Andreea Bugiac Université Babeş-Bolyai, Cluj, Roumanie a.hopartean@yahoo.com
« J’aurais voulu parler sans images, simplement… »
Le rejet des images poétiques dans la poésie française contemporaine
The Refusal of Poetic Images in Contemporary French Poetry
Abstract: Celebrated by Louis Aragon as a pure “narcotic” to be used constantly, wildly and passionately, the poetic image is meant to function as an almost illegally adjuvant in order to bring to life the most extravagant artificial paradises. This is, at least, what Surrealists poets claim. Or that claim will be later denounced as a mere delusion, many French poets writing after 1945 insisting on the deceptiveness of the (visual and rhetorical) images. May poetic representation do without the mediation of imagery and poetic devices? In this paper we endeavour to answer this question, basing our analysis on a collection of short prose written by a contemporary French poet, Philippe Jaccottet.
Keywords: Poetic Images; Landscape; Poetry after World War II; Representation; Analogy; Disfigurement.
Trois verbes définiraient, selon le critique et le phénoménologue français Michel Collot, la poésie française depuis Baudelaire : transfigurer, défigurer, refigurer. En fait, ces trois verbes traduisent trois attitudes possibles à adopter par les poètes vis-à-vis de ce qui se pose comme fondement même de la poésie, c’est-à-dire l’image poétique, et il n’est pas rare que plusieurs attitudes, parfois mêmes contradictoires, se rencontrent chez le même poète. En bon phénoménologue, Collot ancre son échafaudage critique dans un socle naturel, en se rapportant à la présence paysagère dans la modernité poétique française ; or lorsqu’on parle de paysage, ce qui nous viendra le plus naturellement à l’esprit, c’est le paysage romantique. L’intérêt de Collot ne concerne pourtant pas le paysage en soi (d’ailleurs, le sens du nom contredit même la possibilité d’existence d’un « paysage en soi »), mais les rapports qui s’établissent entre le paysage et la conscience poétique, autrement dit entre les figures du visible et le travail de l’imagination. La médiatisation esthétique exposée déjà dans l’étymologie du mot[1] (l’appréhension d’une figure implique déjà un premier acte de figuration consistant dans le saisissement – et la construction imaginaire – d’une structure du visible) avait conduit les Romantiques, des partisans enthousiastes de la figuration poétique excessive, à voir dans le paysage l’emblème de tous les possibles et d’un fini à la mesure de l’infini[2]. Au dépassement imaginaire du réel dans le possible s’ajoute une inflation exponentielle du sujet, qui croit « s’agrandir aux dimensions de l’univers »[3] tout en gommant, de la sorte, sa condition limitée d’homme insignifiant et mortel. Promue au rang de faculté maîtresse, l’imagination sera la première à être contestée par les adversaires du romantisme finissant qui voient dans les paysages romantiques des créations artificielles et arbitraires. L’attitude envers le paysage sera au cœur des différentes esthétiques de ce que l’on appellera, dans le sillage de Baudelaire, la modernité, l’œuvre de ce dernier servant là comme ailleurs de médiatrice entre ces diverses attitudes.
L’iconoclasme de la poésie contemporaine
Une première possibilité sera de prolonger, parfois jusqu’au paroxysme, la frénésie créative romantique. Surexploitée, l’imagination conduira aux paysages irréels ou oniriques de Rimbaud et, plus tard, des Surréalistes, attachés à transfigurer le paysage comme bon leur semble[4], une fois l’illusion lyrique des Romantiques et celle référentielle des naturalistes révoquées comme des leurres. Toutefois, contre cette surenchère de l’image et de l’imaginaire se dresse une attitude que Michel Collot traite d’« iconoclaste », supposant le rejet de toutes les figures esthétiques qui masqueraient le paysage. Ce qui y est en jeu, dans un cas comme dans l’autre, ce sont les codes traditionnels de la représentation.
Or cet iconoclasme poétique engendré par la révocation violente des anciennes conventions rhétoriques ouvre, à son tour, un carrefour vers deux possibilités esthétiques. Dans ce cas aussi, l’univers rimbaldien sert d’illustration exemplaire. La première voie, que Collot prend pour une « posture et […] une pulsion suicidaires »[5], se traduit esthétiquement par les paysages impossibles de Rimbaud, de plus en plus défigurés, minéralisés, privés des « fleurs de la rhétorique et de la botanique »[6]. Au terme de cette défiguration systématique, le paysage tout comme le sujet deviennent méconnaissables, l’explosion des formes se retrouvant renversée dans une implosion apocalyptique. Rimbaud dépassera portant cette tendance suicidaire par un travail ultérieur de refiguration ; néanmoins, la refiguration rimbaldienne ne signifiera plus un retour aux codes anciens de la représentation, mais un dépassement de ces codes dans le sens d’une reconstruction poétique qui laisse affleurer le « fond irreprésentable et inconvertible en figures »[7] du paysage.
