Gabriella Bandura Université de Szeged, Hongrie / Université Paris 8, France coquelicotrta@yahoo.com
La déficience de l’écriture chez Éric Chevillard et Anne Garréta : enjeux cognitifs /
Writing Deficiency in Éric Chevillard’s and Anne Garréta’s Novels: Cognitive Stakes
Abstract: This study highlights the writing deficiency in two contemporary novels, Du hérisson by Éric Chevillard and Ciels liquides by Anne Garréta, through cognitive science. Resorting to the autopoietic model, developed by Francisco Varela and Humberto Maturana, we propose to think this deficiency as the expression of an emergent functioning, which leads to a dynamics of individuation. The postures of this dynamics will be followed through the hedgehogful spiral which strikes the text, the narrator and the reader in Du hérisson and the experimentation of “je” in a fluid, abyssal space without language in Ciels liquides.
Key Words: Deficiency; Spiral; Hedgehog; Abyssal; Autopoiesis; Emergence; Individuation.
la seule réalité à quoi je me confronte en écrivant est le matériau plastique de la langue, sachant que dès que l’on s’y attaque avec un certain engagement, tout le réel bouge avec elle […].[1]
Éric Chevillard
le propre de tout organisme vivant consiste à s’auto-constituer dans son rapport à son monde ; à produire sa clôture opérationnelle dans l’action même par laquelle il « configure » son monde : la contrainte est donc double et simultanée par laquelle l’organisme s’adapte à son milieu et se le donne, en se décidant lui-même dans cette action.[2]
Francisco Varela
Se déprendre de l’emprise normative, en littérature comme dans la vie suppose non pas la transgression, mais le jeu, l’invention, la patience de nouvelles manières de lier les signes ou les corps entre eux, l’imagination de nouveaux plaisirs de langue, mobilisant différemment les affects.[3]
Anne Garréta
En lisant Éric Chevillard, on a la drôle d’impression d’être capturé dans un grand projet de réaménagement de la langue, « le grand déménagement du monde hors de ses greniers et de ses caves[4] ». On est dans un véritable laboratoire de sorcière où chien et aiguille, œuf et éléphant, asphalte et girafe se font triturer ensemble[5] selon une logique spéculative et narrative qui ne cesse de combiner, permuter, réorganiser autrement. Ainsi naissent de nombreux « petits mondes à l’envers »[6] où se propagent les figures du bestiaire – « un parfait gibier pour métaphores[7] » –, les situations absurdes, les éléments cocasses, un discours qui amalgame et une langue qui dérape… C’est une langue étirée, « trempée dans l’humour comme un linge[8] », grâce à laquelle Chevillard fabrique de nouvelles cosmogonies monstrueuses, vertigineuses, frappées par la folie verbale et cela jusqu’au délire…
L’univers romanesque d’Anne Garréta est imprégné par la désagrégation, la perte, la disparition et le motif de la nuit. Ces phénomènes sont perceptibles avant tout dans la langue, sujette à diverses expérimentations (des fautes de syntaxe et d’accord grammatical, l’absence du genre, le manque du sujet, etc.) qui la décomposent et la rendent boiteuse, glissante, voire complètement absente. C’est une manière d’interroger le rapport entre les mots et les choses, « d’errer dans le réel, de désancrer, de défamiliariser[9] »pour pouvoir élaborer de nouvelles connexions entre les données réelles d’un monde à première vue cohérent. L’art du langage est pour l’écrivaine « comme une sorte d’art martial […], et la fiction comme ce que l’on appelle techniquement des « kata » : série de mouvements purs, enchaînés avec rigueur et qui sont un combat contre un adversaire virtuel ». Et Garréta d’ajouter :
Ils doivent être à la fois beaux, précis et efficaces. Ils entraînent le corps aux coups, aux postures, aux enchaînements, aux gestes qui seront requis dans le vrai combat […].[10]
Cette écriture déficitaire qui expérimente sans cesse « des bribes de mondes, des dérivations et des excroissances[11] » engendre chez ces auteurs une productivité auto-génératrice, déclenche une véritable dynamique de singularisation, c’est-à-dire d’individuation dans laquelle se déplient les tentatives de réordonner, de ré-habiter l’espace. En s’appuyant sur les romans intitulés Du hérisson[12] d’Éric Chevillard et Ciels liquides[13]d’Anne Garréta, nous nous proposerons d’éclairer, de capter les instants et les gestes primordiaux de cette dynamique d’individuation à travers un modèle cognitif, à savoir le modèle de l’autopoïèse.
Avant d’examiner comment cela se produit, nous allons définir ce modèle et relever ses principaux aspects susceptibles de soutenir notre travail.
Dans le cadre de cette fédération de disciplines que l’on appelle sciences cognitives[14], il existe trois paradigmes majeurs. Le premier appelé, cognitivisme[15], est basé sur la métaphore de l’ordinateur et postule que la cognition est le traitement computationnel[16] effectué par le cerveau sur des symboles. Le deuxième, connu sous le nom de connexionnisme, conçoit les capacités cognitives comme un réseau distribué, dans lequel suite aux interactions multiples entre éléments locaux (les neurones), émerge une forme globale, correspondant à telle ou telle tâche (la mémoire, la vision, etc.). Le dernier paradigme, l’énaction[17], diffère des deux premiers puisqu’il conçoit la cognition non plus comme une représentation du monde extérieur préexistant, mais comme la co-émergence de l’esprit incarné et du monde, dans leurs interactions diverses. Et ce qui permet ce processus n’est autre que l’autopoïèse.
