de Venise – opposant à l’image d’une Ville céleste, espace des élus et de la lumière, un monde infernal, de pauvreté et de péchés, nous rappelle, en miroir, la peinture Campo S. Vidal and Santa Maria della Carità- 1725 de Canaletto où le mauvais état des bâtiments délabrés situés dans le premier plan est mis en rapport avec la lumière du soleil levant (à gauche du spectateur), avec les palais, le clocher et les toits dorés de La Sérénissime, en arrière-plan.
Nous pouvons observer ce mouvement d’interrogations inquiétantes dans l’autre drame hofmannsthalien : Der Tor und der Tod. Ici, l’épreuve de la mémoire apparaît pour le jeune esthète Claudio comme un Totendanz enregistrant les changements de l’époque. Les formes, les décors, les idées et les formules littéraires sont chaque fois remplacés par les plus récentes. Bien différent de ces confessions neurasthéniques de la décadence, cette œuvre brise la ronde stérile de la réflexion sur soi-même. Dans l’étude Hofmannsthal et son temps, Hermann Broch met à son tour l’accent sur cette caractéristique de l’œuvre de l’écrivain autrichien. L’aventure de Claudio et son échec esthétique anticipent l’abandon ultérieur de la poésie lyrique – un geste de désespoir accompli par Hofmannsthal afin d’empêcher et d’éliminer toutes les traces de la subjectivité de ses écrits[6]. L’horizon existentiel des personnages du théâtre hofmannstalien est profondément marqué par un sentiment de sécheresse, d’impuissance, d’anéantissement. Écoutons donc, Claudio :
Es scheint mein ganzes so versäumtes Leben
Verlorne Lust und nie geweinte Tränen
Um diese Gassen, dieses Haus zu weben
Und ewig sinnlos Suchen, wirres Sehnen[7].
C’est le premier moment de la remise en cause de cet esthète solitaire qui s’ouvre au lecteur par l’entremise de ses monologues – le premier moment de son examen de conscience, premier moment de la triade fatidique de sa quête, de son parcours: l’introspection (cathabasis) suivie immédiatement par une rétrospection (l’anamnèse) et par la réévaluation (la crise).
La quête d’Aschenbach (Der Tod in Venedig) relatée ironiquement par Thomas Mann, se consume dans l’exaltation d’une ferveur enfin retrouvée, la ferveur d’échapper à l’âge par la routine, par le travail quotidien. Pour l’artiste bourgeois, la ville qui se profile dehors comme une destination de repos, n’a pas d’abord les traits d’un espace imaginaire où « habitent la laideur et la vulgarité » (comme s’exprime un des jeunes disciples du Titien) et il s’égare volontairement dans les méandres d’une Venise devenue le symbole morbide de la passion.
C’était une envie de voyager, rien de plus; mais à vrai dire une envie passionnée, le prenant en coup de foudre, et s’exaltant jusqu’à l’hallucination.[8]
C’est ainsi que se révèle pour Aschenbach la vision d’une terre lointaine et attirante, appel premier vers un horizon nouveau et inconnu. Cette image troublante rappelle l’exotisme d’une terre inconnue et sauvage, semblable à la toile Tigre dans une tempête tropicale ou à Surpris! d’Henri Rousseau (le Douanier),
Son désir se faisait visionnaire, son imagination, qui n’avait point encore reposé depuis le travail du matin, inventait une illustration à chacune des mille merveilles, des milles horreurs de la terre, que d’un coup elle tâchait de se représenter : il voyait- il le voyait- un paysage, un marais des tropiques, sous un ciel lourd de vapeurs, moite, exubérant et monstrueux, un sort de chaos primitif fait d’îles, de lagunes et de bras de rivière charriant du limon; d’une profusion de fougères luxuriantes, d’un abîme végétal de plantes grasses, gonflées, épanouies et fantastiques floraisons, il y voyait d’un bout à l’autre de l’horizon surgir des palmiers aux troncs velus; il voyait des arbres aux difformités bizarres jeter en l’air des racines qui revenaient ensuite prendre terre, plonger dans l’ombre et l’éclat d’un océan aux flots glauques et figés, où, entre des fleurs flottant à la surface, blanches comme du lait et larges comme des jattes, sur les bas-fonds, le cou rentré dans les ailles, l’œil de coté et le regard immobile; il voyait étinceler les prunelles d’un tigre tapi entre les cannes noueuses d’un fourré de bambous- et il sentit son cœur battre plus fort, d’horreur et d’énigmatique désir. Puis la vision s’évanouit; et secouant la tête, Aschenbach reprit sa promenade au long de la palissade et des monuments funéraires.[9]
Cette image annonce la grande aventure à venir, la quête de l’inspiration et en même temps, l’irrésistible appel d’un pays sauvage et troublant, de l’eau fétide d’une cité à ruelles malpropres, d’un secret lugubre de la ville « qui se confondait avec le secret de son propre cœur ». Menant à la dissolution totale de l’ego, la passion amoureuse pour le jeune Tadzio ainsi que l’épidémie de cholera qui hante le lagon se consument à des températures élevées.
Il était pris dans une aventure si inadmissible, engagé dans un si exotique dévergondage du cœur.[10]
C’est la même pulsion qui pousse probablement Bergotte, le précurseur littéraire du Narrateur proustien, qui « ne sortait plus de chez lui », après beaucoup d’années de maladie et de réclusion, en pleine crise d’urémie, malgré le repos prescrit, à faire la célèbre visite à l’exposition et non seulement l’article critique sur la peinture de Vermeer, mais l’oubli et le besoin d’une expérience de la rencontre. Pourtant, on sait bien que Bergotte n’a jamais aimé le monde, que sa vieillesse avait amplifié la solitude, transformée en réclusion, incessant enveloppement….
Et quand il se levait une heure dans sa chambre, c’était tout enveloppé de châles, des plaids, de tout ce dont on se couvre au moment de s’exposer à un grand froid…[11]
…comme une tentative désespérée de trouver refuge en soi-même, hors du monde.
Au contraire, Aschenbach, ennobli pour son cinquantième anniversaire et honoré par l’adoption de certaines de ses pages dans les manuels scolaires, met en question son œuvre, d’où l’angoisse et l’inachèvement qui s’installent. On pourrait dire que Mann désigne ici le portrait d’un artiste dans l’instant même de la crise de la création, du doute, de l’angoisse devant la non-création. Voilà donc le seuil, lieu symbolique de passage vers l’instant dernier, qu’il soit création ou destruction. La mort aussi trouve la source de sa signification au cœur même de cette crise de Titien, de Claudio, d’Aschenbach ou de Bergotte. L’approche d’un tel instant final où l’artiste sera englouti par le néant, s’écrit chez Hofmannsthal, Mann ou chez Proust à travers l’expérience de la quête, la quête d’une illumination intérieure, de l’inspiration. Atteint par la maladie moderne, la solitude, (d’après les termes de Jacques le Rider[12]) les artistes sont prêts pour le voyage vers le royaume hypothétique de l’inspiration. Leur chemin est jalonné maintenant par une suite terrifiante d’apparitions (comme les figures des Autres étranges, incarnation des doubles inquiétants qui jalonnent la route d’Aschenbach de Munich jusqu’au Venise), ou par des figures d’une beauté étrange, presque immatérielle (des figures majeures qui dominent le récit, comme celle de Tadzio le jeune polonais à allure de dieu grec, ou comme « le petit pan de mur jaune » du tableau de Vermeer qui hante l’imagination de Bergotte). Ces dernières figures, placées irrémédiablement sous les auspices de la Beauté, symboles de la rencontre absolue, viennent accomplir la quête manquée de l’écriture et de la vie orientée inévitablement vers l’esthétisation des formes.
On doit rappeler que, analysant l’œuvre de Hofmannsthal, Jacques Le Rider observe l’omniprésence du jaune – couleur indescriptible et absolue qui enchante le spectateur de la même manière que la Méduse de Freud, effigie de la féminité et de la castration – et incarne par ailleurs le pouvoir masculin de la figure du patriarche et du père oppressif. Le Rider note: « Le jaune est une des couleurs qui obsèdent Hofmannsthal à l’époque de Les Chemins et les rencontres. Elle a tantôt la valeur d’un signe de déchéance et de mort, tantôt celle d’un signe de puissance mâle et de fécondité ».[13] De la même façon, l’interprétation de Le Rider suit les ambivalences de la couleur jaune telles qu’elles furent décrites par Goethe dans la Théorie des couleurs (1810) : la nuance la plus proche de la lumière, qui rappelle la belle impression du feu et de l’or dans la joie et, au même temps, le symbole de la haine, de l’adultère et du dégoût, la couleur de l’impureté et de la maladie. Symbole très proche de celui de la passion sauvage et de l’exotisme, le jaune transpose l’impossibilité de tout avènement, de tout salut, du deuil et de toute rédemption. On mentionne ici, comme une ultime ironie de l’image, le jeu de mots jaune-jeune qui nous permet de trouver des connexions subtiles entre le texte de Thomas Mann et l’épisode proustien de Bergotte devant la toile de Vermeer, qui peut s’interpréter comme une découverte de la profondeur et qui s’ouvre sur des interprétations futures. [14]
Conclusion. Des écritures imaginaires ou à la recherche d’une transcendance disparue
Nous pouvons affirmer que les personnages de Hofmannsthal, de Thomas Mann et de Proust découvrent à travers le regard qu’ils portent sur l’univers, uniquement la surface d’une image et non pas la profondeur à laquelle celle-ci pourrait donner accès. Ainsi, pour rompre le charme mortel de cette fixité de la surface, vue comme une « fausse promesse », et afin de ne plus sombrer dans la contemplation de cette forme fixe, de ces plaisirs en quelque sorte « impures », il faut s’extraire des images, il faut les briser, il faut être iconoclaste.
D’un autre point de vue, la tentation d‘inscrire l’écriture dans l’espace donne lieu à des questions similaire. Ces récits nous parlent toujours d’une attente désormais sans raison, à laquelle l’art, avant de disparaître complètement, aurait apporte son concours illusoire. On assiste dans ces écrits à une logique exclusive de désenchantement. Plus puissant que le deuil, celui-ci va bien plus loin que la complaisance au désespoir où frise l’absurde. Ici s’affirme avec insistance un motif qu’on pourrait penser être celui de la fin de l’art.
La solution résidera, donc, dans une soumission totale de la vie à l’art grâce à une action de l’esprit qui rend présents tous les êtres et toutes les choses pour appréhender les autres instances qui tirent leur vérité de l’absence même. Nous sommes tentée de lire dans les indications diverses et pourtant similaires que ces trois œuvres littéraires nous offrent, les expressions de la nécessité et du commencement. Aussi paradoxal qu’elle puisse paraître, la conjonction d’une mort et d’une fin indique la possibilité d’une ouverture, voire d’une origine. C’est ce à quoi nous invitent les œuvres que nous avons prises en compte dans cette analyse. Et ce qui réunit tous ces artistes et esthètes, c’est la quête d’une Beauté qui transcende la vie et en même temps la recherche d’une Beauté qui s’oppose à celle-ci. Mais ce décalage entre l’art et la vie restera, chez Hofmannsthal comme chez Proust et Thomas Mann une préoccupation constante.
Bibliographie
- A. Œuvres:
Hofmannsthal, Hugo von, Gesammelte Werke in zehn Einzelbänden, vol. I, Gedichte, Dramen I, Bernel Schoeller in Betraung mit Rudolf Hirsch, Frankfurt am Main, Fischer, 1979.
Mann, Thomas, « La mort à Venise » suivi de « Tristan », Introduction de Geneviève Bianquis, traduit de l’Allemand par Félix Bertaux et Charles Sigwalt, Paris, Fayard, Livre de Poche, 1971.
Proust, Marcel, À la recherche du temps perdu, La prisonnière (Sodome et Gomorrhe, III). Tome 6, Éditeurs scientifiques Robert Proust et Jacques Rivière, Paris, Nouvelle revue française, 1923.
Rodenbach, Georges, Bruges-la-Morte, Jean-Pierre Bertrand et Daniel Grojnowski (ed.), Paris, Garnier- Flammarion, 1998.
- B. Critiques:
Berg, Christian, Frank Durieux et Geert Lernout (ed.), Modernisme and Modernité dans la littérature et les arts, « European cultures », v. 3, Berlin-New York, Walter de Gruyter & CO, 1995.
Brion, Marcel, L’Allemagne romantique, tome 3, « Le voyage initiatique », Paris, Les Éditions Albin Michel, 1976.
Broch, Hermann, « Hofmannsthal et son temps », dans Création littéraire et connaissance, traduction d’Albert Koch, Paris, Éd. Gallimard, « Tel », 1966.
Fraisse Luc, La Petite Musique du style. Proust et ses sources littéraires, « Biblioteque Proustienne 3 » Paris, Classiques Garnier, 2011.
Le Rider, Jacques, « Hugo von Hofmannsthal: rêve d’une rencontre avec le Booz de Victor Hugo », Romantisme, no. 73 (troisième semestre), 1991.
Le Rider, Jacques, Modernité viennoise et crises de l’identité, Paris, PUF, 1990. (Éd. Rom. Modernitatea vieneză şi crizele itentităţii, tr. Magda Jeanrenaud Iaşi, Ed. Universităţii “A. I. Cuza”, 1995).
Levenson, Michael (ed.), The Cambridge Companion to Modernism,Cambridge-New York,CambridgeUniversity Press, 1999.
Payot Daniel (ed.), Mort de Dieu. Fin de l’art, Strasbourg, Les Éditions du Cerf, 1991.
Pro şi contra Marcel Proust 1921-2000, Antologie, prefaţă, notă asupra ediţiei de Viola Vancea, Bucureşti, Institutul Cultural Român, 2006.
Roudaut, Jean, Les Villes imaginaires dans la littérature française, Paris, Hatier, 1990.
Renzi Lorenzo, Proust şi Vermeer. Apologia impreciziei, Traducere din italiană de Gabriela Lungu, Cluj-Napoca, Editura Clusium, 2006.
Szondi, Peter, Théorie du drame moderne: 1880-1950, trad. P. Pavis, M. et J. Bollack, Lausanne, L’Age d’Homme, 1983.
Volke, Werner, Hugo von Hofmannsthal, (Monographie), traduit par Jean-Yves Masson, Nîmes, Éd. Jacqueline Chambon, 1996.
Images:
Une ville abandonnée -1904 de Fernand Khnopff, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. |
Vue de Delft (Gezicht op Delft) – 1660 de Johannes Vermeer, Musée Mauritshuis de La Haye. |
Campo S. Vidal and Santa Maria della Carità- 1725, Giovanni Antonio Canal (Canaletto), The National Gallery, Londres. |
Tigre dans une tempête tropicale ou Surpris! -1891, Henri Rousseau (Le Douanier), Musée d’Orsay, Paris. |
Notes
[1] Cf. Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, Jean-Pierre Bertrand et Daniel Grojnowski (éd.), Paris, Garnier- Flammarion, 1998, p. 46.
[2] Hugo von Hofmannsthal, Der Tod des Tizian, Gedichte, Dramen I, Gesammelte Werke in zehn Einzelbänden, vol. I, Bernel Schoeller in Betraung mit Rudolf Hirsch, Frankfurt am Main, Fischer, 1979, p. 248.
[3] Cf. Peter Szondi, Théorie du drame moderne: 1880-1950, trad. P. Pavis, M. et J. Bollack, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1983.
[4] Cf. Roger Bauer, «Modernité de Hofmannsthal», dans: Modernisme and Modernité dans la littérature et les arts, Christian Berg, Frank Durieux et Geert Lernout (éd.), « European cultures », v. 3, Berlin-New York, Walter de Gruyter & CO, 1995.
[6] Cf. Hermann Broch, « Hofmannsthal et son temps », dans Création littéraire et connaissance, traduction d’Albert Koch, Paris, Éd. Gallimard, « Tel », 1966.
[7] Hugo von Hofmannsthal, Der Tor und der Tod; Gedichte, Dramen I, Gesammelte Werke in zehn Einzelbänden, vol. I, Bernel Schoeller in Betraung mit Rudolf Hirsch, Frankfurt am Main, Fischer, 1979, p. 282.
[8] Thomas Mann, « La mort à Venise » suivi de « Tristan », Introduction de Geneviève Bianquis, traduit de l’Allemand par Félix Bertaux et Charles Sigwalt, Paris, Fayard, Livre de Poche, p. 38.
[11] Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, La prisonnière (Sodome et Gomorrhe, III). Tome 6, Éditeurs scientifiques Robert Proust et Jacques Rivière, Paris, Nouvelle revue française, 1923, p. 250.
Iulia Micu
Université Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca, Roumanie
juliamicu@gmail.com
Death. Obscurity. Closure
The Metaphysics of Darkness in Modern Cities
Abstract: Our study aims to identify and analyse death in art by using some of the canonical texts of the beginning of the 20th century: Austrian writer Hugo von Hofmannsthal’s two plays in verse, Der Tod des Tizian and Der Tor und der Tod, Thomas Mann’s Der Tod in Venedig and Marcel Proust’s Á la recherche du temps perdu. Beyond its inevitable decadent heritage, one may observe the way these representations feed on images, situations, thoughts, in order to show, to bring into the light what escapes in the absence, to the shadows. We also suggest that this quest – which leads to the metamorphosis of the individual into artist – is reflected by the spatial organisation of an imaginary city.
Keywords: Hugo von Hofmannsthal; Thomas Mann; Marcel Proust; Art; Estheticism; Melancholy; Death; Artist; Imaginary city.
Questions préliminaires ou comment jouer la mélancolie d’une ville
Avant de passer à l’exposition théorétique, il nous semble utile de nous arrêter sur l’analyse d’une image – Une ville abandonnée (1904) de Fernand Khnopff. Symbole de la mélancolie d’une cité aquatique, la toile contenant à la fois le danger et la limite de l’art à l’aube de l’âge moderne : rester figé dans l’opacité et dans la clôture. Le peintre rend une version très personnelle de la place Memling de Bruges – Venise du Nord – qui ressemble à une autre image, littéraire cette fois-ci, construite par un des contemporains de Khnopff: l’écrivain symboliste Georges Rodenbach. Dans Bruges-la-Morte, Rodenbach nous signale que le premier but de son écriture est celui d’évoquer une ville construite comme un personnage essentiel, une ville associée aux états d’âme, qui conseille, dissuade et détermine à agir. Écoutons toutefois ce que l’auteur affirme dans l’Avertissement:
Voilà ce que nous avons souhaité de suggérer: la Ville orientant une action ; ses paysages urbains, non plus seulement comme des toiles de fond, comme des thèmes descriptifs un peu arbitrairement choisis, mais liés à l’événement même du livre. C’est pourquoi il importe, puisque ces décors de Bruges collaborent aux péripéties, de les reproduire également ici, intercalés entre les pages: quais, rues désertes, vieilles demeures, canaux, béguinage, églises, orfèvrerie du culte, beffroi, afin que ceux qui nous liront subissent aussi la présence et l’influence de la Ville, éprouvent la contagion des eaux mieux voisines, sentent à leur tour l’ombre des hautes tours allongée sur le texte[1].
À l’instar de Rodenbach, Khnopff imagine une ville qui semble abandonnée, mais dont l’architecture n’est pas dégradée. Nous serions tentés de parler d’une « esthétique de la ruine » malgré l’impossibilité de réduire ce tableau à ce type de sensibilité romantique. Les maisons brugeoises restent les témoins d’une existence désormais disparue ou cachée. Les pavés, les façades – avec leurs fenêtres – sont représentés de façon très minutieuse. Cette minutie traduit également la lenteur de l’inscription qui ne s’achève que par une cristallisation graphique qui fige les choses, les façades des architectures d’abord mortes. Ainsi, un double mouvement se met en place : un mouvement vers l’horizon qui se mélange au ciel et un autre mouvement vers la profondeur de l’image. Il est possible que Khnopff ait repris l’image d’une Bruges autrefois riche – financièrement et artistiquement – conduite à la décadence après le retrait de la mer. Cette cité figée serait ainsi l’expression synthétique d’un désir de voir l’espace comme souvenir érigé en mythe. Mais la lecture peut être inversée: le tableau pourrait également devenir l’expression d’une ville qui se meurt, dans un mouvement qui fait ressortir conjointement le retrait de l’idéal et de la réalité.
Dessiner le contexte. Les indices et les objectifs d’un parcours esthétique
Le XIXe siècle finissant, tout comme l’aube du XXe siècle sont riches de nouvelles perspectives, d’interrogations en ce qui concerne la littérature. Le déclin du Naturalisme ouvre la voie vers un Symbolisme qui apporte des visions nouvelles, des thèmes nouveaux autant que de nouvelles questions. Dans un monde et dans une époque des mutations, le statut de l’Art et des artistes, leur image et leur fonction se métamorphose. Leur univers imaginaire semble devenir celui d’une apocalypse et aussi celui d’une révélation.
La mort, image rayonnante, s’installe dans chaque œuvre d’art, au cœur même de la Beauté et sa force destructrice se révèle en quelque sorte complémentaire à la puissance créatrice de l’artiste. Ainsi, chaque écriture mêle son propre destin au destin de celui qui l’a créée et amorce la recherche profondément trouble et ambigüe d’une illumination.
Par conséquent, la mort de l’artiste nous apparaît comme un thème récurrent, enraciné certes à l’intérieur d’un espace culturel, d’une époque et d’un monde dont il nous offre l’image concentrée, avec tous les éléments historiques, thématiques, esthétiques qui s’y rattachent. Tout cela nous permet de découvrir un ensemble de visions analogues dans les œuvres de trois auteurs que nous avons choisis comme guides pour traverser la mort et surtout pour accomplir la quête. Nous analyserons deux textes du jeune écrivain autrichien Hugo von Hofmannsthal Der Tod des Tizian –1892 (La Mort du Titien) et Der Tor und der Tod -1893 (Le Fou et la Mort), la nouvelle de Thomas Mann: Der Tod in Venedig– 1912 (La Mort à Venise) et quelques pages proustiennes de Á la recherche du temps perdu. Les trois auteurs proposent une approche de la mort esthétisée, la mort dans l’Art, avec son héritage décadent. Cette représentation qui se nourrit d’images, de situations et de réflexions, a pour but de rendre présent ce qui s’échappe dans l’absence, dans l’indicible.