Entre autoréférentialité et refiguration esthétique, une partie de la poésie française qui s’écrit après la Deuxième Guerre mondiale se situerait du côté de la deuxième option. Il ne s’agit plus, pour elle, de créer une fenêtre-miroir qui donnerait sur le monde intérieur des fantasmes et des rêves, mais de retrouver l’étrangeté du dehors, à travers une médiation subjective qui se réduit, parfois, à la simple inscription d’un point de vue démultiplié et fragmentaire. L’expérience de la guerre confronte les poètes à un référent que les expériences surréalistes avaient mis entre parenthèses au profit des constructions imaginaires. Mais ce référent n’est plus celui des Romantiques. La minéralisation des paysages poétiques de cette période correspond à la dévastation réelle du territoire français, de même qu’à un travail de deuil impossible à affronter directement. Collot mentionne le cas de Ponge qui n’hésite pas à faire paraître, après la fin de la guerre, un petit recueil intitulé Carnet du bois de pins, qui efface toute référence historique immédiate au profit d’une attention compulsive à une forêt de pins. Pour Ponge, la publication de son carnet acquiert une légitimité historique puisqu’il s’y agit d’une écriture de et dans l’Histoire, même si le carnet n’y fait pas mention explicitement :
Ponge justifie ce choix incongru par des arguments à la fois politiques et poétiques. Ses retrouvailles avec la nature ont autant d’intérêt historique que ses souvenirs de guerre, dont il entreprendra peu après la relation, vite « interrompue ».[8]
Le paysage défiguré devient ainsi le substitut artistique d’un indicible qui hante l’écrivain ou le peintre et le témoignage biaisé de l’incapacité de la transfiguration esthétique de ce qui échappe à toute figuration. Pour ce qui est de la peinture, les choix esthétiques convergent dans le sens d’une défiguration parallèle du paysage, réduit à l’ascèse de quelques lignes essentielles. Sous les paysages apparemment paisibles de l’Italie et de la Slovénie natale, Zoran Music laisse glisser les souvenirs de ses compagnons du camp de Dachau, impossibles à refouler dans l’oubli mais aussi à figurer d’une manière explicite sur la feuille de papier.
Les figures absentes de la poésie française de l’après-guerre
Il n’est pas étonnant que Zoran Music ait illustré nombre de recueils signés par des poètes qui privilégient des paysages épurés et une esthétique scripturale minimaliste[9]. Les défigurations du paysage renvoient, par réfraction, à l’image d’un homme défiguré qui peut y être absent, mais pour qui l’absence ou le retrait dans le paysage ne signifie pas une abdication devant l’Histoire.
Un titre comme Paysages avec figures absentes concentre toute l’ambiguïté d’une absence présente des figures poétiques (avec figures absentes), qui caractérise un pan de la poésie française de l’après-guerre. Appartenant à Philippe Jaccottet, poète suisse romand né à Moudon en 1925 et établi en France depuis 1953, il renvoie à une prose poétique qui donne le titre d’un recueil[10] réunissant plusieurs proses consacrées à des paysages réels, rencontrés par le poète pendant ses promenades.
Cette présence absente est essentielle dans la compréhension de l’esthétique de certains poètes contemporains comme Yves Bonnefoy, Jacques Dupin, André du Bouchet et Jaccottet, lui-même. Les paysages jaccottéens composant ce recueil sont généralement centrés autour d’un signifiant vide : une ferme abandonnée, un site dépeuplé, un rivage solitaire. Jaccottet justifie le choix de son titre en le rattachant à l’esthétique picturale classique, dans laquelle les figures mythologiques commencent à reculer au profit d’un avènement toujours plus grand du paysage :
Je réponds d’abord à une partie de la question, à l’allusion aux Paysages avec figures absentes. De ma part, ce titre signifie très simplement, il part d’une expression du langage pictural et de la critique picturale, où on disait « paysage sans figures, paysages avec figures » : cela voulait dire, à l’époque de Lorrain et de Poussin, des paysages où il y a des personnages. Là, les figures auxquelles je pense sont vraiment les figures de la mythologie, nymphes et dieux. Il y en a en fait des figures, mais sous forme de traces, de fantômes. Je trouve ce titre finalement maniéré. Il ne faudrait peut-être pas l’employer au-delà de son sens précis, qui désigne finalement les traces du sacré dans ces proses.[11]
Force est de constater que les figures mythologiques, allégories païennes du sacré, ne sont pas les seules à bénéficier d’un statut double, de spectre et de présence. Il y a aussi d’autres figures, moins glorieuses que les premières, qui subissent le même traitement d’une « fantômisation » progressive et qui valident l’image que Jaccottet essaye d’imposer aux yeux du lecteur dans la préface du volume, celle d’un poète qui ne cherche pas dans la nature un asile contre l’aliénation du monde contemporain. Que les Paysages avec figures absentes soient tout sauf de simples descriptions de paysages, cela est confirmé par la remarque de bon sens de Fabien Vasseur, qui n’y voit aucun laboureur en train de cultiver la terre[12]. Les autres figures « absentes-présentes » des Paysages sont les humains.
Cette évacuation de l’humain dans les proses de Jaccottet reprend, toutes proportions gardées, une certaine tendance du paysage pictural contemporain où la figure humaine est en général absente. Dans ce dernier cas, la fracturation des points de fuite renvoie souvent à un sujet décentré, incapable d’ordonner l’univers selon la logique centripète de son regard.