Le concept de l’autopoïèse a été élaboré par les neurobiologistes Francisco Varela et Humberto Maturana dans les années soixante-dix, et apparaît pour la première fois dans un article de 1974[18]. Il s’agit d’un modèle qui formalise le fonctionnement cognitif du vivant (allant des unicellulaires jusqu’à l’individu) comme un processus auto-producteur[19], dont la caractéristique principale est de fonctionner comme un réseau qui accomplit sans cesse un processus de remplacement de ses composants, en réagissant à des perturbations externes venant de l’environnement. Pour compenser ces perturbations, il produit une clôture opérationnelle, c’est-à-dire une frontière dynamique qui garantit l’émergence et le maintien de son identité autonome, et par la même occasion, il reconfigure continuellement son monde en interagissant avec l’extérieur et en se transformant suite aux perturbations. Le système autopoiétique obéit donc à un double critère : il maintient la dualité entre son organisation et sa structure. Pour Varela, l’organisation d’un système vivant est l’ensemble des éléments invariants qui constituent sa configuration globale, alors que la structure est l’univers indéfini des variables à l’origine des changements permanents :
Un système autopoiétique est organisé comme un réseau de processus de production de composants qui (a) régénèrent continuellement par leurs transformations et leurs interactions le réseau qui les a produits, et qui (b) constituent le système en tant qu’unité concrète dans l’espace où il existe, en spécifiant le domaine topologique où il se réalise comme réseau.[20]
Le modèle de Varela et Maturana apporte de la nouveauté par rapport au concept d’homéostasie[21] propre au modèle cybernétique en affirmant que les caractéristiques autorégulatrices du système autopoiétique sont entièrement internes. En raison de ce mécanisme d’autorégulation incorporée, le système autopoiétique ne rejoint pas le même état stable, mais évolue de manière métastable.
Le concept de métastabilité apparaît déjà chez Norbert Wiener[22] et se réfère à l’état d’indétermination d’un système qui a pour but d’atteindre l’homéostasie. Or, dans le cas du modèle autopoiétique de Varela, la métastabilité ne renvoie pas à une tendance au maintien du même état, mais à un processus de reconfiguration continuelle à références internes, cultivant des agencements à venir. C’est à ce niveau que l’autopoïèse devient intéressante pour suivre les mouvements d’individuation qui traversent les textes.
Le roman intitulé Du Hérisson, met en scène un écrivain anonyme qui décide d’atteindre le point culminant de sa carrière littéraire en écrivant Vacuum extractor, « une confession auto-biographique déchirante »(H, 14) dans laquelle « il ordonnerait tous ses souvenirs à la française » (H, 226). Tout est prêt, du papier, un crayon, une gomme, mais soudain, un hérisson naïf et globuleux vient troubler le projet d’écriture en s’installant sur le bureau de l’écrivain :
Cela m’a tout l’air en effet d’un hérisson naïf et globuleux, l’animal là sur mon bureau. Je ne crois pas me tromper. J’ignore comment il est arrivé ici, ou qui l’y a mis et pourquoi. Que dois-je en faire ? Il ne bouge pas. On attend de moi quelque chose de précis, là? Quoi? Je m’exécuterai si je le puis, bien volontiers. Comment dois-je m’y prendre ? Je ne risque pas de le deviner tout seul. Je connais mal cet animal, je l’avoue, le hérisson naïf et globuleux ne m’est pas familier. En outre, je suis assez pressé. Un nouveau livre dont j’ai l’idée. Alors si on voulait bien répondre à la question que je me pose : que fait-on d’un hérisson naïf et globuleux… ? (H, 9)
Le texte ouvre sur un univers de mise en abyme de l’écriture imprégné d’une réflexion profonde sur la possibilité ou plutôt sur l’impossibilité d’écrire son histoire, de créer un visage. Les fragments répétitifs qui constituent le roman tournent obsessionnellement autour de ce projet autobiographique inabouti à cause de la présence importune du hérisson naïf et globuleux. Ce petit parasite, renifleur hirsute, s’avère une source de perturbation mécanique permanente qui va affecter tout le déroulement du texte, bouger et embrouiller toutes les constantes, tous les rôles. Il devient ainsi « l’outil mnémonique[23]» qui va déclencher un processus de singularisation permanente au niveau narratif, thématique, stylistique et langagier. Il creuse par conséquent un espace dont « l’invariant organisationnel[24]» perdure, et en aucun cas ne s’homogénéise avec les autres espaces de la production littéraire.
