Sanda Cordoş
Babes-Bolyai University, Cluj, Romania
sandacordos@yahoo.fr
La grande expérimentation de la pédagogie communiste: la rééducation à Piteşti /
The Large-Scale Experiment of the Communist Pedagogy: the Re-education at Piteşti
Abstract: Starting from direct or indirect statements by ex-political prisoners, this essay aims to describe the most violent carceral phenomenon Romanians witnessed in the 1950s: the re-education in the Piteşti prison, where young prisoners (for the larger part students) were subjected to atrocious experiments aimed at brainwashing and unhindered indoctrination with communist dogma. The text is also concerned with the difficulties inherent in such confessions for those who present their testimonies.
Keywords: Romania; Communism; Piteşti prison; re-education; self unmasking; external unmasking; robotization.
Tout en attirant l’attention sur le fait que le pouvoir communiste puise ses ressources permanentes à l’idéologie utopique, prétendument scientifique et rationnelle, qui n’admet que l’adhésion enthousiaste et sans réserves, Alain Besançon note:
« l’éducation communiste ne consiste pas à persuader les sujets de vouloir le socialisme, mais de le voir. Le Parti ne met pas seulement son énergie à construire le socialisme, mais à faire admettre la fiction qu’il fonctionne déjà, qu’il est incarné actuellement et à obtenir des sujets la reconnaissance de cette fiction » (Les Origines intellectuelles du Léninisme) .
Il y a pourtant des moments où les éducateurs communistes font un pas en avant – vers ce que le chercheur français appelle l’Empire du faux – et ils forcent leurs sujets non pas seulement à vouloir et à voir le communisme, mais, plus que cela, à le pratiquer, en les forçant, donc, à apprendre, avec le langage de la propagande, les moyens de coercition spécifiques à l’appareil répressif. En visant à la transformation du sujet de la répression dans un élément actif, la transformation de la victime en bourreau (le plus fort des arguments pour une société étant celui qu’on peut liquider les innocents et les non-convaincus), ce type d’expérience, appelée justement «la rééducation » a été pratiqué, on le sait, dans le pénitentiaire de Piteşti entre 1949-1951, et transplanté ensuite – avec moins de succès – dans d’autres prisons politiques.
D. Bacu, le premier des chroniqueurs de Piteşti (son ouvrage Piteşti. La Buchenwald se murea mai uşor a paru, dans une première édition, à l’étranger, en 1963, et au pays, en 1991) a profondément compris que la motivation sur laquelle a été bâti le phénomène en entier a été fournie par « une imagination délirante », par le désir monstrueux du pouvoir de mettre à l’œuvre les thèses idéologiques relatives à la naissance de « l’être nouveau » :
« Ce qui s’est passé à Piteşti aurait pu arriver n’importe où. Car il ne s’agissait pas d’une volonté de pouvoir relatif à un autre pouvoir. Mais d’une expérience poussée méthodiquement, scientifiquement pour déterminer jusqu’à quel point l’esprit était malléable et l’être humain réductible au niveau de son milieu ; le sens du réel fragile – expérience qui concrétisait le désir d’instaurer un nouvel ordre, porteur de la certitude affreuse que l’être humain n’était qu’une créature sociale, qu’un robot pensant ».
Une fois mis en pratique, le mécanisme de la robotisation ne saurait engendrer que des situations existentielles cauchemardesques ; car il ne s’agit pas ici de dicter un tel langage ou une telle conduite (lesquels peuvent encore mimer l’obédience, en gardant un côté dual), mais d’imposer des structures psychiques nouvelles. Par la rééducation, le détenu était obligé à quitter sa propre vie pour entrer dans un schéma intérieur fabriqué en série, selon les préceptes du dogme idéologique, et la preuve édifiante que l’âme d’emprunt fonctionnait, se fondait sur l’examen de la victime en posture de rééducateur-bourreau.
De manière scrupuleuse, D. Bacu refait la structure de l’expérience, consommée en deux temps :
« Elle était constituée, en fait, de deux phases bien distinctes : le démasquement extérieur et intérieur. Celui-là n’était que l’amplification jusqu’au paroxysme des enquêtes faites par la Securitate communiste dont les méthodes de torture étaient poussées des fois jusqu’à l’absurde. Le vrai but était le démasquement intérieur et c’est sur celui-ci que l’on insistait avec plus d’aplomb ».