Contre ce stupéfiant appelé « image »
Paysages avec figures absentes est, peut-être, le recueil jaccottéen qui concentre le plus de réflexions sur le caractère trompeur de l’image (visuelle et rhétorique). Si le titre du recueil thématise le retrait ambigu des figures mythologiques comme des allégories sensibles du sacré, il implique néanmoins une problématisation de la représentation poétique. Les figures sont celles de la mythologie, mais aussi celles de la poésie, envers lesquelles Jaccottet oscille entre une attitude d’accueil et une attitude de rejet : « L’image cache le réel, distrait le regard, et quelquefois d’autant plus qu’elle est plus précise, plus séduisante pour l’un ou l’autre de nos sens et pour la rêverie. »[13] Et, un peu plus loin :
Les images, quelquefois, en éclairent un pan, mais pour laisser les autres obscurs ; et l’énoncé direct, le plus simple, quelque chose comme : ‘l’étendue est peuplée d’oiseaux invisibles qui chantent’, ce que l’on rêve d’obtenir, une ligne sans ornements et sans détours, tracée avec modestie, presque naïvement, serait-ce qu’il nous est désormais impossible d’y atteindre ?[14]
Jaccottet semble condamner sans droit d’appel un travail analogique qui, au lieu de simplement dire le réel dans sa simplicité mystérieuse, divertit, au sens propre et fort du terme (pascalien, pourrait-on dire). La critique jaccottéenne des images rejoint d’ailleurs toute une critique que le poète lance contre les dérives imaginaires surréalistes dans lesquelles, au lieu de voir la révélation des territoires inconnus et fascinants du rêve ou d’une réalité nouvelle, il ne voit que du discours ou, même pire, du pur verbiage. Le grief principal de Jaccottet contre le surréalisme concerne les excès langagiers dans lesquels celui-ci s’est laissé, trop souvent, emporter, l’idéologisation politique du mouvement de même que sa surenchère de la pratique analogique :
Charge affective des mots : d’autant plus grande probablement qu’elle est plus cachée. Ce que Chagall m’a dit de Mozart : plus sa musique est transparente, plus la mort y est sensible. […] Règle de la contradiction : plus la littérature se veut inspiration pure, plus elle paraît verbale (surréalisme). Ce qui ne veut pas dire qu’elle doive être verbale pour paraître inspirée.[15]
On retrouve la même remarque dans un entretien plus tardif datant de février 1988. Selon Jaccottet, le surréalisme aurait été accueilli avec réticence par les écrivains suisses romands à cause de l’extrême esthétisation d’une littérature paradoxalement conçue comme « inspiration pure », libération des forces de l’inconscient :
Je remarque également que chez les écrivains suisses romands, dont je fais tout de même partie d’une certaine manière, où j’ai été formé, le Surréalisme n’a jamais pris vraiment pied. Il y avait là cette façon de se laisser aller au flux presque automatique des images qui me paraissait également aboutir à plus de littérature que dans les œuvres qui acceptaient des conventions littéraires plus dociles.[16]
La fine modulation du discours (« presque automatique ») expose le contenu mythique de l’écriture automatique. Jaccottet réduit, ainsi, l’écriture automatique à une obéissance facile aux mirages de l’esprit, et comprend que c’est autour du « flux […] des images » que tournent les enjeux majeurs du programme surréaliste. Tout d’abord, peut-être, à cause de la polysémie du mot. La prédilection surréaliste pour des alliances inédites entre texte et image puise dans cette volonté de substituer au mot écrit des formes hybrides, moins conventionnelles que les signes linguistiques arbitraires. Intimement liées au désir, les images seraient antérieures et supérieures au langage, inévitablement plus codifié, donc plus soumis à la censure. La retombée de l’écriture automatique en littérature « pure » devient dans ce cas d’autant plus grave qu’elle contredit, par là, les principes qui donnaient tout son « sens ».
Considérée par Aragon comme un élément clé de la pratique surréaliste entendue comme « vice », l’image poétique devrait fonctionner comme un adjuvant au bord de la légalité afin de provoquer, grâce à ses pouvoirs analogiques, la construction des paradis artificiels les plus prodigieux :
Le vice appelé Surréalisme est l’emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image, ou plutôt de la provocation sans contrôle de l’image pour elle-même et pour ce qu’elle entraîne dans le domaine de la représentation de perturbations imprévisibles et de métamorphoses : car chaque image à chaque coup vous force à réviser tout l’Univers.[17]
Selon Aragon, très véhément dans ses incitations à une production/consommation compulsive des images, entre la drogue et l’image poétique les différences ne seraient que de substance – matérielle. La métaphore de la drogue[18] est filée dans le texte au point de substituer, syntaxiquement et sémantiquement, le « stupéfiant » à l’image : l’image surréaliste stupéfie, certes, mais ce n’est pas là son seul pouvoir. Une seule image permet de déconstruire ce que l’on avait pris pour la vision unique, sécurisante d’un univers stable en lui-même : le vocabulaire emprunté à la physique et à l’art militaire insiste sur l’agressivité du stupéfiant dont une goutte infime peut provoquer une ré-vision non seulement au niveau terrestre, mais aussi cosmique. Le problème est en fin de compte, tel qu’Aragon le pose, un problème de représentation : renonçant à l’illusion mimétique ou référentielle, l’écriture surréaliste doit « réviser » l’Univers dans des configurations toujours nouvelles. On comprend la raison pour laquelle l’image poétique devient son concept-clé : le terme « réviser », évoquant à la fois le visible et la cible visée, permet de mettre en avant, grâce à une logique de l’hypotypose, tout le potentiel spectaculaire et réformateur de l’image.