Nous chercherons dans les images des villes ce qu’on cherche à l’intérieur même du langage, dans la transposition d’une pensée qui se fait ou se déchire comme les mots de Chandos-Brief -1902 (La Lettre de Lord Chandos) un autre texte célèbre d’Hofmannsthal, dans le passage qui place l’écriture dans la proximité du mystère. C’est dans le monde même, dans un monde vu par les yeux de l’artiste ou de l’esthète que nous tenterons d’apercevoir les indices, les annonces du dernier passage. Aussi nous intéresse-t-il la manière dans laquelle la quête ayant pour but la métamorphose de l’individu en artiste se reflète dans l’organisation spatiale d’une ville imaginaire.
Par-delà les frontières d’un monde où règnent l’ordre et la culture, la « santé » et l’exigence du travail, le « soleil noir » de la mélancolie et de la mort éclaire, pour l’artiste, le domaine du « dehors » : celui du chaos, de la maladie et de l’interdit.
Dans Der Tod des Tizian, Hofmannsthal dessine le jardin du Maître – vu comme un être séparé de l’univers-, un lieu symbolique et en même temps une construction artificielle qui se démarque d’un « dehors » inquiétant. (Nous pouvons signaler ici les similarités entre l’intérieur viennois de Claudio, espace claustrant, excessivement esthétisé dans Der Tor und der Tod). Ce « dehors » éveille l’expérience de l’angoisse, surtout pour Gianino, un des disciples du Titien:
Ich war in halbem Traum bis dort gegangen,
Wo man die Stadt sieht, wie sie drunten ruht,
Sich flüsternd schmieget in das Kleid von Prangen,
Das Mond um ihren Schlaf gemacht und Flut.
Ihr Lispeln weht manchmal der Nachtwind her,
So geisterhaft, verlöschend leisen Klang,
Beklemmend seltsam und verlockend bang.
Ich hört es oft, doch niemals dacht ich mehr …
Da aber hab ich plötzlich viel gefühlt:
Ich ahnt in ihrem steinern stillen Schweigen,
Vom blauen Strom der Nacht emporgespült,
Des roten Bluts bacchantisch wilden Reigen,
Um ihre Dächer sah ich Phosphor glimmen,
Den Widerschein geheimer Dinge schwimmen.
Und schwindelnd überkams mich auf einmal:
Wohl schlief die Stadt: es wacht der Rausch, die Qual,
Der Haß, der Geist, das Blut: das Leben wacht.
Das Leben, das lebendige, allmächtge –
Man kann es haben und doch sein’ vergessen! …[2].
Et dans le vertige de la découverte, ses compagnons détournent l’image d’une Vénice ensoleillée, d’une cité en or et marbre qui se profile à l’horizon, un monde « lugubre, insipide » et plein d’horreur maintenant, peuplé par des êtres incapables de reconnaître la Beauté. Dans ces deux drames lyriques de Hofmannsthal, l’espace extérieur est extrêmement hostile, un horizon de fuite, le seuil à partir duquel l’ensemble pourra être reconstitué et réinterprété. Ainsi, comme le professeur Peter Szondi[3] l’avait très bien souligné, l’univers esthétique représenté dans Der Tod des Tizian prend en charge une double figuration à partir d’une image centrale : la mort du Maître. Nous retrouverons, alors, d’un côté, la frénésie de peindre le Maître à sa dernière heure : il montre la voie d’un art triomphant, le Schöner Leben – l’appréhension de la vie comme source de la Beauté – et qui tente d’exprimer la vie elle-même et le désarroi et les errances de l’esprit représenté par ses jeunes disciples, d’un autre côté.
Il est possible d’y voir la quête de l’art à l’aube de l’âge moderne. La beauté classique, l’harmonie, la métamorphose totale de l’âme en art vont s’éteindre avec la mort du Titien. Tous ces traits sont refusés aux disciples (avec lesquels le jeune Hofmannsthal semble s’identifier) les obligeant de se contenter avec une « beauté relative ». La mort du Titien ne signifie pas une libération, elle n’ouvre pas la voie vers un champ d’autonomie, mais elle projette encore une liberté, la liberté de la quête d’une seconde mort, la mort qui va venir, la mort (dans l’art), selon Peter Szondi, des disciples eux-mêmes.
Comme nous pouvons l’observer dans une note très subtile appartenant à Roger Bauer, dans la Modernité de Hofmannsthal[4], parmi les disciples que la mort du Titien, leur Maître, a laissé désemparés, deux sortent du rang des « dilettantes» et occupent dès le début du poème une place privilégiée. Le premier, Desiderio (figure construite probablement à partir de l’image de l’écrivain Stefan George, poète allemand contemporain et une référence importante à la fois pour Hofmannsthal et Thomas Mann) refuse de descendre dans la ville d’en bas, à Venise, où sévit la peste, siège de la laideur et de la vulgarité. Le deuxième, Gianino (probablement le porte-parole d’Hofmannsthal) est prêt à accepter cette réalité dangereuse où est présente une vie vivante et toute-puissante (« Das Leben, das lebendige, allmächtge ») et où règnent l’ivresse, la souffrance, la haine, l’esprit, le sang (« der Rausch, die Qual, / Der Haß, der Geist, das Blut»)[5]. Cette conception d’un univers-totalité où les troubles trouvent leur place peut être considérée comme un legs autrichien et catholique. Cette ambivalence – les deux facettes de Venise – opposant à l’image d’une Ville céleste, espace des élus et de la lumière, un monde infernal, de pauvreté et de péchés, nous rappelle, en miroir, la peinture Campo S. Vidal and Santa Maria della Carità- 1725 de Canaletto où le mauvais état des bâtiments délabrés situés dans le premier plan est mis en rapport avec la lumière du soleil levant (à gauche du spectateur), avec les palais, le clocher et les toits dorés de La Sérénissime, en arrière-plan.
Nous pouvons observer ce mouvement d’interrogations inquiétantes dans l’autre drame hofmannsthalien : Der Tor und der Tod. Ici, l’épreuve de la mémoire apparaît pour le jeune esthète Claudio comme un Totendanz enregistrant les changements de l’époque. Les formes, les décors, les idées et les formules littéraires sont chaque fois remplacés par les plus récentes. Bien différent de ces confessions neurasthéniques de la décadence, cette œuvre brise la ronde stérile de la réflexion sur soi-même. Dans l’étude Hofmannsthal et son temps, Hermann Broch met à son tour l’accent sur cette caractéristique de l’œuvre de l’écrivain autrichien. L’aventure de Claudio et son échec esthétique anticipent l’abandon ultérieur de la poésie lyrique – un geste de désespoir accompli par Hofmannsthal afin d’empêcher et d’éliminer toutes les traces de la subjectivité de ses écrits[6]. L’horizon existentiel des personnages du théâtre hofmannstalien est profondément marqué par un sentiment de sécheresse, d’impuissance, d’anéantissement. Écoutons donc, Claudio :
Es scheint mein ganzes so versäumtes Leben
Verlorne Lust und nie geweinte Tränen
Um diese Gassen, dieses Haus zu weben
Und ewig sinnlos Suchen, wirres Sehnen[7].
C’est le premier moment de la remise en cause de cet esthète solitaire qui s’ouvre au lecteur par l’entremise de ses monologues – le premier moment de son examen de conscience, premier moment de la triade fatidique de sa quête, de son parcours: l’introspection (cathabasis) suivie immédiatement par une rétrospection (l’anamnèse) et par la réévaluation (la crise).
La quête d’Aschenbach (Der Tod in Venedig) relatée ironiquement par Thomas Mann, se consume dans l’exaltation d’une ferveur enfin retrouvée, la ferveur d’échapper à l’âge par la routine, par le travail quotidien. Pour l’artiste bourgeois, la ville qui se profile dehors comme une destination de repos, n’a pas d’abord les traits d’un espace imaginaire où « habitent la laideur et la vulgarité » (comme s’exprime un des jeunes disciples du Titien) et il s’égare volontairement dans les méandres d’une Venise devenue le symbole morbide de la passion.
C’était une envie de voyager, rien de plus; mais à vrai dire une envie passionnée, le prenant en coup de foudre, et s’exaltant jusqu’à l’hallucination.[8]
C’est ainsi que se révèle pour Aschenbach la vision d’une terre lointaine et attirante, appel premier vers un horizon nouveau et inconnu. Cette image troublante rappelle l’exotisme d’une terre inconnue et sauvage, semblable à la toile Tigre dans une tempête tropicale ou à Surpris! d’Henri Rousseau (le Douanier),
Son désir se faisait visionnaire, son imagination, qui n’avait point encore reposé depuis le travail du matin, inventait une illustration à chacune des mille merveilles, des milles horreurs de la terre, que d’un coup elle tâchait de se représenter : il voyait- il le voyait- un paysage, un marais des tropiques, sous un ciel lourd de vapeurs, moite, exubérant et monstrueux, un sort de chaos primitif fait d’îles, de lagunes et de bras de rivière charriant du limon; d’une profusion de fougères luxuriantes, d’un abîme végétal de plantes grasses, gonflées, épanouies et fantastiques floraisons, il y voyait d’un bout à l’autre de l’horizon surgir des palmiers aux troncs velus; il voyait des arbres aux difformités bizarres jeter en l’air des racines qui revenaient ensuite prendre terre, plonger dans l’ombre et l’éclat d’un océan aux flots glauques et figés, où, entre des fleurs flottant à la surface, blanches comme du lait et larges comme des jattes, sur les bas-fonds, le cou rentré dans les ailles, l’œil de coté et le regard immobile; il voyait étinceler les prunelles d’un tigre tapi entre les cannes noueuses d’un fourré de bambous- et il sentit son cœur battre plus fort, d’horreur et d’énigmatique désir. Puis la vision s’évanouit; et secouant la tête, Aschenbach reprit sa promenade au long de la palissade et des monuments funéraires.[9]
Cette image annonce la grande aventure à venir, la quête de l’inspiration et en même temps, l’irrésistible appel d’un pays sauvage et troublant, de l’eau fétide d’une cité à ruelles malpropres, d’un secret lugubre de la ville « qui se confondait avec le secret de son propre cœur ». Menant à la dissolution totale de l’ego, la passion amoureuse pour le jeune Tadzio ainsi que l’épidémie de cholera qui hante le lagon se consument à des températures élevées.
Il était pris dans une aventure si inadmissible, engagé dans un si exotique dévergondage du cœur.[10]
C’est la même pulsion qui pousse probablement Bergotte, le précurseur littéraire du Narrateur proustien, qui « ne sortait plus de chez lui », après beaucoup d’années de maladie et de réclusion, en pleine crise d’urémie, malgré le repos prescrit, à faire la célèbre visite à l’exposition et non seulement l’article critique sur la peinture de Vermeer, mais l’oubli et le besoin d’une expérience de la rencontre. Pourtant, on sait bien que Bergotte n’a jamais aimé le monde, que sa vieillesse avait amplifié la solitude, transformée en réclusion, incessant enveloppement….
Et quand il se levait une heure dans sa chambre, c’était tout enveloppé de châles, des plaids, de tout ce dont on se couvre au moment de s’exposer à un grand froid…[11]
…comme une tentative désespérée de trouver refuge en soi-même, hors du monde.
Au contraire, Aschenbach, ennobli pour son cinquantième anniversaire et honoré par l’adoption de certaines de ses pages dans les manuels scolaires, met en question son œuvre, d’où l’angoisse et l’inachèvement qui s’installent. On pourrait dire que Mann désigne ici le portrait d’un artiste dans l’instant même de la crise de la création, du doute, de l’angoisse devant la non-création. Voilà donc le seuil, lieu symbolique de passage vers l’instant dernier, qu’il soit création ou destruction. La mort aussi trouve la source de sa signification au cœur même de cette crise de Titien, de Claudio, d’Aschenbach ou de Bergotte. L’approche d’un tel instant final où l’artiste sera englouti par le néant, s’écrit chez Hofmannsthal, Mann ou chez Proust à travers l’expérience de la quête, la quête d’une illumination intérieure, de l’inspiration. Atteint par la maladie moderne, la solitude, (d’après les termes de Jacques le Rider[12]) les artistes sont prêts pour le voyage vers le royaume hypothétique de l’inspiration. Leur chemin est jalonné maintenant par une suite terrifiante d’apparitions (comme les figures des Autres étranges, incarnation des doubles inquiétants qui jalonnent la route d’Aschenbach de Munich jusqu’au Venise), ou par des figures d’une beauté étrange, presque immatérielle (des figures majeures qui dominent le récit, comme celle de Tadzio le jeune polonais à allure de dieu grec, ou comme « le petit pan de mur jaune » du tableau de Vermeer qui hante l’imagination de Bergotte). Ces dernières figures, placées irrémédiablement sous les auspices de la Beauté, symboles de la rencontre absolue, viennent accomplir la quête manquée de l’écriture et de la vie orientée inévitablement vers l’esthétisation des formes.
On doit rappeler que, analysant l’œuvre de Hofmannsthal, Jacques Le Rider observe l’omniprésence du jaune – couleur indescriptible et absolue qui enchante le spectateur de la même manière que la Méduse de Freud, effigie de la féminité et de la castration – et incarne par ailleurs le pouvoir masculin de la figure du patriarche et du père oppressif. Le Rider note: « Le jaune est une des couleurs qui obsèdent Hofmannsthal à l’époque de Les Chemins et les rencontres. Elle a tantôt la valeur d’un signe de déchéance et de mort, tantôt celle d’un signe de puissance mâle et de fécondité ».[13] De la même façon, l’interprétation de Le Rider suit les ambivalences de la couleur jaune telles qu’elles furent décrites par Goethe dans la Théorie des couleurs (1810) : la nuance la plus proche de la lumière, qui rappelle la belle impression du feu et de l’or dans la joie et, au même temps, le symbole de la haine, de l’adultère et du dégoût, la couleur de l’impureté et de la maladie. Symbole très proche de celui de la passion sauvage et de l’exotisme, le jaune transpose l’impossibilité de tout avènement, de tout salut, du deuil et de toute rédemption. On mentionne ici, comme une ultime ironie de l’image, le jeu de mots jaune-jeune qui nous permet de trouver des connexions subtiles entre le texte de Thomas Mann et l’épisode proustien de Bergotte devant la toile de Vermeer, qui peut s’interpréter comme une découverte de la profondeur et qui s’ouvre sur des interprétations futures. [14]
Conclusion. Des écritures imaginaires ou à la recherche d’une transcendance disparue
Nous pouvons affirmer que les personnages de Hofmannsthal, de Thomas Mann et de Proust découvrent à travers le regard qu’ils portent sur l’univers, uniquement la surface d’une image et non pas la profondeur à laquelle celle-ci pourrait donner accès. Ainsi, pour rompre le charme mortel de cette fixité de la surface, vue comme une « fausse promesse », et afin de ne plus sombrer dans la contemplation de cette forme fixe, de ces plaisirs en quelque sorte « impures », il faut s’extraire des images, il faut les briser, il faut être iconoclaste.
D’un autre point de vue, la tentation d‘inscrire l’écriture dans l’espace donne lieu à des questions similaire. Ces récits nous parlent toujours d’une attente désormais sans raison, à laquelle l’art, avant de disparaître complètement, aurait apporte son concours illusoire. On assiste dans ces écrits à une logique exclusive de désenchantement. Plus puissant que le deuil, celui-ci va bien plus loin que la complaisance au désespoir où frise l’absurde. Ici s’affirme avec insistance un motif qu’on pourrait penser être celui de la fin de l’art.
La solution résidera, donc, dans une soumission totale de la vie à l’art grâce à une action de l’esprit qui rend présents tous les êtres et toutes les choses pour appréhender les autres instances qui tirent leur vérité de l’absence même. Nous sommes tentée de lire dans les indications diverses et pourtant similaires que ces trois œuvres littéraires nous offrent, les expressions de la nécessité et du commencement. Aussi paradoxal qu’elle puisse paraître, la conjonction d’une mort et d’une fin indique la possibilité d’une ouverture, voire d’une origine. C’est ce à quoi nous invitent les œuvres que nous avons prises en compte dans cette analyse. Et ce qui réunit tous ces artistes et esthètes, c’est la quête d’une Beauté qui transcende la vie et en même temps la recherche d’une Beauté qui s’oppose à celle-ci. Mais ce décalage entre l’art et la vie restera, chez Hofmannsthal comme chez Proust et Thomas Mann une préoccupation constante.
Bibliographie
- A. Œuvres:
Hofmannsthal, Hugo von, Gesammelte Werke in zehn Einzelbänden, vol. I, Gedichte, Dramen I, Bernel Schoeller in Betraung mit Rudolf Hirsch, Frankfurt am Main, Fischer, 1979.
Mann, Thomas, « La mort à Venise » suivi de « Tristan », Introduction de Geneviève Bianquis, traduit de l’Allemand par Félix Bertaux et Charles Sigwalt, Paris, Fayard, Livre de Poche, 1971.
Proust, Marcel, À la recherche du temps perdu, La prisonnière (Sodome et Gomorrhe, III). Tome 6, Éditeurs scientifiques Robert Proust et Jacques Rivière, Paris, Nouvelle revue française, 1923.
Rodenbach, Georges, Bruges-la-Morte, Jean-Pierre Bertrand et Daniel Grojnowski (ed.), Paris, Garnier- Flammarion, 1998.
- B. Critiques:
Berg, Christian, Frank Durieux et Geert Lernout (ed.), Modernisme and Modernité dans la littérature et les arts, « European cultures », v. 3, Berlin-New York, Walter de Gruyter & CO, 1995.
Brion, Marcel, L’Allemagne romantique, tome 3, « Le voyage initiatique », Paris, Les Éditions Albin Michel, 1976.
Broch, Hermann, « Hofmannsthal et son temps », dans Création littéraire et connaissance, traduction d’Albert Koch, Paris, Éd. Gallimard, « Tel », 1966.
Fraisse Luc, La Petite Musique du style. Proust et ses sources littéraires, « Biblioteque Proustienne 3 » Paris, Classiques Garnier, 2011.
Le Rider, Jacques, « Hugo von Hofmannsthal: rêve d’une rencontre avec le Booz de Victor Hugo », Romantisme, no. 73 (troisième semestre), 1991.
Le Rider, Jacques, Modernité viennoise et crises de l’identité, Paris, PUF, 1990. (Éd. Rom. Modernitatea vieneză şi crizele itentităţii, tr. Magda Jeanrenaud Iaşi, Ed. Universităţii “A. I. Cuza”, 1995).
Levenson, Michael (ed.), The Cambridge Companion to Modernism,Cambridge-New York,CambridgeUniversity Press, 1999.
Payot Daniel (ed.), Mort de Dieu. Fin de l’art, Strasbourg, Les Éditions du Cerf, 1991.
Pro şi contra Marcel Proust 1921-2000, Antologie, prefaţă, notă asupra ediţiei de Viola Vancea, Bucureşti, Institutul Cultural Român, 2006.
Roudaut, Jean, Les Villes imaginaires dans la littérature française, Paris, Hatier, 1990.
Renzi Lorenzo, Proust şi Vermeer. Apologia impreciziei, Traducere din italiană de Gabriela Lungu, Cluj-Napoca, Editura Clusium, 2006.
Szondi, Peter, Théorie du drame moderne: 1880-1950, trad. P. Pavis, M. et J. Bollack, Lausanne, L’Age d’Homme, 1983.
Volke, Werner, Hugo von Hofmannsthal, (Monographie), traduit par Jean-Yves Masson, Nîmes, Éd. Jacqueline Chambon, 1996.
Images:
Une ville abandonnée -1904 de Fernand Khnopff, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. |
Vue de Delft (Gezicht op Delft) – 1660 de Johannes Vermeer, Musée Mauritshuis de La Haye. |
Campo S. Vidal and Santa Maria della Carità- 1725, Giovanni Antonio Canal (Canaletto), The National Gallery, Londres. |
Tigre dans une tempête tropicale ou Surpris! -1891, Henri Rousseau (Le Douanier), Musée d’Orsay, Paris. |
Notes
[1] Cf. Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, Jean-Pierre Bertrand et Daniel Grojnowski (éd.), Paris, Garnier- Flammarion, 1998, p. 46.
[2] Hugo von Hofmannsthal, Der Tod des Tizian, Gedichte, Dramen I, Gesammelte Werke in zehn Einzelbänden, vol. I, Bernel Schoeller in Betraung mit Rudolf Hirsch, Frankfurt am Main, Fischer, 1979, p. 248.
[3] Cf. Peter Szondi, Théorie du drame moderne: 1880-1950, trad. P. Pavis, M. et J. Bollack, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1983.
[4] Cf. Roger Bauer, «Modernité de Hofmannsthal», dans: Modernisme and Modernité dans la littérature et les arts, Christian Berg, Frank Durieux et Geert Lernout (éd.), « European cultures », v. 3, Berlin-New York, Walter de Gruyter & CO, 1995.
[6] Cf. Hermann Broch, « Hofmannsthal et son temps », dans Création littéraire et connaissance, traduction d’Albert Koch, Paris, Éd. Gallimard, « Tel », 1966.
[7] Hugo von Hofmannsthal, Der Tor und der Tod; Gedichte, Dramen I, Gesammelte Werke in zehn Einzelbänden, vol. I, Bernel Schoeller in Betraung mit Rudolf Hirsch, Frankfurt am Main, Fischer, 1979, p. 282.