Cela se met en place par une série entrelacée de clôtures et d’ouvertures, qui produisent un texte brisé dont les fragments répétitifs mettent en scène l’animal perturbant l’écrivain, et en même temps un texte qui se métamorphose au fur et à mesure en présentant les symptômes de l’écriture-hérisson. Cette métamorphose impliquant la dualité d’une série de clôtures et d’ouvertures, de l’invariable et du variable, se manifeste au niveau de la plasticité[25] du texte qui se contracte et se replie sur lui-même « à la façon hérissonneuse[26] »,en suivant une double contrainte : les paragraphes se coupent avant la fin des phrases, et en même temps les phrases débordent les paragraphes en créant de nouveaux fragments. Il en résulte un jeu où piétinement et mouvement circulaire s’entremêlent :
Je menais la vie commune. Je me courbais sous l’averse, je prenais des couleurs au soleil, comme n’importe quel autre arc-en-ciel. Et soudain lui, là, qui surgit. Non mais ho. Qu’est-ce que c’est que ce rat ? D’où sort-il ? […] Pour une fois que j’envisageais d’écrire de façon plus confidentielle, d’évoquer des souvenirs personnels, et par exemple cette période de liberté sexuelle effrénée qui s’ouvrit en 1968 et prit fin justement le jour où j’atteignis moi-même l’âge de la puberté en me frottant les mains, voici qu’un hérisson naïf et globuleux vient parasiter ma confession autobiographique déchirante. Or personne ne se passionne plus pour la question du hérisson naïf et globuleux, ça se saurait. […] Pour trouver de l’intérêt à ça, aux hérissons naïfs et globuleux, il faut manquer de distractions, demeurer célibataire en sa maison, avec peu de pelouse à tondre […]. (H, 13-14)
Cette plasticité qui travaille le texte de multiples manières est une qualité autopoiétique, puisqu’elle renvoie à une forme qui se conserve tout en laissant libre cours à un potentiel de nouvelles configurations à venir, en réponse aux perturbations qui l’affectent. Les contours de ce travail plastique, « activité purement ludique, qui ressemble aux occupations des enfants, pâte à modeler et cubes[27] », se dévoilent dans les plis d’une structure « qui s’apparente à quelque savoureux millefeuille de hérisson[28] ».
Le mouvement est lancé par la répétition obsessionnelle du syntagme « hérisson naïf et globuleux » dans chaque fragment, ce qui entraîne une accélération dans la production d’emboîtements en série. Les petits passages exposant l’animal épineux se déplient de plus en plus vite et on est plongé dans un délire langagier frénétique, dans une véritable spirale infernale. Le texte, semblable aux fractales, se transforme alors en un objet monstrueux, qui par le déferlement sans fin des paragraphes est perçu « comme une figure mythique, jamais totalement décrite, mais seulement limite d’une itération infinie[29] ».
Dans cette spirale, tout le monde est happé par la dynamique des perturbations contractiles et rétractiles en commençant par l’écriture qui obéit à « la loi des séries[30] ». Suivant cette loi, les éléments sont soumis à « des procédés de répétition ou de variation systémiques[31] », qui conduisent à « un épuisement formel[32] »,« la série devient donc une machine à engendrer n’importe quoi[33] ». Quant aux thèmes, aux phrases et aux syntagmes, les mêmes sujets et les mêmes formulations tournent autour du narrateur-écrivain, obsédé par l’impossibilité de l’écriture à cause du hérisson naïf et globuleux. Ces répétitions permettent en même temps d’augmenter la vitesse du déroulement des strates hérissonneuses, ce qui fait gonfler la spirale, transformée en un lieu de délire langagier ardent :
Le maniaque n’a besoin de personne tel est justement son drame. Quiconque prétend se mêler de ses affaires le hérisse, alors un hérisson naïf et globuleux… Combien de parfaites piles de chemises ai-je démolies pour vérifier qu’elles étaient telles ! Cette folie vérificatrice peut avoir de durables conséquences. Le cas suivant nous en fournit un bel et lamentable exemple. Il alluma. Afin de s’assurer qu’il avait bien allumé, éteignit et ralluma. Pour en être absolument absolument certain, éteignit et ralluma. Puis, car il s’agissait de chasser jusqu’au moindre doute, de le dissoudre, éteignit encore, ralluma et ainsi de suite depuis une éternité la nuit succède au jour et le jour à la nuit, on l’aura compris, Dieu vit un enfer […]. (H, 38)
L’amplification du détail à l’extrême, ainsi que l’énumération, sont d’autres procédés qui déstabilisent le texte et intensifient cette folie verbale en y injectant un nouvel élan auto-générateur. « L’énumération est une forme de délire, une accélération de la pensée qui file vers son but sans se laisser retarder[34] » :
Vacuum extractor, ce livre dont pour la première fois je jouerai les héros le navigateur intrépide, le jeune ambitieux, l’amoureux idiot, le fils endeuillé, le loup solitaire, le séducteur cynique, le fameux détective, le quinquagénaire dépressif, le prince et la bergère, l’artiste maudit, le découvreur de mondes, l’enfant épouvanté, le courageux malade, le mari jaloux, le nain diabolique, le hérisson naïf et globuleux, le vieillard qui se retourne brusquement sur mon passé, […]. (H, 127-128)
La singularisation se poursuit par l’étirement jusqu’au bout de la texture rongée par les symptômes de l’écriture-hérisson dont une autre marque est sa forme cyclique[35]. « L’écrivain joue avec sa boule de texte[36] » : au niveau global, les paragraphes suivent une organisation circulaire, se bouclent, spiralent ; la fin est interchangeable avec le début, peu importe à quel moment on entre dans le texte.