La pratique surréaliste de l’image travaille dans l’obscur. Aussi l’art s’apparente-t-il à la magie, à une descente fulgurante dans les profondeurs de l’inconscient et dans les mystères de l’univers, afin d’en extraire une révélation qui soit valable, dans son universalisme, pour tout le monde. Jaccottet insiste pourtant sur les possibilités d’égarement dans le labyrinthe de l’imaginaire et ce à quoi il s’en prend sera, précisément, cette notion emblématique de l’idéologie surréaliste.
Le cadre de la fenêtre
Jaccottet partage pourtant une passion commune avec les Surréalistes : comme eux, il aime les fenêtres. Elles interviennent partout dans son univers poétique. La fenêtre rassure : elle découpe l’espace, organise son indifférence sémantique dans une structure sensée et délimitée. Au niveau de la psychologie, son rôle défensif est évident : elle protège l’esprit contre le rayonnement aveuglant du soleil ou de la mort vu sans médiation. Sa transparence laisse ouverte une communication entre le dehors et le dedans, entre le visible et l’invisible mais, en même temps qu’elle assure une continuité entre les deux mondes, elle opère aussi une distanciation. Sa nature de médium effacé n’empêche pas que les deux mondes soient séparés, ce qui ne fait que mieux renforcer les limites entre eux. En fait, en tant que moyen de connaissance de l’autre, la fenêtre est aussi, et même davantage, un moyen de connaissance de soi : limitée par le cadre visible de la fenêtre, la sphère de l’intime ne peut que mieux se replier sur soi :
Il y a dans les souvenirs de Waiblinger sur ces années un passage où il dit que le poète [Hölderlin] évitait tout ce qui lui rappelait les angoisses qui l’avaient égaré […]. C’est justement que le monde, après avoir été proche « jusqu’à en souffrir », refluait. Hölderlin le voyait maintenant de sa fenêtre au-dessus du Neckar, toujours le même dans le cycle des saisons, et sa fenêtre était comme un cadre qui empêchait la dispersion du visible, en même temps que la vitre en arrêtait l’invasion ; dans ce cadre, il n’y avait plus place que pour des images (« si simples, si saintes »). En même temps, le vertige qui s’était emparé de ses visions dans ses derniers hymnes, en particulier quand sa pensée touchait à des points plus mystérieux, plus brûlants, plus douloureux, cessait tout à fait ; et la forme même du poème, avec ses quatrains de vers réguliers et rimés, imitait celle d’une fenêtre ; il n’y résonnait plus que l’accord monotone de la terre et du ciel.[19]
Mais, pour que cet « accord monotone » puisse résonner dans le poème, il faut que les deux plans restent en tension permanente et ne se dissolvent pas dans une réconciliation. C’est la médiation du langage qui crée cette tension. Plus qu’un poète de la « réconciliation » avec le monde, de « l’unité perdue entre l’homme et le monde »[20], comme Collot voudrait le voir, Jaccottet est plus proche d’un Baudelaire dans son désir de maintenir la distance, non de la réduire. Le cadre de la fenêtre protège Hölderlin contre « l’invasion » et « la dispersion du visible » et le même rôle est dévolu, dans le cas de Jaccottet même, à l’image tellement blâmée : « (C’est ainsi : je suis entouré d’images, fuyantes, brisées, sans lien entre elles, qui passent et s’effacent comme des oiseaux, et je voudrais les rassembler encore, faute de quoi c’est moi qui m’éparpillerai avant le temps.) »[21]
Le fait que Jaccottet place cette remarque entre parenthèses, dans le contexte d’une œuvre qui insiste obsessivement sur la négativité de l’image, atteste la présence, très effacée, d’une conscience lucide de la nécessité de la médiation. Non seulement le sujet s’identifie avec ses propres créations, avec ses images, par un effet d’analogie, mais aussi il se reconnaît comme une création de ses propres images. La transparence rêvée cache, dans la négativité de la médiation, l’affirmation de cette négativité :
Tantôt cela se produit en plusieurs points à la fois, évoquant un réseau dans lequel on se réjouirait d’être pris, ou de grêles mâts soutenant, chacun la soulevant un peu à sa pointe, la tente de l’air (massif de légères montagnes) ; ou encore un groupe de jets d’eau, colonnes transparentes d’une ruine sans autre toit que le ciel infini ; tantôt successivement, à intervalles inégaux rétablissant aussitôt le silence jusqu’au fond du monde, comme une série de fenêtres ouvertes l’une après l’autre sur le matin dans la grande maison de famille…[22]
Il est révélateur que, précisément au point ultime de cette dématérialisation progressive du chant invisible en une « série de fenêtres » transparentes, Jaccottet se ravise pour effacer tout ce qu’il vient de dire, en dénonçant la transparence même comme une image : « Or, ce n’est pas du tout cela. L’image cache le réel, distrait le regard […] ». La transparence rêvée ne peut passer qu’à travers la médiation et reconnaître cette médiation constituerait, peut-être, la chance de la dépasser. Faire du poème une espèce de fenêtre c’est avouer la médiation de la forme dans le processus de faire sens. La forme devient une allégorie de l’invisible qui la crée et la dépasse, comme l’infini se projette dans l’au-delà de la structure rigoureuse et sévère du sonnet baudelairien.
