Corin Braga
Universitatea Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca, Romania
CorinBraga@yahoo.com
Le mythe écologiste, de l’utopie à la science-fiction /
Ecology Myth, from Utopia to Science-Fiction
Abstract: While during the 19th century and at the beginning of the 20th century many utopists imagined better societies based on emergent technology and socialist principles, with the putting in place of the totalitarian regimes (communist and fascist) of the 20th century utopian optimism faded away and gave place to dystopian and apocalyptical visions. The utopian interest shifted towards topics which have been lately brought together under the name of cultural studies: feminism, post-colonialism, ecology, etc. This paper tackles some seminal “ecotopias” of the period, such as Walden Two by B. F. Skinner and Ecotopia by Ernst Callenbach, showing how these texts upgrade the classical physiocratic and Arcadian utopias and romantic utopias such as Thoreau’s Walden. Then it moves on to science-fiction utopias, such as Pennterra by Judith Moffett, seen as an enactment of the deep-ecology Gaia hypothesis.
Keywords: Ecology; Utopia; Ecotopia; B. F. Skinner; Ernst Callenbach; Gaia Hypothesis; Judith Moffett.
Le Après la Première Guerre, les projets de reconstruction sociale, représentant diverses idéologies, marxisme, capitalisme, fascisme, libéralisme, etc. ont continué de hanter l’imagination des écrivains, avant que la catastrophe de la Deuxième Guerre, les crimes du nazisme mais aussi du communisme, ne coupent court à la propension à la rêverie sociale. Voici quelques utopies réformistes de cette période : Henry Olerich, The story of the world a thousand years hence; an interesting scientific forecast of the important progressive changes that will likely take place on our earth during the next thousand years (1923), A. Arnoux, Le Règne du bonheur (1924), J. B. S. Haldane, Daedalus (1924), Arthur Williams, Looking forward (1925), A. Huot, L’impératrice de l’Ungava (1927), Madeleine Pelletier, Une vie nouvelle (1932), Ernst Bergman, Deutschland, das Bildungsland der neuen Menschen (1933), James Hilton, Lost Horizon (1933), Georg Richter, Reichstag 1975. Eine Vision (1933), An. [Schmid], Im Jahre 2000 im Dritten Reich. Ein Schau in die Zukunft (1933), Upton Sinclair, I, Governor of California and How I Ended Poverty (1933), Park Summer, Tomorrow Comes. A Story of Hope (1934), G. R. Mitchison, The first workers’ government; or, New times for Henry Dubb, (1934), Philip W. Wilson, Newtopia : the World We Want (1941), Paul Goodman, Communitas (1947).
Cependant, avec l’avancée du XXe siècle, dès que les idéologies utopiques ont commencé à se matérialiser dans des États totalitaires, mettant l’idéal à la dure épreuve de la pragmatique historique, la veine centrale des utopies sociales s’est presque tarie. Quand elle n’a pas succombé face aux problèmes de la réalité sociale et économique concrète, ou aux attaques du courant antiutopique devenu dominant, elle a migré vers des zones où le monde réel restait toujours déphasé par rapport aux projets d’amélioration. Ainsi, déployant une large palette de préoccupations pour l’altérité et la marginalité qui, vers la fin du siècle, se retrouveront sous l’appellation d’études culturelles, divers types d’eutopies ont émergé : féministes, gay, anti-raciales, post-coloniales, pacifistes, écologistes, etc.
Prenons pour exemple une écotopie devenue « classique », Walden Two de B. F. Skinner (1948). Du côté de l’expérimentation sociale, elle hérite des utopies communautaires de Saint-Simon et Robert Owen, des phalanstères de Fourier, des « Icaries » de Cabet ; en revanche, elle refuse l’idéologie et les projets marxistes, chose significative pour la prise en otage du socialisme « scientifique » par plusieurs États du XXe siècle. Frazier, l’architecte de la communauté de Walden Two, ne compte pas sur une révolution et autres formes de violence sociale, il affirme ne pas désirer imposer son modèle par la force. « Pourquoi lutter contre le gouvernement ? Pourquoi essayer de le changer ? », demande-t-il de manière rhétorique. Selon le commentaire du professeur Burris, le narrateur, Frazier « a trouvé une façon de construire un monde à son goût sans essayer de changer le monde des autres[1] ». Il s’agit donc d’une (e)utopie « minimale », non-contraignante, supposant l’accord et la synergie des participants bénévoles.