Il est très important à voir les étapes de ce démasquement intérieur, parce que, si à Piteşti elles ont pris des formes extrêmement violentes (puisqu’on voulait de résultats immédiats), elles peuvent se retrouver, de manière euphémistique, à l’usage des masses, en tant que principes constants du processus de destruction de la mentalité roumaine traditionnelle : l’abandon de la foi en Dieu, l’arrachement de la tradition historique, la séparation violente de la famille, l’affaiblissement de la confiance en les anciens maîtres, en l’éducation traditionnelle et, enfin, l’effondrement du propre moi par ce que l’on a appellé « l’autobiographie » :
« L’étudiant n’était plus capable, après avoir conçu cette autobiographie, d’avoir d’initiative même de nature symbolique, se trouvant dans la situation d’avoir honte de regarder en lui, dans son propre âme, qu’il déformait à tel point que tout en la regardant, il était terrifié ».
Sur ce trajet commun de lavage de cerveau, d’extirpation de mémoire, l’inventivité personnelle des rééducateurs avait pleine liberté de mouvement, dans une émulation, évidemment encouragée, de créer de nouveaux moyens de torture physique et psychique. Parmi les nombreuses preuves qu’apporte D. Bacu en ce sens, je m’arrête à un seul cas : parmi les enfermés à Pitesti il y avaient aussi des élèves de 18 ans, qui n’avaient pas de passé politique, trop jeunes pour avoir des péchés capitaux à avouer ; pour être soumis, pourtant, aux démasquements intérieurs, ils ont d’abord été rééduqués en légionnaires à l’ordre et sous la surveillance de Ţurcanu. Voici le témoignage de cette expérimentation aberrante fait à D. Bacu par l’un des rééducateurs y impliqués :
« En exploitant l’enclin à la croyance chrétienne, je leur ai enseigné des Psaumes et des prières, j’ai parlé théologie avec eux, je les ai conseillés, je leur ai recommandé le jeun, etc. […] Quant à leur enclin au patriotisme, je l’ai stimulé par l’apprentissage des chants patriotiques, légionnaires, des lois et des normes de conduite qui devaient être scrupuleusement respectées par le jeune homme qui voulait y entrer. Lorsque l’on a pensé que leur apprentissage était suffisant, on les a emmenés dans un autre cachot. Là-bas ils se sont trouvés sous le fouet des démasquements. […] Il est facile à imaginer le changement qui survenait dans l’âme d’un jeune homme de moins de vingt ans en se rendant compte que celui qui avait quelques jours auparavant été l’exemple de dignité et d’intégrité, se trouvait devant lui en dénonciateur ordinaire ».
D. Bacu n’a pas connu personnellement le processus de rééducation ; détenu politique dans quelques prisons de l’époque, il comprend tout de même la monstruosité de cet attentat à la mémoire dirigé par le pouvoir, et il se rapproche des anciens emprisonnés à Piteşti non seulement par ce désir de cueillir le plus de données possible, mais aussi en faisant montre d’une générosité fraternelle à l’égard de ceux qui ont traversé l’enfer. Son livre se construit effectivement autour de ces deux attitudes. Le témoignage de D. Bacu, conçu comme un « avertissement » et un dénoncement des faits qu’il évoque dans leur entière brutalité ce qui confère au livre un caractère monographique sobre (manuel terrifiant des atrocités totalitaires), engendre également une démarche interprétative pratiquée, sans ostentation, sous le fanal de la morale chrétienne. Ainsi, toute l’expérience peut-elle recouvrir un sens rédempteur :
« La souffrance de toute une nation se projette dans sa souffrance [celle de la ville de Piteşti]. Sa traversée par l’enfer est la nôtre, notre propre traversée. Sa résurrection du tombeau de Piteşti renforce notre confiance que la résurrection de toute la nation est possible quelque lourd que soit le fardeau de nos péchés ».