La médiation est nécessaire. Si elle protège le poète, elle inscrit aussi, sous forme de trace, la possibilité d’une conversion métaphorique du concret dans son dépassement lumineux :
Plus de scènes, aujourd’hui, plus de figures, et ce n’est pourtant pas le désert. J’ai pensé encore, pour finir, à ce Paysage avec la chute d’Icare, de Breughel, où le laboureur est si proche, et le héros presque indiscernable ; et j’ai cru voir commencer maintenant une nouvelle ère du regard, où nos travaux quotidiens et nos rêves les plus hardis ne seraient plus, sur l’écran du monde, que vagues de labours, chute d’une larme lumineuse et sillons dans les eaux tombales.[23]
Même s’il se rend compte de sa nature inévitable, Jaccottet insiste à maintes reprises sur les dangers de la médiation. Il y a une vision de l’« écran » qui intervient chaque fois que Jaccottet essaie de « seulement dire les choses » et qui contredit l’événement initial : « Méfie-toi des images. Méfie-toi des fleurs. Légères comme les paroles. Peut-on jamais savoir si elles mentent, égarent, ou si elles guident ? Moi qui suis de loin en loin ramené à elles, moi qui n’ai qu’elles ou à peu près, je me mets en garde contre elles. »[24]
Paradoxalement, l’image poétique narrativise. Au lieu de re-présenter, elle fait voir un espacement, une distance qui se creuse entre l’écriture et son référent. Le jeu des analogies renforce cette distance, la prolonge dans une histoire de l’écriture qui devient l’histoire d’une perte toujours plus accusée. Aussi Jaccottet envisage-t-il de contourner la médiation de l’écran par le recours, très fréquent chez lui, à un processus d’écriture développé en plusieurs temps.
Tout d’abord, il donne libre cours à la rêverie associative, reliant une nouvelle image à l’image précédente, le jeu des analogies pouvant conduire à de véritables chaînes imagées. Ce qui conduit Jaccottet à chercher une nouvelle image pour ce qu’il veut dire, c’est le sentiment d’un inachèvement ou d’un échec partiel lié à l’image antérieure. Dans le fragment cité ci-dessous, tiré d’une prose de Paysages avec figures absentes, intitulée « Oiseaux invisibles », il s’agira de « traduire », pour reprendre la métaphore-clé de Jaccottet, un chant d’oiseaux. Infigurable au carré puisque non seulement le chant est intraduisible, vu qu’il correspond à un autre régime esthétique que le régime représentatif, mais aussi les oiseaux qui devraient incarner cet infigurable se dérobent au regard, étant à proprement parler des figures invisibles de l’invisible. La mise en abîme peut s’élargir davantage, par le renvoi aux « figures absentes » du titre du recueil, et le jeu de miroirs se prolonge pratiquement à l’infini.
Sur fond de vide, l’invisible fait événement dans l’ordre du quotidien, y introduit une fracture qui arrête le sujet et déplace la temporalité régulière dans le sens d’une sortie, provisoire, du temps. La double thématique, de l’oiseau invisible et du chant intraduisible, glisse dans une seule et même problématique, celle de la figurabilité de l’infigurable. Toutes les images que Jaccottet avance dans la diction de ce chant s’apparentent au même champ sémantique, celui d’une sublimation évanescente du paysage dans un double négatif :
Chaque fois que je me retrouve au-dessus de ces longues étendues couvertes de buissons et d’air (couvertes de buissons comme autant de peignes pour l’air) et qui s’achèvent très loin en vapeurs bleues, qui s’achèvent en crêtes de vagues, en écume (comme si l’idée de la mer me faisait signe au plus loin de sa main diaphane, et qui tremble), je perçois, à ce moment de l’année, invisibles, plus hauts, suspendus, ces buissons de cris d’oiseaux, ces points plus ou moins éloignés d’effervescence sonore.[25]
« [V]apeurs bleues », « crêtes de vagues », « écume », « effervescence » : le passage d’une tentative analogique à une autre distille le paysage, fragmente la perception en autant de vues complémentaires équivalentes. La dissolution thématisée par l’analogie avec le rythme des vagues construit mimétiquement un texte qui se fait et se défait sous nos yeux, dans un avancement et un retirement presque instantané de l’image, remplacée par une autre qui lui est contiguë mais qui y introduit, néanmoins, une faible et révélatrice différence. Comme le rythme des images, le rythme textuel se déploie à la fois sur l’horizontale et sur la verticale, dans un entrecroisement de plans, pour s’achever en « écume ». L’accumulation progressive trouve un climax dans une figure de la présence précaire mais celle-ci n’est qu’une illusion optique, comme dans tant d’autres cas chez Jaccottet : la double occurrence du verbe « (s’)achever » dévalorise l’activité poétique, la réduit à une opération répétitive qui peut trouver toujours d’autres termes à l’échange analogique. Que l’écume, figure (du) transitoire, devienne la figure non de l’invisible, mais de l’impossibilité de le figurer – étant par là son image la plus appropriée, cela est évident dans le recommencement de la recherche figurative, à travers non plus des constructions nominales analogiques, mais des pronoms indéfinis et des substituts nominaux qui vont dans le même sens : « Je sais que je voudrais, à ce propos, faire entendre quelque chose » (ibid.) ; « C’est une chose invisible » (ibid.) ; « c’est une chose suspendue » (ibid., 74) ; « c’est une chose, surtout » (ibid. ; emploi absolu).