[8] Thomas Mann, « La mort à Venise » suivi de « Tristan », Introduction de Geneviève Bianquis, traduit de l’Allemand par Félix Bertaux et Charles Sigwalt, Paris, Fayard, Livre de Poche, p. 38.
[11] Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, La prisonnière (Sodome et Gomorrhe, III). Tome 6, Éditeurs scientifiques Robert Proust et Jacques Rivière, Paris, Nouvelle revue française, 1923, p. 250.
Evil, surveillance and dystopiaEvil, surveillance and dystopia
Unde malum ? Le Matrix gnostiqueUnde malum? The Gnostic Matrix
Hunger Games – enjeu dystopiqueHunger Games – a dystopian stake
Rodica Gabriela Chira
Université « 1 Decembrie 1918 », Alba Iulia, Roumanie
rogabchira@yahoo.fr
Hunger Games – enjeu dystopique
Abstract: Suzanne Collins’ trilogy is a dystopian stake that yields to different approaches. Through associations with utopia, the characteristics of dystopia are revealed. Unlike utopia, in a dystopia the dislocation of the main character – Katniss Everdeen in our case – is unnecessary. She is placed in the middle of events from the very beginning, thus being able to discover a new face of the surrounding reality. Moreover, through the assimilation with mythical or past historical events, Collins’ dystopian novel acquires mythical values helping us conclude that, in the evolution of humanity, the same patterns are encountered. Only they adapt to the requirements of each epoch. As Theseus or Heracles, Katniss passes through an initiation which brings her to consciousness. This is to certify the important role of such SF dystopian narratives capable of going beyond a simple didactic or diverting purpose.
Keywords: Suzanne Collins; Science-Fiction; Dystopia; Narrative and Counter-Narrative; Mythology; History; Game.
Le nombre d’écrits dystopiques qui s’encadrent dans la science-fiction depuis 2000 est impressionnant : plus de cinquante auxquels se rajoutent plus de quarante films[1]. Parmi les auteurs, pour la plupart du temps des anglophones, comptent beaucoup de femmes. En France, la trilogie Hunger Games de Suzanne Collins (publiée à partir de 2008 aux États-Unis), est parue en traduction française entre 2009 et 2011, pour qu’en 2012 passe sur les écrans l’action du premier volume. Le livre figure sur les étagères des librairies parmi les titres recommandés à partir de l’âge de 13 ans. L’enjeu est important pour cette raison également. Car par ce roman on peut attirer l’attention sur bien des tares de la société contemporaine : l’absence de perspectives rassurantes pour la jeune génération, la politique envahissante de l’économie du marché, les programmes télévisés du genre téléréalité, parfois la violence en direct, peuvent conduire vers une éthique du non être. La trilogie Hunger Games[2] est une dystopie encadrée dans la science-fiction spéculative. Elle peut se constituer en réflexion philosophique sur la définition de l’homme. Nous y assistons en effet, par le biais de la trame narrative, à l’évolution d’un groupe d’adolescents, à leur initiation dans la vie en milieu extrêmement hostile. Avec la spécification que c’est ce milieu hostile qui, généralement, conduit vers le décantage. Les conditions difficiles mettent en évidence le caractère.
Enjeu du jeu
Partant des définitions données par L. T. Sargent[3], l’utopie est une société non-existante décrite avec des détails considérables et normalement localisée dans l’espace et le temps tandis que la dystopie ou « utopie négative » est une société non-existante décrite avec des détails considérables et normalement localisée dans l’espace et le temps avec l’intention de l’auteur de faire croire au lecteur qu’elle est considérablement plus mauvaise que celle dans laquelle ce dernier vit. On peut affirmer que Hunger Games propose un jeu. Un jeu dont l’enjeu est la mise en valeur des acquis tant de la littérature que de l’expérience de l’humanité au cours des siècles.
Car notre texte dystopique joue sur la dystopie et l’utopie par la présence du Capitole où les jeunes vivent dans un monde illusoire, en total isolement du reste du pays. Il joue en même temps sur la mémoire : le livre en soi est présenté sous forme de mémoires, celles de Katniss, le personnage principal. Les mémoires de la jeune fille s’entremêlent avec celles de l’humanité, la construction du roman étant basée sur la mythologie aussi bien que sur la réalité immédiate. Sont invoqués et évoqués ainsi le mythe de Thésée, les Jeux Olympiques de la Grèce antique, l’Empire Romain avec les luttes des gladiateurs dans les arènes aussi bien que la réalité et la téléréalité de nos jours.
Par le jeu interprétatif du monde dystopique de Panem, nous voulons souligner le caractère répétitif des schémas existentiels.
Jeux intertextuels
Dans un premier temps nous « jouons » autour de quelques mots – dystopie, utopie, mémoires, langage – par le biais de l’espace et du temps.
À la différence de l’utopie narrative où la visite du héros est guidée dans une société utopique censée nous conduire vers une réponse comparative qui accuse la société même du visiteur, le texte dystopique nous introduit d’habitude, dès le début dans le nouveau monde terrible. Toutefois, même dans l’absence d’un mouvement bouleversant vers un ailleurs, l’élément de séparation textuelle reste valable puisque l’accent est souvent mis sur un personnage qui questionne la société dystopique[4].
Le roman de Suzanne Collins s’ouvre sur le Jour de la Moisson, un des trois sujets sensibles de la famille de l’héroïne et du district Douze en général, les deux autres étant représentés par la disette et les Hunger Games. En réalité, tous les trois vont de pair, les maladies sont moins provocatrices de mort que la faim, le nom du pays pouvant être vu comme une énorme mise en dérision de sa population.
Panem, du célèbre syntagme Panem et circenses est ainsi « le pays qui s’est relevé des cendres et qu’on appelait autrefois l’Amérique du Nord ». Suite à des catastrophes naturelles « sécheresses, ouragans, incendies, la montée des océans qui a englouti une si grande partie des terres, la guerre impitoyable pour les maigres ressources restantes » s’est constitué ce nouveau pays, « un Capitole rayonnant bordé de treize districts qui a apporté paix et prospérité à ses citoyens. Puis sont venus les jours obscurs, le soulèvement des districts contre le Capitole. Douze ont été vaincus, le treizième a été éliminé. Le traité de la Trahison nous a accordé de nouvelles lois pour garantir la paix et, pour rappeler chaque année que les jours obscurs ne devaient pas se reproduire, il nous a donné les Hunger Games »[5].
Dans l’espace de Panem l’harmonie est impossible vu le fait que la population a fauté. Elle est mise en situation de payer par le supplice perpétuel de la faim aussi bien que par les tributs qu’ils sont obligés de délivrer chaque année pour les Jeux de la Faim. Il n’y a pas d’issue à cet enfer perpétuel ; les générations successives doivent payer à l’infini et les gagnants des jeux eux-mêmes ne sont pas exempts de menaces : l’Expiation, cette troisième édition spéciale des Jeux, qui a lieu tous les vingt-cinq ans, « en hommage des victimes de la rébellion des districts », « afin de rappeler aux rebelles que même les plus forts d’entre eux ne sauraient l’emporter sur le Capitole » moissonne des tributs « parmi les vainqueurs survivants »[6]. C’est un stratagème mis en place pour éviter une nouvelle révolte qui menace. Il n’y a aucun espoir.
Katniss Everdeen, le personnage principal du roman, est celle qui raconte. Vu le fait qu’il s’agit d’une narration dystopique, le choix de l’auteure fait sens ; le lecteur devine également que si ce personnage participe aux jeux, il va gagner, autrement il ne pourrait pas raconter. Ou bien si, si sa relation était découverte par quelqu’un d’autre dont l’identité serait révélée à la fin, mais ce n’est pas le spécifique de ce genre de récits. Katniss s’individualise donc en véritable personnage, et cette personnalisation, tout comme dans certaines utopies du XVIIIe siècle (voir Voltaire avec Candide, ou Swift), introduit « une problématique conflictuelle : conflit de la différence et de l’identité, de la passion et de l’ordre social, de l’individu et de la collectivité, de la rationalité étatique et de l’aspiration personnelle »[7]. Par Katniss, l’ordre étatique se révèle oppressif, totalitaire. Son nom a d’ailleurs une signification symbolique : c’est « le nom indien du Sagittaire » qui fera plus tard d’elle la Fille du Feu, surtout que la région d’où elle provient est minière. À cela se rajoute ce que son meilleur ami, Gale, entend lorsqu’elle se présente : Catnip, à savoir, « herbe des chats ». Dans la région, le katniss est également une plante de marécages dont les tubercules bleuâtres sont aussi bons que les pommes de terre. Une personnalité se révèle ainsi au travers de ces significations : une adolescente qui va à la découverte de la vie, de la maturité, par une initiation extrêmement dure. Elle découvre le monde et se découvre en même temps avec ses points forts et ses points faibles en apprenant à accepter les deux. Un objet à valeur symbolique est également lié à son nom : on peut avoir dans les Jeux des porte-chance comme la broche de Madge, la fille du maire, offerte à Katniss immédiatement après sa sélection : un geai moqueur, un oiseau d’or entouré d’un anneau qui a, lui aussi, une histoire.
Dans notre narration dystopique, une relation de causalité s’établit entre le passé et le futur : ce dernier est expliqué par le premier, tout comme dans le cas de l’utopie[8]. Si les utopies traditionnelles sont généralement dirigées vers le passé, « un passé agraire idéalisé » plutôt que vers un futur industrialisé qui ne représentait pas le signe de la terre promise[9], la dystopie nous situe dans un pays et un territoire connus, dont la projection dans le futur est effectivement menaçante. Si l’utopie est « positionnée » dans un non lieu, notre dystopie est placée dans un cadre familier, celui de l’Amérique. Sauf que, c’est une Amérique du futur, résultat des méfaits de l’industrialisation et de l’économie du marché. Le monde que le personnage narrateur est en train de découvrir n’est autre que son propre pays avec ses différentes facettes, généralement cachées ou interdites au plus grand nombre.
Le terme dystopie peut désigner dans ce contexte tout ce que le terme utopie engendre, à savoir « des objets aussi divers et aussi mal cernés que des ‘états d’esprit’, des catégories mentales, des mouvements sociaux, des aspirations collectives, des constructions politiques »[10], manifestés, évidemment, dans un monde totalitaire. Hunger Games est une dystopie narrative, « un tout narrativo-politique » qualificatif attribué par Vita Fortunati[11] avec référence à l’utopie, « à condition de donner au mot politique une acception élargie qui ne se borne pas aux seules constructions institutionnelles, mais englobe l’ensemble des pratiques humaines de la cité : idéologies, échanges économiques, relations sociales, urbanisme, etc. »[12].
Ainsi, dans notre Capitole, on pourrait dire que même la population qui vit dans un bien-être « total », la population à laquelle rien ne manque théoriquement, est tenue dans une totale ignorance. De ce point de vue, sa liberté n’est pas plus large que celle des habitants des districts, elle est fausse en effet et se limite à ce que le matériel pourrait offrir. Le syntagme Panem et circenses est tout aussi valable pour eux qui, il est vrai, mangent du pain à leur faim et même plus (à un moment donné, lors d’un banquet, est utilisée une variante moderne des vomitoires). Le bonheur existe-t-il dans un cadre pareil ? Peut-on même en poser ce problème ? Le réel que cette société engendre est en vérité une illusion bien plus grave et bien plus douloureuse qu’ils ne pourraient l’imaginer. Les dirigeants, qui « savent » tout, doivent être les plus malheureux de tous pour vivre en permanence sous le signe de l’inquiétude, de la peur de ne pouvoir maintenir le fonctionnement artificiel d’un monde. Ceux qui ont peur eux-mêmes, n’ont que la peur à semer. Comment pourraient-ils en faire autrement tant que l’on ne reçoit que ce que l’on donne, comme la réaction en boomerang des Jeux de la Faim auxquels Haymitch lui-même avait participé ?[13]
[…] l’espace n’est pas un donné, ou un support passif du politique ; il joue un rôle causal, transformateur, et il est lui-même en devenir. En ce sens, l’espace est à la fois un élément positif ou un élément négatif du politique, puisqu’il peut limiter les champs du possible en politique autant qu’il peut les ouvrir.[14]
Il permet l’existence d’une « spatialité de l’injustice » et d’une « injustice de la spatialité ». Par son analyse des valeurs de l’espace urbain en tant que lieux du politique, Mustafa Dikeç nous fait penser au Capitole comme ville politique, les douze districts de Panem pouvant bien représenter le « reste », constitué par ceux qui « sont pris au piège de l’espace » ou « enchaînés à un lieu » par une politique du « zonage ». Ces éléments se retrouvent non seulement entre le Capitole et les « zones », mais dans le cadre même du Capitole où tous les habitants ne jouissent pas des mêmes conditions de vie. Il y a dans chaque district la partie riche et la partie pauvre de la population. Katniss appartient à l’une des familles de mineurs du douzième. Ce district est encerclé par un « grillage de barbelés […] électrifié vingt-quatre heures sur vingt-quatre »[15]. Au-delà du grillage se trouve la forêt où abondent les dangers : des carnassiers prédateurs. Le quartier pauvre, appelé la Veine sépare la population pauvre de la classe commerçante, les deux étant liées en quelque sorte par la Plaque, le marché noir. Les rapports entre les districts, chacun spécialisé en certains produits, sont très réduits.
Dans leur article sur la dystopie et les histoires, R. Baccollini et T. Moylan développent une idée qui s’applique parfaitement à notre texte et que nous reprenons dans ce qui suit. Il s’agit, dans notre cas également, d’une construction autour d’une narration de l’ordre hégémonique et d’une contre-narration de la résistance[16]. Le texte ouvre in medias res, dans la société cauchemardesque. La séparation cognitive est d’abord anticipée par l’immédiateté et la normalité de l’emplacement. Il n’est pas nécessaire de rêver à ou de voyager vers cet endroit de la vie de tous les jours. Comme en beaucoup des textes de science-fiction, le protagoniste aussi bien que le lecteur sont déjà dans le monde en question, immergés dans cette société de manière irréfléchie. Toutefois, une contre-narration se développe pas à pas, par le déplacement du citoyen dystopique du contentement apparent vers une expérience de l’aliénation et de la résistance. La structure stratégique de la narration et de la contre-narration est réalisée par l’utilisation sociale et antisociale du langage. Le conflit du texte tourne autour du contrôle du langage. L’ordre officiel, hégémonique est basé tant sur la contrainte que sur le consentement. La force matérielle de l’économie et l’apparat d’État contrôlent l’ordre social et le maintiennent. Mais le pouvoir discursif exercé dans la reproduction du sens et l’interpellation des sujets est une force complémentaire et nécessaire. Le langage est une arme pour le maintien de la structure dystopique. Par conséquent, la résistance du protagoniste dystopique commence souvent par une confrontation et la réappropriation du langage jusque là interdit, ou bien devenu propagande. Ce processus par lequel on reprend le contrôle du langage, des représentations, de la mémoire et de l’interpellation est une arme et une stratégie cruciales vers le déplacement de la résistance d’une prise de conscience initiale vers une action qui conduit à un événement crucial qui tend à changer la société. À l’opposé du plan utopique de déplacement, d’éducation et de retour d’un visiteur informé, la dystopie produit son propre « compte rendu » didactique sur l’affrontement résulté de la confrontation critique avec les contradictions de la société présente dès la première page[17].
L’évolution de Katniss est reflétée dans le langage. Une enfance difficile du point de vue matériel mais entée sur un caractère fort conféré par l’harmonie familiale et l’amour se trouvent à l’origine de sa personnalité. C’est à partir de l’âge de presque douze ans qu’elle est obligée de transgresser l’interdit en dépassant les « frontières » imposées par les autorités à la recherche de la nourriture. Le véritable courage naît en conditions de crise profonde. Les privations entées sur l’amour libèrent.
Elles représentent d’abord une lutte pour la survie : « De toute façon, Gale et moi sommes d’accord : entre crever de faim et recevoir une balle dans la tête, mieux vaut une mort rapide »[18]. Le phénomène qui provoque l’humilité et par lequel la population de Panem peut être dominée est de nature purement psycho-physiologique : la faim et, lors des jeux proprement dits, la soif. Mais, dans le cas de Katniss, ces privations prennent vite la forme du sacrifice de soi exprimé tant par les paroles que par les actes. Lorsque le tirage au sort fait entendre le nom de Prim, sa petite sœur, Katniss reste muette pour quelques instants pour vite reprendre ses esprits : « Je suis volontaire ! m’écriai-je. Je me porte volontaire comme tribut ! »[19]. Les mots prononcés par Katniss, comme ceux de Thésée qui veut sauver les jeunes d’Athènes, « Je me porte volontaire », dans le plus pauvre et le plus noir des districts, où rien d’intéressant n’arrive, surprennent et bloquent Effie Trinquet, la déléguée du Capitole, aussi bien que le maire : ils ne savent que dire, le « public » garde le silence, il n’applaudit pas. Au contraire, un premier signe de révolte se manifeste : « Une personne, puis deux, puis quasiment toute la foule porte les trois doigts du milieu de la main gauche à ses lèvres avant de les tendre vers moi. C’est un vieux geste de notre district, rarement utilisé, qu’on voit parfois lors des funérailles. Un geste de remerciement, d’admiration, d’adieu à ceux que l’on aime. » La réaction de Haymitch, ex-combattant dans les jeux, est elle aussi annonciatrice de futurs événements : « Elle me plaît ! […] Plus que vous tous ! […] Plus que vous tous ! crie-t-il en pointant le doigt vers la caméra. S’adresse-t-il aux spectateurs, ou bien est-il soûl au point d’insulter le Capitole ? »[20]. Ce Capitole qui disait indirectement au peuple de Panem : « Regardez, nous prenons vos enfants, nous les sacrifions, et vous n’y pouvez rien. Si vous leviez seulement le petit doigt, nous vous éliminerions jusqu’au dernier. Comme nous l’avons fait avec le district Treize »[21].
Le pouvoir, la force, imposées par un langage voilé qui cache une réalité cruelle sont bien évidentes depuis les premières formules, « Joyeux Hunger Games ! », ou « Bonne chance et puisse le sort vous être favorable ! », prononcées dans des circonstances d’une cruauté inimaginable. De même, les dénominations choisies : Pacificateurs pour la police, Capitole pour la capitale, la Corne d’abondance pour l’aide offerte aux tributs lors de l’entrée dans l’arène et qui devient le lieu des premiers massacres, le tessera, la Moisson, le Grand Cirque[22].
La signification de ces dénominations est contrecarrée par celle qui désigne le porte-chance de Katniss, la broche représentant un geai moqueur :
C’est un drôle d’oiseau qui représente une forme de camouflet pour le Capitole. Pendant la rébellion, ce dernier avait modifié génétiquement plusieurs espèces animales afin de s’en servir comme armes. L’une d’elles, le geai bavard, avait la faculté de mémoriser et reproduire des discussions entières. Exclusivement mâle, il regagnait toujours son gîte à la manière d’un pigeon voyageur. Le Capitole en a lâché un grand nombre au-dessus des régions où se cachaient des ennemis. Les oiseaux recueillaient ce qu’ils entendaient, puis regagnaient leurs centres pour les répéter. Les gens ont mis un moment à comprendre ce qui se passait dans les districts, comment leurs conversations étaient espionnées. Ensuite, bien sûr, les rebelles se sont amusés à inonder le Capitole de mensonges invraisemblables, et tout le monde en a fait des gorges chaudes. Puis les centres ont été fermés et les oiseaux abandonnés dans la nature pour mourir.[23]
Mais la nature ne suit pas les desseins des humains. Si bien que, accouplés à des moqueurs femelles, ces geais ont engendré une nouvelle espèce qui imitait non seulement la voix humaine, sans être cependant capables de prononcer des mots, mais aussi le chant des oiseaux. Ils étaient capables de reproduire des airs complexes s’ils trouvaient agréable la voix humaine qui les interprétait. Lorsque Rue meurt sous les yeux de Katniss, pour défier le Capitole et pour lui montrer qu’elle n’est pas d’accord avec la cruauté et qu’elle ne fait pas son jeu de manière volontaire, celle-ci chante une berceuse à Rue et cueille des fleurs dont elle couvre son corps avant qu’il ne soit « cueilli » à son tour par les hovercrafts. Sa chanson est reprise par les geais moqueurs[24]. Katniss comprend et fait siennes les paroles que Peeta avait prononcées sur la terrasse, avant l’entrée en arène : « […] je veux mourir en étant moi-même. Tu comprends ? […] Je ne veux pas changer dans l’arène. Me transformer en une espèce de monstre que je ne suis pas. […] Je voudrais seulement trouver un moyen de… montrer au Capitole que je ne lui appartiens pas. Que je suis davantage qu’un simple pion dans les Jeux »[25].
Katniss a du mal à mentir ; la rectitude de son caractère ne le lui permet pas ; c’est ce qui l’empêche de faire bonne figure devant les caméras lors des interviews avant et après les Jeux. D’un bout à l’autre de cette trilogie, Katniss reste le symbole de l’opposition face au régime oppressif et de la route vers la maturité – hâtée par sa position et par l’évolution mouvementée des événements – qui la rendent sage. Elle apprend que dire la vérité en face, comme un défi, n’est pas toujours la meilleure solution. À la fin, quand le régime dictatorial de Snow s’effondre par un terrible massacre des enfants du Capitole et par la mort de Prim, Katniss change de tactique : elle fait semblant d’entrer dans le jeu de Coin, la chef de la révolte et dirigeante du district Treize qui fonctionnait en cachette comme une sorte de service de Sécurité, celle-ci proposant de finir cette révolte par une dernière reprise des jeux cruels ayant cette fois comme tributs « les enfants des personnes qui détenaient le plus de pouvoir », c’est-à-dire des enfants du Capitole, au lieu d’éliminer tout sa population. Ce faire semblant est doublé par la prise de conscience d’une autre réalité troublante : si on veut arrêter les massacres et donner un sens à cette révolte sanglante, c’est Coin qui doit être éliminée, et Katniss tue pour la dernière fois.