À des décennies après sa parution, le livre de D. Bacu reste l’une des premières répliques, de grande force, à l’égard du pouvoir communiste et de ses atroces fictions : la mémoire ne saurait jamais être extirpée quels que soient les moyens de torture, idéologiquement légitimes et pathologiquement explicables. Emprisonnée au pays, elle trouve les ressources de renaître ailleurs, dans une superbe démonstration que l’identité communautaire ne relève pas des énoncés politiques éphémères et abusifs, mais qu’elle construit un effet de mentalité profondément enraciné, ce qui fait D. Bacu exprimer une amère profession de foi :
« Tant qu’il y aurait des loups de steppes qui hurlent au foyer et tant que nos frères resteront passifs sans mot dire c’est nous qui avons le devoir de devenir la mémoire itinérante ».
Marcel Petrişor, un autre ancien détenu politique, n’est pas passé par Piteşti, mais il accorde, dans son évocation Mémoires I, La Forteresse 13, Conversations de détention, une place centrale au phénomène de la rééducation. Conscient de la « suprématie » que tient la prison de Piteşti dans la monstrueuse géographie des souffrances roumaines, Marcel Petrişor situe son propre histoire dans un arrière-plan pour placer au premier plan les informations sur le processus de rééducation, en valorisant les témoignages des trois des survivants de Piteşti avec lesquels il a partagé un cachot dans la prison de Jilava. À part la déposition proprement-dite concernant la rééducation, d’une importance significative sont ses observations sur l’état psychique des anciens détenus de Piteşti, encore marqués, en 1958 déjà (sept ans après avoir vécu cette expérience), par la crainte que l’on ne mît au point un « nouveau déchirement de leurs âmes pour qu’ils devinrent, chacun, le tortionnaire des autres ». Malheureusement, les accessoires fictionnels auxquels a recours Marcel Petrişor (il écrit, au fond, un roman autobiographique) nuisent à la qualité et à la prégnance de l’information : des trois camarades de prison, deux seulement gardent leurs propres noms (Constantin Oprişan et Iosif V. Iosif), l’autre recevant le baptême de la fiction : Gore Bolovan. Le nom inventé semble cacher l’identité réelle du prêtre Gheorghe Calciu, qui n’a pas besoin de travesti, pour son destin tellement sinueux, de trouble, et entièrement assumé (ancien acolyte de Turcanu, l’un des chefs de la rééducation, converti au christianisme).
En dernière instance, Les Mémoires de Marcel Petrişor (il s’agit, en fait, de faux mémoires, par cette non-identification de l’auteur à son personnage auquel il donne une identité fictionnelle, Mircea Petre, et aussi parce qu’ils sont écrits à la troisième personne du singulier) mettent en cause un rapport mal compris entre la littérarité et la fiction ; les deux termes ne se superposent pas toujours. Il y a quelques particularités des textes mémorialistes qui déterminent leur qualité littéraire, mais elles ne sont pas tributaires à la fiction. Elles relèvent de la cohérence de la vision, de l’authenticité de l’expression, de la qualité et de la disposition de l’information narrative, etc. Ce que l’on observe en l’occurrence c’est la tendance évidente de l’auteur à faire de la littérature (à moitié explicable par le statut de prosateur de Marcel Petrişor) ce qui donne une touche artificielle à un texte qui, d’après son titre, se revendique de la mémorialistique, un genre qui appartient par excellence à l’authenticité et à l’ouverture de l’écriture du moi.
Les choses peuvent être regardées tout de même sous un autre angle, au moment où l’appel à la fiction se fait non pour réaliser, de manière délibérée, des effets littéraires, mais demandé par des exigences intérieures. Cela parce que rarement ceux qui se rappellent les années de prison ont l’intention de faire de la littérature; leur écriture veut surtout veiller à l’impératif de la vérité. Et pourtant, quelquefois, ils se verront obligés à avoir recours aux moyens de la fiction en substituant (en cachant) par le biais de l’invention, des fragments de réalité. Eux-mêmes, les témoins qui écrivent des dépositions interdites au risque de leur liberté, eux, faire des gestes de traîtres ? Pourtant cela n’est qu’une « trahison » nécessaire, une alliance avec la fiction qui lisse la voie vers la réalité atroce, insupportable. On fait ainsi appel au rôle protecteur de guérison qu’a la fiction, que par son intermédiaire les autres soient défendus (un procédé employé par Adriana Georgescu dans Au commencement fut la fin), ou que soit défendue sa propre subjectivité traumatisée. Là où le moi se trouve en difficulté ou bien dans l’impossibilité même de se dire, il se projette et s’ouvre à la fois dans un soi fictionnel. Ce transfert (cette « trahison ») dans le plan formel reste fidèle, en échange, au contenu authentique, réel, de l’expérience terrifiante, en l’occurrence carcérale. Le mécanisme psychologique (esquissé de manière trop simpliste bien qu’il exige une analyse plus ample) entraîne dans l’espace de l’écriture une mutation de l’espèce narrative : à la place du mémoriel (où il y a un « je » qui parle de son « moi » réel) c’est le roman autobiographique qui fait son apparition (où il y a un « je » qui parle de son « moi » réel mais par le biais d’un « soi » inventé qui n’existe donc pas en réalité.)