Devant l’échec des analogies à rendre compte de l’expérience que l’objet provoque dans la conscience du sujet, Jaccottet change de méthode. Là intervient le deuxième temps de l’écriture associative, dans lequel il s’agit de miner, image par image, toutes les définitions affirmatives avancées jusqu’à ce moment-là. On arriverait ainsi, au point ultime de ce procédé, à la dé-figuration de toute image, à l’acte pur, absolu de la nomination dénuée de toute qualification rhétorique. La négativation des images donnerait à voir ainsi, dans leur creux, le fond infigurable de ce qu’elles étaient censées ex-primer.
Mais l’énoncé pur peut renvoyer à une réalité brute qui décline toute possibilité de transfiguration ce qui, selon Jaccottet, est aussi un leurre. Le poète revient ainsi aux figures analogiques, après un développement de plusieurs images qui oscillent entre la littéralité et la figuralité :
c’est une chose, surtout, qui rend sensible une distance, qui jalonne l’étendue ; et il apparaît que cette distance, loin d’être cruelle, exalte et comble. Tantôt cela se produit en plusieurs points à la fois, évoquant un réseau dans lequel on se réjouirait d’être pris, ou de grêles mâts soutenant, chacun la soulevant un peu à sa pointe, la tente de l’air (massif de légères montagnes) ; ou encore un groupe de jets d’eau, colonnes transparentes d’une ruine sans autre toit que le ciel infini ; tantôt successivement, à intervalles inégaux rétablissant aussitôt le silence jusqu’au fond du monde, comme une série de fenêtres ouvertes l’une après l’autre sur le matin dans la grande maison de famille…[26]
Juste au moment où l’analogie paraît s’être transformée en pure transparence et la mise en abîme, par effet de renversement, s’être métamorphosée en « une série de fenêtres ouvertes », le poète mine une fois de plus sa création. L’écran génésique où les images ne disparaissent plus, mais apparaissent dans une sorte de « familière étrangeté » qui les légitiment par leur ancrage dans le réel est dénoncé comme un leurre. Jaccottet désavoue ses métaphores comme des projections arbitraires, par un recours systématique et méthodique à la contestation dé-figurative de chaque image avancée :
L’image cache le réel, distrait le regard, et quelquefois d’autant plus qu’elle est plus précise, plus séduisante pour l’un ou l’autre de nos sens et pour la rêverie. Non, il n’y a dans le jour où j’entends cela que je ne sais pas dire, ni tentes, ni fontaines, ni maisons, ni filets. Depuis longtemps je le savais (et ce savoir ne me sert apparemment à rien) : il faut seulement dire les choses, seulement les situer, seulement les laisser paraître. Mais quel mot, tout d’abord, dira la sorte de sons que j’écoute, que je n’ai même pas écoutés tout de suite, qui m’ont saisi alors que je marchais ? Sera-ce « chant », ou « voix », ou « cri » ?[27]
Déplié en éventail de possibilités lexicales, l’acte de nomination traduit son impuissance à rendre compte du réel. Sans l’apanage du discours, donc du déploiement de la parole poétique, le mot pur trahit, par son idéalisation, l’expérience incarnée du sujet. Le troisième temps de la construction descriptive revient au moment de début, celui du travail analogique :
Ainsi est-on rejeté vers les images : ne dirait-on pas, cela qui me touche et me parle comme l’ont fait peu de paroles, des bulles en suspens dans l’étendue, de petits globes invisibles, en effervescence dans l’air ; un suspens sonore, un nid de bruits (un nid d’air soutenant, abritant des œufs sonores) ? Une fois de plus, l’esprit, non sans y trouver du plaisir, quelquefois du profit, vagabonde.[28]
La récupération de l’analogie œuvre dans le même sens d’un déplacement par de légers décalages : à la place des premières images du texte, que l’interprétation hésitait à situer dans le régime de la littéralité ou dans celui de la métaphoricité, les images que Jaccottet présente dans la deuxième proposition analogique se situent décidément du côté métaphorique. Elles se rejoignent toutes dans la rotondité qu’elles partagent, cherchant à proposer non plus le texte de l’image, un miroir textuel, mais à laisser voir cette image dans le vertige des métaphores. L’infigurable sonore se prête à la figuration dans une série d’actes qui le préparent à faire irruption dans l’acte d’écrire. La tournure interrogative intériorise le texte et fait entendre une voix, celle du poète, de même que celle des oiseaux, dans le silence qui prolonge la question laissée sans réponse.