La source de cette vision se trouve dans Walden ; or, Life in the Woods (1854), le texte dans lequel Henry David Thoreau raconte son expérience d’isolement pendant deux ans, deux mois et deux jours dans une cabane près du lac Walden au Massachusetts en pleine nature. Skinner reprend l’idée d’intégration dans la nature, mais en change la vision romantique et la remplace par une approche plus pragmatique, qui fonde l’écologisme contemporain. Il amplifie aussi l’individualisme transcendantal de Thoreau (en fait, du maître à penser de celui-ci, Ralph Waldo Emerson) par le projet d’une petite communauté autonome. La théorie qui lui permet d’harmoniser les deux desseins est le behaviorisme, notamment le concept que le comportement humain, loin d’être décidé par une entité de volonté libre comme l’âme ou l’esprit, est soumis aux variables de l’environnement.
Le psychologue Skinner met ainsi en fiction ses concepts d’analyse behavioriste, formulés dans Science and Human Behavior et Beyond Freedom and Dignity, attribuant à son protagoniste, T. E. Frazier, la fondation d’une communauté expérimentale de quelques mille individus dans les années 1930. Les professeurs Burris et Castle, et deux anciens étudiants avec leurs amies, qui décident de visiter la ferme de Frazier, ont l’occasion de voir sur place comment l’arrangement systématique des variables environnementales permet la modification intentionnelle du comportement de groupe. Par ingénierie behavioriste, Frazier aura créé une communauté utopique, qui décèle dans le comportement humain, ou plutôt produit, les meilleures attitudes : gouvernance collective qui sort des impasses de la tyrannie, de l’anarchie et même de la démocratie, égalitarisme et communauté des biens, auto-soutenance économique, libération des sexes, pédagogie collective des enfants, éthique naturiste et écologiste, liberté individuelle du choix, hédonisme modéré, etc.
Les écotopies modernes sont une mise à jour des utopies physiocrates, naturistes et passéistes de l’âge classique. Ce n’est pas sans raison que Skinner donne à un essai, dans lequel il prolonge et discute la fiction de Walden Two, le titre News From Nowhere, 1984[2]. Il s’agit d’une référence croisée aux News from Nowhere or An Epoch of Rest de William Morris (1890)[3] et à 1984 de George Orwell (1949)[4]. Le modèle socialiste « arcadien » et décentralisé du premier est passé par la critique antiutopique de la révolution violente, des luttes de classe et des États totalitaires du second, le résultat étant les communautés expérimentales autogouvernées de type Walden Two (selon le récit, d’autres collectivités seraient déjà en place, jusqu’à Walden Six). En effet, suivant le projet de Skinner, plusieurs groupes se sont constitués aux Amériques, comme le Twin Oaks de Virginie ou Los Horcones au Méxique[5].
Une utopie écologique à « grande échelle » est Ecotopia. The Notebooks and Reports of William Weston d’Ernst Callenbach (1975). Les petites communautés expérimentales de Skinner sont remplacées ici par une fédération (composée des États de Washington et San Francisco), alternative aux États-Unis. Le journaliste William Weston, le protagoniste narrateur, est envoyé par Times Post de New York pour faire un compte rendu sur cette nouvelle république, qui aurait fait sécession il y a quelque 19 ans avant la visite. Tel un explorateur assez peu prévenu de ce qu’il va découvrir, Weston se retrouve la plupart du temps, à cause de son inadaptation aux innovations d’Ecotopia, dans une position assez incommode (il est un « narrateur en position dystopique[6] »), mais il finira par s’intégrer au nouveau monde. À l’instar des ethnologues modernes qui pratiquent la méthode de l’immersion complète (« going native ») et finissent parfois par être engloutis par la culture adoptive, il souffre une métamorphose intérieure, son moi ancien est remplacé par « a new self[7] ».
Si, dans Walden Two, Skinner développait une ingénierie behavioriste à petite échelle, dans Ecotopia Callenbach expose les effets transformateurs conscients et inconscients exercés sur l’individu par un écosystème naturel et social complet. De même que le récit de Skinner, Ecotopia est une utopie naturiste qui met à jour la vision physiocrate des textes classiques à l’écologisme de la deuxième moitié du XXe siècle. Ayant pour modèle non seulement les phalanstères et les groupes Walden, mais aussi les communautés de type Amish, la civilisation tribale amérindienne ou le mouvement flower power et hippy, les Écotopiens pratiquent une idéologie anti-capitaliste, anti-mondialiste, anti-consumériste et anti-industrielle.