Celui-ci devient omnivore dans les sujets qu’il traite, « alors comme le hérisson du roman, tout l’alimente, et pas seulement des insectes, tout entretient sans chute de tension une énergie multipolaire[37] ». Les paragraphes qui se clôturent autour de l’écriture (son impossibilité) s’ouvrent à toute une série de dérives et d’extrapolations sans aucun lien logique (des réflexions sur la musique en boîte de nuit, les maladies mentales du narrateur, les mœurs du hérisson, etc.) qui reconfigurent constamment le réseau tout en laissant libre cours à la circulation des entités, à la fluctuation de la cosmogonie verbale du Hérisson. L’auteur effectue ces détours intempestifs avec agilité et précision à l’intérieur des fragments qui s’éloignent progressivement de leur point central tout en tournant autour.
Ce texte-hérisson dresse ses pointes et devient piquant, en cumulant des scènes parodiques à différentes échelles. Dans son réaménagement du monde à travers la langue, l’auteur se sert paradoxalement d’une façon excessive des techniques qu’il critique. Du hérisson nous sert du hérisson dans une quantité infinie que l’on ne peut plus (di)gérer : il définit, décrit, explique, analyse cet animal en passant par la copie, la réécriture, voire le pastiche de différents dictionnaires et encyclopédies, avec une précision et une méticulosité mêlant humour noir et autodérision :
la saison de reproduction du hérisson naïf et globuleux dure d’avril à août sans discontinuer et deux à dix petits naissent aveugles et roses après trente-cinq jours de gestation. Ils ne mesurent que six centimètres et ne pèsent que deux grammes. Leurs piquants mous et blancs sont alors recouverts d’une peau fine. Après trois jours, ceux-ci s’allongent et durcissent, selon le professeur Zeiger ; selon le professeur Opole, c’est une deuxième série de piquants annelés, sombres et clairs, qui pousse à ce moment-là. Je n’ai pas d’avis sur la question. Mon hérisson naïf et globuleux est de toute évidence un adulte, mâle ou femelle, je l’ignoreet, dois-je le confesser ? je ne sais même pas où chercher. (H, 47)
Et ce n’est pas fini ! L’animal épineux ne se contente pas d’étendre ses piquants et son appétit omnivore sur le texte, il dévore littéralement les pages en imposant son cri, sa langue :
ruiiiiiii ou grouiiiiiii, quand mon coude le heurte brutalement – ça alors ! vous avez entendu ? Mon hérisson naïf et globuleux a produit un son autre qu’un reniflement morveux ! […]. (H, 157)
La parodie la plus piquante vise les scènes de la future autobiographie, Vacuum extractor, dans laquelle la naissance, l’enfance, l’amour, la vie de famille et professionnelle and so on… seront minutieusement racontés. L’inadéquation du style à la diégèse « permet le développement d’une réflexion générique comique, envisageant tout à la fois les pôles de la création et de la réception[38] » :
De très nombreuses pages de Vacuum extractor relateront nos étreintes, que nos chers parents liront en regardant ailleurs car les plus intimes détails ne seront point omis et les façons dont on s’y prend pour que mon sexe entre dans le sexe de Méline y seront décrites de manière à entretenir à chaque fois un certain suspense. (H, 189)[39]
Le langage devient également le globe par excellence du délire hérissonneux : se propagent les métaphores et les comparaisons absurdes, les coq-à-l’âne, les formulations « non sensées », les amalgames, autant de gestes qui relancent et empêchent, semblables aux mouvements contractiles et rétractiles du hérisson : « le paon se marie à l’église », « le figuier s’est organisé / la feuille cueille le fruit », « le canari n’a pas touché au blanc de son œuf » (H, 75) ; « Ainsi surprend-on parfois sur un visage une double ressemblance […], tels l’écureuil et la Vierge au bon lait » (H, 84), etc.
Le narrateur-écrivain est pareillement happé par cette spirale vertigineuse et, dans une posture tout à fait paradoxale, se servant du parasite pour contester le genre autobiographique, il dresse son autoportrait en hérisson. La pseudo-autobiographie qu’il crée s’appuie sur « l’éthique du noli me tangere[40] » : semblable au hérisson-mortier, le texte prend la posture de l’attaque et de la défense et se ferme devant tout geste de la prosopopée :
Nous voilà tous les deux réfugiés dans sa boule, bouclés ensemble par son puissant muscle orbiculaire. Mon hérisson naïf et globuleux est un hôte charmant. Il me laisse son lit. Il dormira par terre dans un coin. Vous êtes chez vous, me dit-il. Et je dois avouer que tel est bien mon sentiment, je suis enfin chez moi. Je reconnais mon intérieur. (H 219)
Le lecteur – enfin le véritable lecteur chevillardien – est frappé à son tour par les symptômes de l’écriture-hérisson et se met en boule contre tous les schémas interprétatifs. Son point de référence ce n’est plus le monde extérieur par rapport au livre, au contraire, il lit et comprend le monde en partant du potentiel autopoiétique du texte en voie « d’hérissonnisation » :
Ceux qui furent internes liront ce livre avec passion. […] Mais les externes s’emmerderont tous sans exception. Aux externes, je ne recommanderai pas ce livre, ni aucun de mes livres d’ailleurs. Ce livre d’interne sera comme un hérisson naïf et globuleux pour les externes un livre hermétique, une lecture pénible. Ils ne pourront tout simplement pas entrer dedans. Telle est la condition de l’externe, définitivement périphérique, mais celle de l’interne est sans issue. L’interne n’a plus de regard, n’a plus de visage. Il ne porte pas de masque, au contraire : il a retrouvé la pièce qui manquait au puzzle d’os de son crâne. Sa tête n’est pas moins ronde et close que celle du hérisson naïf et globuleux. Tout se passe dedans. Il s’évade par l’intérieur. Il creuse en lui un tunnel vers la sortie. Il se rend inaccessible. Il se construit une forteresse dans la forteresse. (H, 231-232)
Cette spirale infernale évoque Le Miroir magique de M. C. Escher (1946), présenté ci-dessous, où le jeune homme qui contemple le tableau se trouve en même temps englouti par celui-ci, en conséquence de quoi le dehors et le dedans, le voyant et le visible, l’organisation et la structure se livrent à un jeu d’enchevêtrements incessant.