Le dernier moment du texte remanie le discours et donne aux voix invisibles une quatrième proposition traductive. Rejetée une fois de plus pour son abstraction idéaliste, la métaphore est remplacée par la parabole de l’existence humaine qui, usant des éléments du quotidien et des images temporelles les plus nettes, tente de surprendre l’éternel dans le transitoire même :
Sauf que tout était beaucoup plus humble, proche et réservé. C’était notre vie, avec ses cahots : peu de mérite, peu d’ardeur, partout des menaces. Un cœur peu généreux, un esprit incertain et prudent, rien que des vertus négatives, d’abstention ; et quant au monde : un visage tailladé. Le fer dans les yeux, l’os carié. Le siècle que l’on ne peut plus regarder en face.[29]
Transformées en paraboles de notre situation dans le monde, plus que de notre être-au-monde, les proses descriptives de Jaccottet ne concernent pas tant des éléments du réel que des réflexions poétiques sur la réorientation de l’espace dans une géométrie intentionnée, dans laquelle le Sens ne soit plus donné par le sujet, mais par une entente entre le sujet et ce qui lui échappe. Le problème qui se pose est celui du subjectivisme et de la recherche d’un Sens transcendant le sujet. Si l’éventualité de ce Sens à la fois effraye et attire le sujet, l’espace du possible qu’elle fait ouvrir transforme l’écran des médiations superficielles (au sens fort du mot) et trompeuses en espace « trans-figural », dans le sens de Dominique Kunz Westerhoff :
Le discours, jouant de l’obstacle d’une figuration nécessaire – à l’instar de l’eau butant sur les joncs – avance les images pour mieux les retirer, « fleurissant » à sa propre limite et désignant, dans l’effacement des figures, le lieu introuvable d’une parole pure – tout comme l’écume, par son évanescence, signale l’invisible. […] [L]e transfigural se situe à la frontière du poétique et de l’esthétique.[30]
Même à l’état de trace, l’existence de la figuration métaphorique pose le problème conséquent de la médiation. Comment réaliser, en effet, le passage du liber mundi à l’inscription sur la feuille de papier, sinon par le biais de cette médiation obligée qu’est le langage ? Allant dans le même sens, le rêve de « l’immédiat » s’ajoute à l’utopie de l’effacement, aussi Georges Poulet a-t-il eu raison de les grouper ensemble, sans être insister pourtant sur le fait que la spontanéité thématisée par l’écriture jaccottéenne nécessite pour le moins une durée plus ou moins brève afin de s’inscrire sur la page :
L’immédiat : c’est à cela décidément que je m’en tiens, comme à la seule leçon qui ait réussi, dans ma vie, à résister au doute, car ce qui me fut ainsi donné tout de suite n’a pas cessé de me revenir plus tard, non pas comme une répétition superflue, mais comme une insistance toujours aussi vive et décisive, comme une découverte chaque fois surprenante. Il me semble même, maintenant, que je comprends cette leçon un peu mieux, sans qu’elle ait perdu de sa force.[31]
L’absence de la médiation posée par « l’immédiat » n’évite pas la question du choix, donc de la médiation, et de la « leçon », donc de la médiation au carré. Attentif à ne pas tomber dans les séductions de l’effet rhétorique du texte, Fabien Vasseur observe avec justesse que « l’immédiat » de Jaccottet prolonge son action bien au-delà d’une écriture de l’instant, pour construire une régularité fondée, précisément, sur la continuité et la médiation temporelles : « l’immédiat est ce qu’il y a de plus médiatisé par la durée »[32].
La double question de l’effacement et de la transparence est indissociable du problème de la figuration poétique et de la médiation réalisée par le langage. La posture ambivalente que Jaccottet choisit d’adopter envers l’emploi des images analogiques cache mal non seulement le pouvoir de fascination qu’elles exercent sur la conscience des poètes contemporains – malgré leur réticence déclarée –, mais aussi leur rôle formateur, positif, salvateur à la fois du texte que du sujet.
Bibliographie
Aragon, Louis, Le Paysan de Paris, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1972.
Jaccottet, Philippe, Paysages avec figures absentes, Paris, Gallimard, 1976.
Jaccottet, Philippe, La Semaison (Carnets 1954-1979), Paris, Gallimard, 1984.
Jaccottet, Philippe, À travers un verger suivi de Les Cormorans et de Beauregard (proses), Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1997.
Jaccottet, Philippe, De la poésie. Entretien avec Reynald André Chalard, Paris, Arléa, 2005.
Besançon, Alain, L’Image interdite : une histoire intellectuelle de l’iconoclasme, Paris, Fayard, 1994.
Collot, Michel, La Poésie moderne et la structure d’horizon, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Écriture », 1989.
Collot, Michel, Paysage et poésie du romantisme à nos jours, Paris, José Corti, 1995.
Decottignies, Jean, L’Invention de la poésie. Breton Aragon Duchamp, Lille, Presses universitaires de Lille, 1994.
Kaufmann, Vincent, Poétique des groupes littéraires. Avant-gardes 1920-1970, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Écriture », 1997.
Kunz Westerhoff, Dominique, La Crise de l’image dans la poésie du XXe siècle, Deuxième partie – Poétiques de la guerre et de l’après-guerre, Thèse de doctorat no 533, sous la direction de Laurent Jenny, Université de Genève, juin 2003.
Jenny, Laurent, La Fin de l’intériorité. Théorie de l’expression et invention esthétique dans les avant-gardes françaises (1885-1935), Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Perspectives littéraires », 2002.
Vasseur, Fabien, Philippe Jaccottet : un poète et son double. Travail des formes et construction du sujet, Thèse de doctorat en Lettres modernes sous la direction de Jean-Claude Mathieu, Université Paris 8, U.F.R. 4, soutenue le 23 novembre 2001, 3 tomes.