Jeux-encrages
La mythologie classique y est de mise. La trilogie dystopique prend la forme d’un mythe moderne adapté en fonction des changements opérés par l’époque historique vécue. Dans la Rome antique, l’autorité céleste et terrestre était représentée par le Mons Capitolinus. Aux États-Unis contemporains, au Capitole de Washington D.C. siège le Congrès américain (Sénat et Chambre des représentants) tandis que dans chacune des capitales des cinquante États américains se trouve un capitole qui abrite la législature de l’État. Dans Panem, la seule autorité législative est celle du Capitole et la seule indication qui pourrait renvoyer à une autorité non terrestre réside dans la formule « Puisse le sort vous être favorable ! », formule adressée aux tributs qui vont entrer dans l’arène et dont un seul survivra.
D’après J. M. Racault, « l’imagination n’est pas une faculté d’invention, mais une faculté de combinaisons, nécessairement condamnée, si l’on ose dire, à faire de l’Autre avec du Même : comme la Chimère du Discours de la méthode, façonnée à partir d’‘une tête de lion entée sur le corps d’une chèvre’, l’imagination procède par raboutage de pièces empruntées au réel »[26] plus ou moins rapproché ou à la mythologie ; le roman Hunger Games serait, dans ce contexte, la preuve du fait que, dans le parcours de l’humanité, il y a des schémas qui se répètent perpétuellement mais qui habitent de nouvelles formes et de nouveaux espaces auxquels ils s’adaptent. En fin de compte, la leçon à apprendre est la même, elle s’adresse à chaque fois à ces nouvelles formes qui constituent l’humanité du moment. Qu’y a-t-il de vérifiable de la réalité d’aujourd’hui dans les Hunger Games ? L’économie du marché, le luxe démuni de finalité à long terme offert par les découvertes de la technique, une humanité, qui a oublié son essence et qui se laisse aller dans un bonheur illusoire marqué par le bien-être matériel, par les spectacles qui lui donnent l’impression de vivre par délégation (voir la téléréalité).
On constate avec surprise que l’intellectuel n’a pas de place dans ce contexte : les enfants, comme Prim, la sœur de Katniss, vont à l’école, mais on ne parle de livres qu’au passage, seulement des programmes télévisés ou de choses très concrètes : « À l’école, presque tout se ramène au charbon. Hormis l’apprentissage de la lecture et des mathématiques, l’essentiel de notre instruction est lié au charbon. À l’exception du sermon hebdomadaire concernant l’histoire de Panem, dans lequel on nous rabâche tout ce que nous devons au Capitole »[27]. Les seuls livres mentionnés au cours de l’histoire sont ceux de plantes, la pharmacie naturelle de la mère de Katniss, sorte de « magicienne » qui s’occupe des malades du district Douze. De même, Peeta, le talentueux boulanger, peint, fait des gâteaux artistiquement décorés. L’art sert également dans l’industrie de la mode et dans celle de la chirurgie esthétique : les habitants du Capitole s’intéressent aux deux. Les émissions télévisées, ces jeux même, avec les jours qui les précèdent, peuvent relever de l’art. Les spectateurs participent en direct aux Jeux de la Faim, aux massacres, et ils éprouvent une joie immense, leurs émotions sont éveillées et purgées. Comment pourrait-on appliquer dans ce contexte l’idée reprise par Wolf Lepenies[28] aux cours hégéliens sur l’esthétique et la philosophie de l’art ? Hegel soutient que le beau de l’art, comme un génie amical, traverse toutes les préoccupations de la vie et pare avec sérénité toutes les circonstances en adoucissant le sérieux des relations et les complications de la réalité, en nous remplissant de manière divertissante les moments de repos ; ainsi, insidieusement, là où on ne peut plus réaliser quelque chose de bon, il occupe du moins la place du mal mieux que le mal lui-même. On dirait que dans les Hunger Games l’art, du moins pour le Capitole, a dépassé ces limites, qu’il n’est plus capable de masquer le mal.
Les renvois à l’histoire, les allusions aux jeux olympiques de l’antiquité grecque, aux luttes des arènes romaines ne sont pas difficiles à discerner. Le canevas est très simple : une société totalitaire, despotique même, ayant une organisation spécifique avec un sérieux appareil de répression masqué sous des dénominations suggestives. Même la coïncidence entre le nombre des jeux olympiques de la Grèce antique et celui des Hunger Games est suggestive. Les conclusions sont tout aussi simples : il y a des schémas qui se répètent, l’humanité ne peut pas trop changer d’une génération à l’autre, d’un siècle à l’autre, d’un millénaire à l’autre. Si Katniss se révolte et ose changer l’habitude des jeux c’est que d’un côté le public a besoin de nouveauté et que, de l’autre côté, le changement de mentalités se produit lentement. Ceux des premiers jeux de la faim avaient plus peur, ils n’étaient pas encore détachés des événements cruels qui leur avaient donné naissance. On peut en même temps remarquer la perte graduelle de repères dans notre monde : si les Jeux Olympiques avaient derrière eux une tradition religieuse, s’ils étaient avant tout organisés en l’honneur des divinités[29], le monde romain les a transformés petit à petit en preuve de sa faiblesse et de sa cruauté. Il faudrait se rappeler, en ce sens, les réflexions de Montesquieu sur les causes de l’ascension et de la décadence de l’empire romain.
De nos jours, « jouer c’est gagner, ou du moins c’en est la perspective. […] Mais cela n’est pas jouer. C’est se soumettre dans la plus totale ignorance, à des calculs de probabilité très poussés qui sont réalisés par des entreprises de jeux de loterie, dont le but est évidemment de se garantir un minimum de gagnants aux prétendus jeux qu’elles proposent »[30]. Observation banale au premier abord, mais combien de choses essentielles se cachent sous le masque de la banalité ? Seulement les spécialistes savent aujourd’hui qu’« autrefois, dans toutes les sociétés primitives et les civilisations antiques, le jeu avait un caractère initiatique. […] à l’origine, le but du jeu était le plus souvent de gagner sa vie, c’est-à-dire de gagner le droit de conserver sa vie, d’en être maître, de la ravir aux dieux. Pour le vainqueur du jeu, il s’agissait en quelque sorte d’une seconde naissance »[31]. Parti d’un point de vue spirituel, le jeu est devenu social, récréatif ou éducatif. De nos jours, les jeux « sont comme des espèces de rappel à l’ordre ». Il revient à chaque être humain de voir de quel ordre il s’agit. De celui dans lequel il se sert de l’imagination des autres pour se laisser dominer ou bien de celui qui « fait appel à l’imagination, à l’inspiration, à la réflexion, à la volonté » personnelles afin de comprendre que « la plupart des légendes mythiques ou des contes populaires sont plus ou moins des mises en scène de personnages évoluant dans un jeu : le jeu de la vie ! »[32]. Faudrait-il compter le nombre des épreuves auxquelles Katniss répond pour les assimiler aux travaux d’Héraclès que Didier Colin met en rapport avec les signes du Zodiaque, chacune de ses victoires représentant une étape de gagnée dans la connaissance et la conscience de soi ? Le labyrinthe qui enferme le Minotaure, vu en analogie avec le cercle, la croix et la spirale peut-il être mis en rapport avec les soixante-quinzièmes Jeux de la Faim imaginés sous forme de cadran d’une montre géante qui offre aux tributs, à intervalles réguliers des surprises mortelles ? La construction du roman, par multiples de trois – chaque volume de la trilogie a trois parties, chaque partie comprend neuf chapitres – invite elle aussi à la réflexion. À l’appui de l’affirmation que les épreuves subies par Katniss peuvent être nommées initiatiques vient le final de la trilogie. Elle a été le symbole de la révolte, elle s’est sacrifiée pour un monde meilleur sans attendre pour cela de gouverner Panem. Au contraire, elle se retire dans sa maison du district Douze pour mener une vie tranquille à côté de Peeta et leurs deux enfants. Par ces derniers, l’espoir refait surface. Car qui voudrait avoir des enfants sous la menace des Jeux ?
En tout état de cause, pour créer cet univers dystopique, Suzanne Collins n’aurait pas pu trouver une assimilation plus appropriée du passé avec le présent que celle visant les séries de téléréalité. Il ne faut penser qu’à la série Big Brother[33] depuis 1999, en référence avec le personnage du roman Nineteen Eighty-Four d’Orwell qui surveille tout le monde. Dans le jeu de cette série, douze participants sont enfermés pendant plusieurs semaines sous surveillance continue d’un système vidéo.
Au seuil de la mort, les tributs des Hunger Games sont conscients du fait qu’ils offrent un spectacle sur le vif. Dans ces conditions, ils jouent la « comédie » : « Un baiser égale un pot de bouillon. Je ne peux pas le dire à haute voix. Cela donnerait à penser au public que notre belle histoire d’amour n’est qu’une comédie destinée à inspirer la sympathie. Ce n’est pas comme ça qu’on obtiendrait de la nourriture. Je dois trouver un moyen crédible de relancer la mécanique »[34]. Ou bien « Le district Douze doit être en ébullition. Il est si rare que nous ayons encore des tributs à ce stade des Jeux. Les gens doivent vibrer pour Peeta et moi, encore plus maintenant que nous sommes ensemble. Si je ferme les yeux, je parviens à imaginer leurs cris d’encouragement devant l’écran. Je vois leurs visages – Sae Boui-boui, Madge ou même les Pacificateurs qui m’achètent mon gibier – en train de nous acclamer »[35].
Pour faire le point
Beaucoup de choses restent encore à dire. Mais partant de ce qui a été déjà dit, nous pouvons conclure que l’histoire de l’humanité est constituée de la répétition à l’infini des schémas existentiels, que le but de l’être humain est la quête de soi qui se réalise le plus souvent par la mise à l’épreuve. Plus les épreuves sont dures, plus on a la possibilité de se découvrir. En fin de compte, les écrits dystopiques ont un rôle positif et la mission de la science-fiction spéculative devient très importante.
Bibliographie
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Notes
[2] Hunger Games pour le premier, le même pour les deux autres qui ajoutent en sous-titre L’embrasement, respectivement La révolté. Le premier volume comprend trois parties : « Les tributs » (9), « Les jeux » (18), « Le vainqueur » (27) ; le deuxième : « L’étincelle », « L’expiation », « L’ennemi » ; le troisième : « Les cendres », « L’assaut », « La meurtrière ».
[3] Lyman Tower Sargent, « The Three faces of Utopianism Revisited », Utopian Studies 5.1., 1994, p. 1-37 : « Utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space; Eutopia or positive utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space that the author intended a contemporaneous reader to view as considerably better than the society in which the reader lived; Dystopia or negative utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space that the author intended a contemporaneous reader to view as considerably worse that the society in which that reader lived as distinct from Anti-utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space that the author intended a contemporaneous reader to view as a criticism to utopianism or some particular utopia. » Cité en notes par Raffaella Baccolini et Tom Moylan « Dystopia and Histories », in Dark Horizons. Science Fiction and the Dystopian Imagination, éd. Raffaella Baccolini et Tom Moylan, New York, London, Routledge, 2003 (p. 1-12), p. 9.
[5] Suzanne Collins, Hunger Games, traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume Fournier (The Hunger Games, New York, Scholastic Press, 2008), Pocket Jeunesse., 2009, p. 24.
[6] Suzanne Collins, Hunger Games. L’embrasement, traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume Fournier (The Hunger Games, New York, Scholastic Press, 2009), Pocket Jeunesse., 2010, p. 179-180.
[7] Jean-Michel Racault, L’utopie narrative en France et en Angleterre. The Voltaire Foundation at the Taylor Institution, Oxford, 1991, p. 31.
[11] Citée par J.-M. Racault, op. cit., p. 4, de La letteratura utopica inglese, Ravenna, 1979, p. 8.
[13] Suzanne Collins, Hunger Games II, ed. cit, p. 207-209. Lors de l’édition des Jeux à laquelle il participe comme tribut, Haymitch découvre « une bande de terre nue et sèche qui s’achève en à-pic », au pied de laquelle « on aperçoit des rochers. […] Un caillou roule sous son pied et tombe dans le gouffre. Une minute plus tard, alors qu’il s’est assis pour souffler un moment, le caillou émerge du vide et retombe juste à côté de lui. […] Il lance une grosse pierre dans le vide et attend. Quand la pierre lui revient dans la main, il éclate de rire. » C’est grâce à cette découverte qu’une hâche qui tombe dans le même précipice revient pour tuer son adversaire et pour faire de lui le tribut vainqueur.
[14] Mustafa Dikeç, « L’espace, le politique et l’injustice » : « La notion de ‘spatialité de l’injustice’ se fonde sur l’idée que la justice a une dimension spatiale, et qu’on peut observer et analyser différentes formes d’injustice qui se manifestent dans l’espace. L’‘injustice de la spatialité’, elle, renvoie non aux manifestations spatiales de l’injustice mais aux dynamiques structurelles qui produisent et reproduisent l’injustice par le biais de l’espace. » Un double intérêt donc, pour les manifestations spatiales de l’injustice d’un côté, pour les processus qui produisent les injustices spatiales de l’autre. Dans ce contexte, Dikeç cite le sociologue Loïc Wacquant qui, en 1999, parlait des « images dystopiques de la ville américaine » en faisant référence aux émeutes des banlieues américaines qui ont influencé les banlieues françaises. Il s’agit de l’article « America as social dystopia: The politics of urban disintegration, or the French uses of the ‘American Model’ », in P. Bourdieu et al. (eds), The Weight of the World: Social Suffering in Contemporary Society, Trans. by P. P. Ferguson et al. [La misère du monde, 1993, Editions du Seuil, Paris] (Stanford University Press, Stanford), pp. 130-39.
Document en ligne, http://www.jssj.org/archives/01/media/dossier_focus_vt6.pdf, p. 2, 8, consulté le 30 août 2012.
[16] R. Baccolini et T. Moylan citent Jameson Fredric, The Seeds of Time,New York: Columbia UP, 1994, p. 56, in art. cité, p. 8.
[22] À cela se rajoutent les noms de quelques personnages. Les stylistes s’appellent : Venia, Octavia, Portia, Flavius, Cinna. Claudius (Templesmith) est le médiateur ou le modérateur aux jeux ; il est celui qui s’occupe des interviews dans le cas des tributs, aussi bien que celui qui annonce les règles du jeu (par exemple quand les règles changent par rapport aux éditions précédentes « les deux tributs d’un même district seront déclarés vainqueurs s’ils sont les deux derniers en vie » (vol. I, p. 250). Un des tributs s’appelle Cato, d’autres personnages, Seneca, Caesar, Plutarch.
[26] J.-M. Racault, op.cit., p. 21, cite Descartes du Discours de la méthode, IV, in Œuvres et lettres, Bibliothèque de la Pléiade (Paris, 1958), p. 153.
[28] Wolf Lepenies, Ascensiunea şi declinul intelectualilor în Europa, Cluj-Napoca, Casa Cărţii de Ştiinţă, 2005, p. 102. Cité de Vorlesungen über die Ästhetik, in Id., Werke, vol. XIII, éd. par Eva Moldenhauer et Karl Markus Michel, Suhrkampf, Frankfurt a.M., 1970, p.16, paraphrasé par nous d’après l’« Introduction » de la traduction roumaine », Prelegeri de estetică de D.D. Roşca, vol. I, Bucureşti, Ed. Academiei R.S.R., 1966, p. 9.
[29] Un seul exemple nous paraît édifiant. La mise en parallèle de la signification de la Moisson dans Panem avec celle de l’antiquité grecque et du monde chrétien.
Du bouc émissaire au plaisir tragique, le sens du mot moisson peut être lié toujours à la Grèce antique, à la purification de la cité. L’adjectif katharos, associe la propreté matérielle, celle du corps (il s’applique à l’eau, au grain également), et la pureté de l’âme, morale ou religieuse. Purifier la cité « nettoyer, purifier, purger » renvoie en particulier au rituel d’expulsion pratiqué à Athènes la veille des Thargélies. Au cours de ces fêtes, traditionnellement dédiées à Artémis et à Apollon, on offrait un pain, le thargêlos [θάργηλος], fait des prémices de la moisson ; mais il fallait d’abord purifier la cité, en expulsant des criminels (cf. lexique d’Harpocration : « Les Athéniens, lors des Thargélies, excluent deux hommes, comme exorcismes purificatoires, de la cité, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes »), puis des boucs émissaires, selon le rituel du pharmakos [ϕαρμακός]. Apollon lui-même est dit katharsios [καθάρσιος], purificateur, d’ailleurs contraint à la purification après le meurtre de Python à Delphes : selon le Socrate du Cratyle, il est bien nommé apolouôn [ἀπολούων], « qui lave », dans la mesure où la musique, la médecine et la divination qui le caractérisent sont autant de katharseis [καθάρσεις] et de katharmoi [καθαρμοί], de pratiques de purification (405a-c). Barbara Cassin, Jacqueline Lichtenstein, Elisabete Thamer, Dictionnaires le Robert, Le Seuil, 2003. Cf. http://robert.bvdep.com/public/vep/Pages_HTML/CATHARSIS.HTM.
Dans le même ordre d’idées, « la fête de la Pentecôte fait partie des trois fêtes dites de « Pèlerinage ». La Bible lui donne différents noms : Fête des Moissons (Exode 34 :16) – Fête des Semaines (Exode 34 :12) – Fête des Prémices (Nombres 28 :26). La tradition rabbinique l’appelle aussi « Fête des Clôtures » du cycle pascal. Cette appellation marque la liaison qui a toujours été établie dans la liturgie juive entre Pessah (Pâque) et Chavouoth (Pentecôte), liaison concrétisée, dès les temps bibliques, par l’OMER : l’offrande de la première gerbe de la moisson (Lévitique 23 : 9-17). Cette offrande devait être faite le lendemain du jour de Pâques ; après quoi, on pouvait manger de la nouvelle récolte. » Cf. http://www.rosee.org/rosee/page41.html. Sites consultés le 22 septembre 2012.
[30] Didier Colin, Dictionnaire des mythes, des symboles et des légendes, Hachette Livre (Hachette Pratique), 2006, p. 309.
Rodica Gabriela Chira
Université « 1 Decembrie 1918 », Alba Iulia, Roumanie
rogabchira@yahoo.fr
Hunger Games – a dystopian stake
Abstract: Suzanne Collins’ trilogy is a dystopian stake that yields to different approaches. Through associations with utopia, the characteristics of dystopia are revealed. Unlike utopia, in a dystopia the dislocation of the main character – Katniss Everdeen in our case – is unnecessary. She is placed in the middle of events from the very beginning, thus being able to discover a new face of the surrounding reality. Moreover, through the assimilation with mythical or past historical events, Collins’ dystopian novel acquires mythical values helping us conclude that, in the evolution of humanity, the same patterns are encountered. Only they adapt to the requirements of each epoch. As Theseus or Heracles, Katniss passes through an initiation which brings her to consciousness. This is to certify the important role of such SF dystopian narratives capable of going beyond a simple didactic or diverting purpose.
Keywords: Suzanne Collins; Science-Fiction; Dystopia; Narrative and Counter-Narrative; Mythology; History; Game.
Le nombre d’écrits dystopiques qui s’encadrent dans la science-fiction depuis 2000 est impressionnant : plus de cinquante auxquels se rajoutent plus de quarante films[1]. Parmi les auteurs, pour la plupart du temps des anglophones, comptent beaucoup de femmes. En France, la trilogie Hunger Games de Suzanne Collins (publiée à partir de 2008 aux États-Unis), est parue en traduction française entre 2009 et 2011, pour qu’en 2012 passe sur les écrans l’action du premier volume. Le livre figure sur les étagères des librairies parmi les titres recommandés à partir de l’âge de 13 ans. L’enjeu est important pour cette raison également. Car par ce roman on peut attirer l’attention sur bien des tares de la société contemporaine : l’absence de perspectives rassurantes pour la jeune génération, la politique envahissante de l’économie du marché, les programmes télévisés du genre téléréalité, parfois la violence en direct, peuvent conduire vers une éthique du non être. La trilogie Hunger Games[2] est une dystopie encadrée dans la science-fiction spéculative. Elle peut se constituer en réflexion philosophique sur la définition de l’homme. Nous y assistons en effet, par le biais de la trame narrative, à l’évolution d’un groupe d’adolescents, à leur initiation dans la vie en milieu extrêmement hostile. Avec la spécification que c’est ce milieu hostile qui, généralement, conduit vers le décantage. Les conditions difficiles mettent en évidence le caractère.
Enjeu du jeu
Partant des définitions données par L. T. Sargent[3], l’utopie est une société non-existante décrite avec des détails considérables et normalement localisée dans l’espace et le temps tandis que la dystopie ou « utopie négative » est une société non-existante décrite avec des détails considérables et normalement localisée dans l’espace et le temps avec l’intention de l’auteur de faire croire au lecteur qu’elle est considérablement plus mauvaise que celle dans laquelle ce dernier vit. On peut affirmer que Hunger Games propose un jeu. Un jeu dont l’enjeu est la mise en valeur des acquis tant de la littérature que de l’expérience de l’humanité au cours des siècles.
Car notre texte dystopique joue sur la dystopie et l’utopie par la présence du Capitole où les jeunes vivent dans un monde illusoire, en total isolement du reste du pays. Il joue en même temps sur la mémoire : le livre en soi est présenté sous forme de mémoires, celles de Katniss, le personnage principal. Les mémoires de la jeune fille s’entremêlent avec celles de l’humanité, la construction du roman étant basée sur la mythologie aussi bien que sur la réalité immédiate. Sont invoqués et évoqués ainsi le mythe de Thésée, les Jeux Olympiques de la Grèce antique, l’Empire Romain avec les luttes des gladiateurs dans les arènes aussi bien que la réalité et la téléréalité de nos jours.
Par le jeu interprétatif du monde dystopique de Panem, nous voulons souligner le caractère répétitif des schémas existentiels.