Pour évoquer les années de prison, Costin Merişca choisit (comme Marcel Petrişor dans Le Fort 13) la même voie de la fiction, dans un roman autobiographique significatif pour l’espace de la prose dépositionnelle roumaine : La Contrée de la Géhenne (Tărîmul Gheenei). L’auteur évolue au centre de son évocation sous une identité fictive ayant un nom expressément exotique qui frappe par son invraisemblance : Emil Cortez. Sous cette figure d’emprunt (qui assure de nouveau la distance protectrice, nécessaire au témoignage), Costin Merişca réussit à donner expression à son parcours carcéral. Arrêté à l’époque de ses études universitaires à Bucarest, condamné à cinq ans de prison ferme (après avoir déjà connu les prisons de Suceava et de Jilava), il est passé par la rééducation de Piteşti et a été ensuite envoyé en tant que rééducateur à Gherla, pour mener sa condamnation à terme au Canal, à l’époque où fonctionnaient là-bas les fameuses brigades estudiantines treize et quatorze (où, heureusement pour lui, Merişca n’a pas été inclus). La Contrée de la Géhenne est donc le premier témoignage fait au pays par un ancien prisonnier de Piteşti ; même de ce point de vue seulement, le livre doit être considéré comme une parution de première importance.
Un autre rééduqué, le prêtre Gheorghe Calciu, témoigne :
« En 1977, je m’étais mis à écrire une espèce de journal de l’histoire spirituelle de Piteşti. […] Des fois je m’arrêtais à tâtons sur un mot, d’abord timidement, ensuite plus audacieusement, ensuite plus intensément jusqu’à la folie. Le mot n’était plus qu’un enchaînement de lettres ou de sons. Cela ne faisait pas sens, cela ne me disait rien. Je me disais : coups de pied, ou chagrin, ou prière, ou malédiction. Je pouvais les substituer l’un à l’autre sans aucun changement : rien ne me disait rien. Je disais « cellule de prison » et le mot se taisait. Je pouvais dire « llulece » ou « lelluce » ou « llucele ». Tout était vide de sens et absurde. » (Préface à D. Bacu, Piteşti)
Costin Merişca triomphe donc du mutisme et de l’insuffisance des mots, et il réussit à donner, par un témoignage déchirant, l’image de la monstrueuse expérimentation à Piteşti. Le grand mérite de l’écrivain est d’avoir trouvé le ton approprié à l’écriture, en remplaçant les justifications pathétiques par l’observation, en faisant la discipline de ses interventions émotionnelles en faveur d’une écriture sobre, précise, en se montrant un analyste qui sait garder dans la page les annotations de sa lucidité, quoiqu’elle se soit cristallisée dans un combat désespéré avec des forces cauchemardesques.