Le concept central en est celui d’intégration écologique de la culture humaine. Selon la philosophie écotopienne, le but de l’humanité comme espèce n’est pas la production, la concurrence, l’accumulation de biens et de capital, la conquête impérialiste de la nature et du globe. Les Écotopiens ont remplacé l’éthique protestante du travail, qui a dominé le XIXe et la première moitié du XXe siècle, par l’idée que « humans were meant to take their modest place in a seamless, stable-state web of living organisms, disturbing that web as little as possible[8] ». Cette modestie anthropologique, loin de provoquer une involution volontaire, est la seule capable d’éviter la catastrophe globale vers laquelle se dirige la civilisation capitaliste et d’assurer la soutenabilité et la survie future de l’espèce humaine. Face à la culture patriarcale prométhéenne, agressive et compétitive des États-Unis, Ecotopia est dirigée par un Parti Survivaliste, écologique et matriarcal, ayant pour président une femme.
Prenant pour point d’appui le concept d’harmonisation avec la nature, Callenbach procède à une sélection des traits positifs de la civilisation contemporaine et à l’exclusion des traits considérés nuisibles. L’intégration dans les cycles naturels suppose la suppression de toutes les industries qui fabriquent des produits et des déchets non recyclables. Par une mise en crise et un désastre économique délibérés, les Écotopiens ont rejeté la quasi-totalité du machinisme moderne, imposant une « austérité technologique ». L’unique exception en est la technologie de l’information et de la communication, qui simplifie la vie des hommes et protège la nature en favorisant le travail sur place, à la maison (à l’aide des « picturephones[9] » – une anticipation du réseau Internet). Pour le reste, les produits nuisibles au milieu naturel ont été bannis et la palette des artefacts simplifiée et standardisée (par exemple, toutes les serviettes de bain commercialisées sont blanches, les Écotopiens ayant l’option de les colorer eux-mêmes en utilisant des couleurs naturelles, à base végétale ou minérale[10]).
Le collapsus dirigé de l’industrie, ensemble avec un moratoire sur l’industrie du pétrole et la réduction du volume du commerce et des transports ont provoqué des effets immédiats. L’agriculture a été nationalisée et les terrains mis à la disposition des petits cultivateurs. Les grandes compagnies et propriétés ont disparu et avec elles la classe sociale des riches et la pauvreté. Les institutions du gouvernement ont été simplifiées et réduites au minimum nécessaire, les services publics sont devenus accessibles à tous, le bien-être général et la richesse nationale se sont accrus. Le modèle sous-jacent en est un État minimal écologique et physiocrate.
La politique anti-pollution a changé autant la nature que la société. Le milieu et les hommes ont souffert une transformation au « niveau biologique » : l’air et l’eau en Ecotopia sont partout parfaitement limpides et sains, le sol est vert et fécond, la nourriture abonde, tous les systèmes de vie (énergie, canalisation, etc.) se suffisent à eux-mêmes et peuvent fonctionner indéfiniment[11]. La santé et la condition physique des Écotopiens se sont remarquablement améliorées, la qualité et l’espérance de vie ont augmenté de manière spectaculaire. L’équilibre et l’harmonie ont marqué la psychologie et le moral, les individus jouissent de la liberté affective et mentale, comme si une communauté flower power aurait accédé à la condition d’une civilisation stable. Le mode de vie est proche de celui des Amérindiens et des « primitifs » en communion avec la nature ; William Weston commente à propos de son amie, Marissa, le fait qu’« elle vit dans un état contagieux de conscience immédiate[12] ».
Finalement, les idéologues écotopiens rejettent le concept d’État-nation et aussi celui de monde global. Bien que le système de communication et de transport couvre le globe tout entier, selon eux l’humanité ne se dirige pas vers la constitution d’un État mondial, mais vers une « balkanisation » des pays. L’Amérique, par exemple, renoncera dans son ensemble à l’idéal d’une grande nation unie allant d’un océan à l’autre, et se divisera, selon le modèle d’Ecotopia, dans une constellation de petites nations qui conservent leurs différences culturelles. Le texte de Callenbach fait ainsi état, dans une fiction eutopique, de plusieurs desiderata des études culturelles actuelles : écologisme, postcolonialisme, multiculturalisme, féminisme, etc.
Le mythe écologiste a migré de la littérature utopique à celle d’anticipation et de science-fiction aussi. Quelques exemples, parmi une multitude, en sont Pennterra de Judith Moffett (1987), Kim Stanley Robinson, Pacific Edge (1990)[13] ou Daniel Fischer, A City of the Future. What might happen in a city without cars or private land (1993)[14].