Jeux intertextuels
Dans un premier temps nous « jouons » autour de quelques mots – dystopie, utopie, mémoires, langage – par le biais de l’espace et du temps.
À la différence de l’utopie narrative où la visite du héros est guidée dans une société utopique censée nous conduire vers une réponse comparative qui accuse la société même du visiteur, le texte dystopique nous introduit d’habitude, dès le début dans le nouveau monde terrible. Toutefois, même dans l’absence d’un mouvement bouleversant vers un ailleurs, l’élément de séparation textuelle reste valable puisque l’accent est souvent mis sur un personnage qui questionne la société dystopique[4].
Le roman de Suzanne Collins s’ouvre sur le Jour de la Moisson, un des trois sujets sensibles de la famille de l’héroïne et du district Douze en général, les deux autres étant représentés par la disette et les Hunger Games. En réalité, tous les trois vont de pair, les maladies sont moins provocatrices de mort que la faim, le nom du pays pouvant être vu comme une énorme mise en dérision de sa population.
Panem, du célèbre syntagme Panem et circenses est ainsi « le pays qui s’est relevé des cendres et qu’on appelait autrefois l’Amérique du Nord ». Suite à des catastrophes naturelles « sécheresses, ouragans, incendies, la montée des océans qui a englouti une si grande partie des terres, la guerre impitoyable pour les maigres ressources restantes » s’est constitué ce nouveau pays, « un Capitole rayonnant bordé de treize districts qui a apporté paix et prospérité à ses citoyens. Puis sont venus les jours obscurs, le soulèvement des districts contre le Capitole. Douze ont été vaincus, le treizième a été éliminé. Le traité de la Trahison nous a accordé de nouvelles lois pour garantir la paix et, pour rappeler chaque année que les jours obscurs ne devaient pas se reproduire, il nous a donné les Hunger Games »[5].
Dans l’espace de Panem l’harmonie est impossible vu le fait que la population a fauté. Elle est mise en situation de payer par le supplice perpétuel de la faim aussi bien que par les tributs qu’ils sont obligés de délivrer chaque année pour les Jeux de la Faim. Il n’y a pas d’issue à cet enfer perpétuel ; les générations successives doivent payer à l’infini et les gagnants des jeux eux-mêmes ne sont pas exempts de menaces : l’Expiation, cette troisième édition spéciale des Jeux, qui a lieu tous les vingt-cinq ans, « en hommage des victimes de la rébellion des districts », « afin de rappeler aux rebelles que même les plus forts d’entre eux ne sauraient l’emporter sur le Capitole » moissonne des tributs « parmi les vainqueurs survivants »[6]. C’est un stratagème mis en place pour éviter une nouvelle révolte qui menace. Il n’y a aucun espoir.
Katniss Everdeen, le personnage principal du roman, est celle qui raconte. Vu le fait qu’il s’agit d’une narration dystopique, le choix de l’auteure fait sens ; le lecteur devine également que si ce personnage participe aux jeux, il va gagner, autrement il ne pourrait pas raconter. Ou bien si, si sa relation était découverte par quelqu’un d’autre dont l’identité serait révélée à la fin, mais ce n’est pas le spécifique de ce genre de récits. Katniss s’individualise donc en véritable personnage, et cette personnalisation, tout comme dans certaines utopies du XVIIIe siècle (voir Voltaire avec Candide, ou Swift), introduit « une problématique conflictuelle : conflit de la différence et de l’identité, de la passion et de l’ordre social, de l’individu et de la collectivité, de la rationalité étatique et de l’aspiration personnelle »[7]. Par Katniss, l’ordre étatique se révèle oppressif, totalitaire. Son nom a d’ailleurs une signification symbolique : c’est « le nom indien du Sagittaire » qui fera plus tard d’elle la Fille du Feu, surtout que la région d’où elle provient est minière. À cela se rajoute ce que son meilleur ami, Gale, entend lorsqu’elle se présente : Catnip, à savoir, « herbe des chats ». Dans la région, le katniss est également une plante de marécages dont les tubercules bleuâtres sont aussi bons que les pommes de terre. Une personnalité se révèle ainsi au travers de ces significations : une adolescente qui va à la découverte de la vie, de la maturité, par une initiation extrêmement dure. Elle découvre le monde et se découvre en même temps avec ses points forts et ses points faibles en apprenant à accepter les deux. Un objet à valeur symbolique est également lié à son nom : on peut avoir dans les Jeux des porte-chance comme la broche de Madge, la fille du maire, offerte à Katniss immédiatement après sa sélection : un geai moqueur, un oiseau d’or entouré d’un anneau qui a, lui aussi, une histoire.
Dans notre narration dystopique, une relation de causalité s’établit entre le passé et le futur : ce dernier est expliqué par le premier, tout comme dans le cas de l’utopie[8]. Si les utopies traditionnelles sont généralement dirigées vers le passé, « un passé agraire idéalisé » plutôt que vers un futur industrialisé qui ne représentait pas le signe de la terre promise[9], la dystopie nous situe dans un pays et un territoire connus, dont la projection dans le futur est effectivement menaçante. Si l’utopie est « positionnée » dans un non lieu, notre dystopie est placée dans un cadre familier, celui de l’Amérique. Sauf que, c’est une Amérique du futur, résultat des méfaits de l’industrialisation et de l’économie du marché. Le monde que le personnage narrateur est en train de découvrir n’est autre que son propre pays avec ses différentes facettes, généralement cachées ou interdites au plus grand nombre.
Le terme dystopie peut désigner dans ce contexte tout ce que le terme utopie engendre, à savoir « des objets aussi divers et aussi mal cernés que des ‘états d’esprit’, des catégories mentales, des mouvements sociaux, des aspirations collectives, des constructions politiques »[10], manifestés, évidemment, dans un monde totalitaire. Hunger Games est une dystopie narrative, « un tout narrativo-politique » qualificatif attribué par Vita Fortunati[11] avec référence à l’utopie, « à condition de donner au mot politique une acception élargie qui ne se borne pas aux seules constructions institutionnelles, mais englobe l’ensemble des pratiques humaines de la cité : idéologies, échanges économiques, relations sociales, urbanisme, etc. »[12].
Ainsi, dans notre Capitole, on pourrait dire que même la population qui vit dans un bien-être « total », la population à laquelle rien ne manque théoriquement, est tenue dans une totale ignorance. De ce point de vue, sa liberté n’est pas plus large que celle des habitants des districts, elle est fausse en effet et se limite à ce que le matériel pourrait offrir. Le syntagme Panem et circenses est tout aussi valable pour eux qui, il est vrai, mangent du pain à leur faim et même plus (à un moment donné, lors d’un banquet, est utilisée une variante moderne des vomitoires). Le bonheur existe-t-il dans un cadre pareil ? Peut-on même en poser ce problème ? Le réel que cette société engendre est en vérité une illusion bien plus grave et bien plus douloureuse qu’ils ne pourraient l’imaginer. Les dirigeants, qui « savent » tout, doivent être les plus malheureux de tous pour vivre en permanence sous le signe de l’inquiétude, de la peur de ne pouvoir maintenir le fonctionnement artificiel d’un monde. Ceux qui ont peur eux-mêmes, n’ont que la peur à semer. Comment pourraient-ils en faire autrement tant que l’on ne reçoit que ce que l’on donne, comme la réaction en boomerang des Jeux de la Faim auxquels Haymitch lui-même avait participé ?[13]
[…] l’espace n’est pas un donné, ou un support passif du politique ; il joue un rôle causal, transformateur, et il est lui-même en devenir. En ce sens, l’espace est à la fois un élément positif ou un élément négatif du politique, puisqu’il peut limiter les champs du possible en politique autant qu’il peut les ouvrir.[14]
Il permet l’existence d’une « spatialité de l’injustice » et d’une « injustice de la spatialité ». Par son analyse des valeurs de l’espace urbain en tant que lieux du politique, Mustafa Dikeç nous fait penser au Capitole comme ville politique, les douze districts de Panem pouvant bien représenter le « reste », constitué par ceux qui « sont pris au piège de l’espace » ou « enchaînés à un lieu » par une politique du « zonage ». Ces éléments se retrouvent non seulement entre le Capitole et les « zones », mais dans le cadre même du Capitole où tous les habitants ne jouissent pas des mêmes conditions de vie. Il y a dans chaque district la partie riche et la partie pauvre de la population. Katniss appartient à l’une des familles de mineurs du douzième. Ce district est encerclé par un « grillage de barbelés […] électrifié vingt-quatre heures sur vingt-quatre »[15]. Au-delà du grillage se trouve la forêt où abondent les dangers : des carnassiers prédateurs. Le quartier pauvre, appelé la Veine sépare la population pauvre de la classe commerçante, les deux étant liées en quelque sorte par la Plaque, le marché noir. Les rapports entre les districts, chacun spécialisé en certains produits, sont très réduits.
Dans leur article sur la dystopie et les histoires, R. Baccollini et T. Moylan développent une idée qui s’applique parfaitement à notre texte et que nous reprenons dans ce qui suit. Il s’agit, dans notre cas également, d’une construction autour d’une narration de l’ordre hégémonique et d’une contre-narration de la résistance[16]. Le texte ouvre in medias res, dans la société cauchemardesque. La séparation cognitive est d’abord anticipée par l’immédiateté et la normalité de l’emplacement. Il n’est pas nécessaire de rêver à ou de voyager vers cet endroit de la vie de tous les jours. Comme en beaucoup des textes de science-fiction, le protagoniste aussi bien que le lecteur sont déjà dans le monde en question, immergés dans cette société de manière irréfléchie. Toutefois, une contre-narration se développe pas à pas, par le déplacement du citoyen dystopique du contentement apparent vers une expérience de l’aliénation et de la résistance. La structure stratégique de la narration et de la contre-narration est réalisée par l’utilisation sociale et antisociale du langage. Le conflit du texte tourne autour du contrôle du langage. L’ordre officiel, hégémonique est basé tant sur la contrainte que sur le consentement. La force matérielle de l’économie et l’apparat d’État contrôlent l’ordre social et le maintiennent. Mais le pouvoir discursif exercé dans la reproduction du sens et l’interpellation des sujets est une force complémentaire et nécessaire. Le langage est une arme pour le maintien de la structure dystopique. Par conséquent, la résistance du protagoniste dystopique commence souvent par une confrontation et la réappropriation du langage jusque là interdit, ou bien devenu propagande. Ce processus par lequel on reprend le contrôle du langage, des représentations, de la mémoire et de l’interpellation est une arme et une stratégie cruciales vers le déplacement de la résistance d’une prise de conscience initiale vers une action qui conduit à un événement crucial qui tend à changer la société. À l’opposé du plan utopique de déplacement, d’éducation et de retour d’un visiteur informé, la dystopie produit son propre « compte rendu » didactique sur l’affrontement résulté de la confrontation critique avec les contradictions de la société présente dès la première page[17].
L’évolution de Katniss est reflétée dans le langage. Une enfance difficile du point de vue matériel mais entée sur un caractère fort conféré par l’harmonie familiale et l’amour se trouvent à l’origine de sa personnalité. C’est à partir de l’âge de presque douze ans qu’elle est obligée de transgresser l’interdit en dépassant les « frontières » imposées par les autorités à la recherche de la nourriture. Le véritable courage naît en conditions de crise profonde. Les privations entées sur l’amour libèrent.
Elles représentent d’abord une lutte pour la survie : « De toute façon, Gale et moi sommes d’accord : entre crever de faim et recevoir une balle dans la tête, mieux vaut une mort rapide »[18]. Le phénomène qui provoque l’humilité et par lequel la population de Panem peut être dominée est de nature purement psycho-physiologique : la faim et, lors des jeux proprement dits, la soif. Mais, dans le cas de Katniss, ces privations prennent vite la forme du sacrifice de soi exprimé tant par les paroles que par les actes. Lorsque le tirage au sort fait entendre le nom de Prim, sa petite sœur, Katniss reste muette pour quelques instants pour vite reprendre ses esprits : « Je suis volontaire ! m’écriai-je. Je me porte volontaire comme tribut ! »[19]. Les mots prononcés par Katniss, comme ceux de Thésée qui veut sauver les jeunes d’Athènes, « Je me porte volontaire », dans le plus pauvre et le plus noir des districts, où rien d’intéressant n’arrive, surprennent et bloquent Effie Trinquet, la déléguée du Capitole, aussi bien que le maire : ils ne savent que dire, le « public » garde le silence, il n’applaudit pas. Au contraire, un premier signe de révolte se manifeste : « Une personne, puis deux, puis quasiment toute la foule porte les trois doigts du milieu de la main gauche à ses lèvres avant de les tendre vers moi. C’est un vieux geste de notre district, rarement utilisé, qu’on voit parfois lors des funérailles. Un geste de remerciement, d’admiration, d’adieu à ceux que l’on aime. » La réaction de Haymitch, ex-combattant dans les jeux, est elle aussi annonciatrice de futurs événements : « Elle me plaît ! […] Plus que vous tous ! […] Plus que vous tous ! crie-t-il en pointant le doigt vers la caméra. S’adresse-t-il aux spectateurs, ou bien est-il soûl au point d’insulter le Capitole ? »[20]. Ce Capitole qui disait indirectement au peuple de Panem : « Regardez, nous prenons vos enfants, nous les sacrifions, et vous n’y pouvez rien. Si vous leviez seulement le petit doigt, nous vous éliminerions jusqu’au dernier. Comme nous l’avons fait avec le district Treize »[21].
Le pouvoir, la force, imposées par un langage voilé qui cache une réalité cruelle sont bien évidentes depuis les premières formules, « Joyeux Hunger Games ! », ou « Bonne chance et puisse le sort vous être favorable ! », prononcées dans des circonstances d’une cruauté inimaginable. De même, les dénominations choisies : Pacificateurs pour la police, Capitole pour la capitale, la Corne d’abondance pour l’aide offerte aux tributs lors de l’entrée dans l’arène et qui devient le lieu des premiers massacres, le tessera, la Moisson, le Grand Cirque[22].
La signification de ces dénominations est contrecarrée par celle qui désigne le porte-chance de Katniss, la broche représentant un geai moqueur :
C’est un drôle d’oiseau qui représente une forme de camouflet pour le Capitole. Pendant la rébellion, ce dernier avait modifié génétiquement plusieurs espèces animales afin de s’en servir comme armes. L’une d’elles, le geai bavard, avait la faculté de mémoriser et reproduire des discussions entières. Exclusivement mâle, il regagnait toujours son gîte à la manière d’un pigeon voyageur. Le Capitole en a lâché un grand nombre au-dessus des régions où se cachaient des ennemis. Les oiseaux recueillaient ce qu’ils entendaient, puis regagnaient leurs centres pour les répéter. Les gens ont mis un moment à comprendre ce qui se passait dans les districts, comment leurs conversations étaient espionnées. Ensuite, bien sûr, les rebelles se sont amusés à inonder le Capitole de mensonges invraisemblables, et tout le monde en a fait des gorges chaudes. Puis les centres ont été fermés et les oiseaux abandonnés dans la nature pour mourir.[23]
Mais la nature ne suit pas les desseins des humains. Si bien que, accouplés à des moqueurs femelles, ces geais ont engendré une nouvelle espèce qui imitait non seulement la voix humaine, sans être cependant capables de prononcer des mots, mais aussi le chant des oiseaux. Ils étaient capables de reproduire des airs complexes s’ils trouvaient agréable la voix humaine qui les interprétait. Lorsque Rue meurt sous les yeux de Katniss, pour défier le Capitole et pour lui montrer qu’elle n’est pas d’accord avec la cruauté et qu’elle ne fait pas son jeu de manière volontaire, celle-ci chante une berceuse à Rue et cueille des fleurs dont elle couvre son corps avant qu’il ne soit « cueilli » à son tour par les hovercrafts. Sa chanson est reprise par les geais moqueurs[24]. Katniss comprend et fait siennes les paroles que Peeta avait prononcées sur la terrasse, avant l’entrée en arène : « […] je veux mourir en étant moi-même. Tu comprends ? […] Je ne veux pas changer dans l’arène. Me transformer en une espèce de monstre que je ne suis pas. […] Je voudrais seulement trouver un moyen de… montrer au Capitole que je ne lui appartiens pas. Que je suis davantage qu’un simple pion dans les Jeux »[25].
Katniss a du mal à mentir ; la rectitude de son caractère ne le lui permet pas ; c’est ce qui l’empêche de faire bonne figure devant les caméras lors des interviews avant et après les Jeux. D’un bout à l’autre de cette trilogie, Katniss reste le symbole de l’opposition face au régime oppressif et de la route vers la maturité – hâtée par sa position et par l’évolution mouvementée des événements – qui la rendent sage. Elle apprend que dire la vérité en face, comme un défi, n’est pas toujours la meilleure solution. À la fin, quand le régime dictatorial de Snow s’effondre par un terrible massacre des enfants du Capitole et par la mort de Prim, Katniss change de tactique : elle fait semblant d’entrer dans le jeu de Coin, la chef de la révolte et dirigeante du district Treize qui fonctionnait en cachette comme une sorte de service de Sécurité, celle-ci proposant de finir cette révolte par une dernière reprise des jeux cruels ayant cette fois comme tributs « les enfants des personnes qui détenaient le plus de pouvoir », c’est-à-dire des enfants du Capitole, au lieu d’éliminer tout sa population. Ce faire semblant est doublé par la prise de conscience d’une autre réalité troublante : si on veut arrêter les massacres et donner un sens à cette révolte sanglante, c’est Coin qui doit être éliminée, et Katniss tue pour la dernière fois.
Jeux-encrages
La mythologie classique y est de mise. La trilogie dystopique prend la forme d’un mythe moderne adapté en fonction des changements opérés par l’époque historique vécue. Dans la Rome antique, l’autorité céleste et terrestre était représentée par le Mons Capitolinus. Aux États-Unis contemporains, au Capitole de Washington D.C. siège le Congrès américain (Sénat et Chambre des représentants) tandis que dans chacune des capitales des cinquante États américains se trouve un capitole qui abrite la législature de l’État. Dans Panem, la seule autorité législative est celle du Capitole et la seule indication qui pourrait renvoyer à une autorité non terrestre réside dans la formule « Puisse le sort vous être favorable ! », formule adressée aux tributs qui vont entrer dans l’arène et dont un seul survivra.
D’après J. M. Racault, « l’imagination n’est pas une faculté d’invention, mais une faculté de combinaisons, nécessairement condamnée, si l’on ose dire, à faire de l’Autre avec du Même : comme la Chimère du Discours de la méthode, façonnée à partir d’‘une tête de lion entée sur le corps d’une chèvre’, l’imagination procède par raboutage de pièces empruntées au réel »[26] plus ou moins rapproché ou à la mythologie ; le roman Hunger Games serait, dans ce contexte, la preuve du fait que, dans le parcours de l’humanité, il y a des schémas qui se répètent perpétuellement mais qui habitent de nouvelles formes et de nouveaux espaces auxquels ils s’adaptent. En fin de compte, la leçon à apprendre est la même, elle s’adresse à chaque fois à ces nouvelles formes qui constituent l’humanité du moment. Qu’y a-t-il de vérifiable de la réalité d’aujourd’hui dans les Hunger Games ? L’économie du marché, le luxe démuni de finalité à long terme offert par les découvertes de la technique, une humanité, qui a oublié son essence et qui se laisse aller dans un bonheur illusoire marqué par le bien-être matériel, par les spectacles qui lui donnent l’impression de vivre par délégation (voir la téléréalité).
On constate avec surprise que l’intellectuel n’a pas de place dans ce contexte : les enfants, comme Prim, la sœur de Katniss, vont à l’école, mais on ne parle de livres qu’au passage, seulement des programmes télévisés ou de choses très concrètes : « À l’école, presque tout se ramène au charbon. Hormis l’apprentissage de la lecture et des mathématiques, l’essentiel de notre instruction est lié au charbon. À l’exception du sermon hebdomadaire concernant l’histoire de Panem, dans lequel on nous rabâche tout ce que nous devons au Capitole »[27]. Les seuls livres mentionnés au cours de l’histoire sont ceux de plantes, la pharmacie naturelle de la mère de Katniss, sorte de « magicienne » qui s’occupe des malades du district Douze. De même, Peeta, le talentueux boulanger, peint, fait des gâteaux artistiquement décorés. L’art sert également dans l’industrie de la mode et dans celle de la chirurgie esthétique : les habitants du Capitole s’intéressent aux deux. Les émissions télévisées, ces jeux même, avec les jours qui les précèdent, peuvent relever de l’art. Les spectateurs participent en direct aux Jeux de la Faim, aux massacres, et ils éprouvent une joie immense, leurs émotions sont éveillées et purgées. Comment pourrait-on appliquer dans ce contexte l’idée reprise par Wolf Lepenies[28] aux cours hégéliens sur l’esthétique et la philosophie de l’art ? Hegel soutient que le beau de l’art, comme un génie amical, traverse toutes les préoccupations de la vie et pare avec sérénité toutes les circonstances en adoucissant le sérieux des relations et les complications de la réalité, en nous remplissant de manière divertissante les moments de repos ; ainsi, insidieusement, là où on ne peut plus réaliser quelque chose de bon, il occupe du moins la place du mal mieux que le mal lui-même. On dirait que dans les Hunger Games l’art, du moins pour le Capitole, a dépassé ces limites, qu’il n’est plus capable de masquer le mal.