Ce jeu constitue l’essence même de cette spirale hérissonneuse tournant sans cesse autour du même, tout en étant traversée par des mouvements illimités et contingents qui dévoilent l’essence de nouveaux espaces à venir. C’est là le véritable potentiel autopoiétique du texte-hérisson en processus constant d’individuation que Chevillard évoque quand il qualifie Du hérisson d’« un livre sur rien » :
Le livre sur rien […] est le ciel enclos, la chair faite verbe. […] Le rien. Quelle légèreté soudain ! Quel essor ! Tous nos fardeaux à bas. La langue alors comme pure extase, jubilation, danse, harmonie, et réforme radicale des lois de ce monde, y compris et surtout de ses lois physiques.[41]
*
Ciels liquides d’Anne Garréta met en scène la descente aux enfers du narrateur qui perd, au fur et à mesure, l’usage de la langue ainsi que tout repère spatio-temporel et va finir par se virtualiser. C’est un jeune étudiant qui a bénéficié d’une bonne éducation, qui parle quatre langues et étudie « plus stupidement que jamais » (CL, 26) les sciences politiques et le droit international dans un prestigieux institut parisien. Mais la survenue de plusieurs crises d’étouffement va entraîner une suite de perturbations dans le fil narratif, suite auxquelles vont se propager dans le texte les postures de désémiotisation, de défiguration.
Cela commence par un lent processus de passivation active du sujet, qui plonge de plus en plus dans un monde où « l’ancien ordre des choses » (CL, 32), ainsi que la langue, sont complètement détruits :
Au détour d’un pilier, je m’égarai dans le détail d’une arche et la figure de l’espace soudain se troubla ; dans un remuement de vase soulevée, la grange lentement s’abîma sous mes yeux. […] Dans mon crâne un raz de marée achevait de déferler. En marchant, je toussai par deux fois, tâchant de racler au fond de ma gorge des lambeaux de langue. Me sentant rougir, je baissai la tête, ne sachant plus comment nommer la défaillance qui m’avait pris […] ce nœud qui me ligotait la gorge, cette marée d’ombre qui envasait mon cerveau […]. Les mots avaient fui mais l’idée m’en restait, la forme en creux, chrysalide vide… (CL, 21-30-32)
Cette descente aux enfers s’accompagne tout au long du livre de l’apparition de créatures-fantômes – Céleste, l’ange, le double du narrateur, l’être évanescent dans le parc – qui creusent des micro-espaces de transition – la grange, le grenier, le caveau, la morgue, la cave – vers un monde sans figure ni sens et poussent le narrateur sur les rails de la désagrégation totale. Le temps est affecté de même et devient un temps fabulé, « il n’y a plus ni ciel ni étoiles, le temps n’est que langue morte » (CL, 40). Ce morcellement est tangible au niveau du langage également, devenu véritablement une sorte d’art martial, un langage invertébré, presque reptile, qui joue avec les fautes de syntaxe jusqu’à omettre le sujet : « Aux séductions étrangères ai perdu ma langue maternelle, en voyages dilapidé le pli secret de mes enfances » (CL, quatrième de couverture).
Le récit perd petit à petit toute intelligibilité et se dédouble, ce qui se manifeste par la succession, voire la fusion d’un récit au passé en caractères romains de la voix qui raconte, et un récit au présent en caractères italiques de la voix folle, de l’errance. Un « je » anonyme masculin rend compte dans le premier récit du morcellement de l’espace de son enfance (la ferme) ainsi que de sa perte de l’usage du langage, en établissant un cadre narratif cohérent et transparent. « La compétence de ce narrateur aphasique est figurée donc sur le mode du paradoxe[42] » :
La coexistence de deux textes […] – l’un en italique, fort énigmatique, l’autre en romain, plus cursif mais « impossible » dans la mesure où il est confié à un narrateur aphasique (et qui est sans doute l’auteur du premier texte) – cette coexistence donc, se trouve à dupliquer l’ébranlement initial de l’autorité narrative.[43]
L’effritement de tous les repères langagiers et spatio-temporels nous entraîne dans « un labyrinthe sémantique[44] »,dans lequel ce « je » anonyme se donne petit à petit le visage de la mort. Enlevé par une infirmière bizarre, Céleste[45], il va vivre, « bâtir une habitation[46] » mentale dans le placard vide d’un grenier, puis prendre l’identité d’un homme tout juste assassiné (qui s’avère être son double), travailler dans une morgue et vivre dans un caveau sans épigraphe, avant de se terrer dans la cave de la ferme de son enfance. Insérés dans le premier récit, les segments en italique saisissent les sensations éprouvées par le narrateur dans un présent qui s’étend sur tout l’espace fluctuant du livre.