Le premier de ces romans est une utopie astrale, qui combine l’idée de communauté idéale, suivant un modèle Quaker, avec l’hypothèse (ou la philosophie) Gaïa dans sa variante d’animisme planétaire, et l’écologisme profond élevé au rang d’écotopie science-fiction. Pennterra, la « Terre de William Penn », est une planète d’Epsilon Eridani II colonisée par un groupe de Quakers et appelée d’après le nom du fondateur de la Commonwealth of Pennsylvania au XVIIe siècle. L’installation de la colonie répète à l’échelle galactique la migration aux Amériques des sectes radicales des Quakers, Huguenots, Mennonites, Amish, etc., mais aussi des Catholiques anglais, des Luthériens et des Juifs, persécutés et incompris en Europe.
Cette fois, la migration n’est pas due aux guerres de religion, mais à l’extinction de la Terre elle-même. Sans présenter directement la situation de notre planète, Judith Moffett suggère que celle-ci a été détruite par la surpopulation, la pollution, l’épuisement des ressources minérales et la destruction du milieu naturel. Les Quakers ne sont qu’une des expéditions parties pour chercher d’autres foyers dans l’univers pour la race humaine. Un second vaisseau stellaire, le Down Plus Six, amènera quelques années plus tard un deuxième contingent de colonisateurs, plus agressif et violent envers la planète d’accueil. Les deux groupes sont mis en contraste : les Quakers agissent selon une morale quasi-religieuse, fraternelle, respectueuse des races aborigènes (rappelant leur tolérance envers les tribus amérindiennes) et de la spiritualité profonde de la nature, alors que les « Sixers », savants, scientifiques et militaires athées et exploiteurs, évoquent, pensons nous, le nombre de la « Bête », métaphore pour la mentalité technologique et impérialiste qui a mené la civilisation terrestre à la catastrophe.
Devançant de quelques deux décennies le film Avatar de James Cameron (2009), Judith Moffett imagine que Pennterra est une planète vivante et pensante. L’auteur puise dans l’« hypothèse Gaïa » dans sa variante animiste, selon laquelle toutes les formes de vie terrestres appartiennent à un unique organisme planétaire, nommé d’après le déesse grecque de la Terre. Selon un mythe aborigène de Pennterra, le chaos astral aurait pris forme et vie quand « The One That Loves Life », une entité cosmique divine, a organisé la poussière et le limon dans un système solaire. Il a doté le soleil et deux de ses planètes, Kreeb et Tanka Wakan (un nom amérindien pour le « grand esprit », utilisé par les Quakers pour traduire le mythe aborigène), de conscience et du pouvoir de donner la vie. À son tour, Tanka Wakan a créé sur sa surface toutes les espèces végétales et animales qui l’habitent : « This world Tanka Wakan is everything, and everything is Tanka Wakan. Understand this. Long ago he made himself into living things, past counting, before he made himself into the People[15] ».
Le « peuple » créé par cette divinité panthéiste est la race intelligente des Hrossa. Avec une anatomie bien différente des humains (ils ont huit membres et sont androgynes), les Hrossa sont une race amphibie, vivant aussi bien dans l’eau que sur la terre. Ils ont des sens plus fins, dont un sixième, une ouïe qui leur permet de discerner des vibrations imperceptibles pour les hommes. Ils sont des télépathes, ou plutôt des empathes, capables de ressentir les sentiments et les pensées de leurs semblables et des humains. Ils pratiquent des rituels de communication de groupe (« uniting »), pendant lesquels ils peuvent entrer en contact avec d’autres Hrossa de toute la planète, ainsi qu’avec Tanka Wakan lui-même.
Mais l’exotisme des Hrossa et d’autres espèces autochtones n’est pas l’élément le plus miraculeux du roman. Plus étrange encore est le fait que l’écosystème de toute la planète fonctionne d’une manière non évolutionniste et anti-darwinienne. La sexualité des Hrossa, d’une liberté et spontanéité prélapsaire (« They’re like unfallen creatures, wise innocents[16] »), contaminante pour les humains qui se sentent entrer en rut en leur présence, a pour but primaire la communication affective et seulement en deuxième instance la procréation. En effet, Tanka Wakan semble exercer un contrôle eugénique sur la biosphère : pour que le « nombre de stock » de chaque espèce reste le même et n’affecte pas l’équilibre et l’auto-soutenance des milieux naturels, il n’accorde à chaque individu qu’un seul successeur, sauf pour les situations de crise et de dépeuplement. Cela fait que la vie de chaque individu est unique, il n’y a pas de crimes et de tueries inutiles, même les animaux qui servent de nourriture aux Hrossa se sacrifient de manière consentante, comme sur une planète de Cocagne SF.