Les renvois à l’histoire, les allusions aux jeux olympiques de l’antiquité grecque, aux luttes des arènes romaines ne sont pas difficiles à discerner. Le canevas est très simple : une société totalitaire, despotique même, ayant une organisation spécifique avec un sérieux appareil de répression masqué sous des dénominations suggestives. Même la coïncidence entre le nombre des jeux olympiques de la Grèce antique et celui des Hunger Games est suggestive. Les conclusions sont tout aussi simples : il y a des schémas qui se répètent, l’humanité ne peut pas trop changer d’une génération à l’autre, d’un siècle à l’autre, d’un millénaire à l’autre. Si Katniss se révolte et ose changer l’habitude des jeux c’est que d’un côté le public a besoin de nouveauté et que, de l’autre côté, le changement de mentalités se produit lentement. Ceux des premiers jeux de la faim avaient plus peur, ils n’étaient pas encore détachés des événements cruels qui leur avaient donné naissance. On peut en même temps remarquer la perte graduelle de repères dans notre monde : si les Jeux Olympiques avaient derrière eux une tradition religieuse, s’ils étaient avant tout organisés en l’honneur des divinités[29], le monde romain les a transformés petit à petit en preuve de sa faiblesse et de sa cruauté. Il faudrait se rappeler, en ce sens, les réflexions de Montesquieu sur les causes de l’ascension et de la décadence de l’empire romain.
De nos jours, « jouer c’est gagner, ou du moins c’en est la perspective. […] Mais cela n’est pas jouer. C’est se soumettre dans la plus totale ignorance, à des calculs de probabilité très poussés qui sont réalisés par des entreprises de jeux de loterie, dont le but est évidemment de se garantir un minimum de gagnants aux prétendus jeux qu’elles proposent »[30]. Observation banale au premier abord, mais combien de choses essentielles se cachent sous le masque de la banalité ? Seulement les spécialistes savent aujourd’hui qu’« autrefois, dans toutes les sociétés primitives et les civilisations antiques, le jeu avait un caractère initiatique. […] à l’origine, le but du jeu était le plus souvent de gagner sa vie, c’est-à-dire de gagner le droit de conserver sa vie, d’en être maître, de la ravir aux dieux. Pour le vainqueur du jeu, il s’agissait en quelque sorte d’une seconde naissance »[31]. Parti d’un point de vue spirituel, le jeu est devenu social, récréatif ou éducatif. De nos jours, les jeux « sont comme des espèces de rappel à l’ordre ». Il revient à chaque être humain de voir de quel ordre il s’agit. De celui dans lequel il se sert de l’imagination des autres pour se laisser dominer ou bien de celui qui « fait appel à l’imagination, à l’inspiration, à la réflexion, à la volonté » personnelles afin de comprendre que « la plupart des légendes mythiques ou des contes populaires sont plus ou moins des mises en scène de personnages évoluant dans un jeu : le jeu de la vie ! »[32]. Faudrait-il compter le nombre des épreuves auxquelles Katniss répond pour les assimiler aux travaux d’Héraclès que Didier Colin met en rapport avec les signes du Zodiaque, chacune de ses victoires représentant une étape de gagnée dans la connaissance et la conscience de soi ? Le labyrinthe qui enferme le Minotaure, vu en analogie avec le cercle, la croix et la spirale peut-il être mis en rapport avec les soixante-quinzièmes Jeux de la Faim imaginés sous forme de cadran d’une montre géante qui offre aux tributs, à intervalles réguliers des surprises mortelles ? La construction du roman, par multiples de trois – chaque volume de la trilogie a trois parties, chaque partie comprend neuf chapitres – invite elle aussi à la réflexion. À l’appui de l’affirmation que les épreuves subies par Katniss peuvent être nommées initiatiques vient le final de la trilogie. Elle a été le symbole de la révolte, elle s’est sacrifiée pour un monde meilleur sans attendre pour cela de gouverner Panem. Au contraire, elle se retire dans sa maison du district Douze pour mener une vie tranquille à côté de Peeta et leurs deux enfants. Par ces derniers, l’espoir refait surface. Car qui voudrait avoir des enfants sous la menace des Jeux ?
En tout état de cause, pour créer cet univers dystopique, Suzanne Collins n’aurait pas pu trouver une assimilation plus appropriée du passé avec le présent que celle visant les séries de téléréalité. Il ne faut penser qu’à la série Big Brother[33] depuis 1999, en référence avec le personnage du roman Nineteen Eighty-Four d’Orwell qui surveille tout le monde. Dans le jeu de cette série, douze participants sont enfermés pendant plusieurs semaines sous surveillance continue d’un système vidéo.
Au seuil de la mort, les tributs des Hunger Games sont conscients du fait qu’ils offrent un spectacle sur le vif. Dans ces conditions, ils jouent la « comédie » : « Un baiser égale un pot de bouillon. Je ne peux pas le dire à haute voix. Cela donnerait à penser au public que notre belle histoire d’amour n’est qu’une comédie destinée à inspirer la sympathie. Ce n’est pas comme ça qu’on obtiendrait de la nourriture. Je dois trouver un moyen crédible de relancer la mécanique »[34]. Ou bien « Le district Douze doit être en ébullition. Il est si rare que nous ayons encore des tributs à ce stade des Jeux. Les gens doivent vibrer pour Peeta et moi, encore plus maintenant que nous sommes ensemble. Si je ferme les yeux, je parviens à imaginer leurs cris d’encouragement devant l’écran. Je vois leurs visages – Sae Boui-boui, Madge ou même les Pacificateurs qui m’achètent mon gibier – en train de nous acclamer »[35].
Pour faire le point
Beaucoup de choses restent encore à dire. Mais partant de ce qui a été déjà dit, nous pouvons conclure que l’histoire de l’humanité est constituée de la répétition à l’infini des schémas existentiels, que le but de l’être humain est la quête de soi qui se réalise le plus souvent par la mise à l’épreuve. Plus les épreuves sont dures, plus on a la possibilité de se découvrir. En fin de compte, les écrits dystopiques ont un rôle positif et la mission de la science-fiction spéculative devient très importante.
Bibliographie
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http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_dystopian_literature, consulté le 12 septembre 2012.
Notes
[2] Hunger Games pour le premier, le même pour les deux autres qui ajoutent en sous-titre L’embrasement, respectivement La révolté. Le premier volume comprend trois parties : « Les tributs » (9), « Les jeux » (18), « Le vainqueur » (27) ; le deuxième : « L’étincelle », « L’expiation », « L’ennemi » ; le troisième : « Les cendres », « L’assaut », « La meurtrière ».
[3] Lyman Tower Sargent, « The Three faces of Utopianism Revisited », Utopian Studies 5.1., 1994, p. 1-37 : « Utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space; Eutopia or positive utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space that the author intended a contemporaneous reader to view as considerably better than the society in which the reader lived; Dystopia or negative utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space that the author intended a contemporaneous reader to view as considerably worse that the society in which that reader lived as distinct from Anti-utopia – a non-existent society described in considerable detail and normally located in time and space that the author intended a contemporaneous reader to view as a criticism to utopianism or some particular utopia. » Cité en notes par Raffaella Baccolini et Tom Moylan « Dystopia and Histories », in Dark Horizons. Science Fiction and the Dystopian Imagination, éd. Raffaella Baccolini et Tom Moylan, New York, London, Routledge, 2003 (p. 1-12), p. 9.
[5] Suzanne Collins, Hunger Games, traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume Fournier (The Hunger Games, New York, Scholastic Press, 2008), Pocket Jeunesse., 2009, p. 24.
[6] Suzanne Collins, Hunger Games. L’embrasement, traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume Fournier (The Hunger Games, New York, Scholastic Press, 2009), Pocket Jeunesse., 2010, p. 179-180.
[7] Jean-Michel Racault, L’utopie narrative en France et en Angleterre. The Voltaire Foundation at the Taylor Institution, Oxford, 1991, p. 31.
[11] Citée par J.-M. Racault, op. cit., p. 4, de La letteratura utopica inglese, Ravenna, 1979, p. 8.
[13] Suzanne Collins, Hunger Games II, ed. cit, p. 207-209. Lors de l’édition des Jeux à laquelle il participe comme tribut, Haymitch découvre « une bande de terre nue et sèche qui s’achève en à-pic », au pied de laquelle « on aperçoit des rochers. […] Un caillou roule sous son pied et tombe dans le gouffre. Une minute plus tard, alors qu’il s’est assis pour souffler un moment, le caillou émerge du vide et retombe juste à côté de lui. […] Il lance une grosse pierre dans le vide et attend. Quand la pierre lui revient dans la main, il éclate de rire. » C’est grâce à cette découverte qu’une hâche qui tombe dans le même précipice revient pour tuer son adversaire et pour faire de lui le tribut vainqueur.
[14] Mustafa Dikeç, « L’espace, le politique et l’injustice » : « La notion de ‘spatialité de l’injustice’ se fonde sur l’idée que la justice a une dimension spatiale, et qu’on peut observer et analyser différentes formes d’injustice qui se manifestent dans l’espace. L’‘injustice de la spatialité’, elle, renvoie non aux manifestations spatiales de l’injustice mais aux dynamiques structurelles qui produisent et reproduisent l’injustice par le biais de l’espace. » Un double intérêt donc, pour les manifestations spatiales de l’injustice d’un côté, pour les processus qui produisent les injustices spatiales de l’autre. Dans ce contexte, Dikeç cite le sociologue Loïc Wacquant qui, en 1999, parlait des « images dystopiques de la ville américaine » en faisant référence aux émeutes des banlieues américaines qui ont influencé les banlieues françaises. Il s’agit de l’article « America as social dystopia: The politics of urban disintegration, or the French uses of the ‘American Model’ », in P. Bourdieu et al. (eds), The Weight of the World: Social Suffering in Contemporary Society, Trans. by P. P. Ferguson et al. [La misère du monde, 1993, Editions du Seuil, Paris] (Stanford University Press, Stanford), pp. 130-39.
Document en ligne, http://www.jssj.org/archives/01/media/dossier_focus_vt6.pdf, p. 2, 8, consulté le 30 août 2012.
[16] R. Baccolini et T. Moylan citent Jameson Fredric, The Seeds of Time,New York: Columbia UP, 1994, p. 56, in art. cité, p. 8.
[22] À cela se rajoutent les noms de quelques personnages. Les stylistes s’appellent : Venia, Octavia, Portia, Flavius, Cinna. Claudius (Templesmith) est le médiateur ou le modérateur aux jeux ; il est celui qui s’occupe des interviews dans le cas des tributs, aussi bien que celui qui annonce les règles du jeu (par exemple quand les règles changent par rapport aux éditions précédentes « les deux tributs d’un même district seront déclarés vainqueurs s’ils sont les deux derniers en vie » (vol. I, p. 250). Un des tributs s’appelle Cato, d’autres personnages, Seneca, Caesar, Plutarch.
[26] J.-M. Racault, op.cit., p. 21, cite Descartes du Discours de la méthode, IV, in Œuvres et lettres, Bibliothèque de la Pléiade (Paris, 1958), p. 153.
[28] Wolf Lepenies, Ascensiunea şi declinul intelectualilor în Europa, Cluj-Napoca, Casa Cărţii de Ştiinţă, 2005, p. 102. Cité de Vorlesungen über die Ästhetik, in Id., Werke, vol. XIII, éd. par Eva Moldenhauer et Karl Markus Michel, Suhrkampf, Frankfurt a.M., 1970, p.16, paraphrasé par nous d’après l’« Introduction » de la traduction roumaine », Prelegeri de estetică de D.D. Roşca, vol. I, Bucureşti, Ed. Academiei R.S.R., 1966, p. 9.
[29] Un seul exemple nous paraît édifiant. La mise en parallèle de la signification de la Moisson dans Panem avec celle de l’antiquité grecque et du monde chrétien.
Du bouc émissaire au plaisir tragique, le sens du mot moisson peut être lié toujours à la Grèce antique, à la purification de la cité. L’adjectif katharos, associe la propreté matérielle, celle du corps (il s’applique à l’eau, au grain également), et la pureté de l’âme, morale ou religieuse. Purifier la cité « nettoyer, purifier, purger » renvoie en particulier au rituel d’expulsion pratiqué à Athènes la veille des Thargélies. Au cours de ces fêtes, traditionnellement dédiées à Artémis et à Apollon, on offrait un pain, le thargêlos [θάργηλος], fait des prémices de la moisson ; mais il fallait d’abord purifier la cité, en expulsant des criminels (cf. lexique d’Harpocration : « Les Athéniens, lors des Thargélies, excluent deux hommes, comme exorcismes purificatoires, de la cité, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes »), puis des boucs émissaires, selon le rituel du pharmakos [ϕαρμακός]. Apollon lui-même est dit katharsios [καθάρσιος], purificateur, d’ailleurs contraint à la purification après le meurtre de Python à Delphes : selon le Socrate du Cratyle, il est bien nommé apolouôn [ἀπολούων], « qui lave », dans la mesure où la musique, la médecine et la divination qui le caractérisent sont autant de katharseis [καθάρσεις] et de katharmoi [καθαρμοί], de pratiques de purification (405a-c). Barbara Cassin, Jacqueline Lichtenstein, Elisabete Thamer, Dictionnaires le Robert, Le Seuil, 2003. Cf. http://robert.bvdep.com/public/vep/Pages_HTML/CATHARSIS.HTM.
Dans le même ordre d’idées, « la fête de la Pentecôte fait partie des trois fêtes dites de « Pèlerinage ». La Bible lui donne différents noms : Fête des Moissons (Exode 34 :16) – Fête des Semaines (Exode 34 :12) – Fête des Prémices (Nombres 28 :26). La tradition rabbinique l’appelle aussi « Fête des Clôtures » du cycle pascal. Cette appellation marque la liaison qui a toujours été établie dans la liturgie juive entre Pessah (Pâque) et Chavouoth (Pentecôte), liaison concrétisée, dès les temps bibliques, par l’OMER : l’offrande de la première gerbe de la moisson (Lévitique 23 : 9-17). Cette offrande devait être faite le lendemain du jour de Pâques ; après quoi, on pouvait manger de la nouvelle récolte. » Cf. http://www.rosee.org/rosee/page41.html. Sites consultés le 22 septembre 2012.
[30] Didier Colin, Dictionnaire des mythes, des symboles et des légendes, Hachette Livre (Hachette Pratique), 2006, p. 309.
Dystopian worlds in the writings of Canadian women of Asian descentDystopian worlds in the writings of Canadian women of Asian descent
Marian Suciu
Babeş-BolyaiUniversity,Cluj-Napoca,Romania
suciu_marian0@yahoo.com
Dystopian worlds in the writings of Canadian women of Asian descent
Abstract: The paper analyzes the realistic worlds recreated by Canadian writers of Asian descent and proves that, althoughCanada is a multicultural country representing itself as a utopia, discrimination and racism survive as a contemporary scourge. Moreover, the paper will relate in more detail to the historical situations depicted in the novel.
Keywords: Canadian literature; Chinese Canadian; Japanese Canadian; Vietnamese Canadian; Ethnic discrimination; Racism; Femininity; Maoist utopia.
Since the first days of the European colonization ofNorth America, its territory was seen by many as the land where dreams come true, making hundreds of thousands of people come and try to find a better life there. As in the past, mass media still makes us believe today thatCanadaand theUnited States of Americaare utopian worlds where you can live a perfect life and, to a certain extent, they are right.
North Americawas not everybody’s Promised Land, because back then only the white immigrants had the right to lay the foundations of a new life and get rich, while the African and Asian immigrants were treated as slaves. Meanwhile, things changed and African and Asian immigrants obtained equal rights, but this cannot compensate for the suffering and humiliation those past generations had endured.
Starting with the middle of the nineteenth century numerous Chinese immigrants arrived in British Columbia in a desperate attempt to get rich overnight during the gold rush and “by 1860, Vancouver Island and mainland British Columbia had an estimated population of 7000. […] But when the gold began to run out, they moved on to other occupations in domestic service and agriculture, and then as railway builders”[1]. Unfortunately, not only did they not get rich, but also had to face discrimination and unjust laws in order to survive. Moreover, starting from 1885 a series of exclusionary acts were promulgated by the authorities in order to reduce the number of Chinese immigrants who came to Canada. They were forced to pay a “head tax” of $50 in order to enter Canada, which increased in time to $500[2]. Furthermore, in 1923 the Chinese Immigration Act prevented Chinese immigrants to enter Canada[3].
After the repeal of the exclusionary act in 1947 the families of Chinese residents were permitted to come to Canada[4]. Afterwards, the rate of Chinese immigrants to Canada started declining, because the People’s Republic of China enforced strict emigration laws isolating itself from the rest of the world, and only a few came from Taiwan and Hong-Kong. This lasted until the 1980s, when the Chinese communist system became more relaxed and new waves of Chinese immigrants started arriving in Canada, bringing annually “an average of 35,400 immigrants”[5].
Today the Chinese diaspora is one of the biggest minority groups inCanada, comprising more than one million Canadians of Chinese descent. Unfortunately, although the current Canadian legislation offers equal rights for all its citizens, Chinese and other minorities still need to fight modern racism and economical marginalization.
Jan Wong (1952- ), a Chinese Canadian woman writer, goes beyond Canadian racism in her novel Beijing Confidential. She describes the Chinese immigrant not only as a discriminated Canadian citizen, but also as an unwanted Chinese citizen in the People’s Republic ofChina. She also depictsChina’s transformation from and old empire with vast cultural heritage into a dystopian world.
Right from the start Wong, who embodies the authors memories in the novel, emphasizes that the Chinese are discriminated in Western countries by underlining that one of her grandparents came to Canada in 1881 and did not have to suffer the effects of the exclusionary acts, while the “other three grandparents had arrived at the turn of the last century, and had paid the discriminatory head tax on Chinese immigrants”[6]. Moreover, even today authorities do not see her as a fellow Canadian, although she is a third generation Chinese Canadian[7]. All of these facts point out that the Canadian utopian image, which is intensely popularized, is nothing more than an illusion. In addition,Canada is in reality a dystopian world where discrimination, social differences and ethnic stratification are major issues.
Wong goes on to criticize not only Canadian utopian images, but alsoBeijing’s old and new prefabricated and false utopian images which hide the true dystopian images. First of all, she critiques the Maoist regime for taking to extremes the utopian dream of national purification from the bourgeois elements by killing thousands of innocent Chinese and sending millions to camps of re-education through work during the Cultural Revolution period (1966-1967). Furthermore, she sees how the communist regime transformedChinainto a dystopian society, in which a father would denounce his bourgeois son to the authorities and a son would do the same to his bourgeois father.
Secondly, she explains how Beijingis today nothing more than a simulacrum city, since medieval buildings are torn down and replaced by skyscrapers, while in touristic areas authorities build replicas of traditional houses. Moreover, the new buildings, as in the case of the hotel in which Wong’s family stayed during their trip to China, provide the maximum comfort by offering air conditioning. On the opposite, if you stop the air conditioning or open the windows you suffocate[8], because on one hand the rooms have no other type of ventilation and on the other handBeijing is so polluted that the air is hardly breathable.
Thirdly, to Wong Beijing is a city of dystopian contrasts, because the rich Chinese live in big houses and drive expensive cars like Mercedes-Benz or Ferrari, while the poor who come to Beijing from small villages need to get a temporary permit for staying there and afterwards end up working and living on big construction sites, where they get only “20 Yuan ($2.6) a day”[9].
Beijingis also the dystopian world of the cell phone users. Here, although everybody has a mobile phone, they need to change their cell phone and cell phone numbers every three or six months[10], because they do not want their phone numbers to be published in telephone books. This makes them feel watched by the state and, if they let the telephone company publish their phone number in a telephone book, they would get assaulted eventually by telemarketing operators[11]. Unfortunately, this makes tracking an old friend impossible and losing your cell phone means losing all your friends’ phone numbers and all the possibilities to get in touch with them.
Wong lived for a long time as a stranger in both countries. InCanadashe would not be recognized as a Canadian, because she had an Asian face; inChinashe could not live as a Chinese as she was coming from a democratic country and other Chinese people took her for a spy. Although she was considered a stranger, she managed to become a successful career woman, truly a new woman who does anything in order to achieve her goals.
Similar to other modern women, Wong chooses to embrace a reporter career and be on the front lines of danger. Consequently, she is nearly kidnapped after the Tiananmen Squaremassacre and later on contracts a dangerous disease. Furthermore, she does not ignore her maternal attributions and finds the time to take care of her children’s education. All of these prove that women can both do dangerous jobs and take care of the household, deserving equal rights as men. On the contrary, other women prefer to obey their husbands in order to live peaceful lives in big houses and drive luxurious cars. Scarlet, Wong’s old friend, decides to be an obedient woman who can live a good life instead of being equal to men and possibly suffering from poverty[12].
Kerri Sakamoto’s novel The Electric Field deals with the discrimination problems faced by immigrants in Canada, which is also the subject of Wang Jan’s autobiographical novel, but unlike Jan, the former chose to focus on the Japanese immigrants who were forced to live in internment camps, and how they chose to deal with these experiences. In effect, Sakamoto describes the drama of the twenty thousand Japanese Canadians who lived in Canada before the beginning of the Second World War. These people “lived along the coast of British Columbia [and] engaged in fishing, farming, lumbering, manufacturing, trade, service[13], but were forced to abandon their jobs and houses after the bombing of Pearl Harbor and were relocated to internment camps in eastern Canada. This happened because the Japanese Canadians were seen by the Mackenzie King government as posing a risk to national security[14].
The Electric Field describes not only the experience of living in internment camps, but also the Japanese Canadian’s loss of identity. They feel like having no identity because they are not accepted by white Canadians as true citizens ofCanada, although many of them are second and third generation immigrants, and because they cannot identify with the Japanese cultural identity completely.
Asako Saito, a middle-aged spinster who takes care of her ill father and her irresponsible brother, used to live a quiet and reclusive life until Yano’s family moved next door. After moving there, Mr. Yano started to hold cultural and political meetings. Once Miss Saito accepted to attend his meetings and discuss with Yano and his wife Chisako about their life inNorth Americaand their living problem. Afterwards, she started having an identity crisis.