Ce caractère fluctuant peut être capté au niveau de la structure qui s’organise en boucle en dépassant « les bordures[47]» classiques de début et de fin. Valérie Provost identifie trois moments majeurs d’entrée dans le texte, trois « portes d’entrée[48]» pour la lecture, qui se forment autour du verbe « gésir ». La première est à rechercher dans la phrase introductive du segment en italique amorçant le roman, « Ci-gis seul sauf terré profond dans le sol » (CL, 9), qui donne l’impression que le narrateur élabore lui-même son épitaphe, le nœud condensé de l’histoire :
Ci-gis seul sauf terré profond dans le sol.
Il fait froid. Les pierres lissent suintent d’humidité, des pleurs.
Quel temps fait-il dehors ?
Fait-il encore du temps ?
Tout sera arrêté, et le temps aussi, figé dans une griserie indistincte, soleil éteint.
Il n’y aura plus que des pierres. A quoi bon s’égosiller.
Rien n’aura eu lieu. (idem)
La deuxième – au tiers du livre – est introduite par la phrase « Ci-gisais-je sans plus de mouvement » (CL, 73) et constitue le début d’une nouvelle phase lors de laquelle le narrateur s’enlise dans un nouvel état, celui du devenir mort. La troisième – aux deux tiers du dernier segment en italique du roman –, « Je reprends sens, ne sachant où je gis » (CL, 170) amorce l’expérimentation du monde dans une nuit de plus en plus profonde, insondable. De plus, la fin tronquée de l’inventaire final, « Il y a l’ovale émaillé d’un ci » (CL, 180), n’est que la fin apparente d’une liste de souvenirs infinis, plongés dans une « nuit éternelle » (CL, 152), dans laquelle ils se régénèrent continuellement en rejoignant le début du roman, à savoir le segment introductif en italique qui annonce le processus de bouclage : « Ci-gis seul sauf terré profond dans le sol[49] ». Les débuts sont donc recréés à plusieurs reprises, la fin devient le début, et inversement. Ces mouvements circulaires engendrent un processus autopoiétique sans fin : le texte, dans le jeu de miroir du récit de l’intelligible et de l’inintelligible, se clôture, se referme, voire s’anéantit, mais pour partir chaque fois en quête d’une nouvelle ouverture auto-créative.
L’identité du narrateur est modulée sans cesse dans cette structure bouclée, il devient un spectre qui « hante le roman à la manière d’un fantôme et qui se fait invisible, insaisissable[50] ». Il évolue avec les plis autopoiétiques qui traversent le texte, s’y infiltre doucement et s’étend sur son espace poreux dans un présent « disjoint, hors de ses gonds[51] » :
Le présent est ce qui passe, le présent se passe, il séjourne dans ce passage transitoire […], dans le va-et-vient, entre ce qui va et ce qui vient, au milieu de ce qui part et de ce qui arrive, à l’articulation entre ce qui s’absente et ce qui se présente.[52]
L’univers en perpétuelle défiguration qu’il expérimente peut être lu comme un monde abyssal[53], éternellement noir, marqué par un changement profond dans les dispositifs de la perception : faute de lumière, la vue est remplacée par le toucher, les espaces, les souvenirs et avec eux les mots deviennent liquides, tout est flottement, circulation distribuée, fluide :
[…] je sombrais.
Mon ombre flottait encore à la surface, aspirant, regardant, proférant en réponse aux mille stimuli du monde alentour. En dessous, je sombrais doucement, entraîné par le tourbillon, la lente spirale, toujours plus bas. La grange, reposait, échouée, au fond, engloutie sous des lieues d’intense circulation fluide, la rumeur du verbe, brassée sans cesse. […] Narines saturées de l’odeur de moisissure, l’oreille obsédée du murmure de l’eau qui suinte et infuse goutte à goutte dans mon crâne sa rumeur d’océan. (CL, 20-151)
Dans ce milieu flottant, « manège de spectres » (CL, 156) et de « pulsation noire » (CL, 156), les souvenirs explosent mais trouvent un moyen de se redistribuer, et avec eux la langue, devenue liquide… Les mots tournent et tracent de nouvelles lignes, de nouveaux territoires, tout devient présent, un ensemble de points simultanés, une architecture fragile, sans fond et sans lumière, mais qui porte dans ses fosses la pulsion de nouvelles configurations à venir :
Ma nuit regorge de souvenirs et d’ustensiles.
Il y a des cartes de frontières cent fois remaniées ou depuis longtemps abolies…
Il y a une demi-douzaine de missels…
Il y a des traités de balistique d’avant Sedan…
Il y a des boîtes de plumes, leur cachet-fermoir de papier gommé encore intact…
Il y a une Histoire sainte illustrée…
Il y a six ampoules, 110 volts, 60 watts. Mortes.