C’est une chose bien connue que la vie dans la prison de Piteşti, sous les ordres diaboliques de Ţurcanu, a pris, pour les emprisonnés, des formes apocalyptiques. A côté des violences habituelles, quotidiennes, Costin Merişca retient aussi quelques-unes des formes extrêmes de la terreur ; pas une, tout de même, ne saurait dépasser en atrocité la transformation du rituel du baptême dans une effrayante condamnation à mort au nom d’un athéisme rationnel dégradant pour l’essence même de la raison :
« Zut ! J’crois que çui-là, n’a pas reçu le baptême, rit-il [Ţurcanu] avec dégoût. Et en adressant la parole à ses anciens collaborateurs : Qui est Ion d’entre vous ? Un type fit un pas en avant. Prends deux apprentis et emmène-les aux eaux du Jourdain. Ils les poussèrent vers le récipient au-dessous de la fenêtre, plein d’urine et d’excréments. Celui que l’on a appointé comme baptiste, empoigna fermement Niţă de par la nuque et lui enfonça la tête en entier dans le bassin. Lorsqu’il vit que celui-ci se mit à s’agiter, il le lâcha pour qu’il reprît son souffle. Quelque chose de jaune et de pestilence ruisselait de ses cheveux, sur son visage et sur ses vêtements. –Dis-moi, t’as senti la transfiguration ? »
Des témoins et des bénéficiaires des méthodes, de l’excessive méthode de la pédagogie totalitaire, les détenus se retrouvent démunis de tout soutien pour la consolidation de leur résistance intérieure ; le règne de la terreur semble sans fin :
« Mais l’épouvante s’amplifiait surtout à cause d’une autre raison : lors d’une enquête habituelle de la Securitate, si vous avez résisté et réussi à passer sous silence certaines choses pour une semaine ou un mois- c’est définitif et vous l’avez échappé belle, car l’enquête ne dure pas plus. Or, ici, c’était clair, que cet état, tous les coups continueraient non pas des mois durant, mais des années d’affilée, jusqu’à ce que chacun menait à terme sa peine […]. Ce calcul et les nerfs qui ne pouvaient pas infiniment y résister faisaient en fin de compte tous céder ».
Rééduqué, Emil Cortez fait montre de son attachement à la cause, en déniant sa croyance et dénonçant les infidélités de sa propre famille (son père et son frère) à l’égard du régime. Traumatisé, le psychique de la victime est modelé selon le désir de ses bourreaux (parmi lesquels il se range à son tour). Comme à un robot authentique, on lui a inoculé des commandes difficiles à effacer qui mènent à la haine, à la violence, à la trahison ; le simple souvenir de l’image de Ţurcanu (même loin de celui-ci) peut déclencher des actes d’obéissance ou de délation :
« La pensée même qu’un beau jour il aurait pu rencontrer Ţurcanu et ses sujets lui faisait éprouver une terreur aveugle. Il cherchait même des justifications argumentées par acquis de conscience. Il se disait par exemple qu’à notre époque communiste l’individu était subordonné à une cause. La cause passe donc avant tout. Par conséquent en éthique aussi il faut y avoir des mutations radicales. Il n’est pas immoral de dénoncer un individu ou une action qui contrevient à la cause générale ! Ce serait immoral que de la cacher ! »
Il n’est pas étonnant donc que pour des enfermés de Piteşti, le stigmate persiste malgré le temps ; au Canal, un programme des autres détenus, avait comme priorité l’isolement des rééduqués, aussi que, pour quelques autres, la seule solution concernant ceux qui étaient passés par Piteşti semblait être le lynchage :
« Tiens, ceux-là doivent pas rester en liberté. […] Ceux-là seraient les gens les plus dangereux en liberté… Alors, trouvons-leur un passeport pour…l’au-delà ».
La façon dont ces gens trouveront leur propre mémoire et leurs propres repères existentiels, la manière dont ils trouveront ensuite la force de vivre et le chemin vers les autres en intégrant une expérience de vie portée à travers l’enfer, cela semble, pour nous les autres, un parcours incompréhensible. Il nous reste la chance et le devoir d’obéir jusqu’au bout à leurs dires. Même si cela n’est pas, selon l’avertissement de Paul Goga, qui fait la préface du livre, une lecture/écoute agréable. « Lecture profitable » nous souhaite Paul Goma. Que cela soit ainsi.
Bibliographie
D. Bacu, Piteşti. La Buchenwald se murea mai uşor (A Buchenwald la mort était plus facile), préface par le Prêtre Gheorghe Calciu, Bucureşti, Ed. Atlantida, 1963, 1991
Alain Besançon, Les Origines intellectuelles du Léninisme, Paris, Ed. Calmann-Lévy, 1977
Adriana Georgescu, La început a fost sfârşitul (Au commencement fut la fin), édition de Micaela Ghiţescu, préface par Monica Lovinescu, Bucureşti, Ed. Humanitas, 1992
Costin Merişca, Tărîmul Gheenei (La Contrée de la Géhenne), préface par Paul Goma, Galaţi, Ed. Porto Franco, 1993
Marcel Petrişor, Memorii I. Fortăreaţa 13 (Mémoires I, La Forteresse 13), Bucureşti, Ed. Meridiane, 1991