At first, Asako Saito questioned her identity as a Japanese ethnic, nihonjin, because she thought she neither looked nor acted like real Japanese. She even envied Yano’s wife for her ability to act as a nihonjin. But unlike Saito, who is a second-generation Japanese emigrant toCanada, Chisako is native Japanese and Saito should not have reasons to envy her ability to make ikebana arrangements or speak fluent Japanese, since she studied these things during her school years inJapan. Saito does not only bear a grudge against Chisako for her Japanese language and cultural knowledge, but she also looks at her with resentment since she is fluent in English.
Saito envies Chisako for the slightest of reasons, even for her colorful dresses that make her look like a “true Japanese lady from a samurai family”[15], unlike Saito who usually wears “quiet browns and navies”[16] clothes that make her look like a widow.
Saito is frustrated. Even though she studies Japanese “at a school from Port Dover”[17]she cannot always remember how to speak correctly and how to use specific expressions. This lack of memory can be noticed again when she meets Chisako for the first time and says hesitantly “Hajime mashite. Dozo yoroshiku”[18], which means “How do you do? Pleased to meet you”.
The novel focuses on how the second-generation Japanese emigrants toCanadadeals with the acculturation and deculturation processes. On one hand Mr. Yano, a nisei, who hates all Asian people married a native Japanese, speaks Japanese fluently and tries to understand and bring together the Japanese Canadian community. He manages to adapt to his new life inCanadaand live as a proud Japanese Canadian emigrant, after spending his youth in an internment camp. On the other hand Saito, who has tried to show her appreciation for Japanese culture and Japanese Canadian emigrants, wants nothing but to live a peaceful and secluded life.
Chisako, like Saito, feels that she does not belong to the Japanese ethnic world and tries to find an escape route from this world, but unlike Saito who secluded herself voluntarily, Chisako tries to run away by meeting with her hakujin lover, Mr. Spears. Unfortunately, Mr. Yano suspects her of adultery and after confirming it he decides to kill her, their kids, Mr. Spears, and finally commits suicide.
Another important character is Saichi, a cute girl who visits Miss Saito often and is in love with Mr. Yano’s son, Tam. Although Saichi comes often to see Saito, she regards her as a burden, because she behaves unfeminine. She usually sweats a lot, cannot stay in one place and visits Miss Saito without washing her face and without combing her hair[19] and this makes Saito judge the little girl for not respecting a gender scenario.
“Asako tries to put the [traumatic] past away”[20] and hides Yano’s flyers from her father who could get disturbed by those flyers, because they would make him remember the hard days he spent in the Canadian camps. She also hides the existence of Yano’s meetings from her brother and does not let him see the photos taken during the time he spent in the internment camp, thinking that by hiding them she could protect him from learning how he lived as a baby in the internment camp.
Although Saito tries to forget about the moments she spent in the Canadian internment camp, she remembers fragments of that period every day, because during that time she would have stay behind her older brother Eiji, who helped her live through those hard times.
Another reason why she cannot forget about her traumatic period is because she lives in the vicinity of Mackenzie Hill, which is associated by her and especially by Yano with “the prime minister. That bugger Mackenzie King”[21].
Kerri Sakamoto’s novel shatters again the Canadian utopian image of a multicultural country which embraces unity in diversity and sketches the picture of an ugly society full of discrimination where the individual identity is put under a question mark.
In her autobiographical novel, Ru, Kim Thúy presents her journey to a new utopian home after the Vietnam War (1955-1975) and describes how a Vietnamese immigrant integrates in the Canadian society. Unlike Kerri Sakamoto’s and Wang Jan’s model of Asian emigrant who came to Canada in hope of finding a better life, Kim Thúy explains the hardships she endured together with hundreds of Vietnamese in order to escape communist Vietnam. Furthermore, her novel does not offer only a critical perspective on the Canadian utopian image, but also an optimistic view, which gives us the true image of a multicultural Canada with it strong and weak points.
In this landscape of utopian Canada, Asian immigrants had access only to degrading jobs until the middle of the twentieth century, many of them accepting such jobs thinking that by doing so they could offer their children a better future. This is also the case of Kim’s parents who have come toCanadato work almost like slaves, hoping their children could get a better education in this country and would also be protected from communist ideological pressure.
Sadly, Kim finds out that Canadais not perfect and many people judge her family for not being Caucasian[22]. However, she has also found nice Canadians who help her and her parents adapt to the new environment: a salesman who offers her father a free red sweater, while somebody else gives them used mattresses, school colleagues who invite her daily to their home in order to help her adapt to the new lifestyle. In spite of the many hardships her family members face, uncle Seven and aunt Six have accomplished their American dream and now, they proudly own a stone house and a garden with roses and big old trees[23].
In the end, we may say that Jan Wong, Kerri Sakamoto and Thúy Kim manage to depict the real image of the multiculturalCanadaby depicting both its strong and weak points. Moreover, they have broken the myth of the utopianCanadaand have shown that this country is a dystopian world in which white people hardly accept Asian immigrants as equals, because they look and think different. Here the Asian immigrant or the Canadian of Asian descent does not know if he is a Canadian or an Asian.
Bibliography
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http://canlit.ca/reviews/unsettled_unsettling.
Chui Tina, Tran Kelly and Flanders John, “Chinese Canadians: Enriching the cultural mosaic”, in Statistics Canada, no. 11, 2005, p. 24-32,
http://thornlea.sharpschool.com/UserFiles/Servers/Server_119514/File/Library%20Classes%20Documents/Gr.%209%20Geography/chinesecanadians.pdf.
Judith Roberts-Moore, “Establishing Recognition of Past Injustice: Uses of Archival Recors in Documenting the Experience of Japanese Canadians During the Second World War”, in Archivaria no. 53, 2002, p. 64-75,
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Kim Thúy, Ru, trans. Sheila Fischman, Random House Canada,Toronto, 2012, http://books.google.ro/books?id=2E0Gbyg0uCgC&printsec=frontcover&dq=Th%C3%BAy+Kim&hl=en&sa=X&ei=XY96UsWcDYn74QTelYHACg&ved=0CC4Q6AEwAA#v=onepage&q&f=false.
Sakamoto Kerri, The Electric Field, Vintage Canada,Toronto, 1998, http://books.google.ro/books?id=Qhi1gljT1TAC&printsec=frontcover&dq=kerri+sakamoto&hl=en&sa=X&ei=BR16UqOJJYKF4ASS-YHADg&redir_esc=y#v=onepage&q=kerri%20sakamoto&f=false.
Wong Jan, Beijing Confidential: A Tale of Comrades Lost and Found,New York, Random House LLC, 2010, http://books.google.ro/books?id=fFY4Zh8EWaQC&dq=jan+wong&source=gbs_navlinks_s.
Notes
[1] Tina Chui, Kelly Tran and John Flanders, “Chinese Canadians: Enriching the cultural mosaic”, Statistics Canada, no. 11, 2005, p. 24,
http://thornlea.sharpschool.com/UserFiles/Servers/Server_119514/File/Library%20Classes%20Documents/Gr.%209%20Geography/chinesecanadians.pdf.
[6] Jan Wong, Beijing Confidential: A Tale of Comrades Lost and Found,New York, Random House LLC, 2010, p.5, http://books.google.ro/books?id=fFY4Zh8EWaQC&dq=jan+wong&source=gbs_navlinks_s.
[13] Roberts-Moore Judith, “Establishing Recognition of Past Injustice: Uses of Archival Recors in Documenting the Experience of Japanese Canadians During the Second World War”, Archivaria no. 53, 2002, p.66, http://journals.sfu.ca/archivar/index.php/archivaria/article/view/12837/14056.
[15]Kerri Sakamoto, The Electric Field, Vintage Canada,Toronto, 1998, p.22, http://books.google.ro/books?id=Qhi1gljT1TAC&printsec=frontcover&dq=kerri+sakamoto&hl=en&sa=X&ei=BR16UqOJJYKF4ASS-YHADg&redir_esc=y#v=onepage&q=kerri%20sakamoto&f=false.
[20] Gay Beauregard, “Unsettled, Unsettling”, Canadian Literature, 2011,
http://canlit.ca/reviews/unsettled_unsettling.
Marian Suciu
Babeş-BolyaiUniversity,Cluj-Napoca,Romania
suciu_marian0@yahoo.com
Dystopian worlds in the writings of Canadian women of Asian descent
Abstract: The paper analyzes the realistic worlds recreated by Canadian writers of Asian descent and proves that, althoughCanada is a multicultural country representing itself as a utopia, discrimination and racism survive as a contemporary scourge. Moreover, the paper will relate in more detail to the historical situations depicted in the novel.
Keywords: Canadian literature; Chinese Canadian; Japanese Canadian; Vietnamese Canadian; Ethnic discrimination; Racism; Femininity; Maoist utopia.
Since the first days of the European colonization ofNorth America, its territory was seen by many as the land where dreams come true, making hundreds of thousands of people come and try to find a better life there. As in the past, mass media still makes us believe today thatCanadaand theUnited States of Americaare utopian worlds where you can live a perfect life and, to a certain extent, they are right.
North Americawas not everybody’s Promised Land, because back then only the white immigrants had the right to lay the foundations of a new life and get rich, while the African and Asian immigrants were treated as slaves. Meanwhile, things changed and African and Asian immigrants obtained equal rights, but this cannot compensate for the suffering and humiliation those past generations had endured.
Starting with the middle of the nineteenth century numerous Chinese immigrants arrived in British Columbia in a desperate attempt to get rich overnight during the gold rush and “by 1860, Vancouver Island and mainland British Columbia had an estimated population of 7000. […] But when the gold began to run out, they moved on to other occupations in domestic service and agriculture, and then as railway builders”[1]. Unfortunately, not only did they not get rich, but also had to face discrimination and unjust laws in order to survive. Moreover, starting from 1885 a series of exclusionary acts were promulgated by the authorities in order to reduce the number of Chinese immigrants who came to Canada. They were forced to pay a “head tax” of $50 in order to enter Canada, which increased in time to $500[2]. Furthermore, in 1923 the Chinese Immigration Act prevented Chinese immigrants to enter Canada[3].
After the repeal of the exclusionary act in 1947 the families of Chinese residents were permitted to come to Canada[4]. Afterwards, the rate of Chinese immigrants to Canada started declining, because the People’s Republic of China enforced strict emigration laws isolating itself from the rest of the world, and only a few came from Taiwan and Hong-Kong. This lasted until the 1980s, when the Chinese communist system became more relaxed and new waves of Chinese immigrants started arriving in Canada, bringing annually “an average of 35,400 immigrants”[5].
Today the Chinese diaspora is one of the biggest minority groups inCanada, comprising more than one million Canadians of Chinese descent. Unfortunately, although the current Canadian legislation offers equal rights for all its citizens, Chinese and other minorities still need to fight modern racism and economical marginalization.
Jan Wong (1952- ), a Chinese Canadian woman writer, goes beyond Canadian racism in her novel Beijing Confidential. She describes the Chinese immigrant not only as a discriminated Canadian citizen, but also as an unwanted Chinese citizen in the People’s Republic ofChina. She also depictsChina’s transformation from and old empire with vast cultural heritage into a dystopian world.
Right from the start Wong, who embodies the authors memories in the novel, emphasizes that the Chinese are discriminated in Western countries by underlining that one of her grandparents came to Canada in 1881 and did not have to suffer the effects of the exclusionary acts, while the “other three grandparents had arrived at the turn of the last century, and had paid the discriminatory head tax on Chinese immigrants”[6]. Moreover, even today authorities do not see her as a fellow Canadian, although she is a third generation Chinese Canadian[7]. All of these facts point out that the Canadian utopian image, which is intensely popularized, is nothing more than an illusion. In addition,Canada is in reality a dystopian world where discrimination, social differences and ethnic stratification are major issues.
Wong goes on to criticize not only Canadian utopian images, but alsoBeijing’s old and new prefabricated and false utopian images which hide the true dystopian images. First of all, she critiques the Maoist regime for taking ache plugin directory. –>
And They Died Happily Ever After: The Dystopian Constructions of Language and Death in Richard Brautigan’s Novel In Watermelon SugarAnd They Died Happily Ever After: The Dystopian Constructions of Language and Death in Richard Brautigan’s Novel In Watermelon Sugar
Adriana Teodorescu
“1 December 1918” University,Alba Iulia,Romania
adriana.teodorescu@gmail.com
And They Died Happily Ever After:
The Dystopian Constructions of Language and Death in Richard Brautigan’s Novel
In Watermelon Sugar
Abstract: The novel by the American writer Richard Brautigan, In Watermelon Sugar, published in 1968, has a rich history of criticism behind it, one that fails, however, to agree on the membership of the novel to the utopian family or, on the contrary, to the dystopian one; and, consequently, one that shows significant variation when it comes to establishing the relationship between utopian and dystopian elements. The present paper aims to demonstrate that certain functions of language and its ways of meta-textual usage, as well as the representation of death in Brautigan’s novel are strategic elements belonging to the profound textual logic, by virtue of which, what may at first appear as utopia (indeed what is one to a certain extent), turns into dystopia. From a perspective that belongs both to the literary studies and to that of death studies, we investigate the utopian occurrences of death (the good death, the tamed death, the denied death) and of the various representations of suicide. Apparently, suicide is only a form of disposal of the non-utopian element, but, in fact, it explodes the entire utopian semantics, contributing, in close conjunction with the function of language, to the settlement of Brautigan’s novel to full dystopia.
Keywords: Utopia; Dystopia; Richard Brautigan; In Watermelon Sugar; Language; Death; Suicide.
Double Introduction. The Approach of the Study and Some Considerations about the Cultural Taste of Watermelon Sugar
The third novel by the American writer Richard Brautigan, In Watermelon Sugar, appears for the first time in 1968, as part of the Western anti-cultural effervescence of the time, being, generally and superficially often seen as a utopia, as a parable of free-living in a perfect community, which both accepts and transcends its past, just as it accepts natural death as a phenomenon that raises no problems.
The novel can be summarized as follows: the literary presentation of a populated territory composed almost entirely of sugar melon, in an undetermined time, in which everything seems to work perfectly, as logic of functioning and with some exceptions. All the 375 inhabitants seem to be happy, living in a good communion around a building called iDeath, true “temple of banality”[1], in perfect equality with each other, working with joy and having neither shortages, nor curiosities. The ancient danger, the supra-rational tigers and users of human language, the ones who would eat people, was broken, these being completely exterminated, persisting only in the cult of their remembrance. In the very place where the last tiger was burned, just next to iDEATH, the authorities built a trout hatchery. Death is naturalized up to the ultimate trivialization, provoking no regrets to those who lost their loved ones and being followed, at a ritualistic level, by dances. The perfection of such a world is called into question by inBOIL’s gang of rebellious souls. inBOIL stands withdrawn in Forgotten Works, together with approximately 20 individuals dissatisfied with the life around iDEATH, a life which they regard as artificial and stupid. They look for the forgotten books that once filled the surroundings (and which were used by those in iDEATH as fuel) and they make whiskey from other objects which in the meanwhile became useless. It is of inBOIL that Margaret will fall in love with, a girl who still retains the curiosity of the past and who will commit suicide after the violent death, resulting from inBOIL’s gang demonstrative suicide.
In 1999, in the Encyclopedia of American Literature, Newton Smith characterizes Brautigan’s novel as “a parable for survival in the 20th century”[2] and notes that in it one can detect the concerns for the Eastern religions and their pronounced metafictional structure. Smith’s viewpoint on the novel is not the singular, on the contrary. He places himself in the fairly old tradition of interpreting the novel as a utopia, a tradition that extends up to the present. In a 2001 study, Kathryn Hume brings into question the neutrality of the narrator (an aspect often ignored by critics, in her view) and places it under the sign of the Zen philosophy, under that of stoicism and under that of psychomachia (or psychomachy)[3]. If we are to accept Hume’s approach, Brautigan’s book is a utopia because, although it depicts inBOIL’s rebellion, this representation of the revolt is correlated with a rather negative signification: strong emotions cause the eruption of violence in the surrounding world, the incoming of death which nobody can cope with.
Of the earlier interpretations that see Brautigan’s novel as a utopia, the one from 1974, belonging to Harvey’s Leavitt (who believes that what is put in the representation is a re-conquest of the paradise) distinguishes itself. iDEATH is a new Eden, a peaceful one this time, one from which of the temptation of knowledge is permanently driven away with the killing of the tigers. The narrator is Adam II, as Leavitt calls him, and he originates not from the dust, but from the crimes of the tigers and from rationality. The author of the study interprets the linguistic structure of iDEATH as being a triple allusion: to the death of the subconscious (desires are fulfilled), to the death of the super-ego (tigers are dead) and to the idea of death, an idea that now the inhabitants of this community no longer perceive as a consequence of a sin. Irrespective of the nuances of doubt or of the lack of consensus among such critics and logic/ethic of the world described by Brautigan, the prevailing conception is that the author’s intent is to achieve a literary utopia.
Yet, construal of Richard Brautigan’s novel as a utopia is countered by another line of interpretation, one according to which In Watermelon Sugar there is actually a dystopia at work, a sign that Brautigan ‘s watermelon sugar is not necessarily sweet and needs to be tasted in a cultural, dynamic, way. Unlike Kathryn Hume, for instance, Carolyn Blakely interprets the author’s silence on the interpretation of his work as self-evident: it is a silence of the pastoral parody and by no means a mark of the author’s consensus with the depicted world. Distortion, the author believes, is as unattractive as the world, profit-seeking, inhumane and decadent, to which it applies[4]: “Life in the new utopian society is a farce and does not represent a satisfactory escape for man from his tainted, modern world”[5]. Recently, Cosmin Perţa shows in a study that Brautigan’s writing is not a utopia in the classic sense, but nor can it be said to be a dystopia, or, in other words, it is both utopia and dystopia at the same time[6]. The author motivates this ambivalence by what is happening in the current era with the fantastic: it regresses structurally, but it evolves qualitatively. It this way it acquires a versatile and parasitic existence which complicates even the appearances.
The present enquiry does not aim at an exhaustive approach of the literary and cultural meanings of Brautigan’s work, nor will it have the ambition to untangle its complex narrative strategies or to elucidate its utopian valences (dystopian, respectively). Rather it will focus on the representation of death and on the themes of language, as fundamental anti-utopian constructs of the writing. In other words, our goal is to show that both the way in which death is depicted in the novel and the correlations that can be established between its representations and other elements of the narrative, as well as the surface and the depth functions performed by language within the novel, make it impossible to consider the novel only in terms of utopia. Moreover, based on these two elements, death and language, we shall see that utopia (can) exists (only) to the extent that anti-utopia is present as well, that the bewildered timelessness of utopia drags in the trail of her crawling the dying as a necessarily human activity, so it is arguable that the anti-utopia is at least just as specific for this novel as is the utopia.
The Desired, the Fable and the Convenient Language
The poetic quality of Brautigan’s language from In Watermelon Sugar is unquestionable. If Jaroslav Kušnír called the novel a linguistic fantasy[7], Ryan Britt sees in it “a collection of poetry, rather than the short novel”[8]. The poeticity comes from two sources: from the bizarre referentiality, immersed in a fantastic of the sugar melon, fully accepted as the only normal state, but also from the structure of the narratorial speech –simple, alert, almost child-like, according to Britt.
The language in Brautigan’s novel seems, at first sight, a utopian language, in tune which the utopian world which produces it and, reciprocally, to whose realization and confirmation it contributes. First, the language is one of desire; theoretically, of the expressed desire, because, as mentioned above, in an interpretation like that of Leavitt, the sub-conscious is dead. On the other hand, the super-ego is also dead, so the desire surfaces and becomes visible and it denies the possibility of any abyssal instance (a profound ego).
There are about 300 occurrences of the verb want, be it in the active voice or as participle, but more often is the first case. There is a sort of childhood of language (“Whatever baby wants, baby gets”), but only in a paradoxical way, as it requires an applied desire that emerges in the realm of a strongly rationalized psyche, this at the level of the characters, and at the level of the logic of the novel, the language of desire is implies staging, literary figuration of the act of fulfillment, because, in fact, the desire cannot stay but before the utopia (conditioning it causally), and within it, it is rather a form of re-storing (remembering) the desire.
Secondly, the utopian language of the novel is a language of weakness. That is, both a language of the ontological weakening, in a post-human sense, post-existential, and a language belonging to the convention of the new world. In utopia, everything is decided; everything pertains to a smooth normality, a luminous normality. Compared to the previous reality of the utopia, the language is inferior – it no longer contains the same variation (the negative feelings are abolished, disapprovals of the social sense and of the sense of community and so on and so forth) – and derivative – only a part of the links utopian language – non-utopian reality are still preserved, because the reality itself is changing, through utopian postulate and through the crystallizations in structures of reality of the new language (the power of the language to generate reality). Convenience appears as an effect of the adaptation of language to the utopian reality and, vice versa, of her challenge by the language, being a logical figure, but also a symbolic one, of repetition, seen as a typically utopian mechanism, of the qualitative equality of time, of the re-confirmation. The language of weakening cannot be included in the paradigm of Gianni Vattimo’s concept of weak thought. It involved the divorce from the metaphysical thinking and from the claim of the unique truth, while the weakening of language in Brautigan’s novel relates solely to the relationship with the pre-utopian or non-utopian reality.
In defiance of this weakness, inside the community surrounding iDEATH, a strong reality is born, a self-confident one, within which truths shine like the corpses clad in garments of sugar melon that glows from their glassy tomb. The dead which rot in coffins of glass, framed by the light, become a metaphor for the sense of the utopian existence and for the mechanisms by which the language rarefies vertically – it becomes irrelevant in depth – and grabs color horizontally – it becomes surprising to some extent, it gains flavor. Death is no longer a mystery, but an exhibit, just as the word is no longer only denotative, but also demonstrative.