Il y a un manuel de calligraphie maculé d’encre, des livres d’école recouverts d’un papier bleu marbré qui a passé…
Il y a un survêtement de pêche qui monte jusqu’à mi-corps…
Il y a l’ovale émaillé d’un ci. (CL, 173-180)
Ce texte, devenu une masse d’eau des grands fonds marins, porte dans ses profondeurs des qualités autopoiétiques, qui font que les mots transpercent les fluides froids et commencent à suinter et à migrer jusqu’à ce qu’ils émergent de nouveaux écosystèmes, hantés par des spectres et nourris par des circuits émergents à venir, s’inscrivant infiniment dans les fissures des boucles enchevêtrées.
*
L’intérêt d’une telle lecture cognitive est de faire sentir ces forces auto-productives qui traversent les romans et y sèment des zones de puissances contingentes, complètement singulières. Le recours au modèle varélien n’est donc pas une méthode systématique pour expliquer le fonctionnement auto-générateur des textes comme un processus dynamique qui suit toujours le même cheminement, mais plutôt un vecteur de créativité qui nous ouvre le champ des possibles. Il permet non seulement de capter le potentiel complexe et jamais prévisible des romans, mais aussi de les saisir en tant que systèmes autopoiétiques par des lectures, qui débouchent sur une spirale hérissonneuse sans fin et un modèle abyssal sans fond.
Bibliographie
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Dominique Viart, « Littérature spéculative », in Pour Éric Chevillard, Pierre Bayard (dir.), Paris, Minuit, 2014, pp. 59-93
Notes
[1] Voir Florine Leplâtre, « Douze questions à Éric Chevillard », Inventaire / Invention, 21 novembre 2006, http://www.eric-chevillard.net/e_inventaire invention.php.
[2] F.-D. Sebbah, « L’usage de la méthode phénoménologique dans le paradigme de l’enaction », Intellectica, 2 (39), 2004, p. 173, in Olivier Penelaud, Le Paradigme de l’énaction aujourd’hui. Apports et limites d’une théorie cognitive « révolutionnaire », http://plasticites-sciences-arts.org/PLASTIR/Penelaud%20P18.pdf, p. 4.
[3] Entretien de Gildas Le Dem avec Anne Garréta, « Anne Garréta danse avec les spectres », 2009 : http://www.tetu.com/2009/03/18/news/culture/anne-f-garreta-danse-avec-les-spectres-2/.
[4] Daniel Lemi, « Entretien avec Éric Chevillard : ‘J’admire l’angélisme des pessimistes. Comme si la situation pouvait encore empirer !’ », Article XI, 27 septembre 2008, http://www.eric-chevillard.net/entretiens.php.
[5] Voir Pierre Jourde, « L’œuvre anthume d’Eric Chevillard », Critique, n° 622, 1999, p. 266.
[6] Se reporter à Pierre Jourde, « Les Petits Mondes à l’envers d’Éric Chevillard », La Nouvelle Revue Française, n° 486-487, 1993, pp. 204-217.
[7] « J’adore l’angélisme des pessimistes », art. cit.
[8] Idem.
[9] Idem.
[10] Entretien avec Anne Garréta par Eva Domeneghini, art. cit.
[11] Dominique Viart, « Littérature spéculative », in Pour Éric Chevillard, Pierre Bayard (dir.), Paris, Minuit, 2014, p. 81. La remarque est valable pour les romans de Garréta également.
[12] Éric Chevillard, Du hérisson, Paris, Minuit, 2002. Les références à ce texte seront notées H, suivi du numéro de page.
[13] Anne Garréta, Ciels liquides, Paris, Grasset, 1990. Les références à ce texte vont apparaître sous forme de CL, suivi du numéro de page.
[14] Les sciences cognitives ont pour objet l’étude scientifique du fonctionnement de l’esprit et de la connaissance. Actuellement, elles ne disposent pas d’une orientation faisant l’objet d’un consensus, donc elles ne sont pas considérées comme une discipline autonome, mais plutôt comme une multitude de disciplines, notamment la linguistique, les neurosciences, la psychologie, la philosophie de l’esprit et l’étude de l’intelligence artificielle. Chaque discipline est caractérisée par une vision différente du fonctionnement de l’esprit et de la cognition suivant ses préoccupations spécifiques. Cf. Francisco Varela, Invitation aux sciences cognitives, Paris, Seuil, 1989.
[15] Il est également connu sous le nom d’approche symbolique ou computationnelle et souvent il est confondu avec les sciences cognitives elles-mêmes.
[16] « Une computation est une opération effectuée ou accomplie sur des symboles, c’est-à-dire sur des éléments qui représentent ce dont ils tiennent lieu. La notion clef dans ce contexte est celle de représentation ou d’‘intentionnalité’, terme signifiant être à propos de quelque chose ». Cf. Varela et al., L’Inscription corporelle de l’esprit, Paris, Seuil, 1993, p. 73.
[17] De l’anglais to enact qui veut dire faire émerger.
[18] Varela, Maturana, Uribe (1974), « Autopoiesis: The Organization of Living Systems, its Characterization and a Model », Biosystems, 5(4), pp. 187-196.
[19] Le mot vient du grec auto soi-même et poièsis production, création.