La question peut-être nucléaire des projets utopiques a toujours été : Comment éradiquer le mal de la nature humaine, quelles mesures prendre pour organiser une société meilleure, sinon parfaite ? Judith Moffett a l’ambition de donner une réponse qui descende aux racines non seulement anthropologiques, mais aussi biologiques et phylogénétiques de notre race. Elle part de l’hypothèse que la source du « mal » est la concurrence et la lutte pour la survie, c’est-à-dire l’évolutionnisme darwinien, avec ses principes de folle multiplication et de sélection naturelle des individus. C’est en ce point qu’elle applique l’un des procédés utopiques les plus efficaces : elle inverse cet axiome dans son contraire et observe les conséquences qui en dérivent.
Ainsi, sur Pennterra, « By Earth standards, what you’d have seems like a formula for evolutionary stultification. You wouldn’t need strength to compete for a mate or allure to attract one; you wouldn’t need stamina or agility or speed to run away from predators or catch prey; you wouldn’t need intelligence to outsmart either. […] If all that’s true, then almost everybody survives and passes on his genes, but only once. There’s no ’success’ in the large-scale Earth sense, no alpha male passing his genes on to every child of the next generation and cutting many other males out for keeps. That perception you get in the study of biology, of every creature madly struggling to survive (eat, avoid being eaten) and to beat out the competition for breeding opportunities, would be missing completely. Everybody survives to reproduce himself. Everybody then generously offers himself to feed others.[17] »
Dans cet écosystème autrement « enchevêtré » (selon un mot de Cyrano) que celui terrestre le mal n’existe pas. La coopération a remplacé en tout la compétition. Bien qu’en apparence plus simple et rudimentaire, en tout cas non technologique, la vie des Hrossa est en accord avec eux-mêmes, avec la nature et avec l’« anima terrae », l’esprit de la planète. Parmi les humains, les Quakers sont les plus proches de ce mode de vie, et c’est pourquoi ils sont acceptés par Tanka Wakan, tant qu’ils ne détruisent pas le milieu naturel et l’équilibre écologique. Les autres colonisateurs, les Sixers, en revanche, porteurs de la mentalité conquérante, expansive, concurrentielle et agressive, risquent de ruiner Pennterra avec leurs machines terraformatrices et leurs pratiques d’ensemencement et colonisation biologiques.
Kli Urrh, un des Hrossa, commente que c’est justement ce type de comportement qui a dû provoquer, sur Terre, la catastrophe qui oblige maintenant les hommes à migrer vers d’autres systèmes : les créatures ont tué leur créateur, les hommes ont ruiné leur planète. Menacé à son tour, Tanka Wakan réagit comme un organisme infecté qui produit des anticorps : il provoque la stérilité de tous les Sixers et des autres espèces terrestres venues en colonisatrices, coupant court à la sexualité multiplicative et à l’expansion compétitive de notre race. Le (contre)modèle utopique que Pennterra offre à notre monde est celui d’un écosystème animiste qui fonctionne sur d’autres principes que la volonté de pouvoir et la pulsion de conquête impliquées par la biologie darwinienne.
Article rédigé dans le cadre du Projet de Recherche Exploratoire PN-II-ID-PCE-2011-3-0061, financé par CNCS (Le Conseil National de la Recherche Scientifique) de Roumanie.
Notes
[2] B. F. Skinner, « News From Nowhere, 1984 », dans The Behavior Analyst, no. 8 (1), 1985, p. 5 sqq.
[3] William Morris, News from Nowhere or An Epoch of Rest. Being Some Chapters From a utopian Romance, Edited with an Introduction and Notes by David Leopold, Oxford, Oxford University Press, 2003. Trad. fr. : William Morris, Nouvelles de nulle part, Introduction, traduction et notes par Paul Meier, Paris, Éditions sociales et Chambéry, Imprimeries réunies, 1961.
[4] George Orwell, 1984, London, Secker & Warburg, 1949. Éd. fr.: George Orwell, 1984, Traduit de l’anglais par Amélie Audiberti, Paris, Gallimard, 1950.
[7] « This new me is a stranger, en Ecotopian, amd his advent fills me with terror, excitement, and strength ». Ernst Callenbach, Ecotopia. The Notebooks and Reports of William Weston, Berkeley, Banyan Tree Books, 2004. p. 166.