The Anti-utopian Meaning of Language
Utopian language is blown from its very inside by the anti-utopian language of the character inBOIL, and from an inside which approaches rapidly the edges of the book as a fiction, by the language of the narrator himself. First, in what concerns inBOIL – whose name refers to the idea of outbreak, of reaching a point where changes occur (the process of boiling involves the transition from liquid to gas) – takes place a defiance of the rules concerning the use of words, and later of things. inBOIL begins by proclaiming the death of iDEATH (“To hell with iDEATH”[9]) and then by completely removing himself from the small happy community, scavenging through the old stuff and making whiskey from them:
He became very removed from people and then his speech would be strange, slurred and his movements became jerky and his temper bad, and he spent a lot of time at night in the trout hatchery and sometimes he would laugh out loud and you could hear this enormous laugh that had now become his, echoing through the rooms and halls, and into the very changing of iDEATH: the indescribable way it changes that we like so much, that suits us[10].
The contesting of the utopian reality is pursued also by this perversion of language into the de-structured word, into laughter.
InBOIL’s deeds, as well as the words that accompany them, are meant to show that the language from iDEATH does not mean what he wants them to mean, that the relationship between the reality the he produces and which, in its turn, sustains him, is precarious and arbitrary, and by no means cohesive and evident. Ryan Britt observes, regarding the language from Brautigan’s novel that “watermelons might not mean watermelon, and tigers might be a different creature all together”[11]. This non-coincidence between what the utopian language claims to stage and the way in which the utopian reality activates meanings and interpretations active in the reader’s mind is explained through inBOIL’s role in the general economy of the novel. The non-utopian ingredient of the utopian language activates the function of falsification of reality (function related to epistemology, and which emphasizes the quality of construct of the utopia).
Therefore watermelon sugar may not refer to watermelon sugar, but to a different substance, to another type of novel-structure, to another cluster of significations than the immediately (and possibly false) detectable ones. From this perspective, one can say that the truth is no longer self-evident and that what intervenes is the necessity of assuming the decision-taking capacity for one truth or another, and, at a meta-textual level, for utopia or for anti-utopia. InBOIL’s words will prove themselves all the more able to denounce a hidden reality inside the utopian reality, as they will be followed by the staged suicidal action as a show meant (designed) to effectively change the reality of iDEATH.
Secondly, the anti-utopian language is introduced through the instance of the character-narrator. It extends the desire, as reason for utopian world, at the level of the reader and, ultimately, at the level of the lecturer, and it gives him as object of desirability, the narrative strategic wool-ball (the heart of the writing) or even the narrator, thing which causes a circularity parallel to the one formed by the elements utopian language – utopian world, which counterbalances it as functionality of the utopian elements. The narrator’s name is not pre-determined, but, as a language-phenomenon it varies, according to all the rules of the postmodern textualism, in accordance with the reader’s interpretation:
My name depends on you. Just call me whatever is in your mind. If you are thinking about something that happened a long time ago: Somebody asked you a question and you did not know the answer. That is my name. Perhaps it was raining very hard. That is my name. Or somebody wanted you to do something. You did it. Then they told you what you did was wrong – ’Sorry for the mistake,’ – and you had to do something else. That is my name. Perhaps it was a game that you played when you were a child or something that came idly into your mind when you were old and sitting in a chair near the window. That is my name. Or you walked someplace. There were flowers all around. That is my name[12].
The dependence of the narrator on the reader signifies the dependence of the language of the book – in an instrumental and extended sense, on the text –, on the language which comes from the outside of the utopian world, an added language and with a role of interpretation and of trigger of the prime language. Consequently, to say that there exists such a dependence between the narrator and the reader means to say that there is a connection between the desire from the text (utopia) and the desire for the text (the interpretation of the utopia from the perspective of the reality) and it actually means that the reality of the utopia is threatened by its very form of fictional constitution. Through this linguistic configuration of the couple narrator-reader, the utopia opens through the inclusion of the freedom of decision and interpretation towards the anguishing and ambivalent reality (“dark and the moon seemed to rise from every plan”[13]).
The Good, the Tamed and Denied Death
As we noted in the second section of the present paper, death is fully visible. In the iDEATH community there appears to be fulfilled the theoretical and anthropological desideratum of the studies on death from the ’70s-’90s, to reinstate the reign of familiar death together with the popularization of some researchers of the death phenomenon, from a historic and anthropological point of view, among which the most well-known are, even in the present, Philippe Ariès[14] and Ernest Backer[15]. Ariès underlined the major mutation that occurred in the contemporary epoch of relating the human being to death. Instead of accepting the presence of death as inherent to the human being, the Occident chases death outside its current preoccupations, thus becoming incapable to confront itself appropriately with dying, as a natural process. For the French historian, death transforms itself from tamed into forbidden. In his turn, Becker draws attention to the negative psychological side of the contemporary habit of negating death. As death is, in his opinion, a reality of which the human individual is instinctively afraid (in this way defining him as being) the contemporary repression of death becomes psychologically dangerous and ontologically invalidating. Through repression it is understood not just the normal evasion from the direct confrontation with death – the negation that gave birth to the culture[16], but the attempt to minimalize, in a pathological manner, the reality of death, to extract it from the world.
Despite this, in In Watermelon Sugar, death appears to be re-integrated into daily life, re-naturalized, in a manner which would satisfy the nostalgic Ariès, who regretted the “technologization” and the “medicalization” of the modern era which have determined the wilding of death. Death in iDEATH has three chief characteristics, among which the first two make of it a desirable death to the specialists in Death Studies who criticize the attitudes of the contemporaneity in the face of death. It is good, tamed and denied. Death is good only because as it is defined by Ariès, it has a place at home, most often, among the people we know, lacking any violence, but rather because it happens as a natural consequence of living one’s life. It is the last stage of the consumption of life, which occurs not from an existential nothingness (Sartre), from a semantic and conceptual void (Jankélévitch), but in the logic of a natural process. Practically, death in iDEATH is, for the characters, the continuation of the utopian living from the time of life, the consuming of the same watermelon sugar, at the material level as well as at the physical, attitudinal level and at that of the representation of death. The graves buried in the river and not in the ground are also composed themselves of watermelon sugar and of rot and spread around light – and have five or six noctuid moths flying above them. The graves function as monuments of the future rather than forms of remembrance of the deceased persons: “we bury them all in glass coffins at the bottoms of rivers and put foxfire in the tombs, so they glow at night and we can appreciate what comes next”[17]. We also have a clear occurrence of the good death in the customs of the community which dances as a ritual for the celebration of someone’s death: “It is a custom here to hold a dance in the trout hatchery after a funeral. Everybody comes and there’s a good band and much dancing goes on. We all like to waltz”[18]. It is a custom which will be put into practice at the end of the book too after inBOIL’s and Margaret’s suicide, only that then, we will see that the ritual will tend to transform itself in rituality, it will devoid itself partially by its real affective content. Pauline asks herself, after Margaret’s suicide why and she experiences feelings of guilt which she seems to surpass towards the end, but which produce, nevertheless, a rupture in the perfect world of the iDEATH.
Nevertheless, death is also tamed because, although very present, it does not create anxieties, but forms the lucidity of the characters in respect with what follows. It is visible in the recounting of the narrator of the story of the death of his parents who were eaten by tigers that death in iDEATH is not a savage death. When the narrator was nine years old a few tigers came to the family’s breakfast to eat them both. The parents are quickly killed without even having time to articulate a word. While they feasted on the parents the tigers strive to calm the child down, tell him stories and apologize. Pragmatically, he refuses the story, but requests and accepts their help with the arithmetic.
’Don’t be afraid,’ one of the tigers said. ‘We’re not going to hurt you. We don’t hurt children, just sit there where you are and we’ll tell you a story.’ One of the tigers started eating my mother. He bit her arm off and started chewing on it. ’What kind of story would you like to hear? I know a good story about a rabbit.’ ’don’t want to hear a story,’ I said. ’OK,’ the tiger said, and he took a bite out of my father. I sat there for a long time with the spoon in my hand, and then I put it down. ’Those were my folks,’ I said, finally. ’We’re sorry,’ one of the tigers said. ’We really are.’ ’Yeah,’ the other tiger said. ’We wouldn’t do this if we didn’t have to, if we weren’t absolutely forced to. But this is the only way we can keep alive.’ ’We’re just like you,’ the other tiger said. ’We speak the same language you do. We think the same thoughts, but we’re tigers.’ ’You could help me with my arithmetic,’ I said.[19]
The death of the parents is tamed because the crime is justified: the tigers kill in order to survive. It is not a matter of hate, but one of need. In the world of iDEATH, they are, practically already tamed. Despite their intelligence the tigers cannot evade their role within the food chain, and they know this very well. The child does not show himself affected by the death of a significant other such as his parents. He discreetly reprehends the tigers, but then he thinks how to benefit of their solicitude and regret. Neither death as fear of death, nor death as loss of the Other do not pass the line of a non-problematic tolerance of the characters. Dying changes things in the life of the characters, but not to the extent of feeling the need of a meta-discourse, a reflexive discourse on reality, be it composed on the way of the religious or on that of the philosophic. Ultimately, a meta-discourse generated by death is a cultural discourse as the sociologist Patrick Baudry affirmed[20]. It is certain that both the good death and the tamed death work together in order to give birth to the negated death. Due to the fact that death does not structurally invalidate the way of the world – the tombs continue to shine in the dark being twofold submersed in a transparent medium (in the glass casket and in the water of the river) – and that it does not rise too much the average level of fear (that if there exists fear in iDEATH) we can conclude that death is negated. The absence of the active character of denial must not surprise. Generally speaking, the socio-cultural negation of death is not so much a matter of conscious individuality, but it has at its basis complex social processes, which are most often insufficiently realized.
Suicide and Cremation as Forms of De-structuring Utopia
The utopian realization of death is neither, in any way, absolute in Brautigan’s novel nor is it lacking in underlying critiques. Furthermore, since we have already brought into discussion Ariès and Becker who have opened the road of the research in the area of Death Studies on the actual cultural paradigm of the denial of death, we must signal the fact that this very theoretical conception on death is rather obsolete. This is so firstly, because it is considered that the socio-cultural realities have changed and that phenomena such as the extreme mediatization of death make death no longer so occult, and because there are researchers of death who contest the idea that death must be accepted and who believe that the negation of death is a normal trans-cultural form. For Patrick Baudry for example, the pathological negation is accomplished by means of mere trivialization. Thus, the researcher believes that there is a wild, untamable side to death[21]. In other words, from such a perspective, death in iDEATH in not only utopian, but also deformed from the point of view of a thanatological reality correctly filtered through the Death Studies theories. It is somehow obvious that the utopian death in the novel does not limit itself to be tames, but it is an ultra-tamed death. Between the two staged of representation of death there is no hierarchical step, an intensive difference, but an opposition, a powerful contrast.
inBOIL beaks the tradition of banal death and organizes a group suicide meant to be a sort of protest against the nature of iDEATH, of the Trout hatchery, of the Watermelon Sugar, of the entire utopian world. inBOIL never says what is it that he wants to demonstrate but in a negative manner: to demonstrate that things are NOT as they are, as they appear to be.
This place stinks. This isn’t iDEATH at all. This is just a figment of your imagination. All of you guys here are just a bunch of clucks, doing ducky things at your ducky iDEATH. (…) To hell with your iDEATH. I’ve forgotten more iDEATH than you guys will ever know.
This is what inBOIL tells Charlie and to other people when he decides to leave to Forgotten Works, ad when he comes to iDEATH in order to kill himself together with his gang, he states that “You guys don’t know anything about iDEATH. I’m going to show you something about it soon. What real iDEATH is like”. In inBOIL’s opinion, the only palpable thing relating to what iDEATH should be is tied to the imperative existence of the tiger. For inBOIL, the eradication of the tigers – of murder, no matter how rational, of aggressively – equals with the abandoning of the true calling of iDEATH, of the human organization of some sort or another). And the true destiny of iDEATH is the placement of the existence under the form of the utopian.
As the object of its challenge is the utopian sense, the semantic overflow, the language in which the desire met the reality and the other way around, inBOIL’s actions will display the non-sense and will place it under the apparent sign of the absurd through the re-claiming of a specific clause as well as through the chosen type of death: suicide. It is known that suicide, regardless of its causes and type, has always an anti-social component. That is, it is to some extent a critique of society. Giving death to yourself overlaps up to a point, with contesting to the society and to the culture in which you live the right to give yourself life, as well as the quality of this life[22]. Essentially it can be confirmed that inBOIL’s suicide presupposes an attack on the tamed and utopian dearth, an effort to turn wild death and infuse it with non-sense. The collective suicide, planned by inBOIL, is atrocious and seems to want to compete with the temporal extension of the utopia. inBoil feels, most probably, that the simple violent unplumb from the life within iDEATH would be insufficient as effect and, for that reason, he does so in provide the vision a prolonged, but quantum, in stages, suicide. Being in the heart of iDEATH, in the trout hatchery, he and his comrades hack themselves starting from the fingers and ending with their ears. Violence is no longer a solitary act, but through the blood that invades the place it converts into a symbol that visibly aims at all the members of the community. In order to be able to commit the autolytic actions, inBOILS’ gang uses alcohol, which is in its turn a socially demanding element, a drogue that attracts attention to the fact that the given reality is never enough.
Margaret’s suicide is received with a relative calmness by the community. Even the recount of the narrator who sees her die is pretty neutral:
I saw Margaret climbing an apple tree beside her shack. She was crying and had a scarf knotted around her neck. She took the loose end of the scarf and tied it to a branch covered with young apples. She stepped off the branch and then she was standing by herself on the air”[23].
But, beyond this reception, the violent interruption of the perfect life made of watermelon sugar announces that death will never again be “what we learn to know as death”. Margaret’s death brings into the foreground the anguish, the existential doubt and the negation of the utopian world’s sense (it can, thus, be seen that the lesson offered by inBOIL was learned).
The ritual-like pair of the suicide and of the death that is unwanted by the community in iDEATH appears to be the cremation. This is used, and not the burial, for the elimination of the former tigers’ bodies and it is also to the fire that inBOIL’s gang’s maimed bodies are condemned to.
Charley Took a six-inch match and set fire to the shack that contained inBOIL and the bodies of his gang. We all stood back and the flames went up higher and higher and burned with that beautiful light that watermelon trout oil makes[24].
Nevertheless, the burning is not without residue, the ash being dispelled and persisting in the perfect world of iDEATH: “As the flames diminished to very little, a strong wind came out of the Forgotten Works and scattered ashes rapidly through the air”[25]. The wind that spreads the ash will wave, a little time after, Margaret’s hanged body.
Moreover, there is another way in which violent death and cremation (the means of disposing of the dead bodies still considered by many to be extreme) become de-structuring elements of the edenic community of the utopia, which is coagulated around iDEATH: the intertextuality or the presence of the motivation beyond the book. The narrator writes his book which is just coming along. The remembrance and the very cult of the past does not necessarily affect the efficiency of the utopian world, and whether these are exclusively preserved in their rational data and whether they are accompanied by a forgetfulness of the participative living. This is what happens with the tigers whose memory is crystallized in the exterior, in the statue that represents them and in some tiger bones which can still be seen on the bottom of the river. But the purpose of a book is to put in motion the very living, being always, to some extent, an ontological affair[26]. In his way, if the utopia of the community in which death reaches the augmented degree of acceptance and of trivialization includes not only some occurrences of the violent death but also the very book that illustrates them, it means that the heart of the utopia, or better said, its sanguine, irrigating system is composed from the very matter it negates: the anti-utopia. The violence of death will not be forgotten, and it will not transform into benign signs (as the bones of the tigers did) of a past tense existence, but will remain a process which will unfold again and again with every reading of the book that the narrator writes and which, barely coincides with the very book that writes him[27].
This eminently postmodern status of the book within the book is emphasized by Jaroslav Kušnír as well, who notes that the narrator: is a writer writing an indefinite book which he never finishes but which seems to be, quite paradoxically, the book the reader has just read”[28]. Kušnír sees in this mise en abime the evidence of the postmodern multi-layering of Brautingan’s novel. None the less, he discusses the idyllic of the community and about inBOIL’s violence as being somehow separated and presented by the author as two alternatives of a vision about the world – alternatives which are intersect too little by means of the motivation of the book. Or, there may exist an interrelation between them: the idyllic world cannot exist without the violence with which it is threatened – and, on the other side, the aggressive world that inBOIL’s gang brings to life results also as an emanation of the utopia’s specific edulcoration, and can be interpreted as well as an attempt to recover the human ambivalence. The utopian repetition (“In Watermelon Sugar the deeds were done and done again”) does not solely belong to the idyllic world, but to its reactionary core alike – a core of the novel itself. Besides, the Narrator dreams again inBOIL’s suicide: “I had a long dream, which was again the history of inBOIL and that gang of his and the terrible things that happened just a few short months ago”[29].
Conclusions: The Nightmare of Living Forever in Watermelon Sugar
Death and language are subversive elements in Brautigan’s utopia. Both are used, in the first place, as elements of construction of the utopian world – the language is one of fulfilled desire and of convenience, and death is tamed as it does not raise any psychological problems of acceptance/or rejection, as none of the moments in which it unfolds is either unsuitable or denied as it no longer has reduced functions of coagulation and of generation of culture, but also as utopian contesting elements. Language is, less loyal to the world that it establishes when it is employed by inBOIL and by the narrator in its textualist hypostases, when it appears that there is the possibility that in its referentiality there may emerge falsity, if not the falseness itself. As for death, its banality is dashed by the suicide of inBOIL’s gang, by that of Margaret’s and by the cremation of the unwanted, shameful dead bodies of the suicidals, but also of the tigers. Without the dystopian content of the theme of the death and of the structuring of the language, Brautigan’s novel would display a facet as excessive and as schematic of the desire to live happily ever after. The utopia produces the dream of everlasting, and in a certain sense, it can really accomplish it, as it is the literary descendant of the topos of the medieval, earthly paradise[30], reaching the forever living in an non-ontological, figurative – at best, poetical – manner. However, in Brautigan’s work, this dream, candied and luminous, the death and the language continuously constructs longer and shorter nightmares – depending on the rapidity with which inBOIL, drunk as a fiddler, finds his ear in order to cut it off, and depending on the name which the reader attributes to the narrator.
This work was supported by the Romanian National Council for Scientific Research CNCS-UEFISCDI, grant number 54/2011 – PNII TE.
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Notes
[1] Cosmin Perţa, “Utopie şi distopie în zahăr de pepene de Richard Brautigan” [Utopia and dystopia in Richard Brautigan’s In Watermelon Sugar], în Luceafărul de dimineaţă, Bucureşti, nr. 7, 2012.
[2] Newton Smith, “Brautigan, Richard”, in Encyclopedia of American Literature (Ed. Steven R. Serafin), New York, Continuum Publishing, 1999, p. 122-123.
[3] Kathryn Hume, “Brautigan’s psychomachia”, in Mosaic: a Journal for the Interdisciplinary Study of Literature, 34.1(Mar 2001), p. 75-92.
[4] Carolyn Blakely, “Narrative Technique in Brautigan’s In Watermelon Sugar”, in CLA Journal 35 (2) December 199, p. 150-158.
[5] Ibidem.
[6] Cosmin Perţa, Op. cit.
[7] Jaroslav Kušnír, “Diversity of Postmodern Fantasy: Richard Brautigan’s In Watermelon Sugar and Donald Barthelme’s The Dead Father”, presented at PostModerne Produktionen Conference, University of Erlangen, Germany, November 23–25, 2001.
[8] Ryan Britt, “Genre in the Mainstream: Richard Brautigan’s In Watermelon Sugar”, in Tor.Com., 14 June 2011.
[9] To be noted, once again, the connection between death and language.
[10] Richard Brautigan, In Watermelon Sugar, Dell Publishign, 1974.
[11] Ibidem.
[12] Ibidem.
[13] Ibidem.
[14] Philippe Ariès, L’Homme devant la mort, Paris, Editions du Seuil, 1977.
[15] Becker, Ernest, The Denial of Death, New York, Free Press, 1973.
[16] Georg Simmel, La tragédie de la culture et culture et autres essais, traduits de l’allemand par Sabine Cornille et Philippe Ivernel, précédé d’un essai de Vladimir Jankélévitch, Paris, Rivages-Poche, 1988.
[17] Richard Brautigan, Op. cit.
[18] Ibidem.
[19] Ibidem.
[20] Patrick Baudry, “Paradoxes contemporains. Nouveaux rapports anthropologiques à la mort”, in Lenoir, Frédéric Lenoir and Jean-Philippe de Tonnac (eds.), La mort et l’immortalité. Encyclopédie des savoirs et des croyances, Bayard, 2004, p. 894-895.
[21] Patrick Baudry, La place des morts. Enjeux et rites, Paris, Armand Colin, 1999.
[22] Cf. Georges Minois, History of Suicide: Voluntary Death in Western Culture, The Johns Hopkins University Press, translated by Lydia G. Cochrane, 2001 [1995].
[23] Richard Brautigan, Op. cit.
[24] Ibidem.
[25] Ibidem.
[26] Hans-Georg Gadamer, Adevăr şi metodă [Truth and Method], traducere de Gabriel Cercel, Gabriel Kohn, Călin Petcana şi Larisa Dumitru, Bucureşti, Editura Teora, 2001 [Wahrheit und Methode. 1960].
[27] An appropriate imagistic representation would be, perhaps, Drawing Hands by M.C. Escher (1948).
[28] Jaroslav Kušnír, Op. cit.
[29] Richard Brautigan, Op. cit.
[30] Cf. Corin Braga, Du paradis perdu à l’antiutopie aux XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Classiques Garnier, 2010.
Adriana Teodorescu
“1 December 1918” University,Alba Iulia,Romania
adriana.teodorescu@gmail.com
And They Died Happily Ever After:
The Dystopian Constructions of Language and Death in Richard Brautigan’s Novel
In Watermelon Sugar
Abstract: The novel by the American writer Richard Brautigan, In Watermelon Sugar, published in 1968, has a rich history of criticism behind it, one that fails, however, to agree on the membershem>. 1960].
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