[20] Varela, Autonomie et connaissance, Essai sur le vivant, Paris, Seuil, 1989(b), p. 45.
[21] La notion d’homéostasie vient du grec stasis (état, position) et homoios (égal, semblable à). Le concept d’homéostasie, qui sera au cœur du développement cybernétique, décrit la tendance d’un système à revenir au même état stable (voir Wiener, 1961).
[22] Cf. Norbert Wiener, Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine, publié en anglais par la Librairie Hermann et Cie (Paris), The MIT Press (Cambridge, Mass.) et Wiley (New York), 1948, tr. fr., La Cybernétique: Information et régulation dans le vivant et la machine, Éd. Seuil, 2014.
[23] Anne Cousseau, « Lecture, jeu et autobiographie dans Du hérisson d’Éric Che villard », in Romanciers minimalistes 1979-2003, Colloque de Cerisy, Marc Dambre, Bruno Blanckeman (éd.), Presses Sorbonne Nouvelle, 2012, p. 240.
[24] Varela, 1989(b), op. cit., p. 45.
[25] David Ruffel, « Les romans d’Éric Chevillard sont très utiles », in Romanciers minimalistes 1979-2003, p. 31.
[26] Cousseau, art. cit., p. 241.
[27] Jourde, « L’œuvre anthume d’Éric Chevillard », art. cit., p. 266.
[28] Blanckeman, « ‘L’Écrivain marche sur le papier’, Une étude du Hérisson », in Roman 20-50, Pascal Riendeau (dir.), n° 46, 2008, p. 68.
[29] Varela, 1989(b), op. cit., p. 26.
[30] Servanne Monjour, L’Esthétique loufoque chez Éric Chevillard, @nalyses, 3 juin, 2011. Disponible sur : https://uottawa.scholarsportal.info/ojs/index.php/revue-analyses/article/view /618/520, p, 15.
[31] Idem, p. 15.
[32] Jourde, « Le Loufoque comme exercice d’épuisement », in Figures du loufoque à la fin du XXe siècle, Jean-Pierre Mourey, Jean-Bernard Vray (dir.), Saint-Étienne, Presses de L’Université de Saint-Étienne, p. 161, in id.
[33] Idem.
[34] Voir « Le Monde selon Crab », entretien d’Éric Chevillard par Richard Robert, Les Inrockuptibles, n° 47, juillet 1993, http://www.eric-chevillard.net/e_le mondeseloncrab.php.
[35] Ces caractéristiques sont relevées par Bruno Blanckeman dans son étude « ‘L’Écrivain marche sur le papier’, Une étude du Hérisson », art. cit., pp. 68-69.
[36] Idem, p. 68.
[37] Idem, p. 69.
[38] Monjour, art. cit., p. 13. Ce procédé semble constituer en même temps un moteur loufoque majeur dans Du hérisson, souligne Servanne Monjour.
[39] Idem.
[40] Ruffel, art. cit., p. 32.
[41] « J’adore l’angélisme des pessimistes », art. cit.
[42] Frances Fortier, Andrée Mercier, « L’Autorité narrative pensée et revue par Anne F. Garréta », in Narration d’un nouveau siècle. Romans et récits français (2001-2010), Colloque de Cerisy, Bruno Blanckeman, Barbara Havercroft (éd.), Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2012, p. 244.
[43] Robert Dion, « Enclaves urbaines : Le Jardin clos de Régine Detambel et Ciels liquides d’Anne Garréta », in Christina Horvath, Helle Waahlberg (éd.), Pour une cartographie du roman urbain du XIXe et XXIe siècles, Toronto, Les Éditions Paratexte, p. 207.
[44] Voir Domeneghini, Eva, Ciels liquides d’Anne Garréta, http://cosmogonie. free.fr/ciels.html.
[45] Il s’agir d’une allusion littéraire, puisque la domestique et confidente de Proust portait également ce nom.
[46] Idem.
[47] Valérie Provost, « Le récit qui déborde : esquisse d’un personnage spectral dans Ciels liquides d’Anne Garréta », in Postures, Vieillesse et passage du temps, n°14, automne 2011, p. 87.
[48] Idem, p. 92.
[49] En ce sens, la dernière phrase interrompue du roman « Il y a l’ovale émaillé d’un ci »peut être lue, dans l’interprétation de Valérie Provost, comme une fin ouvrant sur une épitaphe cachée : « Il y a l’ovale émaillé d’un ci-gît ».
[50] Provost, art. cit., p. 95.
[51] Idem.
[52] Jacques Derrida, Spectres de Marx – L’État de la dette, le travail du deuil et la nouvelle Internationale, Paris, Éditions Galilée, 1993, p. 52 [l’auteur souligne].
[53] Le terme abysse renvoie aux grandes profondeurs océaniques qui se situent en dessous de la thermocline, à partir de 200 m. Le mot vient du grec abyssos signifiant sans fond et renvoie à une légende selon laquelle on croyait que l’océan était sans fond. Au-delà de 1000 m, la lumière du soleil est complètement absorbée, les pressions sont extrêmement intenses, les températures glaciales et la nuit y est totale. Étant donné que 95% des abysses sont inexplorés à l’heure actuelle, on peut toujours les imaginer comme des grandes profondeurs sans fond.