Trésor de la Langue Française informatisé, URL : http://atilf.atilf.fr/, consulté le 30 juin 2016.
Notes
[1] Avec des bases verbales, le suffixe -age sert à former des substantifs d’action ; ses dérivés expriment, en général, l’action (voir, entre autres, blanchissage, démontage etc.). Avec des bases nominales, il a, en général, une valeur collective (voir des dérivés tels que feuillage, compagnonnage, concubinage). Le paysage est, ainsi, une « collection » de pays. Voir l’entrée « -age » dans Trésor de la Langue Française informatisé, URL : http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/affart.exe?19;s=1821620040;?b=0, consulté le 30 juin 2016.
[2] Michel Collot, Paysage et poésie du romantisme à nos jours, Paris, José Corti, 1995, p. 71.
[3] Ibid., p. 80.
[4] Ibid., p. 84.
[5] Ibid., p. 94.
[6] Ibid., p. 93.
[7] Ibid., p. 97.
[8] Ibid., p. 123.
[9] Entre autres, Alain Bosquet ou Jean Lescure.
[10] Philippe Jaccottet, Paysages avec figures absentes, Paris, Gallimard, 1976.
[11] Id., De la poésie. Entretien avec Reynald André Chalard, Paris, Arléa, 2005, pp. 62-63.
[12] Vasseur cherche, par sa remarque, à contourner un autre cliché de lecture, adopté à partir de la petite scène ekphrastique présente dans le même recueil, qui expose un commentaire du célèbre tableau de Breughel, « Paysage avec la chute d’Icare » : « On cite toujours les lignes sur Breughel, pas les autres. […] On préfère insister sur la proximité du laboureur, alors que, très honnêtement, il n’est pas un seul paysan digne de ce nom dans les Paysages. » Fabien Vasseur, Philippe Jaccottet : un poète et son double. Travail des formes et construction du sujet, Thèse de doctorat en Lettres modernes sous la direction de Jean-Claude Mathieu, Université Paris 8, U.F.R. 4, soutenue le 23 novembre 2001, t. 3, p. 867. La lecture girardienne de Vasseur voit dans la chute d’Icare une prémonition textuelle de la chute finale de Hölderlin, ce qui le conduit à lire les Paysages comme… « un livre de portraits ». Ibid., p. 871 et suivantes.
[13] Philippe Jaccottet, « Oiseaux invisibles », in Paysages avec figures absentes, op. cit., p. 74.
[14] Ibid., pp. 76-77.
[15] Philippe Jaccottet, La Semaison (Carnets 1954-1979), Paris, Gallimard, 1984, p. 106, note de juin 1966.
[16] Id., De la poésie…., op. cit., p. 24.
[17] Louis Aragon, Le Paysan de Paris, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1972, p. 82, italiques dans le texte. Voir aussi Jean Decottignies, L’Invention de la poésie. Breton Aragon Duchamp, Lille, Presses universitaires de Lille, 1994, pp. 100-101.
[18] La lecture d’un manuscrit jaccottéen permet de retrouver Aragon et sa définition de l’image dans la comparaison de l’image poétique à une drogue. Pourtant, la drogue analogique prend chez Jaccottet une forme affaiblie en devenant de l’« opium » : « assez d’images, assez de mensonges, (assez) d’opium ! / Je ne veux plus que les mots volent sans moi, / les voir grandir, jouer, et scintiller au-dessus de moi / tandis que je deviens un mort, ou simplement […] » Philippe Jaccottet, « Feuille 6. 5 mai [1973] » in Chants d’en bas, manuscrit original, f. 6, verso (nous exprimons toute notre gratitude envers Mme José-Flore Tappy du Centre de recherches sur les lettres romandes de l’Université de Lausanne pour nous avoir laissé consulter le document).
[19] Philippe Jaccottet, « ‘Si simples sont les images, si saintes…’ », in Paysages avec figures absentes, op. cit., pp. 158-159, italiques dans le texte.
[20] Michel Collot, Paysage et poésie du romantisme à nos jours, op. cit., p. 138.
[21] Philippe Jaccottet, La Semaison, op. cit., p. 223, note d’octobre 1975.
[22] Id., « Oiseaux invisibles », in Paysages avec figures absentes, op. cit., p. 74.
[23] Id., « Paysages avec figures absentes », in Paysages avec figures absentes, op. cit., p. 34.
[24] Id., « À travers un verger », in À travers un verger suivi de Les Cormorans et de Beauregard (proses), Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1997, p. 17.
[25] Id., « Oiseaux invisibles », in Paysages avec figures absentes, op. cit., pp. 73-75.
[26] Ibid., p. 74.
[27] Ibid., pp. 74-75.
[28] Ibid., p. 76.
[29] Ibid., p. 78.
[30] Dominique Kunz Westerhoff, « Philippe Jaccottet – La traversée de l’image », in La Crise de l’image dans la poésie du XXe siècle, Deuxième partie – Poétiques de la guerre et de l’après-guerre, op. cit., pp. 267-268.
[31] Philippe Jaccottet, Paysages avec figures absentes, op. cit., p. 22, italiques dans le texte.
[32] Fabien Vasseur, Philippe Jaccottet : un poète et son double…, op. cit., t. 1, p. 180.